LES OUVRIERS DES DEUX MONDES
PUBLIÉS PAR LA SOCIÉTÉ D’ÉCONOMIE SOCIALE
RECONNUE D’UTILITÉ PUBLIQUE
Troisième série. — 21e fascicule
AJUSTEUR
AU CHEMIN DE FER DES USINES DE WENDEL.
A MOYEUVRE-GRANDE (Moselle)
OUVRIER JOURNALIER
DANS LE SYSTÈME DES ENGAGENMENTS VOLONTAIRES PERMANENTS
d’après
LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN 1926 et 1927
PAR
M. Louis ROUSSEL
(Monographie couronnée par l'Académie d'éducation et d'entraide sociale)
PARIS
AU SECRETARIAT DE LA SOCITÉTE D'ÉCONOMIE SOCIALE
54, rue de Seine
1928
Sommaire
- OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
- § 15. Éléments divers de la constitution sociale
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
DÉFINITION DU LIEU, DE L'ORGANISATION INDUSTRIELLE ET DE LA FAMILLE
§ 1. — État du sol, de l'industrie et de la population
[4][5] Tandis que le fleuve descend majestueusement la vallée, les coteaux qui le regardent offrent aux promeneurs des sites charmants, et un soleil ami, ni trop chaud ni trop faible, mûrit sur leurs pentes la grappe traditionnelle.
Ancy, Novéant, Ars, Scy, Vaux, Sainte-Pinffine et plus bas : Guentrange, Basse-Kontz, Sierck sont des crus renommés pour leur légèreté pétillante et leur bouquet discret-. Seule la partie que nous allons examiner fait coupure dans cette ligne de vignobles qui se prolonge sur les deux rives jusqu'à Coblence.
Les Allemands transformaient en Champagne ce clairet et l'on trouve des restes de leurs caves, disons de leurs fabriques. Mais dans ses frontières nouvelles, la Lorraine, subit la concurrence du vrai Champagne. Si goûtés que soient ses vins, leur faible degré d'alcool, les maladies des branches et du cep, le manque d'organisation des producteurs, les frais de main-d'oeuvre la mettent en infériorité dans la lutte avec les autres crus français. Un accord bien compris avec l'Allemagne pourrait seul redonner plus de vie à son commerce vinicole autrefois si important. Aussi rien d'étonnant que les cariés de légumes ou de luzerne apparaissent de plus en plus nombreux sur la nappe verdoyante des vignes de Moselle. La mirabelle Lient mieux. Elle est la plus riche parure des vergers et sa liqueur distillée qui ne manque ni de vigueur, ni de finesse est appréciée des gourmets ; les fraises de même, celles de Woippy par exemple au Nord-Ouest de Metz, rapportent assez bien à ceux qui les cultivent.
Quant au tabac il continuerait à pousser de ci, de là dans la plaine si la régie ne lui avait rendu la vie dure.
[6] Toute la terre lorraine d'ailleurs, depuis Thionville jusqu'à Bitche ou Sarrebourg, est loin de se montrer ingrate. On y peine, on y récolte. Le climat est doux et pluvieux. Outre le grand fleuve, la Nied, la Seille, la Sarre avec leurs multiples affluents, entretiennent la fertilité. Des prairies artificielles ou naturelles nourrissent sans peine un nombreux cheptel qui est acheté par les Juifs ou trouve un excellent débouché sur le marché de Metz devenu depuis la guerre l'un des premiers marchés de France
Le blé, l'avoine, les pommes de terre poussent très bien sur cette terre docile, ce qui ne veut pas dire qu'on les paie moins cher qu'ailleurs, l'indice du cours de la vie est au contraire très élevé.
C'est que le pays voisin, la Sarre, moins fertile et plus dense fait bonne rafle dans nos campagnes. Le cultivateur y trouve son profit à moins que ce ne soit l'intermédiaire. L'ouvrier des cités lorraines paie en général plus eher que celui de bien des villes de l'intérieur.
Si l'on en croit les comptes de banques, les cultivateurs lorrains, à l'inverse des vignerons, ont amélioré leur sort depuis la guerre. Sauf quelques fermiers qui louent assez bon marché des exploitations de cent à cent cinquante hectares, ce sont presque tous de petits propriétaires qui travaillent de père en fils, les quarante à soixante hectares légués par les ancêtres.
Après une certaine hésitation ils se prêtent aujourd'hui volontiers à l'organisation : coopératives, mutuelles, syndicats agricoles se multiplient. C'est de bon augure pour cepaysan probe et tenace qui reste la majorité de la population.
Si le département de la Moselle est favorable à la culture, il l'est davantage encore à l'industrie.
Sans parler des régions carbonifères, prolongement du bassin de la Sarre, Carliug, Petite-Rosselle, Merlebach, d'incalculables richesses gisent dans le sous-sol de la partie ouest entre Thionville et Briey et chaque jour amèue de nouvelles découvertes dans d'autres régions.
Lorsqu'on traverse celte contrée d'un rayon d'une trentaine de kilomètres au contact d'interminables usines, l'on peut deviner sans les voir les ressources de fer du pays. Elles restent cachées au premier aspect, à l'image des vertus les plus précieuses de l'âme lorraine, et reposent sans même se trahir par la teinte ferrugineuse du sol sous les coteaux qui bordent à l'ouest la large vallée de la Moselle ou entre lesquels, plus resserrés, coulent, venant de la région de Briey ses affluents de l'Orne et de la Fentsch.
[7] Seuls, le trou discret d'un tunnel au bas d'un versant, et les trains électriques ou les chaînes roulantes qui en sortent, ou bien les wagonnets aériens qui traversent lentement quelques kilomètres de plaine, indiquent l'existence, dans le silence souterrain de nouvelles usines, qui alimentent les premières par le travail pénible des mineurs et de leurs portons.
Que les Allemands aient été vainqueurs en 4918 et qu'ils aient ajouté aux régions déjà conquises le reste du bassin de Briey, ils seraient devenus, perspective effrayante, le pays produisant le plus de fer eu Europe.
Mais à ce point extrême qui limitait leur conquête, ils avaient prodigieusement développé la vieille et paisible industrie du minerai lorrain.
Maizières-les-Metz, Hagondange, Uckange, Thionville, Hayange, Algrange, Knutange, Nilvange, Kédange, Ottange, Fontoy, Moyeuvre, Rosselange, Rombas, etc., etc., transforment à grand rendement la pierre en métal.
Cette pierre n'est ni ocre, ni rouge, mais grise le plus souvent ou légèrement ocre ; elle demande pour être travaillée, avec de puissants organismes dirigés par des chefs sages et savants, de nombreux ouvriers, paisibles et endurants. Ces derniers ne manquent guère; à la population autochtone s'est jointe la main-d'oeuvre étrangère, Une commune comme Audun-le Tiche compte des représentants de trente-six nations. Chaque jour, chaque nuit, des trains d'ouvriers depuis Sierck à Metz, amènent à la tâche et reconduisent à leurs foyers une grande partie des hommes valides de la région.
C'est-daris l'un de ces trains journaliers que nous avons rencontré celui que nous voudrions montrer, non comme une exception, mais grâce à Dieu, comme le type représentatif de beaucoup de ses compatriotes.
Il habite Hagondange, non pas Ilagondange-Cité, mais l'ancien village d'Hagqndange.
Dans la large vallée de la Moselle les deux agglomérations ne font qu'une commune ; mais séparées par la ligne de chemin de fer et assez distantes l'une de l'autre, elles diffèrent assez sensiblement d'esprit.
La Cité a été construite à proximité de l'usine et aussi rationnellement que celle ci. L'allemand Thissen en fut immédiatement avant la guerre, le grand organisateur, son oeuvre passe pour l'une des plus modernes de l'Europe.
Bien étalée sur la plaine, à quinze kilomètres de Metz, et sutune assez large superficie, l'entreprise comprend : hauts fourneaux,[8]aciéries, laminoirs, moulins à scories, briqnetterie, cimenterie, un peu comme dans les aulres usines, mais mieux disposés peutêtre et utilisant les derniers perfectionnements.
Après le Séquestre français, c'est actuellememenl l'Union des Consommateurs des Produits métallurgiques et industriels (U.C. P.M.I.) qui l'exploite.
La cité bâtie tout à côté appartient à l'usine. Elle comprend plusieurs centaines de villas, toutes coquettes et hygiéniques, bien aérées et bien comprises, mais de style trop uniforme. A chacune est attenante une petite remise qui peut servir d'écurie ainsi qu'un jardin modeste qui rendent l'un et l'autre de grands services aux locataires.
La cité forme paroisse, ses écoles, son curé. Les pàques y sont encore nombreuses, comme clans la plupart des centres voissins. Un cercle d'études sociales catholique fonctionne depuis plusieurs années et a formé parmi les ouvriers ou employés, des conférenciers appréciés, dont l'activité pour l'instant est malheureusement troublée par des dissensions autonomistes et politiques.
Un tramway électrique relie la cité à la gare. Les Usines de Wendel et celles de Rombas ont également dans la région leurs réseaux privés, quelquefois très étendus, pour le transport de leur matériel et de leur personnel.
Ne craignons pas en passant de rendre hommage à ces petites exploitations ferroviaires, non moins qu'au réseau d'Alsace Lorraine, pour la régularité de leur service et le bon entretien de leurs voitures.
Grandes ou petites lignes sont nombreuses en Moselle, lés Allemands y avaient mis la main pour des raisons qu'on devine à la fois commerciales et stratégiques.
L'exploitation est pratique et les trains omnibus gardent leurs quatre classes. Les partisans de l'assimilation mal comprise n'ont pas encore osé touchera la quatrième, si favorable aux peliles bourses pas plus qu'aux billets de dimanche à prix réduits entre certaines localités.
La gare d'Ilagondange est la plus importante ou du moins, des plus importantes delà région. C'est le point de bifurcation de la ligne Metz Homécourt-Briey et la grande ligne Amsterdain-Hiuxelles-Thionville-Metz-Bàle. Si dans un même sens cinq ou six grands express y passent à toute vitesse, six aulres prennent la peine de s'y arrêter pour gagner Metz en seize minutes tandis qu'une vingtaine de trains omnibus font posément le trajet. Cela[9]fait donc une soixantaine de trains de voyageurs qui circulent chaque jour entre Hagondange et Metz.
Après la gare commence le village qui est déjà un gros bourg plus commerçant que la cité. Celle-ci ne doit garder qu'une coopérative d'après le contrat qui fut conclu avec la commune quand fut cédé quelques années avant la guerre le terrain pour l'usiné et qui reste strictement observé depuis la guerre malgré des efforts pour le briser. Dans les rues assez larges on trouve des magasins, un cinéma, un théâtre, un certain nombre de cafés avec les inévitables salles de bal, plus fréquentées par la population étrangère que par les lorrains de race.
Hagondange qui compte avec la cité plus de cinq mille habitants est donc un centre d'attractions pour la région ouvrière de Rombas-Amnéville comme pour les villages agricoles voisins : Ays-sur-Moselle, ïalange, Moudelange, Bousse, Boussange, Vitry, Gandrange, etc., etc.
Nous appelons ces villages des centres agricoles !... est-ce pleinement exact ? Mi-ouvriers, mi-agricoles ils fournissent tous aux usines un fort contingent de travailleurs, qui font leurs huit heures dans l'industrie et quelquefois plus sur leurs terres.
C'est le cas à Hagondange même. — A part quelques fermiers la population indigène est ouvrière ; mais beaucoup possèdent ou louent quelques champs, quelques prés, quelque graud jardin. Les femmes entretiennent les basses-cours et les hommes assurent les gros travaux au retour de l'usine.
Ou comprend donc que le bourg et la cité aient des coutumes ou clés mentalités différentes, ils se rencontrent partout à la même mairie et ne peuvent se séparer ; d'après le contrat rappelé plus haut.
L'hostilité, si elle existe, vient d'intérêts qui semblent contraires, parce que peut être mal compris. Mais en est-il autrement ailleurs et d'après l'égoïsme plus ou moins étroit auquel il obéit. Chacun ne cberchc-t-il pas à attirer à lui la meilleure part.
La cité est plus régulière, plus industrielle, plus monotone ; le village plus pittoresque, plus commerçant, plus rustique.
La grande roule de Metz à Thionville le traverse, et la Moselle, à un kilomètre plus loin, attire, dans la belle saison et tard encore dans l'hiver, les pêcheurs à la ligne.
Voilà, à peu près, le cadre simple et besogneux ou sans histoire tragique, à Hagondange même, est né et a grandi François Kinner.
§ 2. — État civil de la famille.
[10] LE CHEF : François Kinner. — Il n'est plus tout jeune le brave homme ; son apparition en ce monde remonte au 3 avril 1863. Mais, malgré ses rhumatismes, petit, trapu, il assure encore vaillamment son rude service d'ajusteur au chemin de fer de l'Usine De Wendel à Moyeuvre-Grande, après avoir occupé différents postes où il donna toujours satisfaction.
Moyeuvre se trouve, en remontant la vallée de l'Orne, affluent de la Moselle, à dix kilomètres d'Hagondange. C'est une des usines florissantes de la puissante firme De Wendel, la plus ancienne du pays.
Schremange, Hayange, Jamailles, Moyeuvre en Moselle, Joeuf en Meurthe-et-Moselle, Petite-Rosselle dans les charbonnages voisins de la Sarre sans compter le reste, tels sont les principaux foyers de cette vaste métallurgie du fer, dont François Kinner est l'un des trente à quarante mille ouvriers.
« Il y a quarante-cinq ans, disait-il, que je suis au service de MM. De Wendel, dont quarante à celui des chemins de fer à Moyeuvre... oh, je ne suis pas le seul à être décoré pour longs et loyaux services Renseignez-vous !»
De fait, le chef immédiat de François Kinner, M. Noël, est, lui aussi, de ceux qui tiennent et qui durent. Sa famille est au service de la Maison De Wendel depuis 1812 et compte 327 années de travail. Son grand-père, Nicolas Noël, est resté 59 ans, sa grand'- mère 33 ans, son père Si ans, son frère 44 ans, son beau-frère, M. François Castor qui fut directeur à Schrémange, 50 ans, son gendre 34 ans et lui-même est à sa 56° année.
On sert à l'usine de père en fils. C'est ce qu'on peut appeler de la stabilisation, et on ne la quitte que pour jouir d'un repos bien gagné quand Dieu le permet.
Nous citons M. Noël, mais nous en pourrions citer beaucoup d'autres ! Rien que dans ce service des chemins de fer de Moyeuvre qu'il dirige, trente ouvriers ont plus de trente ans de présence. Certains, qui ont encore bon pied, bon oeil, comptent comme MM. Charles Werner, 51 ans; Louis Hurlin, 44 ans ; Alphonse Comtois, 42 ans ; Félix Laurent, 46 ans ; Charles Birmacker, 48 ans ; J.-B. Nicolas, d'origine luxembourgeoise, 44 ans ; Vincent Fesla, de nationalité italienne, 40 ans ; les deux frères de François Kinner : Céleslin et Charles, l'un 45 ans, l'autre 44.
Cette liste, que l'on pouvait allonger, n'est-elle pas un témoignage impressionnant de la bonne entente qui existe entre ouvriers et patrons dans celte entreprise.
[11] François Kinner est un sujet estimé. Des chefs jusqu'aux simples manoeuvres, la réponse est la même : « Oh ! c'est un brave camarade et un bon travailleur. »
« Que voulez-vous nous dit l'un d'eux, tel père, tel fils. Le père, qui était garde particulier à Hagoiidange, a élevé huit eufauts, sur douze qui vinrent au monde. Vous savez avec le seul traitement de garde'particulier et même les petits travaux à côté, il fallait serrer la ceinture et ne pas fréquenter les cafés. »
François Kinner est en effet le troisième de ces douze enfants, dont six vivent encore et sont devenus, bien que chargés de famille et sans toucher de traitement de députés, par leur travail et leurs petites épargnes, de petits propriétaires.
François Kinner s'est marié en 1888, avec une bonne ouvrière en couture qu'il estimait pour sa piété et les qualités d'ordre et d'économie, Sophie Wiltenberg, d'origine belge, née à Lignes en 1864.
Mme Kinner a donc soixante-trois ans, un an de moins que son mari ; mais elle en paraît cinquante-cinq.
De ce mariage huit enfants sont nés : deux sont morts en bas âge et six sont encore vivants.
L'aînée Léontine, âgée de trente-sept ans, a épousé un ouvrier de la maison De Wendel, N. Finnes. Mère de trois enfants, elle habite Mondelange, le village voisin. Adèle, la seconde, habite aussi Mondelange, femme de M. Nicolas, mécanicien à l'usine De Wendel. Elle a trente-cinq ans et un enfant.
Berthe, qui a trente-deux ans, a épousé un employé des chemins de fer d'Alsace-Lorraine, M. Bolzinger, et demeure à Hagondange.
Charles a trente ans, est marié lui aussi depuis quelques années avec Marie Bolzinger, et travaille à l'usine d'Hagondange.
Il ne reste plus à la maison qu'Albert, qui a vingt-huit ans et travaille à l'usine De Wendel, et la dernière, Henriette, âgée de vingt-sept ans.
« Nous avons été longtemps huit à table, nous disait Mme Kinner, il fallait du pain et le reste... Il a fallu travailler et économiser ; mais enfin aujourd'hui le plus dur est fait. »
Nous la croyons bien volontiers.
§ 3. — RELIGION ET HAIBITUDES MORALES
Toute celte famille est bonne chrétienne. Le père est conseiller de fabrique : c'est tout dire. C'est là un poste d'honneur pour lequel on n'est pas embarrassé, on a le choix. Il fait aussi partie du Comité de l'Action catholique Lorraine la principale organisa-[12]tion chrétienne qui existait avant le 17 juin 1924 sous le nom d'Action Populaire Lorraine, pour la défense des libertés religieuses et la poursuite du progrès social, et qui est maintenant rattachée à la Fédération Nationale Catholique du général de Castelnau.
La mère de son côté est inscrite à la Ligue Patriotique des Françaises, très nombreuse et très active en Moselle sous la direction de Mine Guy De Wendel.
Tous les enfants ont évidemment fréquenté l'école confessionnelle catholique, les garçons chez de braves instituteurs, les filles chez les Soeurs de Peltre, agréées par l'Etat. Ils ont fait partie des patronages, des congrégations et continuent à pratiquer leur religion. M. le Curé en répondant à nos questions, ajoutait que le choix de la famille Kinner paraissait des plus heureux.
Le fait d'avoir élevé chrétiennement six enfants suffit d'ailleurs, croyons-nous, à justifier la liberté que nous prenons de citer cette famille en modèle, tant au point de vue religieux, qu'au point de vue social et l'on n'a pas reculé devant les charges pour accomplir son devoir... Un point noir toutefois subsiste : les enfants mariés tout en étant encore dans la jeunesse et subissant peut-être malgré.eux l'influence des idées régnantes, ne semblent pas accepter aussi facilement que leurs parents, du moins jusqu'ici, la tradition des nombreux enfants. Le souvenir et l'exemple de leurs père et mère les ramèneront ou les garderont dans la vaillance et l'honneur...
§ 4. — HYGIÈNE ET SANTÉ
La santé physique répond à la santé morale. Le père, vu son âge, souffre donc d'un peu d'arthritisme. Mais il part quand même de chez lui chaque matin a quatre heures trois quarts, fait deux bous kilomètres pour atteindre le chemin de fer De Wendel qui l'amène vers cinq heures trois quarts à l'usine.
Il la quitte à deux heures de l'après-midi, refait le môme trajet, est chez lui vers trois heures : une heure après lorsque le temps est beau, ou est sûr de le trouver dans sou champ ou son jardin, à moins qu'il ne soit à quelque travail pour la basse-cour ou le ménage.
La mère qui a supporté huit maternités, nous a avoué n'avoir jamais été malade. La santé des enfants est aussi florissante et il n'y eut jamais de maladie grave, pernicieuse.
Tout ce monde est propre et un tantinet coquet.
L'on ne se tracasse pas des modes outre mesure : les jupes cour-[13]tes et les cheveux coupés seraient difficilement tolérés. Le bon goût se révèle cependant dans les toilettes comme clans l'entretien du ménage.
Ces intérieurs des vieilles familles lorraines sont tous tenus de façon exemplaire : grande propreté, chaque chose à sa place, la cuisine surtout qui sert de salle de réunion et de salle à manger, est impeccable ; le fourneau reluit, le plancher est lavé, l'évier est brossé chaque jour. Chaque maison a son water-closet proprement tenu et l'électricité est d'un usage courant.
Seule la population étrangère jette parfois une note discordante sur l'ensemble si harmonieux. Ordonnés par instinct les Lorrains ont été disciplinés encore par les Allemands, qui même dans les communes rurales, exigeaient à l'extérieur tout au moins, la plus grande propreté des maisons et des rues. D'excellentes habitudes ont été prises, qui ne doivent pas être dédaignées. Nous rappelons qu'à Metz, clans les contrats d'une société d'habitations à bon marché, des exemples où des ouvriers préféraient aune pièce en plus, une salle de bains.
§ 5. — Rang de la famille.
François Kinner est non seulement conseiller de fabrique, mais fait partie aussi du comité de plusieurs sociétés : du Souvenir français qui entretint le culte de la France durant l'occupation allemande et s'occupe pieusement encore des tombes des soldats morts pour le pays ; de la société de musique liés réputée de l'Espérance et enfin du Cercle catholique Jeanne d'Arc, patronage de la paroisse.
C'est la meilleure preuve de la haute estime où le tiennent ses compatriotes et du crédit dont il jouit dans les milieux ouvriers, parce que ce sont presque Uniquement des ouvriers qui composent ces différentes sociétés.
Cette estime, il la mérite par son honnêteté, sa serviabilité, ses quaraute-cinq ans de travail et de peine qu'il a eus pour élever ses six enfants.
Il se concentre d'ailleurs dans sa paroisse et sa famille et est en bons termes, sans voisinage excessif, avec les autres habitants de la localité.
Par conséquent, pas d'histoires de village et pas d'ennuis. Mme Kinner et ses filles ont d'ailleurs trop à faire à la maison et au jardin, pour aller perdre leur temps à des bavardages inutiles ou peu charitables cancans.
Moyens d'existence de la famille
§ 6. — Propriétés
[14] Les Rinner louaient autrefois, à des prix assez modiques la maison voisine de celle qu'ils habitent.
Une occasion se présentant en 1898, ils décidèrent d'acheter la maison actuelle avec ses cinq pièces et son jardin. Les enfants étaient déjà nombreux et l'aîné n'avait pas dix ans. Les économies n'atteignaient pas loin de la somme nécessaire à l'achat. Ils firent quand même le geste grâce à la maison De Wendel qui avança ce qui manquait, c'est-à-dire quatorze cents marks.
François Rinner qui ne gagnait alors que cent soixante marks par mois, s'engageait à rembourser la somme à raison de vingt cinq marks par mois, soit trente et un francs vingt cinq centimes d'argent français. Cinq ans après il était libéré et n'avait plus de loyer à payer. Il était devenu propriétaire d'un jardin de six ares et d'une gentille maison qu'il répara de fond en comble.
En plein village, avec ses dépendances la maison vaut bien aujourd'hui de quarante à quarante-cinq mille francs, el, à ce prix, bien sûr, François Rinner ne la céderait pas.
Sans doute les meubles n'y sont pas du Louis XIII ou du Louis XV, ils sont simples et rendent pourtant les mêmes services. Ils garnissent les cinq pièces de la maison, et il ne faudrait pas moins de quinze à vingt mille francs pour les remplacer aujourd'hui.
Ajoutez à cela les bibelots, le linge, le bois, le petit matériel, l'outillage nécessaire à un ménage mi-ouvrier, mi-agricole, les légumes, les dix oies, les trente lapins, les vingt-cinq poules, les deux porcs et les économies réalisées en espèces et nous estimons que l'avoir de la famille peut atteindre soixante-dix à quatre-vingt mille francs.
Notez qu'en se mariant en 1888, les jeunes époux avaient dépensé pour les meubles indispensables toutes leurs économies de jeunesse, qu'ils ne firent depuis aucun héritage, qu'ils ont élevé leurs six enfants et en ont marié quatre, que ceux-ci ont tout de même occasionné quelques frais et emporté quelques meubles, du linge qu'il a fallu remplacer et concluez que ce n'est qu'avec des prodiges d'adresse et d'économie que ce résultat peut ou put être atteint, à une époque surtout, celle d'avant-guerre, où les salaires n'étaient pas élevés, où il n'y avait, ni allocations familiales, ni réduction de tarif de chemin de fer, ni subvention de l'Etat
§ 7. — Subventions.
La famille Kinner est au service de la vieille maison De Wendel, l'un des établissements industriels les plus anciens de la Lorraine.
« Les Petits-Fils de François De Wendel » tel est le nom de la firme actuelle. Comme on le voit, le litre seul indique l'idée de tradition... Traditions chez les patrons, traditions chez les ouvriers, c'est le meilleur ciment de l'édifice.
Les usines De Wendel commencèrent petitement au début du xvme siècle, mais elles avaient atteint avant la Révolution une grande importance pour l'époque.
Au milieu du siècle dernier, la maison avait peine à soutenir la concurrence : le minerai lorrain se traitait mal et donnait du fer trop rare et trop cassant.
Vers 1840 même elle passe par un moment, critique. Pour sauver la firme nourricière, les ouvriers acceptèrent alors de travailler presque pour rien : Charles De Wendel, le père de François, leur fournissait la nourriture et un salaire très modique. Heureusement une invention anglaise, permettant de tirer meilleur parti de la minette lorraine, vint aider les efforts conjugués des patrons et des ouvriers. L'espoir revint.
Grâce au dévouement des ouvriers on avait pu tenir dans les jours mauvais et bientôt la maison fut sauvée : elle est prospère aujourd'hui.
La famille De Wendel n'oublia pas ce geste. En retour de père en fils, elle a l'habitude de faire l'impossible pour éviter le chômage. « J'iraijusqu'au dernier sou, disait l'un de ses membres, pour que les ouvriers aient du travail et du pain. »
Ce n'est donc pas le capital anonyme qui règne ici, mais ce sont des patrons qui dirigent, des patrons que l'on connaît et à qui l'on peut parler et confier souvent ses petits malheurs. Aussi les médailles de fidélité pour trente ans de service dans la même usine3 sont-elles nombreuses : François Kinner reçut la sienne en 1923.
Cette stabilité du personnel ouvrier et employé a fait la force[16]de cette usine et assuré le bonheur de bien des foyers ; une prime d'ancienneté et de participation annuelle sont d'ailleurs accordées.
Depuis la guerre la maison accorde des allocations familiales, que les femmes -viennent loucher elles-mêmes, les femmes et non les hommes le 10 de chaque mois; elles apportent ainsi aux charges des familles nombreuses, un soulagement appréciable.
Il n'y a pas de mutualité proprement dite, mais seulement d'après la loi locale des caisses obligatoires d'assurances sociales dont l'exposé dépasserait les limites de ce travail.
La maison De Wendel possède, comme les grosses entreprises, sa caisse de maladies indépendante, pour laquelle il est retenu chaque mois sur le salaire de l'ouvrier une cotisation proportionnelle à son gain et pouvant varier de 8 à 20 fr.-, moyennant quoi il bénéficie des soins médicaux pour lui et sa famille et reçoit une allocation journalière en cas de maladie.
On accorde aussi une prime d'accouchement ainsi qu'un secours funéraire le cas échéant.
De plus la firme a créé, dès avant-guerre, mais surtout depuis, grâce à la collaboration d'infirmières ou de religieuses du pays et sous l'impulsion particulière de Mmes Maurice et Guy De Wendel, toute une collection d'oeuvres sociales : Maternités, crèches, gouttes de lait, garderies, oeuvres du trousseau, écoles ménagères, préventorium contre la tuberculose, et, nous en oublions, oeuvres qui rendent les plus grands services.
La direction toutefois reste peu favorable au syndicalisme, de quelque nuance soit-il.
Ces divers secours et ces caisses d'assurance n'existaient pas encore au temps du plus dur labeur de François Ruiner. L'oeuvre sociale dont lui et sa famille ont le plus bénéficié, à coup sûr, ce furent les « Economats » de l'usine qui sont transformés aujourd'hui selon la loi en coopératives.
« Un sou est un sou, nous disait Mme Ruiner, nous n'en n'avions pas de trop, et tout ce que les économats vendaient meilleur marché, François le rapportait en revenant du travail, aussi longtemps il apportait le pain qu'il prenait à l'économat de Moyeuvre. »
Il y a 10 kilomètre de Moyeuvre à Hagondange, et, à cette époque, Fr. Rinner les faisait à pied.
« Oui, ajoutait le brave homme, rien qu'avec le bénéfice sur le pain, on pouvait payer le loyer quand nous étions en location. C'est que pour huit personnes il en fallait, n'est-ce pas ? Mais je gagnais cinq sous par miche... Ah ! il fallait bien faire comme cela, comment aurions nous vécu autrement ? »
[17] Oui, il n'existait pas autrefois des allocations de différentes natures, qui sont un progrès et un adoucissement dans l'existence besogneuse et pénible des humbles.
Mais n'existait pas non plus alors, ne devons-nous pas le reconnaître, cette folie du bal, du cinéma, de la toilette et des plaisirs divers, qui n'est pas sans creuser de jolis trous dans la masse des salaires mieux répartis et plus reconnaissants du travail fourni.
Tant il est vrai que rien ne se fera de sérieux et de durable si le progrès moral ne reste à la hauteur du progrès matériel, et si la religion ne continue à inspirer des moeurs saines ou à contraindre les instincts de plaisir qui ne demandent qu'à s'ébattre sans apporter toujours plus de bonheur et de dignité à-l'ouvrier.
Il n'y a rien tel que le souci de nombreux enfants à entretenir pour aider la pratique des vertus chrétiennes.
§ 8. — Travaux et industries.
Du travail des hommes à l'usine, nous n'avons rien à dire . c'est celui, dans ses diverses modalités, de l'ouvrier de la grande métallurgie. Les femmes n'y sont guère employées : à peine trouve-ton quelques dactylos dans les bureaux, quelques téléphonistes et femmes de ménage.
François Rinner qui fut tour à tour chargeur, mécanicien, surveillant de la voie, ouvrier de dépôt, est aujourd'hui bon ajusteur.
Il est très adroit, et nous pouvons en juger par ses travaux à la maison, où il fait tout lui-même, sans avoir besoin de recourir ou très rarement à quelque spécialiste, même pour la réparation du mobilier et de l'outillage.
Il s'occupe également de son jardin, de son champ que lui concède à litre de « portion communale » la ville d'Hagondange ; dans ce champ il récolte les pommes de terre nécessaires à l'entretien de sa famille, et celles pour l'élevage de deux porcs ; il y récolte également du foin pour ses lapins.
Et n'oublions pas que ces heures de travail sont d'autant plus méritoires qu'elles sont prises sur un temps de repos bien limité. Les huit heures de travail aujourd'hui à l'usine-me lui demandent pas moins en effet que dix à onze heures d'absence de chez lui et ses douze heures d'autrefois lui demandaient quinze heures etplus d'absence. Où a-t-il pu trouver le courage de fournir encore tout le travail que nous avons indiqué.
Mme Kinner ne fut pas moins laborieuse.; Elle aussi, malgré[18]ses huit enfants reçus à un ou deux ans d'intervalle, a assuré consciencieusement toute la tâche d'une bonne ménagère : cuisine, lavage, entretien du linge et des habits, jardinage, basse-cour, surveillance et souci des enfants. Elle s'est tellement rendue compte de l'importance pour une femme de savoir tout faire par ellemême, qu'elle a voulu que ses filles suivissent son exemple.
Toutes sont restées à la maison jusqu'à leur mariage et y ont appris ce que les filles ont le plus besoin d'apprendre. Elles étaient à tour de rôle collaboratrices de leur mère ou se perfectionnaient dans la couture auprès d'une habile ouvrière voisine.
Une pareille collaboration dans une famille, cette utilisation de toutes les ressources donne évidemment par les dépenses évitées, d'intéressants résultats.
Que l'on veuille bien évaluer les économies que procure un homme adroit par les mille petits travaux qu'il fait lui-même à la maison, que réalise la mère par les soins seulement qu'elle prend du linge, bien plus attentivement que ne pourrait le faire aucune ouvrière. Elle sait le prix de l'étoffe et ce qu'il convient de raccommoder, elle coud et repasse, confectionne au besoin soit les habits de dessous, soit ceux des enfants tant que l'âge ou la mode ne sont pas encore trop exigeants.
Et les profits qui reviennent aux familles nombreuses de l'élevage d'un ou de deux porcs. Le bouclier est cher actuellement, inutile de le rappeler. Et les pommes de terre, les légumes ou oeufs que l'on achète, que l'on vend au contraire ; sans compter les poulets, les oies, les lapins ; recettes nouvelles pour la mère de famille.
Or, tous ces avantages sont facilement accessibles aux ménages ouvriers, s'ils ont la place et le terrain désirables et s'ils veulent s'en donner la peine. Ces travailleurs de l'usine et de la terre sont en général plus sérieux que d'autres, surtout qu'ils restent bons chrétiens. Ils ne perdent pas leur temps et leur argent au café ; ils évitent de se dissiper dans la politique, et ils recueillent précieusement, sans les gaspiller, les moments libres que leur laisse la loi de huit heures, pour eux si entièrement avantageux.
Quant aux femmes, à tout point de vue, ne sont-elles pas mieux dans leur ménage ou leur jardin qu'à l'atelier ou dans un bureau. Question de courage personnel peut-être : d'intelligence aussi, d'honnêteté et de sagesse. Ces familles sont, la plupart du temps, d'excellente moralité.
Le communisme a peu de prise sur elles. Les travailleurs qui, comme François Kinner, ont peiné pour acquérir un petit bien, réaliser quelques économies, ne se laissent guère tenter par les[19]principes de la « Nationalisation » ou l'idée du partage avec d'autres moins épargnants.
Aussi le socialisme qui a pu créer quelques mirages et attirer quelques regards lorsqu'il se posait pour le seul défenseur des intérêts des petits a de moins en moins prise sur les ouvrières lorraines qui aujourd'hui s'en détournent pour rester fidèles aux traditions de la race.
Mode d'existence de la famille
§ 9. — Aliments et repas.
Chez les Kinner on vit modestement :
Le matin, soupe ou cale avant le départ des hommes pour le travail. Tout le monde est debout de bonne heure : il y a toujours à faire. Les hommes emportent une collation. Ceux qui sont restés ou qui reviennent prennent ensemble le repas de midi : soupe, porc, légumes, dessert. A leur retour les hommes prennent leur repas vers, trois ou quatre heures. Les femmes prennent avec eux une tasse de café au lait. Le soir, de nouveau café au lait ou soupe, légumes, confitures ou charcuterie. Le tout est bien préparé et en quantité suffisante. Sur la bonne mine de chacun l'on peut d'ailleurs juger de la valeur nutritive de la cuisine que font limes Kinner.
En somme c'est la nourriture lorraine : le porc, les pommes de terre, la choucroute y tiennent une place prédominante ainsi que le café au lait et la confiture.
Tout cela se prépare sur une belle cuisinière émaillée. Le gaz ne fonctionne pas à Hagoudange pas plus que le chauffage électrique. Mais la cuisinière est pratique et les femmes savent en tirer le meilleur rendement avec la moindre consommation possible de bois~ou de charbon.
Tandis que la marmite bout ou mijote, le four est occupé à cuire et à dorer quelque tarte aux fruits, dessert fort goûté des populations lorraines et peu coûteux dans ce pays ou les fruits abondent.
Du porc on extrait le maximum. On fait de tout comme partout : boudin, saucisse, fromage, andouillette, jambon, pâté. Tout chez M. Kinner se commence et s'achève à la maison. La charcuterie joue un grand rôle dans l'alimentation lorraine, à cause des maris et des fils, obligés d'emporter au travail une col-[20]lation qui se compose ordinairement de pain et de charcuterie. Celle-ci faite en famille est d'ailleurs excellente.
Le boeuf ou autre viandes dites « douces » ne sont guère utilisées que dans les grandes occasions : fête patronale, baptême, mariage, réunion de famille et quelquefois le dimanche.
Le principal légume est donc la pomme de terre qui vient bien dans le terrain sablonneux. On la prépare comme dans beaucoup de repas français ; on la sert bien souvent le soir, rôtie ou avec de la salade.
Toutes les familles cultivent ici des choux spéciaux, que l'on récolte en automne et que l'on met en des tonneaux pour les transformer en choucroule. Celle-ci se conserve toute l'année. Avec du jambon, de la saucisse ou un autre morceau de porc, elle est délicieuse. On la mange avec des pommes de terre et l'on utilise le bouillon pour la soupe.
La ménagère fait en outre des conserves de porc, haricots, tomates et surtout de fruits. Celle qui a un jardin a donc des légumes pour toute l'année.
L'on consomme peu de beurre, mais beaucoup de confitures de toute sortes que l'on prépare chez soi. On en mange avec le café au lait, en tartine ou en tarte, surtout l'après-midi et le soir. L'on achète aussi beaucoup de fromages, sans préférence pour aucune spécialité.
En somme c'est une nourriture saine et fortifiante. Le vendredi on fait maigre bien entendu : des oeufs, des légumes et quelquefois du poisson de Moselle.
Comme boisson de l'eau en général, mais du vin et de la bière le dimanche et aux moments des durs travaux.
L'inconvénient pour ces ménages ouvriers est que la table doit rester mise tout le long du jour, à cause des hommes dont les heures de travail ne coïncident pas et des tournées qui se font parfois la nuit. Il y a donc presque toujours des absents ou des retardataires. C'est un surcroît de travail et de dépenses': Mme Rinner connaît cela.
§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements
Cette famille habite au n°18 de la rue qui s'appelle depuis peu, rue de la Marne, dans une maison composée d'un rez-de-chaussée et d'un étage : en tout cinq pièces.
Elle est située au milieu du bourg, non loin de l'église, face au parc d'un château. En pierre, elle est couverte de tuiles comme[21]la plupart des maisons de la région ; elle est bien exposée et n'a pas les inconvénients de la grand'route, la poussière et les antos, si dangereuses pour les volailles.
Reblanchie il y a quelques années, elle est fort bien entretenue. On y accède de plein pied, la porte donnant sur un couloir où "un petit chien monte la garde et vous accueille de ses jappements. Sur la droite, aussitôt la cuisine, où la famille se tient habituellement : le carrelage est lavé chaque jour, la cuisinière reluisante attire les yeux ainsi que la batterie de cuisine bien astiquée. Au milieu une grande table, quelques chaises, une machine à coudre, un petit buffet complètent le mobilier de cette pièce.
Aux murs quelques tableaux modestes, religieux le plus souvent, des photographies de famille et l'inévitable Napoléon. Ces mêmes ornements sont disposés avec goût et entourés de bibelots communs ainsi que dans les autres pièces.
Derrière la cuisine la chambre des parents ; une grande armoire garde, avec le linge et les vêtements, les souvenirs de famille, un buffet, un fauteuil, quelques chaises et un lit forment tout le mobilier.
Du couloir un escalier conduit aux chambres des enfants aujourd'hui presque vides. Elles sont très soignées, comprennent avec des ornements disposés avec goût, un bon lit, une armoire, un petit bureau pour les garçons. Les planchers sont aussi propres qu'en bas.
Au-dessus encore un grenier garni de foin donne sur la rue par une lucarne. On y monte de l'intérieur par une échelle. Derrière la maison, la buanderie, vaste et claire, avec son fourneau et sa lessiveuse, elle sert de remise à outils et à légumes. Derrière encore une courette avec un beau tas de bois bien rangé dans un coin, puis de nombreuses cages à lapins, un poulailler pour les oies et les poules et l'écurie aux porcs.
La cave n'a pas beaucoup de vins mais renferme des réserves en pommes de terre et betteraves.
Les armoires sont bien garnies de linge et de vêtements. Chaque grande fille, avant de partir, a préparé elle-même son trousseau. On a emporté quelques pièces de mobilier et les jeunes ménages ne dédaignent pas encore aujourd'hui d'accepter de petits cadeaux on volailles ou légumes... C'est si bon de recevoir des parents.
Nous sommes donc loin des taudis des villes ouvrières. L'on trouve par exemple à Metz, malgré les efforts d'une municipalité intelligente et s'intéressant aux habitations à bon marché, une famille polonaise et combien d'autres qui loge cinq ou six enfants[22]dans une seule et même pièce sans souci de l'hygiène et de la morale.
Les usines font beaucoup à ce sujet. Elles possèdent d'immenses cités, et font l'impossible pour qu'elles soient entretenues : elles y réussissent généralement. Un seul défaut, c'est l'uniformité trop grande.
§ 11. — Récréations.
Des récréations nous en parlions avec Mme Kinner. Elles sont moins rares aujourd'hui qu'avant la guerre nous confia-t-elle. Mais la principale, le meilleure, est encore la réunion de famille, le dimanche après-midi.
En semaine on est occupé.
Le dimanche il y a la messe, la grand'messe nous voulons dire où une chorale renommée rehausse l'éclat de la cérémonie. Après la messe, avant la crise de vie chère, le père Kinner faisait bien une courte visite au café du coin pour trinquer avec les amis et là ensemble ces vieux Lorrains derrière la bière qui moussait se gaussaient des Allemands. Aujourd'hui les consommations sont trop chères et la bière au dire des connaisseurs et de François Kinner en particulier, ne vaut pas celle d'avant-guerre...
L'après-midi du dimanche est souvent accaparée pour le père par les réunions de ceci ou de cela. C'est une occasion de sortir. Les vêpres retiennent les femmes, ainsi que la visite des jardins qui est traditionnelle, sans oublier qu'il faut soigner les animaux pour qui le dimanche n'est pas jour de jeûne et d'abstinence.
Le fils Charles fait de la musique et quand la société sort ou donne un concert au village, on va l'applaudir. On va de même au cercle catholique assister aux représentations qu'on y donne.
Quant aux promenades oui de temps en temps, on va chez
l'un ou l'auLre des enfants. Mais c'est rare, tous préfèrent venir chez les parents.
Les fêtes religieuses, les l'êtes nationales, mais surtout la fêle patronale qui a lieu le dimanche qui suit le 8 septembre, sont l'occasion de grandes réjouissances familiales. Pour la fête patronale, on fait eu Lorraine, sauf en ville, des préparatifs importants. On y invite les parents et les « grands amis », on fait force gâteaux et tartes, car on en mange beaucoup, on en donne beaucoup... à M. le Curé, aux a Chères Soeurs », à M. l'instituteur, si ceux-ci ont su capter la confiance populaire ; on en donne à ceux qui viennent vous rendre visite sans compter ceux qu'on fait parvenir aux proches, retenus loin des festins.
[23] L'église paroissiale est parée comme pour les grandes fêtes, et la messe est solennelle, le sermon de circonstance est même quelquefois donné par un prêtre étranger ou un religieux.
Les garçons font la quête dans le village pour la musique du bal, le soir et les jours suivants. Pour ce bal M. le Curé ferme les yeux.
La place du village est encombrée de baraques de toutes sortes chargées de friandises. Les chevaux de bois amusent les enfants et le concours de quilles les papas. Un mouton, une oie forment l'enjeu de ce dernier divertissement très en vogue ici. Le lendemain matin, tout le monde se trouve à l'église où le prêtre officie poulies morts de la paroisse ; et puis la fête reprend et continue bien plus calme car les invités sont partis ou vont partir.
Comme ces réjouissances de village n'ont pas lieu à la même date, il est des familles qui participent ainsi à 7 ou 8 fêtes, ce qui ne déplaît ni aux jeunes... ni aux forains.
Les bals, les cinémas, les dancings, les théâtres sont aujourd'hui des divertissements trop fréquentés' dans nos régions ouvrières. Mais ils le sont peu parla population lorraine, en tout cas beaucoup moins que par la cosmopolite.
Ces deux populations dans la région messine et dans la vallée de l'Orne, ont même leurs cafés respectifs. On le reconnaît à la langue que l'on parle. Ceux-là où l'on parle exclusivement le français, sont de vieux cafés lorrains.
Avant guerre, on ne dansait vraiment qu'aux fêtes patronales.... Aujourd'hui on danse dans les cafés le dimanche, et même les jours en semaine, au son d'un orchestre souvent étranger ou d'un phonographe, quand ce n'est pas d'un épouvantable piano mécanique.
Il n'est pas prouvé'que cette musique adoucisse les moeurs. Les Kinner pour leur compte personnel n'aiment pas ce genre de musique.
«On est mieux chez soi, dit le père Kinner, et si l'on veut boire une bonne bouteille, ou la boit en famille.
Comme lecture, on se sert un peu de la bibliothèque paroissiale ; le dimanche on lira le « Pèlerin » ou le « Patriote Lorrain. » D'autres familles plus curieuses, liront « Le Lorrain » le « Messin » ou encore la « Libre Lorraine » ou le « Républicain Lorrain », ces deux derniers sont rédigés en allemand.
Pour les Kinner, un journal suffit le dimanche d'autant plus que, répétons-le, toute leur activité sociale est orientée vers la famille.
§ 12. — Phases principales de l'existence
[24] Si les Kinner ont toujours vécu dans une sécurité appréciable, ils ont connu comme tous ici-bas, des jours pénibles et des jours de douces joies, M. Kinner a vécu des jours durs avant son mariage. Son père avait beaucoup de mal à élever sa nombreuse famille et le repos pour François et ses frères était inconnu et même pendant longtemps il lui fallut renoncer à toute idée de plaisir pour aller sur les bords de la Moselle ramasser des cailloux pour les usines et améliorer ainsi la situation des siens. Il connut également une période de disgrâce à l'usine qui dura six mois .parce que pour gagner davantage il avait voulu changer de service, malgré l'assentiment de son chef d'alors à Jamailles, qui sans doute l'appréciait trop pour le laisser partir.
La guerre de 1870 fut pénible dans ce pays que les Allemands ne devaient quitter qu'en 1918. C'était l'occupation militaire dans toute son horreur. 11 vit sa famille souffrir, puis son frère aîné opter pour la France ainsi que beaucoup de jeunes qui préférèrent l'exil de la province natale, au port, du costume militaire allemand.
Il grandit donc pendant cette époque où la crainte de déplaire aux nouveaux occupants, crainte que justifiaient les représailles, courbait la population, la repliait sur elle-même et développaft en elle un esprit de méfiance.
L'âge de servir arriva et avec lui l'âge de choisir entre la France ou l'Allemagne. Deux choses le retinrent au pays et l'aidèrent à subir le joug de l'étranger.
D'abord sa piété filiale. Il se rendait compte de la peine que s'étaient donnée ses parents pour élever huit enfants dont cinq étaient encore plus jeunes que lui. Le père avait besoin de son aide Il resta.
N'avait-il pas à la maison De Wendel une place stable et puis enfin il se rendait compte de l'importance pour l'idée française au pays de ne pas faire de place aux Allemands. On comprenait mieux déjà que pour conserver les provinces violemment arrachées à la pairie, tout au moins conserver leurs âmes à la France, il fallait y rester, y fonder de nouveaux foyers dont les fils continueraient les traditions, les moeurs et entretiendraient l'espoir du retour du drapeau tricolore.
Si tous avaient opté, dans quel état moral aurions-nous retrouvé oe pays en 1018 ?
Chaque lorrain qui quittait était remplacé par un allemand.
[25] C'est ainsi que les prussiens conquéraient tout doucement, mais sûrement, le pays.
M. Kinner songea enfin à. fonder un foyer. Il épousa une ouvrière en couture dont il appréciait la piété filiale, la bonne santé, le bon sens ménager et la foi éclairée.
La naissance des enfants furent des jours de joie, surtout pour les premiers. Certes les suivants furent bien accueillis. Cependant les charges augmentaient chaque jour et à chaque nouvelle arrivée. Les premières communions solennelles furent aussi des jours heureux. Celle de la dernière née le fut surtout, car n'annonçaitelle pas pour les deux époux, sinon la fin de leur gros soucis, du moins un soulagement appréciable ?
La mère avait des collaboratrices zélées et les fils ayant dépassé les quatorze ans requis, sortaient de l'école et apportaient déjà ou allaient apporter leurs modestes salaires à la maison, chose non négligeable.
Le plus dur était fait.
Un jour de grande joie pour les Kinner fut aussi le jour où MM. De Wendel leur témoignant une grande confiance, leur avançaient l'argent nécessaire pour acheter leur maison. Cet achat effectué et l'emprunt remboursé vers 1903, les enfants grandissant, l'heure delà paix, cette paix dont"jouissent les petits gens, allait sonner. Leur rêve était réalisé : Ils étaient désormais chez eux, et bien chez eux.
La guerre devait, hélas, troubler cette quiétude. Les deux fils servirent ceux qu'ils détestaient. Le père lui-même sara réquisitionné pour faire des tranchées sous la garde des durs soldats du Reich ; l'usine fermera ses portes, rien ne rentrera plus à la maison et les dépenses augmenteront. Dieu merci, un jour le chef du service des chemins de fer, M. Noël, viendra lui-même inviter François Kinner à retourner sur sa machine, travail que lui et d'autres accompliront sous le contrôle des Allemands, contrôle exigeant dont les chefs surtout eurent à souffrir.
Tout a une fin et un jour ce fut la victoire de la France. Le drapeau bleu, blanc, rouge flotta de nouveau sur le clocher plat de l'église d'Hagondange. Mmes Kinner comme toutes les femmes des familles lorraines travaillèrent à la confection du leur
dans le plus grand secret d'abord, au grand jour ensuite. Elles eurent la joie de voir ceux qui les avaient brimées longtemps, comptant et réquisitionnant jusqu'aux oeufs de leurs poules, quitter le village la tète basse et celle aussi de voir leurs vainqueurs
[26] A la guerre succéda l'époque des mariages, coûteux c'est entendu, mais ne sont-ils pas le couronnement d'une carrière familiale bien remplie ?
Les Kinner n'ont point élevé les enfants pour eux... mais l'ont fait en chrétiens. Ils les donnent en chrétiens pour ceux qui continuent leur oeuvre.
Et déjà au lieu d'en chérir six, ce sont douze sans les nouveaux conjoints; c'est-à-dire que lorsque tout le monde esta table, ce sont dix-huit personnes qui goûtent le pot au feu ou la choucroute de Mme Kinner.
Allez-y le dimanche et vous verrez une cuisine remplie, une mère heureuse et un père fier; vous y verrez une famille chrétienne, une famille lorraine.
Avec le retour du drapeau français M. Kinner qui comme ses compatriotes a résisté passivement aux Allemands, va relever la tête.
Il sera du comité du Souvenir frauçais, il sera de maintes sociétés où il apportera un concours aussi apprécié que désintéressé.
Il recevra là aussi de nombreux témoignages d'estime mérités. Son patron et son chef de service lui feront remettre par le Gouvernement de la République la Médaille du travail en argent. Ce sera là encore la récompense de 45 ans de bons et loyaux services en attendant un repos que justifient tant de labeurs, de privations et de dévouement de toute nature?
Puisse Dieu donner de longs jours de bonheur aux deux époux modèles afin qu'ils voient monter vers lui la moisson d'âmes dont ils furent les semeurs et les bons cultivateurs.
§ 13. — LES CAUSES DU BIEN-ÉTRE PHYSIQUE ET MORAL DE LA FAMILLE
Cette famille est heureuse... les heures pénibles sont passées, les enfants sont élevés, quatre sursis ont déjà fondé de nouveaux foyers. La santé somme toute est bonne, sauf les douleurs du père. Elle jouit de la considération générale ; elle a réussi.
Ce résultat n'est pas l'effet du hasard, ni même de la chance que procure un héritage. Les Kinner n'ont point d'oncle en Amérique. Il leur a fallu peiner très dur, faire feu de tout bois... il a fallu se priver.
Cette famille a réussi pour bien des raisons matérielles et morales.
D'abord morales : M. Kinner n'a jamais quitté son village. Il y est né, il y mourra. C'est un enfant du pays qui a pris pour devise[27]le proverbe : Pierre qui roule, n'amasse pas mousse ! Il a été élevé dans un milieu où l'économie régnait, où l'ordre et l'honneur n'étaient pas de vains mots.
Elevé chrétiennement, marié avec une épouse partageant sa foi, sa vie familiale ne pouvait être que conforme à ses idées.
Il n'a jamais Connu d'autres patrons que ceux de l'usine De Wendel. Une fois entré à leur service il a eu conscience qu'il occupait un poste sûr, que si les salaires ne furent pas brillants, il savait que là dans cette maison le chômage était très rare et que MM. De Wendel savaient s'imposer de gros sacrifices pour employer tous leurs ouvriers même en pleine crise commerciale. Il savait que si l'on n'entre pas facilement dans cette usine, on n'en sort que pour des raisons graves.
La famille Kinner était donc à l'abri de ce côté. Cette stabilité, cette assurance d'avoir du pain pour ses vieux jours, lui donnait à travers les difficultés qu'elle traversa au cours des années qui se succédaient depuis sa constitution, une assurance que beaucoup n'ont pas.
Le fait que Mme Kinner a pu rester à son foyer, l'entretenir dans un état de propreté absolue, lui donner une saine gaieté, a joué un grand rôle, tant sur le moral de son mari qui n'éprouvait pas le besoin de chercher des jouissances ailleurs qu'au sein de sa famille. 11 est certain qu'il aurait été difficile à cette mère d'aller à l'usine ou d'ouvrir un atelier de couture, l'entretien et l'éducation de ses six enfants l'absorbèrent toute entière. Cependant les premières années de son mariage il y aurait pu avoir des conséquences graves pour son futur bonheur, si elle s'était laissé entraîner dans cette voie.
Elle a su rendre son intérieur attrayant pour tous, et par la suite elle sut donner de l'occupation à tous et à toutes afin que l'oisiveté n'engendre pas d'autres défauts chez les siens.
Aujourd'hui tous lui sont reconnaissants.
Elle a été la mère chrétienne dans toute l'acception du mot.
§ 14. — LE BUDGET FAMILIAL
D'après tout ce qui a été dit jusqu'ici, on ne sera pas surpris que le budget de la famille Kinner soit assez simple à élaborer et ne comporte pas beaucoup d'articles. On peut le ramener en somme aux cléments suivants :
§ 15. Éléments divers de la constitution sociale
APPRÉCIATIONS GÉNÉRALES.
CONCLUSONS
[28] De la vie des époux Kinner, de leur pleine réussite de leurs espoirs, il y a des conclusions, des enseignements à tirer au point de vue social.
Ils ont réalité le type de la famille chrétienne.
Chez eux pas d'orgueil déplacé, mais seulement la satisfaction du devoir accompli, la constatation que leur passage sur la terre[29]a servi à quelque chose : à doter le pays de six nouvelles ou futures famUles saines à tous points de vue. Les conditions matérielles dont parle Léon XIII dans Rerum Novarum qui permettent à l'homme de vivre honnêtement et d'élever sa famille ont été obtenues, non seulement par un salaire trop juste à certains moments, mais aussi par divers avantages dont malheureusement l'ouvrier des villes en général ne peut jouir.
Stabilité du travail. — Nous pouvons sans crainte de nous tromper, dire que la stabilité et l'assurance pour le travailleur d'avoir toujours du pain a joué un grand rôle dans le bonheur de cette famille.
L'assurance qu'une fois rentré dans la maison De AVendel il aurait une occupation et un salaire fixes, que le chômage est une chose ignorée, qu'il a à sa disposition un certain nombre d'oeuvres sociales et d'assurances qui l'aideront le cas échéant, et enfin que le pain pour ses -vieux jours lui est assuré, lui donne à lui-même qui ne possède rien, le cran de solliciter la main d'une jeune fille, qui elle-même ne l'épousera que si son coeur y consent. Mais encore que si celui qu'elle accepte comme compagnon lui garantit, non pas une vie exempte de soucis, mais tout au moins davantage préservée du malheur et delà misère comparativement à beaucoup d'autres femmes de travailleurs.
Le fonctionnarisme est une plaie en France ! Ce n'est que trop vrai ! Tout le monde veut deveniremployé d'administration. Oui... et pourquoi ? ? ?
A notre avis ce n'est pas tant pour la petite vie tranquille que mènent certains d'entre eux que pour la stabilité du travail et le droit à une pension de retraite.
Cela joue un grand rôle pour le mariage et telle jeune fille de milieu très intéressant hésitera à épouser un commerçant, un employé, un ouvrier à cause du risque de misère et de vieillesse malheureuse. Par contre elle accueillera toujours un fonctionnaire, même de rang ordinaire.
Qu'on établisse en France les assurances sociales obligatoires et la crise du fonctionnarisme prendra sinon fin, du moins s'atténuera. Car si le cantonnier, le facteur et le gendarme ont des retraites, le peintre, le maçon, l'ouvrier agricole en obtenant égalelement, bien des difficultés seront solutionnées.
Cela peut paraître enfantin ce que nous écrivons quant au choix du mari et cependant on ne peut pas dire que toujours l'amour est aveugle et nous avons entendu maintes fois en Lorraine où l'on est réaliste dire dans les familles où il était question de mariage :
[30] « Oui, nous préférons un tel parce qu'il a une bonne place chez M. X. ou au chemin de fer ou à la poste ; il aura une retraite. »
La stabilité dans l'emploi est donc une garantie pour les siens et une source de courage pour le travailleur.
Voyez les annonces matrimoniales, sans être une référence elles sont cependant une indication à ce sujet... C'est le fonctionnaire qui a la plus haute cote. Remarquez que pour la procréation le même problème se pose et la même solution le résoud.
M. et Mme Ruiner n'ont pas reculé devant les grosses charges familiales. Ils auraient pu faire comme beaucoup. Ils n'en seraient pas plus heureux aujourd'hui. Néanmoins ils se seraientévité beaucoup de mal et de soucis. Ils n'ont pas reculé parce que chrétiens ; ils ont estimé que c'était leur devoir, mais aussi parce qu'ils étaient sûrs que ceux qui naîtront ne manqueraient pas de pain.
Si le divorce est un crime social en ce sens qu'il ne songe qu'aux parents et est une raison non avouée pour les femmes, plus à plaindre parce que plus faibles, de fuir les maternités, la stabilité du mariage et son indissolubilité sont une garantie contraire ; la garantie du travail en est une autre que les législateurs et les sociologues ne peuvent et ne doivent ignorer. N'est-ce pas d'ailleurs le but que poursuivent les catholiques sociaux quand ils demandent pour le travailleur, comme dans l'intérêt de la paix sociale : « Contrat de travail. »
Si les familles ouvrières sont des familles prolifiques, dans les centres industriels lorrains et notamment chez celles dont les pères sont employés dans les usines De Wendel, la stabilité du travail et la quesLion du logement dont nous parlerons tout à l'heure en sont deux des causes matérielles.
La femme au foyer. — Mme Kinner a été l'artisane principale du bonheur de son foyer. La femme au foyer est un trésor et l'on ne luttera jamais assez pour l'éducation de la femme en vue de ses fondions familiales et contre son abandon du foyer pour l'atelier ouïe bureau.
Ce qui ne signifie pas du tout que les femmes ne doivent pas apprendre et connaître un métier.
Nous estimons au contraire qu'elles doivent en avoir un. D'abord parce que malheureusement aujourd'hui elles peuvent rester célibataires et être obligées de pourvoir honnêtement -à leurs besoins. Mêmes mariées, elles peuvent par suite de circonstances malheureuses être obligées de recourir à un emploi pour gagner leur vie et élever les leurs.
C'est une bonne précaution.
Cependant une société bien organisée, c'est une société ou[31]chaque être et chaque chose est à sa place. Celle de la femme est au foyer ; chaque fois qu'on l'y enlève, on lui nuit ainsi qu'à la société.
La famille Kinner chez qui cependant un ou des suppléments de gains auraient été hien utiles, l'a fort bien compris. Mme Kinner a tout de suite saisi que l'entretien du ménage celui delà basse-cour, celui du jardin lui rapporteraient beaucoup plus, surtout pour les siens que le peu d'argent que lui procurerait le travail de couture, même à domicile, qui l'occupait avant son mariage.
Qu'aurait-elle gagné à cette époque ?
Avec cet argent aurait-elle comblé le vide dans son ménage que lui créait cet abandon ?
Non seulement quand la femme reste au foyer, la cuisine est plus soignée, ce qui ne nuit pas à la bonne harmonie dans la maison, mais celle-ci est plus gaie, mieux entretenue ; la femme sait par mille petites choses retenir le mari au foyer.
Le lecteur n'ignore pas que l'alcoolisme et la dépravation des moeurs dans certains milieux ouvriers ont trop souvent pour cause l'absence de vie familiale, le taudis et le mauvais entretien du foyer par la femme. L'homme ne trouvant chez lui que pleurs, grognements, puanteurs, le fuit pour le cabaret.
Une femme qui travaille ailleurs que chez elle, ne peut pas s'occuper comme il convient de son intérieur, de son mari, et, hélas, ne parlons pas des enfants qui sont pour la malheureuse une "véritable charge, une épouvantable charge qu'elle évitera si possible.
Mme Kinner sait cela, ses filles, élevées à son école, savent tout faire et s'efforcent à leur tour de suivre son exemple. Elles ont toutes été à tour de rôle ses collaboratrices à la cuisine, au jardin, à la basse-cour, au champ, au lavage, au repassage, à la couture.
Avec le sursalaire familial et les allocations elles pourront plus facilement élever leurs familles que ne le purent leurs parents, car elles ont compris l'importance de tout ce qu'elles ont appris étant jeunes filles et cela, au contact des réalités.
La famille fut pour elles une véritable école ménagère pratique, la meilleure probablement.
Mme Kinner, et ce ne sera pas son moindre titre d'orgueil, aura fait de ses filles de parfaites ménagères. Elle en aura fait, non pas de ces petites poupées gentilles qui savent charlestonner, pianoter, se servir avec art de la poudre de riz et du rouge, mais sont incapables de faire un pot-au-feu réussi. De ces jeunes filles[32]pour qui la mère est une domestique : mademoiselle rentre de de son bureau, met sa serviette au cou, daigne goûter au déjeuner, change de chaussures et de bas, cirés et racommodés par sa mère et sera de toutes les fêtes et de tous les bals....
Plaignons ces femmes ! Plaignons surtout leurs maris ! et leurs futurs enfants! Ah I si l'homme peut procurer à cette jeune femme une bonne et lui payer toutes les fantaisies, ce sera bien, sinon... toutes les conséquences sont à prévoir.
Oui, préparons la femme à son futur rôle ; encourageons l'enseignement ménager. Mme Guy De Wendel, Présidente de la Ligue Patriotique des Françaises dont Mlle Adèle Lacroix, deMetz, est l'apôtre en Moselle, l'ont si bien compris qu'elles ont orienté leur action dans ce sens.
L'Epargne. — Un bon côté de cette école familiale est le développement de l'épargne et d'économie. Nous ne voulons pas parler dans cette étude du côté moral du séjour de la femme au foyer, ni du côté chrétien, il est indéniable. En général le séjour hors du foyer est pour la femme et la jeune fille un danger permanent, tout le monde le sait. La présence de la mère vaut mieux que celle de joyeux compagnons et même de joyeuses compagnes d'ateliers ou de bureau... Mais quand il le faut.
Bref le côté épargne et économie doit aussi retenir l'intérêt du lecteur. Dans un ménage comme celui des Kinner, on connaît la valeur de l'argent et pour cause ; il n'en est jamais rentré beaucoup. On hésite à faire une dépense et on épargné.
Si tout le monde avait couru à l'usine ou à l'atelier, il serait rentré à certaines époques beaucoup d'argent dans cette maison, mais le besoin de tout aurait incité à la dépense et à ne plus attribuer à l'argent qu'une valeur relative. On aurait beaucoup gagné, mais on aurait aussi beaucoup dépensé.
Tout étant produit par le travail de tous : jardinage, élevage, culture, basse-cour ; on y a veillé avec plus de soins et su donner à l'argent plus rare, une valeur tout autre.
Ce n'est pas Mlle Kinner qui songe à fonder un foyer à son tour qui ira dépenser 5 francs pour entrer dans uae salle de bal à Metz ou ailleurs. Non, elle sait qu'avec cette somme elle paiera le loyer d'un are de champ dont la production sera plus intéressante pour son futur ménage que le plaisir vite euvolé même pour ceux qui savent l'apprécier de voir valser quelques couples au son d'un jazz-band, fût-il américain.
Mlles Kinner n'ont pas pour cela manqué de partis et c'est peut-être une preuve que ce n'est pas forcément au bal qu'on trouve les meilleurs maris, les meilleurs compagnons et les meilleures compagnes.
[33] Rôle de l'aviculture. — Nous "voudrions aussi attirer l'attention sur l'importance du .jardin ouvrier et l'aviculture là où ils sont praticables.
A Hagondange et dans la région ouvrière mosellane, c'est le cas. Beaucoup d'ouvriers du pays possèdent ou louent un jardin et reçoivent de la commune ou louent un ou des champs. Ils font leurs huit heures à l'usine d'un seul trait la journée anglaise, et rentrent vivement chez eux pour travailler l'a terre.
Ce double travail n'entre peut-être pas dans les vues du législateur. Mais cette application est beaucoup supérieure à celle qui rend inactives des masses d'ouvriers qu'attire le café du coin parce qu'aucune autre occupation ne se présente à eux.
Non seulement ces travailleurs tirent maints avantages du jardinage, de la culture et du petit élevage en augmentant sensiblement leurs revenus, mais donnent à leurs femmes ou à leurs filles une occupation... Ce qui est l'idéal.
La loi de huit heures. — La loi de huit heures est certes une loi sur laquelle il n'y a pas lieu de revenir. Cependant son application a prouvé qu'elle a des côtés néfastes parce qu'étant un progrès social matériel, ce progrès matériel a marché plus vite ou n'a pas été accompagné d'un progrès moral.
C'était l'heure de la création'de jardins ouvriers, d'oeuvres avicoles, de cercles, de bibliothèques, etc. etc., de donner aux ouvriers un repos sain et salutaire. On n'a encouragé que les sports. Certes il fallait le faire, mais peut-être pas lui donner la première place et en faire l'unique préoccupation de notre jeunesse ouvrière qui aujourd'hui connaît mieux Carpentier, Rigoulo, les frères Pélissier que ceux qui travaillèrent et travaillent encore à son bonheur matériel et moral. Demandez à certains qui est Pasteur, qui est Branly, ce que sont les semaines sociales, etc., etc., ils l'ignorent. Mais ils vous conteront avec force détails les raisons de la supériorité de l'U. S. M. C. de tel village, sur le Racing-Club de tel autre, l'excès en tout est un mal.
Nous insistons donc sur l'encouragement plus que jamais nécessaire aux jardins ouvriers et à tout ce qui s'y rattache. Félicitons vivement Mme De Wendel qui organisa récemment un concours d'entretien de ménage et félicitons ceux qui, comme la Société d'horticulture messine, organisent chaque année des concours de balcons fleuris, et de jardins ouvriers. Encourageons les sociétés avicoles, les syndicats de menu bétail, etc. En un mot, qu'on fasse tout pour rattacher l'homme et la femme au foyer et l'avenir de la société est assuré.
Les Assurances sociales. — Est-il nécessaire de reparler de[34]assurances sociales, de dire l'importance qu'elles ont dans un ménage ouvrier, le niellant, quand elles sont bien appliquées, à l'abri de la misère qu'engendre souvent la maladie, soulageant la famille ouvrière aux époques si onéreuses de l'entrée d'un nouveau dans son sein, aidant la veuve et les orphelins, leur assurant une pension en cas de disparition de son chef, assurant du pain aux travailleurs pour leurs vieux jours. Nous ne disons pas qu'elles sont parfaites. Non, mais nous souhaitons vivement en voir l'application aux travailleurs de toute la France dans un sens encore plus juste et plus démocratique.
Les Œuvres sociales. — Faut-il développer ici les avantages des oeuvres sociales et charitables de toutes catégories créées par la maison De Wendel : Maternité, Crèche, OEuvre du Trousseau, Ecole de Coulure, Goutte de Lait, Economats, Prêts d'honneur? Ce serait toute une étude à faire, étude à laquelle nous nous livrerons peut-être un jour. Elles ne sont d'ailleurs pas assez connues... même des intéressés. Les oeuvres sportives sont également très soutenues et encouragées par la maison, tant par les patronages que par les sociétés libres. La musique n'est pas négligée.
La grande Famille. — L'opinion générale est qu'il s'agit dans l'exploitation métallurgique De AVendel, d'une grande famille.
Nous n'avons pas affaire à une société, à un capital anonyme, mais à des patrons connus de leurs ouvriers et les connaissant. C'est énorme au point de vue social ! Ces deux forces du travail ne s'ignorant pas.
Ce n'est pas le capital résidant dans la personne de souscripteurs lointains qui gourmanderont leurs conseils d'administration si le taux de répartition des dividendes est trop faible.
Ce n'est pas le travail qu'on pressurera dans la mesure du possible. Ce sont des familles patronales et des familles ouvrières qui ont lié leur sort ensemble, qui se connaissent et qui s'apprécient.
Le résultat de cette bonne compréhension, decette collaboration en somme, sont très bons. Tout n'y est pas parfait bien sûr ; mais c'est de beaucoup supérieur aux organismes où le capital et le travail, non seulement s'ignorent, mais se combattent avec l'acharnement de deux chiens pour un os.
La meilleure preuve : les rares ouvriers et employés du pays qui quittent font l'impossible pour y rentrer... Ceci a sa raison. Celte collaboration est tellement vraie que voyez M. Kinner, il a besoin en 1898 de 1400 marks (ce qui était une somme en ce temps-là) pour acheter sa maison. Où va-t-il les emprunter ? à la banque ? chez un notaire ? Non, il va chez son directeur et il obtient l'avance voulue et cinq ans pour rembourser.
[35] Le Problème du logement. — Seulement ce jour-là la Maison De Wendela conquis pour toujours un homme et sa famille et les a écartés du communisme destructeur et des doctrines dissolvantes. Elle a fait un petit propriétaire, quelqu'un qui possède quelque chose au soleil, qu'il a eu du mal à acquérir et qu'il n'admettra jamais voir partager ou socialiser.
Tout le problème est là. Qu'on aide l'ouvrier à acquérir une petite maison, un jardin et on l'enracine. Qu'on donne à l'ouvrier des champs, au petit cultivateur la possibilité de posséder, une maison et quelques cultures et il se rira de la ville et de ses attraits. On donnera un but à l'ouvrier et un idéal ; il aura ce minimum de bien-être dont parle Léon XIII. Il pourra vivre et faire vivre les siens.
Qu'on encourage donc l'acquisition delà petite propriété par tous les moyens. Que l'Etat, les communes, que les industriels créent des cités, c'est une bonne chose, si elles sont bien ordonnées et si comme à Moyeuvre-Grande on demande aux occupants 25 francs par mois pour une cuisine, 2 pièces, jardin ou écurie ou dO francs par pièce pour les logements plus importants. On fera une belle oeuvre ; mais on en fera encore une plus belle si on permet à l'ouvrier et à l'employé de devenir lui-même propriétaire.
EXEMPLES
Exemple : Kinner à Hagondange qui aura donné six enfants au pays.
« Ses frères et soeurs, tous petits propriétaires grâce à leur labeur.
« Archen Emile, de Boussange, 30 ans de service à la Maison De Wendel, a élevé 5 enfants et est propriétaire.
« Eichen, de Maizières-lès-Metz, petit employé qui grâce au labeur acharné de sa femme et à ses travaux supplémentaires, est propriétaire et élève six enfants.
« Christophe, de Montigny-lès-Metz, rue de Reims, qui élève cinq enfants avec le modeste traitement d'employé municipal auxiliaire et qui, grâce à une société d'habitation à B. M., devient propriétaire d'une maison mettant ainsi sa famille à l'abri des exactions des propriétaires.
Des résultats de la stabilité du travailleur, les exemples sont comme pour ceux que donne ïa petite propriété, bien trop nombreux pour faire des citations.
[36] Tout de même, à titre documentaire, citons le cas de M. Charron, postier à Moulins-lès-Metz, qui a élevé neuf enfants avec son modeste traitement et leur a donné à tous une situation.
Citons encore M. Harbois, 72, rue du Pontiffroy, à Metz, qui a élevé, en plein quartier ouvrier, cinq enfants avec le modeste traitement de receveur de tramway, plus tard contrôleur et dont la femme dut cultiver pendant longtemps un grand jardin pour les siens et dont les légumes qu'elle tirait en excédent étaient vendus au marché messin, arrondissant ainsi les maigres mois de son mari, aujourd'hui rentier et ayant des économies.
De ces exemples pris au hasard et parmi des centaines il faut ajouter que toutes les mères restèrent au foyer et qu'aucune d'elles ne le sacrifia pour l'usine ou l'atelier.
Sur tout ce monde les doctrines des 1°, 2°, 3° et autres internationales ouvrières n'ont pas d'attrait pas plus que celles de Malthus n'ont eu sur ce bon M. Hinsberger, deQueuleu, ancien instituteur, aujourd'hui décédé, et qui donna une dizaine d'enfants à la Lorraine et à la France, dont deux prêtres.
Qu'on donne au travail la stabilité, qu'on facilite le retour de la femme au foyer, qu'on encourage la petite propriété et tout ce qui attache l'ouvrier à sa famille et on aura plus fait pour le salut du pays et de la société que par toutes les théories possibles.
Que le Patronat, comprenant mieux son rôle, abandonne une part de ses bénéfices à maintes oeuvres sociales ! Qu'il tende franchement la main à son collaborateur surtout quand celui-ci est dans la peine et le malheur, et la haine sociale s'apaisera pour faire place à un esprit de collaboration indispensable si l'on veut réaliser une société plus juste et plus fraternelle.
La France a besoin de belles familles, le peuple les lui donnera. Que ses dirigeants ne tuent pas l'idéal chrétien qui a soutenu des familles comme les Kinner, d'Hagondange ! au contraire, qu'on aide ces familles, que leurs patrons leur donnent les mêmes garanties de stabilité dans le travail que celle dont a joui ce foyer, et ce ne sera pas seulement dans quelques régions de notre patrie que les naissances dépasseront en nombre les décès... mais dans toute la France ! !
Et celle-ci pourra regarder le monde en face, sans haine, mais sans crainte.[37]