N° 103
COMMIS A L'ADMINISTRATION CENTRALE
DES CHEMINS DE FER DE L'ETAT BELGE
(Schaerbeek-Bruxelles. — Belgique)
SALARIÉ DU TRÉSOR PUBLIC
DANS LE SYSTÈME DES ENGAGEMENTS VOLONTAIRES PERMANENTS
d'après
LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN 1904
TH. THÉATE
Docteur en droit
Chef de bureau à l'Office du travail de Belgique
Sommaire
- Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille
- Éléments divers de la constitution sociale.
- § 17. SUR L'EXPLOITATION DES CHEMINS DE PER PAR L'ÉTAT BELGE
- § 18. SUR LA POSITION ADMINISTRATIVE ET LA CONDITION MATÉRIELLE DES EMPLOYÉS DES CHEMINS DE FER DE L'ÉTAT BELGE
- § 19. SUR LES ASSOCIAITIONS FORMÉES ENTRE EMPLOYÉS DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES POUR L'AMÉLIORATION DE LEUR CONDITION MATÉRIELLE
- § 20. SUR LA CONDITION SOCIALE ET JURIDIQUE DES EMPLOYÉS EN BELGIQUE
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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille
Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1ᵉʳ. État du sol, de l'industrie et de la population.
[197] La famille habite une maison située à Schaerbeek. Cette localité, qui compte 68,000 habitants, est le plus important des faubourgs de Bruxelles, la capitale de la Belgique.
Elle constitue une commune distincte, mais, en fait, il n'existe aucune séparation apparente entre sa partie batie et celle de Bruxelles.
[198] La famille s'est fixée dans ce faubourg, bien que son chef et plusieurs de ses membres aient leurs occupations dans la capitale, parce qu'elle a trouvé à s'y loger à meilleur compte. La rue où elle habite n'est d'ailleurs distante du centre de Bruxelles que de quatre kilomètres environ et est mise en communication facile avec lui par plusieurs lignes de tramways.
Schaerbeek fait partie de la province de Brabant. Il est le chef-lieu d'un canton de justice de paix et est compris dans l'arrondissement judiciaire de Bruxelles.
Des 1,350,000 habitants que compte actuellement le Brabant, 600,000 environ appartiennent à l'agglomération bruxelloise. L'industrie et le commerce y ont surtout pour objet les articles de luxe : orfèvrerie, bijouterie, carrosserie, ganterie, parfumerie, dentelles, etc. On y trouve encore quelques fabriques importantes : ateliers de construction mécanique, brasseries, imprimeries, etc.
Dans diverses autres localités de la province, on rencontre aussi des établissements industriels du même genre, ainsi que des distilleries, des raffineries de sucre, des papeteries, des carrières, etc.
Les habitants des campagnes se livrent à la culture maraichère et à celle des céréales en général, du lin, du chanvre, du houblon, des betteraves, etc. Le sol du Brabant est généralement très fertile.
§ 2. État civil de la famille.
La famille comprend les deux époux et quatre enfants, savoir :
Louis D., chef de famille, marié depuis vingt-cinq ans, né à Saint-Josse-ten-Noode (faubourg de Bruxelles)............ 47 ans.
Elisa J., sa femme, née à Bruges............ 48 —
Jules D., leur fils aîné, né à Saint-Josse-ten-Noode............ 22 —
Georges D., leur deuxième fils, né à Schaerbeek............ 19 —
Léon D., leur troisième fils, né à Schaerbeek............ 17 —
Louise D., leur fllle, née à Schaerbeek............ 13 —
Le chef de famille a perdu sa mère alors qu'il n'avait que douze ans. Son père habitait Saint-Josse-ten-Noode, où il faisait le commerce de vins en gros. Il est mort dans cette localité, à l'âge de soixante ans, deux années après le mariage de son fils Louis. Il avait eu deux autres fils, décédés en bas âge.
[199] Le père de la femme exerçait à Bruges simultanément les deux professions de marbrier et d'accordeur de pianos. Il est mort dans cette ville à l'âge de soixante-deux ans, neuf mois environ avant le mariage de sa fille avec D., laissant, en outre, deux fils âgés respectivement de trente et de vingt-sept ans. L'ainé, qui avait repris le commerce paternel de marbrerie, mourut à quarante ans, après avoir perdu la plus grande partie de son patrimoine. L'autre est accordeur de pianos à Bruxelles, où il vit, parait-il, assez misérablement. D. s'est brouillé avec lui à cause de la succession de ses beaux-parents.
Quant à la mère de la femme, elle a vécu encore trois ans après le mariage de sa fille, avec laquelle elle était venue habiter. Elle est morte à l'âge de cinquante-neuf ans.
§ 3. Religion et habitudes morales.
Les deux époux sont nés de parents catholiques.
La famille du mari était peu pratiquante. Aussi D. est-il fort indiférent en matière de religion. Il va rarement à l'église et ne s'est jamais occupé personnellement de l'éducation religieuse de ses enfants.
La femme, par contre, ayant été élevée dans un pensionnat tenu par des religieuses, a conservé un fort attachenent pour le culte cntholique. Grâce à son influence, tous les enfants ont été baptisés et ont fait leur première communion. Les fils, cependant, ont cessé généralement vers l'age de seize ans de fréquenter l'église. La fille seule continue à assister régulièrement, avec sa mère, aux offices du dimanche.
Il est à noter, dans cet ordre d'idées, que les études des enfants, même celles de la fille, se sont faites dans des établissements laïques.
Le père se préoccupe également fort peu de la politique. En sa quaulité d'agent du gouvernement, toute participation active à celle-ci lui est d'ailleurs formellement interdite. Il semble toutefois que ses préférences, de même que celles de ses fils, inclinent du côté des idées libérales.
Au point de vue moral, la situation de la famille est excellente. On peut dire de ses membres que ce sont de braves gens. Aussi sont-ils très estimés de tous et notamment de leurs voisins, avec lesquels ils entretiennent généralement de très bonnes relations.
[200] Le père mène une vie fort régulière et on ne lui connait aucun vice.
Bien que déjà marié, il a aidé, dans la mesure de ses moyens, son père que de mauvaises spéculations avaient mis dans un état voisin de la misère.
D'autre part, sa belle-mère étaunt devenue malade, peu après le mariage de sa fille, il la recueillit chez lui et la traita avec égards jusqu'à sa mort, survenue trois ans après.
En définitive, c'est un homme tout à fait excellent au point de vue des qualités du coeur, mais sous le rapport de l'intelligence et de l'énergie morale, il est moins bien doué. Ainsi, dans sa carrière administrative, il n'a jamais su se distinguer ; toutes les augmentations de grades et de traitement qu'il a obtenues, il les a dues plutôt à l'ancienneté de ses services qu'à ses mérites. Aussi n'a-t-il jusqu'ici pu sortir de la situation de simple commis.
Au reste il a montré la même inaptitude et la même apathie dans la direction de son ménage. Trouvant plus commode de se laisser vivre sans assumer à cet égard ni responsabilité ni soucis, il a abdiqué, en fait, dès le principe, la plus grande partie de son autorité entre les mains de sa femme.
Celle-ci lui est d'ailleurs beaucoup supérieure sous le rapport de l'intelligence et de la volonté. D'un tempérament nerveux et actii, e'est elle qui, en réalité, est le vrai chef de la famille. Son mari, comme ses enfants, lui remettent tous les mois l'intégralité de leur traitement ; avec ces ressources, elle vaille à faire face à tous les besoins du ménage. En général, c'est elle seule qui effectue les achats et fait les paiements ; le mari n'intervient que dans les cas tout à fait exceptionnels, et encore le plus souvent à titre purement consultatif. Il ne dispose, comme argent, que d'une petite somme qui chaque semaine lui est remise par sa femme pour ses menues dépenses personnelle. Elle a toujours su d'ailleurs user avec sagesse des pouvoirs qui lui ont été laissés ; grâce à ses qualités de femme laborieuse et économe, le ménage est tenu très proprement et pourvu suffisamment de tout le nécessaire, sans qu'aucune dette soit jamais venue le grever.
D. n'a fait ni de fortes ni de bonnes études ; après avoir terminé, tant bien que mal, son école primaire, il a suivi les cours de l'Athénée de Bruxelles jusqu'en troisième. Son père, préoccupé de ses affaires, n'a jamais pris la peine de le diriger ; ainsi D., qui avait perdu sa mère à l'âge de douze ans, a-t-il été en quelque sorte abandonné à lui-même et est-il toujours resté un élève très médiocre. Marié à son tour, il a, con[201]trairement à l'exemple de son père, cherché à diriger l'éducation de ses enfants, mais, trop faible, il n'a jamais su avoir sur eux — il le reconnait lui-même — que l'autorité d'un frère aîné. C'est la mère qui, dans ce domaine encore, a dû prendre la vraie direction. Relativement instruite pour une femme de sa condition, elle a pu aider ses fils de ses conseils et elle a réussi, par une surveillance et des soins constants, à en faire des élèves appliqués. Tous trois ont été à une école primaire de la commune. L'ainé a ensuite suivi les cours de l'école moyenne de Schaerbeek, le second, ceux de l'école industrielle de la même localité, et le troisième est en dernière année de l'Athénée de Bruxelles.
La fille reçoit l'instruction dans une école primaire communale, dont elle sortira cette année.
Sous le rapport de la moralité, les enfants ne laissent rien à désirer, leurs parents n'ayant jamais cessé de leur prodiguer, à cet égard, les meilleurs exemples et les meilleurs conseils.
§ 4. Hygiène et service de santé.
D. est de taille moyenne et assez robuste d'apparence. Sa barbe et ses cheveux, qui deviennent rares sur le front, sont blonds.
Il a eu, vers l'âge de vingt ans, une broncho-pneumonie très grave et, peu après son mariage, une rechute de la même maladie. A l'âge de trente ans, il a été atteint d'une typhlite. Depuis lors, il n'a plus été sérieusement malade, mais il est resté assez faible de la poitrine.
La femme est petite et maigre, d'apparence plutôt chétive. Elle n'a cependant jamais eu de maladie grave ; plusieurs de ses accouchements ont été fort dificiles et elle a eu deux fausses couches.
L'ainé des enfants a été atteint, à la suite d'une chute qu'il avait faite vers l'age de huit ans, d'une anbylose du genou. ne opération qui a été tentée n'a pas réussi complètement, et l'enfant est resté boiteux avec la jambe de travers.
Le second fils s'est occasionné une hernie, à l'âge de seize ans, par un efort fait en travaillant. Ses parents l'ont placé pendant près de deux mois dans un hôpital de Louvain pour y suivre un traitement spécial, il ne s'y est pas guéri et est toujours demeuré soufrant.
[202] Les deux autres enfants sont robustes et bien constitués, ils n'ont jamais eu de maladie sérieuse.
Les charges de maladie sont supportées directement par la famille seule, elle n'est affiliée à aucune société de secours mutuels contre la maladie. Dans les cas graves, elle a recours au médecin, mais c'est la mère qui soigne seule les petites indispositions.
Tous les membres de la famille sont assez scrupuleux sous le rapport de la propreté, tant du corps que des vêtements. Ils ne prennent cependant que très rarement des bains complets, faute d'installation spéciale chez eux, et par suite du coût relativement élevé de ces bains dans les établissements de la ville.
§ 5. Rang de la famille.
Les parents de D., ainsi que ceux de sa femme, appartenaient à cette classe sociale que l'on dénomme communément la « bonne bourgeoisie ».
Commerçants bien établis, possédaunt une certaine fortune, ils purent done élever leur famille dans une réelle aisance.
Le père de D. se ruina cependant vers la fin de sa vie. Son fils resta sans autre ressource qu'un petit emploi de commis à 1,200f qu'il était parvenu à obtenir à l'administration des chemins de fer de l'Etat belge. se maria néanmoins, sans attendre que sa situation se fût améliorée.
Sa femme, ayant dû partager l'héritage de ses parents avec ses deux frères, n'apporta au menage qu'une somme de 20,000 francs.
Dans la suite, les appointements de D. furent augmentés a diverses reprises, mais toujours d'une somme relativement minime et chaque fois après des périodes asse longues. Aujourd'hui, après vingt-huit ans de services, il ne gagne encore que 3,100 francs.
Par contre, les charges du ménage, par suite de la survenance de plusieurs enfants, se sont accrues rapidement, et dans des proportions considérables. Il en est résulté que les époux ont été constamment obligés de limiter leurs dépenses au strict nécessaire, pour la nourriture, la toilette, l'habitation et les plaisirs.
Par les fonctions qu'occupe son chef, la famille continue à appar[203]tenir à la bourgeoisie, mais, en raison de la situation précaire dans laquelle elle se trouve au point de vue pécuniaire et de l'extrême simplicité de son mode d'existence, elle peut être considérée comme étant descendue au degré inférieur de cette classe sociale.
Cette situation pourrait être améliorée dans une certaine mesure si les appointements du père continuaient à s'élever régulièrement. Malheureusement, étant données les conditions prévues par l'administration des chemins de fer de l'État belge pour l'avancement de ses agents (§ 18), et la médiocrité des services rendus par D, il semble certain dès maintenant qu'il n'obtiendra plus de nouvelle augmentation de traitement. Il est donc en quelque sorte condamné à demeurer toute sa vie dans la même condition sociale inférieure.
Toutefois, si l'on considère son intelligence limitée et son peu d'énergie et d'instruction, si l'on tient compte, d'autre part, de l'extrême difficulté qu'il y a aujourd'hui en Belgique, en raison notamment de la forte densité de la population et de la crise générale des affaires, de se créer une situation un peu convenable dans le commerce et dans l'industrie, on peut dire que D. a encore été privilégié. Il est arrivé, en effet, sans grandes capacités, à un traitement auquel bien des gens mieux doués et mieux préparés que lui ne peuvent atteindre dans les affaires privées, et il jouit d'une position qui lui assure, à lui et à sa famille, une réelle considération, en raison de sa stabilité et de son caractère de « place du gouvernement ».
En ce qui concerne les enfants, ils sont intelligents, travailleurs et de bonne moralité, et ils auraient pu, s'ils avaient été suffisamment bien dirigés et préparés, espérer acquérir un jour une situation, sinon supérieure, tout au moins équivalente à celle de leur père. Malheueusement, le manque de ressources a obligé celui-ci à mettre au travailses deux fils aînés, alors qu'ils avaient à peine atteint l'âge de seize ans. Faute d'une instruction suffisante, ces deux jeunes gens n'ont pu trouver que des emplois d'une condition tout à fait inférieure, l'un d'eux est même simple ouvrier. Il est donc probable que leur sort, dans l'avenir, sera moins bon encore que celui de leurs parents.
Moyens d'existence de la famille
§ 6. Propriétés.
[204](Mobilier et vêtements non compris)
Immeubles. La famille ne possède aucun immeuble.
Argent............ 3,210f 00
Somme déposée à la caisse d'épargne et provenant de la succession des parents de la femme, 3,000f 00 ; — deux parts de 100 francs chacune dans une société coopérative de crédit mutuel, 200f 00 ; — une part de 10 francs dans une société coopérative de consommation, 10f00. — Total, 3,210f 00.
Matériel spécial des travaux et industries............ 4f 00
Materiel pour le blanchissage du linge :
Un baquet en bois et une marmite en fonte à bouillir le linge, 4f 00.
Valeur totale des propriétés............ 3,214f 00
§ 7. Subventions.
Le père a droit chaque année, comme agent de l'administration des chemins de fer de l'État belge, a douze coupons de service pour voyager gratuitement sur tout le réseuu.
Comme il est très casanier et n'a aucune relation de famille ni d'amitié en dehors de l'agglomération bruxelloise, il n'use guère annuellement que de trois ou quatre de ces coupons, à l'effet d'aller pêcher, le dimanche, à la belle saison, dans le canal de Furnes à la mer. Cette subvention peut être évaluée à la somme de 25f.
La fille reçoit l'instruction gratuite dans une école communale ; cela ferait, si elle avait recours à une école privée, une dépense de 4 francs par mois de cours, soit 40f l'an.
Il convient d'ajouter que le traitement du père lui est payé intégralement en caus d'absence pour maladie. D. n'ayant plus été malade depuis plusieurs années, n'a pas eu u profiter de cette subvention.
§ 8. Travaux et industries.
[205] Travaux du père : Le père est premier commis à l'administration centrale des chemins de fer de l'État belge. Les bureaux où il travaille sont situés à Bruxelles, à trois kilomètres environ de son habitation. Il doit s'y trouver, tous les jours non fériés, de huit heures et demie du matin à midi, et de deux heures à cinq heures et demie après midi.
La [illisible]gne qui lui est confiée consiste spécialement en travaux d'éccriture et de calcul pour la vérification des recettes de l'exploitation. Elle est en somme peu compliquée, d'autant plus qu'elle se représente régulièrement tous les mois à peu près dans les mêmes conditions ; elle lui laisse pourtant peu de loisirs, elle doit en efet être achevée dans des délais rigoureux ; d'autre part, le cadre des employés du bureau de D. est réduit à peu près au strict minimum et le travail est réparti de telle sorte que chacun a besoin de tout son temps pour effectuer la part qui lui est dévolue. Il arrive même parfois que certains employés étant malades, leurs collègues valides sont obligés de se répartir la besogne des absents. Lorsque ceux-ci sont nombreux, il en résulte pour les autres un fort surcroit de besogne qui les astreint même,lorsque cette circonstance coïncide avec une période de trafic extraordinaire, à travailler au delà des heures réglementaires de bureau. Aucune indemnité ne leur est allouée de ce chef.
D. a droit, comme tous les employés de son administration, à quine jours de congé par an. Toutefois, il doit prendre ses mesures pour que le travail de son bureau ne souffre pas de son absence. Pendant ce temps seule la partie absolument urgente de sa besogne ordinaire est faite par ses collègues ; il doit, à son retour, exécuter lui-même le restant.
Travaux de la mère : Comme nous l'avons déjà dit, c'est la mère qui achète les divers objets nécessaires à la famille et fait tous les paiements. Elle veille à ce que tout, dans la maison, soit en bon ordre, soignant le mobilier, le linge, les vêtements, etc. N'ayant pas de servante, elle fait seule le nettoyage de l'habitation et prépare les aliments pour la famille. Elle a, en un mot, la charge entière et exclusive de la tenue et de l'entretien du ménage.[206]raovau des enfants : Le fils aîné est, depuis deux ans, magasinieraide-comptable dans une fabrique d'automobiles de Bruxelles. Il y est occupé de huit heures du matin à midi et de deux à six heures du soir. Il vient dîner tous les jours à midi chez ses parents. L'établissement où il travaille est situé à environ cinq kilomètres de la maison paternelle. Comme il est boiteux, il lui serait diicile de s'y rendre à pied ; il est obligé de faire le trajet en tram quatre fois par jour, ce qui lui occasionn une dépense journalière de soixante centimes. Ses appointements sont de 72f 50 par mois.
Le second fils est occupé depuis un an comme ouvrier mécanicien dans une usine de la capitale, située à environ quatre kilomètres de l'habitation de ses parents. Ses heures de travail sont de sept heures du matin à midi, et d'une heure à six heures du soir.
Le temps lui faisant défaut pour revenir prendre le repas de midi chez lui, il mange, dans un café voisin de l'usine, des tartines préparées par sa mère et qu'il emporte avec lui le matin. Il dîne le soir à sept heures chez ses parents. Son salaire est de deux francs par jour.
Le troisième fils et la fille vont en classe et ne se livrent à aucun travail lucratif.
Industries entreprises par la famille. — Bon nombre d'employés des chemins de fer de Etat belge parviennent à se constituer un supplément de traitement soit en faisant chez eux des travaux d'écriture pour le compte de particuliers, soit en tenant, après leurs heures de bureau, la comptabilité de petits commercants de la ville. Tel n'a jamais été le cas pour D, en dehors de son travail administratif, il n'a aucune occupation lucrative.
Quant à sa femme, elle aide à faire bouillir le linge sale qu'une femme d'ouvrage vient lessiver. Elle s'occupe aussi à raccommoder le linge et les vêtements de la famille et à confectionner quelques effets d'habillement pour elle et sa fille.
Mode d'existence de la famille
§ 9. Aliments et repas.
[207] La famille fait, en toutes saisons, trois repas principaux par jour : le déjeuner, à six heures pour le deuxiême fils, et à sept heures pour les autres membres de la famille ; le dîner à midi et demi, et le souper à sept heures du soir.
La mère et les deux plus jeunes enfants ont l'habitude de prendre une collation (café et tartines) vers quatre heures de l'après-midi.
Le second fils dîne seulement le soir en rentrant de son travail. A midi, comme nous l'avons déjà dit, il mange des tartines dans un cufé voisin de son atelier.
Le déjeuner consiste en café au lait, pain et beurre. Pour le dîner, le menu se compose presque invariablement de pommes de terre et d'un plat de viande, bœuf, veau, mouton ou porc. La mère est assez bonne cuisinière et sait préparer des plats agréaubles et variés d'une facon économique.
Le vendredi, la viande est remplacée par du poisson, du cabillaud le plus généralement.
Au souper, on mange les restes du dîner, ainsi que des tartines avec du fromage de Bruxelles ou des eufs. Le père et les fils aiment beaucoup les harengs salés, aussi en prennent-ils assez souvent le soir.
A l'époque où les ufs sont bon marché, la mère, estimant que ses deux plus jeunes enfants ont spécialement besoin d'aliments fortifiants pour se développer, leur en fait manger deux par jour, un le matin et l'autre le soir.
Il est très rare que la famille mange de la soupe et des légumes. C'est, avec le pain et les pommes de terre, la viande qui constitue le fond de son alimentation ; elle en consomme une quantité assez considérable, en moyenne un ilo et demi par jour. Ce ne sont jamais les morceaux de choix que la mère achète et, comme elle se fournit depuis près de vingt ans chez le même boucher, celui-ci lui fait des prix de faveur.
[208] Le dimanche, le dîner est un peu meilleur et plus soigné que pendant la semaine : la mère fait du bouillon. Le bouilli » est accommodé avec du veau haché et servile lundi au dîner, sous la forme de fricadelles.
D'une manière générale, les aliments consommés chez . ne sont pas de première qualité. On n'y connait d'ailleurs aucun des raffiuements de la table ; jamais on ne mange ni de plats fins, ni de friandises, ni même de dessert, tout au plus la mère achête-t-elle parfois une tartelette ou un gateau pour le goûter de sa fillette. D. ne donne jamais ni fête ni réception chez lui. Lors de la première communion de ses enfants, il a cependant invité quelques amis à un repas exceptionnel.
Le café au lait, pour le déjeuner du matin et le goûter, la bière pour le dîner et le souper, sont les seules boissons qui sont consommées dans la famille. Jamais, peut-on dire, on n'y boit de vin ; en tout cas, D. n'en possède pas dans sa cave et, dans les rares occasions où il est obligé d'en servir, par exemple, quand ilreçoit chez lui un étranger, il va l'acheter en petite quantité chez l'épicier.
La famille ne boit pas davantage de liqueurs.
En résumé, on le voit, l'alimentation n'est généralement pas très recherchée. Il est à observer cependant que la dépense qu'elle occasionne est encore fort importante ; elle se monte pour l'année à près de 1,900 fr. ce qui représente plus de 41 %, de lae dépense totale annuelle en argent.
D'après nous, ce fait est dû surtout aux circonstances suivantes :
1° Le coût des denrées alimentaires est notablement plus élevé dans l'agglomération bruxelloise que dans les localités moins importantes du pDays :
2e La famille se compose d'un grand nombre de personnes adultes ;
3° Vivant continuellement dans l'atmosphère débilitante de la grande ville, tous ont besoin, pour se maintenir dans un état satisfaisant de santé, d'aliments particulierement fortifiants, et par suite plus coûteux. C'est ce qui explique aussi la grande consommation de viaunde signalée ci-dessus.
§ 10. Habitation, mobilier et vêtements.
[209] La maison habitée par la famille est assez petite, ses dimensions sont de cinq mètres de largeur sur huit mètres de profondeur. Elle a un rez-de-chaussée, un étage et un grenier ; un petit jardin de trente mètres carrés lui fait suite. Le prix de la location est de 600 fr. l'an, payable chaque trimestre par anticipation.
L'habitation comprend : au sous-sol, enterré de deux mètres environ, une cuisine avec vue et sortie par un escalier de six marches, vers le jardin, et deux cauves avec soupirail à la rue ; au re-de-chaussée, un vestibule et deux pièces conigues dans le sens de la profondeur de la maison et communiquant entre elles par une porte simple ; au premier étage, une pièce vers la rue ayant la même largeur que la maison, et une autre plus petite, du côté du jardin ; la première a deux fenêtres à la façade, l'autre, une seule donnant sur le jardin ; au-dessus, deux mansardes et un grenier, avec fenêtres à tabatière dans le toit.
A l'intérieur, l'habitation est très simple. Les planchers et les feneres sont en sapin, les portes, en hêtre, ont généralement deux panneaux et sont peintes en bois de chêne.Aucun ornement un peu luxueux ; seuls, les plafonds du rez-de-chaussée ont tout autour une petite moulure en plàtre et au milieu une rosace avec crochet pour y suspendre une lampe. Les murs sont tapissés de papiers peints bon marché.
Le vestibule et la euisine sont pavés de carreaux en ciment à dessins. Les cheminées des pièces du rez-de-chaussée sont en marbre noir, celles du premier étage en granit poli.
Extérieurement, la maison, construite en briques rouges, bien rejointoyées, a un aspect assez convenauble. Ce n'est pas une maison de rentier, mais c'est mieux qu'une maison d'ouvrier ; elle représente, peuton dire, le type belge de la maison du petit employé.
Dans le petit jardin qui est annexé à son habitation, D. a semé du gazon sur lequel on met blanchir le linge de la famille Il aime aussi à y cultiver des fleurs variées et à lui donner un aspect coquet et agréable. Le fils aîné y a construit, dans ses moments de loisir, avec des lattes de bois peintes en vert, un petit berceau sur lequel il fait monter des capucines et autre plantes grimpantes.
[210] En été, lorsqu'il fait très chaud, la famille y prend parfois son repas du soir.
Le mobilier de la famille est très sommaire, il se réduit, peut-on dire, au strict nécessaire ; à part quelques meubles en acajou, assez beaux mais déjà vieux, qui proviennent de la succession des parents de la femme, il est d'une simplicité extrême et, en tout cas, beaucoup moins recherché que ceux qui garnissent les maisons d'employés en général.
On peut en fixer la valeur comme suit :
Meubles............. 1,202f 50
1° Literie. — 1 bois de lit en acajou avec ressorts, 60f 00 ; — 2 matelas de crin, 70f 00 ; — 1 matelas de plumes, 50f 00; — 2 couvertures de laine, 20f 00; — 1 courtepointe, 7f 00 ; — 2 oreillers, 8f 00 ; — 1 couverture tricotée en coton, 12f 00 ; — 2 bois de lit en bois peint, 50f 00; — 4 matelas de crin, 100f 00 ; — 4 couvertures de laine, 35f 00 ; — 2 courtepointes, 11f 00 ; — 2 oreillers, 8f 00; — 2 lits en fer, 30f 00; — 4 matelas de crin, 75f 00 ; — 4 couvertures de laine, 35f 00: — 2 courtepointes, 14f 00 ; — 2 oreillers, 8f00. — Total, 596f 00.
2° Mobilier de la pièce de devant au rez-de-chaussée. — 1 table ronde en acajou, 25f 00; — 1 secrétaire en acajou, 50f 00 ; — 1 garniture de cheminée en marbre noir, 25f 00 ; — 1 glace cadre doré, 25f 00; — 6 chaises en bois, imitation de noyer, 42f 00 ; — 3 chromos encadrées, 5f 00 ; — 1 poêle carré, 20f00; — 1 suspension à pétrole, 15f 00. — Total, 207f 00.
3° Mobilier de la pièce de derrière au rez-de-chaussée. — 1 bibliothèque-buffet en acajou, 40f 00 ; — 2 chaises en bois noir, 10f 00 ; — 1 portemanteau en bois noir, 3f 00. — Total, 53f 00.
4° Mobilier de la cuisine. — 1 cuisinière en tôle et fonte, 30f 00; — 1 table de cuisine en bois blanc, 8f 00; — 2 tablettes en bois blanc, 4f 00; — 1 armoire de cuisine en bois blanc, 15f 00; — 1 réveil américain niclelé, 3f 00. — Total, 60f 00.
5° Mobilier de la chambre de devant au premier étage. — 1 table de nuit en acajou, 20f 00 ; — 1 lavabo en acajou, 40f 00 ; — 1 garde-robe en bois peint en acajou, 35f 00; — 1 réveil américain niclelé, 3f 00. — Total, 98f 00.
6° Mobilier de la chambre de derrière au premier étage. — 1 table de nuit en bois peint, 10f 00 ; — 1 table en bois noir, 8f 00; — 1 glace, 5f 00 ; — 1 garde-robe en bois peint, 20f 00 ; — 1 portemanteau en noyer, 5f 00 ; — 2 photographies encadrées, 3f 00. — Total, 51f 00.
7° Mobilier des mansardes. — 2 tables en bois peint avec toile cirée, 8f 00; — 2 portemanteaux en bois noir, 3f 00 ; — 2 glaces, 4f 00. — Total, 15f 00.
8° Livres. — Livres divers d'histoire et de voyages, la plupart reçus en prix par les enfants, 40f 00 ; — livres d'études des enfants, 50f 00 ; — oeuvres complètes de Victor Hugo, 10f 00 ; — romans divers d'Eugène Sue, About, Feuillet, Ohnet, Zola, etc, 20f 00 ; — 2 encriers en verre, porte-plume, plumes, crayons, etc., 2f 50. — Total, 122f 50.
Linge de ménage............ 112f 60
18 draps de lit en demi-toile, 72f 00 ; — 3 nappes de table, 6f 00; — 2 grands rideaux de fenêtre, guipure, 5f 00; — 6 petits rideaux de fenêtre, guipure, 6f 00 ; — 6 serviettes de table, 3f 00 ; — 12 essuie-mains de toilette, 3f 00 ; — 6 torchons pour la cuisine, 1f 60; — 4 stores en coton, 16f 00. — Total, 112f 60.
Ustensiles............ 74f 50
[211] 1° Dépendant de la cuisiniére. — 1 bac en fonte pour charbon, 3f 00 ; — 1 tisonnier, 0f 50 ; — 1 pelle à charbon, 0f 75. — Total, 4f 25.
2° Employés pour la préparation des aliments — 2 casseroles en fer, 2f 00; — 1 casserole en terre, 0f 75 ; — 1 poêle à frire, 1f 00 ; — 1 marmite en fer, 2f 00 ; — 20 assiettes en faïence, 4f 00; — 4 plats en faïence, 4f 00 ; — 14 tasses, 2f 80 ; — 1 soupière en faence, 2f 50 ; — 1 louche en métal émaillé, 0f 50; — 1 bouilloire, 2f 00 ; — 1 cafetière en faïence, 2f 00; — 10 verres à bière, 2f 00; — 8 verres à vin, 1f 20 ; — récipients divers pour le café, le sel, les épices, etc., 2f 00 ; — cuillers, fourchettes et couteaux, 8f 00; — 1 cruche à bière en faïence, 1f 50; — 1 écumoire, 0f 50; — 2 seaux en zinc, 2f 00; — 10 bouteilles vides, 1f 00; — 1 pot au lait en faïence, 0f 50. — Total, 42f 25.
3° Employés pour les soins de propreté. — 4 pots à eau, 4f 00; — 2 cruches à eau, 3f 00; — 4 récipients à savon, 1f 00 ; — 2 rasoirs, 6f 00. — Total, 14f 00.
4° Employés pour usages divers. — 4 lampes à pétrole en métal, 8f 00 ; — 2 brosses à nettoyer, 1f 00 ; — 1 brosse à habits, 1f 00; — 1 baquet en bois et 1 marmite en fonte, 4f 00. — Total, 14f 00.
Vêtements : Les vêtements des divers membres de la famille, quoique confectionnés avec des étoffes de qualité médiocre, sont généralement d'une coupe convenable. Ceux du père et des trois fils sont faits sur mesure par un tailleur du voisinage qui travaille à meilleur marché que ceux de Bruxelles.
Sauf le plus jeune fils, qui use généralement assez vite ses vêtements, le père et les autres fils ont beanucoup de soin des leurs. Ainsi, pendant leur besogne, ils endossent, le père et le fils aîné, un veston défraîlchi, le second fils un veston spécial en toile bleue. Sitôt rentrés le soir à la maison, ils mettent aussi tous de vieux vêtements.
Chacun des membres de la famille ne se fait faire en moyenne qu'un seul costume complet par an ; pendant la première année, il n'est mis que le dimanche. La durée normale de chaque vêtement est de deux ans. La mère, qui sort peu de chez elle, a un soin tout particulier de sa garde-robe ; pour elle la durée des vêtements est même généralement plus longue encore.
Certaines pièces de l'habillement de la mère et de la fille, telles que les jupons et les pantalons, sont confectionnées à la maison par la mère ; les autres sont faites par une couturière voisine. Tous ces vêtements sont d'une grande simplicité, quoique convenables.
Les hommes mettent chaque semaine trois cols et une chemise propres. Le linge est lessivé à la maison, mais repassé au dehors.
Malgré toute l'économie qu'apportent les membres de la famille dans l'établissement et la conservation de leur garde-robe, la dépense occasionnée par celle-ci est encore de près de 1,000f par an, soit plus de 21%, du total des dépenses.
[212] Ce chiffre relativement élevé est la conséquence d'abord du grand nombre des personnes adultes qui composent la famille, mais il est dû aussi à ce fait que ces personnes sont en quelque sorte tenues, par suite de la position occupée par leur chef à l'administration des chemins de fer de l'État et de leur résidence dans la capitale, d'être vêtues d'une facon décente.
La valeur totale des vêtements est de............ 908f 50
VÊTEMENTS DU PÈRE............ 199f 50
1 costume en étoffe de laine (pour le dimanche), 45f 00; — 1 costume (pour la semaine), 35f 00 ; — 1 pardessus, 15f 00 ;— 1 pantalon de rechange, 10f 00; — 6 cols de toile, 2f 00 ; — 6 chemises, 20f 00; — 2 cravates de soie, 1f 00; — 6 mouchoirs de poche de toile, 2f 00; — 2 paires de souliers, 20f 00; — 1 chapeau de feutre de laine, 2f 00; — 1 chapeau de soie, 6f 00; — 6 paires de chaussettes de laine, 5f 00 ; — 2 chemises de nuit en coton, 2f 50; — 2 camisoles de flanelle, 1f 00. — Total, 199f 50.
Vêtements du fils aîné............ 164f 50
1 costume d'étoffe de laine (pour le dimanche), 40f 00 ; — 1 costume (pour la semaine), 30f 00; — 1 pardessus, 30f 00 ; — 1 pantalon de rechange, 10f 00; — 6 cols de toile, 2f 00 ; — 6 chemises, 20f 00 ; — 2 cravates de soie, 1f 00 ; — 6 mouchoirs de poche de toile, 2f 00 ; — 2 paires de souliers, 18f 00; — 2 chapeaux en feutre de laine, 4f 00 ; — 6 paires de chaussettes de laine, 5f 00; — 2 chemises de nuit en coton, 2f 50. — Total, 164f 50.
VÊTEMENTS DU SECOND FILS............ 158f 50
1 costume en étoffe de laine (pour le dimanche), 40f 00 ; — 1 costume (pour la semaine), 30f 00: — 1 pardessns, 30f 00 ; — 1 costume de travail en toile bleue, 7 00 ; — 6 cols de toile, 2f 00 ; — 3 chemises de toile, 10f 00; — 3 chemises de travail en coton, 5f 00; — 2 cravates de soie, 1f 00 ; — 6 mouchoirs de poche de toile, 2f 00 ; — 2 paires de souliers, 20f 00 ; — 2 chapeaux de feutre de laine, 4f 00 ; — 6 paires de chaussettes de laine, 5f 00 ; — 2 chemises de nuit en coton, 2f50. Total, 158f 50.
VÊTEMENTS DU TROISIÈME FILS............ 158f 50
1 costume en étoffe de laine (pour le dimanche), 35f 00 ; — 1 costume (pour la semaine), 25f 00; — 1 pardessus, 25f 00; — 1 caban en étoffe de laine, 10f 00 ; — 1 pantalon de rechange, 8f 00 ; — 6 cols de toile, 2f 00 ; — 6 chemises en toile, 20f 00; — 2 cravates de soie, 1f 00; — 6 mouchoirs de poche de toile, 2f 00 ; — 2 paires de souliers, 20f 00 ; — 1 chapeau de feutre de laine, 2f 00; — 1 casquette d'étoffe de laine, 1f 00 ; — 2 chemises de nuit en coton, 2f 50; — 6 paires de chaussettes de laine, 5f00. — Total, 158f 50.
VÊTEMENTS DE LA MÈRE............ 140f 75
1 robe en étoffe de laine (pour le dimanche), 30f 00 ; — 1 robe (pour la semaine), 20f 00 ; — 1 paletot, 35f 00 ; — 1 jupon d'étoffe de laine, 8f 00 ; — 2 jupons de coton, 4f 00 ; — 2 pantalons de toile, 2f 00 ; — 1 corset, 5f 00 ; — 3 tabliers de coton, 3f 00 ; — 2 chapeaux, 10f 00 ; — 1 paire de gants de peau, 1f 00 ; — 4 paires de bas, 4f 00 ; — 1 paire de souliers, 6f 00 ; — jarretières, 0f 25 ; — 1 paire de pan[213]toufles, 3f 00 ; — l corsage de dessous en coton, 0f 50; — 4 chemises, 4f 00; — 2 corsages d'intérieur en coton, 3f 00; — 6 mouchoirs de poche en toile, 2f 00. Total, 10 75.
VÊTEMENTS DE LA FILLE............ 86f 75
1 robe en étoffe de laine (pour le dimanche), 18f 00 ; — 1 robe (pour la semaine), 15f 00 ; — 1 paletot, 15f 00; — 1 jupon, 2f 00 ; — 2 jupons en coton, 1f 50 ; — 2 pantalons, 1f 50 ; — 3 tabliers en coton, 2f 00 ; — 2 chapeaux, 5f 00 ; — 4 paires de bas, 4f 00 ; — 2 paires de souliers, 16f 00; — jarretelles, 0f 25 ; — 4 chemises de toile, 41f 00 ; — 6 mouchoirs de poche, 1f 00; — 1 paire de gants de fil, 0f 50 ; 1 paire de pantoufles, 1f 00. — Total 86f 75.
Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 2,298f 10
§ 11. Récréations.
Les époux ne prennent guère de récréations. Le mari va régulièrement, deux fois par semaine, le soir après son souper, jouer aux cartes dans un canfé du voisinage, avec quelques amis, employés comme lui ou petits commerçants du quartier ; il y dépense en moyenne cinquante centimes par soirée pour quelques verres de bière du pays qu'il consomme ; l'enjeu de la partie est le prix des consommations, les pertes ne sont donc jamais considérables et se balancent d'ailleurs généralement entre les joueurs.
Les autres soirs, il reste chez lui où il s'occupe à lire un journal et rarement un livre.
Quelquefois, à la sortie de son bureau, il va, avant de rentrer chez lui, prendre, avec quelque collègue, un verre de bière dans un café.
Le dimanche, en été, il va assez souvent à la pêche dans le canal de Bruxelles à Malines. Il part alors très tôt le matin et ne rentre que le soir ; pendant la journée il mange, dans un cabaret des environs du canal, les provisions que sau femme lui a préparées et qu'il arrose d'une bouteille de biêre. Trois ou quatre fois l'an, il va, avec un camarade, faire, dans les mêmes conditions, une partie de pêche dans le canal de rFurnes à la mer ; il fait le voyage gratuitement, grâce à un coupon de service qu'il obtient de son administration. Ses pêches sont rarement heureuses, mais ces parties de campagne lui font beaucoup de bien au point de vue de la santé.
La femme prend encore moins de récréations que son mari. Pendant la[214]journée, elle ne sort guère de chez elle que pour faire ses commissions ; parfois cependant, elle va causer quelques moments chez les voisines. Le soir, elle reste toujours à la maison ; son seul plaisir alors est de lire le journal et des romans que ses fils lui rapportent d'une bibliothêque pur blique.
Les deux époux ne se rendent jamais ni au spectacle, ni à des bals, ni à des concerts.
Le dimanche après idi, quand il fait beau et que le mari n'est pas à la pêche, ils vont faire une promenade avec leur fille, en été, dans les campagnes voisines, en hiver, à Bruxelles. Ils prennent alors généralement une consommation dans un café.
Pendant la semaine, les fils restent presque tous les soirs à la maison. Quelquefois, les deux aînés vont au théatre voir jouer quelque pièce, de préférence la comédie ; ils prennent les places les moins chères. Le dimanche, les trois filsse rendent à Bruxelles avec des amis de leur âge ; leur plaisir consiste à aller dans quelques grands cafés du centre où l'on joue de la musique. En été, quand le temps le permet, ils font parfois une excursion dans les environs de la ville. L'ainé cependant, en raison du mauvais état de sa jambe, participe rarement a ces parties de campagne; il reste chez ses parents ou il s'occupe à construire de petits objets en bois découpé a la scie et ù soigner les fleurs du jardinet.
Aucun des membres de la famille ne pratique un art d'agrément : musique, peinture ou autre.
Le père fume la pipe, mais modérément, rarement il achète des cigares pour sa consommation personnelle. Les trois fils fument également, principalement la cigarette, mais aucun d'eux n'abuse du tabac.
En résumé, les époux D. et leurs enfants vivent d'une façon très familiale et dépensent relativement fort peu pour leur distraction et leur amusement.
Histoire de la famille
§ 12. Phases principales de l'existence.
Louis D. est né en 1857, à Saint-Josse-ten-Noode, faubourg de Bruxelles, voisin de Schaerbeek. Son père y faisait le commerce de[215]vins. A l'époque de la naissance de Louis, il possédait, en immeubles et en marchandises, une fortune se montant approximativement à 125,000 fr. ; comme, d'autre part, son commerce était prospère, il vivait dans une réelle aisance. Malheureusement, il perdit sau femme alors que son fils Louis venait d'atteindre sa douzième année ; le chagrin que lui causa ce malheur et l'isolement dans lequel il se trouva, le poussèrent alors à boire et à chercher des distractions en dehors de che lui ; il négligea ses affaires qui peu aè peu périclitèrent. En quelques années, toute sau fortune fut dissipée.
Son fils Louis se ressentit naturellement beaucoup de cette situation. Il avait seize ans et achevait sa troisième à l'Athénée de Bruxelles quand son père l'en retira pour le faire travailler avec lui dans son commerce. Mais finalement, celui-ci ayant toutà fait mal tourné et ayant dû être liquidé, Louis D. fut obligé de chercher à se créer une situation ailleurs. Il subit l'examen de commis-surnuméraire aux chemins de fer de lTÉtat belge et le réussit ; il fut appelé en fonctions presque immédiatement après, avec une indemnité annuelle de 1,000f ; un an plus tard, il était nommé commis de 3 classe au traitement de 1,200f l'an, il avait alors vingt et un ans. L'année suivante il se maria.
Son avancement à l'administration ne fut guère rapide ; il resta sept ans commis de 3e classe et huit ans commis de 2e classe ; il n'obtint le maximum de la 1re classe (3,100f), qu'après neui nouvelles années. Il est resté à ce grade qu'il ne dépassera probablement pas ; pour monter encore d'un échelon, c'est-à-dire pour devenir commis-chef, il devrait être proposé au grand choix par ses chefs ; or, jusqu'à présent, ceux-ci l'ont toujours considéré comme n'ayant pas de titres suffisants pour avancer encore en grade.
La femme de D. est une arrière-cousine de son mari. Elle est née à Bruges en 1856 et a habité cette ville avec ses parents jusqu'à son ma
Son père était marbrier et accordeur de pianos ; il possédait une fortune de 60,000f environ. Sa famille se composait de deux fils et d'une fille. Celle-ci a été fort bien élevée, elle a fait son éducation dans une institution religieuse de Bruges où elle a reçu une instruction sérieuse.
Elle perdit son père à l'̀ge de vingt-deux ans. Pendant son deuil, elle vint séjourner à Bruxelles, chez des personnes qui étaient apparentées a la fois à sa famille et à celle de Louis ; c'est là qu'elle fit connaissance de celui-ci ; elle se maria l'année suivante.
Les premières années, le ménage dut vivre très économiquement, les[216]appointements du mari étant extrêmement réduits. IHeureusement, la femme avait reçu 10,000f environ comme part de lhéritage de son père, et les époux eurent la ressource d'entamer cette somme dans les cas de nécessité.
La mère d'Élisa était venue habiter avec sa fille peu après le mariage ; comme elle avait des revenus suffisants pour faire face à ses besoins personnels, sa présence dans le jeune ménage ne fut pas une charge pour lui. Elle mourut d'ailleurs trois ans après ; les époux héritèrent d'une nouvelle somme de 10,000f.
C'est alors que D. se décida à quitter l'appartement qu'il occupait depuis son mariage pour prendre en location la maison dans laquelle il vit encore actuellement.
Le ménage avait alors un peu plus d'aisance, mais bientôt des enfants arrivèrent. apportant avec eux de nouvelles charges, puis des maladies survenues au père et aux deux fils aînés occasionnèrent des frais extraordinaires et considérables. Le traitement de Louis futbien augmenté à diférentes reprises, mais toujours dans une mesure insuffisante pour permettre de faire face complètement aux besoins sans cesse croissants du ménage ; aussi les époux furent-ils obligés de recourir souvent au petit capital qu'ils possédaient ; celui-ci fut ainsi mangé peu à peu, aujourd'hui il n'en reste plus qu'une somme de 3,000f déposée à la caisse d'épargne.
A peine les deux fils aînés eurent-ils atteint l'âge de seize ans, que leur père, pour augmenter ses ressources, arrêta leurs études pour les placer, le plus âgé, comme magasinier-aide-comptable dans une maison de commerce, le second, comme ouvrier dans un atelier mécanique.
Aujourd'hui, ces deux enfants apportent régulièrement au ménage l'appoint de leur petit salaire ; de son côté, D. a un traitement notablement plus élevé qu'au début de sa carriere. Malgré cela, le ménage n'est guère plus à l'aise qu'autrefois, c'est qu'en effet, si ses revenus ont augmenté, ses dépenses, par le fait que les enfants grandissaient, se sont accrues dans une proportion presque aussi forte. Aussi, bien que la famille continue à vivre très économiquement et très simplement, c'est à peine si elle parvient à équilibrer son budget. A la vérité, depuis deux ans, son capital n'a plus été entamé, mais il ne s'est pas non plus augmenté.
En résumé, ce quiressort surtout de l'histoire des époux D., c'est le fait que le traitement du mari a constamment été insuffisaunt pour lui permettre de subvenir aux charges de son ménage, bien que celles-ci aient toujours été réduites au strict minimum.
[217] Il en est résulté deux conséquences graves pour la famille : d'abord la disparition presque complète du capital qu'elle possédait au début ; ensuite la nécessité dans laquelle elle s'est trouvée, pour se procurer le supplément de ressources indispensable, de faire travailler les deoux plus âges des enfants avant qu'ils aient pu acquérir une instruction sufisante pour leur permettre de se créer dans l'avenir une position en rapport avec la condition sociale de leurs parents.
Si l'on s'en tenait à l'exemple de D., il semble donc que l'on devrait conclure que tous les employés qui occupent la même position que lui à l'administration des chemins de fer de l'Etat belge sont placés dans l'alternative, lorsqu'ils ne possèdent pas de ressources sérieuses en dehors de leurs appointements, ou bien de renoncer à élever une famille dans des conditions convenables ou bien de s'endetter.
Il convient toutefois de fauire remarquer que D. a vu sa situation particulièrement aggravée par deux circonstances qui lui étaient propres : d'abord sa médiocrité intellectuelle, qui a retardé son avancement àl'administration ; ensuite, le fait qu'il s'est marié à peine admis dans les cadres inférieurs, ce qui a eu pour conséquence de lui amener des charges très lourdes de ménage bien avant que son traitement fût monté à un taux qui lui permît d'y faire face.
Le tableau suivant fait bien ressortir cette situation : on y voit notamment que D. avait déjà quatre enfants alors qu'il ne gagnait encore que 2,000f!

§ 13. MŒURS ET INSTITUTIONS ASSURANT LE BIEN ÊTRE PHYSIQUE ET MORAL DE LA FAMILLE
[218] Les deux époux sont incontestablement économes, mais chez eux, le sens de l'économie semble n'exister en quelque sorte qu'à l'état passif » ; cela doit s'entendre en ce sens que si D. et sa femme évitent avec soin toutes les causes de dépenses extraordinaires et hors de proportion avec leurs ressources, rien ne les a jamais poussés à chercher à augmenter celles-ci dans le but d'amasser un petit capital en vue de leurs vieux jours ou pour mieux assurer l'avenir de leurs enfants.
Ainsi le mari, le fait a déj̀à été signalé, n'a jamais essayé de trouver[219]une occupantion lucrative en dehors de son travauil à l'administration. La emme, de son ćôté, aurait pu tenter d'établir un petit commerce, une petite industrie dont les bénéfices auraient aidé le ménauge à se constituer une épargne, elle n'y a jamais pensé.
Cet état de choses dénote évidemment un manque de prévoyance et d'énergie morale chez les intéressés ; il s'explique toutefois, dans une certaine mesure, par la situation spéciale dans laquelle ceux-ci se trouvent placés en ce qui concerne leur avenir : ils peuvent en effet se considérer comme certains l'un et l'autre d'avoir toujours suffisamment de quoi vivre, l'administration des chemins de fer de l'État belge ne révoquant jamais ses agents, saui pour des motifs extrêmement graves, et leur accordant une pension à l'age de soixante-cinq ans, et en outre, une caisse spéciale, instituée au sein du département des chemins de fer, assurant une rente viagère aux veuves, en cas de survie.
La famille n'est affiliée à aucune société d'assurance mutuelle contre la maladie ou autre institution analogue. Mais il convient de faire remarquer à ce propos que le père a droit, en cas de maladie, à son traitement entier, pendant un certain temps du moins.
D. fait partie depuis 1888 d'une société coopérautive de crédit mutuel constituée entre agents des administrations de l'État et dont le but est de prêter à ses membres les sommes qui leur sont nécessaires pour faire face à certains besoins extraordinaires pressants. Il a emprunté à cette société une somme de 200f pour un délai de quatre mois, et trois fois il a renouvelé cet emprunt, en sorte qu'il a dû payer, au taux de 4% une somme de 8f titre d'intérêts. D'autre part, il a souscrit et entiêrement libéré deux parts de 100f, pour lesquelles il touche annuellement environ 6f de dividende.
Enfin il est membre depuis la même époque de l'Union agronomique, société coopérative établie à Bruxelles entre agents des administrations publiques en vue de vendre à bon compte aux sociétaires les divers objets de consommation usuelle : pain, épiceries, étoffes, linge, etc. Il a souscrit et libéré une part de 10f, ce qui lui donne le droit de se fournir aux magasins de l'association. Il en use rarement cependant, par la raison qu'ils sont très éloignés de son habitation.
Éléments divers de la constitution sociale.
FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION SOCIALE. PARTICULARITÉS REMARQUABLES,
APPRÉCIATIONS GÉNÉRALES ; CONCLUSIONS.
§ 17. SUR L'EXPLOITATION DES CHEMINS DE PER PAR L'ÉTAT BELGE
[231] La construction en Belgique d'un premier réseau de chemins de fer comprenant 397 kilomètres de voies, fut décrétée par une loi du 1er mai 1834. A cette occasion, on discuta vivement, tant au Parlement que dans le public, la question de savoir si l'État devait construire et exploiter lui-même les lignes, ou s'il valait mieux laisser ce soin à des entreprises privées.
Ce furent les partisans du premier système qui l'emportèrent, non point parce qu'ils établirent que celui-ci était le meilleur, manis parce que les patriotes belges craignaient de voir, en cas d'adoption du second, les chemins de fer tomber dans les mains des Orangistes, qui étaient les gros capitalistes d'alors.
Les années suivantes, quelques lignes nouvelles furent construites dans les mêmes conditions. En 1844, le réseau de l'Etat belge comprenait 599 kilometres. Le système primitif fut alors abandonné à peu près totalement pendant assez longtemps. c'est-à-dire que la plupart des lignes nouvelles furent conćédées à des Compagnies. Ainsi, en 1862, l'État n'exploitait encore que 748 kilomètres de voies ferrées, tandis que les Compagnies en possédaient 1,185.
Cette politique se poursuivit jusque vers 1870. A partir de cette année, État se mit non seulement à construire et à exploiter seul les lignes nouvellement décrétées, mais encore à racheter peu à peu la plus grande partie des lignes antérieurement concédées.
Il en est résulté qu'il possède aujourd'hui la presque totalité du réseau des chemins de fer du pays. Au 31 décembre 1902, les lignes exploitées[232]par les Compagnies, — au nombre de huilt, — ne comprenaient plus que 530 kilomètres de voies, alors que celles de l'État comportaient 4,050 lilomètres1, dont 2,147 ont été rachetés.
A voir le gouvernement belge chercher ainsi ̀ monopoliser en quelque sorte à son profit l'exploitation des chemins de fer, on pourrait croire qu'il y est poussé par la conviction que ce système est préférable à tout autre ; telle n'est cependant pas tout à fait la vérité. Nous avons déjà dit, en efet, que c'était surtout pour des raisons politiques que le législateur s'était décidé, en 1834, à charger le gouvernement de construire et d'exploiter le premier réseau belge. Plus tard, intervinrent, ou bien des considérations commerciales, l'État, exploitant industriel, voulant supprimer un concurrent gènant, ou bien la nécessité de sauver un chemin de fer dont les recettes étaient insuffisantes et dont la disparition aurait privé les populations de leurs communicautions ; dans d'autres cas encore, il s'agissait de venir en aide à des industries menacées par des tarifs que les Compagnies se proposaient d'établir.
Jamais les Chambres législatives ne se sont prononcées nettement sur le fond même de la question. Les exposés des motifs des projets de loi de rachat de concessions, ainsi que les rapports des commissions de la Chambre et du Sénat chargées d'examiner ces projets, font valoir surtout les avantages de l'unification du réseau. Ces documents observent aussi que les populations préfèrent à l'exploitation des Compagnies l'exploitation par l'État, parce qu'elle offre généralement plus d'avantages au public ; et quant aux sacrifices à faire par le Trésor, ils estiment qu'ils seront compensés par un développement de la ichesse publique. Aucun n'essaie de démontrer que des avantages égaux ne pourraient être obtenus par une exploitation rationnelle du réseau confiée à une ou plusieurs compagnies.
Toutefois, en se reportant à l'époque où les rachats ont été opérés, on s'explique fort bien l'attitude du gouvernement et des Chambres. Les inconvénients du morcellement excessif du réseau étaient tels qu'il fallait absolument y remédier. Le gouvernement était désarmé en face[233]des Compagnies. L'unification s'imposait et elle ne pouvait se faire que par l'État2. Seulement, au point de vue de ses finances, celui-ci a-t-il eu raison de s'engager dans cette voie ? C'est là une question dont l'examen détaillé nous entrainerait bien au delà des limites de la présente note. Nous nous bornerons donc, sur ce point, aux quelques considérations et renseigneoments généraux ci-après.
L'exploitation des chemins de fer par l'Etat belge ne lui a pas toujours procuré des bénéfices. Pendant toute une période, — de 1873 à 1876, — il y a même eu chaque année un déicit. Toutefois, depuis lors, tous les exercices annuels — sauf celui de 1900 — se sont terminés par un boni assez important.
Le tableau ci-dessous fait voir, de dix en dix ans, la marche progressive et parallèle du réseau de l'État, du capital de premier établissement, ainsi que des recettes et des dépenses que l'exploitation a occasionnées.

Si l'on considère l'ensemble des années — de 1835a 1902 — on constate que les bénéfices réaulisés dépassent les pertes subies de 125,525,318 francs.
Il semble donc qu'en définitive l'affaire a été avantageuse pour l'EEtat. Elle est d'ailleurs généralement considérée comme telle en Belgique mais, depuis quelques années, des voix discordantes se font entendre. Certains prétendent qu'on s'est fait illusion jusqu'ici sur les résultats de l'exploitation ; qu'en réaulité, la comptabilité suivie est défectueuse; que notamment le compte de premier établissement n'a jamais[234]été dressé avec exactitude ; qu'ignorant, par suite, le véritable capital à amortir, on n'a jamais pu déterminer exactement les charges annuelles en intérêts et amortissement et que, comme les résultats financiers de chaque exercice s'établissent en déduisant des recettes nettes le montant des charges financières, on ne peut avoir aucune certitude quant au solde déinitif.
Cette thèse a été soutenue notamment par la section centrale de la Chambre des représentants chargée d'examiner le projet de budget du département des chemins de fer. Chaque année, depuis 1900, elle revient à la charge sur ce point et réclame des réformes sérieuses.
Par contre, la commission du Sénat, dans son rapport sur le même budget, prétend que la comptabilité est suffisamment bonne et même que les charges financières, telles que les indique le compte rendu annuel, dépassent le chiffre qu'elles devraient normalement atteindre.
Comme il s'agit là en réalité d'une question toute spéciale et fort complexe, nous ne nous mêlerons pas au débat.
Il convient toutefois d'ajouter que la même section centrale de la Chambre, — dans son rapport sur le budget de 1903, — signalait encore, comme indices d'une situation financière inquiétante pour la gestion de 'État, les fait suivants :
1° Que le capital de premier établissement progresse d'une manière très rapide, même sans extension du réseau ;
2e Que, par conséquent, les charges financières ne cessent d'augmenter ;
3° Que la recette kilométrique n'augmente pas proportionnellementaux charges ;
4° Que malgré l'extension considérable du trafic, le coefficient d'exploitation dépasse à présent 67%, chiffre qui rappelle les périodes de crise ;
5° Que cette situation résulte de la progression accentuée des dépenses d'exploitation.
§ 18. SUR LA POSITION ADMINISTRATIVE ET LA CONDITION MATÉRIELLE DES EMPLOYÉS DES CHEMINS DE FER DE L'ÉTAT BELGE
L'administration des chemins de fer de l'État est placée sous l'autorité immédiate du ministre. Elle comprend une administration centrale et des services actifs.
[235] L'administraution centrale se compose : 1° d'un conseil des chemins de fer de l'État ; 2° de la direction générale, confiée au secrétaire général du département ; 3° des inspections générales ; 4° d'un service général et de quatre directions, sauvoir : celle des voies et travaux, celle de la traetion et du matériel, celle de l'exploitation et celle du contrôle des recettes et des matières.
Ces quatre directions existent égalemeont en service actif.
Les fonctionnaires et employés se classent comme suit d'aprês leur importance hiérarchique et le taux de leur traitement : Administrateurs (12,000f); inspecteurs généraux (9,000f) ; directeurs d'administration (8,000 à 9,000f) ; directeurs de service (7,000 à 8,000f) ; inspecteurs et chefs de division (5,500à 7,000f) ; chefs de bureau (4,000 à 5,500f) ; controleurs (3,100 à 5,500f) ; commis chef (3,100 à 4,000f) ; chefs de dépôt (2,700 5,000f) ; chefs de station (1,700 a 5,000f), ; receveurs (2,700 à 5,500f) ; commissaires de surveillance (3,100 à 5,500f) ; sous-commissaires de surveillance (2,000 à 3,100f) ; commis (1,200 à 3,100f) ; commis auxiliaires (900 à 2200f) ; gardes (1,200 à 3,200f) ; expéditionnaires (1,200 à 3,000f) ; auxiliaires (700 à 1,800f).
Les emplois sont conférés à la suite de concours. Le ministre détermine les conditions et les programmes3de ces concours et nomme les commissions d'examen. Pour être admis à concourir, les candidats doivent être âgés : de dix-sept ans au moins et de vingt-quatre ans au plus, pour les emplois de commis, de commis auxiliaire, d'expéditionnauire et de dessinateur expéditionnaire ; de dix-huit ans au moins et de vingtquatre au plus, pour les emplois de garde, d'officier de police et d'inter
Le candidat déclaré admissible à raison du résultat du concours doit, au moment de sa nomination, satisfaire aux conditions suivantes : être Belge, d'une moralité irréprochable, exempt de toute infirmite, de[236]tout défaut physique ou vice de constitution, avoir une taille d'au moins 1m55, et avoir satisfait, s'il y a lieu, aux lois sur la milice et la garde civique.
Le ministre répartit le personnel entre les diverses branches du service ; il statue, soit par lui-même, soit par délégation, sur les mutatione d'emploi et désigne ou confirme les intérimaires des emplois vacants. Nul n'est promu à un grade plus élevé s'il n'a servi au moins deux années comme titulaire du grade immédiatement inférieur. De même, nul n'obtient une augmentation de traitement avant deux ans de jouissance du traitement actuel, si celui-ci est supérieur à 2,000 francs.
Au point de vue de l'avancement, le personnel est classé en quatre catégories, savoir :
1re catégorie. — Agents proposés pour l'avancement au choix n (accomplissant leurs fonctions ou leur travail avec beaucoup de zèle et une intelligence complète du service, c'est-à-dire avec grande initia
2e catégorie. — Agents proposés pour l'avancement « à l'ancienneté » (faisant preuve de beaucoup de zèle et travaillant avec soin et exacti
3e catégorie. — Agents s'acquittant bien de leurs fonctions, mais considérés comme suffisamnent rémunérés pour les services qu'ils rendent et à maintenir dans leurs grade et traitement actuels.
4e catégorie. — Agents à exclure pour défaut de zèle, mauvais services, dettes, négligence persistante, etc. Ces derniers peuvent être dégradés ou même congédiés s'ils ne s'amendent pas après un avertissement ou une mesure disciplinaire.
Les chefs de service adressent annuellement à la direction dont ils relèvent un état d'avancement des fonctionnaires et agents placés sous leurs ordres, classés par grade, classe, traitement et par rang d'ancienneté. Ces propositions sont réunies, par les soins de la direction, ù celles concernant le personnel de l'administration centrale et examinées en conférence des chefs de service ; elles sont ensuite comprises dans un état unique et envoyées au comité d'administration. Après avoir été coordonnées en un travail d'ensemble et examinées par le service général au point de vue de l'observation des dispositions organiques relatives à l'avancement, les propositions des directions sont soumises aux délibérations du comité, qui les présente ensuite au ministre.
En général, l'avancement est accordé suivant l'ordre d'ancienneté dans chacune des catégories 1 et 2 ; lorsqu'il y a lieu de déroger à cette règle[237]pour récompenser des services tout à fait extraordinaires ou pour reconnaître des capacités exceptionnelles par un avancement au grand choiv, la proposition doit être justifiée par un rapport explicite et circonstancié établissant, en termes exprès, la nature du travail et les services particuliers de l'agent intéresse. Ces rapports sont joints aux propositions d'avancement.
Les promotions ne sont accordées que dans la limite des crédits alloués par la législature, des vacances d'emploi, des besoins du service et des traitements fixés pour chaque grade ou classe.
Les fonctionnaires et employés ne peuvent s'absenter de leur poste sans autorisation préalable ; mais cette autorisation ne peut leur être refusée dans les cas suivants : s'ils sont appelés à remplir leurs devoirs d'électeurs, s'ils sont cités comme témoins, s'ils font partie du jury, s'ils sont requis pour le service de l'armée ou de la garde civique.
Les congés de quinze jours et moins, sans pouvoir excéder une durée de quinze jours par an, sont accordés par les directeurs et les chefs de service aux agents placés respectivement sous leur autorité immédiate.
Hors le cas de maladie, tout congé de plus de quinze jours par an entraîne la privation de traitement pour toute la période excédant cette
Les fonctionnaires et employés de tout grade sont passibles des peines disciplinaires suivantes : la réprimande, la privation de traitement, la suspension de fonctions, la mise en non-activité, la déchéance d'un ou de plusieurs grades et la révocation. Tout fonctionnaire ou employé qui, pendant l'espace d'une année, a encouru trois punitions, peut, par ce seul fait, être révoqué ou démissionné.
Les fonctionnaires et employés peuvent être admis à la pension à l'âge de soixante-cinq ans et après trente années de service. Ceux qui sont reconnus hors d'état de continuer leur service, par suite d'infirmités, peuvent être admis à la pension quel que soit leur âge, s'ils comptent au moins dix années de service. La pension est à la charge exclusive du Trésor public, c'est-à-dire qu'il n'est opéré, pour la constituer, aucune retenue sur les appointements des intéressés.
Il existe auprès du ministère des chemins de fer belges une caisse spéciale en vue d'allouer des pensions aux veuves et aux orphelins des fonctionnaires et employés de ce département. Cette caisse est alimentée par des retenues faites sur le traitement. La retenue moyenne est de 4,5%. En 1902, la somme payée pour pensions par cette caisse a[238]atteint 2,633,237f. La pension moyenne allouée a été, pour les veuves, de 969f at pour les orphelins de 564f. La moyenne des accroissements accordés aux veuves en raison de leurs enfants mineurs s'est montée 34f.
En 1902, les fonctionnaires et employés des services administrtifs de l'exploitation des chemins de fer de l'État belge étaient au nombre de 10,786. Ils sont répartis, dans le tableau ci-dessous, en cinq catégories d'après l'importance de leurs appointements respectifs.

Comme on le voit, plus de 63% des employés gagnaient moins de 2,000f par an.
Parmi les agents de cette catégorie, il y avait d'abord la grande masse des employés de condition tout à fait inférieure, c'est-à-dire de ceux qui jamais — à moins de passer de nouveaux examens — ne peuvent espérer arriver à jouir d'un traitement dépassant 2400f (auxiliaires, gardes et commis auxiliaires) ou 3,000f (expéditionnaires) ; il y avait aussi les commis proprement dits, au début de leur carrière. Ceux-ci peuvent atteindre, en principe, les plus hautes situations, mais en fait la plupart n'arrivent jamais à dépasser le traitement maximum de premier commis (3,100f), c'est-à-dire a passer dans le caudre des fonctionnaires. Cela tient à ce que ce cadre est beaucoup plus restreint que celui des simples commis. Ainsi, alors que, en 1902, ceux-ci étaient au nombre de près de 3,000, les fonctionnaires proprement dits n'étaient que 937. On concoit que, dans ces conditions, beaucoup de commis doivent être arrêtés à la limite indiquée ci-dessus ; ce sont, en général, les moins capables ; on compte néanmoins parmi eux nombre de gens de réelle valeur que les circonstances n'ont pas favorisés.
Si, comme on vient de le voir, la situation des commis n'est guère satisfaisante au point de vue de l'avenir qui leur est réservé, elle ne vaut[239]pas beaucoup mieux sous le rapport du taux de leur traitement et de la rapidité de leur avancement. Nommés d'abord à l'essai à 1,200f, ils sont, un an après, régularisés au même tauux de traiteent ; dans la suite, celui-ci est augmenté de 200 à 300f, en moyenne, tous les trois ans. En fait, comme il est tenu compte du mérite respectif de chaque agent, l'avancement ne se fait pas pour tous dans les mêmes conditions. Ainsi, tandis que certains d'entre eux ne mettent que treie ans pour arriver à gagner 3,100f, il faut trente ans à d'autres pour atteindre ce même taux. On peut dire qu'en moyenne un commis reste quatre ans (dont un à l'essai) à 1,200f, quatre ans à 1,400f, trois ans à 1,700f, quatre ans à 2,000f, trois ans à 2,300f et quatre ans à 2,700f. Par conséquent, dans l'exemple d'un jeune homme nommé commis à vingt ans — ce qui est l'âge moyen d'admission — l'intéressé ne gagnerait encore que 1,700f à trente ans, 2,000f à trente-quatre ans et 3,100f à quarante-deux ans.
Il va de soi qu'un pareil état de choses doit, en principe, exercer une influence capitale sur la situation matérielle et même sur toute l'existence des employés dont il s'agit. Ainsi il faut admettre qu'un commis ne peut guère, s'il n'a pas de ressources très sérieuses en dehors de ses appointements, songer à se marier avant l'âge de trente ans au moins, sans s'exposer à devoir mener une vie de continuelles privations, et que, dans la même hypothèse, il lui est en quelque sorte interdit d'avoir de nombreux enfants, à peine de ne pouvoir leur donner une éducaution et une instruction en rapport avec sa condition sociale.
En définitive, si on résume la situation des employés des chemins de fer de l'État belge telle qu'elle vient d'être exposée, on constate qu'un très grand nombre de ces agents sont à peine mieux rétribués toute leur vie que des ouvriers; que les autres doivent également se contenter, pendant de longues années, d'un traitement médiocre et en tout cas insuffisant pour leur permottre d'élever, dans des conditions convenables, une nombreuse famille ; enfin que très peu, relativement, arrivent à jouir à la fin de leur carrière d'appointements sufisants pour leur assurer un peu d'aisance.
A quoi est due cette situation ? Provient-elle de causes particulières à l'exploitation des chemins de fer par l'État, ou tient-elle plutôt a des causes communes à toutes les entreprises du pays ?
Un examen vraiment sérieux de cette question nous entrainerait, on le comprend, beanucoup au delà des limites réservées à cette note. Nous croyons cependant devoir dire que la vérité semble être plutôt du côté de la seconde solution. C'est un fait constant, en effet, que dans la[240]généralité des entrepises industrielles et commerciales de la Belgique, exploitées par des sociétés ou des particuliers, le taux moyen des appointements des employés est encore plus bas qu'à l'administration des chemins de fer de l'État belge. Il faut se garder, cependant, de conclure de là que cette dernière a réalisé chez elle les meilleures conditions pour son personnel. On peut toujours rechercher si des améliorations ne sont pas possibles.
Le moyen le plus radical serait évidemment d'augmenter d'une facon générale et dans une proportion suffisante le taux des traitements des agents de rang inférieur ; mais, en pratique, ce procédé n'est guère admissible, parce qu'il entrainerait une dépense telle que l'équilibre du budget général de l'exploitation en serait complètement bouleversé. On a vu, en effet, dans la première partie de cette note, que ce budget, même dans l'état actuel des choses, se solde dificilement par un bénéfice.
On pourrait aussi diminuer le nombre des employés à l'efet d'utiliser les sommes ainsi économisées à améliorer la situation des employés restants. Mais il parailt qu'en fait il serait impossible, dans l'état actuel de l'organisation des services, de les faire marcher avec un personnel moindre.
Peut-etre pourrait-on aussi, comme certains le prétendent, supprimer, sans nuire à la marche générale de l'exploitation, certains travaux de vérification, et rendre inutile, par le fait, le personnel relativement nombreux qui y est occupé. Nous n'avons pas la compétence nécessaire pour discuter ce point ; il semble, toutefois, qu'il n'est rien moins que certain que si une économie d'argent était réaulisée de cette facon, le bénéfice retournerait aux autres employés.
Quoi qu'il en soit, voici trois mesures qui paraissent réaulisables en tout cns et qui ne manqueraient pas, pensons-nous, d'avoir un certain effet utile. — 1° Porter beaucoup plus rapidement qu'aujourd'hui le traitement des employés à un taux suffisant pour permettre aux intéressés d'élever une famille dans des conditions convenables, quitte à ralentir l'avancement dans la suite, de façon à ce que la charge financière reste en définitive sensiblement la même pour l'Etat. — 2° Accorder une indemnité aux employés mariés pour chaque enfant qui leur naîtrait. — 3° Majorer d'une facon générale le traitement des agents asr treints, par leur service, à habiter l'agglomération bruxelloise.
Jusqu'ici, nous avons surtout insisté sur les côtés désavantageux de la situation administrative de l'employé des chemins de fer de lÉtat belge, il convient, pour compléter cet exposé, de faire remarquer[241]que cet employé a, en réalité, sur ses collègues du commerce et de l'industrie, de nombreux et sérieux avantages. Ainsi, il jouit d'appointements qui sont déterminés d'après des règles fixes, qui, par suite, ne sont pas sujets à varier suivant le canprice du chef et les fluctuations du marché économique et qui s'élèvent en quelque sorte mécaniquement par l'efiet de l'ancienneté, sans qu'il soit besoin de faire preuve de beaucoup de zèle ni de capacités ; il a à efectuer un labeur qui n'est généralement ni bien rude ni bien dificile ; il peut aussi se considérer comme assuré de conserver sa place toute sa vie, l'Etat ne renvoyant ses agents que dans des cas tout à fait exceptionnels ; en cas de maladie, il a droit pendant un temps très long à son traitement ; chaque année, il jouit de quinze jours de congé sans privation de traitement ; à l'âge de soixante-cinq ans, il obtient une pension de retraite, et lorsqu'il vient à mourir, sa veuve et ses orphelins reçoivent aussi une pension ; enfin, sa position est considérée et lui vaut, en raison notamment de sa stabilité, un crédit exceptionnel chez les fournisseurs.
Ces diverses causes justifient la faveur très grande dont cette position jouit auprès des jeunes gens qui sont en quête d'une situation. A chaque examen d'admission, le nombre des concurrents est cinq ou six fois plus élevé que celui des places à conférer.
Il convient toutefois d'observer que des facteurs d'ordres diérents agissent aussi dans le même sens. Ce sont notamment la forte densité de la population en Belgique qui a pour conséquence un encombrement général de toutes les carrières et, aussi, la mauvaise situation du petit commerce et de l'agriculture dans ce pays, qui a pour efet d'en détourner les jeunes gens et de les pousser de préférence vers les carriêres administratives. On peut ajouter enfin l'attrait particulier, exercé par la qualité « d'employé de l'Etat ». sur les individus appartenant à la classe ouvrière età la petite bourgeoisie et aussi tout particulièrement sur les campagnards.
§ 19. SUR LES ASSOCIAITIONS FORMÉES ENTRE EMPLOYÉS DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES POUR L'AMÉLIORATION DE LEUR CONDITION MATÉRIELLE
A. — Societés cooperatives de prêts pour l'acquisition et la construction de maisons d'employes.
[242] On rencontre fort peu, dans les grandes villes de Belgique. de ces énormes maisons, comme il y en a beaucoup, à Paris notamment, sorte de casernes comprenant un grand nombre d'appartements distincts où logent de nombreuses familles d'employés et autres.
En Belgique, les ménages de la petite bourgeoisie occupent, lorsque leurs ressources sont minimes, un « quartier » de deux ou trois pièces dans une maison ordinaire où ils sont souvent les seuls locataires avec l'occupant principal, ou bien, quand leur situation pécuniaire est meilleure, une petite maison dont ils ont la jouissance exclusive. Ces habitations se louent en général de six à sept cents francs l'an ; elles sont, pour la plupart, situées assez loin du centre de l'agglomération ; dans certains faubourgs de Bruxelles, on trouve des rues qui en sont entièrement formées. Beaucoup appartiennent à des caupitalistes spéculateurs qui les font construire très économiquement et y trouvent ainsi un placement fort rémunérateur.
Au point de vue des occupants, ce mode d'habitation est excellent et semble en tout cas bien préférauble au système des appartements genre Paris, dont nous parlions tantôt. Il est d'abord très hygiénique par le fait qu'il isole chaque famille ; il a, par la même raison, la plus heureuse influence sur la moralité des enfants qu'il soustrait à toute promiscuité dangereuse ; enfin il contribue à donner aux parents le goût de leur intérieur et les éloigne ainsi du cabaret et autres lieux de plaisirs malsains.
Ces maisons ont presque toujours un jardinet dont la culture est pour le père de famille un délassement avant et après sa journée de travail. Sa santé se trouve bien de cette occupation qui contribue en même temps ù le retenir chez lui.
Partant de ces idées, diverses sociétés philanthropiques et autres se sont constituées à l'effet d'offrir, spécialement aux employés des administra[243]tions publiques, des combinaisons avantageuses pour devenir propriétauires d'une petite maison du genre décrit.
Il existe en Belgique une loi de 1889 qui édicte une série de mesures de iuveur destinées à faciliter l'acquisition par les ouvriers de maisons d'habitation. (Réduction des droits fiscaux et des honoraires des notaires, concours de la caisse d'épargne pour avancer les fonds à un taux modéré, etc.). Mais jusqu'ici rien n'a été fait dans cet ordre d'idées en ce qui concerne les maisons destinées aux employés. Ceux-ci ont donc dû chercher des combinaisons pour suppléer à l'insuffisance de la législation à leur égard ; ils ont eu recours notamment à la coopération.
C'est ainsi que dans ces dernières années, il s'est ecréé, spécialement entre agents des diverses administrations publiques, un certain nombre de sociétés coopératives ayant pour objet d'aider leurs membres à acquérir une maison dans des conditions avantageuses. Elles n'ont généralement guère réussi. Il en est toutefois une : Union hypothécaire de Bruxelles, dont le succès a été réellement remarquable et qui a rendu, dans l'ordre d'idées qui nous occupe, de notables services à la classe des employés. En voici, succinctement résumés, l'organisation et les résultats généraux.
L'Union hypothécaire a été créée à Bruxelles en 1893 par quelques employés du ministère des chemins de fer et des télégraphes. D'après ses statuts, elle a pour but de faire ou de cautionner, solidairement ou simplement, des prêts en vue de la construction ou de l'achat d'immeubles destinés à l'habitation de ses membres4. C'est donc exclusivement une société de crédit, c'est-à-dire qu'elle ne construit pas elle-même des maisons pour les revendre. D'autre part, à la différence de certaines sociétés financières qui font le même genre d'opérations, elle procure à ses emprunteurs la totalitedes fonds qui leur sont nécessaires pour l'acquisition de leur maison.
Pour être admis comme membre de la société il faut : faire partie d'une administration de lÉtat belge ou d'un service public offrant à son personnel des garanties similaires ; être présenté par deux membres ; adhérer, par écrit, aux statuts ; être agréé par le conseil d'administration ; souscrire une part sociale au moins ; conclure ou avoir conclu un emprunt hypothécaire cautionné par la société ou fait directement par elle.
L'emprunteur doit justifier que ses appointements sont libres de toute[244]saisie ou délégation et que par sn situation et sa distribution intérieure la maison qu'il occupera est ou sera d'une location facile, c'est-à-dire qu'elle rentre dans la catégorie des habitations de la moyenne bourgeoisie.
L'Union prend une hypothèque en premier rang sur l'immeuble ; elle exige en outre de ses emprunteurs la garantie obligatoire d'une assurance mixte sur lavie, destinée à garantir le remboursement de la somme prêtée, soit à l'échéance du terme fixé par le contrat de prêt, soit immédiatement en cas de décès prématuré de l'emprunteur ; dans ce dernier cas, la famille de celui-ci se trouve libérée de toute charge et peut jouir en toute propriété de l'immeuble.
Dans la combinaison adoptée par l'Union hypothécaire, l'emprunteur a la faculté de se libérer en dix, quine, vingt, vingt-cinq ou trente années ; il peut aussi, dans certaines conditions, rembourser tout ou partie du prêt par antlcipation.
D'autre part, le paiement régulier de la prime d'assurance remplace le paiement d'annuité destinée à assurer l'extinction de la dette. A la prime, vient s'ajouter naturellement l'intérêt simple, à un taux modéré, du capital emprunté. Le taux d'intérêt est actuellement de 4 %5.
L'assurance est contractée à l'intervention de l'Union hypothécaire et avec une compagnie agréée par elle. Elle comporte au minimum le montant de l'emprunt contructé.
Le montant du prêt est proportionné au traitement dont jouit l'emprunteur.
La société est à responsabilité solidaire, limitée, pour chacun des membres, à sa souscription et à sa part dans l'avoir social. Le capital social, dont le minimum est fixé à 3,000f, est formé du montant des parts souscrites. Chaque part est de 100f, payable au siège de la société, un dixième au moment de la souscription, le restant au fur et à mesure des besoins, sur appel fait ensuite d'une décision du conseil d'administration.
Indépendamment d'un fonds de réserve alimenté par des prélèvements opérés sur les bénéfices, il est institué un fonds de garantie et un fonds de prévision, en vue de couvrir les pertes éventuelles à résulter notamment de la dépréciation des immeubles hypothéqués en cas de[245]réalisation forcée. Ils peuvent servir aussi à assurer les services des annuités, intérêts, primes d'assurances, etc., des emprunteurs défaillants ou en retaurd de paiement.
L'Union hypothécaire avait, à la fin de 192, prêté pour l'acquisition et la construction de plus de cinq cents maisons d'employés, environ 7,500,000f. Les bénéfices réalisés par elle dans le cours de cette année se sont élevés à 18,600f. A cette époque ses fonds spéciaux (fonds de réserve, de garantie et de prévision) atteignaient la somme de 100,000f environ. Jusqu'ici elle n'a eu aucun mécompte sérieux avec ses emprunteurs. En tout cas, elle n'a jamais dû réaliser, pour cause d'inexécution des charges, un immeuble hypothéqué.
B. — Societes cooperatives de consommation.
En 1886, sur l'initiative d'un groupe d'employés du Ministère des chemins de fer et des télégraphes, se constitua à Bruxelles une société coopérative ayant pour objet la création et l'exploitation, dans les principaux centres du pays, de magasins destinés à vendre, à bon compte, aux agents de l'administration des chemins de fer de l'État belge, les objets de consommation usuelle.
Au début, l'association eut beaucoup de difficultés à vaincre, non pas que les adhérents lui aient manqué, mais parce que les petits commerçante du pays, qui voyaient en elle une concurrente éventuellement sérieuse, la combattirent par tous les moyens possibles. C'est ainsi qu'ils assaillirent tellement de leurs plaintes le ministre des chemins de fer, que celui-ci crut devoir, par un ordre de service de 1889, régler dans lee termes suivants la faculté laissée à son persornel de créer et d'administrer des sociétés coopératives : « Les agents ont le droit, porte cet ordre de service, de constituer des sociétés coopératives de consommation ; il ne peut être apporté d'entraves à l'exercice de ce droit. Il est préférable, toutefois, que ces associations s'établissent entre agents de l'État. Il faut en outre : 1° que les sociétés coopératives s'interdisent toute action de commerce, c'est-a-dire toute vente à des personnes non affiliées ; 2° que les fonctionnaires et agents exercant une autorité sur le personnel s'abstiennent de toute intervention pouvant avoir le caractère d'une pression quelconque ; 3° que les agents aisant partie des comités ne s'occupent des affaires des sociétés qu'en dehors du temps réservé au service de l'administration ; 4° que les affiliés se gardent d'accorder ou de procurer aux sociétés, dans les rapports de celles-ci[246]avec l'administration, des facilités ou des avantages spéciaux. Ces recommandations doivent être observées d'une manière rigoureuse ; toute contravention ou tout autre manquement donnera lieu à des mesures sévères. Il est interdit, enfin, au personnel de prendre part à la gestion de sociétés auxquelles participent des personnes étrangères au a département, à moins d'en avoir obtenu, au préalable, l'autorisation du ministère. »
Malgré cette intrusion du pouvoir dans leurs affaires, les employés coopérateurs n'en persistèrent pas moins courageusement dans la voie oû ils s'étaient engagés.
Après quelque temps, toutefois, leur association, qui comprenait un comité central à Bruxelles et des sections dans diverses villes de province, se désagrégea par suite de certaines difficultés financières. Les sections devinrent autonomes et le comité central disparut, ou plutôt se transforma, en 1890, en une association nouvelle qui prit le titre d'Union economique de Bruxelles. Cette société est actuellement la plus importante des coopératives de consommation établies en Belgique entre agents des administrations publiques, et il ne sera pas inutile de donner quelques détails sur son organisation :
L'Union économique a pour but, d'apres ses statuts, l'amélioration de la position des associés par tous les moyens possibles, à l'exclusion absolue de la politique et de l'immixtion dans les affaires de l'Etat. Ces moyens sont entre autres : l'entente avec magasins, fournisseurs, producteurs, etc., de manière à obtenir une réduction sur les prix normaux du commerce de détail ; l'oranisation de magasins d'approvisionnement supprimant, dans la mesure du possible, tout intermédiaire entre producteurs et consommateurs ; l'installation de restaurants permettant aux afliés de réaliser des économies sérieuses dans les dépenses d'alimentation ; la création ou l'adoption d'une caisse de cautionnements et d'avances ou autres mesures ayant pour but de mettre les associés à l'abri des exigences des sociétés de prêts ; la création d'une caisse d'épargne, de secours, d'assurances diverses, etc. ; l'établissement d'agences de location.
La durée de la société est fixée à trente ans.
La société est à responsabilité limitée et n'est obligée que jusqu'à concurrence de son aetif. Le capital social, formé du montant des parts souscrites par les sociétaires, est illimité ; son minimum est fixé à 3,000 fr. Les parts sont de 10 fr., payables au siège de la soeiété, à raison d'un franc par part et par mois, ou à des termes plus rapprochés, au choix des souscripteurs. La première part ne produit aucun intérêt ;[247]pour les autres, il est servi un intérêt de 5%. Tout associé peut souscrire jusqu'à concurrence de cinquante parts.
Pour devenir membre de la société, il faut : appartenir à un titre dêfinitif quelconque à une administration publique, être admis par le conseil d'administration sur la présentation de deux membres et payer un droit d'entrée d'un franc. Il n'existe aucune solidarité entre les sociétaires, et chacun n'est tenu des eongagements de la société que jusqu'à concurrence du montant de ses purts.
Les associés ont le droit de se fournir indifféremment dans tous les établissements agréés par la société, et de profiter de toutes ses créations aux conditions fixées par le Conseil d'administration.
Tout associé exclu ou démissionnaire est remboursé de ses versements, d'après le résultat du bilan de l'année pendant laquelle a lieu sa sortie de la société. Cet associéperd tous ses droits au fonds de réserve. Le remboursement a lieu dans les six mois qui suivent l'approbation du bilan, a condition qu'il s'agisse de cas isolés. Les démissions ne peuvent se donner que dans les six premiers mois de l'année sociale.
La société est dirigée par un conseil d'administration, composé de onze membres, sous le contrôle de cinq commissaires. Les membres du conseil d'administration, ainsi que les commissauires, sont choisis parmi les associés. L'assemblée qui les a nommés a le droit de les révoquer et de les remplacer en tout temps.
Sur les bénéfices etablis par les comptes vérifiés et approuvés, il est prélevé : 25 % qui forment le fonds de réserve de la société et un intéret de 5 . à servir au capital. Cet intérêt prend cours à partir du 1er avril et du 1er octobre qui suivent la date de libération complète des parts. Le reste des bénéfices est réparti entre les sociétaires, au prorata des achats; cette répartition peut se faire en marchandises ; c'est a l'assemblée générale qu'il appartient de statuer sur cette dernière combinaison. Toutefois, les intérêts et bénéfices revenant aux membres qui n'ont pas souscrit et payé au moins cinq parts, sont conservés par la société et portés à l'actif de ces membres, jusqu'à ce qu'il atteigne 50 fr.
Tout affilié qui ne pourra justifier avoir fait dans les magasins des fournisseurs agréés, ou dans ceux de la société, des achats pour une somme de 50 fr. au minimum pour l'année sociale écoulée, sera exclu du partage des bénéfices.
Le fonds de réserve sera employé à donner de l'extension aux afIaires sociales. En cas de dissolution de la société, le produit de la réaulisation[248]sera partagé, sous certaines réserves, entre les sociétaires, au prorautan du chiffre total de leurs achats.
La situation de l'association est très prospère ; ainsi, elle compte actuellement 2,300 membres environ. Son chiffre d'affaires, qui s'élevait déju à 236,634f en 1900, a atteint en 1901 la somme de 438,250f.
Le tableau suivant indique le montant des ventes effectuées cette année par les divers services de l'Union économique.

Le capital social qui, au début, était fixé au minimum de 3,000f, est actuellement de 72000f. La réserve atteint 37,000f.
Indépendamment de l'Union économique, il existe encore actuellement, dans diverses localités de Belgique, une vingtaine de coopératives du même genre. En outre, il a été constitué, il y a quelques années, une fédération dans laquelle sont entrées la plupart de ces associations et qui a pour but les achats en gros et la rétrocession aux sociétés coopératives affiliées, de toutes les marchandises dont elles peuvent avoir besoin. Le chiffre d'affaires de cette fédération a été de 526,910f pour 1901.
C. — Société coopérative « Le Crédit mutuel ».
Il a été fondé à Bruxelles en 1888, sous la dénomination de « Crédit mutuel, une société coopérative dont le but est de procurer à ses membres, à un taux modéré, les sommes dont ils peuvent avoir besoin, et de les soustraire ainsi, autant que possible, à l'action funeste des usuriers. La durée de la société a été fixée à trente ans.
Le fonds social se compose : 1° de l'avoir individuel de chaque membre ; 2° du fonds de réserve. Son minimum est fixé à 1,000f.
Les capitaux nécessaires sont successivement obtenus : 1° par souscription à un nombre indéterminé d'actions, payables, respectivement, selon qu'il s'agit de parts ou de demi-parts : a) en deux versements[249]mensuels consécutifs de 5f ou de 2f50 ; b) par cotisations mensuelles minima de 2f ou de 1f à verser régulièrement par chaque sociétaire et pour chaque part souscrite ; — 2° par le paiement d'un droit d'entrée, déterminé annuellement par l'assemblée générale d'après les résultats accusés par le bilan.
Le minimum de l'apport à atteindre par chaque sociétaire, et qui constitue une part ou une demi-part, est fixé respectivement à 100f età 50f. Jusqu'à formation complète de cet apport, dans lequel n'entre pas la somme payée pour droit d'entrée, les parts de remise et les dividendes sont retenus et ajoutés à l'avoir du sociétaire. Jusqu'à concurrence du montant des parts ou demi-parts souscrites, les versements, remises et dividendes restent la propriété personnelle du sociétaire, mais ne peuvent être retirés aussi longtemps que celui-ci fait partie de la société. Lorsqu'un membre quitte la société, ses parts ou demi-parts lui sont remboursées dans le délai d'un an ; dans ce cas, il est tenu compte de la valeur de la part telle qu'elle résulte du bilan de l'année pendant laquelle la démission a été donnée. Les parts et demi-parts sont nominatives ; elles ne peuvent être cédées qu'à des membres faisant partie du Crédit Mutuel. Dans ce cas, cédant et cessionnaire doivent en signer le transfert, et le cessionnaire est tenu de s'engager à remplir les obligations contractées par le cédant vis-à-vis de la caisse.
Le montant des prèts à accorder dépend de l'état de la caisse et de la solvabilité des demandeurs, l'appréciation en est abandonnée au comité.
Les avances ne sont pas supérieures à 100f ou à 50f, respectivement pour une part ou une demi-part souscrte. Lesdites sommes ne peuvent être dépassées, quel que soit le nombre de parts souscrites, que si le montant des cotisations versées par l'emprunteur atteint la centaine ou la demi-centaine immédiatement inférieure par rapport au chiffre du prêt demandé.
Toutefois, dans des cans spéciaux laissés à l'appréciation du comité, les maxima ci-dessus indiqués peuvent être majorés jusqu'à concurrence du double
Il est prélevé tous les ans, sur les bénéfices, 15% destinés à former le fonds de réserve. Le reliquat, après prélèvement des frais généraux y compris l'intérêt à servir au capital et qui ne pourra jamais être supérieur à 6, est partagé entre les sociétaires au prorata des intérêts qu'ils auront payés comme emprunteurs. Quand le moutant du fonds de réserve atteint 25% du capital souscrit, la retenue de 15 % des bénéfices ci-dessus[250]mentionnée n'a pas lieu et le bénéfice est réparti en totalité entre les sociétaires.
Le fonds de réserve est constitué pour parer aux pertes qui pourraient provenir d'avances irrécouvrables ou de toute autre cause. Il est formé progressivement : 1° du montant intégral des droits d'entrée ; 2° du produit de la vente des livrets ; 3° de la retenue réglementaire sur les bénéfices sociaux. Le fonds de réserve demeure la propriété de la société ; il ne peut en être disposé qu'en cas de dissolution.
L'assemblée générale, à la majorité des voix et au scrutin secret, procèdeà l'élection du comité d'administration composé de cinq membres. Ceux-ci désignent un administrateur, un secrétaire et un trésorier, ils constituent le conmité exécutif qui se renouvelle par tiers, tous les ans. Le sort désigne l'ordre de sortie des membres du comité, ils sont rééligible.
Le comité est autorisé : à statuer sur les admissions ; à disposer des fonds sociaux dans l'intérêt de la société ; à effectuer les dépenses nécessaires à l'administration ; à choisir le personnel rétribué pour la besogne à exécuter ; à vérifier en tout temps les livres, écritures, caisses, portefeuilles, etc. ; à examiner et apprécier toutes les demandes des sociétaires.
Pour devenir membre de la société, il faut : appartenir, à un titre quelconque, à une administration de l'État, adhérer par écrit aux statuts, être admis par le conseil d'administration. Les membres de la société prennent part aux assemblées générales, ils y ont chacun une
La responsabilité des sociétaires, relativement aux engagements de la société ou aux pertes éventuelles, n'existe que jusqu'à concurrence du montant de leur apport dans l'avoir social.
Tout sociétaire admis doit adhérer par écrit aux statuts du Crédit mutuel. L'exclusion est prononcée par le comité d'administration, sauf appel à l'assemblée, dans les cas suivants : 1° si un membre est de trois mois en retard pour les versements ; 2° s'il a fallu recourir aux voies judiciaires pour le remboursement d'avances ; 3° pour tous autres manquements aux obligations statutaires ou pour toute autre raison grave.
Le membre ayant versé l'intégralité de ses parts ou demi-parts souscrites peut quitter l'association, en annoncant cette résolution dans les six premiers mois de l'année sociale.
Les membres démissionnaires ou exclus ne peuvent être remboursés de[251]leur avoir qu'un an après la clôture de l'exercice durant lequel a eu lieu leur sortie ; ils doivent, quant au règlement de leur compte, s'en rapporter au bilan arrêté pour la clôture dudit exercice ; ils n'ont aucun droit au partage du fonds de réserve ; ils ne peuvent faire opérer aucune appor sition de scellés sur les meibles ou archives de la société, ni entraver en aucune manière ses opérations.
Sont assimilés aux démissionnaires les héritiers d'un membre décédé.
Le comité peut, à raison de cireonstances particulières, autoriser le remboursement immédiat du boni d'un sociétaire, soit à celui-ci, soit à ses héritiers.
Les contestations qui viennent à s'élever entre les sociétaires et la société sont réglées par des arbitres, chacune des parties choisissant le sien dans les quinze jours qui suivent la réclamation notifiée par écrit au comité d'administration. En cas de désaccord entre les deux arbitres, ceux-ci en désignent un troisième dont la décision est souveraine.
En 1903, le Crédit mutuel a fait des prêts pour 40,000f environ.
§ 20. SUR LA CONDITION SOCIALE ET JURIDIQUE DES EMPLOYÉS EN BELGIQUE
Nombreuses sont les mesures, législatives et autres, prises par les pouvoirs publics en Belgique en faveur des ouvriers, mais si on considère la classe des employés privés, on constate que rien ou presque rien n'a été fait en ce qui les concerne et qu'en définitive l'État s'est, pour ainsi dire, completement désintéressé de leurs besoins particuliers et ne s'est, en tout cas,guère préoccupé d'améliorer leur situation économique. Cet état de choses est dû à diférentes causes. Il tient d'abord à ce que, à première vue, le sort des employés ne semble pas aussi pénible que celui des ouvriers ; les premiers sont en efet généralement beaucoup mieux habillés et mieux logés que les seconds, ce qui, soit dit en passant, est une obligation de leur situation sociale, mais constitue précisément une charge de plus pour eux ; la conséquence en est que le plus souvent le public les juge sur ces seules apparences, sans examiner plus attentivement leur situation vraie, et il y est d'autant plus porté que certains employés, soit qu'ils aient des ressources personnelles, soit qu'ils jouissent exceptionnellement d'appointements élevés, vivent dans une réelle aisance.
[252] Une autre raison, c'est que, jusqu'en ces dernières années, les employés, par suite notamment de leur éparpillement dans tout le pays et de la grande diversité de leurs occupations, de leur rang et de leur situation matérielle, ont vécu très isolés les uns des autres, notamment sans qu'une organisation sérieuse ait été établie entre eux. groupant leurs forces, formulant leurs desiderata et faisant valoir leurs revendications.
Il convient d'observer aussi à cet égard qu'il n'y a que relativement peu de temps que le nombre des employés est devenu vraiment considérable. C'est le développement énorme qu'ont pris, pendant le dernier quart de siècle, les entreprises industrielles et commerciales qui en a fait la légion qu'ils constituent aujourd'hui et les a transformés en une véritable classe, ayant ses besoins, ses souffrances et ses aspirations propres.
Avec l'augmentation sans cesse grandissante de leur nombre, finit cependant par naitre et s'affirmer de plus en plus chez les employés l'idée qu'ils avaient un intérêt puissant à se grouper pour chercher à améliorer leur situation.
Toutefois, dès l'origine, la plupart des associations qu'ils créèrent n'avaient, ou bien qu'une simple raison d'agrément, ou bien qu'un but de mutualité. Dans la suite, quelques syndicats proprement dits se constituèrent dans les grandes villes, mais généralement ils n'étendaient leur action qu'ù une locaulité déterminée et même à une catégorie spéciale d'émployés.
Ce fut seulement vers 1895 qu'un mouvement sérieux se dessina vers l'organisation d'une vaste association groupant tous les syndicats d'employés du pays. Il aboutit à la création à la fin de l'année suivante, par des syndicats de Gand, de Bruxelles et de Liège, d'une fédération qui prit le nom de « Ligue nationaule des employés de Belgique6 ».
D'après ses statuts, elle a surtout pour but de mettre en commun les efforts de toutes les associations afin de faire triompher les réformes inscrites à son programme. et tout en reconnaissant que l'action parlementaire n'est pas l'unique élément de sa propagande, elle considère cette action comme un des moyens de fauire aboutir ses revendications ; en conséquence, sans jamais mettre son influence au service d'un parti politique, elle recommandera au corps électoral tous les candidats qui s'engageront à défendre ses revendications au Parlement.
[253] Tous les ans, les associautions affiliées se réunissent en congrès, elles . font connaître au Comité exécutif les questions qu'elles désirent voir porter à l'ordre du jour.
Les revendications inscrites au programme sont très lares et très nombreuses, en voici la simple énumération :
Suppression de la patente à payer par les employés.
Institution de contrats entre employés et patrons, stipulant notamment un préavis minimum de deux mois avec une indemnité égale au salaire payé pendant les deux derniers mois (Mesure applicable à tous les employés et voyageurs à la commission).
Interdiction pour les patrons d'employer leunr personnel plus de six jours par semaine. Repos hebdomadaire, de préférence le dimanche.
Caisse de retraite subsidiée par l'Etat. Comme mesure transitoire, caisse de retraite obligatoire à laquelle les employés et les patrons versent une part égale et 1État une somme équivalente aux deux tiers de le somme payée par les employés et les patrons.
Assurance organisée par l'État en cas de chomage, de maladie ou d'accident. Comme mesure transitoire : assurance obligatoire contre les accidents pour les voyageurs de commerce et de l'industrie, à charge des patrons.
Potrait de la législation actuelle régissant les conflits entre employés et patrons.
Extension aux employés de la juridiction des conseils de prud'hommes en cas de conteostation avec les patrons.
Institution aux conseils de l'industrie et du travail de Chambres spéciales destinées a régler les différends entre employés et patrons. Sanctions légales aux decisions de ces Chambres.
Application aux employés de la loi sur les habitations ouvrières.
Abonnements de semaine aux chemins de fer pour les employés et voyageurs de commerce et de l'industrie.
Enseignement professionnel gratuit. Extension et compléments.
Création de bibliothèques spéciales publiques.
Établissement d'un rouage destiné à organiser et diriger l'expatriation des jeunes gens désireux d'occuper des emplois à l'étranger, soit pour y acquérir des connaissances, soit pour s'y établir plus tard.
Création dans chaque arrondissement d'une Bourse du travail subsidiée par l'État, la province et les communes, dirigée par les délégués des Chambres syndicales.
A travail égal, salaire égal pour les deux sexes.
Attribution aux employés et fonctionnaires publies de traitements tels que le cumul des emplois puisse être strictement interdit.
Garanties aux fonctionnaires de tous ordres des administrations publiques contre l'arbitraire et le favoritisme.
Suppression des maisons de placement.
Fixation de l'échelle des salaires, pour chaque catégorie d'employés et de voyageurs de commerce, par les conseils de l'industrie et du travail réorganisés.
Maximum de huit heures de travail non compris une heure ponr le repas principal et une demi-heure pour les autres repas.
Developpement des attributions des conseils de prud'hommes et des conseils de l'industrie et du travail au point de vue de la sanction des règlements de bureau et des conditions de travail.
Création d'un conseil d'arbitrage pour les employés de l'Etat.
[254] Jusqu'ici la Ligue nationale a tenu dans les principales villes de Belgique quatorze congrès, au cours desquels les divers points de son programme ont été discutés et précisés et quelques revendications nouvelles adoptées, à savoir notamment : suppression du système des amendes et des retenues, régime de la double solde pour les heures supplémentanires, suppression du travail de nuit, sauf exceptions autorisées par le conseil de lindustrie et du travail, extension aux employés, mautatis mutandis, de la législation qui protège le travail des ouvriers, des lois et règlements sur le régime des ateliers et de l'inspection du travail.
La Ligue nationale se trouve aujourd'hui dans une situation prospère. Elle est parvenue à grouper 21 des principales Sociétés d'employés et voyageurs du pays, représentant ensemble environ 11,000 membres.
La plupart des âssociations dont elle se compose poursuivent des buts mutualistes : assurances contre la maladie, contre le chômage, contre la vieillesse. Beaucoup d'entre elles ont aussi établi des conseils de conciliation et d'arbitrage, des bureaux de placement, des cours professionnels et commerciaux, etc.
Depuis sa création, l'action de la Ligue, au point de vue de la défense des intérêts des employés, a été très sérieuse. Les congrès qu'elle a tenus ont eu un certain retentissement dans le publie et auprès des autorités. Le ministre de l'industrie et du travail a même délégué à plusieurs reprises des fonctionnaires de son administration pour en suivre les débats. A l'occasion de la discussion par le parlement des lois récentes sur la réparation des accidents du travail et sur le repos hebdomadaire, elle a mené une campagne très ardente : pétitions aux Chambres, congrès, meetings publics, etc.
La Ligue a un caractère neutre, c'est-à-dire qu'elle s'interdit toute immixtion dans la politique proprement dite. Elle édite un organe mensuel : « le Trait d'union. »
A côté de cette fédération, il convient de citer une autre grande association qui poursuit aussi la défense des intérêts des employés belges, mais dont le caractère diffêre de celui de la Ligue nationale en ce sens qu'elle groupe à la fois les patrons et les employés. C'est le type du syndicat mixte. Elle a le titre de « Syndicat général des voyageurs, employés, négociants et patrons. »
F'ondée à Bruxelles en 1891, cette association se compose actuellement de 28 comités régionaux. L'autonomie la plus grande est laissée à chacun des comités.
Pour être admis dans le syndicat général, toute société doit : 1° se[255]composer de membres effectifs s'occupant de commerce et d'industrie : voyageurs, courtiers, employés de commerce, négociants, industriels et artisans ; 2° avoir pour but : a) la défense du commerce et de l'industrie ; b) la protection des intèrets moraux et économiques de ses membres ; 3° s'interdire, comme société, toute immixtion dans la politique ; 4° ne recruter ses membres que dans sa circonscription propre, déterminée par le conseil du syndicat général.
Le syndicat a pour but d'unir les eforts des sociétés affiliées pour faire valoir leurs revendications générales, de se eharger des services d'intérêt général, tels qu'institutions de mutualité, journal, etc.
Il compte aujourd'hui près de 10,000 membres.
Divers organismes intéressant particulièrement les employés ont été établis par lui, à savoir : une caisse d'accidents, un bureau de placement, une sociéte d'habitations à bon marché, une caisse de pensions, un jury de comptabilité et de correspondances commerciales ayant pour objet de délivrer des diplômes de correspondants et de comptables.
L'organisation de chaque comité comporte une société mutualiste (maladie) ; une société de retraites ; une section d'enseignement professionnel (cours de langue, de comptabilité, de droit commercial et de sténographie) ; des consultations juridiques gratuites ; un service de placement ; une section de fêtes et d'excursions ; une section d'épargne (achat d'obligations de ville) ; une section d'intérêts professionnels divisée en sections spéciales pour négociants, employés et voyageurs.
Le syndicat généra a organisé a Liège, en 1905, un congrès professionnel des employés et voyageurs de commerce, où différentes questions importantes ontétédiscutées, notamment celle de l'élaboration d'une loi pour règler des conditions du contrat qui lie patrons et employés.
En dehors des syndicants, les intérêts de la classe des employés ont été discutés et défendus au sein des deux congrès internationaux de la petite bourgeoisie qui ont été tenus en Belgique en 1899 et 1901. Les principaux desiderata qui font l'objet du programme de la Ligue nationale y ont été rappelés.
D'autre part, lors de l'enquête qui a été organisée dans tout le pays de 1902 a 1905 par le gouvernement en vue de connaître la situation et les besoins de la petite bourgeoisie, les mêmes revendications se sont produites.
Si maintenant on considère le mouvement-employé que nous avons esquissé, dans les résultats qu'il a produits jusqu'à présent, on peut dire qu'ils sont satisfaisants. Ainsi, c'est certainement gràce à lui[256]que le bénéfiee des lois récentes sur les réparations du dommage résultant des accidents du travail et sur le repos dominical, ainsi que de l'arreté royal instituant la décoration industrielle ouvrière, a été étendu aux employés et que le gouvernement a, en 1903, déposé un projet de loi leur rendant applicables les avantauges de la législation sur les habitations à bon marché. Pour le surplus, il est certain que l'opinion publique est remuée et devient de plus en plus favorable aux réclamations et aux voeux de la classe des employés.
Pour terminer, signalons que le bureau de la Fédération internationale des employés, fondée Paris en 1898, a depuis l'origine, son siège en Belgique et que le deuxième congrès de cette association a été tenu en 1903 à Bruxelles.
Le Gérant : A. VILLECHÉNOUX.
Notes
1. A titre de comparaison notons que la longueur totale du réseau exploité par les grandes compagnies françaises était en 1901 :
2. Voir le rapport fait par M. Helleputte. au nom de la section centrale de la Chambre des représentants chargee d'examiner un projet de loi relatif au rachat des diverses concessions de chemins de fer. Documents, Ch. des Représ., 1I896-I87, p. 221.
3. Pour l'examen de comis, le programme comprend comme matières obligatoires, sur chacune desquelles les candidats doivent nécessairement obtenir la moitié des points : 1° les principes de littérature ; 2° l'orthographe ; 3° la rédaction ; 4° l'arithmétique ; 5° l'algèbre ; 6° lagéometrie ; 7° la géographie de la Belgique et de l'Europe ; 8° l'écriture.
Pour se présenter au concours avec quelque chance de succès, les candidats doivent avoir fait des études correspondant au programme de l'enseignement moyen du degré supérieur (humanités anciennes et modernes, rhétorique comprise).
Les examens pour les emplois de garde, d'auxiliaire et de commis auxiliaire, sont beaucoup plus faciles. Les candidats ayant fait de bonnes études primaires supérieures peuvent les réussir.
4. Depuis un an, les statuts ont été modifiés de facon à permettre les prêts même à des étrangers à la société.
5. D'après le tarif actuellement en vigueur à l'nion hypothécaire, un emprunteur âgé de trente ans, par exemple, doit payer par l100 fr. prêtés une annuité (prime d'assurance et intérêts compris) de 13f 15, si le prêt est remboursable en dix ans, et de 6f 88 s'il est remboursable en trente ans.
6. Le mot « voyageurs » a été ajouté en titre an 1903, à la suite de l'entrée dans la fédération d'importantes sociétés de voyageurs de commerce.