N° 102
ARDOISIER DU BASSIN D'HERBEMONT
(Belgique)
OUVRIER-TACHERON
DANS LE SYSTÈME DES ENGAGEMENTS VOLONTAIRES PERMANENTS
d'après
LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN 1903 et 1904
PAR
ÉMILE SAVOY
Docteur en droit
Licencié en sciences politiques et sociales
Sommaire
- Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille
- Éléments divers de la constitution sociale.
- § 17. COUP D'OEIL. SUR L'HISTOIRE ET L'EXPLOITATiON DES ARDOISIÈRES EN BELGIQUE
- § 18. SUR L'EXPLOITATION DES ARDOISIÈRES ET L'ORGANISATION DU TRAVAIL DANS LE BASSIN D HERBEUMONT
- § 19. SUR LES CONDITIONS DU TRAVAIL ET LES EUVRES OUVRIÈRES AUX GRANDES ARDOISIÈRES D'HERBEUMONT
- § 20. SUR LES DROITS D'USAGE
- § 21. SUR L'AFFOUAGE
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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille
Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1ᵉʳ. État du sol, de l'industrie et de la population
[133] L'ouvrier habite la commune de B***, canton de Paliseul, arrondissement de Neufchâteau, province de Luxembourg, située sur les lignes ferrées d'Athus-Dinant et de Libramont-Bertrix.
Le village est à une altitude de 440 mètres, exposé aux grands vents et à des changements brusques de température.
La commune a une étendue cadastrale totale de 4,816 hectares 2 ares, dont 4,039 hectares 40 ares sont imposables.
[134] L'étendue des terres exploitées comprend : 1° en faire valoir direct (y compris les bois, ainsi que les terrains incultes appartenant aux administrations publiques), 3,659 hectares 82 ares ; 2° en location, 437 hectares ; soit un total de 4,096 hectares de terres exploitées.
La localité est comprise dans la one ardennaise, caractérisée par les roches des Ardennes, quartites, grès, schistes. Cette région privée de caulcaire, connue du moins jadis par son aridité, est la plus élevée de la Belique. Elle est sillonnée de crevasses, à parois abruptes. Le ous-sol est constitué par des roches siluriennes et par celles du dévonien inférieur ; les schistes et les roches quarteuses qui le forment se décomposent avec une extrême lenteur, ce qui explique l'absence ou le peu d'épaisseur du sol détritique.
L'argile imperméable, résultant de l'altération des schistes, retient l'eau et détermine la formation de tourbières, ce sont les hautes fanges des plateaux ; la végétation y est rabougrie, pauvre, bornée aux mousses, aux fougères, au genêt que partout on retrouve et à la bruyère commune.
Ces tourbières ont certainement une infuence mauvaise sur le climat général de la région, en déterminant de tardives gelées et de froides nuits, même au milieu de l'été. De grands travaux sont en cours d'exécution en vue de la suppression de ces fanges.
Les pentes schisteuses des terrains inférieurs, en se désagrégeant et en se mêlant aux alluvions des versants, forment une couche de terre végétale propre aux prairies et susceptible, quand elle n'est pas trop humide, d'être livrée à la culture. Les roches quartao-schisteuses des pentes, peu désagrégeables, sont boisées.
La surface des plateaux, à peine décomposée, constamment battue par les vents et lavée par les eaux météoriques, est nue et ne possède pas de sol de surface ; les rares éléments désagrégés descendent dans les vallées qui les recueillent sous forme d'alluvions. Ces vallées sont à peu près les seules parties habitées et cultivées ; comme toutes les régions alluviales, elles offrent de bons paturages1.
La population de la commune est aujourd'hui de 2,960 habitants. Un recensement fait en 1764 iudique qu'il y avait à cette époque à B*** une fabrique de chapeaux, confectionnant environ neuf cents chapeaux et occupant quatre frères ; une platinerie, convertissant 24,000 livres de fer[135]en platines et occupant quatre ouvriers ; enfin une fabrique de potasse, le propriétaire seul de celle-ci s'occupait de la fabrication.
Actuellement la plus grande partie de la population se livre à la culture des champs, à l'élevage du bétail.
L'industrie agricole s'est développée d'une façon extraordinaire dans cette province, surtout depuis l'introduction des phosphates et la création des laiteries coopératives. Le cultivateur, avant l'emploi des engrais chimiques, retirait de ses champs à peine de quoi vivre ; aujourd'hui, l'élevage du bétail et la culture, gràce a la diusion de l'enseignement agricole, procurent des revenus très rémunérateurs.
L'exploitation des forêts occupe de nombreux ouvriers durant une bonne partie de l'année. Il y a en outre dans la commune une usine, qui produit l'alcool méthylique, par la distillation du bois ; elle occupe soixante-dix à quatre-vingts ouvriers.
Le petit commerce a pris, principalement depuis la construction des voies ferrées, un essor considérable.
B*** compte environ trois cents ouvriers occupés dans les ardoisières du bassin d'Herbeumont, propriétés de quatre exploitants.
L'établissement d'une nouvelle ligne de chemin de fer reliant B*** à la frontière française n'a pas été sans avoir une influence sur l'industrie ardoisière du bassin. Durant l'année 1903, en présence de la crise dont soufrait leur commerce, les exploitants des ardoisières de ce bassin se syndiquèrent pour diminuer les salaires. Une grève fut la conséquence de leur abaissement et bon nombre d'ardoisiers quittèrent les chantiers pour aller travailler à la construction du chemin de fer. Ce fait obligea les patrons à ramener les salaires à leurs anciens taux, car ils ne pouvaient faire appel à des ouvriers ignorant le métier.
On trouvera plus loin (§§ 17 et 18) une description de l'industrie ardoisière et de son organisation dans la province de Luxembourg et plus spécialement dans le bassin d'Herbeumont, le plus important des centres ardoisiers de la Belgique.
§ 2. État civil de la famille.
La famille se compose de six personnes, vivant toutes sous le même toit.
[136] 1. Donat V., chef de famille, ne à B., marié depuis 1879............ 51 ans.
2.Adèle D., sa femme, née à B............ 50 —
3.Jean-Baptiste, leur fils, né à B............ 20 —
4.Marie, leur fille aînée, née à B............ 16 —
5.Octavie, leur seconde fille, née à B............ 14 —
6.Hubertine, leur troisième fille, née a B............ 9 —
Une fille du nom d'Hubertine, qui serait l'aînée, est morte à l'âge de deux ans, après une maladie de treize mois.
Les deux époux ont perdu leurs parents. Le mari a encore deux frères et une sœur, tous sont mariés. La femme a encore cinq frères et trois sœurs.
§ 3. Religion et habitudes morales.
Les deux époux sont nés de parents catholiques et ont élevé leurs enfants dans la pratique de cette religion. Le dimanche toute la famille assiste à la messe paroissiale, sauf la mère qui va à une messe matinale pour pouvoir préparer le repas de midi. Tous se rendent à l'un ou à l'autre des offices de l'apres-midi.
L'ouvrier et son fils se confessent au moins deux fois l'an : à Pâques et à la fête de l'Adoration. Chaque soir la famille récite le chapelet et fait la prière en commun.
La femme, qui a été élevée dans une famille très religieuse, semble être la gardienne fidèle des pratiques du culte. Elle assiste tous les jours à la messe avec ses trois filles. Elle met un soin spécial à orner sa maison d'emblèmes religieux : crucifix, images de saints.
La famille célébre d'une manière toute spéciale la fête de sainte Barbe, patronne des ardoisiers. Cette fête revêt du reste le caractère d'une solennité pour les ouvriers de cette industrie, qui ce jour-là anssistent tous à la messe. Les patrons se sont toujours appliqués à conserver à cette fête son cauchet de grandeur.
La grande majorité de la population ouvrière de la localité est d'ailleurs restée très attachée à la religion catholique.
Les enfants rȩoivent une instruction religieuse fort soignée, à l'école d'abord, puis à l'église, ou le curé, aidé de ses vicaires, fait chaque jour le catéchisme. Le clergé voue un soin spécial à léducaution de l'enfance et à la prédication le dimanche et les jours de fêtes. Son influence morale[137]sur la population de la localité est très grande. Les filles ont une éducation religieuse remarquable, donnée par les soins des religieuses de la Doctrine chrétienne. Le fils a également été bien instruit sous ce rappot par les Frères des écoles chrétiennes.
La fille aînée, Marie, a suivi durant deux ans les cours de l'école ménaugère établie depuis quatre ans; à sa sortie, elle aobtenu un diplôme. La mère aurait aimé, si les ressources de la famille l'eussent permis, qu'elle suivît encore les cours pendant un an, afin de s'initier à la couture ; de cette manière, l'apprentissage du métier de tailleuse, auquel elle se destine, aurait été facilité.
Les enfants, qui quittent généralement l'école vers treize ou quatorze ans, possèdent une bonne instruction primaire.
Les deux plus jeunes de la famille fréquentent l'école communale tenue par les religieuses de la Doctrine chrétienne.
Les aînés ont fait leur première communion vers douze ans et ont suivi ensuite durant deux années le catéchisme de persévérance.
Le repos dominical est scrupuleusement observé dans l'industrie ardoisière et spécialement par la famille.
Il y a entre les époux un attachement affectueux et les enfants ont un grand respect pour leurs parents. Le fils, lors du tirage au sort pour la conscription, déclarait qu'il irait volontiers sous les drapeaux, s'il ne devait pas quitter ses parents.
Le mari étant absent durant toute la journée, la femme conserve presque exclusivement la direction des affaires domestiques et doit faire seule l'éducation des enfants. Plus énergique de caractère que son mari, elle s'acquitte parfaitement de sa tâche.
Le souvenir des parents défunts est gardé religieusement C'est là, du reste, un caractère commun à toute la population de 3. Notons même, en passant, un usage touchant et remarquable, qui existe d'ailleurs dans plusieurs parties de la Belgique. Le lundi de la fête communale, toute la population quitte les amusements bruyants de ces jours de réjouissances, pour assister à une messe chantée à l'intention de tous les défunts de la paroisse ; après l'office, on se rend processionnellement au cimetière, et la cérémonie terminée, la danse recommence sur la place publique.
A cette occasion et à différentes reprises encore durant l'année, la fanille entière va prier sur les tombes des parents défunts, qui sont entretenues avec soin.
L'ouvrier est très attaché à ses patrons. Il a toujours travaillé pour le[138]compte de leur famille, qui possède depuis bientôt un siècle le principal centre d'exploitation ardoisière de la contrée.
En général, le socialisme, malgré les eforts tentés pour la propagation de ses doctrines, n'est pas parvenu à y gagner du terrain.
La famille étudiée ici ne néglige pas le devoir de la charité envers des ouvriers plus pauvres ou des personnes infirmes. Elle consacre une somme assez considérable à des aumônes, soit en argent, soit en pains donnés aux mendiants.
Les relations sociales avec les visiteurs ou les voisins sont des plus cordiales et empreintes d'une grande politesse.
Le mari seul fait, à trois ou quatre reprises dans l'année, quelques excès de boisson.
L'argent rapporté par les deux ouvriers est consacré aux dépenses du ménage et à l'amortissement d'anciennes dettes. La femme n'aime pas les dettes. Si elle s'est vue obligée d'en faire jadis, alors que son mari seul gagnait, elle a hate de les payer. Elle cherche a devenir completement propriétaire de sa maison, grevée encore d'une créance de 1,700 f ; c'est là son plus ardent désir.
Donat et son fils n'aiment pas les innovations dans les méthodes de travail. Ils proclament pour leur métier le principe de « Vive le travail à la main l c'est là, du reste, un sentiment commun à tous les ouvriers du baussin d'Herbeumont.
Les patrons ont essayé d'introduire des machines (rebatteuses) pour la fabrication des ardoises, machines très usitées dans d'autres centres ardoisiers. Ils se sont heurtés à une résistance très vive de la part des ouvriers. Il faut attribuer ce phénomène surtout au fait que la pierre d'ardoise du bassin d'Herbeumont est très dure et qu'elle ne se prête dès lors pas très bien au travail de la machine.
§ 4. Hygiène et service de santé.
L'ouvrier est de taille moyenne, il parait plutôt chétif, il a d'asse fréquents acces d'asthme. Sa femme lui fait prendre alorsune potion antiasthmatique qui le soulage rapidement. Le métier qu'il exerce, l'exposant continuellement aux poussières d'ardoise, n'est pas sans influence sur sa maladie, s'il n'en est même pas la cause.
[139] Les poussières, qui se dégagent dans le travail de la pierre d'ardoise, provoquent chez les vieux ouvriers une maladie nommée dans le pays la naladie des ardoisiers ; elle a les plus grandes analogies avec le mal connu sous le nom de pneumonoboniose, observé chez les houilleurs et les tailleurs de pierres.
Cette maladie est déterminée par une infiltrution des particules d'ardoise dans les bronches et une accumulation dans les vésicules pulmonaires de matières inorganiques qui troublent l'hématose et amènent l'anémie. Le malade, dans la dernière période de sa vie, est fortement oppressé, il tousse fréquemment, il a une expectoration noire.
Nous n'entrerons pas dans plus de détails sur cette maladie : la médecine n'est pas parvenue à donner sur cette question des indications admises unanimement; cependant il semble que la pénétration des particules d'ardoise dans le poumon est plus dangereuse que celle des poussières charbonneuses.
On observe depuis plusieurs années une diminution des cas de cette maladie. On doit surtout l'attribuer à une meilleure aération des travaux, à cette circonstance qu'actuellement sont éloignés du chantier les enfants de moins de quatorze ans dont l'organisme n'est pas encore suffisamment formé ; on l'attribue aussi à une alimentation plus fortifiante et à une diminution de l'emploi des spiritueux.
L'ouvrier ardoisier, observent les médecins de la localité, gagne souvent une maladie, parfois mortelle (fluxion de poitrine), lorsqu'il quitte les travaux de son métier, pour se livrer durant quelques jours à la culture des champs.
Depuis une dizaine d'années l'usage de l'alcool, jusqu'alors très répandu chez les ardoisiers, va en diminuant. La propagande antialcoolique, une augmentation générale du bien-être, elles sont les causes qui amènent l'ouvrier à un usage plus modéré des boissons. Il se nourrit mieux et boit moins.
La femme, de taille moyenne, est d'une constitution robuste. Elle n'a jamais été malade.
Les quatre enfants jouissent actuellement d'une bonne santé. Une fille est morte en bas âge, après une maladie de treize mois.
La mère prépare elle-même quelques tisanes contre les rhumes, mais vu la facilité avec laquelle la famille peut appeler le médecin et avoir des médicaments, il est fait un usage très restreintde la médecine empirique.
La famille profite du service médical organisé par les patrons en faveur de leurs ouvriers ardoisiers.
§ 5. Rang de la famille.
[140] Donat est rebatteur,; il ne passe pas pour un ouvrier d'élite ; son fils, au contraire, est très habile, il exerce le même métier que son père, qui a dirigé son apprentissage.
Donat a pris la profession d'ardoisier à l'age de seie ans, et il l'a exercé depuis lors sans interruption, sauf les trois années durant lesquelles il a été sous les drapeaux.
Lors du tirage au sort de son fils, il a pris un congé de six jours et s'est livré alors a des excès de boisson. Le fils a imité l'exemple paternel. La famille a fait à cette occasion une dépense de 100f. Les compagnons de travail de Donat habillèrent un homme de paille et l'installèrent à la place qu'il avait laissée vide à l'atelier durant une semaine, près du mannequin on avait placé les instruments de travail de l'absent et une bouteille, symbole significatif.
La femme est bonne ménagère ; cependant elle ne redoute pas les dépenses, bien qu'elle déclare vivre simplement.
Le mode d'achat des fournitures et des comestibles nécessaires au ménage — mode très usité dans la localité — semble favoriser les dépenses inutiles, les besoins factices. Le commerçant a pour chacun de ses clients un carnet dans lequel il inscrit les marchandises livrées, chaque mois on fait l'addition de ces fournitures et si l'ouvrier ne peut pas payer, onlui accorde, avec une bienveillance excessive, des délais. Ceux-ci se renouvellent de mois en mois et il arrive ainsi que des familles font des dettes en complète disproportion avec leurs ressources ; ce qui ne se produirait pas si les achats devaient se faire au comptant. C'est le cae du ménage monographié. Pourtant il arrive maintenant à une situation qui peut devenir aisée dans une année ou deux, si la composition de la famille ne vient pas à être modifiée.
Les salaires des ouvriers se sont élevés dans une forte proportion en ces dernières années, et, bien que, au point de vue du salaire, le rebatteur soit presque au bas de l'échelle des différentes catégories d'ouvriers ardoisiers, on verra, par l'exaumen du budget, les sommes importantes dont la famille dispose annuellement.
L'école ménagère qui a été fréquentée par la fille aînée exaorce déjà son[141]influence bienfaisante sur la famille. Bien qu'il soit dificile de 'déraciner les habitudes acquises, on remarque une amélioration dans la préparation des aliments, suivant les méthodes plus rationnelles et plus saines que la jeune ménagère tient à expérimenter.
Depuis un an, Donat est chargé de faire l'apprentissage d'un jeoune ouvrier. Il s'en occupe avec beaucoup de soins et lui donne un saulaire dépassant même celui qui est généralement accordé en pareil cas.
§ 6. Propriétés.
(Mobilier et vêtements non compris)
Immeubles : acquis en partie avec l'aide de fonds provenant de l'héritage maternel et de l'épargne, et en partie à l'aide d'un emprunt de 1,900f 00 fait chez un négociant de la localité au taux de 4 1/2%............ 3809f 00
Habitation : Maison avec un grenier à foin et une écurie, 3,500f 00.
Immeubles ruraux. — Jardin (1 are) attenant à la maison, 241f 00; — champ (14 ares), 285f 00 — Total, 309f 00.
Argent............ 130f 00
L'ouvrier n'est pas parvenu jusqu'ici à réunir une somme assez importante pour être placée à intérêt. Les épargnes ont été employées à payer d'anciennes dettes et à embellir la maison. Le goût de l'épargne n'est pas três développé ; aucun des enfants ne s'est affilié à une mutualité scolaire. La femme aime à avoir chez elle une certaine somme qu'elle garde, 130f00.
ANIMAUX DOMESTIQUES, entretenus toute l'année............ 186f00
2 porcs achetés 25f 00, valeur moyenne pendant toute l'année, 160f 00; — 12 poules et 1 coq, valeur moyenne, 26f 00. — Total, 186f 00.
Matériel spécial des travaux et industries............ 104f50
1° Outils d'ardoisier. — 4 « rebaterets », 14f 00.
2° Outils servant à l'exploitation des champs et du jardin. — 2 scies, 5f 00 ; — 1 brouette, 14f 00; — 2 houes, 10f 00 ; — 2 haches, 9f 00; — 2 faux, 5f 00 ; — 2 scies à genêts, 3f 00 ; — 2 crocs, 5f 00 ; — 5 paniers, 6f 00. — Total, 57f 00.
3° Ustensiles servant à l'exploitation des porcs. — Fourneau pour cuire leur nourriture (cabouloir), 16f 00.
[142] 4° Ustensiles employés pour le blanchissage et les travaux de couture. — 2 petits cuviers, 8f 00 ; — 1 battoir. 1f 00; — 1 auge à laver, 2f 50; — 1 fer à repasser, 3f 00 ; — matériel de couture, 3f 00. — Total, 17f 50.
Valeur totale des propriétés............ 4,229f50
§ 7. Subventions.
Il existe dans la commune des droits d'usage et d'affouage. Il en sera spécialement question dans la troisième partie (§ 20 et 21).
Grâce au droit d'usage, la famille entretient gratuitement, durant une grande partie de l'année, ses deux porcs. Tous les matins, le porcher passe dans les rues du village, en sonnant du clairon, à ce signal, les ménagères font sortir les porcs des étables et les confient au gardien, qui s'en va, durant tout le jour, mener son troupeau dans les terres incultes.
Chaque famille qui use de ce droit paie au porcher la somme annuelle de 3f25 et contribue à lui fournir sa nourriture.
Le même droit existe pour les chêvres, mais la famille n'en profite pas.
Le droit d'affouage lui donne gratuitement un stère de bois par année. Il est fourni à l'état brut, l'affouager doit le faire appreter et transporter à ses frais.
L'usage existe aussi dans la locaulité de d'aller cueillir sur les bords des chemins l'herbe, pour la nourriture des lapins, des porcs, des chèvres. Au printemps, les pauvres vont ramasser des pissenlits dans les champs, pour en faire une salade très en honneur dans beaucoup de ménages.
L'écolage gratuit existe pour filles et garçons.
Le patron participe pour moitié aux cotisations de la cauisse de prévoyance et de la caisse de secours. Il a de ce chef versé cette année 34f 50 pour les deux ouvriers.
§ 8. Travaux et industries.
Travaux de l'ouvrier. — Le père de famille est « rebatteur », ce travail est le moins qualifié de l'industrie ardoisière. Il fait partie d'une brigade ou société, dont on verra plus loin l'organisation (§ 18).
[143] La firme qui occupe Donat est la plus ancienne du bassin ardoisier d'Herbeumont.
L'ouvrier travaille dans un petit atelier, appelé baraque, fermé et chauffé dans la mauvaise saison. Il a depuis un an un apprenti de seie ans qui travaille à ses côtés et sous sa surveillance. L'ouvrier donne aux feuilles de schiste la forme approximative d'un modèle commandé ; ainsi préparées, il les passe à son apprenti, qui achève de leur donner la forme exacte et définitive. L'apprenti n'a pas de salaire fixe ; son gain dépend du bon vouloir du maître, qui le proportionne, mais non d'une facon rigoureuse, à la recette du mois ; au début, il n'était même pas payé du tout, ce n'est qu'après trois mois d'apprentissage qu'une certaine somme lui a été allouée.
![Baraques de fendeurs et de rebatteurs [§8]](https://iiif.archivelab.org/iiif/lesouvriersdesde916sociuoft%24161/256,1319,1468,1167/full/0/default.jpg)
La journée de travail commence, durant toute l'année, à sept heures du matin et se termine à six heures et demie du soir, avec des intervalles de repos répartis de la manière suivante : une demi-heure à neuf heures, une heure et demie à midi, une demi-heure à trois heures et demie. Elle est donc de neuf heures, pour les ouvriers de la surface ; ceux qui travaillent à l'intérieur de la fosse cessent leur besogne à cinq heures et demie.
Le travail de nuit et le travail du dimanche sont inconnus dans l'industrie ardoisière.
[144] Les exploitants ne désirent pas que leurs ouvriers soient employés durant des journées plus longues et s'estiment heureux si les heures fixées sont bien remplies, ce qui n'est pas toujours le cans. Le travail cesse asse régulièrement aux heures indiquées, mais si un ouvrier quitte parfois avant le temps prescrit, on ne lui reproche pas trop sévèrement son manque de ponctualité.
L'ouvrier est payé d'après le nombre de pièces qu'il fabrique et en tenant compte du gain total de la brigade à laquelle il appartient (§ 18).
Le travail de l'ardoisière est l'occupation professionnelle et principale de Donat. Il s'y rend tous les matins, en franchissant à pied la lieue qui sépare le village du chantier. Il pourrait, comme les ouvriers d'autres exploitations, utiliser le chemin de fer pour une grande partie du trajet, mais il s'en abstient par économie. Celle-ci est de six francs par mois.
Comme tous ses compagnons de travail, il apporte sa nourriture, qui est consommée dans le petit atelier. Le soir il rentre chez lui vers sept heures et demie et ne se livre plus alors à aucune occupation.
A l'époque de la culture de la pomme de terre ou de l'ensemencement de ses petits champs, l'ouvrier et son fils quittent le chantier durant trois ou quatre jours à deux reprises différentes, pour vaquer à ces travaux des champs.
Travaux du fils. — Jean-Baptiste exerce comme le père le métier de rebatteur. Il est actuellement dans la force de l'age et surpasse son père en habileté.
Le travail du fils se fait das les mêmes conditions que celui du père, bien que dans des chantiers différents. Le fils n'a pas d'apprenti.
Travaux de la femme. — Adèle consacre la plus grande partie de ses journées aux soins du ménage. C'est elle aussi qui s'occupe plus particulièrement des petites industries accessoires dont l'énumération va suivre et qui constituent un appoint important au budget des recettes.
Travaux des enfants. — Marie a fréquenté jusqu'en juillet 1903 l'école ménagère ; elle en apprécie tous les avantages. Grâce à cette institution, elle a appris les premières notions de couture, elle se dispose à les étendre ; elle entrera prochainement en apprentissage chez une couturière de la localité.
Depuis le mois de juillet, elle est venue en aide à sa mere dans les différents travaux énumérés ci-dessous.
Les deux plus jeunes filles fréquentent encore l'école primaire et ne s'occupent d'aucun travail ; cependant, elles sont employées durant deux ou trois jours à la récolte des pommes de terre.
[145] Industries entreprises par la famille. — La culture du jardin et des deux champs, l'engraissement des porcs, l'élevage des poules, sont les seules industries entreprises par la famille. Notons encore qu'elle loue parfois une certaine étendue de genets qui procure la litière pour les porcs et du bois de chauffage.
1° Culture du jardin. — La famille retire de ce petit lopin de terre attenant à la maison presque tous les légumes qu'elle consomme. Tous les ménages d'ardoisiers possedent un jardinet voisin de l'habitation, mais ils ne savent pas le cultiver pour en retirer tout le profit possible. Cela tient à ce que l'ardoisier n'attache pas beaucoup de prix aux légumes, si ce n'est à la pomme de terre. Par contre, il est assez curieux de voir, dans la même localité, comment les employés du chemin de fer s'efforcent de faire produire de nombreux lègumes à ces coins de terre qui entourent leurs habitations. Ils en retirent un bénéfice double de celui qu'obtient l'ardoisier.
Le fumier des porcs et des poules sert d'engrais.
2° Engraissement de deux porcs. — Chaque année, Donat achète deux jeunes porcs qui lui coûtent de20 à 25f. Ils sont nourris et engraissés à l'aide de pommes de terre, de son et d'herbe que la femme va cueillir au printemps dans les fossés et sur le bord des chemins. Dès le mois de mars et jusqu'à l'arrière-saison, ces animaux vont chercher leur nourriture dans les terrains incultes et les bruyères, qui forment les pàturages communaux.
En janvier, un porc est vendu pour la boucherie et l'autre est abattu et destiné a la famille, à l'exception des deux gros jambons. Le lard et une partie de la viande sont salés et fumés pour être consommés pendant l'année.
3° Elevage des poules. — Toute l'année la famille entretient douze poules et un coq, que l'on nourrit au moyen d'avoine, de mais, d'orge. Les œufs sont consommés par les ouvriers.
4° Culture de la pomme de terre et de l'avoine. — Au printemps, l'ardoisier loue un ouvrier agricole qui conduit le fumier et laboure la terre. Toute la famille consacre ensuite deux ou trois jours pour la mise en terre de la pomme de terre et autant pour sa récolte. Il en est de même pour la culture de l'avoine.
Tous les autres travaux exigés pour la culture de la pomme de terre aux diférentes périodes de sa croissance sont confiés à la femme et à la fille aînée.
La femme consacre deux jours par année à battre en grange l'avoine récoltée.
[146] 5° Blanchissage et raccomodage. — Adèle passe une grande partie de ses journées à ces travaux, qu'elle fait avec beaucoup de soin. Si le linge est peu abondant et si les armoires ne sont pas très riches en vêtements, le tout est propre et bien rapiécé.
La mère et la fille tricotent dans les heures de loisir des bas pour la famille.
Mode d'existence de la famille
§ 9. Aliments et repas.
On fait, en toute saison, cinq repas par jour, mais l'ouvrier et son fils ne prennent part en famille qu'à celui du soir.
Donat fait pourtant son premier repas du matin en compagnie de son fils, vers cinq heures et demie. Il se compose de café au lait, avec du sucre, du pain et parfois du beurre. L'ouvrier ardoisier attauche une grande importance à la consommation du sucre, surtout dans ses vieux jours. Le même déjeuner est pris à sept heures par les autres membres de la famille.
A dix heures, la mère et la fille aînée font un deuxième repas, composé de café, lait et pain.
A midi, troisième repas, qui comprend uniquement des pommes de terre et du lard, très rarement une soupe.
A quatre heures, même collation qu'à dix heures.
Enfin, à sept heures, toute la famille prend un dernier repas, composé de pommes de terre frites au saindoux. Une soupe remplace parfois ce mets.
Les enfants qui fréquentent l'école emportent le matin et l'après-midi une tartine. Les deux ouvriers, en partant pour l'ardoisière, prennent dans un petit sac de toile les aliments qu'ils consommeront sur place : pain, lait, ufs à la saison, et parfois lard.
Dans chaque société il y a un jeune garçon nommé le fogeleur qui prépare les repas pour les ouvriers composant la brigade. Au centre du petit atelier se trouve un fourneau qui sert en même temps a la cuisson des aliments et au chauffage de la baraque.
A neuf heures et demie, l'ouvrier prend son deuxième repas : pain,[147]café au lait et œufs. A midi, il ajoute parfois à ce menu des pommes de terre. A trois heures et demie, il prend de nouveau du pain avec du café au lait et une confiture nommée poiret.
Donat et son fils sont d'une frugalité plus grande que celle de la plupart de leurs compagnons, qui ne mangent jamais leur pain sans beurre et sans confiture.
Une fois par semaine, le dimanche, la famille met le pot-au-feu, qui fournit la soupe grasse et le buf bouilli. Les légumes consommés par le ménage varient avec les saisons, saui la pomme de terre, qui est en usage durant toute l'année. La famille ne parailt pas apprécier beaucoup les autres légumes ; elle cultive cependant dans son petit jardin de la salade, des haricots, des choux, etc.
La bière est servie à de rares occasions, mais le père et le fils prennent assez régulièrement, le soir, en rentrant de l'ardoisière, un verre de genièvre.
§ 10. Habitation, mobilier et vêtements.
La maison, batie en pierres du pays, est située sur une des trois collines qui composent le village ; un petit jardin de 30 mètres carrés s'étend derrière. Construite au bord d'un chemin, elle se trouve au centre d'une agglomération d'habitations ouvrières, rangées parallèlement et formant presque une rue. L'habitation est saine et très bien entretenue, on cherche même à y introduire des améliorations dans la mesure des ressources. La propreté fait l'objet des soins spéciaux de la femme et de la fille aînée. Au rez-de-chaussée se trouve la cuisine, mesurant 3m70 de large, 4m20 de long et 2m70 de haut. Cette pièce, éclairée par une fenêtre, contient une cuisinière, un fourneau pour la cuisson des alimentsdestinés aux porcs, et quelques meubles. C'est là que se tient habituellement la famille.
On arrive à l'étage par un escalier assez étroit et raide. Là se trouve la chambre à coucher des parents et des deux plus jeunes enfants. Elle a les mêmes dimensions que la cuisine et est éclairée par deux fenêtres, elle est tapissée et ornée d'images et de photographies. Une porte s'ouvrant dans cette pièce donne accès à une mansarde assez étroite et peu confortable où se trouvent deux lits pour les deux aînés. Les parents songent à transformer la partie de l'habitation située au-dessus de l'écu[148]rie et inoccupée actuellement, en une pièce destinée à devenir la chambre à coucher des aînés.
Meubles. : simples, mais soignés............ 358f 50
1° Chambre à coucher des parents et des deux plus jeunes enfants. — 1 lit en chêne, 70f 00 ; — 1 lit en bois blanc, 10f 00; — 1 table en chêne, 17f 00 ; — 1 horloge enfermée dans une caisse en bois, 35f 00; — 1 poêle à charbon, 11f 00 ; — 6 chaises, 18f 00 ; — crucifix et statuettes, 5f 00 ; — gravures et encadrements, 7f 00; — rideaux des fenêtres, 2f 00; — matelas en plumes et couvertures de laine, 15f 00. — Total, 223f 00.
2° Chambre à coucher des deux aînés. — 1 lit en fer, 7f 00 ; — 1 bois de lit en hêtre (vieux), 5f 00 ; — literies, 30f 00. — Total, 42f 00.
3° Cuisine. — 1 table avec toile cirée, 11f 00 ; — 5 chaises, 15f 00 ; — armoire en chêne avec 2 tiroirs pour le linge et 2 compartiments pour la vaisselle, 50f 00 ; — 1 store, 6f 50 ; — 2 petits rideaux pour la fenêtre, 2f 00 ; — pendoirs pour habits, 3f 00; — 1 miroir, 1f 00. — Total, 88f 50.
4° Cave. — 2 paniers, 1f 00 ; — 1 bidon à pétrole, 2f 00 ; — 12 bouteilles vides, 2f 00. — Total, 5f 00.
Ustensiles: modestes, nais proprement entretenus............ 117f 55
1 cuisinière avec tuyaux, 25f 50 ; — 1 bac à charbon, 3f 00 ; — 2 marmites en fer, 7 00 ; — 2 casseroles, 4f 00 ; — 2 chaudrons, 4f 00 ; — 1 petit chaudron, 1f 50; — 1 marmite servant à faire bouillir l'eau (coquemar), 2f 00 ; — 1 bidon,2f 00 ; — 2 petites marmites, 2f 00 ; — 1 lanterne, 1f 80 ; — 1 moulin à café, 3f 00 ; — 1 réveil, 13f 00 ; — 1 lampe à pétrole, 3f 00 ; — 1 bougeoir, 1f 00 ; — 8 tasses à café, 4f 00; — 12 assiettes en faïence, 3f 00 ; — 3 soupières en terre cuite, 2f 00; — 2 assiettes en faïence, 2f 00 ; — 6 grands verres à bière, 1f 20 ; — 7 petits verres à liqueur, 1f 00; — 1 louche en étain, 1f 25 ; — 2 écumoires, 2f 00; — 4 tasses, 2f 00; — 12 fourchettes, 2f 00 ; — 12 cuillers en étain, 3f 00; — 1 gobe-mouches, 0f 80 ; — 2 paniers, 3f 00 ; — 3 pots de grès pour sel et saindoux, 2f 50 ; — livres de piété et dictionnaire Larousse, 15f 00. — Total,117f 55.
LINGE, évalué à............ 180f 00
Vêtements : Les habits sont simples, mais propres et bien rapiécés. Cependant on remarque une tendance, surtout chez les enfants, à rechercher les nouveautés de la mode. Je crois pouvoir attribuer ce fait au désir de rivaliser avec les enfants des agents de l'administration des chemins de fer, nombreux dans la localité, dont plusieurs arrivent des villes avec le goût de la toilette. Valeur, 598f 30.
VÊTEMENTS DU CHEF DE FAMILLE (137f 80).
2 casquettes, 3f 00 ; — 1 costume de dimanche en drap, 42f 00; — 2 blouses (sarraux), 16f 00 ; — 3 camisoles en laine, 6f 00 ; — 6 paires de chaussettes, 5f 00 ; — 1 paire de souliers de travail, 12f 00; — 1 paire de bottines, 13f 00 ; — 1 caleçon en laine, 2f 80 ; — 2 pantalons de travail, 4f 00; — 1 pantalon pour le dimanche, 4f 00 ; — 1 montre, 30f 00. — Total, 137f 80.
Vêtements de la femme (153f 00).
Évalués ensemble 123f 00; — bijoux : 1 paire de boucles d'oreilles en or, 15f 00; — 1 bagrue en or, 15f 00. — Total 153f 00.
[149]Vêtements du fils aîné (167f 50).
1 costume de dimanche en drap, 42f 00 ; — 2 vieux costumes de dimanche, évalués ensemble 5f 00 ; — 1 chapeau de feutre, 4f 50; — 1 casquette pour le dimanche, 2f 00 ; — 1 casquette de travail, 1f 00; — 1 vieux chapeau, 1f 00 ; 2 pantalons de travail, 10f 00 ; — 1 paire de bottines, 14f 00 ; — 1 paire de souliers de travail, 13f 00 ; — 6 paires de chaussettes, 5f 00 ; — 1 montre, 30f 00. — Total, 167f 50.
VÊTEMENTS DES TROIS FILLES (140f 00).
Évalués : pour la fille aînée, 80f 00 ; — pour les denx plus jeunes filles, 60f 00. — Total, 140f 00.
Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 1,254f 35
§ 11. Récréations.
Les récréautions en famille sont assez peu nombreuses.
Le fils aîné fait partie d'un cercle de jeunes gens institué dans le but de fournir à la jeunesse catholique de la localité des amusements moraux, des représentations dramatiques et musicales et des jeux. Le cercle possède une fanfare dont Jean-Baptiste est membre zélé. Cette année, à l'occusion du tirage au sort, Jean-Baptiste ayant été dispensé du service militaire, le père lui a acheté un trombone.
Environ une fois par mois, la fanfare du cercle fait une sortie, c'està-dire une promenade à travers le village, avec des haltes dans un certain nombre de cabarets.
En février 1904, lors du tirage au sort, la famille a célébré lexemption de ean-Baptiste par une série de six jours de fête. Les deux travailleurs n'ont pas été à l'ardoisière durant toute une semaine. De copieuses libations de genièvre et de bière marquèrent surtout ces réjouissances. La famille a fait à cette occasion une dépense d'une centaine de francs.
Les kermesses, ou fêtes communales, sont des festivités bruyantes. Il y en a quatre par an à B*** ; deux d'entre elles durent trois jours, pendant lesquels on chôme et on s'amuse. La famille marque ces jours par une nourriture plus abondante et plus recherchée, par une dépense plus forte chez les hommes pour la boisson et les autres amusements qui caractérisent ces fêtes (cirques, tirs, etc.).
Jadis les engagements de travail dans les ardoisières se renouvelaient aux mois de mars et de novembre ; c'était là, pour les ouvriers, un prétevxte de chômer durant deux ou trois jours et de se livrer à des excès[150]de boisson. Les engagements ne se font plus aujourd'hui à ces époques et avec cette régularité ; cependant les traditions de chomage et les excès qui les accompagnaient subsistent.
On a vu déjà comment la famille célère la fête de sainte Barbe.
Ainsi que l'indique le budget, les deux ouvriers font un usage asse considérable de tabac à fumer et à macher.
Histoire de la famille
§ 12. Phases principales de l'existence.
Donat est fils d'ardoisier, son grand-père fut gendarme sous le règne de Napoléon Ier.
Des l'âge de quatorze ans, Donat a commencé l'apprentissage de son métier, il s'est vraiment passionné pour ce travail. La grande majorité des ouvriers ardoisiers ont, du reste, pour leur profession ce même attachement. On en peut trouver l'explication dans ce fait que l'ardoisier jouit d'une liberté assez grande, gràce au régime des brigades presque autonomes et au caractère quasi familial de cette industrie.
De vingt à vingt-trois ans, Donat fit sôn service militaire dans un régiment d'infanterie. Il fut ordonnance d'un oficier durant la plus grande partie de son service. Il a conservé le meilleur souvenir de son passage sous les drapeaux.
A son arrivée à l'armée, il avait perdu tout le fruit de son instruction primaire, mais grâce à l'école du soir organisée au régiment, il possède actuellement une instruction qui lui permet d'écrire et de lire couramment.
Marié à l'âge de vingt-sept ans, avec une femme issue d'une famille nombreuse, il s'est vu obligé de travailler ferme pour parvenir à élever ses enfants et à s'assuer la propriété d'une habitation.
Sa femme — il le reconnait avec fierté — a été pour lui un précieux auxiliaire. Adèle est parvenue, par ses habitudes d'ordre et par ses bons conseils, à conserver à son mari l'amour du travail et l'a souvent éloigneé du cabaret.
Le ménage a été fort éprouvé par la maladie. Les enfants, dans leur prime jeunesse, furent souvent malades. Aujourd'hui la santé de la famille est bonne, sauf celle du père, qui de temps à autre laisse à désirer.
[151] Les deux ouvriers travaillent maintenant avec beaucoup de courage ; ils voient clairement leur situation sociale se relever, mais on peut regretter qu'ils n'aient pas davantage l'intention d'assurer l'avenir par l'épargne et la prévoyance. Les moyens qui sont à la disposition de la classe ouvrière sont cependant assez nombreux ; l'éducation fait encore défaut sur ce point, et il reste beaucoup à faire chez les ardoisiers du bassin d'Herbeumont au point de vue de l'instruction sociale. Le développement considérable des œuvres destinées au soulagement des travailleurs a été trop rapide pour pouvoir être complètement assimilé.
§ 13. Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille
Nous avons déjà mentionné les cdiverses institutions qui contribuent au bien-être des familles d'ardoisiers dans la région de B***. Il convient d'insister sur l'action bienfaisaunte de l'Eglise et du clergé. Celui-ci ne néglige rien pour conserver à l'ouvrier les consolations qu'il trouve dans la religion.
Depuis une année, des retraites ouvrières se tiennent à Arlon, cheflieu de la province. Un bon nombre d'ardoisiers prennent part à ces exercices de piété.
Ainsi qu'on se le rappelle, l'ardoisier est très attaché au culte de sainte Barbe. Au centre du bassin ardoisier d'Herbeumont s'élève une chapelle dédiée à la patronne des mineurs. Les ouvriers, en allant à leurs travaux et en en reveuant, s'arrêtent fréquemment près de ce sanctuaire pour réciter une prière ; jamais ils ne passent devant la chapelle sans se découvrir avec respect. Sur les chantiers, on remarque plusieurs statues de sainte Barbe.
Les propriétaires des ardoisières n'ont cessé, du reste, d'encourager la pratique de la religion, en donnant a leurs ouvriers tous les loisirs nécessaires pour qu'ils puissent prendre part aux fêtes et cérémonies religieuses.
Un article du règlement d'atelier défend sévèrement le blasphème sur les chantiers. Cette prescription est imposée avec fermeté, et, lorsque le besoin s'en fait sentir, est rappelée par voie d'affiches et même par des avertissements adressés personnellement aux ouvriers.
Le patronage le plus bienveillant est exercé par les exploitants. Depuis[152]fort longtemps ils s'occupent avec dévouement des maisons ouvrières, soit en prêtant l'argent nécessaire à leur construction,soit en faisant bàtir des habitations confortables et saines pour les louer à l'ouvrier qui ne parvient pas à acquérir un immeuble. La photographie ci-dessous représente un groupe de maisons construit par la famille propriétaire des ardoisières d'Herbeumont, à l'intention de ses ouvriers.
![Groupe de maisons ouvrières [§13]](https://iiif.archivelab.org/iiif/lesouvriersdesde916sociuoft%24170/376,919,1476,1159/full/0/default.jpg)
Une caisse de secours (§ 19), une bibliothèque, un économat, sont aussi mis au service des ouvriers par les exploitants.
Depuis près d'un siècle, l'industrie ardoisière du bassin d'Herbeumont n'a eu à supporter qu'une seule grève, et de minime importance.
En rachetant successivement aux anciens propriétaires diverses fosses de ce bassin industriel qui, isolées, ne pouvaient plus être exploitées faute de machines, le père des exploitants actuels avait coutume de conserver les vendeurs — la plupart ouvriers — à titre d'entrepreneurs de fabrication au mille. C'est ainsi que s'est perpétué ce mode d'exploitation si favorable à l'ouvrier.
Il arrive souvent que les brigades qui se sont engagées à entreprendre un travail se trouvent en présence de difficultés imprévues ; les exploitants, dans la plupart des cas, n'hésitent pas à donner une indemnité équitable qui assure aux ouvriers un salaire convenable.
[153] Depuis deux ans, une école industrielle est ouverte dans la localité de *° Un bon nombre de jeunes ardoisiers en suivent les cours, qui ne peuvent manquer de donner de bons résultats au point de vue du relèvement intellectuel de la classe ouvrière.
On trouvera plus loin (§ 19) les stàtuts de la caisse de prévoyance des mineurs de la province de Luxembourg, à laquelle tous les exploitants d'ardoisières sont affiliés.
Cette caisse assure une pension aux ouvriers victimes d'accidents, aux veuves et temporairement aux orphelins. Les industriels participants ont, depuis quelques années, augmenté leurs subventions pour assurer aussi une pension aux vieux ouvriers.
Les propriétaires des ardoisières d'Herbeumont se sont appliqués à ne pas laisser pénétrer parmi leurs ouvriers l'idée d'une caste séparée du reste de la population de la contrée, par des mœurs et des institutions diférentes. Constamment en contact avec la population du village dont la grande majorité est agricole, l'ouvrier ardoisier a conservé l'amour de la culture d'un champ et les autres qualités sociales des paysans.
La famille de Donat n'est pas parvenue à se rendre complètement propriétaire de son habitation, ni à s'affilier à une caisse de retraite et moins encore à prendre un carnet de caisse d'épargne. Cependant, par l'examen du budget, on se rendra compte que l'épargne et la prévoyance seraient facilement pratiquées par ce ménauge qui se libérerait rapidement de ses dettes. Des sommes considérables sont affectées à des dépenses inutiles et à de trop nombreux besoins factices. Les conférences, les journaux, les brochures, ne me paraissent pas des moyens suffisants pour faire l'éducation sociale d'un bon nombre de familles ouvrières. Les hommes d'euvres devraient approcher encore davantage l'ouvrier et lui démontrer, par des preuves tirées de l'examen de son budget, qu'il peut assurer sa vieillesse contre les mauvais jours qui ne manqueront pas de venir, s'il n'a pris des mesures préventives. Les propriétaires des ardoisières font de sérieux eforts dans ce sens, mais ils ne sont pas suffisamment secondés. L'ouvrier est malheureusement trop disposé à compter sur le secours de lÉtat.
Nous ne ferons que signaler tout le système de protection des travailleurs qui résulte des lois belges du 16 août 1887 (réglementation du paiement des salaires), du 15 décembre 1889 (travail des femmes et des enfants dans les établissements industriels), du 15 juin 1896 (règlements d'atelier), du 10 mars 1900 (contrat de travail), du 10 mai 1900 (pensions de vieillesse) et du 31 décembre 1903 (accidents du travail).
Éléments divers de la constitution sociale.
FAITS IMPORTANTS D'ORANISATION SOCALE. PARTICULARITÉS REMARQUABLES. APPRÉCIATIONS GÉNÉRALES ; CONCLUSIONS.
§ 17. COUP D'OEIL. SUR L'HISTOIRE ET L'EXPLOITATiON DES ARDOISIÈRES EN BELGIQUE
[165] L'exploitation du schiste ardoisier si abondant dans la province de Luxembourg remonte à une très haute antiquité. On peut admettre que les plus anciennes ardoisières sont celles de Villebeauroche, dans le bassin d'Herbeumont, que les moines d'Orval avaient fait ouvrir dans les gorges de ce nom.
Des documents historiques en font mention dès l'an 12002. On a retrouvé, à Herbeumont, dans les souterrains du château, détruit au XIe siècle, des ardoises, frustes et épaisses, mais bien conservées, qui appartiennent apparemment à une époque encore plus reculée.
D'anciennes chartes mentionnent les redevances dues aux comtes d'Herbeumont en échange du droit d'ectraire. La famille de ce nom (qui a encore des représentants en France et en Belgique) quitta les Ardennes vers l'an 1300.
Après avoir passé en d'autres mains3, la seigneurie d'Herbeumont échut aux princes de Lœvenstein. Les concessions accordées par ceux-ci, reoprésentés dans les actes par le bailli de Cugnon, stipulent, de 1672 à 1778, remise de la onzième ardoise et d'un chapon par fosse, et à dater du 31 mars 1783, de neuf livres pour chaque ouvrier, plus un chapon par fosse, livrable la veille de la Saint-Remy.
Ces obligations féodales, disparues avec 1789, ont été remplacées par une redevance annuelle en argent.
[166] Le premier document historique sur l'industrie ardoisière qui soit d'une réelle importance date de 1764 : c'est un recensement général des « fabriques, manufactures, crus et productions du duché de Luxembourg4. » Nous en extrairons tout ce qui concerne l'exploitation ardoisière.
Bureau de Cugnon. — Herbeumont. — 1° Il y a à Herbeumont, district du bureau de Cugnon, une ardoisière contenant quinze fosses, dont une d'icelles appartient aux religieux d'Orval, une autre aux moines de Saint-Hubert, la première a été donnée par la communauuté de Herbeumont et la seconde par la communauté de Bertry, les treize autres fosses appartiennent aux habitants.
2° On y tire et fabrique annuellement deux millions six cent mille ardoises de différentes classes, dont les fines sont du prix de 9 livres 10 sols, argent de France, et les secondes de 7 sols.
3° Lesdittes fosses ont été érigées, sçavoir : la première depuis quatrevingt-dix ans, la seconde depuis 1685 et les treize autres depuis un demisiècle.
4° Sans octroi.
5° Elles occupent toutes ensemble soixante-dix-huit ouvriers et partagent le produit par ensemble, ce qui les met à même d'être tous d'une même classe.
6° Les ardoises en provenant s'exportent partie en France et au duché de Bouillon par acquit à paiement de ce bureau et partie se répand dans la province par passavant, les moines en retirent une partie chez eux par certificats.
7° Les matières premières qui sont lesdites ardoises se tirent des dittes fosses.
8° Ces ardoises paient pour entrer dans la vieille France 2 livres 10 sols par voiture et au duché de Bouillon, 12 sols 3 deniers.
9° 1 n'y a point de pareilles ardoisières à portée sur les frontières dont celles-cy puissent leur servir de couverture à la fraude.
Département de Saint-Vith. — Bureau de Petit-Thier. — Salmchâteau. — Onze ardoisières.
[167] 1° Il y a à Salmchâteau onze carrières d'ardoises.
2° Les ardoises qu'on y tire et fabrique consistent en grandes voisines, moyennes voisines, petites voisines, communes, ardoises à paver, à mortier et charbins, dont le produit annuel desdites carrières ou ardoisières est évalué à 1,200 écus.
3° On y travaille depuis un temps immémorable.
4° Sans octroy.
5° Vingt-cinq ouvriers y sont continueollement occupés et gagnent 12 à 14 sous en toute saison.
6° Ces ardoises s'exportent en France, Allemagne, Angleterre, Hollande, Espagne, Italie et en tous pays, les plus fines se vendent à raison de 12 écus le cent, les unes à 5, les autres à 8 et 9 écus les cent.
7° La matière première se tire des ardoisières mêmes.
8° Lesdites ardoises ne sont assujetties à aucun droit chez les puissances étrangères lors de leur exportation.
9° La réponse à la demande de cet article n'a point lieu icy, attendu que dans les lieux frontières, il n'y a point de pareilles ardoisières.
Depuis ces temps reculés, l'industrie ardoisière a pris un assez grand développement. De 1841 à 1850, l'exportation moyenne était de 4,905,887 pièces. Les principaux sièges d'extraction sont ceux d'Herbeumont, de Varmifontaine, de Vielsalm et de Martelange.
En 1877, année où la production a atteint son apogée5, le nombre des sièges d'extraction exploités était de 51 à ciel ouvert et de 116 souterrains.
La prospérité des ardoisières belges, après avoir été très grande avec l'ouverture des chemins de fer, va en diminuant par suite de la concurrence des ardoises françaises de Fumay sur les marchés de la Belgique et sur les marchés voisins, également par suite de l'introduction de nouveaux systèmes de toitures (tuiles, zinc, etc.) et surtout à cause du tarif prohibitif edicté par l'Allemagne.
Les produits du groupe de Vielsalm se placent surtout en Prusse et dans l'intérieur du pays, ceux du groupe d'Herbeumont et de Varmifontaine s'écoulent principalement en Belgique aussi, dans les départements de l'est de la France, en Allemagne, dans le grand-duché de Luxembourg, en Angleterre et en Suisse.
[168] De nombreuses et importantes améliorations ont été apportées dans la plupart des sièges d'extraction, et le travail, qui se faisait d'une manière beaucoup trop primitive, s'est considérablement perfectionné. L'emploi des machines à vapeur, des roues hydrauliques, des turbines, etc., a remplaeé le travail humain si pénible, et de vastes installations ont été faites en vue de l'avenir.
De 1851 à 1860, le nombre d'ouvriers employés dans les ardoisières était en moyenne de 510 et la fabricaution de 21,923,500 ardoises, d'une valeur de plus de 400,000f aux fosses.
Pour l'année 1860, le placement des produits s'est effectué comme suit :
1° A l'étranger............ 11,000,000
2° Dans le nord de la Belgique............ 4,700,000
3° En Famenne et Condroz............ 4,600,000
4° Dans la province de Luxembourg............ 2,211,000
Total............ 22,511,000
Le tableau suivant donne, à tous les points de vue, la situation de l'industrie ardoisière, depuis 1861 jusqu'en 1887 inclusivement6.
Dans cette période de vingt-sept ans, le point culminant de la prospérité de l'industrie ardoisière a été atteint en 1877, la production s'est élevée alors à 41,195,000 pièces. Les prix ont augmenté jusqu'à cette année où la valeur totale de la production a atteint 1,631,000f. Depuis, l'extraction a été en diminuant, les prix de vente ont baissé dans une proportion presque identique.
Une augmentation de l'extraction et des prix s'est produite vers 1895 jusqu'en 1900, suivie d'une nouvelle baisse qui dure encore.
La concurrence des produits français, ainsi que les taxes prohibitives du ollverein allemand, ont beaucoup contribué à aggraver la situation déjà pénible de cette industrie. C'est ainsi que les exportations spéciales des ardoises du Luxembourg qui, pour les trois fntières allemande, française et grad-ducale, étaient de 11,161,420 pièces en 1871 et atteignaient jusqu'à dix-sept et dix-huit millions en 182 et 1873, étaient tombées à 9,221,696 dès 1887. D'autre part, les importations françaises se sont élevées de 27,500,000 pièces en 1871 à 48,860 000 pièces en 1887, après avoir atteint jusqu'à 53,000,000 en 1881[169]et en 1882, sans compter l'année 1876 où elles se sont élevées au chiffre de 65,000,000 pièces.

(1) Y compris les ardoises de provenance étrangère.
Les ardoisières de Fumay (France) sont dans une situation qui leur permet de lutter avantageusement avec les produits belges. Traversées par la ligne de l'Est et par la Meuse canalisée, elles peuvent opérer directement leurs chargements sur vagons ou sur bateaux, et bénéficient de la modicité des frais de transport par eau.
Le plus important des bassins ardoisiers belges est celui d'Herbeumont-Varmifontaine. Il n'est relié directement ni à l'intérieur du pays ni à l'Est français. Les frais de transport pour atteindre les voies ferrées et ceux de transbordement grèvent de 1f a 1 50 le mille d'ardoises.
Le traité de commerce du 31 octobre 1881, qui a réduit a 2f par mille le droit d'entrée en Belgique, a favorisé d'une manière considérable l'importation des ardoises françaises.
[170] Jusqu'au 1er août 1881, les produits belges avaient conservé leur entrée libre en Allemagne. de même que dans le grand-duché de Luxembourg, en vertu de l'article 36 de la convention dite « des Limites, » couclue entre la Belgique et la Hollande le 7 aout 1843. Cette disposition est ainsi conçue :
Art. 36. — « L'entrée et la sortie des ardoises, pièces d'ardoises brutes ou ouvrées, du sable, de la chaux, du plâtre, ou pierres à bàtir ou destinées à la construction et à l'entretien des routes, sont libres de tout droit de douane entre le grand-duché et la province de Luxembourg. »
Dès le 1er août 1881, les ardoises belges furent frappées par le Zollverein allemand d'un droit de 50 marbs par vagon de 10 tonnes. Ce droit fut porté à 150 marls (187f50) en 1885. C'est bien l'ardoise belge que l'Allemagne voulait frapper, car les ardoises anglaises et françaises arrivant par eau n'étaient imposées que d'un droit de 6f25 par tonne. En même temps elle prescrivait l'emploi exclusiif pour les édifices publics d'ardoises indigènes, frappant ainsi d'une façon redoutable les produits belges, qui avaient été employés depuis longtemps dans les bâtiments militaires de l'Alsace-Loraine.
Cependant, le gouvernement du grand-duché, pendant les années 1881 et suivantes, remboursait, fin d'année, aux consommateurs grands-ducaux le montant des droits percus sur les ardoises belges, accompagnées d'un certificat d'origine.
Cette situation cessa en 1885. Les industriels belges engagèrent un procès contre le gouvernement du grand-duché, procés qui a été abandonné. « On ne peut admettre, disaient avec raison les demandeurs, qu'une clause d'un traité de limites, de sa nature perpétuel, puisse être abrogée implicitement par une convention commerciale, et on ne peut reconnaltre que les considérations qui ont motivé la suppression de la loi belge du 6 juin 1839 s'appliquent également à la stipulation de faveur consacrée par ledit article 36. »
Pour échapper à cette action judiciaire devenue imminente, le gouvernement luxembourgeois eut sans doute recours à l'action diplomatique. A la séance du 18 mai 1888, le gouvernement belge soumettait à la Chambre des représentants un projet de loi déclarant que l'article 36 de la convention de 1843 cesserait de produire ses effets. Ce projet ne fut toutefois pas voté.
L'ardoise belge est d'une qualité très supérieure, surtout celle du bassin d'Herbeumont. Les gisements sont riches et nombreux.
Depuis quelques années, le gouveornement a pris diférentes mesur[171]res pour venir en aide aux exploitants : amélioration de la grande voirie, réduction de tarifs sur les chemins de fer de l'Etat, construction d'une voie ferrée qui desservira bientôt tout le bassin d'Herbeumont, en le raliant à lEst français eta l'intérieour du pays.
Cependant cette industrie soufre encore d'un grand malaise, dû aux facteurs déjè énumérés. De nombreux ouvriers, du bassin d'Herbeumont surtout, ont été obligés de s'expatrier. Et cependant on n'a rencontré qu'une grève sans importance.
On lit dans le rapport de la commission des matériaux indigèunes instituée par arrêtés ministériels en 1840, le passage suivant qui concerne spécialement les ardoisières d'Herbeumont : « A une lieue au sud de Bertrix, dans un vallon où coule le ruisseau d'Aise, qui se jette dans la Semois, à Mortehan (commune de Cugnon), et qui forme, sur une partie de son cours, la séparation entre les communes de Bertrix et d'Herbeumont, on trouve, sur la rive gauche de ce ruisseau, dans un bois domanial, le groupe des ardoisières les plus anciennes du pays et qui le seraient peut-être de l'univers, s'1l fallait, comme le soutiennent les habitants, en faire remonter l'origine à onze siècles. Elles sont aussi, sans contredit, les plus importantes de la Belgique, puisqu'elles peuvent aujourd'hui livrer au commerce 6,000,000 au moins d'ardoises par an.
« Ces ardoisières, au nombre de quatorze, placées les unes à côté des autres sur une ligne de 600 mètres de longueur, dont on peut diriger les travaux sur une étendue de plus de 12 hectares, sont ouvertes sur le même système de bancs ardoisiers, inclinés de 45° à 50° au sud, dont le plus important est celui qu'on nomme la Grand-Litrée, de 4 mètres à 5m50 d'épaisseur.
« M. Pierlot, propriétaire depuis longtemps de plusieurs de ces ardoisiéres, a compris qu'elles méritaient d'autres travaux que ceux qui avaient été exécutés par de simples ouvriers, dépourvus des moyens nécessaires pour les établir sur une plus grande échelle. »
Au début du XXe siècle, la famille Pierlot exploitait déjaè quelques fosses du bassin d'Herbeumont. L'essor de l'industrie ardoisière date de 1835 et il est dû à M. Auguste Pierlot-Gérard, qui y consacra sa vie. Il chercha des débouchés, établit les premières pompes mues par des roues hydrauliques, fit décréter et construire une route, organisa un roulage régulier vers diférents centres où il fit des dépôts, acquit et unifia les anciens travaux et les approfondit.
Jusqu'alors, l'épuisement des eaux se faisait à bras avec des pompes en bois, les ardoises quittaient les chantiers par des chemins de terre,[172]montagneux, presque impraticables, et longtemps la station de Namur (à 150 kilomètres) fut la plus proche.
La construction de la ligne du Grand-Luxembourg (1858) ouvrit une ère nouvelle à l'industrie ardoisière.
![Installations servant aux machines hydrauliques [notes annexes]](https://iiif.archivelab.org/iiif/lesouvriersdesde916sociuoft%24190/392,743,1460,1151/full/0/default.jpg)
Les ardoises se vendant plus facilement et à meilleurs prix, les successeurs de M. Pierlot-Gérard purent établir les travaux sur une plus grande échelle et améliorer les procédés d'exploitation. Ils perfectionnèrent les appareils d'exhaure et étendirent considérablement le marché des ardoises belges en Allemagne. Ils ont ajouté aux anciens travux une importante concession de 48 hectares.
La firme actuelle, propriétaire depuis 1894 de toutes les ardoisières d'Herbeumont, possède en propriété et en concession une étendue de 101 hectares 37 ares de sol, renfermant des richesses immenses.
Les tableaux ci-après, extraits du Recensement industriel de 1806, indiquent: le premier, en leur ensemble, le nombre, le personnel et la force motrice des entreprises ardoisières en Belgique ; le second, les mêmes données détaillées et par divisions d'entreprises.

![Tableau B. Nombre, personnel et force motrice des entreprises ardoisières et divisions d'entreprises en Belgique au 31 octobre 1896 (1) [notes annexes]](https://iiif.archivelab.org/iiif/lesouvriersdesde916sociuoft%24192/199,408,1826,2800/full/270/default.jpg)
![Tableau B. Nombre, personnel et force motrice des entreprises ardoisières et divisions d'entreprises en Belgique au 31 octobre 1896 (2) [notes annexes]](https://iiif.archivelab.org/iiif/lesouvriersdesde916sociuoft%24193/39,424,1826,2752/full/270/default.jpg)
![Exploitation des ardoisières. Fig. 1. Projection sur le plan de la veine [notes annexes]](https://iiif.archivelab.org/iiif/lesouvriersdesde916sociuoft%24194/311,464,1490,1384/full/0/default.jpg)

§ 18. SUR L'EXPLOITATION DES ARDOISIÈRES ET L'ORGANISATION DU TRAVAIL DANS LE BASSIN D HERBEUMONT
[173][174][175][176][177] Nature et caractères de la roche. — L'ardoise du bassin de la Semois est une roche appartenant à la catégorie des schistes. Elle se cauractérise par unfeuillete remarquable qui est d'ailleurs un clivage schisteux7et non une schistosité proprement dite, analogue, par exemple, à celle du terrain houiller.
Ce clivage schisteux est attribué à des compressions intenses, normales aux plans de clivage, auxquelles les schistes ont été soumis.
Les blocs frailchement extraits, possédant encore leur eau de caurrière, se divisent, se clivent avec une facilité remarquable, en feuillets plans d'une minceur pour ainsi dire illimitée, durs, sonores, à surface soyeuse, de couleur bleu-noiràtre, constellés de petits cubes brillants de pyrite8.
I. Mode d'exploitation. — Après s'être assuré de l'existence d'une veine9pouvant être exploitée sans trop de difficultés et apres les fouilles préalables, on creuse un puits (p. ., au plan ci-contre), suivant la ligne de plus grande pente et le plus souvent au mur de la veine10. A une certaine profondeur, et de distance en distance, on mène de part et d'autre du puits, des galeries horizontales (gg). De celles-ci, on descend dans la veine suivant sa ligne de plus grande pente, sur une longueur de 20 a 22 mètres, une largeur de 10 à 16 metres et une hauteur de 0n 80 a 1 mètre11(ainsi qu'il est représenté au plan ; fig. 1,[178]en c1 c2 c'1 c'2 ; fig. 2 en c1). On met ainsi à découvert sur une certaine surface un banc de la veine pour en permettre l'abatage. Cette opération s'appelle le craootage12.
« Un ouvrage étant craboté, le premier travail qui suit est le coupage de la pierre autour de la partie à extraire, dit M. Bonnardeaux. Lentaille s'enfonce jusqu'au premier joint rencontré.
« Le coupage se fait au moyen d'un pic léger à quatre faces se terminant en pointe effilée. »
Après l'abatage d'un bloc, vient le deoitageˉ, c'est-à-dire la distribution du bloe abattu dans la fosse en morceaux dits charges que le maeuvre transporte sur le dos, jusque dans la galerie de transport. Les débris servent à former le remblai (R. fig. 2), pour combler les vides dus à l'exploitation. On a soin de se ménager dans ce remblai un passage (a, fig. 2) vers la galerie de transport (g'). Dans celle-ci circulent sur rails des chariots qui sont remontés au jour par le plan incliné (p fig. 2) au moyen d'un chariot porteur.
Les figures 1 et 2 font voir en 01 02 03 0'1 0'2 une serie de chambres en exploitation et en c1 c2 c'1 c'2 une serie de chambres en préparatiôn, c'est à-dire une série de crabotages.
« Le creusement du rocher est la partie du métier d'ardoisier qui exige le plus d'habileté. C'estun art de savoir placer convenablement une mine, c'est-à-dire de savoir lui donner la direction et la profondeur voulue, de la placer en un point convenable pour produire l'effet voulu et de bien estimer la quantité de poudre nécessaire pour la résistance à vaincre.
Une mine de deux ou trois pieds de profondeur est déjà une grande ine ; d'un à un pied et demi, ce sera une petite mineˉ. Pour des dimensions moindres, on dit aun bouchon13. »
L'ardoisier d'Herbeumont se sert de poudre noire et de cartouches de dynamite pour ses travaux de mines. Il utilise l'épinglette en cuivre au lieu de celle de fer, qui présente un réel danger ; en efet, par le mouvement de torsion qu'il faut lui imprimer pour la retirer du trou de ine bourré, elle peut, lorsqu'elle touche un caillou, mettre le feu à la poudre.
[179] Les blocs extraits de la fosse arrivent à l'atelier, où on les dlvise en morceauux plus petits dits spartons, ayant une ou deux grandeurs d'ar
Les spartons sont ensuite, gràce au clivage qui caractérise la pierre, divisés, au moyen d'un gros ciseau, en pièces ayant l'épaisseur de deux à six paires d'ardoises. Cette opération constitue le cartelage.
Ces pièces sont alors divisées en feuillets d'épaisseur définitive, grâce encore au clivage. C'est ce qu'on appelle le fendage.
Vient enfin le rebattage, c'est-à-dire l'opération qui donne à l'ardoiee sa forme propre (rectangulaire, pentagonale, etc.).
Les produits finis sont mis en tas sur chantier.
Sans compter le travail préparatoire du mineur, la fabrication de l'ardoise exige donc en résumé six manutentions différentes : le coaupage, le deôitage, le partage, le spartage, le fendage et le rebattage. Les ouvriers faisant ces diverses opérations se nomment : coupers, debiteurs, parteurs d meuvre, sparteurs,fendeurs, reoatteurs.
Sauf les jeunes apprentis, tous les fendeurs savent faire le spartage et parois le rebatteur sait fendre l'ardoise ; mais la plupart des ouvriers du bassin ne s'exercent qu'à une seule spécialité. « A notre avis, dit M. Bonnardeaux, ils ont tort : ils devraient plutôt faire d'abord le travail du jour, soit de l'age de quinze à vingt ans ; celui du fond, de vingt aè trente-cinq ans, et après cet age, reprendre le travail de l'atelier. De cette maniére, ils conserveraient leur santé et la connaissance des diverses manutentions du métier leur serait avantageuse, car, avec les habitudes actuelles, il sufit du départ d'un ouvrier pour qu'il y ait interruption ou dérangement dans le travail de toute une brigade. Le fendeur surtout a tort de ne pas s'exercer à faire la taille de l'ardoise, ainsi que cela se pratique aux ardoisières françaises (Fumay). Le fendeur doit se tenir dans une position fatigante ; lorsqu'il sait faire la taille de l'ardoise, il peut faire cette dernière opération en se reposant. Je ne puis que m'associer à ces réflexions très justes de M. Bonnardeaux, qui u été exploitant d'ardoisières pendant plus de vingt ans.
III. Rémuneration du travail. — Le travail dans les ardoisières belges, à une ou deux exceptions près, s'effectue à l'entreprise. Si les ouvriers étaient occupés à la journée, les frais de revient dépasseraient notablement les prix de vente. Telle est l'affirmation des exploitants en Belgique. Ils appuient ce fait sur les considérations suivantes : d'abord, en vertu d'un principe général, l'ouvrier entrepreneur travaille plus et d'une façon plus intelligente que l'ouvrier à la journée; puis, sur[180]tout, l'irrégularité des gisements ardoisiers ne permet pas d'employer l'ouvrier à la journée. L'exploitant doit avoir fait son budget et doit continuellement se demander s'il faut exploiter ou abandonner telles parties du gisement, sil faut traverser ou contourner tel mauvais passage ; avec le travail à la journée, ce budget préalable et indispensable serait impossible à établir.
Les ouvriers s'associent généralement par brigades, nommées « sociétés, de quatre ou cinq hommes occupés, la moitié à extraire la pierre, l'autre moitié à fendre les ardoises ; ils s'adjoignent quatre ou cinq sousentrepreneurs, manuvres ou apprentis. A la fin de chaque mois, l'exploitant relève les ardoises fabriquées par chaque brigade et en fait le compte aux prix convenus, variant d'un ouvrage à l'autre, suivant la qualité de la pierre. On porte en déduction de ce total le salaire des sousentrepreneurs et journaliers, le compte du maréchal, la valeur de l'huile et de la poudre fournies.
Nous donnons ci-après un extrait d'un compte d'une sociéte, pour le mois de décembre 1903, société comprenant deux entrepreneurs et un nombre assez considérable de sous-entrepreneurs.... C'est à cette société qu'appartient l'ouvrier qui fait l'objet de cette monographie.
Ce mode de rémunération est fort ancien. On a essayé, sans grand succès, d'y substituer un autre système, celui du pesage, consistant en ceci : les ouvriers travaillent à la journée, mais on pèse à la sortie de la fosse la pierre extraite et on rémunère les ouvriers du fond selon la quantité de pierre extraite. Les ouvriers de la surface conservent dans ce procédé le paiement à la pièce.
![Compte de la société X et Y (décembre 1903) [notes annexes]](https://iiif.archivelab.org/iiif/lesouvriersdesde916sociuoft%24198/327,2284,1674,968/full/0/default.jpg)

[181] N. B. — Cette somme de 507f 10 devrait être payée par les entrepreneurs ; mais l'exploitant se charge de le faire lui-même, pour donner plus de facilité soit aux ouvriers employés par les entrepreneurs, soit à ceux-ci.
Il convient de noter, au point de vue particulier de l'ouvrier ici monographié, que le gain de 141f 75 pour un mois est tout à fait exceptionnel, il ne l'a atteint que parce qu'il a été très assidu au travail et que, de plus, les matériaux se sont présentés dans les conditions d'exploitation les plus favorables.
§ 19. SUR LES CONDITIONS DU TRAVAIL ET LES EUVRES OUVRIÈRES AUX GRANDES ARDOISIÈRES D'HERBEUMONT
L'exploitation à laquelle appartient Donat est dirigée, on sen souvient, par un chei, ou mieux par une famille, qui, depuis longtemps, 'est occupée de son personnel, tant au point de vue matériel qu'au point de vue moral. Plusieurs des institutions qui sont destinées à l'amélioration du sort de l'ouvrier ardoisier sont dues à son initiative.
Lorganisation du travail d'abord est telle que l'ouvrier conserve une grande indépendance.
Les institutions destinées a l'ouvrier appellent le concours dans une égale mesure du patron et de l'ouvrier.
I. — Contrat de travail.
[182] Le contrat de travail offre quelques particularités qui méritent d'être signalées et que révéle le règlement de l'entreprise. Il se fait par écrit signé par le directeur gérant et par l'ouvrier ou les ouvriers entrepreneurs agissant solidairement.
Les mesurages, comptages, et en général le relevé des éléments des comptes, se font en commun à l'expiration de chaque mois ; les parties intéressées sont tenues d'y concourir.
L'outillage est à la charge de l'ouvrier. Les fournitures de l'économat, celles que nécessite la pratique du métier (poudre, huile, explosifs, etc.) et les loyers des habitations ouvrières des patrons sont déduits des salaires. Les patrons font l'avance des coupages, qui leur sont remboursés au fur et à mesure de la jouissance.
Pour la livraison du travail effectué, les ardoises, chaque centaine étant indiquée par une marque de schiste et chaque mille comprenant vingt pièces de supplément, sont rangées sur les emplacements indiqués et de la manière prescrite par les préposés. En faisant cette mise en tas, les entrepreneurs sont réputés garantir le comptage exact et la façon irréprochable de leur fabrication, en raison même de la surveillance qu'ils doivent exercer sur celle-ci. Ils restent responsables de leurs ardoises fabriquées jusqu'après chargement ; ils doivent les charger quand ils en sont requis. S'ils viennent à quitter l'ouvrage, ils sont tenus de laisser vingt centimes par mille pour le chargement. Ils doivent remplacer immédiatement les ardoises qui, lors du chargement, se trouveraient cassées ou détériorées.
Sauf stipulation contraire, un marché n'est considéré comme terminé que lorsque la pierre est « remise en planche», les neuds rabattus, les débris transportés, en un mot, lorsque l'ouvrage est dans toutes les conditions voulues pour servir à un autre marché. Faute par les entrepreneurs d'observer cette obligation, la remise en état serait faite à leurs frais. Il en est de même du recouvrage et nettoyage des forages et crabottis.
Le règlement signale divers cas considérés comme de force majeure et qui suspendent ou résilient le marché au gré de l'une ou l'autre des parties, sans indemnité. Ce sont :
1° Le manque d'eau motrice, le défaut de machines motrices ou de machiniste ou de combustible.
2° Les dangers que viendrait à présenter l'exploitation.
3° L'invasion des eaux.
[183] 4° Un dérangement dans le service d'extraction.
L'esprit qui anime les chefs de cette entreprise se manifeste nettement dans l'article 9 du règlement, ainsi concu: « S'exposent au renvoi ou tout au moins à une amende qui pourra atteindre le cinquième du salaire journalier : 1° les ouvriers qui tiendraient des propos blasphématoires, irréligieux ou licencieux ; 2° ceux qui introduiraient ou consommeraient des liqueurs fortes sur les chantiers, dans les ateliers ou les travaux ; 3° ceux qui apposeraient sur nos propriétés des affiches ou documents quelconques ; 4° ceux qui s'affilieraient à un cercle ou parti révolutionnaire, tiendraient des propos ou répandraient des écrits ou publications révolutionnaires ou de nature à troubler la bonne entente entre les patrons et les travailleurs ; 5° ceux qui apporteraient sur les chantiers des journaux ou imprimés quelconques.
II. — Salaires.
On trouvera ci-dessous, dans les tableaux I et, les chiffres repris dans le recensement général des industries de 1896 ; ils concernent l'ensemble de l'industrie ardoisière en Belgique.


![Nombre d'ouvriers et ouvrières de plus de seize ans (hommes, total 780) ayant gagné par jour [notes annexes]](https://iiif.archivelab.org/iiif/lesouvriersdesde916sociuoft%24202/260,552,1686,648/full/0/default.jpg)
[184] 163 ouvriers de plus de seize ans ayant gagré par jour une somme dont le montant n'a pu être déterminé.
Les moyennes des salaires payés aux diférentes catégories d'ardoisiers par la irme qui occupe l'ouvrier objet de cette monographie, calculées de dix en dix ans, depuis 1851, ont été les suivantes :

Comme le montre ce tableau, les salaires se sont élevés dans des proportions notables depuis un demi-siècle. A cette augmentation correspond, pour l'ouvrier ardoisier, un relèvement très réel du bien-être se traduisant par une meilleure alimentation et la construction d'habitations plus confortables que jadis. Par contre, nous l'avons déjà dit, il reste encore beaucoup à faire pour amener l'ouvrier à la pratique de l'épargne et à la diminution de la consommation de l'alcool, qui absorbe des sommes considérables, comme le montre le budget de la famille.
III. — Protection du personnel.
Les ardoisières tombent sous l'application de la loi du 21 avril 1810 sur les mines, minières et carrières. A ce titre, la surveillance y est[185]exercée par les ingénieurs des mines. Un arrêté royal du 13 décembre 1895, réglant l'emploi des explosifs, leur est applicable.
Il suffira de rappeler que toute une série de lois et de règlements assurent la protection de l'ouvrier ardoisier14.
En 1901, le Conseil supérieur de l'industrie et du travail a été appelé à délibérer sur l'opportunité de modifications à apporter à l'arrêté royal du 15 mars 1893, qui stipule notamment en son article 4 que dans les ateliers de taille et de sculpture des produits bruts de la carrière, et ceci en vue de favoriser la création ainsi que la fréquentation de cours professionnels, la durée du travail efectif des enfants de douze à seize ans ne peut dépasser huit heures par jour.
La Commission médicale provinciale du Luxembourg belge, consultée par la députation permanente, s'est opposée à l'abrogation de cette limite. Son avis visant surtout l'industrie ardoisière, nous le reproduisons textuellement :
« Chez les ouvriers vivant dans une atmosphère chargée de poussières minérales, des particules plus ou moins ténues s'insinuent dans les bronches et pénètrent par effraction dans les vaisseaux et les tissus pulmonaires, pour déterminer une variété de l'afection connue sous le nom d'anthracosis.
« Dans les parties de la province où l'on exploite le schiste ardoisier, notamment à Herbeumont, Martelange et Varmifontaine, on rencontre fréquemment des sujets atteints de phtisie et d'emphysème pulmonaire, maladies qui évoluent sous l'influence de la cause signalée ci dessus et de l'abus des liqueurs alcooliques. Aujourd'hui que des efforts louahles sont tentés pour soustraire les populations aux ravages de la tuberculose et que les enfants de la classe laborieuse sont, de la part des pouvoirs publics, l'objet d'une protection spéciale, nous pensons qu'il ne doit pas en principe, être dérogé aux prescriptions de l'arrêté royal du 15 mars 1893, limitant à huit heures de durée effective le travail journalier des enfants de douze à seize ans occupés dans les ateliers de taille et de sculpture des produits bruts de la carrière.
Si dans l'intérêt de l'industrie, et pour procurer un supplément de ressources aux familles nécessiteuses, une exception était tolérée, elle devrait être seulement applicable aux enfants de quatorze à seize ans, pendant la période d'été, alors que les ateliers sont convenablement ventilés[186]et que même le travail en plein air est possible, ces enfants pourraient être assimilés aux ouvriers que concerne la prescription générale de l'article 3 et dont il est permis d'exiger dix heures de travail quotidien. »»
IV. — Rapports entre patrons et ouoriers.
Comme on l'a déjà constaté, le propriétaire de l'industrie exerce un patronage bienveillant et très efficace. Le caractère presque familial de cette industrie et son organisation favorisent ce patronage.
Il serait cependant à souhaiter que l'apprentissage fût mieux organisé. Il y aurait lieu de créer une école d'ardoisiers, qui serait aussi avantageuse au patron qu'à l'ouvrier. Elle augmenterait le nombre des bons ouvriers ; dès lors, le patron serait moins à la merci des mauvais travailleurs.
V. — Institutions economiques, caisses, etc., établies en faveur des ouvriers ardoisiers.
A. Caisse de prevoyance en faveur desouvriers ineurs et carriers de la prouince de ˉLuxembourg15. — Cette institution a été approuvée par arrêté royal du 27 janvier 1844, qui sanctionnait en même temps ses statuts. Elle est placée sous le régime de la loi du 28 mars 1868, qui détermine les conditions que doivent remplir les caisses communes de prévoyance en faveur des ouvriers mineurs pour être reconnues par le gouvernement et jouir des avantages de cette sanction.
Divers arrètés ultérieurs ont réorganisé le service.
Font partie de cette association, toutes les exploitations de mines, minieres et caurrières de la province de Luxembourg dont les proprietaires ont souscrit aux statuts.
Les fonds de la caisse se composent :
1. De l'avoir actuel de l'association.
2. D'une retenue de 3/4 % opérée sur les salaires des ouvriers.
3. Des subventions des exploitants égales à la retenue faite sur les salaires.
4. Des dotations et subsides de la province et du gouvernement.
5. Des dons, legs et donations d'objets mobiliers.
[187] La caisse commune accorde des pensions viagères ou temporaires (revisables chaque année et réglées en raison de l'état de la caisse) dans les cas suivants.
Une pension viagère est accordée :
a) A tout ouvrier devenu incapable de continuer son travail par suite de blessures reçues en travaillant dans une exploitation associée ;
b) Aux ouvriers ayant cinquantecinq ans d'âge et quarante ans de service dans les exploitations associées (pension de 50f comme vieil ouvrier) ;
c) Aux veuves des ouvriers qui ont péri par accident en travaillant à une exploitation associée ;
d) Aux père et mère, aïeul ou aïeule d'ouvriers qui ont péri par accident dans une exploitation associée, lorsque, hors d'état de s'entretenir eux-mêmes, ils n'avaient d'autre soutien que le défunt :
e) A de vieux ouvriers devenus infirmes par l'exercice de leur profession et qui ont été attachés pendant quinze ans au moins à des exploitations associées.
Une pension temporaire est accordée :
a) Aux enfants en bas âge d'une veuve dont le mari a péri par accident en travaillant dans une exploitation associée ;
b) Aux orphelins de père et de mère dont le père, dernier survivant, a péri par accident en travailant dans une exploitation associée ;
c) Aux jeunes frères et sœurs (jusqu'à douze ans, de l'ouvrier qui a péri par accident dans une exploitation associée, lorsqu'ils sont daus le besoin et que le déiunt était leur principal soutien.
Telle est, indiquée à grands traits, l'organisation de cette caisse.
Son avoir, qui était de 42,266f 88 au 1ee janvier 1902, se trouve porte au 14 avril 1904 à 44,026 77.
Le 1ef janvier 1902, le nombre des ouvriers participants était de859. I sélevait à 783 au 1ee janvier 1903.
Le rapport de la commission administrative donne, pour l'exercice de 1903, les détailsssuivants :
![Nombre d'exloitations associées [notes annexes]](https://iiif.archivelab.org/iiif/lesouvriersdesde916sociuoft%24205/176,2744,1414,388/full/0/default.jpg)
![Nombre d'ouvriers affliés [notes annexes]](https://iiif.archivelab.org/iiif/lesouvriersdesde916sociuoft%24206/288,464,1654,688/full/0/default.jpg)

![Détails des pensions et secours [versés par la caisse de prévoyance (notes annexes)]](https://iiif.archivelab.org/iiif/lesouvriersdesde916sociuoft%24206/326,2208,1630,984/full/0/default.jpg)
![Situation générale de la caisse [notes annexes]](https://iiif.archivelab.org/iiif/lesouvriersdesde916sociuoft%24207/175,480,1683,624/full/0/default.jpg)
[188][189] Le propriétaire des ardoisières d'Herbeumont a versé à la caisse de prévoyance, en 1902, la somme de 1,858f 58.
B. ˉCaisse particulière de secours. — Il y a, près de chaque exploitant associé à la caisse commune de prévoyance, une caisse particulière de secours, destinée à subvenir aux besoins des ouvriers blessés ou malades. Sont mis à la charge de cette cauisse les honoraires des médecins et chirurgiens, les médicaments et objets de pansement prescrits et les frais de sépulture des ouvriers décédés.
Cette caisse est entièrement distincte de la caisse commune de prévoyance. Elle est alimentée au moyen de retenues sur les saulaires et de cotisations des patrons s'élevant cumulativement a 1f 50 % de ces salaires, et incombant par parts égales aux ouvriers et aux patrons.
En 1903, les recettes de la caisse particulière de notre exploitant s'élevèrent a 2,808f 17.
L'administration de ces caisses est confiée à l'exploitant, assisté des contremaîtres et d'ouvriers de l'étaublissement.
C. Service de santé. — Tout ouvrier doit, soit lors du pauiement des salaires qui précêde le 1e janvier, soit en entrant dans les travaux, déclarer quel est, parmi les médecins agréés, celui qu'il choisit. Le praticien désigné par l'ouvrier s'engage à le soigner, lui et sa famille, et à lui fournir les médicaments nécessaires, moyennant 9f d'honoraires par an.
En juin, l'ouvrier peut choisir un autre médecin, si le premier désigné ne lui convient pas.
VI. — Habitations Ouvrières.
Depuis six ans, il existe dans l'arrondissement de Neufchâteau une société anonyme, dite la Maison ardennaise, qui bénéficie de diférentes lois ayant pour but de faciliter à l'ouvrier l'acquisition d'habitations a bonmarché. Il n'est pas possible d'entrer ici dans l'exposé même som[190]maire de cette partie de la législation sociale belge16; il suffira d'indiquer les résultats obtenus jusqu'ici par la Maison ardennaise, qui étend son activité dans les principaux centres d'exploitation ardoisière : Bertrix, Orgeo, Varmifontaine, IHerbeumont, Cugnon, Mortehan.
Le nombre de maisons achetées ou construites à l'intervention de cette société était de 455 au 1er janvier 1904 et le nombre de prets était de553.
L'estimation des immeubles est de 1,557,000f ; la somme restant due par les débiteurs hypothécaires est de 941,253f 31. Les assurances sur la vie portent sur 446 contrats pour un capital assuré de 841,390f. Le capital prêté sans assurance est de 76,000f.
L'avance de la caisse d'épargne est de 937,000f au taux de 3 e.. L'intérêt payé à la caisse d'épargne pour ses avances a été en 1903 de 24,a4ef83.
Pour la même année, les primes d'assurance-vie ont atteint37,029f 23 et le montant des mensualités payées par les emprunteurs a été de67,559f50.
En principe, les demandes de prêt sont accueillies avec assurance sur la vie et intérêts à 3 1/2. La prime d'assurance payee à la caisse d'épargne. augmentée de l'intérêt à 3,5 e. sur le capital prêté, donne le versement annuel des débiteurs.
Il y avait au 1er mai 1904, dans l'arrondissement de Neufchâteauu, soixante dix-huit ardoisiers affiliés à la Maison ardennaise et soixanteseize assurés. A B, vingt ouvriers sont affiliés à ladite sociéte et dixneuf sont assurés.
En octobre dernier, le comité de patronage de l'arrondissement de Neufchâteau adressait à M. le ministre de l'industrie et du travail diverses observations dont nous relèverons seulement les suivantes :
La réglementation et une surveillance active en matière d'hygiène s'imposent dans notre arrondissement. Le comité de patronage n'a pu jusqu'à ce jour s'occuper de cette partie de son programme et son intervention sans sanction n'aurait pu être qu'illusoire.
«La « Maison ardennaise a fait dresser une douzaine de plans et devis-types d'habitations ouvrières, conformes autant que possible aux [191] prescriptions du rapport de 1887. Le délégué de cette société est chargé de l'examen des plans et devis présentés par les affiliés et une surveillance est assurée des constructions et des maisons achetées à l'intervention de la société.
Les anciennes constructions laissent énormément à désirer au point de vue sanitaire ; les pièces trop basses et trop peu éclairées sont mal entretenues et les abords des habitations, souventsans lieux d'aisances et sans écoulement d'eau, présentent une situation presque inabordable.
« Les habitations de construction récente sont mieux aménagéee et mieux tenues sous tous les rapports.
« Des plans et devis-types simples, à compréhension facile et sur une feuille volante, devraient être répandus à profusion et suivis de conférences techniques, les connaissances de nos ouvriers étaunt, à ce point de vue, regrettablement réduites.
« Dans notre arronqdissement, l'emplacement devrait avoir une supercie d'au moins quatre ares, assurant une cour et un jardin suffisants.
« Les murs devraient être établis, pour éviter la gelée et l'humidité, sur fondations en maçonnerie hydraulique, d'au moins 080 sous sol. Une citerne, des lieux d'aisances et une porcherie devraient être annexés à l'habitation. Les toitures en chaume devraient être proscrites.
« Le climat, l'humidité du sol, les mauvais matériaux employés, notamment le schiste gélif et hygrométrique, réclament dans la région toutes les précautions sanitaires à concilier avec l'économie dans la dépense. Sous le rapport de la sécheresse, les anciennes constructions en bois sont peut-être à regretter. »
§ 20. SUR LES DROITS D'USAGE
Il serait trop long de traiter ce sujet d'une facon complète, quelques notes sommaires suffiront pour en donner une idée.
Au début de leur existence, les droits d'usage se sont exercés sans ordre ni méthode. Il y avait bien des règlements particuliers régissant le domaine forestier, mais ils étaient loin d'être suffisants. Mal observés du reste, ils variaient de village à village parfois ils visaient seulement les biens de tel seigneur, comme le réglement de la terre de Durbuy, du 2 avril 1572, parfois ils avaient été élaborés pour une forêt en particulier,[192]ailleurs ils ne contenaient que la reconnaissance pure et simple des droits d'usage d'une communauté dans une forêt déterminée.
Grâce à ce manque de règles ou au défaut de leur précision et de leur ixité, les forêts furent dévastées dès la fin du XVe siècle et au début du XVIe. Les pouvoirs publics, émus de cet état de choses, provoquèrent le célèbre édit du 14 septembre 1617. Par cet acte, les archiducs Albert et lsabelle réglementèrent d'une manière rationnelle la gestion de toutes les forêts de la province de Luxembourg.
Cet édit d'une grande importance constitue un vrai code forestier et tout un traité de sylviculture.
Son application rencontra une vive résistance auprès des populatlonse, qui ne voyaient pas que les forêts allaient à leur ruine par l'abus de l'essartage, du pàturage et par les coupes déréglées. Les archiducs se virent obligés de formuler de nouvelles prescriptions pour renforcer leur édit de 1617.
Sous leurs successeurs, cet édit fut publié à plusieurs reprises, avec injonction de s'y conformer. Suspendu durant l'occupation française après la capitulation de Luxembourg (juin 1684), il fut remplacé par l'ordonnance de 1669 qu'une déclaration de Louis XIV (9 avri1 1687) avait rendue obligatoire. Elle cessa elle-même d'avoir force de loi du moment où le Luxembourg rentra sous la domination de ses anciens souverains17.
Les améliorations nécessaires d'une part et la continuelle dévastation des forêts par les manants contraignirent Marie-Thérèse a porter une ordonnance (30 décembre 1754) pour renforcer les règles antérieures. Sommation est faite d'observer ladite ordonnance « en tout son contenu et del'étendre tant aux forêts domaniales qu'aux autres forêts, bois, haies et aisances des commune. »
Diférents décrets et règlements, interprétatifs de l'ordonnance de 1754, ayant les uns un cauractère administratif, les autres traitant des droits d'usage, furent portés en 1775, 1782, 1783, 1786 aet 1789, mais ne renfermant que des mesures de police, des dispositions pénales ou des règles de procédure, ils sont de peu d'intérêt ici. Cependant l'ordonnance du 20 juillet 1782 introduit dans la législation de l'époque un principe juridique nouveauu de la plus haute importance pour le rétablissement, la conservation et l'amélioration d'une[193]grande partie des bois et forêts du Luxembourg. C'est la suppression des droits d'usage à l'aide de cessions par les propriétaires aux communautés usagères, attribuant à celles-ci certains cantons déterminés des bois et forêts grevés pour en jouir comme des autres bois leur appartenant ; en d'autres termes, c'est le cantonnement des droits d'usage qui, à la faveur de la marche sans cesse progressive des institutions forestières belges, vint succéder, complètement organisé, au principe de l'aménagement de ces servitudes suivi et appliqué jusqu'alors.
De ce coup d'eil rapide sur l'ancienne législation du droit d'usage, il résulte qu'avant 1617 il n'existait pour les bois du Luxembourg que des règlements particuliers et des coutumes aussi nombreuses que variées. L'insuffisance et linobservation de ces règlements nécessitèrent l'édit du 14 septembre 1617 et celui du 30 décembre 1754, qui servent encore de base à l'exercice d'un grand nombre des droits d'usage dans la province de Luxembourg.
« Les droits d'usage, dit M. Orts18, faisant rapport sur le code forestier belge de 1854, ont été souvent la lèpre des forêts. Dès l'an 1579, les États généraux de France, rassemblés à Blois, en demandent, au nom de lintérêt public, la suppression. Une ordonnance de enri III t partiellement droit à leurs doléances.
« Le Conseil supérieur d'agriculture belge, en 1847, dressait contre eux un acte d'accusation en forme. Nous en transcrivons quelques lignes à titre de renseignements. Elles sont empruntées au rapport de M. Gihoul, ainsi coçu :
« L'examen de la question a de tout temps démontré que la plus grande cause de destruction des forêts était le pacage et le parcours. On comprend, en effet, que l'entretien, le repeuplement des bois qui s'opère par les semis naturels, ne peuvent prospérer et que les bois doivent être infailliblement détruits, quand on tolère le pacage des bestiaux qui piétinent et broutent les jeunes plants, mangent les bourgeons naissants dont ils sont plus friands que des meilleures herbes, et brisent les tiges contre lesquelles ils se frottent ou qui s'opposent à leur passage. En vain, dit Duhamel, prohibe-t-on l'entrée des bestiaux dans les bois avant qu'ils soient défensables ou dans les futaies, les bestiaux broutent le recrû et le jeune bois qui vient de semence et qui aurait pu produire de beauux brins. Ce qu'on pourrait faire de plus utile pour la conservation des bois, ajoute cet auteur, serait de ne jamais les déclarer défen [194] sables et d'en interdire toujours l'entrée au bétail, parce qu'il est impossible d'avoir de beaux taillis et de belles futaies avec une semblable servitude.
« Après les droits de pacage et de panage, qui sont sans contredit les plus nuisibles aux forêts, vient le droit d'affouage, ou droit de prendre le bois nécessaire aux usagers. Comme nous l'avons déjà dit, les conditions dans lesquelles se trouvaient les forêts à l'origine de ces droits sont bien changées ; la population s'est accrue considérablement, les bois ont beaucoup diminué en étendue et ont ainsi perdu leur grande richesse. Des abus sont venus se joindre à l'usage primitif : ces abus, longtemps tolérés, se sont changés en droits, et ces prétendus droits ont pris une extension telle qu'ils ont amené le déplorable état dans lequel se trouvent la plupart des forêts. On sait, par exemple, que les droits d'affouage et de marronnage accordent aux usagers seulement le bois nécessaire à leur chauffage et à la construction et réparation de leurs habitations. Cependant, il existe beaucoup de communes où la plupart des usagers vendent la totalité des bois qui leur sont délivrés, comptant sur le maraudage pour pourvoir à leur consommation, et il faut bien remarquer que le droit d'afiouage s'élève souvent jusqu'à cinq, six et sept cordes de bois. On voit que pour peu que ces usagers soient nombreux, il n'est pas dans le pays de foret qui puisse résister à une telle consommation, à de semblables abus.
« Ces renseignements et ces faits nous semblent suffire pour que l'on soit ceonvaincu des dégàts que doivent faire dans les forèts les droits de pacage et d'affouage. Le seul remède efficace à y apporter serait sans nul doute leur entière suppression.
« Mais d'autres considérations combattent cette mesure rigoureuse et plaident en faveur d'un tempérament, d'un moyen mixte, conservateur des forêts sans exclusion de droits ou d'usages dont la suppression immédiate causerait la ruine de ceux qui en ont joui junsqu'aujourd'hui.
« Au nom de l'agriculture, on ne peut donc qu'applaudir à la défense faite par l'article 81 (devenu l'art. 84 de la loi du 19 décembre 1854) de n'autoriser dorénavant aucune nouvelle concession de cette nature. »
Il serait sans doute intéressant d'exposer les principes du Code foresetier belge de 1854, en ce qui concerne les droits d'usage et en particulier les règles contenues aux titres VII et IX de ce Code, mais ce serait sortir du caudre de ce travail.
§ 21. SUR L'AFFOUAGE
[195] Le mot afouage tire son origine du bas latin appfoagium. Il sert a désigner la pratique qui consiste à délivrer aux habitants d'une commune du bois de chauffage dans les forêts de cette commune.
IH faut se garder de confondre l'apfouage avec l'usage. L'un est la conséquence d'un acte purementfacultatif, l'autre un droit. Celui-ci est une servitude qui découle de chartes, de titres de concessions, de traditions immémoriales passées dans le domaine des faits acquis et constitue une rente perpétuelle au profit de la communauté usagère, qui ne peut en jouir que dans les limites et pour des objets déterminés (art. 90, C. for. belge)
L'afouage n'a aucun caractère de servitude. La Cour de cassation de France, par arret du 7 mai 1829, ne laisse aucun doute à ce sujet : « Considérant que le droit d'affouage.... est exercé par les habitants sur un bois dont ils sont propriétaires ; que, par conséquent, il ne saurait constituer une servitude. C'est une consécration du principe qui veut que ceuxlà participent aux avantages communaux, qui sont soumis à l'acquit des charges des communes. Mais ce n'est point là un droit ; le tout est limité aux ressources budgétaires. Les communes sont maltresses absolues du produit de leurs coupes, elles décident, sous l'approbation de l'autorité provinciale, si elles doivent être délivrées en nature pour l'affouage des habitants, ou si elles doivent être vendues en partie ou en totalité ; ce droit leur est conféré par l'article 47 de la loi du 19 décembre 1854.
Depuis son origine, fort ancienne, l'afouage a subi des atteintes multiples. Autrefois, il comprenait la délivrance de bois de construction et d'agriculture, aujourd'hui, grâce aux besoins toujours croissants des communes, il est réduit presque partout au bois de chauffage.
Les produits de coupes communales, dit le rapporteur de la commission d'inspection forestiere, « se divisent d'habitude en deux parties : la première est vendue publiquement, au profit de la caisse communale, et la seconde est partagée entre les habitants.
« S'agit-il de futaies pleines ? Les corps d'arbres sont vendus et les cimes, ainsi que les branches, sont distribuées. S'agit-il de futaies com [196] posées ? Cest la futaie qui est vendue, et le taillis distribué. Dns les taillis simples, la plupart d'essence chêne pur, les communes vendent les écorces et distribuent le bois.
« Les coupes extraordinaires, nécessitées par les besoins sans cesse renaissants des communes, ont pour résultat de réduire partout l'affouage et même, parfois, de le supprimer. »
A de rares exceptions près, toutes les communes de la province de Luxembourg distribuent de l'affouage aux habitants. Cette distribution est précieuse surtout pour les cultivateurs qui, avec le bois de chauffage, trouvent aussi le bois de clôture, les piquets, etc.
Tel qu'il se pratique actuellement, l'affouage est régi par l'artiele 69 du Code forestier et le règlement provincial du 16 juillet 185819.
Pour être affouager il faut être chef de famille, habiter la commune ou section de commune propriétaire, y avoir son domicile et faire feu et ménage à part, depuis et y compris le 1e janvier de l'année précédente au moins. Les étrangers sont également admissibles au partage de l'affouage, s'ils réunissent les conditions énumérées ci-dessus.
Les frais inhérents à l'affouage sont : 1° les contributions ; 2° les frais de gardiennat et de gestion ; 3° les travaux d'entretien et d'amélioration à exécuter dans les bois. Ces frais sont couverts, soit par la vente d'une partie des produits de la coupe communale, soit par une taxe affouagère percue sur les ayants droit.
Suivant la statistique de 1885, les délivrances annuelles moyennes de bois d'affouage dans la province de Luxembourg peuvent être évaluées à la somme de 678,000f.
Le Gérant A. VILLECHÉNOUX.
Notes
1. Agon, colonel d'état-major, Essai sur les propriétés des terrains, d'après leur constitution geoloegique, passim.
2. Annales arcéolog. Luvemb., t. II, p. 16.
3. Histoire des communes luxembourgeoises, par Emile Tandel, f° 922.
4. Ce document est conservé aux archives de l'Etat à Arlon.
Il comprend trois départements : ceux de Luxembourg. de Marche et de Saint-Vih, et il est établi par bureaux ou controles.
Nous le copions textuellement et nous laissons subsister l'orthographe et toute la forme de l'original.
5. En 1876, un grand ouragan détruit de nombreuses toitures en Belgique et en France et nécessite une grande augmentation de la production ardoisière l'année suivante.
6. Ces chiffres sont empruntés à l'ouvrage de M. Hanno, secrétaire de la chambre de commerce d'Arlon, intitulé : ˉLe ˉLuxembourg Belge, industriel et commercial.
7. On donne à ce type de schiste le nom de phgdlades. Les phyllades du bassin de la Semois appartennent au Taunusien (Dévonien inférieur).
8. Ces pyrites d'un jaune brillant, bien cristallisées, ne sont pas susceptibles de s'altérer au contact de l'air.
9. Un certain nombre de banes de phyllade superposés, suffisamment exempts de grès ou de quartz, pouvant être exploités sans interruption, c'est-à-dire pouvant être divisés en feuillets, constitue ce que l'on nomme une veine (Note sur l'industrie ardoisière du bassin d'Herbeumont, par M. Ch. Bonnardeaux, ingénieur à Bouillon. Extrait de la ˉeoue uniuverselle des mines, ete., t XIX, 2e série, p. 23, 30e année. 1886).
10. Le mur de la veine est le banc inférieur à la couche exploitée et sur lequel e fait le creusage pour ouvrage en rehaussant (Cf. Ch. Bonnardeaux, op. cit.).
11. Ces dimensions sont variables, étant déterminées dans chaque cas par des conditions spéciales dépendant de la nature de la pierre.
12. Le crabotage, c'est l'ouverture deflanc qui se fait pour établir un ouvrage. Il a pour but de mettre une certaine surface de planche de pierre à découvert ; on dit craboter un ouvrage, faire un ouvrage.
Le crabotage, de même que le forage, se paie d'après la surface dégagée et vaut environ 12 francs par mètre (Cf. op. cit. de M. Ch. Bonnardeaux).
13. Cf T. Ch. Bonnardeaux. opn. cit.
14. Voir le Mineur du bassin de Mons, dans les Ouvriers des deux mondes, 3e serie, n° 9.
15. Cette institution devra s'harmoniser avec la nouvelle loi sur les accident du travail du 3l déceombre 1903.
16. Loi du 9 août 1889 relative aux habitations ouvrières et à l'institution daes comités de patronage ; loi du 30 juillet 1892 relative aux habitations ouvrières et aux sociétés de erédit ; loi du 18 juillet 1893 modifiant l'article 10 de la loi de 1889 ; loi du l6 août 1897 completant l'article 2 de la loi de 1889. — Voir à ce sujet : Baron Royer de Dour, ˉLes habitations ouvrieres en ˉelgique. Bruxelles, 1890 ; Léon Meerens, Étude pratiue sur les habitations ouorieres en ˉBelgique. Bruxelles. — V. aussi la ˉéforme sociale, 16 décembre 1891.
17. V. un arrêt de la Cour de cassation de Belgique du 31 décembre 833. — Pasicrisie belge p. 199.
18. Chambre des représentants Documents, page 528. Seance du 4 février 1852.
19. Excellent ouvrage à consulter : ˉLegislation de l'afouage, par M. Prat, chef de division au gouvernement provincial du Luxembourg. Arlon, 1862.