N° 92

FERMIER NORMAND DE JERSEY

OUVRIER TENANCIER

DANS LE SYSTÈME DES ENGAGEMENTS PERMANENTS

d'après

LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR PLACE EN 1882, 1895 ET 1896

PAR

M. FRANÇOIS ESCARD

Licencié en droit


Sommaire


Carte de Jersey [§1]
Carte de Jersey [§1].

Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille

Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

§ 1ᵉʳ. État du sol, de l'industrie et de la population.

[0][1] L'archipel des îles anglo-normandes, Jersey, Guernesey, Jethou, Herm, Sercq, Aurigny, est compris dans le triangle formé au nord-ouest de la France, par la presqu'ile du Cotentin et par les départements bretons dont les rivages se développent de Saint-Malo au Finistère. Détachées de l'ancien duché de Normandie (repris sur la Grande-Bretagne par Philippe-Auguste) à la suite de la mort de Richard, dont Jean sans Terre fut soupconné d'être l'auteur, elles restèrent fidèles à ce dernier, qui les combla de privilèges ( § 17). Elles en ont remercié les souverains de l'Angleterre, leurs suzerains, par un loyalisme persévérant ; mais leurs sympathies sont restées également tournées vers la France, qui entretient avec[2]elles de continuels rapports d'importation, d'exportation et d'immigration réciproques.

Jersey, la plus grande de ces îles, est reliée au continent par un service de transports qui la met à cinq heures de navigation de Saint-Brieuc, à trois heures de Saint-Malo, à deux heures de Granville, à quatrevingts minutes de Carteret. C'est la Malle royale anglaise qui, de Veymouth, en huit heures, porte les Anglais dans les îles de la Manche.

Dès que les paquebots sont près d'entrer dans les eaux de Saint-Hélier, apparaissent, et les maçonneries des « piers » qui encadrent le port du chef-lieu, plus haut, le faite du fort Régent, et de ci de là, les verdures des collines qui couvrent au nord la petite ville et soutiennent les terres inclinées de la paroisse Saint-Sauveur qu'habite la famille dont nous dressons ici la monographie.

Ce tableau, encadré entre le fort Régent à l'est et le château Elizabeth, qui surnage au milieu de la baie de Saint-Aubin, ne manque ni de grâce ni de majesté.

Jersey est tout entière penchée du nord au sud avec l'inclinaison d'une toiture de serre chaude ; si l'on ajoute que la douceur de l'atmosphère y provient tout à la fois du gulf-stream, dont une branche pénètre largement dans la Manche et de cette configuration du sol, on comprendra les expressions dithyrambiques des voyageurs : « C'est du printemps répandu, » a dit Victor Hugo ; et encore : « Un vase de fleurs, grand comme Londres, au milieu de la mer. » Aussi n'est-ce pas sans fierté que les almanachs de l'île proclament chaque année le calcul des heures de soleil dont Jersey bénéficie au-desssus du maximum des régions les plus favorisées du Royaume-Uni : pour l'année 1890, cette majoration a été de 274 heures, c'est-à-dire l'équivalent de près de 23 journées à 12 heures par jour. Le thermomêtre y descend rarement au-dessous de 49, et les eucalyptus, les palmiers et autres plantes tropicales y vivaient nombreux en pleine terre, il y a peu de temps encore, avant qu'un hiver plus rigoureux que d'habitude les eût clairsemés et efarouchés. Toute le n'en reste pas moins parée, aujourd'hui, d'une végétation à tous les points de vue admirable, qui empiète sur la ville en y pénétrant par de grandes avenues, et sur les habitations mêmes par mille petits parterres antérieurs, et qui déborde les murs de granit des fermes d'une brillante verdure feurie.

Un diluvium de terre meuble, dont la profondeur, inégale dans les divers districts de l'île, varie de 1 à 3 mètres, y repose sur une tranche épaisse stratifiée de schiste argileux, soulevé et, sur quelques points,[3]transformé par le passage et les expansions des roches éruptives (syénite et porphyre) qui en forment le soubassement. Ce sol, composé de silice et d'alumine, manque complètement de calcaire et ne contient aucun produit organique ; mais les cultivateurs de l'île trouvent dans le varech, engrais naturel et abondant auprès des rivages (§ 7), la substance la plus propre à les remplacer ; dans certains terrains, une couche de gravier sépare la roche granitiqne du sol arable ; dans d'autres, c'est une couche légère d'argile qui est interposée et retient l'humidité ; les premiers appartiennent aux districts de l'ouest, les seconds, dont fait partie la paroisse Saint-Sauveur, sont situés surtout dans l'est de l'île. Cest cette dernière région qui passe pour en être la plus riche et la plus productive, et la rente de la terre (§ 5) y est toujours plus élevée que dans les autres parties de Jersey.

La superficie totale de l'île est de 11,486 kilomètres caurrés, soit près de 12,000 hectares (28,717 acres), dont 7,433 hectares seulement étaient cultivés il y a une cinquantaine d'années (en 1842); la culture portait en 1880 sur 8,304 hectares ; elle s'est un peu augmentée vers l'ouest depuis

D'après le dernier recensement, publié en 1891, Jersey a 54,518 habitants, dont 24,965 hommes et 29,553 femmes (§ 26). La population de Saint-Hélier représente plus de la moitié de celle de toute l'île ; quant à la densité de la population dans son ensemble, elle est à peu près de 465 habitants par kilomètre carré, de 3,411 pour Saint-Hélier seul et pour le restant du territoire, de 203 habitants.

La principale occupation des Jersyais est l'agriculture et simultanément l'horticulture, sous mode intensif.

La moyenne des terres cultivées, occupées soit en faire-valoir par les propriétaires, soit en fermage, est de 6 à 8 hectares ; une diaine d'exploitations ont 20 hectares ou plus. Le prix moyen de vente de ces terres est de 6,000 fr. l'hectare ; certains biens atteignent cependant 11,000 fr., 13,000 fr., 15,000 fr. à l'hectare, ce qui peormet de porter la valeur minimum de lile, en biens ruraux, à une cinquantaine de millions. La location de la terre varie, selon les régions, de 400 fr. à 600 fr. l'hectare par année. Le capital d'exploitation nécessaire à un fermier est dans la proportion de 2,000 fr. à 3,000 fr. par hectare, avances et outillage compris. La production des pommes de terre de primeur, dont la plus grande partie est consommée en Angleterre, l'élevage et l'exploitation du bétail, la vente du lait et du beurre, sont les deux principaux aspects de la vie agricole à Jersey.

[4] Un hectare cultivé en pommes de terre hâtives donne un bénéfice de 500 à 600 fr. Une ferme de 10 hectares peut élever, en outre, de 12 à 15 vaches et leur progéniture, au moyen des plantes sarclées qu'on fait succéder en mai à la pomme de terre, et dont l'utilisation par ces animaux couvre les frais de culture de cette denrée. La vauche de Jersey donne, en moyenne, de 10 à 12 litres de lait par jour ; 18 litres de cet excellent lait procurent 1 kilogramme de beurre, dont le prix marchand est de 3 fr. à 4 fr. Aussila vente de ces précieuses laitières et beurrières ( § 8) est-elle une occasion de richesse pour les éleveurs ; elles atteignent dans l'île les prix de 400 fr., 600 r., 900 fr., 1,200 r., 1,500 fr. ; des jersyaises exportées en Amérique ont été payées 1,800 fr. et 2,000 fr. ; une vache et son veau vendus ensemble pour les États-Unis, il y a une quinzaine d'années, furent payés 2,750 fr. Les prix ont un peu baissé depuis, les demandes de vaches étant devenues un peu moins nombreuses de l'autre côté de l'Atlantique, où l'on en a sans doute exploité la reproduction1.

Une loi des États, en date de l'année 1884, a interdit l'introduction, dans les îles de la Manche, de tout spécimen de l'espèce bovine étranger à la race insulaire ; toute tête de bétail introduite malgré ces prescriptions est abattue pour la boucherie ; la plus grande partie de la viande destinée à l'alimentation y vient d'ailleurs de France.

Depuis 1866 a été établi à Jersey un Herdbool sur lequel sont inscrits, à la présentation des propriétaires et après examen par juges compétents, les sujets, vaches, génisses et taureaux réunissant les qualités, en points et demi-points, de cette a échelle de perfection n dont les journaux et les almanachs publient chaque année le tableau. Les éleveurs dont les produits ont les qualités voulues pour figurer dans ce livre en profitent pour tenir haut leurs prix de vente dans les exhibitions des Îles et les marchés du continent2. Jersey possède une Société royale d'agriculture et d'horticulture, siégeant à Saint-Hélier ; pour les autres paroisses sont institués aussi des comices locaux, complètement indépendants de la Société royale.

L'île de Jersey est divisée en douze paroisses ou communes, d'étendue fTort inégale, car ce n'est pas la quantité de population de chacune d'elles[5]qui en a déterminé les limites ; pour la plupart, en efet, ces délimitations datent des temps les plus anciens, et, comme les noms qu'elles portent, sont d'origine catholique (§ 20).

La paroisse de Saint-Sauveur, qu'habite la famille que nous allons étudier, n'est que la septième en étendue des douze paroisses de l'île, quoiqu'elle en soit la plus peuplée (454 habitants par kilomètre carré), après le chef-lieu, qu'elle avoisine au nord-est ; une partie des hauteurs qui couronnent Saint-Hélier appartiennent à Saint-Sauveur, et l'Éecole de marine, le Scolariat et l'Observatoire que les Pères de la Société de Jésus, expulsés de F'rance, ont fait élever sur le bord du plateau, sont sur la limite des deux paroisses.

Saint-Sauveur, situé dans l'est de Jersey, est une des paroisses les plus prospères de l'île. Son conseil paroissial, ou municipal, a pu consacrer à la reconstruction de la salle paroissiale, c'est-à-dire communale, en 1890, la somme de 112,000 r. (4,500 livres sterl.), obtenue par une simple majoration volontaire de la taxation annuelle ou rat (§ 19), fait qui dénote l'augmentation notable de la richesse générale dans cette paroisse, comme de celle de toute l'île, d'ailleurs. Son assemblée paroissiaule est composée de 78 membres, dits principaux ; les 78 principaux de la paroisse Saint-Sauveur sont ceux de ses habitants qui se trouvent taxés sur 40,000 fr. de propriétés mobilieres et immobilières.

Voici la marche ascendante que la population de Saint-Sauveur a suivie depuis cinquante ans :

Évolution de la population de Saint-Sauveur de 1841 à 1891 (§1)
Évolution de la population de Saint-Sauveur de 1841 à 1891 (§1).

Saint-Sauveur a, comme chacune des autres paroisses, un de ses côtés sur la mer (§ 21). La superficie de son territoire est de (2,296 acres) 918 hectares, répartis en fermes et petites cultures de moyenne étendue, mais dont un travail intensif et des amendements riches tirent des revenus considérables, conformément au type de foyer ci-après décrit en détail.

§ 2. État civil de la famille.

[6] Le ménage est composé de dix personnes : cinq membres de la famille et cinq domestiques :

1.PHILIPPE O., marié depuis 15 ans, né à la Francheville, par. St-Sauveur............ 36ans.

2.LOUISE C., sa femme, née à Saint-Hélier............ 34 —

3.FRANCK O., leur premier fils............ 14 —

4.FLORENCE O., leur première fille............ 7 —

5.MARIE C., mère de la femme, née à Coutances (Manche)............ 60 —

6.AUGUSTE, journalier, dans la famille depuis cinq ans, marié, né dans la Mayenne............ 49 —

7.FRANÇOIS, 1er valet, domestique depuis trois ans, né dans la Manche............ 45 —

8.JEAN, 2e valet, domestique depuis trois ans, né dans la Manche............ 43 —

9.BENJAMIN, garçon, domestique depuis un an, né dans la Bretagne............ 14 —

10.MARIE, servante depuis six mois, née dans la Bretagne............ 27 —

La famille a perdu deux enfants en bas âge : le premier, né après Franck, le deuxième, après Florence.

Le père de Philippe O. a eu neuf enfants, dont cinq vivent encore : Philippe ; une fille mariée dans une ferme, « Le Boulivot, » intermédiaire entre « Le Tapon, » que cultive Philippe, et « La Francheville, » que fait travailler sa mère ; une autre fille, mariée aussi à un fermier, « sur Saint-Ouen, » dans l'ouest de Jersey; une troisième fille, veuve et remariée, tenant taverne aux Cinq-Chênes, sur la paroisse de Saint-Sauveur, et dont deux fils de son premier mariage vivent à La Francheville avec leur grand'mère et leur jeune tante, qui est le cinquième enfant survivant. Ces quatre maisons d'une même souche, ainsi reliées par le voisinage et d'excellentes relations familiales, forment pour ainsi dire une petite tribu « sur » Saint-Sauveur.

§ 3. Religion et habitudes morales.

La famille O. fait profession d'appartenir à la religion catholique romaine, dont elle accomplit régulièrement les pratiques, les maintenant par son exemple dans tout son personnel domestique.

Elle occupe un banc à l'église Saint-Thomas, à Saint-Hélier, dans le premier rang de bas-côté, et se soumet de ce fait à une contribution très importante de 25 fr. par personne, réduite a 100 fr. pour le banc entier,[7]qui comprend cinq places. Elle n'en doit pas moins verser au recteur anglican la dîme sur le blé qu'elle produit, à raison de 6 fr. par vergée. Sur les vergées cultivées chaque année, les cultivateurs de Jersey ont pris l'habitude de n'accuser qu'une partie de la récolte, considérant que cette imposition est entachée d'injustice, malgré son caractère officiel, attendu que les membres du culte orthodoxe sont la minorité à Jersey3.

Philippe O. sait lire, écrire, parler également anglais et français, cette dernière langue avec l'accent normand très prononcé. Sa femme et sa belle-mère ont reçu une éducation analogue, mais n'ont pas conservé l'accent d'origine.

Le fils, Franck, allait à l'école, il y a deux ans, chez les Frères des Écoles chrétiennes, établis dans le périmètre de l'église Saint-Thomas par les Pères Oblats de M. . Depuis un an il prend ses leçons n dans le quartier de la Colomberie (nord-est de Saint-Hélier), à l'école d'un maître particulier, où il se rend deux fois par jour avec d'autres éleves.

Jusqu'à la présente année, Florence allait à la ville, chez les sœurs de Saint-André ; une école catholique rurale récemment créée sur la paroisse de Grouville, au voisinage du Tapon (à 20 minutes), a paru plus commode à la famille, et la fillette s'y rend avec quelques autres enfants deux fois par jour, de neuf heures à midi et d'une heure et demie à quatre heures et demie. L'hiver elle retournera sans doute à la ville, externe également, mais sera conduite et ramenée, comme l'an dernier, avec le va-et-vient de la voiture à lait.

Toute la famille est d'un naturel doux et bienveillant ; les enfants sont élevés avec grande affection, et le personnel domestique est traité avec une sorte d'amitié confiante ; la mère aime à se flatter que ses a employés sont supérieurement nourris par ses soins (§ 9). Elle se consacre à ses occupations intérieures, s'occupant peu depuis quelque temps des autres travaux de la ferme qu'elle affectionnait au début de son mariage.

Son mari, d'un esprit entreprenant et habile en affaires, aime à dissimuler ses succès et semble craindre de paraître réussir, mais se risque bravement et manifestement quand cela lui parait utile ; il pense en ce moment à devenir acquéreur de la terre qu'il tient en fermage (§ 5,6,7 et 8),[8]et d'autre part, il étudie le projet de tenter sur le continent, dans le département voisin, la Manche, pays d'origine de sa famille, l'élevage en grand du bétail, en vue d'alimenter en partie Jersey de viande de boucherie ; un certain aléa dans les entreprises n'est pas pour l'efirayer ; pour augmenter son outillage agricole, il a contraceté hardiment, antérieurement à la présente année, un emprunt qu'il achèvera de solder cette année même ; il élève dix génisses qui lui rapportent seulement de la fumure jusqu'à présent, mais dont il espère une majoration de valeur importante dans une vente prochaine.

Réglé d'ailleurs dans toutes ses habitudes, ne prenant guère d'autres récréations que celles que nécessitent les rapports de famille ou de travail, Philippe O. est tout à ses entreprises ; il ne fréquente jamais d'auberge ou de bar, si ce n'est en voyage, et avec une grande retenue ; ne fume que par exception, et n'autorise chez lui l'usage de spiritueux que tout à fait exceptionnellement, cela dans un double sentiment de prudence inspiré par l'économie et le soin de sa santé.

Philippe O. est fermier de la même terre depuis quinze ans ; il s'y était établi en se mariant, du vivant de son père, mort il y a dix ans, et qui l'y aida jusqu'à la fin, de ses conseils et de son expérience (§ 12).

§ 4. Hygiène et service de santé.

Le père de famille, plein de vigueur et d'un abord gai et ouvert, est laborieux sans effort.

La femme, au contraire, se fatigue vite, et des travaux trop prolongés l'obligent parfois à d'assez longs repos.

Sa mère parait jouir d'une excellente santé, malgré son âge et la vie très sédentaire dont elle s'écarte seulement pour les petits travaux de surveillance du potager et de la basse-cour.

Aucun des enfants n'a été élevé au sein, mais au biberon : Franck jusqu'à cinq ans, puis mis à la soupe. Il a gagné à ce régime et à l'habitude de participer aux travaux de la ferme une robustesse qui ne fera que s'accroître, semble-t-il.

Florence a pris le lait de vache jusqu'à trois ans, aussi est-elle un peu délicate, comme sa mère.

Le climat de Jersey, quoique humide et chaud, gràce à l'influence du gulf-streanm, est sain. De grandes marées viennent fréquemment balayer[9]les brouillards du nord, et assainir l'atmosphère; toutefois les refroidissements y sont à craindre ; les rhumes et les rhumatismes y ont appelé depuis longtemps un grand nombre de médecins requis d'ailleurs ì propos du moindre accident ou « inquiétude ». C'est par les chirurgiens que se font le plus grand nombre d'accouchements, l'amour-propre entrant peut-être pour une part dans cette préférence. On signale d'assez nombreux cas de cancer, surtout chez les femmes. Le croup des enfants y est soigné par l'application du systeme Roux.

§ 5. Rang de la famille.

Philippe O. est fermier à rente, c'est-à-dire locataire d'une terre, au loyer de 6,000 fr. par année. Taxé il y a trois ans à dix quartiers (§ 19), il s'est vu menacé cette année de voir monter sa cote de contributions (ràt) de dix quartiers à vingt-cinq. Il a su réclamer à temps contre cette majoration, motivée par l'augmentation connue de sa fortune, en arguant de la dette contractée par lui pour l'amélioration et l'augmentation de son matériel agricole et l'achat du mobilier de son salon.

La terre qu'il cultive appartient à Mlle X., qui habite, sur la paroisse de Saint-Sauveur, une belle maison bourgeoise à mi-chemin du Tapon à Saint-Hélier. Sans descendants directs, n'ayant qu'un petit-neveu qui ne semble pas disposé à s'adonner à la vie de gentleman-farmer, cette dame vendrait volontiers sa terre et de préférence à Philippe O. Après la mort de Mlle X, les revenus de la ferme appartiendront pendant un an et un jour « au seigneur » sur le fief duquel elle est située et qui se trouve être la Reine, c'est-à-dire la Couronne (§ 25) ; mais cette terre est libre de toutes dettes, les droits des copropriétaires ou propriétaires antérieurs ayant été rachetés par « la Demoiselle. » Si Philippe O. réalisait ce projet d'achat, qui lui garantirait une plus grande sécurité que tout autre emploi de ses épargnes, sa famille cesserait de pratiquer l'instabilité qui a porté son père et ses beaux-parents à quitter leur pays natal, et elle entrerait de plain-pied dans cette bourgeoisie rurale qui est la caractéristique des îles anglaises de la Manche. — Pour arriver à la propriété de la ferme qu'il exploite, Philippe O. aura le choix entre deu moyens tout à fait à sa portée : le recours au crédit agricole, qui va à Jersey jusqu'à des limites extraordinaires, jusqu'à la possibilité pour les cultivateurs d'émettre leur propre papier-monnaie (§ 28) ; ou bien l'achat direct, par un « bail à fin d'héritage » à rente rachetable, au propriétaire[10]actuel (§ 27) ; la liberté testamentaire qui est le droit régnant à Jersey, ainsi que la coutume du droit d'ainesse qui y subsiste, lui permettront de le transmettre intégralement à son fils aîné (§ 25). En outre, il n'aurait à racheter ni rentes ni hypothèques d'aucune sorte, la Demoiselle ayant acquitté toutes créances ou reprises dont Le Tapon aurait pu être chargé.

§ 6. Propriétés.

(Mobilier et vêtements non compris)

Immeubles............ 0f 00

Philippe O. tient en location une ferme de soixante vergées (11 hectares à peu près)4avec maison d'habitation et bâtiments d'exploitation, ceux-ci en partie renouvelés il y a huit ans. La maison, refaite en totalité à la même date, est évaluée 35,000 fr. ; le prix total de la ferme peut être de 60,000 à 70,000 fr., à raison de 5 à 6,000 fr. l'hectare, et de 1,000 a 1,200 fr. la vergée. Le locataire paie un fermage ou rente de 6,000 fr. par an ou 500 fr. par hectare. Il n'a aucune propriété immobilière.

ARGENT ET VALEURS............ 10,075f 00

Valeur d'un prêt hypothécaire, 7,000f 00; — une obligation du Canal de Panama, achetée en vue des lots. Cette valeur, qui donne lieu à quatre tirages par an (236 lots d'un total de 2,200,000f 00), sera remboursable à 400f 00 par tirages successifs de 93 à 987; valeur, 75f 00; — 5 obligations du Crédit foncier de France 1891. L'achat fait en même temps que cinq autres obligations pour toute la famille, a été réparti dans la proportion d'une obligation pour chaque membre du Tapon et de La Francheville ; valeur, 2,000f 00; — 2 obligations Communales 5 %, 1879. Ces valeurs viennent de la femme, qui les a eues en dot. Philippe O. a manifesté à plusieurs reprises l'intention de les employer en assuranees sur la vie qui pourraient être établies sur la tête ou des parents ou des enfants. Sa femme a refusé de les voir transformer de la sorte. En se mariant, elle possédait du chef de ses parents l'équivalent en un titre de rente française qui a été échangé depuis, malgré des difficultés que semblait « avoir préparées » le beau-père. La femme ne veut plus maintenant acquiescer à toute autre transformation de sa dot. Valeur, 1,000f 00. — Total, 10,075f 00.

ANIMAUX DOMESTIQUES entretenus toute l'année............ 8,960f 00

4 vachnes laitières, 7,000f 00; — 10 génisses, 1,000f 00; — 1 taureau, 450f 00 ; — 2 juments, 440f 00; — 1 truie, 60f 00; — 1 mouton, 10f 00 ; — 2 chiens (pour mémoire). — Total, 8,960f 00.

ANIMAUX DOMESTIQUES entretenus une partie de l'année............ 2,344f 00

[11] 2 pouliches, 300f 00; — 4 génisses vendues à livrer (300, 405, 450 et 500f 00), 1,655f 00; — 6 veaux, 320f 00 ;— 36 poules et poulets, 4 dindons et 20 lapins, 69f 00. — Total, 2,344f 00.

Matériel spécial des travaux et industries............ 1,302f 70

1° Pour l'exploitation des terres. — 1 chariot à quatre roues, 315f 00 ; — 1 charrette à deux roues à bras pour la récolte du feuillage ou racine, 52f 00; — 1 charrue sur roues, 160f 00; — 1 petite charrue, 45f 00 ; — 4 brouettes, 16f 00 ; — harnais, 33f 00; — 2 herses en bois, 5f 00 ; — 2 herses en fer, 9f 00; — 5 fourches, 5f 00; — 3 fourches en fer, 9f 00 ; — 2 faux, 8f 00; — 4 faucilles, 8f 00: — 3 rateaux en bois, 2f 00 ; — 2 râteaux en fer, 2f 00 ; — 4 civières en bois, 6f 00. — Total, 675f00.

2° Pour l'exploitation du bétail. — 15 seaux en fer-blanc, 415f 80; — 2 barattes, 12f 00; — 18 vases en fer-blanc, 32f 00; — 12 en faïence, 18f 00; — 1 charrette anglaise à deux roues pour le transport du lait, 175f 00. — Total, 282f 00.

3° Pour la fabrication du pain. — 1 maie, 7f 00; 1 table à rouler les pâtes, 3f 00 ; — 2 tamis à farine, 7f 00; — 8 moules a pain, 16f 00 ; — 3 pelles à enfourner, 9f 00; — 3 balais à farine, 1f50. — Total, 43f 50.

4° Pour la culture du potager. — 1 arrosoir, 4f 00 ; — pioches et rateaux, 5f 00; — 1 sarclette, 2f 00; — 2 planches de sapin pour tirer les lignes, 2f 50. — Total, 13f50.

5° Pour la fabrication du cidre. — 1 pierre mécanique à fouler les pommes, 175f00; — 6 seaux en bois de chêne, cerclés de aîné, 72f 00; — 52 bouteilles, 5f20. — Total, 252f 20.

6° Pour le blanchissage du linge. — 1 cuve, 10f 00; — 1 toile à filtrer la lessive, 6f 00 ; — 2 cuveaux, 2f 50; — 1 bassine en cuivre, 8f 00; — 5 fers à repasser, 3f 00; — 2 paniers et 5 corbeilles en osier, 7f 00. — Total, 36f 50.

7° Pour la fabrication du guano. — Le matériel est en partie celui qui est employé à la culture.

Valeur totale des propriétés............ 22,681f70

§ 7. Subventions.

Il n'y a pas de « communaux » sur la paroisse de Saint-Sauveur. Dans la paroisse voisine, Grouville, existent quelques landes marécageuses où les plus pauvres gens font pailtre un petit nombre de chèvres, vaches ou chevaux. Mais des goémons et vraiechs (varechs), excellents pour la fumure des terres, croissent en abondance autour de Jersey. C'est une subvention de premier ordre dont Philippe O. n'use que dans une petite proportion, la récolte à travers les galets ou roches qui entourent les rivages de la baie de Saint-Clément fatiguant beaucoup, dit-il, les attelages, bêtes et matériel.

L'importance pour Jersey de cet engrais naturel a été jugée si grande[12]que des lois spéciales en ont réglé la récolte : les époques de la coupe en sont déterminées par la Cour royale ; la répartition en est établie entre les cultivateurs suivant la qualité des terres exploitées; chaque paroisse, je l'ai déjà mentionné, est bornée par une rive maritime : les unes permettent, à titre gratuit, la récolte du goémon, d'autres ont établi un léger droit de charroyage qui s'applique en surplus du rat à lentretien de leurs routes. A l'état vert, le varech recueilli, soit sur les rochers, soit sur le rivage, est répandu sur les terres qu'il pénètre peu à peu d'une fraicheur secourable ; ou bien employé d'abord pour le chauffage et réduit en cendres, il parait excellent pour réchauffer les terres à blé et les prairies.

§ 8. Travaux et industries.

Dans l'exploitation de sa ferme de soixante vergées (10 hectares), Philippe O. tend principalement à produire du lait, et, par l'élevage, ae faire commerce de la vache de Jersey. Il y joint la production de la pomme de terre hâtive, d'une petite quantité de céréales et de- plantes sarclées et du fourrage en abondance pour la nourriture des animaux ; un clos planté de pommiers lui fournit en partie sa provision de cidre. Le pain consommé est de fabrication domestique ainsi que le beurre ; les animaux tués pour l'alimentation du personnel et de la famille sont des produits de la basse-cour ; enfin, Philippe O. ajoute aux travaux principaux ou secondaires de son exploitation, la fabrication du guano artificiel qui lui est nécessaire, et dont il vend quelquefois la partie superfue à ses voisins.

Le lait recueilli chaque jour à trois reprises est porté trois fois par jour à Saint-Hélier aux familles et aux revendeurs, le plus souvent par Philippe O. lui-même.

Le chef de famille a pour collaborateurs, en ces diverses occupations, d'abord sa femme, sa belle-mere et son fils, tous les trois dans une petite proportion, quant à l'exploitation proprement dite ; puis d'une facon permanente, et comme auxiliaires salariés : un « journalier » occupant la plus grande partie de son temps au travail de la terre et surveillant de deux autres ouvriers : premier et deuxième « valets » ; un « garçon » et une « servante » sont attachés plus spéciaulement au service de la laiterie ; enfin, lorsque arrivent mai et la récolte des pommes de terre (§ 29), trois « journalières » momentanées sont appelées ù y collaborer ; il en[13]est de même pour les diverses opérations de sarclage et cueillette qui suivent cette période de l'année.

C'est l'élevage des vaches, en vue de la production du lait et de la vente de ces précieuses bêtes, qui est la principale occupation de la ferme, et l'on peut dire que ces animaux y reçoivent des soins quasi paternels. Dès que le veau est né, on le fait lécher par la mère après l'avoir saupoudré légèrement de sel fin; on trait la vache pendant ce temps, puis on la désaltère en lui faisaunt boire cette première traite. Le veau, placé sur de la litière fraiche, est abreuvé ensuite trois fois par jour, pendant trois jours, du lait de la mère, coupé d'eau tiede, mais non écrémé ; les trois jours suivants, on lui donne du lait écrémé et chauffé ; à partir du sixième jour, le veauu reçoit deux fois par jour du lait épaissi et légèrement acide et chaufé ; puis on ne tarde pas à y ajouter du son fin, de la farine cuite, du sel, une tranche de pain qu'on l'aide à prendre ; de temps en temps, un peu de foin ; au bout de trois mois, le veau peut sortir. De mai à septembre, les bêtes bovines vivent au grand air, au milieu des prairies artificielles, où elles broutent à leur aise. Au temps de la stabulation, les bêtes reçoivent, par journée, 4 ̀ 5 livres de nourriture sèche, et de 12 à 15 kilos de racines, réparties en 7 ou 8 distributions par jour5.

Les travaux pour la culture des pommes de terre, qui est la plus importante occupation de la plupart des fermiers de Jersey, ne viennent qu'au second rang chez Philippe O. ; il y consacre cependant les 4 dixièmes de sa ferme, et les plantes fourragères, navets, carottes, raves, choux, turneps, betteraves, panais, qui sont semées après la récolte des tubercules, sur le même terrain, ont encore pour but l'alimentation des vaches et la production du lait.

Philippe O. a réparti comme suit la culture de ses terres :

Répartion des cultures sur les terres de Philippe O. (§8)
Répartion des cultures sur les terres de Philippe O. (§8).

[14] Vers la fin d'août, une batteuse mécanique louée est employée sur la ferme en compte à demi avec deux autres fermes de la famille (la Francheville » et le Boulivot ). Elle bat, en un jour, le produit de vingt et une vergées.

« Quand la batteuse est partie, les travaux sont finis.... heureusement, » dit Me O. En septembre pourtant commencent les travaux de fumure. Le cidre est fabriqué en octobre. En novembre s'opère le griffonnage. puis le défoncement des terres pour la plantation des pommes de terre et les semailles, vers fin décembre et janvier ; ce travail nécessite le concours de forts attelages; au Tapon on a quelquefois jusqu'à dix chevaux à la charrue à deux socs pour défoncer la terre en hiver.

Quelques loueurs de voitures (§ 11) mettent en pension leurs chevaux chez les cultivateurs dès l'arrière-saison ; ceux-ci les nourrissent et les utilisent pour leurs travaux agricoles ; chez Philippe O. on ne se sert que des chevaux de la ferme et par réciprocité de ceux de La Francheville et du Boulivot, comme supplément.

§ 9. Aliments et repas.

On fait à la ferme quatre ou cinq repas par jour, suivant la saison :

Déjeuner: à cinqheures et demie l'été, à six heures l'hiver : soupe, café, beurre et pain.

Goûter : à dix heures et demie, seulement l'été : pour ce repas, les domestiques ont du pain avec confitures (rhubarbe, framboise, prunes) ou beurre et cidre du tonneau.

Dîner : à midi et demi : soupe au lard, légumes, pain, cidre.

Lunch : à cinq heures (les maîtres quelquefois, les enfants souvent).

Souper : à sept heures, comme le dîner.

Le pain consommé par tous les habitants de la ferme est, comme nous l'avons dit, de fabrication domestique, pétri par la mère de famille en une demi-heure chaque semaine ù raison de 12 ou 13 pains de 6 lilos, avec farine de froment et eau, et une levure artificielle de fabrication anglaise ; il reste frais jusqu'ù la fin presque comme au premier jour. La famille vend les céréaules qu'elle récolte et achète des farines de provenance américanine à un prix de moitié inférieur à ses propres produit. Tous les ouvriers employés à la ferme sont nourris, à l'exception du « journalier. »

[15] Celui-ci occupe, dans une maisonnette en bordure de la route et attenante aux murs des communs de la ferme, un rez-de-chaussée très gai et bien tenu dont il paie la sous-location au fermier ; il prend sa nourriture dans son ménage.

Le jour où la batteuse est appelée, les 40 ouvriers étrangers, 5 mécaniciens et 35 fagoteurs, qui la dirigent sont nourris à la ferme; ce jour-là la famille leur fournit de 25 à 30 livres de beuf rôti en une seule pièce, 20 livres de jambon, le cidre, le café et le pain aux deux repas. A l'époque du travail de défoncement des terres, une fête dite des grandes charrues occasionne aussi une forte consommation d'aliments solides et liquides oferts par le fermier à ses coopérateurs.

§ 10. Habitation, mobilier et vêtements.

L'habitation proprement dite comprend dix divisions : cinq au rez-dechaussée : une salle dite « pièce », la salle à manger, la cuisine, le fournil, la buanderie ; au premier étage, cinq pièces servant de chambres à coucher: une pour le père et la mère, la petite Florence partage celle de sa grand'mère, un cabinet pour Franck, deux chambres pour recevoir.

Dans la « pièce » (Sitting-room), salle carrée de cinq mètres, blanchie à la chaux et éclairée par une large baie bien parée de rideaux blancs en broderie industrielle et de tentures de soierie, se trouve un canapé placé vis-à-vis de la fenêtre ; à l'opposite un fauteuil et quatre chaises ; au centre, une table ronde avec tapis ; tapis sur le plancher ; aux murs des tableaux : trois vues coloriées de l'Exposition de Paris en 1889 : les Fontaines lumineuses, la Tour de trois cents mètres, leDôme central. En face de la porte de cette pièce se trouve la cheminée, garnie de petits objets et de chaque côté un tableau en bons chromos : l'institution de la sainte Cène et le miracle de l'eau changée en vin aux noces de Cana ; à droite et à gauche, les portraits, en photographies demi-nature, du père et de la mère du chef de famille. Pas de piano, mais Florence en aura un sans doute lorsqu'elle aura fait ses études comme sa tante de La Francheville et autres demoiselles. « Neuf sur dix ne savent pourtant pas s'en servir », dit-on dans la paroisse.

Dans la salle à manger, qui est aussi la salle de travail et de réunion de la famille, au-qdessus d'un buffet, deux chromos rappelant des épi[16]sodes de la Guerre de 1870-71 ; table à rallonges, chaises, petit bureau, table volante, machine à coudre.

La réfection de l'habitation, il y a huit ans, aux frais de la propriétaire « La Demoiselle, » a coûté 35,000 fr., dépense qui représente près de six années de fermage et répond à un sentiment de patronage qui marque en même temps l'estime dans laquelle la propriétaire tient son locataire et combien elle tend à le conserver.

La date de cette reconstruction est inscrite sur la porte du vestibule avec les initiales de la propriétaire (L. C. 1888).

La propriété est libérée de toutes charges féodales ou autres rentes, la « Demoiselle » l'ayant tout à fait « afranchie par remboursements. »

L'habitation est bien orientée : à l'est s'ouvrent les fenêtres du salon et de la salle à manger avec vue sur un petit parterre où l'on accède par un large couloir partant de la cour située à l'ouest. Le fournil, la cuisine, la buanderie s'ouvrent sur cette cour.

Cest dans un angle du fournil qu'est le lit de la « servante ; » le « garçon » couche près de la vacherie, dans un appentis séparé ; le premier et le deuxieme « valets » ont une petite pièce en commun entre la vacherie et l'écurie.

Meubles. : de bon goût, confortables et presque neufs............ 1,765f 50

1° Chambres à coucher. — 3 lits en noyer garnis, 105f 00; — 4 lits en plumes, 120f00; — 2 édredons, 40f 00 ; — 4 couvertures en laine, 80f 00; — 3 couvertures en coton, 60f00 ; — 3 lits en fer et cuivre, facon anglaise, avec garniure, 135f 00 ; — 2 toilettes-commodes en noyer, 55f 00 ; — 1 table-miroir, 25f 00 ; — 1 pendule bronze, 38f 00 ; — 2 toilettes en zinc peint, 11f 00; — 5 tables de nuit, 13f 00; — 2 armoires à linge en noyer, 120f 00 ; — 1 armoire à linge en bois blanc, 12f 00; 4 bufets, 418f 00 ; — 1 armoire à glace, 66f 00; — glaces de cheminée, 36f 00 ; — 7 chaises, 43f 00; — rideaux de lit et de fenêtre, 19f 00 ; — 3 descentes de lit, 6f 50; — livres de piété, 11f 00. — Total, 1,043f 50.

2° Salon. — 1 canapé, 1 fauteuil, 4 chaises, noyer et perse, 75f 00 ; — 1 table ronde, 25f 00; — 1 tapis, 22f 00; — 1 tapis de table, 9f 00 ; — 5 chromos encadrés, 15f 00; — 2 photographies encadrées, 3f 00; — 1 garde-foyer, 22f 00. — Total, 171f 00.

3° Salle à manger. — 1 buffet garni de vaisselle, 85f 00; — 1 horloge, 110f 00; — 1 grande table à rallonges, 27f 00; — 1 table volante, 9f 00; — l petit bureau debout, 21f 00 ; — 10 chaises cannées, 90f 00 ; — 1 machine à coudre, fabrication anglaise, 116f 00; — 1 table à ouvrage, 34f 00; — 2 chromos, 4f 00 ; — quelques livres scolaires, 9f 00. — Total, 508f 00.

4° Cuisine. — 1 table en chêne, 18f 00 ; — 1 table à manger, 7f00 ; — 6 chaises paillées, 18f 00. — Total, 43f 00.

Ustensiles : de bonne fabrication française pour la plupart et quelques-uns, plus élégants, d'origine anglaise............ 212f 75

1° Pour la préparation et la consommation des aliments. — 18 verres, 1f 80; — cave à liqueur (boite), 38f 00; — 18 couteaux et services, 21f 00; — 24 cuillers et[17]fourchettes, 24f 00; — 6 grands plats, 9f 00 ; — 5 douzaines d'assiettes, 15f 00; — 2 plats à pudding, 5f 00; — 1 théière en metal, 9f 00 ; — 12 tasses, 1f 20; — 6 casseroles en cuivre, 25f 00; — 2 pots en fer, 8f 00 ; — 1 chaudron en cuivre, 35f 00. — Total, 92f 00.

2° Pour le nettogage et la toilette. — 1 balai de paille, 0f 75; — 1 balai de crin, 3f 00 ; — 2 rasoirs anglais, 11f 00 ; — brosses, etc., 6f00. — Total, 20f 75.

Linge de ménage : abondant et bien conservé, en partie d'origine anglaise............ 340f 00

14 paires de draps en coton, 188f 00; — 4 nappes en fil, 18f 00 ; — 5 douzaines dse serviettes en fil, 60f 00 ; — 3 douzaines de serviettes en coton, 18f 00; — linge de cuisine : tabliers, etc., 26f 00. — Total, 310f 00.

Vêtements : élégants, sans recherche mais cependant d'une facture soignée............ 1,777f 50

VÊTEMENTS DU CHEF DE FAMILLE (480f 50).

1° Vêtements du dimanche. — 1 complet de laine, 75f 00 ; — 1 pardessns, 49f 00; — 1 pantalon gris, 23f 00 ; — 1 pantalon noir, 27f 00; — 1 complet de laine gris, 55f 00; — 1 gilet de soie, 7f 00 ; — 1 chapeau bas, 9f 00; — 1 chapeau haute forme, 22f00 ; — 1 paire de bottes, 14f 00; — 1 paire de bottines, 9f 00 ; — 2 chemises fines, 15f 00; — cravates, foulards, gants, 17f00. — Total, 322f 00.

2° Vêtements de travail. — 1 complet de drap marron (ancien costume de dimanche), 35f 00; — 1 pardessus, 27f 00; — 2 pantalons en gros drap, 16f00 ; — 1 covercoat, forme chasseur, en fil, 15f 00; — 3 gilets de laine, 15f 00; — 1 chapeau de feutre, 3f 50; — 1 chapeau de paille, 2f 00; — chaussures, 15f 00; — 12 chemises de coton, 3 gilets de flanelle, 6 paires de bas de laine, 30f 00. — Total, 158f 50.

Vêtements de la femme (441f 50).

1° Vêtements du dimanche. — 1 robe de soie marron, 52f 00; — 1 robe noire en mérinos, 35f 00 ; — 1 pelisse en laine, 20f 00; — 1 mantelet de soie et dentelles, 10f 00; — 1 chale en laine, 32f 00; — 2 chapeaux garnis de ieurs, 19f 00; — 2 jupes de laine et coton, 16f 00 ; — bottines et souliers fins, 27f 00 ; — cols, manchettes, gants, etc., 9f 00. — Total, 250f 00.

2e Vêtements de travail. — 2 robes en coton, 14f 00 ; — 3 robes en fil, 21f 00; — 1 robe en petite laine, 18f 00; — 2 jupons de cotonnade, 6f 00 ; — 10 chemises de coton, 15f 00; — 9 chemises de toile, 18f 00 ; — 3 gilets de flanelle, 7f 50 ; — l gilet tricoté jersey, 8f 00; — 2 corsets, 19f 00 ; — 2 mouchoirs de coton, 9f 00. 10 mouchoirs de fil, 10f 00; — 9 paires de bas de laine, 12f 00; — 9 paires de bas de coton, 6f 00 ; — Chaussures, etc., 25f 00. — Total, 191f 50.

VÊTEMENTS DE LA BELLE-MÈRE (365f 00).

A peu près semblables en nombre et en qualité à ceux de la femme, mais plus anciens, d'une valeur totale de 365f 00.

VÊTEMENTS DU FILS (128f 75).

1 complet de laine, 42f 00; — 1 autre déjà vieux, 1I6f 00; — chaussures, 19f 00; — linge de corps, 38f 00 ; — 1 pantalon de coton, 5f 00; — 1 autre, 3f 00 ; — 1 casquette, 1f 75; — 1 chapeau de feutre, 4f 00. — Total, 28f 75.

VÊTEMENTS DE LA FILLE (65f 75).

1 robe noire en laine, 12f 00; — 2 robes en indienne, 15f 00; — 1 jersey, 4f 25;[18] — linge de corps, 22f 00 ; — 3 tabliers en coton, 3f 00 ; — 4 jupons, 6f 00 ; — 1 chapeau de paille, If 50 ; 1 chapeau de feutre, 2f 00. — Total, 65f 75.

BIJOUX (296f 00).

1 montre en argent, 25f 00; — 1 montre en or, donnée à la femme par la belle. mère, avec chaîne en or donnée par le mari, 185f 00 ; — bagues, broches, boutons de col et de manchettes, 86f 00. — Total, 296f 00.

Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 4,095f 75

§ 11. Récréations.

Il y a deux saisons bien marquées à Jersey, dans lesquelles les distractions et l'emploi des heures de loisir sont tout à fait diférents : l'été, pendant la réception des touristes, et l'hiver, entre sédentaires, insulaires ou anglais. Le climat de lie est assez doux et tempéré pour pouvoir en effet ofrir successivement aux etrangers une villégiature d'eté et une villégiature d'hiver et, par exemple, servir d'escale de rapatriement aux officiers des troupes anglaises qui reviennent de l'Inde, après y avoir accompli leur service et séjourné d'abord quelque temps à Malte ; inversement, comme les Scandinaves vont chercher leur Midi en Hollande, les Flamands en France et nos compatriotes sur la côte d'Aur, en hiver, quelques Anglais font de Jersey leur Nice, et des « malades y viennent occuper dans les hôtals et les « family houses » la place laissée vacante par les touristes dês la fin de l'été ; l'hiver, donc, plaisirs de petite ville entre soi : bazars de charité en faveur de la « Ragged School » (Ecole des Déguenillés), dîners de corps, piqueniques, concerts de bienfaisance pour les écoles du dimanche dans les paroisses, expositions d'horticulture, jeux athlétiques, carnaval, circus, théatre avec pièces anglaises et françaises.

« L'arrivage des étrangers » — c'est le terme du pays — et leur grand nombre (48,568 en 1894, dont 13,914 Francais), leur installation plus ou moins courte à Jersey, l'éte, change du tout au tout l'aspect de l'île. A Saint-Hélier on trouve de nombreux hôtels, bars, magasins richement pourvus de marchandises anglaises et françaises, loueurs de petite et grande remise à prix modérés ; rien n'y fait défaut, pour un séjour rapide ou prolongé de tourisme ou de saunté. Une bibliothèque (Public Library), accolée au bâtiment des ́tats, offre son abri, pour les jours douteux, et ses rayons récemment restaurés, pour les heures sérieuses ; un café, un seul, tenu par un Francais (le Palais de Cristal), [19] est le rendez-vous commode des oisifs de passage des deux langues, qui s'y rendent régulièrement le soir, comme dans un cercle ouvert, pour y causer autour des tables de billard et y échanger les notions de leurs petites découvertes de la journée.

La « réception » des étrangers de toute fortune est suffisamment bien organisée aussi à Saint-Aubin, à Saint-Brelade et dans toutes les petites stations de la côte orientale depuis Gorey.

Les divers membres de la famille O. ne participent que dans une mesure très modérée à ces occasions de se divertir. Leurs principaux plaisirs font partie de la vie de famille: c'est ainsi que le battage des grains, sur l'aire de La Francheville, où sont réunies en août les récoltes de cette terre, du Tapon et du Boulivot, est une véritable fête familiale ; les conducteurs de la machine à battre, les trente-cinq fagoteurs sont servis aux deux grands repas de cette journée par les garçons et les filles de la maison, tandis que la table est présidée par les deux fermiers et les trois fermières ; il en est de même à l'occasion des grandes charrues lorsqu'à la fin de décembre les trois maisons se portent au Tapon avec leurs attelages (§ 8) ; c'est un tableau en même temps de joie et de grand labeur, que cette réunion de nombreux chevaux de trait attelés a une même besogne sous la conduite de tous ces membres et serviteurs d'une même famille. De véritables festins, alimentés surtout de charcuterie nouvelle, les réunissent pendant plusieurs jours. Une heureuse pêche aux Écréhou, exécutée par les jeunes frères de Philippe O. en automne, puis répartie entre les trois fermes, est aussi parfois un prétexte à se réunir en famille dans l'un ou l'autre foyer.

En dehors de ces récréations, qui ont le travail pour occasion et pour objet, il faut compter les déplacements, — trois déjà pendant la présente année, — que fait Philippe O. sur le continent pour son commerce de bétail, tantôt à Saint-Lô, tantôt à la foire de Bray, lorsque la récolte des pommes de terre et la moisson étant achevées, il peut s'absenter sans préjudice. Il y faut ajouter la visite qu'il fait parfois à cette occasion, avec sa femme ou l'un de ses enfants, à une cousine de sa femme, institutrice aux environs de Coutances ; on peut compter aussi comme une réjouissance pour toute la famille la présence de cette personne chez Philippe O. à Jersey, lorsque les vacances lui permettent ce déplacement ; dans ces moments de réunion, tantôt on accompagne la cousine soit au cirque, soit au diorama, tantôt on visite les expositions forales ou animales qui attirent un grand nombre de concurrents et d'amateurs. Chaque dimanche, après le grand déjeuner, la mere et la[20]grand'mère reviennent en ville, dans la voiture à lait. Les enfants qui les y accompagnent y sont retenus assez tard par les fêtes célébrées à l'église catholique romaine. Philippe O., de son côté, va conférer che quelque fermier des paroisses circonvoisines jusqu'au dîner ; l'hiver, il visite volontiers le soir un propriétaire voisin, FTrancais, d'origine provençale, venuà Jersey à lae suite du coup d'État de décembre 1851 et qui y a épousé une Jersyaise, dont il a plusieurs enfants établis dans l'île, un fils cultivant sa propriété sur la même paroisse, un autre associé dans une maison de commerce de Saint-Hélier ; le plus prochain voisin et fréquentation quotidieonne de Philippe O. est un des officiers du connétable ou maire de la paroisse, propriétaire de terres et chargé, comme membre de la « Poice honorifique, de l'inspection du travail des chemins (§ 24). On parle peu politique dans ces fréquentations, mais on échange quelques bons avis sur les travaux des champs et quelques réflexions sur les faits divers que font connaître les journaux anglais ou français publiés à Jersey.

§ 12. Histoire de la famille

La mère du fermier a eu neuf enfants, dont cinq vivent encore (§ 2). Le père était Francais du département de la Manche. La ferme qu'occupe la mère du fermier est sous sa gouverne depuis vingt ans, dix ans avec son mari, dix ans seule. Elle y est devenue veuve en 1885. Le père de Philippe vint à Jersey s avec cinq francs dans sa poche, comme ouvrier de ferme. Il économisa ses gages, acquit un peu de terre, épousa ensuite une fille de fermiers, et fermier à son tour, il vécut les dix dernières années sur la terre de « La Francheville, » où il est mort. Philippe s'est marié il y a une quinzaine d'années. Sa femme est née à Saint-Hélier, d'une famille de « commerçants, horticulteurs de cette ville, nés l'un et l'autre près de Coutances, et venus après leur mariage s'établir à Jersey, où ils sont restés ; le beau-père de Philippe O. est mort peu d'années après le mariage de sa fille. Tant que son père a vécu, Philippe a reçu, avec ses conseils, son concours effectif pour ses travaux et ses projets, d'abord réduits à la culture des pommes de terre et à l'élevage d'un petit nombre de vaches en vue de la confection du beurre ; il a étendu progressivement, quoique prudemment, ses entreprises ; jusqu'ici il y a réussi, et il peut très légitimement espérer améliorer encore sa situation.

§ 13. Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille

[21] Le sol de Jersey, à un travail intensif, répond par une intensive fécondité, et, gràce au climat, ainsi qu'à l'habile rotation des cultures, qui, sans cesse, tantôt y sollicite, tantot y secourt la fertilité latente, la production y peut être presque sans limites, en même temps que d'une infinie variété. D'autre part, des impôts exorbitants n'y viennent pas prélever, comme en d'autres pays6, le meilleur des revenus du travail (§ 19), sous prétexte de défense militaire.

Que la concorde continue donc a régner dans la famille O., que l'union persévère entre lestrois foyers presque contigus qu'elle a établis sur la paroisse Saint-Sauveur (§ 2), et de même que les ascendants de la présente génération se sont élevés de la gène à l'aisance, celle-ci pourra monter un degré encore, et passer de l'aisance à la richesse et à la propriété du sol.

Par ses sentiments religieux, fidèlement mis en pratique au milieu d'une population qu'un trop grand nombre de cultes différents a rendue à demi sceptique, Philippe O. ne sera pas déplacé à ce niveauu social plus élevé, où la responsabilité augmente avec la fortune ; et son fils au moins, conservé dans les mêmes pensées, inclinant d'ailleurs à continuer les travaux de son père, et pourvu d'une instruction plus grande, pourrait peut-être un jour faire partie de l'élite à laquelle incombe l'administration municipale. C'est dans cette élite que les Jersyais ont coutume de choisir les fonctionnaires de paroisse, qui, dans ce rôle, trouvent surtout des devoirs à remplir envers leurs coparoissiens.

De si nobles perspectives sont bien faites pour activer l'émulation chez Philippe O. ; en tous cas. doué comme il l'est pour sa profession d'aptitudes physiques et morales remarquables, de l'amour du travail et d'un entier dévouement à sa famille, en outre, d'une grande application à l'épargne (§ 3), et d'une expérience éprouvée malgré son âge peu avancé, il semblerait bien immérité qu'il n'obtînt pas de ses qualités et de sa persévérance, et cela dans un temps assez rapproché, une amélioration notable de sa situation déjù si recommandable.

Éléments divers de la constitution sociale

FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION SOCALE :

PARTICULARITÉS REMARQUABLES ;

APPRÉCIATIONS GÉNÉRALES : CONCLUSIONS

§ 17. SUR L'ORGANISATION POLITIQUE DE JERSEY

[33] Le roi Jean sans Terre, en accordant aux habitants de ces précieuses épaves du duché de Normandie qui sont les îles de la Manche, la charte et les privilèges destinés à les récompenser de leur fidélité dans la mauvaise fortune, leur avait proposé en même temps de choisir, parmi les plus aptes d'entre eux à remplir cet emploi, douze juges, à l'imitation des Douze preud'homs du pays de Gascogne. Tel est le point de départ de l'institution des Jurés-usticiers ; on sait que ce sont aussi des pays dEtats du Midi, les États de Languedoc, que Fénelon proposait en exemple au due de Bourgogne pour l'établissement de ces institutions de liberté dans tout le royaume qu'il semblait appelé à gouverner un jour. — Les Jurés-Justiciers paraissent avoir été d'abord choisis par le Gouverneur, le Bailli et les États, sur la proposition des habitants notables ; -— plus tard, sur une liste de trois noms, proposée par tous les habitants ; — ils sont aujourd'hui élus à vie par une sorte de plébiscite.

C'est l'élection qui est l'origine de toute autorité à Jersey, à l'exception des charges appointées par la couronne ; l'île est, à la lettre, un pays d'États au sens ancien du mot :

Par le Sud, Normandie, et, par le Nord, Bretagne,

Jersey rit, terre libre, au sein des vastes mers....

a dit le poète. Ce petit pays s'administre en effet intégralementlui-même et nous offre un parfait exemple de selfgouvernment : ce sont les EEtats assemblés qui seuls, en efet, en dirigent toutes les affaires.

[34] Les États administrent les revenus publics de l'île ; ils décident et surveillent les travaux d'utilité générale ; ils font des règlements ayant force de lois, qui restent en vigueur pendant trois ans et qu'ils peuvent renouveler à volonté avant l'expiration de ce terme ; de plus, ils peuvent refuser d'enregistrer les ordonnances royales qui leur paraîtraień inconstitutionnelles. Les Etats font battre monnaie aux armes de Jersey (demi-penny et penny). Ils émettent, ainsi que chaque paroisse, du papier-monnaie de la valeur d'une livre sterling.

Ces États sont composés de cinquante-quatre membres :

1° Les doue recteurs des paroisses, nommés par l'évêque de Vinchester, métropolitain des îles de la Manche pour la religion oficielle ;

2° Les douze pures-iusticiers, magistrats élus à vie par tous les électeurs de l'île ; ces vingt-quatre membres représentent dans les État 'élément conservateur ;

3° Les douze connetables ou maires, nommés pour trois ans par les contribuables dans chaque paroisse ;

4° Quatorze députés, nommés aussi pour trois ans, un pour chacune des onze paroisses autres que Saint-Hélier, qui en nomme trois ; ces deux dernières catégories peuvent représenter au sein des États l'élément progressiste, qui l'emporterait de deux voix sur l'élément conservateur ;

5° Le baillie, président des États et chef de la magistrature de l'île (§ 19), avec droit de vote, et :

6° Le lieutenant-gouverneur représentant la couronne d'Angleterre, et commandant des troupes régulières et de la milice, avec droit de vote suspensif, suffisent à rétablir l'équilibre ;

7° Le procureur de la reine et :

8° L'avocat général font aussi partie des États, mais avec voix consultative seulement.

On remarquera que les trois ordres Eglise par les recteurs, autorités sociales ou aristoï par les jurés-justiciers, communes et tiers état par les connetables et les deputés élus sont heureusement représentés dans cette organisation ; les nobles existant à Jersey n'y ont pas de place distincte de celle des autres citoyens, s'ils n'y sont portés paur leurs suffrages.

« Un pays n'est pas libre par cela qu'il ne paie pas d'impôts, car, à ce titre, il n'y aurait pas de pays libre, » a dit excellemment M. Baubeau, qu'on ne saurait trop citer à propos de nos lointaines libertés provinciales ; « mais un pays est libre lorsque, le principe de l'impôt accepté, [35] le pays le vote et en a le contrôle7. » Je me permettrai d'ajouter une autre condition non moins essentielle, celle-ci : que les contributions locales soient distinctes en tou, perception et emploi, des revenus publics. C'est du moins la méthode que la constitution de Jersey met en pratique annuellement.

Les États votent un budget général des dépenses qui est alimenté par les droits d'entrée sur les spiritueux et les patentes de taverniers, des droits de havre (un millier de francs par jour en 1894), les rentes et loyers des propriétés appartenant au domaine publie. Le budget général de 1890 fut d'à peu près 3 millions de francs. Entre tous leurs membres divisés en comités permanents qui correspondent assez bien à des services ministériels, les États répartissent l'emploi et la surveillance de ces fonds publics. Un de ces comités, dit l'Assemblée du bailli, et comprenant le gouverneur et les douze jurés-justiciers, a l'attribution d'un cinquième à peu près de ces recettes, dont la dépense est l'objet d'un budget voté comme les autres, mais qui n'est pas publié.

La Couronne d'Angleterre n'est participante d'aucune des contributions levées dans Jersey, et elle doit pourvoir d'elle-même à la rétribution des charges publiques qu'elle y a créées. Des terrains appartenant encore en propre à la reine, des dimes et rentes ayant la même attribution y suffisent à peu près, avec le montant de certaines amendes, telle celle que peut produire par exemple la chevauchee du roi, sur laquelle nous reviendrons (§ 24). Sous cet aspect, la reine d'Angleterre, duchesse de Normandie » et a abbesse de Caen, n en souvenir de la fondation de la célèbre abbaye de cette ville par Robert, représente cependant encore assez bien à Jersey, en tant que symbole de droits et devoirs consuétudinaires, le patron de l'ancien système féodal.

Quoique ce régime qui règne encore dans les Îles de la Manche y ait à peu près tout perdu des attributions et privilèges qui y étaient attachés, il reste à Jersey un petit nombre de fiefs ou seigneuries d'ordre ancien, dont les principaux sont les s iefs hauberts ou a Nobles de Saint-Ouen, Rozel, Samarès, de la Trinité et Méléches (fieif haubert de création plus récente) ; et deux fois par an, dans la Cour royale de justice, a lieu une séance solennelle ou Assize d'héritage, dans laquelle les seigneurs rendent hommage à la reine comme à leur suzeraine : a lady Paramount. Le lieutenant-gouverneur est présent avec son état-major et occupe son siège près du bailli ; à cette occasion, les abords de la Cour[36]sont gardés par cinquante hallebardiers en costume d'antan, que fournit le régiment d'infanterie en garnison dans l'île. Avec quelques redevances et services, dus encore par les seigneurs8, et un hommage personnel à la reine lorsqu'elle visite l'archipel normand, c'est là, je crois, tout le féodalisme de l'île.

Cet hommage-lige lui a été rendu pour la dernière fois (d'après les intéressants souvenir de Mme Octave Feuillet), lors de son voyage avec le prince-consort, en septembre 1845, c'est-à-dire il y a cinquante ans. Le rôle échut à la vénérable dame héritière de Rozel, et l'on vit cette noble personne aller à cheval, l'eau jusqu'aux seingles »» (tel fut son devoir ), au-devant de la nef de Sa Gracieuse Majesté, dans la baie de Saint-Aubin.

§ 18. SUR L'ORGANISATION UDICIAIRE DE JERSEY

Le bailli est le chef-magistrat dans chacune des îles de la Manche, excepté Serl, qui est la propriété d'un seul seigneur depuis longtemps. Ces fonctions ont subi un dédoublement. adis président des États et chef de la force armée, le bailli n'a plus aujourd'hui que la première de ces fonctions. Il préside aussi la Cour royale de justice.

La Cour royale — sous le nom de Cohue, du celtique Coc' hi, halle, assemblée — se compose du bailli, ou son lieutenant, des douae jurésjusticiers, du procureur de la reine, de l'avocat genéral, du vicomte ou shérif général, du greffier avec deux dénonciauteurs ayant le rôle de sergents d'armes. La salle où se tient la Cour, située à côté de la salle des États, est une belle pièce ornée de portraits d'anciens magistrats et baillis, et accessible au public. Sur la place qui la précède, Royal square, au pied d'une statue dorée du roi Georges, est une marche de quinze centimètres de hauteur, sur laquelle le grefier se placait, le samedi, pour faire connaltre publiquement, à haute voix, la teneur des jugements prononcés dans la semaine, vieille forme, mais garantie sérieuse d'équité dont riraient sans doute tels députés français, qui s'étaient proposé naguère de faire voter, à Paris1 le secret des instructions, des juge[37]ments et des exécutions. Cette pierre supportait l'ancien pilori, supprimé en Europe par suite de la propagande humanitaire du livre Des delits et des peines, de Beccaria, au nom duquel s'est faite, en partie, la Révolution française.

Les frais de justice sont presque nuls ; — les amendes sont, pour partie, versées à l'Hôpital général.

La Cour royale connait de toutes les causes au-dessus de 100 livres : jusqu'à 25 livres (625 francs), elles sont jugées par le nombre inferieur, le bailli et deux juges ; au-dessus, par le nomore supérieur, sept juges et le bailli.

Un seul juge peut connaître des causes civiles où les intérêts en litige sont moindres que 10 livres ; mais il renvoie les causes criminelles à la Cour royale.

Il peut y avoir appel devant le conseil privé de la couronne pour les procès au-dessus de 200 livres. Mais aucune cause propre aux Iles ne peut être appelée à Vestminster.

Devant la Cour, l'accusé est défendu par un avocat9. S'il plaide on coupaole, la Cour renvoie la cause devant les Assises ou Grade enqauéte, et, selon la gravité des charges, l'accusé est admis à fournir caution ou envoyé en prison; puis la procédure criminelle continue à peu près de la même manière qu'en France, en vertu d'une loi en date du 13 mars 1863. H est essentiel d'ajouter que le jury se compose de vingt-quatre membres, mais que le vote négatif de cinq de ces jurés suffit pour rendre la culpabilité douteuse et faire acquitter un accusé.

Ces audiences d'assises ont lieu à six périodes de l'année, de deux mois en deux mois, et voici le tableau qui se déroule sous les yeux du public. L'huissier entre, précédant la Cour; il porte la masse en argent doré donnée, dit-on, aux Jersyais par le roi Charles I, et que surmonte[38]la croix. Le public, les jurés sont déjà dans la salle. Messieurs, dit-il, la Cour1 Levez-vous l Il fxe la masse, insigne de l'autorité, devant le siège du bailli, et celui-ci, debout à sa place, entouré des juges, se recueille, puis commence une prière à haute voix. Il invoque le saint nom de Dieu, fait appel à sa justice, à son esprit de bonté ; il rappelle qu'il est le juge des juges, lui demande d'éclairer la conscience de ceux qui vont participer aujourd'hui à un jugement, d'éloigner de leur cœur l'égoisme et lintérêt ; puis il récite l'oraison dominicale. Les jurés sont appelés aussitôt à prêter serment individuellement etla cause est citée par le grefier. L'avocat général prend aussitôt après la parole. Les accusés ont amenés face au tribunal, les jurés derrière eux, ayant à droite le ministère publie et les avocats à leur gauche. L'accusation portée, le bailli commence les interrogatoires. Sa parole est des plus clémentes. Avevous bien fait cela demande-t-il parfois avec douceur. Le ministère publie soutient l'accusation à l'aide des témoignages qu'il a recueillis. Le plaignant vient raconter à son tour les faits à raison desquels il a porté plainte ; le défenseur prend enfin la parole. Pendant tout le cours de ces débats, aucun reproche n'est sorti de la bouche des juges ou des accusateurs ; aucun mot amer n'est venu émouvoir ni accusés ni jurés. La cause plaidée, les jurés votent, et le tribunal, s'étant retiré pour délibérer, rentre bientôt dans la salle pour y prononcer le jugement : « Un tel, paraissant plutôt innocent que coupable.... ou bien 8 paraissant plutôt coupable qu'innocent.... » C'est notre ancienne formule : « véhémentement soupçonné.... »

Une autre prière termine l'audience.

Cotte « justice » que j'appellerai « débonnaire, » et qui a pour principe équitable de ne pas considérer d'abord tout accusé comme coupable, et de considérer dans tout coupable même un homme, un semblable jusqu'au bout, a ses racines dans des habitudes du passé qui ont persévéré.

« L'an 1896, le vingtième jour de février, les Etats ont voté une loi sur l'atténuation des peines, » enregistrée le 30 mai suivaunt, qui prélude ainsi :

« Considérant qu'il est dintérêt public d'user d'indulgence envers les délinquants coupables d'une première faute ;

« Que la loi doit avoir pour but plutot la réformation du coupable que la répression sévère de la faute commise ;

« Que l'efet que la loi pénale se propose d'obtenir peut être atteint, dans certains cas, sans avoir recours à l'emprisonnement du délinquant [39] qui, souvent, soit par suite de son âge, des circonstances particulières de la cause et de la nature même du délit commis, mérite la considération bienveillante de la Cour....»

Ne dirait-on pas un heureux décalque de notre bienfaisante loi Bérenger ?....

§ 19. SUR L'ORGANISATION MUNICIPALE DE JERSEY ET LA PERCEPTION DE L'IMPOT

On a vu que Jersey est divisé en douae paroisses (§ 1) : l'administration y appartient, pour chacune d'elles, à une assemblée, non pas déléguée comme en France, mais formée directement10.... des principaux habitants, présidée par le connétable ou maire, chefi municipal, chargé de la répartition de l'impôt, et chef de la police. Sous ses ordres, la surveillance est exercée, pour chaque centaine ou vingtaine de feux, d'après une division ancienne, par des centeniers ou des vingteniers nommés à l'élection par leurs administrés de chacune de ces subdivisions ; ce sont les connétables qui font appréhender les sujets à caution sur leurs paroisses respectives et qui s présentent les coupables à la Cour. Pour ce service, existe aussi dans chaque paroisse, au nom de la reine et sous le nom de prévôt, un sergent d'armes chargé de faire exécuter les décisions judiciaires sous l'autorité du vicomte ou grand shérif. Les connétables ont, en outre, des attributions analogues à celles de nos juges de paix.

Toutes les fonctions paroissiales (entendons toujours communales) sont oblgatoires et gratuites, excepté celle de vingtenier militaire dans la milice ; une amende de 40 livres (1,000 fr.) peut frapper tout citoyen qui se rofuserait à remplir les charges pour lesquelles il est élu; le double de cette somme est d'ailleurs la valeur qu'il sufit à tout habitant de représenter pour être porté sur les listes électorales.

Les communes ou paroisses11ont, seules, le droit de voter leurs impôts particuliers, lesquels sont afectés uniquement au maintien n des pauvres — le mot n'est pas heureux — et à la conservation des chemins. Il y a d'ailleurs à Saint-Hélier un hôpital général pour toute l'île.

L'impôt, dit communal ou paroissial, est un impôt unique, le rât[40](de ratus, « approuvé, » ou de prorata), modifié par de récentes dispositions (loi du 14 juillet 1894) qui réduisent de deux ans à un an de séjour une des conditions qui astreignent à le payer. Voici quelques-uns des principes qui le régissent, d'après cette loi : en premier lieu, il frappe toute propriété mobilière ou immobilière, celles-ci devant toujours être atteintes des taxes établies en faveur des pauvres ; et l'on fait entrer dans la fortune à taxer les rentes mêmes, le mot rente ayant à Jersey un sens très spécial dont il sera d'ailleurs question plus loin (§ 27) : il désigne. en effet, soit d'anciennes redevances féodales maintenues jusqu'aujourd'hui, soit par exemple les soultes successorales à payer par l'aîné à ses cohéritiers, soit des engagements ayant d'autres origines; — en seeond lieu, le rat s'applique à toute source de revenus, même commerciaux, calculés sur la base d'une évaluation dite quartier, qui équivaut à 20 livres ou 500 francs. L'application du ràt aux cas de commerce pouvant paraître plus difficile que d'autres impôts sur le revenu ou le capital, il est bon de citer ici les termes mêmes de la loi12:

ART. 19. — « Si un comptoir, bureau ou établissement commercial ou industriel quelconque est exploité par une société, ou pour et au nom d'une société, la taxe mobilière à laquelle cette société sera assujettie sera fixée proportionnellement à la valeur locative de l'établissement ou des établissements ainsi exploités ainsi que des maisons, terres et édifices qui pourraient servir à telle exploitation : chaque livre sterling de ladite valeur locative étant censée représenter un quartier. »

On a vu que le quartier égale 500 francs, la valeur locative en représente donc ici l'intéret à 5 %.

« Toutes personne domiciliée en dehors de l'île et qui exploitera à Jersey un bureau ou établissement commercial ou industriel de quelque nature que ce soit, contribuera à la taxe mobilière, dans la paroisse ou cet établissement est situé, dans les mêmes conditions et proportions que les sociétés visées par cet article.

« Toute société ou compagnie dont le siège social sera hors de l'ila et qui y sera représentée par une succursale ou une agence devra payer la taxe mobilière, proportionnellement à la valeur locative des bureaux ou de la succursale dans lesquels ladite société ou ladite compagnie sera représentée dans cette île. Cette proportion, dans aucun cas, ne devra pas être moindre de six quartiers (3,000 fr.). »

[41] Les navires enregistrés à la douane de l'île sont assimilés aux propriétés mobilières, et soumis comme tels aux taxes paroissiales.

De nombreuses exceptions sont admises par la loi de contribution paroissiale immobilière ; je citerai : les églises, maisons et terres presbytérales, maisons appartenant à des sociétés religieuses, édifices d'écoles gratuites, les propriétés employées exclusivement à la défense de l'île, les propriétés appartenant « aux États ou public, » ou aux paroisses; les [terres ?] communes, les propriétés et les rentes appartenant à Sa Majesté, aux trésors, aux charités et aux pauvres des paroisses de l'île....

Ces impôts communaux sont d'ailleurs des plus modestes, comme on en pourra juger par les deux exemples suivants. Pour l'année 1894, ils ont été, dans la paroisse de Saint-Hélier, de un chelin (sic) trois pennys sterling (1 fr. 50) par quartier, ce qui donne pour l'impôt communal du chef-lieu 0 fr. 30 pour 100 fr. Pour une commune rurale, Saint-Pierre, par exemple, le comite de taxation avait fixé le rât à une somme moindre encore : un chelin sterling par quartier pour les besoins présumés de l'année courante (1894), y comtpris le petit rât des chemins. Peut-on avoir de l'autorité à meilleur marché ?

§ 20. SUR L'ORGANISATION RELIGIEUSE DE JERSEY

Le premier soin de la reine Élisabeth à son avènement au trône avait été d'établir dans les Iles la religion anglicane ou épiscopale13et de transporter à Vinchester le siège métropolitain, qui. avait été à Coutances jusque-là. En même temps, les guerres religieuses du xve siècle furent l'occasion, pour un certain nombre de protestants français, de s'y réfugier avec plusieurs de leurs ministres, et les riches abbés de Normandie, qui avaient jusque-là non seulement la nomination aux charges ecclésiastiques mais aussi les dîmes de toutes les paroisses des Iles, se virent du même coup dépossédés de ces deux sortes d'avantages. En succédant au spirituel, les membres du nouveau clergé prirent en même[42]temps la succession au temporel. En conséquence, Jacques er décida qu'ils percevraient :

1° La dîme sur le poisson, que le pêcheur doit donner au ministre de sa paroisse, en quelque lieu ou avec quelques sortes de filets qu'il ait peché ;

2° La dilme des agneaux, pirons (oies), toisons, cochons de lait, veaux et poulains ;

3° La dime des chanvres et des lins (contestée) ;

4° La dime des grains, du froment, du blé, de l'avoine, du sarrasin, des pois, des fèves, sans préjudice des droits du seigneur ;

5° La dlme des labours des terres ovales, c'est-aù-dire des champs, en friche de temps immémorial, labourés pour la première fois ;

6° La dime personnelle que chaque chef de famille doit payer à la Saint-Jean au recteur de sa paroisse, évaluée a trois sous, s'ajoute à la dlme en nature, sous le nom de quete, mais est rarement acquittée.

Le casuel des curés-recteurs et de leurs vicauires comprend en outre certains frais d'enregistrement des mariages, naissances et décès (§ 3).

Le privilège des recteurs de siéger aux États par le seul fait de leur situation sacerdotale commence à être battu en brêche, — comme exorbitant, vu le petit nombre relatif des habitants conformistes dans Jersey, — et dangereux aussi: il y a déjà trois recteurs du même nom aux États, dont le doyen, le Rév. Balleine, président de la cour ecclésiastique.

Toutefois, « la présence du clergé anglican ex oficio, quoique ses ouailles soient peut-être la minorité de la population, montre l'importance sociale et politique que la religion a conservée dans tout pays anglais14. »

Un tribunal spécial, composé des doue recteurs et présidé par le doyen, la cour ecclésiastique, existe encore, en efet, aujourd'hui à Jersey. Elle connaît des divorces ou séparations de corps et des testaments, des adultères, des anticipations de mariage, des cans de libertinage, etc.

Le doyen ecclésiastique est seul appointé, comme les titulaires des autres charges créées par la couronne, bailli, lieutenant-gouverneur, procureur de la reine, avocat général, vicomte ou shérif général, et ce, aux frais de la reine, par les soins du receveur des revenus de Sa Majesté dans les Îles.

Toutes les dénominations chrétiennes ont des lieux de culte dans l'île:[43]on y compte environ soixante-treize chapelles15et la tolérance réciproque la plus louable semble y régner entre les vingt-sept ou trente cultes qui y sont représentés, y compris ld'Armée du Salut, dont une escouade traverse de temps en temps les rues en musique, conduisant du port à son cénacle les rares prosélytes qu'elle a faits à Jersey. On y cite aussi quelques mormons honteux et une douzaine de juifs revendeurs en gros de potatoes achetées aux cultivateurs, et auxquels suffit à tenir tête par son prosélytisme prédicant la petite « Société auxiliaire pour l'avancement du christianisme parmi les juifs. » — Les F... M... qui ont un Temple important à Saint-Hélier, ainsi qu'un grand nombre de Loges, se gardent bien d'y jouer imprudemment le role d'antéchrists qu'ils se sont donné sur le continent (§ 31).

Depuis quinze ans la religion catholique possède, à Saint-Hélier, une église digne du nombre respectable de fidèles (12,000 environ) que compte Jersey. Elle a remplacé enfin, en gardant le même vocable, la petite chapelle Saint-Thomas, ouverte au culte catholique en 1843 par les soins et dépens des Pères Oblats de Marie-mmaculée, qui continuent à évangéliser Jersey : dominant les autres chapelles de Saint-Hélier de sa belle architecture comme de sa doctrine, la nouvelle église a déjà reçu des Jersyais le nom de cathédrale, » qu'elle semble appelée à porter légitimement un jour.

L'église catholique française de Saint-Thomas, comme l'église catholique anglaise (irlandaise) de Saint-Pierre-et-Mary, comme la nouvelle cure de Saint-Martin, dans la paroisse de ce nom, sont comptées au nombre des « édifices religieux appartenant à diverses dénominations de chrétiens et enregistrés pour la célébration des mariages. »

§ 21. SUR LES CHEMINS D'ASILE ET LA CLAMEUR DE HARO

L'utilité pour chaque paroisse d'avoir une de ses frontières au rivage de la mer n'était pas justifiée seulement par le droit à la récolte du varech (§ 7), une coutume, abrogée aujourd'hui, nous en fournit une raison d'un autre ordre.

Il y avait autrefois à Jersey une sorte de chemins d'un usage bien inattendu ; ces chemins étaient appelés perquages, du mot pertie (perche), parce qu'ils étaient exactement larges de vingt-quatre pieds,[44]mesure d'une perche ; il y en avait doue, partant chacun d'une des douze églises paroissiales et allant jusqu'à la mer. Léglise était lieu d'asile pour les criminels, poursuivis par la vindicte publique, jusqu'au moment où ils consentaient à « abjurer l'île ; D dès ce moment, les marguilliers devaientles garder et protéger, puis les conduire par le perquage jusqu'au port le plus voisin. Tant que les condamnés restaient sur ce lieu d'asile pour ainsi dire itinérant, ils étaient à l'abri de toute reprise sur leur personne ; mais des qu'ils cherchaient à s'échapper, ils avaient épuisé la voie de la miséricorde et retombaient sous la main de justice. Avec les autres lieux d'asile, le rôle de ces chemins a disparu.

A ce propos, rappelons une autre coutume tutélaire ancienne qui a subsisté jusqu'à présent dans le droit contemporain de Jersey : c'est la clameur de haro. Cette coutume qui a existé dans la plupart des États de l'Europe septentrionale, d'après l'étude magistrale qu'en a faite M. E. Glasson16, et qu'il faut à présent aller chercher à Jersey où seulement elle a subsisté, consiste dans le droit pour chacun d'appeler à l'aide tout homme qui est à portée de sa voix, au moment où il se trouve lésé: « Haro, mon prince ! » crie-t-il, et dans le cas du flagrant délit à l'encontre d'une propriété, tous doivent lui porter secours. « La clameur de haro se fait encore entendre dans l'archipel, écrit un récent voyageur17. Lorsque fut construit le petit chemin de fer de Jersey (1870), un propriétaire qui ne voulut pas céder son terrain épuisa toutes les juridictions. Il perdit sa cause : mais le jour de l'inauguration, au moment où le train allait entrer sur sa terre, il se mit à genoux au milieu de la voie, les bras étendus, en criant : « Haro ! haro ! à moi, mon prince, on me fait tort ! » Le train s'arrêta ; l'affaire fut instruite à nouveau ; il fallut réintégrer le clamant dans son bien et dévier la ligne. »

§ 22. SUR L'ORGANISATION MILITAIRE DE JERSEY

Les 1les de la Manche, en outre de ce que les impôts indirects leur sont épargnés, sauf eon ce qui concerne l'entrée des boissons spiritueuses, profitent de l'heureux privilège qu'a le Royaume-Uni de la Grande-Bretagne de pouvoir se passer à peu près, jusqu'ici, d'armée permanente.

Le gouverneur, seul chef des forces militaires de l'île, nommé par la[45]reine, commande à Jersey un régiment anglais qui y tient garnison, et les trois régiments de milice locale.

L'organisation de la milice, d'institution très ancienne, est régie aujourd'hui par la loi de 1881. Comme l'éducation scolaire, le service dans la milice est d'obligation.

Aujourd'hui, tout homme habitant l'île est sujet, depuis l'âge de seize ans jusqu'à celui de soixante, à servir dans la milice royale de 1Ple; 1e° s'il est natif, ou ls d'un père natif de île ; 2° si, étant sujet britannique, il est propriétaire foncier dans l'île, soit en son nom, soit en celui de sa femme, ou y exerce une profession, état ou métier. Ce service est gratuit, personnel et obligatoire.

« Le gouvernement de Sa Majesté réglera le nombre et les fonctions des officiers de l'état-major de la milice, et aura nomination de tous les oficiers et sous-officiers à sa solde.

« Le lieutenant-gouverneur disposera des autres commissions dans la milice, choisissant les officiers, comme par le passé, autant que possibole dans les familles les plaus considerables de l'ile. »

Divers articles, traitant de la discipline et des pénalités y référant, réglementent les dates d'appel, les fautes de désobéissance, d'intempérance sous les armes, de mauvais termes, — avec des allures tout à fait sévères. Malgré l'apparence prétorienne de ces dispositions, tout se passe ceopendant avec plus de bonhomie que ne semble l'indiquer l'austérité des textes ; des exercices analogues à nos treie et vingt-huit jours chaque année, espacés un peu a ibitum au gré des miliciens et conformément à leurs nécessités professionnelles, telle est la coutume qui prévaut comme autrefois. Dans tous les manquements, même graves, les miliciens sont toujours soustraits à l'autorité des conseils de guerre ; ils restent des citoyens, et ce sont la Cour et les jurés-justiciers qui condamnent ou absolvent leurs méfaits.

Peut-être est-ce pour bien marquer cette suprématie de la toge sur l'épée que, dans la salle des Etats, le siège du bailli, placé à côté de celui du gouverneur, y est notablement plus élevé que celui-ci.

Les frais d'entretien de la milice sont en partie seulement à la charge des États.

Je m'en voudrais de ne pas signaler aux auteurs de notre loi militaire l'article des exemptions, l'article 6 : a Sont exempts du service de la milice, à raison de leurs charges ou emplois : le bailli, les jurés-justiciers, les officiers de la couronne et les officiers et l'huissier de la Cour royale; les juges, les officiers et l'huissier de la Cour pour le recouvrement des[46]menues dettes ; le clergé de l'Église anglicane et de lEEglise romaine, les pasteurs des Églises non-conformistes qui justifient qu'ils sont à la tete d'une congrégation, et qu'ils ne suivent aucune occupation séculière autre que celle de maître d'école ; les membres des États ; les personnes au service du gouvernement; les prévôts et chefs-sergents de la reine ; les professeurs et maîtres du collège Victoria et les maîtres des écoles subventionnées par les EEtats ; les agents pour la perception des impôts, les maîtres de port, les pilotes et les employés à lhôpital général, la prison publique, l'asile des aliénés et l'école industrielle ; les vingteniers militaires durant leur gestion, les membres de la police salariée ; les membres de la Société des amis ou qualers ; les employés de travaux publics, les médecins en temps de paix....

Ces exceptions ne se justifient-elles pas en effet par des œuvres que j'appellerais volontiers un impôt de fonction 2

§ 23. SUR LA LANGUE ET L'INSTRUCTION A JERSEY

La langue française a été, dès les origines modernes, la langue des îles.

Le vieil écrivain Robert Wace, surnommé le ˉClere de ˉCaen, l'auteur du ˉRoman de Rou ou Rollon, l'un des premiers monuments de la littérature française, est né à Jersey. Jusqu'au milieu du xIxm siecle, notre langue est demeurée la langue dominante de l'île. Aujourd'hui, l'emploi de l'anglais s'est développé concurremment autour de Saint-Hélier et la limite de la population bilingue peut être représentée par une diagonale coupant l'île en deux parties presque égales de l'est-nord-est au sud-ouest de l'île. Le français éprouve donc un recul; et une des causes qui peuvent en être données se trouverait dans une modification récente de la législation sur la propriété foncière. Comme en Angleterre, la loi interdisait jadis l'acquisition de tout immeuble à qui n'était pas né sous le drapeau, et la prohibition s'étendait pour Jersey à tous les étrangers, y compris les Anglais ; cette restriction n'existe plus à présent et linfiltration britannique, commencée par l'arrivée de riches négociants qui ont acquis à Saint-Hélier des maisons de commerce, des cottages dans les paroisses les plus rapprochées du chef-lieu, s'étend un peu partout. Néanmoins, la langue oficielle du parlement jersyais, des ́tats, aussi bien que des cours de justice, reste encore le francuis.

[47] En date du 9 avril 1894, une proposition de loi émanant d'un raecteur d l'île, le recteur de Grouville, Rev. Édouard Lefeuvre, demandait que fût autorisé s l'usage facultatif de la langue anglaise dans les États. Après une longue discussion, la motion fut repoussée par 21 voix contre 12 et, selon l'expression parlementaire, le projet ne fut pas s logé au grepfe. Une nouvelle tentative a été faite récemment dans ce sens : une dépêche de Jersey, à la date du 6 février 1896, portait que l'assemblée des États de Jersey a rejeté aujourd'hui le bill qui devait autoriser ses membres à se servir de la langue anglaise pendant les sessions, — se basant sur ce fait que le français est la langue officielle de l'île18, et non pas l'anglais, quoique cette dernière langue soit maintenant parlée dans plusieurs districts. Cette résistance ne doit pas surprendre, car le gouvernement et les EEtats sont fort attachés à leurs coutumes comme à leur indépendance législative. Et c'est vraisemblablement dans cet ordre d'idées que le comité des EEtats pour les écoles élémentaires avait voté, le 13 février 1895, un règlement encourageant l'enseignement de la langue française par des subventions. D'autre part, les États ont fondé à Saint-Hélier un grand établissement d'instruction secondaire, le collège Victoria, et ont concouru à l'instauration, par souscriptions privées, d'un collège de demoiselles où l'enseignement suit les programmes d'études de France et d'Angleterre les plus élevés ; ils y ont autorisé en même temps l'installation d'une congrégation enseignante de dames catholiques pour les études diplômées, l'institut de Saint-André que fréquentent les filles des plus honorables maisons des provinces voisines françaises ; enfin, les Pères Jésuites, émigrés de leur patrie à la suite de l'application de l'article 7 des Décrets sur les associations religieuses, ont installé à Saint-Hélier aussi, sous le vocable de Saint-Louis, l'école préparatoire au ˉBorda qu'ils dirigeaient à Saint-Brieuc. Comme on le voit, les Etats de Jersey mettent en pratique le sentiment qui était celui du cardinal de Richelieu, quand il disait, à propos de la liberté d'enseigner : «Puisque la faiblesse de notre condition humaine requiert un contrepoids en toute chose, il est plus raisonnable que les Universite et les Jésuites enseignent à l'envi, afin que l'émulation aiguise leur vertu. (Iestament politique, première partie, chap. I, section 11.)

Cest dans cet esprit de justice et d'égalité que, jusqu'en 1896, les Frères des ÉEcoles chrétiennes de Ploermel ont été les instituteurs des[48]enfants des familles catholiques françaises de la classe moyenne et des pauvres à Jersey. Ils ont été remplacés à Saint-Hélier par les Frères de Lamennais, la Congrégation catholique ayant jugé utile de multiplier les écoles de campagne, vu le nombre croissant des enfants cautholiques. Les statuts des Frères des Écoles chrétiennes, en effet, ne leur permettant de s'établir qu'à trois ensemble, rendaient dificile cette créaution d'écoles nouvelles que facilitent les constitutions de leurs successeurs.

§ 24. SUR LES CARACTÈRES REMARQUABLES DE LA VIABILITÉ A JERSEY

En dehors des oficiers du connétable » (§ 19), propres à chaque municipalité, la reine a des officiers subalternes appointés dans les paroisses comme inspecteurs de la voirie, régime fort important dans l'organisation de l'île. « Un des grands obstacles à l'agriculture, qu'il n'est pas aisé de lever, » disait déjà un ancien auteur, « c'est le prodigieux développement d'enclos, de haies, d'avenues et de grands chemins qui peuvent contribuer à la beauté et à la force de cette île, mais qui ne sont pas proportionnés à sa grandeur, car ils prennent près d'un tiers de toute l'île. Il y a trois sortes de chemins : 1° le chemin du roi, large de douze pieds au milieu, et de deux pieds de chaque côté, ce qui fait en tout seie pieds (cinq mètres); 2° le chemin de huit pieds et deux pieds de chaque côté, faisant douze pieds de largeur ; 2° le chemin de quatre pieds, destiné seulement, suivant l'usage des Romains, aux bêtes de charge. »

Tous les ans a lieu une visite des magistrats municipaux dans une ou plusieurs paroisses. C'est la Visite des chemins, connue aussi sous le nom de Branchage. Tous les six ans, c'est la Cheoauchee du roi. Le but de cette cérémonie, qui est annoncée officiellement, est, pour les autorités, de s'assurer que les routes sont en bon état, qu'elles conservent bien leur largeur réglementaire, et que les branches sont coupées à une hauteur telle, qu'une lance de douae pieds de long (environ 4 mètres), portée par un homme à cheval, puisse passer partout sans rencontrer d'obstacles. Chaque pierre d'achoppement, chaque ronce importune, chaque ramure mal élaguée, attire à son propriétaire une amende de « trente sous » au profit de Sa Majesté. Il est vrai d'ajouter que le repas qui termine la cérémonie et réunit tous les membres visiteurs, soit lieutenant-gouverneur pour la reine, soit bailli, soit connétable, soit[49]centenier cuvalcadour, est servi au compte de la Couronne à raison d'une livre et demie par tête. Ces chemins sont une des beautés de Ple. Poussés par le désir d'augmenter les espaces de culture et d'éloigner de leurs champs des frondaisons trop luxuriantes, les Jersyais eurent un jour la pensée de diminuer le nombre des arbres qui parent leurs routes ; ils en abattirent une grande quantité, mais ils ne tarderent point à les regretter ; le sable envahit leurs terres, porté par les plus hautes marées que connaisse l'Europe ; les vents du large couchèrent leurs moissons, et ils durent bien vite replanter des chênes, des ormeaux pour protéger leurs sillons.

§ 25. SUR LE RÉGIME SUCCESSORL DANS LES ILES DE LA MANCHE

Quand il y a du s sang d'héritier dans une famille, les droits se règlent, d'après la coutume, comme suit: l'aîné des enfants reçoit la maison, avec un enclos d'une contenance approximative d'un hectare à l'entour, plus un dixième de la succession totale ; ce privilège de l'aîné est dit allouances ; » il correspond à des charges de famille, et autrefois il représentait des services dont l'un était de fournir un ou plusieurs mousquets v (hommes armés) pour la défense de l'île. Le reste de la propriété est partagé entre tous les enfants, en parts égales correspondant à chaque unité d'héritier, toutes les filles étant comptées pour une part. L'ainé peut garder le tout sous réserve de payer rentes à ses frères et sœurs. Dans ce système d'héritage, que deviennent les puilnés .... Eh bien l s'ils sont nombreux et qu'ils aient leur part en terres, ils les cultivent ou les louent ; quant aux filles, elles épousent sans doute les cadets ou les alnés des autres maisons ; si les cohéritiers ne reçoivent pour leurs parts que des soultes et s'ils n'ont eu à partager que peu de bien, ils peuvent faire partie des armements pour la grande pêche, ou se placer dans les divers métiers utiles dans l'île, car toutes les professions y sont représentées : charpentiers, maçons, cordonniers, tailleurs, bouchers, boulangers, etc. S'ils appartiennent à la classe agricole supérieure, qui m'apparalt comme une véritable bourgeoisie rurale, leurs parts en font de véritables « rentiers, n au sens ordinaire du mot ; quand ils ont acquis assez d'instruction, ils aiment a entrer dans le commerce, soit en Angleterre, soit en F'rance, soit même dans Jersey ; car, si les industries locales ne sont pas d'une grande importance dans les îles de la Manche, les transactions commerciales d'importation et d'exportation[50]y atteignent pour l'ensemble de l'archipel le chiffre assez élevé de 35 a 40 millions de francs par an (1,400,000 livres sterling en 1880).

C'est le régime de la liberté testamentaire qui est appliqué lorsque la succession a cheoit en ligne collatérale, mais les seigneurs de la erre fiefiée recoivent une année de sa valeur locative, sans doute comme représentant d'anciens droits de mutation et peut-être aussi en compensation des redevances que, comme chevaliers de fiefs hauberts, i servent seuls a la Couronne d'Angleterre 1.... Le seigneur de la Tfé, par exemple, doit à la reine deux canards quand elle vient dans He, et le seigneur du fief de Saint-Ouen, chaque fois que l'île est menacée, est obligé de paraître en armes avec deux de ses tenants « bien montés et équipés et de faire pendant vingt-six jours le service du château de Montorgueil qui surveille à l'est les accès de l'île, comme le château Élisabeth les couvre au midi.

§ 26. SUR UNE DISPROPORTION NOTABLE DE NOMBRE ENTRE LES DEUX SEXES DANS L'LE DE JERSEY

On a vu (§ 1ᵉʳ) que le nombre des femmes dépasse de 4,000 environ celui des hommes à Jersey ; un écart important se remarque entre les deux sexes sur la paroisse de Saint-Sauveur, qu'habite notre famille de fermiers. Quelles sont les causes de cette disproportion, qui d'ailleurs n'est pas speciale aux Îles de la Manche .... Il peut y en avoir de bien diverses.

L'ile de Jersey arme chaque année pour la pêche de la morue ; en 1880, les armements occupèrent trente navires jaugeant près de 5,000 tonneaux, montés par trois cents marins, qui se transportaient a Terre-Neuve, au New-Brunsvicl et sur quelques points des côtes du Canada ; il faut ajouter à ces chiffres un certain nombre d'hommes employés sur place à la pêche et à la préparation du poisson dont les débouchés sont le Brésil, certains ports de la Méditerranée, et principalement Naples ; en outre des absences possibles à l'époque des recensements, les pertes en hommes sont malheureousement très fréquentes dans la grande pêche, et les labeurs de mer y occasionnent presque toujours, soit des blessures, soit une abréviation des forces. De là, pour les femmes, une quantité de survie notauble dont un statisticien doit tenir compte ; la statistique générale, d'ailleurs, ne vient-elle pas conrmer cette interprétation Pour 100 femmes, il nault 105 hommes, il est vrai ; mais prenons une même[51]tranche de population 50 ans plus tard, et nous verrons cette proportion renversée : 100 hommes pour 105 femmes : les hommes sont plus vite dépensés. A Jersey, sur 35 décès d'octogénaires, nonagénaires, et une centenaire relevés pour l'espace de temps compris d'octobre 1893 à fn septembre 1894, on ne compte que 13 hommes pour 22 femmes.

Quoi qu'il en soit de cette double constatation, la plus-value du sexe féminin sur le sexe masculin a son explication dans d'autres faits et probablement dans l'emploi considérable d'ouvrières pour les travaux agricoles de Jersey : salaire moindre de moitié que celui des hommes, forces suffisantes cependant pour le travail demandé, soit sarclage et arrachage des pommes de terre et des autres légumes, soit repiquage, voilà des raisons justificatives de la présence de deux, trois ou quatre femmes pour un homme sur chaque exploitation.

La diférence constatée entre les deux sexes ne tiendrait-elle pas à une intrusion d'étrangères Le census (1891) nous fournit en efet les données ci-après :

Recensement (census) de la population de Jersey en 1891 : part des sujets anglais et des étrangers (1) [notes anenxes]
Recensement (census) de la population de Jersey en 1891 : part des sujets anglais et des étrangers (1) [notes anenxes].

Recensement (census) de la population de Jersey en 1891 : part des sujets anglais et des étrangers (2).

[52] Serait-ce donc la race anglaise à proprement parler qui serait responsable du phénomêne Ne serait-ce pas le climat maritime normand Jersey nous fournit cette réponse-ci, quant à sa natalité, où se montre déjè le phénomène :

Hommes et femmes, nes à Jersey et y habitant en 1891 :

Hommes, 17,596 ; femmes, 21,523, c'est-à-dire 3,927 femmes en plus.

On a proposé une explication tirée de l'habitude séculaire des mariages consanguins dans les illes ; il faudrait d'abord la démontrer. Le problème reste donc entier, et nous devons nous en tenir à le signaler.

§ 27. OBSERVATION SUR LA DIME ET LA RENTE DES BIENS FONCIERS

La dime, en tant que rétribution du prêt de la terre, était la mise en pratique de cette échelle mobile du prix du fermage que préconise si justement le plus brillant de nos économistes français contemporains19: pas de récolte, pas de versement aux mains du propriétaire par le loca[53]taire ; récolte moyenne, récolte excellente, paiement proportionnel, moyen ou supérieur ; — le paiement d'une valeur proportionnée aux produits de la terre, dans le bail à rente tel qu'il fut pratiqué de tout temps à Jersey, fut une autre application de l'échelle mobile appliquée aux fermages. En efet, un ancien historien l'explique comme suit :

« Les biens réels y consistent en terres, ou en rentes ; mais plus communément dans les dernières, qui sont, pour la plupart, constituées de cette manière : le propriétaire d'un bien le loue à un autre pour tant d mesures de froment payables à perpétuité, tous les ans à Paques ; c'est ce qui s'appelle une rente qui se paie en espèces (species : nature), depuis ledit terme de Paques, jusqu'au jour de saint Laurent suivant (10 août); apres lequel temps elle doit être payée en argent, suivant une règle établie par la Cour royale, qui a coutume de s'assembler ce jour-là, et l'état qu'on leur (sic) remet du prix du bled tous les jours de marché du samedi, pendant toute l'année, fixe et détermine le prix des rentes qui restent à payer. Ainsi la manière de compter un bien dans le pays n'est pas par livres, mais par mesures de froment ; c'est pourquoi, quand on demande combien un homme possède de bien, on ne demande pas (comme en Angleterre) combien il a de livres sterling de revenu, mais combien il a de mesures de froment20. »

Les rentes étaient perpétuelles, et se transmettaient avec les immeubles, soit en tout, soit en partie ; aussi les mutations de toute nature, soit ventes, soit échanges, soit successions, étaient-elles fort dificiles sous ce régime ; elles grevaient d'un impedimentum très lourd la propriété foncière. Il a fallu enfin aviser par une « Loi passée par les Etats, le 18 juillet 1879, confirmée par Sa Majesté, en conseil, le 26 fevrier 1880, et amendée par le comité nommé à cet effet, le 21 février 1881. »

Les rentes perpétuelles sont devenues rachetables, une autre sorte de rentes a été créée sous le nom de rentes nouvelles, laissant aux contractants la liberté de les établir aux conditions qui leur conviendraient le mieux, et un tarif oficiel a ixé le taux, soit du rachat, soit de la conversion des rentes anciennes en nouvelles. L'extrait ci-après du tableau réglant cette transaction sufira pour donner une idée de cette importante réforme :

Prix de rembours des rentes anciennes, remboursables en vertu de l'article 37 de la nouvelle loi sur la propriéte fonciere : rentes payables en nature et rentes payables en argent [notes annexes]
Prix de rembours des rentes anciennes, remboursables en vertu de l'article 37 de la nouvelle loi sur la propriéte fonciere : rentes payables en nature et rentes payables en argent [notes annexes].

(1) 20 livres on 500 fr. (2) 12 cabots au quartier. (3) Division du cabot.

§ 28. SUR LES INSTITUTIONS DE CRÉDIT A JERSEY

[54] Il existe à Jersey, entre autres institutions propres à inciter à la prévoyance et a inviter à l'epargne, une fondation dite Penny ˉBank, ou [55] a Banque d'épargne de deux sous, qui pourrait bien avoir été l'initiatrice de nos sociétés françaises : la Fourmi, le Grain de blé, le Gros sou, etc. F'ondée le 9 octobre 1861, et ouverte pour la première fois le premier samedi de l'année 1862, elle fonctionnait depuis un mois à peine qu'elle avait délivr4 708livrets, quelques-uns des connétables de paroisse ayant eu la très encourageante pensée d'aller eux-mêmes, lors de chaque Asembly room, recueillir les économies présentées en échange d'un livret, par les déposants. Cette banque est ouverte, tous les vendredis de midi à une heure pour rembourser, et tous les samedis de six heures et demie à huit heures pour recevoir les versements. On y peut déposer chaque semaine de 1 d. (1 penny 10 cent.) jusqu'à 5, mais nul déposant ne peut avoir à son crédit plus de 4 livres sterling (100 fr.). Quand les sommes s'élèvent à 20 d., les déposants peuvent demander que cette somme soit tranasférée en leur nom à la a Banque d'épargnes.

Celle-ci, établie en 1885, sert un intéret de 2 1/2 % par an, pour toutes sommes reçues ou transférées ; ces sommes peuvent en être retirées en tout ou en partie dès avis préalable, et ses bureaux sont ouverts deux fois par semaine, le mercredi et le samedi, deux heures chaque fois. La Banque d'épargnes accepte ces versements à raison de cinquante livres sterling par an, jusqu'au capital maximum de deux cents livres sterling (5,000 fr.).

La biberté d'émission est complète dans l'île.

Les papiers publics, pour l'année 1896, établissauient comme suit les noms des s paroisses qui ont du papier-monnaie en circulation : Saint-Brelade, Saint-Martin, Sainte-Marie, Saint-Ouen, Saint-Pierre, ville et paroisse de Saintélier, et dans cette dernière, séparément, « en nombre considérable, » la Vingtaine-sous-la-Ville ; soit six paroisses sur douze.

Ces billets ont pour signataires les connétables et les deux procureurs du bien public, ou seulement le connétable ou les procureurs, garantis par leurs paroisses respectives. Ils sont émis sous le titre de Parochial Banb, et payables soit à la Channel lslands Banl, soit à quelqu'une des autres nombreuses maisons de banque établies à Jersey21, dont une est la Société générale Anglaise et Francaise, au capital de 25,000,000 fr., ayant son « siège social » à Saint-Hélier et son siège administratif à Paris ; soit à l'hôtel de ville, chez les connétables des paroisses, ou chez les propriétaires de la Vingtaine qui les ont signés.

[56] La « Masonic Temple Companyn (§ § 20 et 31) a des billets, payables chez divers particuliers.

Non seulement les paroisses, ainsi que les Etats de Jersey, peuvent émettre du papier-monnaie d'une livre sterling, et de même toute société financière ou banque commerciale ; mais encore, jouit de la même faculté, à ses risques et périls, toute association, industrielle, agricole ou religieuse, toute collectivité, en un mot ; lae liberté d'émission va plus loin encore, elle permet même les émissions individuelles. Dans tous ces cas, d'ailleurs, même procédé et même sanction. Une banque de paroisse, par exemple, n'est qu'un office de remboursement, à bureau ouvert et à vue, dont les frais d'installation et le travail sont rétribués par un intérêt de 2 à 3 % au maximum ; un syndicat quelconque émet ses valeurs fiduciaires dans d'identiques conditions : le papier d'un particulier circule aussi dans des conditions semblables ; c'est qu'en réalité, si à Jersey il est loisible à quiconque, simple particulier ou société, de faire graver une planche de billets, la confiance seule peut leur donner un cours que ne leur assure pas la loi, et que tant vaut l'homme ou la société, — au sens américain, — tant oaut le crédit qu'il demande. Aussi, les émissions individuelles ont-elles toujours plus malaisément réussi que les émissions de collectivités. La connaissance de ces divers modes de créer le crédit n'en fit pas moins une grande impression dans le monde agricole, en France, quelques années avant la guerre, et il fut partout question d'en essayer de semblables au profit de l'agriculture ; mais le succès ne répondit pas aux intentions, parce qu'en fait de capitaux la confiance ne se donne pas, elle s'achête, et que la solvabilité seule la maintient. On pourrait souhaiter, néanmoins, de voir ce mode d'emprunt s'acclimater hardiment en France ; la Banque de France n'y aurait à redouter aucune atteinte à son privilège, car il répondrait à des besoins que cette administration ne peut penser à satisaire qu'à un prix trop onéreux ; des communes et des paroisses, au sens diocésain du mot, des syndicats professionnels et des sociétes de travaux, tels que comités d'irrigation et d'assainissement, devraient être autorisés à lancer les émissions qui leur permettraient de trouver plus rapidement qu'à l'aide d'une création d'obligations ou d'actions, et à un taux plus modéré, les capitaux nécessaires à des entreprises à courte échéance et dans un rayon restreint ; il sufirait de limiter, en outre, ces emprunts à un chiffre peu élevé pour que le papier-monnaie ofrit une garantie suffisante aux yeux de ceux qui l'accepteraient transitoirement, par ce seul fait d'ailleurs que les titres en seraient remboursés toujours au porteur et a vue.

[57] Enregistrons en terminant l'heureuse institution des varrantsagricoles qui donnent, en France, une certaine satisfaction à ces vœux, depuis le vote de la loi du 10 juillet 1898, en autorisant les cultivateurs a emprunter sur le produit de leurs récoltes, sans être obligés de déplacer les objets donnés en gage, et en les conservant, sous leur responsabilité, dans les bâtiments ou sur les terres dépendant de l'exploitation.

§ 29. STATISTIQUE DE LA PRODUCTION ET DE LA VENTE DES POMMES DE TERRE PENDANT LES VINGT DERNIÈRES ANNÉES

Dans un remarquable travail22, écrit par un Français exilé à la suite du coup d'État de décembre 1851, Pierre Leroux, et qui n'a pas été sans influence sur le progrès de l'agriculture dans les îles de la Manche, on peut relever les chiffres suivants, comme termes de comparaison :

Avant 1847, la production des pommes de terre par vergée « se classait judiciairement, à raison de 300 cabots, qui, comptés à 20 lilos, donneraient 6,000 lilos à la vergée, soit 30,000 lilos à l'hectare ; le prix moyen des 20 lilos était de 1 fr. 50, soit 450 r. à la vergée, et plus de 2,250fr. par hectare.

En 1851 et 1852, l'exportation de cette denrée répondait aux nombres de 5,622 et 3,334 tonnes.

Le tableau suivant, extrait d'un rapport au ministère de l'agriculture par notre consul à Jersey en 1887, donnera une idée générale des produits de cette culture dans des années plus rapprochées.

Vergers cultivés à Jersey et prix moyens des produits (1878-1886) (notes annexes)
Vergers cultivés à Jersey et prix moyens des produits (1878-1886) (notes annexes).

En 1886, les 14,000 vergées cultivées, correspondant à 2,519 hectares, avaient produit 76,000 tonnes, soit 30,170 lilos par hectare.

[58] Voici le résultat statistique en tonnes et en livres anglaises de 25 fr., shellings et deniers, produit au Weigbridge (pont-bascule) des États, à Saint-Hélier pendant les années consécutives à 1886 ;

Production du Weigbridge (pont-bascule) des États à Saint-Hélier (1887-1895) (notes annexes)
Production du Weigbridge (pont-bascule) des États à Saint-Hélier (1887-1895) (notes annexes).

Pour cette dernière année, du 1er mai au 27 juillet, l'exportation donne lieu au détail ci-desous :

Détail de l'exportation (1er mai au 27 juillet 1895) (notes annexes)
Détail de l'exportation (1er mai au 27 juillet 1895) (notes annexes).

La présente monographie se rapporte à l'année 1896.

§ 30. TONNAGE DES BATIMENTS APPARTENANT A L'ILE DE JERSEY AU 23 NOVEMBRE 1895

Tonnage des bâtiments appartenant à l'île de Jersey au 23 novembre 1895 [notes annexes]
Tonnage des bâtiments appartenant à l'île de Jersey au 23 novembre 1895 [notes annexes].

§ 31. SUR LA NOUVELLE ATTITUDE DU GRAND ORIENT DE FRANCE DEPUIS 1870, RELATIVEMENT AU DÉCALOGUE

[59] La sociéte secrète, dite des francs-macons ( § 21), paraitavoir été introduite en France vers 1770; elle y était importée d'Angleterre. On sait quel fut a cette époque l'engouement pour les institutions de ce pays : il alla jusqu'à en prendre les modes, justifiées peut-être dans la GrandeBretagne par le climat, pantalon et chapeau haute forme, dont le propagateur cependant fut, dit-on, un prince français, Philippe-Égalité ; il est vraisemblable que ce prince le fut aussi de la franc-maconnerie. Etait-ce pour lui disputer le monopole de sa propagande soi-disant libérale, que Louis XVI, le comte d'Artois et le comte de Provence se firent également initier Le fait est qu'il y eut, avant la Révolution, une loge « des trois frères, » et, qu'à leur exemple, beaucoup de personnages marquants, des prêtres et même des dames de la cour s'afilièrent également. C'est que la secte ne s'était pas présentée dès lors sous l'aspect qu'elle a manifesté depuis : elle se disait une école de morale et de solidarité ; par son but, elle voulait être en particulier une société de secours mutuels[60]pour tous ses membres ; elle proclamait sa croyance au aGrandArchitecte de 'Univers, et, surtout, elle voulait enseigner aux hommes à s'aimer, à défendre partout et contre tous la justice.

Cette conception de la respectability de la franc-maconnerie survécut même à la Révolution, et il existe une pièce gravée, portant le titre de Loge Bonaparte, qui énumère, au nombre des membres qui la composent, des freres et alliés de Napoléon Ier.

Depuis, les illusions sont tombées. Le Docteur suprême de l'Église universelle a parlé : à plusieurs reprises, il a dénoncé les desseins suspects qui se cachaient sous la phraséologie humanitaire des F... M.. En effet, en 1874, un siècle après l'apparition de la franc-maconnerle en France, le Grand Orient ne proclamait-il pas qu'il était inutile dorénavant, pour être franc-maçon, d'attester la croyance au Grand Architecte de l'Univers ? Les catholiques se sont retirés des Loges, tandis que, malgré cette affirmation officielle d'athéisme, des rabbins, des pasteurs ont continué à faire partie de cette société, et quoiqu'on sache bien que c'est des Loges qu'est parti le signal de la persecution religieuse qui aura marqué la fin du XIXe siecle. En dehors même de cette considération, comment des lévites israélites et des membres de l'Église réformée, qui ont pour mission les uns et les autres d'enseigner une morale établie sur le Décalogue, peuvent-ils accorder le sentiment de cette mission avec l'indiférence quant à l'existence d'un Être suprême, Créateur et Providence du monde ? On répond, il est vrai, à cette remarque : « La franc-maçonnerie n'est pas une religion. » Il semble pourtant que pour éloiggner d'elle des disciples de Moïse et de l'Évangile, il suffise, aux yeux de la logique, que la franc-maçonnerie soit une irréligion.

Le Gerant : A. VILLECHÉNOUX.

Notes

1. En 1878, l'exportation des vaches jersyaises a été de 1,790 pour l'Angleterre, 780 pour la France et 2I0 seulement pour l'Amérique.

2. A l'Exposition d'agriculture de Paris en 1898, plusieurs beaux échantillons de la race jersyaise ont été admis comme acclimatés au département du Nord.

3. Le recteur de Saint-Sauveur n'en reçoit pas moins chaque année de 4 à 5,000 fr., y compris le casuel des enregistrements ; et le doyen de l'île une diaine de mille francs de dîmes par an, quoique lés dimes a lui payées ne soient que des 2ee eomme pour les recteurs.

Si les dîmes aux recteurs étaient trop médiocres, la caisse ecclésiastique qui fonctionne en Angleterre pour le clergé anglican viendrait parfaire la rétribution nécessaire.

4. La vergée est de 17 ares 993.

5. Cf. Henri Johanet : Jersey.... Avec la chromolithographie d'une vache de la race jersyaise. — Paris, Léon Vanier, 1885. In-8.

6. Cf. Rapport fait à la Société de statistique de Paris (juillet et octobre 1895) par M. Beaurain, et duquel il ressort que le citoyen français verse, sous forme d'impôts divers à l'État, de 20 a 25 % de ses revenus-dépenses.

7. La Province sous l'ancien regime, par Albert Babeau. — Paris, Didot, 1894, 2 vol. in-8.

8. On sait qu'en échange du titre de Purveyors to her ajesty aujourd'hui encore, en Angleterre, certains fournisseurs doivent présenter annuellement au Souverain, les tailleur, par oxemple, une aiguille : d'autres, des étrilles, de la bonneterie, etc. Cf. Radovances de la reine Victoria, dans ournat des opage, numéro du 5 avril 1896.

9. Pour faire partie du barreau de Jersey, il faut remplir certaines conditions, dont l'une est dix ans de séjour constaté. Quoique la Cour royale continue de juger d'après le Coutumier de Normandie, le titre de licencié, obtenu devant une Faculté de droit française, y est admissible aunssi bien que d'autres diplomes étrangers. — Le Grand Coutumier de Normandie fut composé entre 1270 t 1280; à cette dernière date il avait été en aeffet mis en vers par le poète normand Richard Dourbault. Cette Coutume fut reconnue des1302 par le roi et par les évêques. A la sollicitation des Etats de Normandie, Hanri III en ordonna une revision en 1577. La commission qui fut chargée de ce travail comprenait un président et deux consoillers de la Cour du Parlement de Rouen, un avocat général, auxquels devaient s'adjoindre des députés des trois ordres. Les avocats, les procureurs et les notables bourgeois de chaque bailliage durent se réunir sous la présidence de leur bailli et rédiger un mémoire. Le Coutumier ainsi réformé fut exécutoire dans le pays nornand jusqu'au 30 ventose an XII.

10. V. Hugo : « La commune est à Jersey beaucoup plus près du gouvernement direct que partout ailleurs.... » ˉLa Normandie inconnue, p. 142-3.

11. Cf. Robinet de Clery : ˉLes Iles Normandes, pays de home rule. Paris, Ollendor, 898, in-8.

12. « Ordre de Sa Tres Excellente Majesté en Conseil, en date du 27 juin 1894, confirmant certain Acte des États, en date du 30 avril 1894, intitulé : ˉLoi sur la taxation du rât et la ˉListe électorale, enregistré le 14 juillet 1894. »

13. L'anglicanisme reconnait : le symbole des Apotres, celui de Nicée et celui de saint Athanase : il admet la Trinité, l'Incarnation de Notre-Seigneur JésusChrist, laésurraoction, la divinité du Saint-Esprit, les Sacrements de Baptéme, d'Eucharistie et de Ṕnitence .... la Confession auriculaire est facultative ; la Communion, devenue un pur symbole, se donne sous les deux espèces ; le célibat n'est pas imposé au clergé ; le chef de l'anglicanisme est le Souverain de l'Angleterre. Hstoireˉ religieuse de l'île de Jerseg, par le baron E. de Demuin. — Rennes, Oerthur, 893, in-8 ; p. 69.

14. H. Gaidoz, Revue des Deux Mondes, I5 fevr. 1889.

15. Guide du voyageur a Jersey, par Auguste Desmoulins.

16. Académie des sciences morales et politiques, séance du 6 mai 1882 at suiv.

17. Impressions de Guerneseg, par Gustave Larroumet.

18. Pendant l'impression de ces pages, les Etats de Jersey ont adopté, le 8 fevrier 1900, par 26 voix contre 15, le projet autorisant l'emploifacultatif de la langue anglaise dans cette assemblée. Le maire de Saint-lélier avait voté contre.

19. Paul Leroy-Beaulieu, Traité théorique et pratique d'économie politique (t. II, p. 28-29) : On peut se demander s'il n'y a pas quelque difficultés à concilier les locations à long terme qui sont désirables et la fation du fermage en argent, avec les variations plus fréquentes et plus imprévues que jamais du prix des denrées.... Il suffit de stipuler dans le bail une echelle obile du fermage en argent suivant les prix moyens qu'atteindront, chaque année, tels et tels produits qui forment la base de chaque exploitation ... Le fermier serait dégagé en grande partie de lléa parfois énorme, que les oscillations de pri, impossibles à prévoir, lui imposopnt dans les baux à long terme. Cf. ˉLes citations de M. Jaures... Grande, moyenne et petite propriéte, fermage, par Paul Leroy-Beaulieu (Comité de défens et de progrès social ; tract ne 9, p. 10).

20. Histoire detaillee de Jersey et Guernseag, traduit de l'anglais par M. Le Rouge, ingénieur géographe du roi. Paris, 1757. — Avec 2 cartes et fig.

21. L'une de ces banques existait déjà, à Saint-Hélier, avant la fn du dernier siècle.

22. Aux Etats de Jerseg, sur le moyen de quintupler la production agricole du pas, par Pierre Leroux. Londres et Jersey, 1853 ; in-8 (p. 75 et 76).