N° 86.

MNEUR DES MINES DE HOUILLE

DU PAS-DE-CALAIS — FRANCE

JOURNALIER,

DANS LE SYSTÈME DES ENGAGEMENTS MOMENTANÉS,

D'APRÈS

LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN NOVEMBRE 1893,

PAR

YAN' KÉRAVIC .



Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille

Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

§ 1ᵉʳ. État du sol, de l'industrie et de la population.

[253] La famille décrite dans la présente monographie, habite le village de A*** qui compte 2.400 habitants. Le pays environnant est entièrement plat et dépourvu d'arbres ; on y voit les restes d'un ancien marais. De sa demeure, l'ouvrier est à un kilomètre de la fosse où il travaille, et à deux kilomètres d'une petite ville où se tient, une fois par semaine, un marché assez important pour attirer une grande partie de la population ouvrière.

Les deux grandes industries du pays sont : l'agriculture, avec ses dérivés, et les mines. Au point de vue agricole, le pays est très riche. La terre y est propre à la culture des céréales et de la betterave aussi de nombreuses fabriques de sucre et d'alcool se sont établies dans la[254]région, et leurs propriétaires font, dans des terres en location, de la culture sur une grande échelle avec les procédés industriels ; mais l'ouvrier agricole, et même le petit propriétaire foncier, sont loin d'avoir tous les avantages dont jouit l'ouvrier mineur. Celui-ci est le dernier venu dans le pays. La houille n'a commencé à être exploitée à A*** que depuis 1860 ; après des alternatives variées, l'industrie charbonnière s'y est développée surtout depuis 1875 ; elle est actuellement dans un état des plus prospères.

La population minière est généralement calme et tranquille, vu l'éloignement des grands centres. Peu d'ouvriers entourent la fosse, la plupart viennent des villages environnants, quelques-uns sont même éloignés de 10 kilomètres, beaucoup d'entre eux possèdent une petite maison ; aussi les idées socialistes des grands centres ouvriers ne se propagent-elles que bien lentement. Le contrat de travail dans la mine appartient au système des engagements momentanés, il n'est pas rare de voir un grand mouvement de personnel. Toutefois, l'état des choses exposé précédemment fait en sorte qu'à la fosse de A***, les ouvriers sont d'une assez grande stabilité.

Voici le tableau des ouvriers rangés par années de service :
Voici le tableau des ouvriers rangés par années de service :.

L'ouvrier qui nous occupe est rangé dans la catégorie de 10 à 20 ans ; au point de vue du travail et des avantages accordés aux ouvriers à la veine habitant les corons, il est dans la même situation que les autres, il représente donc le type général de cette catégorie. Il diffère de ses camarades par trois points : il a de l'ordre, de la conduite, et sa femme est travailleuse ; trois choses qui ne se rencontrent que rarement chez les mineurs.

§ 2. État civil de la famille.

[255] La famille comprend les époux et deux enfants, savoir :

JEAN-BAPTISTE M***, chef de famille, né à D** (Pas-de-Calals), marié en 1881............ 36 ans.

AZÉMA J***, sa femme, née à I*** (P.de-C.)............ 29 —

AUGUSTIN M***, leur fils, né à A*** (P.de-C.)............ 10 —

RACHEL M***, leur fille, née à A*** (P.de-C.)............ 8 —

Un an avant la naissance d'Augustin, la mère était accouchée de deux jumeaux dont l'un était mort-né, et l'autre n'a vécu que quelques heures.

Les parents de Jean- Baptiste étaient liniers à D*** (§ 18), et cultivaient en outre quelques terres en location, ils n'avaient aucune propriété immobilière. Son père s'était marié avec une fille de D*** sans aucun avoir. De cette union naquirent deux fils : Jean-Baptiste et son frère qui quittèrent de bonne heure la maison paternelle où l'industrie linière en décroissance ne leur donnait plus de travail. Tous deux sont actuellement mineurs.

Les parents d'Azéma sont originaires d'I***. Son père eut d'un premier mariage deux fils actuellement mineurs, et d'un deuxième trois filles dont l'une est encore chez son père, une autre est un mineur, Azéma est la troisième. Son père, jadis ouvrier dû renoncer à son métier à cause du faible salaire qu'il lui rapportait; à quarante et un ans, il est descendu au fond de la mine, où il a trouvé du travail comme conducteur de chevaux.

§ 3. Religion et habitudes morales.

Les parents de l'ouvrier étaient catholiques et l'ont fait élever dans leur religion. Depuis sa première communion, il a abandonné toutes pratiques religieuses. Il entre a l'Eglise à l'occasion des enterrements, et cela, parce qu'il est membre d'une société de secours mutuels dont les statuts l'y obligent ; mais il s'abstient même de la messe de SainteBarbe, patronne des mineurs. En un mot, il montre l'indifférence la plus complète en cette matière. Peut-etre cette attitude est-elle due à[256]la peur de se distinguer. Aussi bien Jean-Baptiste tient avant tout à ne pas se faire remarquer ; il se trouve dans un milieu où la seule pratique est le maigre du Vendredi-Saint, il fait comme tout le monde. Considéré sous un autre aspect, c'est un honnête homme, d'une intelligence au-dessus du niveau moyen des mineurs : il est loyal et franc, travaille avec goût et adresse et peut être considéré comme un bon ouvrier. Son instructisn a été très sommaire, son ignorance lui est à charge, il cherche à faire profiter ses enfants des leçons qu'on leur donne à l'école. Il est très sévère pour eux, leur parle peu, les reprend à la moindre faute et ne les frappe jamais ; aussi les enfants lui témoignent-ils plus de crainte que d'affection. Il est charitable et n'hésite pas à donner aux pauvres qui viennent à sa porte lui demander du pain. Pourtant, il n'a presque jamais aidé son père qui était vieux et infirme. C'est à peine s'il prélevait une somme de trois francs par an pour cet usage. Ce n'est pas réellement manque d'affeetion, c'est plutôt indifférence, et comme F*** est à 8 kilom. de sa maison, il hésitait ou ne pensait pas à se mettre en route pour l'aller voir ; chez lui, il lui aurait donné ce dont il aurait eu besoin et sa femme l'aurait aidé volontiers.

Azéma est en effet douée d'une certaine sensibilité de cœur. Assez active et économe dans son ménage, elle réserve du temps pour pratiquer sa religion. Elle est protestante et assiste régulièrement tous les quinze jours au prêche à I***, distant de chez elle de 7 kilom. environ, quelquefois même, elle se rend à V*** pour le même motif. Son mari lui a abandonné la direction religieuse des enfants, elle les élève dans le protestantisme. Elle lit souvent la Bible et est abonnée au journal de l'Eglise Chrétienne ; mais elle ne paraît pas se rendre un compte très net des pratiques qu'elle observe. Elle ignore à quelle secte protestante elle appartient et sa religion est plutôt affaire d'habitude et de superstition que de foi et d'élan, ou même de raisonnement. Aussi, elle ne voit aucune atteinte à la loi morale, à mettre dans le même lit son fils et sa fille, et cela dans la chambre conjugale. Cependant, elle est parfaitement convaincue qu'elle remplit exactement ses devoirs. L'observance de la religion la porte naturellement à la charité envers les pauvres et à l'amour filial. Elle a soigné avec le plus grand dévouement sa vieille mère, morte il y a peu de temps. Elle paraît la regretter, mais, comme il arrive généralement che les ouvriers, n'en porte pas le deuil.

En général, la famille est estimée ; depuis onze ans qu'elle demeure[257]dans les corons, elle n'a jamais eu de dispute avec ses voisins. Lee époux vivent la plupart du temps chez eux, aiment à recevoir, une fois par quinaine environ, différents membres de leur famille. La mison est bien tenue et d'une propreté méticuleuse. L'ordre y règne, c'en est assez pour retenir l'homme au logis et le préserver de l'ivrognerie. C'est ainsi qu'il peut atteindre la fin de l'année avec l'espoir de placer une petite somme à la caisse d'épargne.

§ 4. Hygiène et service de santé.

Le climat de A*** est généralement sain. Le pays est extrêmement plat, et comme il n'est pas éloigné de la mer, il est continuellement balayé par les courants d'air des côtes. Les sautes de vent y sont brusques et fréquentes, et contribuent à faire naitre des maux de gorge, de poitrine et des rhumatismes. L'ouvrier est d'une force moyenne ; ses parents sont morts à un âge avancé : son père des suites de linfluena, sa mère d'une pleurésie. Quant à lui, il n'a jamais été malade et ne se souvient que d'un fort mal de gorge qui l'a retenu à la chambre pendant huit jours.

ALéma jouit d'une bonne santé, ses couches ont été faciles, elle n'a jamais été malade; les enfants se portent également à merveille. Cependant, la famille ne prend aucune précaution relativement à la santé ; nais la propreté naturelle d'Azéma et les ablutions forcées de JeanBaptiste, en rentrant de la fosse, contribuent pour une large part à l'état florissant de leur santé. En tout état de cause, l'ouvrier est affilié à deux sociétés de secours mutuels pour lui venir en aide en cas de maladie (§ 13). Ces sociétés lui donneraient, comme il sera dit plus loin, les moyens de se faire soigner. Dans aucun cas, il ne voudrait recourir aux médecins empiriques.

§ 5. Rang de la famille.

L'ouvrier est journalier dans le système des engagements momentanés, et n'a paus d'autres aspirations actuelles. Il sait que son âge lui[258]interdit maintenant de songer à obtenir un grade dans la hiérarchie de la mine. Ne pouvant s'élever au-dessus de sa position, il cherche à vivre heureux et tâche de faire quelques économies à la fin de l'année, à condition qu'il ne se prive de rien dont il ait besoin, dont il ait envie, et que cela ne lui coûte pas trop de peine. Cette dernière raison l'a précisément décidé à entrer dans une société coopérative. Là, il achète les denrées et fournitures au même prix que dans les boutiques du village, mais tous les six mois, il reçoit un dividende, qui a le grand avantage de venir en quelque sorte tout seul. Ce dividende est égal à 10 % environ de l'argent employé aux achats.

Au demeurant, c'est un homme habile et fort au travail, il le sait et s'en fait gloire. Il jouit d'une grande considération auprès de ses camarades de travail et de ses voisins ; il est également bien vu de ses chefs, qui apprécient en lui l'homme tranquille et honnête, le travailleur actif et consciencieux.

Moyens d'existence de la famille

§ 6. Propriétés.

(Mobilier et vêtements non compris).

Immeubles............ 0f00

La famille n'a aucune propriété immobilière et ne croit pas pouvoir en acquérir.

Argent............ 66f 00

Une action de la Coopérative civile d'A. 50f00. — Tantième des bénéfices laissés à la coopérative pour l'acroissement du fonds de réserve et l'acquisition ultérieure d'une nouvelle action : 16f 00. — Total, 66f 00.

ANIMAUX DOMESTIQUES............ 12f 00

6 lapins, 6f00; — 6 poules et coq, 6f 00. — Total, 12f00.

Matériel spécial des travaux et industries............ 42f 60

1° Matériel de mineur. — 1 hache, 2f20 ; — 3 pics, 3f60; — 1 pelle, 1f60; — 2 rivelaines, 2f80. — Total, 10f20.

[259] 2° Matériel pour le blanchissage du linge. — 3 cuviers, 16f50; — 1 brosse en chiendent, 0f30; — 1 trépied, 1f50; — 3 fers à repasser, 9f10. — Total, 27f40.

3° Matériel pour la culture du jardin. — 1 fourche, 1 bèche, 1 pelle, 1 houe, le tout cheté d'occasion, 5f00.

Valeur totale des propriétés............ 120f60

§ 7. Subventions.

Les subventions que l'ouvrier reçoit sont de deux sortes et concernent l'habitation et le chauffage.

L'ouvrier est logé dans les corons de la Société des Mines (§ 20) et paie un loyer de 5 francs par mois pour la maison et le jardin y attenant, soit 60 francs par an.

Dans le pays, le montant de ces deux loyers serait au bas mot de 164 francs. L'ouvrier reçoit donc de ce chef une subvention en nature de 104 francs (§ 16 D).

Quant au chauffage, il reçoit 6f900 d'escaillage (charbon de seconde qualité). Il paie tous les mois, la somme insignifiante de 0f20 pour toucher sonbon de charbon, alors qu'il devrait payer le même combustible à raison de 7fA410 la tonne, soit pour 6f900 la somme de 51f00. Ceci représente donc une subvention en nature de 18f60 (§ 16 E).

§ 8. Travaux et industries.

Travaux de l'ouvrier. — Jean-Baptiste est ouvrier à la veine, c'està-dire occupé à détacher le charbon de la veine où il se trouve en place. Ce travail est toujours payé à la tâche ; il comporte assez d'attention, car il faut veiller à trois choses essentielles : 1° livrer le charbon marchand, c'est-à-dire aussi propre que possible, 2° soutenir les vides laissés par l'enlèvement du charbon, au moyen d'un système de boisage suffisant pour écarter toute crainte de danger, 3° porter une grande attention sur l'état de l'aérage et de l'atmosphère du chantier au point de vue du grisou. Cependant, ces précautions prises, le travail du mineur n'est ni aussi pénible, ni aussi[260]dangereux que certains esprits partiaux ont bien voulu le laisser entendre. Il est, de plus, payé à un taux rémunérateur (§ 17). La journée de l'ouvrier qui nous occupe se monte en moyenne pour 1892 à 7 francs il est à noter que la journée d'un mineur ne dépasse pas huit heures au maximum de travail effectif. Outre son occupation à la mine, l'ouvrier fait des sommiers pour se distraire et rendre service aux voisins. Ceux-ci lui fournissent le matériel en bois, ressorts et sangles, il n'intervient que comme opérateur. Ce travail lui rapporte peu de chose, et il laisse à ses obligés le soin de fixer eux-mêmes la rétribution pour le service rendu.

Travaux de la femme. — A l'inverse de ce que l'on constate chez la plupart des femmes de mineurs, Azéma s'occupe chez elle toute la journée, elle entretient son ménage avec soin et propreté, achète les aliments, fait la cuisine avec goût, raccommode les vêtements de la famille et confectionne les bas et les chaussettes pour son mari, pour elle et pour les enfants.

Travaux des enfants. — Les enfants ne font aucun travail, ils vont tous deux à l'école. Les parents ont l'intention d'envoyer leur fils à la mine dès qu'il aura treize ans.

Industries entreprises par la famille. — Aidé par sa femme, l'ouvrier cultive son jardin et élève lapins et volailles, il n'y prend qu'un goût très relatif, mais il le fait par raison, afin d'économiser sur l'achat des légumes, et par bien-être, afin d'avoir des produits plus frais qu'en les achetant. On peut considérer le blanchissage du linge comme une autre industrie entreprise par la femme.

Mode d'existence de la famille

§ 9. Aliments et repas.

L'ouvrier fait quatre repas par jour dont deux en commun avec sa famille. La femme et les enfants en font trois principaux.

L'ouvrier se lève à 4 heures pour se rendre à la fosse, où il doit être arrivé à 5 heures. Avant de partir il prend une tartine de pain[261]beurré qu'il trempe dans une tasse de café au lait. Sa femme se lève en même temps que lui, pour lui préparer ce repas. Au fond de le mine, l'ouvrier quitte le pic vers 9 heures du matin et en compagnie de tous ses camarades fait briquet ». On appelle ainsi ce repas qui coupe en deux le travail. Le briquet se compose généralement d'une tartine de pain avec ou sans beurre accompagnée suivant les saisons d'un œuf cru, d'un fruit, d'un oignon, voire même d'une orange Avant de les envoyer à l'école, la femme donne à ses enfants une tartine de pain avec une tasse de café au lait et prend le même déjeuner.

Après la remonte de l'ouvrier, la famille se réunit à 2 heures pour prendre en commun le principal repas, c'est le dîner ; il se compose toujours de soupe, d'un plat de viande, d'un autre plat : œufs, salades ou légumes, enfin d'un dessert. La viande est variée : bœuf, mouton ou porc, jamais de veau. Deux fois par semaine, on met le pot-au-feu.

Le soir, vers 7 heures, la famille se réunit encore pour prendre le souper. Ce repas se compose le plus souvent d'une tartine mangée avec des pommes de terre ou une tasse de café au lait. Ce ne sont que les repas principaux ; il n'est pas rare, en effet, que les enfants et la femme mangent le matin à 8 heures 1/2, et le soir à 4 heures, en attendant le souper.

La boisson usitée est la bière. La famille ne possède pas de vin et n'en boit jamais.

§ 10. Habitation, mobilier et vêtements.

La famille occupe dans la commune de A... un des corons de la Société des Mines. On nomme ainsi les habitations ouvrières que font construire les entreprises industrielles et en particulier les mines pour attirer auprès d'elles les ouvriers nécessaires à leur industrie. La maison de Jean-Baptiste M... se compose d'une cave, d'un re-dechaussée, d'un premier étage et d'un grenier, dont les dimensions sont les suivantes :

Dimensions des pièces du rez-de-chaussée (§10)
Dimensions des pièces du rez-de-chaussée (§10).
Dimensions des pièces du premier étage (§10)
Dimensions des pièces du premier étage (§10).

[262] Derrière la maison se trouve une cour de 1m 63 sur 5m50 contenant un bûcher, un poulailler, des cabanes à lapins, un toît à porc et des cabinets d'aisance. Enfin, la cour s'ouvre sur un jardin de 4 mètres sur 5m,50.

Le prix du loyer est de 60 francs par an, comme il a été dit § 7.

Meubles. : très simples, mais entretenus dans un état de propreté minutieuse............ 740f35.

1° Lits : — 1 1it pour ami comprenant : 1 bois de it, 20f00; — 2 paillasses de varech, 0f00; — 1 couverture de laine, 6f00 ;— 1 traversin, 4f00; — 1 lit de ménage comprenant : bois de lit,35f00; — 1 sompnier, 35f90 ; — 1 paillasse en varech, 20f00; — 1 matelas de laine, 70f00 ; —1 couverture de laine, 12f00; — 2 couvertures de coton, 16f00; — 1 traversin. 8f00 ; —1 lit pour les deux enfants : bois de lit, 48f00 ; — 1 sommier, 40f00 ; — 1 paillasse en varech, 20f00; — 1 matelas de laine, 75f00 ; — 1 couverture de laine, 12f00; — couverures de coton, 16f00. —1 traversin, 8f00. — Total, 165f00.

2° Meubles des chambres à coucher — 1 coffre et 1 malle, 30f00; — 2 chaises, 2f75 ; — table en bois blanc, 0f50. — Total, 33f25.

3° Meubles des autres péces : — A. Pièce d'entrée : — 1 table en cerisier, 35f00; — chaises de paille et bois vernis, 22f00 ; — 1 poêle, 63f00 ; — 1 armoire en orme, 15f00; — tapis de table en toile cirée, 4f50 ; — 1 glace,8f50; — 1 tableau représentant Moise et autres représentant les vertus domestiques, 10f00; — quelques photographles, 6f00. — Total, 164f00.

B. Cuisine :— 1 poêle à faire la cuisine, 32f00 ; — 1 table en bois blanc avec pieds en forme, 7f00; — 8 chaises, 18f00 ; — planches pour mettre la vaisselle, 2f00; — 1 cadre contenant les tables de la loi, 0f10. — Total, 59f10.

4° Livres. — Matériel et fournitures de bureau pour les parents, 4f00 ; — pour les enfants, 15f00. — Total, 19f00.

Linge de ménage : en bon état d'entretien............ 67f00.

7 paires de draps, 49f00; — 1 douaine d'essuie-mains, 6f00; — 1 douzaine de torchons gris, 6f00 ; — 2 rideaux de fenêtre, 6f00. — Total, 67f00.

Ustensiles............ 77f35

1° Dépendant du poêle. — 1 tisonnier, 1f00 ; — 1 paire de pincettes, 1f00; — 1 rulle et un bac à charbon, 3f50. — Total, 5f50.

2° Employés pour la préparation et la consommation des aliments. — 2 soupières, 5f00 ; — 2 douzaines d'assiettes, 6f00; — 1 douzaine de couverts de fer étamé, 2f50; — 1 douaaine de couverts de fer étamé, 1f50; — 1 douzaine de couteaux, 3f60 ; — 2 cocottes en fonte, 2 poèlons en terre, 1 pot-au-feu, 1 cuillère, 1 écumoire, 10f00; — 1 cafetiere marabout, 2f00 ; — 1 douzaine de verres à boire, 6f00; —1 seau, 2f00; — 1 chaudron, 3f00 ; — 1 pot, 2f00. — Total, 43f60.

3° Pour usage de propreté. — 2 rasoirs, 3f00 ; — 1 balai en crin, 1f25 ; — 6 vassingues, 6f00; — 1 balais à laver, 12f00. — Total, 22f25.

4° Employés pour usages divers. — 1 quinquet à pétrole, 6f00.

[263]Vêtements : La famille est toujours vêtue avec la plus grande propreté............ 378f30.

Vêtements de l'ouvrier (170f00)

1° Vêtements des dimanches et fêtes. — 1 complet redingote, 40f00 ; — 1 complet drap veston. 30f00; — 3 chemises blanches, 9f00; — 4 paires de chaussettes, 6f00; paires de bottines, 8f00. — Total, 113f00.

2° Vêtments des jours ouvriers. — L'ouvrier met à tous les jours, le pantalon de son complet veston après sa renonte de la fosse ; — 2 vestons de toile bleue, 12f00; — 1 tricot de laine, 6f00 ; — 1 pare de bottines, 8f00; — effets de fosse complets, 14f00; — 1 casquette, 4f00 ; — 1 barrette, 5f50 ; — 3 chemises de couleur, 7f50. — Total, 57f00.

Vêtements de la femme (96f00).

1° Vêtements du dimanche. — 1 robe et 1 corsage de lainage, 15f00; — 1 chapeau, 7f 00; — paires de bas, 5f00 ; — 1 paire de bottines, 15f00. — Total, 42f00.

3° Vêtements de travail. — matinées, 12f00; — 2 jupons, 8f00; — 1 chapeau, 4f00; — paires de bas, 6f00; — 1 paire de bottines, 10f00; —1 corset, 2f00; — 6 chemises, 1f00. — Total, 54f00.

VÊTEMENTS DES ENFANTS (112f30).

1° Vêtements du garçon. — 1 complet drap, 0f00; — 1 complet pour tous les jours, 12f00; — paires de bas 5f40 ; — 3 paires de bottines, 24f00; — 1 chapeau, 3f00 ; — 1 casquette, 1f50. — Total, 65f90.

2° Vêtements de la fille. — 1 robe et corsage pour le dimanche, 12f00 ; — 1 robe et corage pour tous les jours, 5f00; — 4 paires de bas, 5f40; — 3 paires de bottines, 1f00; — 1 chapeau, 3f00. — Total, 46f40.

Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 1.263f00.

§ 11. Récréations.

La famille ne prend pas souvent de récréations extérieures ; le plus grand de ses plaisirs est de recevoir de temps à autre quelques parents. La femme s'abstient de fréquenter ses voisines, parce que, dit-elle, on a toujours lieu de le regretter. Tous les jours en sortant de la fosse, le mari entre au cabaret pour se désaltérer. Il boit de la bière, avec ses camarades de taille. De ce chef, ses dépenses montent à 16 francs par mois, ce qui est peu par rapport à la généralité des mineurs (il en est qui dépensent plus de 40 francs par mois à l'estaminet). M*** ne s'est jamais enivré qu'une fois, dans les premiers temps de son mariage : il s'est promis de ne plus recommencer et a tenu parole.

Histoire de la famille

§ 12. Phases principales de l'existence.

[264] L'histoire de la famille est très simple et n'offre aucune particularité remarquable. Jean-Baptiste reste chez son père jusqu'à sa première communion, puis il doit aller chercher du travail aussitôt après et en trouve dans une fabrique de sucre de A... Il n'y reste que peu de temps. Ne pouvant y être occupé toute l'année, il cherche du travail dans les fermes et reste à N*** dans ces conditions jusqu'à l'age de seie ans. A cette époque, il s'embauche comme chargeur à la Compagnie des Mines où il travaille actuellement ; il y reste deux ans. A dix-huit ans, nous le retrouvons dans une autre mine, mais le métier ne lui sourit guère, il le quitte de nouveau pour aller travailler dans les fermes, de droite et de gauche. Enfin, à vingt-quatre ans il se marie et, comparant les salaires reçus jusqu'alors dans les différents métiers qu'il a exercés, il se décide à redescendre dans la mine et vient se fixer à A..., d'où il n'a pas bougé depuis. Sa vie s'écoule calme et tranquille sans difficulté.

Il a dû subir quatre grèves de durées inégales ; mais s'il n'a pas travaillé, il n'a pas pris part aux grands mouvements d'intimidation contre les ouvriers qui ne cessaient pas le travail. Néanmoins, ces périodes de troubles lui ont été funestes, car il a mangé les quelques économies qu'il avait pu faire. C'est ainsi qu'à la dernière grève, il a dû retirer 300 francs qu'il avait placés à la caisse d'épargne. Sa femme, Azéma, est restée chez elle jusqu'à son mariage, sa vie n'a offert aucun incident digne d'être remarqué.

§ 13. Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.

L'ouvrier est affilié à deux sociétés de secours mutuels : l'une, à laquelle il est obligé de verser de par son embauchage à la Société des Mines, est composée et gérée uniquement par les ouvriers. Moyen[265]nant un versement de 3 francs par mois, il a droit gratuitement aux soins du médecin, aux fournitures du pharmacien, et reçoit en plus une indemnité de 1 fr. 50 par jour de maladie1.

L'autre a été fondée par des mineurs habitant la commune, à quelque compagnie qu'ils appartiennent ; elle porte le nom de Société Sainte-Catherine. Moyennant un droit d'entrée de 3 francs et une éotisation mensuelle de 1 franc, tout sociétaire a droit, en cas de maladie, à un secours de 1 franc par jour pendant les six premiers mois, et de cinquante centimes pour les six mois suivants. Cette Société assure également les frais funéraires des sociétaires décédés.

La Société des Mines intervient aussi pour prendre à sa charge les ouvriers blessés dans ses travaux ; ceux-ci, outre les soins médicaux, recoivent une indemnité de 1 fr. 90 par jour. Elle peut également donner à ses vieux ouvriers, devenus invalides, une indemnité variant de 1 à 2 francs par jour, suivant que ces ouvriers sont restés de dix à trente ans à son service. Il convient de remarquer que ce secours est un simple don de la Société. Dans l'étaut actuel il n'y a pas de caisses de retraites2.

L'ouvrier était également affilié au Syndicat généraf des mineurs du Pas-de-Calais, pour lequel il versait une cotisation annuelle de cinquante centimes. Mais cette institution ne lui ayant pas procuré le bien qu'il en attendait, il a préféré depuis un an environ s'abstenir de verser.

La famille ne peut donc compter, pour lui assurer le bien-être dans ses vieux jours, que sur les secours d'invalidité dont il a été parlé plus haut, sur les quelques économies qu'elle pourra faire, enfin sur le travail des enfants ; il est à craindre que cette dernière ressource lui fasse rapidement défaut, car si l'on jette les yeux autour de soi, on ne tarde pas à s'apercevoir qu'en réalité l'esprit de famille n'existe pas parmi les mineurs.

Éléments divers de la constitution sociale

FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION SOCIALE; PARTICULARITÉS REMARQUABLES APPRÉCIATIONS GÉNÉRALES; CONCLUSIONS.

§ 17. SUR L'ESPRIT GÉNÉRAL DES MINEURS ET LEURS REVENDICATIONS.

[277] Les mineurs ont considérablement occupé l'opinion publique pedant ces derniêres années. On a beaucoup écrit, beaucoup disserté; bien des allégations erronées ont été mises au jour et au milieu de ce chaos d'opinions diverses, ce sont les plus fausses qui ont fait le plus de chemin. Des apôtres du socialisme ou des égoistes avides de situations brillantes se sont servis des ouvriers de la mine pour satisfaire leur ambition ; dans ce travail personnel, ils ont été puissamment aidés par les ouvriers qui avaient dû quitter la Compagnie d'Anin après une grève célèbre.

C'est en 1889 que l'agitation a commencé dans le Pas-de-Culais : comme conséquence des hauts cours des charbons et des valeurs minières, les mineurs s'étaient mis en grève pour obtenir une augmentation de salaire ; à la suite de ce mouvement, on avait cédé à leur demande. Alors, fiers de leur victoire, les mineurs fondèrent un vaste syndicat ouvrier embrassant toutes les mines du département. C'est de ce moment que les chefs de cette association ne cessèrent d'entretenir une agitation permanente par l'organe de leur journal, et qu'on ne perdit aucune occasion de saisir l'opinion publique des revendications ouvrières. Les mineurs demandèrent à tous les échos, la journée de huit heures, des salaires rémunérateurs, et de la bienveillance, voire[278]même du respect, de la part de leurs chefs. Il convient d'étudier ces diverses réclamations et la portée qu'elles peuvent avoir.

Il est certain que la journée de huit heures est une des revendications qui offre le caractère de la plus grande généralité, mais il semble que les mineurs du Nord de la France sont mal fondés à produire une pareille demande. Letravail de la mine est en effet partagé en deux postes, l'un de 5 heures du matin à 1 heure 1/2 du soir, l'autre de 3 heures de l'après-midi à 11 heures 1/2 du soir. Le premier, de beaucoup plus important, est celui pendant lequel on extrait le charbon, où l'on fait le travail productif. Le secondest celui pendant lequel on fait les voies de roulage, les remblais, et généralement l'entretien et les réparations courantes. Ces deux postes ont donc une durée totale de huit heures et demie. Mais la durée de la journée de travail est bien moindre.

Il est hors de doute que dans toutes les industries, la journée commence au moment où l'ouvrier est à son travail ; il ne vient jamais à l'esprit de personne de commencer à compter son temps au moment où l'ouvrier sort de chez lui. Cependant, c'est une prétention analogue que formulent les mineurs en réclamant la journée de huit heures comprise entre la descente et la remonte.

Un ouvrier descendu, lorsqu'il est à l'accrochage, se trouve en effet assez éloigné de sa taille, il n'est pas rare qu'il ait une demi-heure de chemin à faire pour y arriver ; on peut compter une moyenne de vingt minutes ; il faut le même temps pour revenir à l'accrochage après la journée terminée. Vers 9 heures du matin dans le premier poste, vers heures du soir dans le second, l'ouvrier se repose et reprend des forces en faisant briquet ; ce repas dure environ vingt minutes. Il faut donc défalquer une heure du temps qui s'écoule entre la descente et la remonte. De plus, il convient de noter que pendant tout le temps qu'il est au fond, l'ouvrier se trouve dans de bonnes conditions pour l'aérage : en moyenne, il circule dans les galeries 30 litres d'air par seconde et par homme ; beaucoup d'ateliers au jour n'ont pas une aussi bonne ventilation. De tout ce qui précède, on peut conclure que, dans une bonne atmosphère, la journée de travail, le pic en main, se réduit à 7 heures 1/2, ce qui n'a rien d'exagéré, surtout si l'on considère le salaire gagné pendant ce temps.

Cependant, la question du salaire est une des plus brûlantes : les deux partis en présence soutiennent des allégations contraires. Certains journaux, de bonne foi ou non, ont imprimé des moyennes de journées dérisoires, calculées d'après des renseignements incomplets[279]donnés évidemment par des personnes intéressées. La chose présentée d'une facon habile peut paraître vraisemblable, et on a pu faire un violent reproche des différences constatées dans les prix de la tache, alors que ces prix sont réglés d'aprês les allures essentiellement variables du gite. Si au lieu de considérer le détail, on prend l'ensemble des salaires, on peut constater d'après les statistiques les plus certaines que depuis quatre ans les moyennes des journées ont augmenté dans de grandes proportions.

Moyennes des journées 1887 à 1891 [notes annexes]
Moyennes des journées 1887 à 1891 [notes annexes].

Les moyennes du fond, tous ouvriers compris, sont donc passées de 3 fr. 90 à 4 fr. 85. Pendant ce temps les moyennes des ouvriers à la veine (aides compris) passêrent de 4 fr. 80 à 5 fr. 75 et à 6 francs, ce qui fait que les ouvriers seuls, aides non compris, ont une moyenne de6 fr. 75à 7 francs. Cette monographie montre d'ailleurs qu'un ouvrier rangé peut vivre d'une facon assez large en ne comptant que son salaire et les avantages attachés à sa profession. Malheureusement, sans vouloir généraliser outre mesure, on doit constater que le mineur a deux ennemis : le cabaret où il use sa santé à boire des liquides de mauvais aloi, où il se laisse monter la tête par des fauteurs de désordre, et la nonchalance de la femme qui dépense son temps en inutilités. Au milieu de ce laisser-aller, les enfants s'élèvent comme ils peuvent, et l'ouvrier qui demande à être traité avec égard par ses chefs a perdu tout respect pour sa femme, pour sa famille et pour lui-méme.

Cette prétention aux égards des chefs s'est manifestée à toutes les grèves ; d'abord, elle ne fut réclamée que pour les vieux ouvriers, ensuite pour tout le monde, on alla même jusqu'à fixer l'âge à partir duquel le renvoi d'ouvrier ne devait plus être permis. Il convient d'ailleurs de remarquer que, si le mineur réclame le respect de la part de ses supérieurs, il manifeste une tendance à s'affranchir de l'autorité du chef dont il dépend immédiatement : le porion.

Celui-ci est un ouvrier que son intelligence, ses aptitudes et la[280]connaissance spéciale des travaux du fond acquise par une longue expérience ont désigné à ses chefs pour le mettre à la tête d'un quartier de la mine. Mais le travail du fond est généralement simple, et dans la surveillance continuelle et journalière des ouvriers, le porion ne peut guère montrer sa supériorité sur eux d'une façon décisive. Il est bien rare que l'ouvrier ne sache pas prendre le travail au mieux pour le faire vite et bien, il ne se rend pas compte du travail intellectuel de son chef pour disposer son quartier d'une facon harmonique en lui-même et dans son rapport avec les autres, il ne voit dans le porion qu'un homme chargé de le rappeler à l'observation des règlements et lui infliger une amende quand il les viole. I n'en est pas de même dans les ateliers de construction, par exemple, où le contre-maître est obligé d'intervenir continuellement auprès de l'ouvrier pour lui enseigner la manière de prendre son ouvrage, où à chaque pas la nature même et la variété du travail lui permet d'affirmer positivement sa supériorité. Le mineur n'obéit qu'à contreceur au porion et celui-là même auquel il demande le plus d'égard est traité par lui avec le moins de respect. L'ouvrier passe pardessus sa tête et va porter ses réclamations à l'ingénieur. Celui-ci, par sa justice impartiale, sa bonté ferme et la supériorité intellectuelle qu'il lui est facile d'afflrmer, a le devoir de maintenir la paix, la bonne entente et la subordination parmi ceux qu'il a mission de commander.

Plus que jamais, cette bonne entente doit régner pour opposer une barrière au socialisme envahissant ; plus que jamais, il convient de prendre les mesures nécessaires contre le courant actuel des opinions. L'esprit de famille n'existe plus, il faut le reconstituer par la rentrée de la religion au foyer domestique. Le crédit entraîne l'ouvrier dans des dépenses hors de proportion avec ses recettes : il faut le supprimer par la fondation de sociétés coopératives de consommation. L'amour de l'épargne existe à peine, il faut le propager. Les coopératives feraient déjà beaucoup pour cette amélioration, mais il semble qu'un autre moyen existe encore. Plusieurs grandes sociétés minières ont partagé leurs actions et les ont mises à la portée des petites bourses, il faut faire plus encore. 1 faut une loi (et c'est une des rares fois qu'on devra s'adresser à l'Éat en pareille matière) qui autorise les sociétés anonymes à émettre des actions de 25 francs comme en Angleterre. L'ouvrier pourrait posséder de ces valeurs ; du jour où il serait action[281]naire, il ne songerait plus à se laisser entraîner dans ces grands mouvements populaires qui lèsent à la fois patrons et ouvriers. Il semble que ce soit le moyen pratique de réaliser dans les grandes entreprises, la question si discutée aujourd'hui de la participation aux bénéfices.

§ 18. SUR L'INDUSTRIE LINIÈRE A D...

D... est un petit village du Pas-de-Calais situé dans une région marécageuse. Outre ces eaux stagnantes, D... possède une fontaine communale à l'eau très claire et très pure ; cette particularité a été, parait-il, la cause de l'implantation dans le pays du travail du lin.

Il y a très longtemps que les paysans de D... se livrent à cette industrie. Les renseignements font actuellement défaut, mais il faut remonter à plusieurs siècles en arrière pour fixer la date de son établissement. On peut dire que tout concourait à en assurer le succès : la culture du lin était jadis très rémunératrice, la vente sur le marché de Lille en était active ; d'un autre côté, le lin jouit de la propriété de dispenser d'engrais la terre pour la réussite subséquente des céréales. Tous les pays avoisinants étaient couverts de champs de lin. Après la coupe, la récolte était portée à D... et achetée par les liniers du pays. Ceux-ci exerçaient une véritable industrie familiale ; les hommes s'occupaientdes travaux extérieurs : rouissage, séchage, blanchissage, etc. ; les femmes travaillaient au foyer au cassage et au décorticage. Le travail était libre, exempt d'impôt ou patente ; la seule réglementation consistait en un arrèté municipal réglant la mise au routoir pour sauvegarder l'intérêt général. Après la fabrication, le lin était vendu aux tisserands des environs et principalement aux filatures de Lille. Les déchets étaient filés et utilisés sur place. C'est ainsi que chaque membre de la famille pouvait faire au minimum un bénéfice de 3 francs par jour (on comptait un franc de bénéfice par botte de 500 grammes). Il n'était pas rare de voir des familles où le gain journalier était de 15à18 francs, et où, pendant toute une semaine, on ne bougeait pas de la salle réservée au travauil. L'homme dépensait au cabaret un franc les dimanches et jours de fêtes : c'était la seule récréaution qu'il prenait. Aussi la tranquillité et l'aisance ré[282]gnaient-elles au village. Mais les mauvais jours sont venus et beaucoup ont mangé, dans les dernières années, les économies qu'ils avaient faites.

Aussi bien, en 1875, l'industrie de D... a commencé à baisser, et, après quelques soubresauts d'agonie, elle est presque entièrement morte. Les causes en sont nombreuses. La principale est l'importation du lin de Russie. Il faut aussi noter l'entrée dans les usages courants des étoffes de cotonnades et de draps pour lesquelles on a abandonné la toile. Quelques rares cultivateurs continuent à récolter et à travailler le lin.

Depuis deux ans, le gouvernement attache à cette culture une certaine prime, mais il est à craindre que, malgré tout, l'industrie linière ne se relève jamais dans cette localité.

Notes

1. Depuis le moment ou cette monographie a été écrite, la loi du 9 juin 1894 est intervenue. Le versement mensuel est de 2 0/0 pour la caisse de secours, et l'indemnité en cas de maladie est passée à 1f75. L'exploitant intervient dans les versements et l'administratlon. Cf. la loi.

2. En vertu de la nouvelle loi du 9 jun 1894, il est opéré maintenant une retenue de 2% du salaire pour la caisse de retraites. L'exploitant verse également 2% pour le néme motif. Dorénavant les retraites seront donc données par la Calsse nationale en raison des versements efectués. Toutefois, pour les ouvriers embauchés avant le 1er janvier 186, le anciennes dispositions ont été consolidées par la Société des mines. Jean-Bto M... bénéficiera de cet avantage.