N° 87.

AGRICULTEUR

DU PAS-DE-CALAIS — FRANCE

PROPRIÉTAIRE-OUVRIER

DANS LE SYSTEME DE TRAVAIL SANS ENGAGEMENTS

D'APRÈS

LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN NOVEMBRE 1893

PAR

YAN' KÉRAVIC



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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.

Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

§ 1ᵉʳ. ÉTAT DU SOL, DE LA POPULATION ET DE L'INDUSTRIE.

[283] Le village de B***, où habite la famille, est situé au milieu d'un pays découvert, sans collines ni forêts. La superficie de la commune est de 530 hectares environ, taxés pour un revenu de 17.280 francs.

On peut diviser son étendue en trois parties principales : le village ou manoir, le marais, les marnières. Les deux premières sont très fertiles, la troisième, réputée stérile il y a soixante ans, est devenue d'un bon rendement grâce aux efforts des cultivateurs. Aussi la culture estelle très développée et forme-t-elle l'industrie principale du pays ; on y récolte surtout des céréales et des betteraves. Autrefois, on cultivait le colaza, l'œillette et le lin avec un certain succès, mais de ces trois cul[284]tures la dernière est entièrement morte et les deux premières perdent du terrain chaque jour1.

Outre l'agriculture, l'industrie de l'extraction de la craie, improprement appelée marnedans la localité, occupe un petit nombre d'ouvriers.

Les carrières de B.... fournissent : la pierre à chaux pour les chaufourniers des environs, les matériaux aux municipalités pour la construction des chemins vicinaux, enfin les amendements pour les cultivateurs du Nord dontles terres sont trop grasses. Vers 1860, l'industrie houillère est venue s'implanter dans le pays, et, après des fortunes diverses, elle est actuellement en pleine prospérité. Les besoins de différentes industries ont donné naissance à un commerce assez développé. Outre les transactions agricoles qui se font dans le pays même et sur le marché de C... distant de trois kilomètres, on trouve dans le village de B... les ressources de première nécessité.

La population atteint le chiffre de 900 habitants environ. Elle se partage en deux camps bien distincts : les cultivateurs et les mineurs, animés l'un contre l'autre de sentiments peu fraternels. Le degré d'instruction va s'améliorant de jour en jour (§ 17), et il existe encore quelques sentiments religieux. Cependant, malgré une certaine douceur de mœurs, les habitants de B... ont un caractère dont le fond est l'envie et la jalousie ; ils déblatèrent volontiers contre le voisin, de sorte qu'aucune union n'est possible. Ce village est renommé à la ronde pour la difficulté qu'on éprouve à y vivre en société.

§ 2. État civil de la famille.

La famille se compose des personnes suivantes :

CHARLES B..., père de famille, marié depuis 29 ans............ 59 ans.

CÉCILE B..., sa femme............ 51 —

FLEURY B..., fils aîné............ 26 —

CÉLINE B..., fille aînée............ 22 —

SOPHIE B..., 2e fille............ 18 —

CHARLES B..., 2e fils............ 16 —

D'autres enfants, Céline et Fleury, qui auraient maintenant trente et vingt-huit ans, sont morts tout jeunes, le premier d'une fièvre typhoide, à l'âge de six mois, le second d'une fièvre cérébrale, à trois mois.

§ 3. Religion et habitudes morales.

[285] Charles est ce que l'on peut appeler un type. L'intelligence est prompte, la mémoire excellente; s'il avait été cultivé, il serait assurément devenu un homme au-dessus de l'ordinaire. Tel qu'il est, en circulant de droite et de gauche pendant sa jeunesse, son esprit naturellement curieux s'est enquis de tout un peu et sa personnalité s'est développée assez originale, supérieure à celle des gens de sa condition.

Il possède une certaine quantité de formules, de phrases apprises par cœur, s appliquant à tous les sujets de conversation, et, dans les discussions, fait des citations de la Bible et de la mythologie, entremêle Jean-Jacques Rousseau et Lacordaire, saint Jean Chrysostome et Voltaire, Racine et François Coppée ; il est certain qu'il croit comprendre tout ce qu'il dit et imagine ses arguments irrésistibles. C'est surtout dans les discussions religieuses qu'il se montre terrible. D'un catholicisme intransigeant, il a mis en fuite autour de lui tous les protestants, à force de les attaquer chez lui ou jadis au cabaret. Par une bizarre inconséquence, ce catholique fougueux qui va à la messe et observe le repos du dimanche, ainsi que le maigre du vendredi, a négligé ses Pâques depuis tantôt vingt ans; son exemple a d'ailleurs été suivi par sa femme. La raison une question d'intérêt entre lui et le curé d'alors, mort d'ailleurs depuis longtemps. Sur ce point, il est irréductible, mais il enjoint à ses enfants de fréquenter les sacrements, au moins une fois tous les mois ; au besoin il les y force. Il affilié la famille à une confrérie de Saint-Francois de Sales, et ses filles à celle des Enfants de Marie.

En politique, il n'a pas d'idées moins arrêtées, il discute volontiers sur la Révolution française, repousse les progrès du socialisme actuel et se déclare royaliste. Il a le respect de l'autorité et a élevé ses enfants dans ces principes. Il s'est beaucoup occupé de leur éducation morale et a cherché à développer che eux l'idée d'honnêteté et de travanil ; il est arrivé à son but et a formé une famille unie et disciplinée. Cette union se manifeste également dans le culte des parents morts, à la mémoire desquels il fait célébrer tous les ans un service solennel.

De ces habitudes morales devait nailtre une grande modération d'i[286]dées au point de vue social ; c'est ainsi que le père cherche à faire fructifier le bien qu'il a reçu en héritage, mais il considère que le rapport de l'agriculture n'est pas assez rémunérateur pour chercher à agrandir ses propriétés. Une autre considération le pousse dans cette voie; il ignore à qui son bien reviendra après lui. Ses filles n'épouseront peut-être pas des cultivateurs, son fils aîné a un travail dans les mines, son second fils est encore trop jeune pour savoir s'il prendra décidément goût à la culture, et il se chagrine en songeant que son bien sera peut-être divisé. Il n'approuve pas le partage forcé, qui donnera une somme insignifiante à chacun de ses enfants, tandis que son bien intégral nourrirait sa famille tout entière.

Cependant, à défaut d'accroissement, il tire tout le profit possible de ce qu'il possède. Il s'enquiert des progrès que la science a fait faire aux méthodes de culture et cherche à en profiter. C'est ainsi qu'il s'occupe avec activité, donnant l'exemple à ses enfants et à sa femme.

Celle-ci joue, au point de vue moral, un rôle un peu effacé, elle s'est laissé conduire docilement par son mari ; d'ailleurs, il lui aurait été impossible de lutter contre des idées aussi arrêtées. Elle se contente de se montrer avec bonne humeur soumise et laborieuse. Son bonheur réside dans la joie de sentir ses enfants bien unis et animés du meilleur esprit de famille.

§ 4. Hygiène et service de santé.

Les membres de la famille jouissent d'une assez bonne santé. Le père avait les écrouelles au moment de son service militaire, il a été réformé pour ce motif ; depuis, il est devenu robuste et résiste bien aux fatigues de son métier. La femme est assez délicate et ne prend aucune précaution pour réagir contre cette fâcheuse disposition. Les enfants sont d'une forte constitution.

La famille prend peu ou point de mesures d'hygiène ; la maison est seulement blanchie à la chaux intérieurement deux fois par an. Tous les samedis, on lave à grande eau tous les dallages et planchers.

Il est curieux de remarquer que pour des gens qui mettent leur point d'honneur à avoir des carreaux bien propres et des fourneaux aux cuivres éblouissants, l'usage des bains soit complètement négligé. Le père a bien entendu dire que certaines gens de la ville avaient cette[287]coutume, et « que l'on disait que cela ne pouvait pas faire de mal, mais pour lui, il n'a jamais essayé ». Le fils aîné est affilié à la Caisse de secours des Mines, il est seul à profiter des avantages conférés par elle (médecin et pharmacien gratuitement, plus 1f50 par jour de maladie). La famille doit, en cas de maladie, appeler un médecin qu'elle paie. Dans aucun cas, elle ne voudrait avoir recours à un charlatan.

§ 5. Rang de la famille.

La famille occupe dans le pays une situation ordinauire et représente asse exactement la moyenne générale des petits cultivateurs de la commune. Charles s'occupe de culture depuis relatlvement peu de temps. Il a été dans les commencements en butte aux jalousies de tous les autres agriculteurs ; on lui a cherché chicane pour les limites de ses terres ; il a dû essuyer plusieurs procès qu'il a d'ailleurs gagnés. Du reste il a fini par s'imposer, et jouit maintenant dans le village d'une considération justement méritée.

Cependant, la vie est difficile pour lui actuellement, les trois dernières années ont été très mauvaises. En 1890, le bénéfice a été nul ; en 1891 et 1892, il a perdu 1.000 francs et a été obligé de contracter un emprunt hypothécaire de 1.500 francs à 5 pour cent, pour commencer l'année 1893. Cette dernière a été, il est vrai, bonne et il compte sur elle pour se libérer en partie de sa dette.

Moyens d'existence de la famille

§ 6. Propriétés.

(Mobilier et vêtements non-compris).

Immeubles............ 12.500f,00

1° Habitations. — Maison comprenant un rez-de-chaussée et un étage, 3.000f 00.

2° Immeubles ruraux. — Grange, 800f00; —— Étables, écurie et porcherie, 1.500f00. — Total, 00f00.

3° Terre. — Une contenance de 95 ares, 7.200f 00.

[288] ARGENT............ 60f 00

Argent considéré comme fonds de roulemt pour les besoins de la vie ordinaire ; la somme de 60 francs est rarement dépassée, car l'argent provenant des ventes d'animaux et autres produits, est immédiatement employé dans l'exploitation, 60f 00.

ANIMAUX DOMESTIQUES entretenus toute l'année............ 1.515f00

Cheval pour le service de l'exploitatlon agricole, 450f00; — 3 vaches à 300f, 900f00; — 1 porc, 110f 00 ; — 20 poules et 2 coqs, 44f 00; — 1 pigeons, 6f 00; — 1 chien de garde, 5f 00. — Total, 1.515f 00.

Matériel spécial des travaux et industries............ 875f10

1° Exploitation des champs. — 1 charrue, 671f 00; — 1 herse en bois, 17If 00; — un buiot pour tracer les sillons, 40f00 ;— 4 houes à main, 10f 00 ; — 2 houes à placer des betteraves, 6f 00; — 1 arrachoir, 43f 00; — 1 bascule, 20f 00 ; —1 brouette à betteraves, 24f00; — 1 rouleau, 20f 00; — 2pics à fourches, 5f00 ; — 1 chariot, 400f00; — 1' harnachement de cheval, 50f 00; — 1 moulin à vanner, 40 f 00; —1 éau et 1 râteau, 5f 00. — Total, 747f 00.

2° Exploitation de bêtes à cornes et de l'écurie. — 2 rateliers, 12f 00 ; — 1 échelle, 10f 00 ;— 2 fourches, 6f 00; 1 grpwé, 5f 00; — 2 seaux en bois, 4f 00; — 1 tonneau au purin, 5f 00; — 2 seaux galvanisés pour traire les vaches, 4f 10; — 1 baratte, 32f 00 ; — 3 traisiers, 6f 00. — Total, 84f 10.

3° Exploitation du potager. — 1 houe, 5f 00; — 1 bêche, 5f 00. — Total, 10f00.

4° Exploitation de la basse-cour. — 1 auge, 4f 00;— 1 seau en bois, 2f 00. — Total, 6f 00.

5° Blanchissage. — 2 cuviers, 3f 00; — 1 trépied, 1f 50 ; — 1 corde,0f 50. — 3 fers à repasser, 1f 50. — Total, 6f 50.

6° Fabrication du pain. — 1 pétrin, 6f 00 ; — 1 table, 2f 00; — 1 pelle en bois,1 f50; — 1 douzaine de catoires (panier pour mouler la pàte), 12f 00. — Total, 21f 50.

Valeur totale des propriétés............ 14.950f10

§ 7. Subventions.

La famille jouit de deux subventions, la première est due au fils aîné, qui, étant occupé aux mines de G*** et ayant une conduite irréprochable, s'est vu, suivant les règlements, délivrer son charbon au bout de deux ans de présence ; il touche 5f 600 de charbon escaillage, ce qui lui vaut un bénéfice de 39f 60 en nature. (§ 16, H.)

La famille jouit aussi de l'usufruit d'un bien communal. La commune possédait en effet sur son territoire un marais qu'on a desséché pour en faire un sol propre à la culture ; ce terrain a été divisé en parts et attribué aux plus anciennes familles du pays. Les parts se transmettent à l'aîné des héritiers du possesseur actuel. Faute de descendance, elles retournent à la commune qui les distribue de nouveau.

[289] La part de Charles B*** est grande de 45 ares environ et vaut 1.500f; il la cultive comme le reste de ses propriétés et des terres qu'il loue. Le bénéfice qui en résulte a été compté à l'exploitation générale ; il eût été trop compliqué et sans utilité de faire autrement.

§ 8. Travaux et industries.

Tous les membres de la famille, sauf le fils aîné, s'adonnent en commun à la culture. Les terres cultivées par la famille comprennent 95 ares en propriété, 45 ares en subvention et 4 hectares en location.

Travaux des hommes. — Les hommes font particulièrement le travail de la terre, le fauchage des céréales, l'arrachage des betteraves et les prestations en nature. Le père s'occupe en outre de la basse-cour. Le fils aîné est employé aux mines ; il y remplit avec ponctualité un poste fatigant mais rémunérateur.

Travaux des femmes. — La mère ne s'occupe que de la fabrication du pain et des soins du ménage, cuisine et entretien des effets.

Les filles travaillent aux champs pour le chargement des betteraves, le bottelage des javelles et la mise en meule. Elles servent de manœuvres pour le battage à la machine. Elles sont chargées de soigner les vaches, de les traire et de faire le beurre. Enfin, elles aident leur mère dans les travaux domestiques et s'occupent du blanchissage du linge.

Industries entreprises par la famille. — Tout le travail précédemment énoncé, sauf celui de Fleury B***, constituent en réalité une série d'industries entreprises par la famille, qui sont : l'exploitation des champs, de la vacherie, du potager, de la basse-cour et la fabrication du pain.

Mode d'existence de la famille

§ 9. Aliments et repas.

La famille est d'une grande sobriété ; elle parait se trouver à merveille de ce régime frugal et semble croire qu'elle ne peut désirer autre. chose : on n'est pas riche, dit le père, mais on est bien. Après le lever,[290]la famille prend un repas appelé premier déjeuner ; il se compose d'une jatte de café au lait avec une tartine de pain et de beurre. Le père y ajoute un petit verre d'eau-de-vie. A 9 heures, on déjeune ; le café étant trop cher, on prend à ce repas une infusion de sauge au lait avec une tartine. A midi, le dîner se compose d'une soupe grasse que l'on mange avec la viapde bouillie les jours gras, ou d'une soupe aux légumes avec des haricots à la vinaigrette tous les vendredis.

On achète le dimanche un morceau de bœuf qui dure jusqu'au lundi soir ; les autres jours de la semaine, la viande de porc sert à faire la soupe. On goûte à 4 heures et l'on soupe à 8 heures avec une infusion de sauge au lait et des tartines de pain beurrées. La sauge, qui joue un rôle important dans l'alimentation de la famille, a l'avantage de ne rien coûter comme culture ; deux ou trois pieds suffisent pour assurer la récolte annuelle ; elle se reproduit très facilement par marcotte et n'exige aucun soin. Dans les mauvaises années, la famille avait réduit la nourriture : les tartines n'étaient plus beurrées, afin que tout le produit de la laiterie fût vendu, et l'on ne mangeait de viande qu'une ou deux fois par semaine. Aux aliments dont il vient d'être question, il convient d'ajouter par jour de travail une dépense de quatre œufs consommés aux champs. Les jours de fête et quelquefois le samedi, quand la récolte est bonne, on se régale de mouton.

§ 10. Habitation, mobilier et vêtements.

La maison est batie en briques, avec facade à quatre fenêtres et porte cochère. Elle se compose d'une pièce d'entrée et de deux chambres au rez-de-chaussée ; le premier étage mansardé comprend une chambre et un grenier. Les parents couchent dans la première chambre du rez-dechaussée, les filles dans la seconde et les fils dans celle du premier.

Meubles. : très ordinaires, mais propres............399f00

1° Literies. — 3 bois de lit, 90f00 ; — 6 paillasses d'avoine, 4f50 ; — 3 oreillers de plumes, 6f 00; — 6 couvertures de laine, 36f00; — 3 couvertures de coton, 7f50. — Total, 144f00.

2° Mobilier des chambres à coucher. — 1 garde-robe, 30f00; — 1 secrétaire, 10f00; — 1 table, 2f00 ; — 5 chaises, 10f00; — 1 poêle, 20f00; — 1 miroir, 4f00; — 1 coffre, 5f00. — Total, 81f00.

3° Mobilier de la pièce d'entrée servant de cuisine. — 1 poêle, 60f 00; — 1 bac à charbon avec accessoires, 4f00 ; — 6 chaises, 12f00; — 1 armoire, 40f00; — 1 table, 8f00 ; — 1 pendule, 30f00. — Total, 154f00.

4° Livres et fournitures de bureau. — 20f 00

[291]Linge de ménage : en toile grossière............ 88f20

12 paires de draps, 84f00 — 1 essuie-mains, 4f20. — Total, 88f20.

Ustensiles............ 35f75

1° Employés pour la cuisine et de consommation des aliments. — 3 marmites, 15f50; — 3 tourtieres en fer, 1 50 ; — csseroles en fer émaillé, 2f25; —1 terrine en terre vernie, f0; — 1 verres à boire, 1f0; — 1 sses et 1 soucoupes, 3f00; — douaaines d'assiet. tes, f0;— 1 couverts en fer étmé, 1f0 ; — 1 petits verres, 1f00; —12 bouteilles, 1f80. — Total, 33.

2° Employés pour l'éclairage. — 1 lampe à pétrole, 3f00; — 1 cruche à pétrole, 0f40. — Total. 3f40.

VÊTEMENTS. — Les parents ont des vêtements de paysans, les garçons sont mis avec plus de recherche. Les filles ont abandonné le bonnet de linge pour le chapeau, elles portent le costume de petites bourgeoises............ 1,079f20

VÊTEMENTS DU PÈRE (203f60).

Vêtements de dimanche. — 1 complet redingote, 80f00,

Vêtements de travail. — complets vestons velours, 60f00; — 1 casquette, 2f00; — 3 cravates, 3f00; — 5 paires de chausettes, 15f00 ; — 2 paires de souliers, 20f00; — 4 mouchoirs de poche, 1f60; — 6 chemises de travail, 1f00; — 4 chemises blanches, 10f00. — Total, 13f60.

VÊTEMENTS DE LA MERE (114f00).

Vêtements de dimanche. — 1 robe à corsage de mérinos noir, 1 mante, 40f00 ; — 1 fchu, f00; — 1 bonnet de linge, 2f50. — Total, 44f50.

Vêtements de travail. —3 jupes, 15f00; — 6 tablier, 12f00 ; — 6 chemises,13f50 ; — 5 paires de bas, 15f00; — 3 caracos, 8f00; 1 paire de pantoufles en cuir,4f00; — 1 paire de sabots, 1f00. — Total, 69f50.

VÊTEMENTS DES FILS (344f80).

Vêtements de dimanche. — complets en drap noir, 90f00; — chapeaux, 5f00; — cravates, 4f00; — paires de bottines, 1f00; — 8 chemises blanches, 32f00. — Total, 147f00.

Vêtements de travail. — 4 vêtements en velours, 129f00; — 1 chemises de couleur, 2f00 ; — 2 paires de bottines, 20 f00; — 2 paires de galoches, 5f00; — 12 paires de chaussettes, 4f00; — 12 mouchoirs de poche, 4f80. — Total, 197f80.

VÊTEMENTS DES FILLES (416f80).

Vêtements de dimanche. — 2 costumes en mérinos noir, 60f00; — 1 manteau, 50f00; 1 jaquette, 30f00; — 2 chapeaux, 16f00; — 2 capellines, 7f00; — 3 cravates, 6f00 ; — 2 paire de chausures, 14f00; — 10 pantalons, 20f00. — Total, 203f00.

Vêtements de travail. — 12 jupes, 36f00; — 6 caracos, 18f00; — 2 corsets, 18f00 ; — 20 chemises, 45f00 ;— 16 paires de bas, 48f00 ; — 2 paires de chaussures, 18f00; — 2 paires de sabots, 2f00 ; — 8 tabliers, 4f00; — 12 moucholrs, 4f80. — Total, 13f80.

Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 1.602f15

§ 11. Récréations.

[292] En semaine, tout le monde travaille : on ne se permet de récréations ue le dimanche et les jours de fêtes. Le père ne va plus au cabaret depuis une dizaine d'années ; il y trouve deux avantages une économie très notable, l'absence de cancans sur son compte. Il est, en effet, d'un caractère très gai, et en société tient toujours le dé de la conversation, racontant des histoires, chantant des chansons, amusant tout le monde ; ce faisant, il a provoqué la jalousie de ceux qui ne pouvaient en faire autant, et, comme ils sont le plus grand nombre, il en souffrait beaucoup. Maintenant, il reste chez lui le dimanche, il fait la lecture à haute voix dans une vieille année du agasin pittoresue et dans un journal ; il commente les nouvelles, les événements politiques tout en fumant sa pipe.

Le tabac est actuellement la seule dépense superflue qu'il se permette, il est vrai qu'il en fume toute la journée, la dépense quotidienne de ce chef est de quinze centimes. Les enfants restent chez eux ; les filles amènent des compagnes pour passer le temps entre les offices, auxquels elles assistent régulièrement. Le fils aîné va au cabaret le dimanche, vers 4 heures du soir, rejoindre quelques jeunes gens qui partagent les mêmes opinions que lui. Il évite de fréquenter les mineurs, joue aux cartes et jamais avec enjeu d'argent ; il est sobre, ne s'enivre jamais ; mais, étant avec ses camarades, il est obligé de payer en moyenne deux à trois tournées et dépense de ce fait 2 francs environ pour sa soirée. Enfin, la ducasse du pays est une occasion d'amusement général pour la famille, on se promène pendant le jour, et le soir, la jeunesse va s'amuser au bal.

Histoire de la famille

§ 12. Phases principales de l'existence.

Charles B*** était orphelin huit jours après sa naissance. Son père, dans la joie d'avoir un fils, célébra son bonheur dans de telles liba[293]tions qu'il en mourut subitement, dans un accès de delirium tremens. Sa femme, restée veuve, plaça son enfant che son propre père, et se mit à travailler pour l'élever. Peu de temps après, elle se remarie à un haleur de bateaux. Quant à Charles, il va à l'école à Auchy jusqu'à l'âge de seie ans et mène ensuite une existence assez mouvementée. Il commence à voyager avec son beau-père et le remplace quand il est malade. Puis il va che un aubergiste, à Douai, où il sert en qualité de garçon de cour, quitte cette place pour reprendre le métier de haleur de bateaux et se marie à trente ans. Il change alors d'état, travaille à l'extraction de la craie pendant l'hiver, et se loue pour la moisson et les travaux agricoles pendant la belle saison. Sur ces entrefaites, son beau-père et sa mère meurent : il est mis en possession de la maison quil habite aujourd'hui, avec ses dépendances. Mais il n'a pas de capitaux sutfisants pour s'établir, et continue son travail jusqu'en 1879, époque où sa femme fait un héritage de 8.000 francs. Avec cet argent, il loue des terres et achète le matériel nécessaire pour s'établir à son compte.

§ 13. Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.

La famille peut envisager l'avenir sans crainte, les principes de travail, de morale et d'économie dont les membres sont animés en sont un sûr garant.

L'agriculture n'est pas rémunératrice pour le moment, mais les fluetuations sont périodiques, et, après les très mauvaises campagnes de ces dernières années, Charles espère que les affaires se relèveront. Il fait son possible pour que son fonds revienne à un de ses enfants ; à défaut d'économies, lui et sa femme comptent habiter chez cèlui qui leur succédera dans la culture, et, lui rendre encore quelques petits services ; ils espèrent ainsi avoir une vieillesse tranquille et heureuse.

§ 14. Budget des recettes de l'année.

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§ 15. Budget des dépenses de l'année.

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§ 16. COMPTES ANNEXÉS AUX BUDGETS.

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Éléments divers de la constitution sociale

FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION SOCIALE; PARTICULARITÉS REMARQUABLES; APPRECIATIONS GENÉRALES; CONCLUSIONS

§ 17. SUR LA POPULATION DE B..., SON DEGRÉ D'INSTRUCTION, SA SITUATION FINANCIÈRE.

[308]
Tableau I. — Mouvement de la population [notes annexes]
Tableau I. — Mouvement de la population [notes annexes].
Tableau II. — Nombre des cabarets [notes annexes]
Tableau II. — Nombre des cabarets [notes annexes].
[309]
Tableau III. — Relevé des naissances légitimes et illégitimes, de 1868 a 1893 [notes annexes]
Tableau III. — Relevé des naissances légitimes et illégitimes, de 1868 a 1893 [notes annexes].
Tableau VI. — Groupement de la population [notes annexes]
Tableau VI. — Groupement de la population [notes annexes].
[310]
Tableau V. — Degré d'instruction des habitants, relevé fait d'après les actes de mariages de 1837 a 1882 [notes annexes]
Tableau V. — Degré d'instruction des habitants, relevé fait d'après les actes de mariages de 1837 a 1882 [notes annexes].
Tableau VI. — Nombre de conscrits illettrés de 1860 à 1882 [notes annexes]
Tableau VI. — Nombre de conscrits illettrés de 1860 à 1882 [notes annexes].
[311]
Tableau VII. — Note relative au degré d'instruction [notes annexes]
Tableau VII. — Note relative au degré d'instruction [notes annexes].

§ 18. SUR LES TRAVAUX AGRICOLES.

Janvier. — Labours de défonçage pour ameublir la terre pendant les gelées, voiturage de divers engrais, fumiers, etc.

Février. — Continuation des travaux du mois précédent.

Mars. — Commencement des semailles d'avoine pour les bonnes terres. Labourage des fumiers pour les betteraves.

Avril. — Fin des semailles d'avoine et des labours pour les betteraves. Iersage des champs et des premiers semis. Roulage des semailles de septembre. On commence à semer les trèfles dans les blés et les avoines. Plantation des pommes de terre. Commencement des semailles de betteraves.

Mai. — Fin des semailles de betteraves, de cameline. Toutes les semailles du printemps sont dès lors faites. Nettoyage des blés avec la brouette à main ou à cheval. Roulage des semailles d'automne et de celles du printemps.

Juin. — Nettoyage des récoltes au moyen de la brouette, plaçage et binage des betteraves, fauchage des foins.

Juillet. — Sarclage des récoltes qui en ont besoin. Commencement[312]de la moisson pour les seigles, les colzas et les premières céréales.

Août. — Moisson générale, mise en meules ou en grange des récoltes, voiturage du fumier sur les champs. Commencement des labours après la moisson pour faire lever les mauvaises herbes avant l'hiver.

Septembre. — Battage des grains nécessaires pour ensemencer. Commencement des semailles de seigle. Arrachage des pommes de terre. Commencement de l'arrachage des betteraves.

Octobre. — Semaille des hivernages et de l'escourgeon. Fin de l'arrachage des betteraves. Commencement des semailles de blé.

Novembre. — Fin des semailles de blé, voiturage sur les champs des divers engrais. Commencement des labours de défoncage.

Décembre. — Les travaux sont suspendus pendant ce mois à l'extérieur. On travaille à l'intérieur, au battage et au nettoyage des grains, à la réparation des outils et des instruments.

Rendement à l'hectare [notes annexes]
Rendement à l'hectare [notes annexes].

La luerne produit en foin 2 a l'hectare, en fourrage vert 750 bottes. Les cultivateurs se plaignent pour la plupart de la loi de 1884 sur les sucres, qui a mis l'impôt sur la betterave, et de la loi de 1890 qui en a augmenté la prise en charge et l'a portée à 7e 12.

§ 19. BUDGETS COMPARATIFS DU MINEUR ET DE L'AGRICULTEUR DU PAS-DE-CALAIS.

[313]
Budget des recettes [notes annexes]
Budget des recettes [notes annexes].
[314]
Budget des dépenses [notes annexes]
Budget des dépenses [notes annexes].

[315] Les familles du mineur et de l'agriculteur du Pas-de-Calais dont les monographies précèdent ont été choisies entre beaucoup d'autres avec le plus grand soin, pour représenter les types des ouvriers des industries minière et agricole ; c'est-à-dire que placés dans les conditions générales de travail, doués de capacités et de forces moyennes, ils montrent les résultats auxquels peuvent arriver des ouvriers ordinaires, à condition d'avoir de l'ordre et de la conduite. Ces deux sujets représentent bien les types qu'il s'agit d'étudier. Aussi bien, il serait oiseux de prendre pour objet d'études des libertins et des ivrognes : il y en a dans tous les métiers. Beaucoupde mineurs s'adonnent d'une façon exagérée à la boisson et vivent dans la misère, il faut bien se garder de rendre la profession responsable de l'ivrognerie. Il s'agit précisément d'attribuer les effets à leur véritable cause et de dégager la vérité. C'est donc pour ce motif qu'il faut écarter avec soin toute influence extérieure, et que les deux types étudiés ont été choisis comme il a été dit. Ce qu'ils font, tous leurs camarades peuvent le faire. On peut ainsi, d'après ces monographies, comparer l'ouvrier de la mine à celui des campagnes.

On voit d'abord que toutes les ressources du mineur sont absolument sûres : la partie principale est formée par son salaire, il peut absolument compter sur lui tant qu'il est bien portant. Les chomages sont rares ; saui quelques petites variations de détail, le travail se présente généralement dans les mêmes conditions. Il n'a pas d'intempéries à redouter ; son revenu est donc stable. S'il vient à tomber malade ou à être blessé, ses journées sont réduites, mais non supprimées. D'autre part, les subventions mêmes ont un caractère de fixité; signalons les avantages octroyés pour le logement et le chauffage. Le mineur peut donc asseoir son budget au commencement de l'année et se tracer une ligne de conduite, dont il ne se départira pas. Aussi, devant cette fixité de revenus, il dépense largement ; plus de la moitié des recettes passent dans les frais de nourriture, il consacre une part importante à son habillement et près de 9% en récréations, dont la principale est le cabaret. Pourtant, M*** est un ouvrier raisonnable, c'est un de ceux qui dépensent le moins pour cet objet. En un mot, le mineur s'entoure de tout le bien-être qu'il peut se procurer, et cependant, on le trouve arrivé à la fin de l'année, fier d'avoir mis à la cauisse d'épargne une petite somme s'élevant à 12% de son revenu. Ce qu'il a fait cette année, le mineur peut le faire tous les ans. La somme n'est pas grosse à la vérité, mais combien d'ouvriers des[316]grandes villes voudraient pouvoir en faire autant ! Combien de cultivateurs désireraient suivre cet exemple !

Chez le cultivateur, rien n'est stable. Les revenus des propriétés immobilières sont sujets à des fluctuations malheureuses, et se tiennent en particulier pour le moment très bas. Le salaire de la famille s'est élevé, gràce au fils qui travaille aux mines, quant aux autres membres de la famille, si la maladie vient à s'abattre sur eux, c'est autant de bras inoccupés, de bouches à nourrir. Quant aux bénéfices résultant de la culture, ils sont soumis aux plus grands aléas. Le cultivateur dépend de l'avilissement des cours contre lesquels il ne peut pas grand'chose, et des intempéries des saisons contre lesquelles il ne peut rien. Avec un revenu aussi aléatoire, on le voit se restreindre sur la nourriture, sur l'habillement et surtout sur le cabaret, et. quand l'exercice lui a été favorable, qu'il a gagné un petit pécule, il ne peut en disposer. Il faut prélever les intérêts et l'amortissement des hypothêques des mauvaises années, payer les impôts sans cesse plus importants et retrouver une somme assez considérable pour faire face aux dépenses de l'exploitation.

Devant cette situation, il semble que le mineur ne soit pas aussi à plaindre qu'on a bien voulu le laisser entendre.

Notes

1. Cf. Monographie du Mineur des mines de houille du Pas-de-Calais, § 18.