N° 66ter
PRÉCIS D'UNE MONOGRAPHIE
D'UN
TISSERAND D'HILVERSUM
(HOLLANDE SEPTENTRIONALE. — PAYS-BAS).
OUVRIER-TACHERON,
DANS LE SYSTÈME DES ENGAGEMENTS MOMENTANÉS,
PAR
M. S. CORONEL 1,
Docteur en médecine à Amsterdam
1865
Sommaire
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1ᵉʳ. État du sol, de l'industrie et de la population.
[143] La famille qui fait le sujet de cette étude habite le village d'Hilversum, dans la partie la plus méridionale de la province de Nord-Hollande, à l'E. d'Amsterdam, par 16° 30' de longitude E. et 53°, 43' 3' latitude N. Hilversum, y compris cinq autres communes (Naarden, [144] Blaricum, Bussum, Huizen et Laren) forme une contrée connue sous le nom de « Gooiland ». Le village lui-même est à 812 kilomètres du uyderzée, et environ à 10m 23 au-dessus du niveau de la mer. A l'égard de sa juridiction, Hilversum appartient à l'arrondissement d'Amsterdam : quant à son culte, à l'égard des catholiques, il se rattache à recht. Le village est situé dans une région charmante, coupée de bois, de prairies, de champs de blé et de terres labourables. Le long les différents grands chemins qui mênent du village aux communes voisines, on trouve de gracieuses villas entourées de plantations et de bois. Au centre de la commune, on rencontre des rues assez larges, variées par des places spacieuses, tantôt plantées, tantôt sans aucune verdure. La plupart des rues sont pavées : les maisons, presque toutes à un étage, sont construites en briques rouges ou jaunes. A l'E., dans la partie basse. habite la population manufacturière, tandis que la bourgeoisie et les industriels sont établis avec leurs fabrques dans la partie haute.
Le sol du village est, comme celui de tout le « Giooiland »2, un terrain d'alluvion. Il est composé de sables et de blocs erratiques, originaires de Scandinavie, et dont quelques-uns pèsent plusieurs milliers de kilogrammes. On rencontre encore çà et là de la glaise ou de l'argile, mais en couches minces, et quelques minerais de fer. Le sol, aride et stérile, a été rendu fertile par un travail infatigable et un engraissement continu. Aujourd'hui on récolte annuellement d'énormes quantités de seigle, d'avoine, de sarrasin, ainsi que des pommes de terre et des légumineuses.
Le village est entouré d'une ceinture de collines, qui s'étend sans[145]interruption du N. Est au S. 0. La commune occupe une surface de 4.700 hectares. ainsi répartis : maisons et jardins, 18 ; terres labourables, 1.361; prairies, 805 ; bois et forêts, 961 ; chemins, canal, etc., 110 ; landes, 1. 445. L'eau est fournie par des citernes et des puits creusés près des maisons ; un canal en construction donnera bientôt l'eau potable en abondance.
La population, qui est composée de 6.235 âmes, se divise d'après le culte en : 3.563 catholiques, 507 luthériens, 2.206 réformés, 259 israélites. Le principal des moyens d'existence est l'industrie des tapis et du coton. On tisse ordinairement les tapis dans les fabriques, qui sont au nombre de 27, tandis que le coton est tissé à domicile. Le reste de la population est occupé dans quelques autres petites fabriques et dans 53 exploitations agricoles. La situation gracieuse de la commune en fait un séjour de plaisance pour ceux qui cherchent le repos après une vie de travail, ou le rétablissement d'une santé compromise. Beaucoup d'habitants d'trecht et d'Amsterdam ont dans les environs du village des maisons de campagne, petites ou grandes, où ils passent l'été. Enfin, un médecin très répandu a créé à Hilversum, depuis longtemps, un établissement de bains médicinaux, dont le succès serait plus grand encore sans l'attrait mondain des stations balnéaires de l'étranger.
§ 2. État civil de la famille.
La famille comprend les deux époux et trois enfants, savoir :
1°PERRE KR***, chef de famille, marié depuis vingt-trois ans, né à Hilversum 44 ans.
2°JEANNE KR***, sa femme, née à Kortenhoef............ 42 —
3°JEAN KR***, leur fils aîné, né à Hilversum............ 22 —
4°MARIE KR***, leur fille aînée, née à Hilversum............ 19 —
5°GUILLAUME KR***, leur fils cadet, né à Hilversum............ 12 —
Ces trois enfants contribuent à augmenter les moyens d'existence de la famille, en assistant leur père dans la branche de l'industrie qu'il exerce. Dans le produit moyen des travaux de la famille, le travail des enfants entre pour plus de la moitié, quoique le fils aîné recoive 1 franc par semaine pour les frais de sa toilette et ses menus plaisirs. Quatre enfants sont morts en bas âge.
§ 3. Religion et habitudes morales.
[146] Les habitudes religieuses et morales de la famille sont supérieures à celles des autres ouvriers de la même branche d'industrie dans ce pays. Le culte luthérien (épiscopal) que la famille professe, et en même temps l'influence des habitants catholiques d'Hilversum, réagissent avantageusement sur les notions religieuses et sociales de la famille. A un rigoureux attachement et un profond respect pour les préceptes de l'Eglise, elle joint une connaissance assez éclairée de la religion ; aussi est-elle plus tolérante qu'on ne l'est d'ordinaire en cette contrée. Cette disposition d'esprit se manifeste dans les rapports sociaux. Ainsi chaque membre de la famillemontre, au profit commun, de l'activité, de la probité et de l'économie. Le chef de la famille travaille depuis trente ans pour le même fabricant, qui lui donne entière confiance. Jeune homme, il avait amassé une petite somme à force d'industrie et d'épargne pour pouvoir satisfaire au désir ardent d'épouser .leanne et d'établir son foyer. L'entrée en ménage et divers contre-temps qui la suivirent épuisêrent la petite réserve ; cependant, grâce à son travail et à l'économie de sa femme, il était à même de pourvoir aux hesoins de sa famille, croissant sans cesse en même temps que les dépenses montaient par la hausse des denrées. L'exemple des parents eut un effet salutaire sur les enfants, et l'attachement réciproque des membres de cette famille est un exemple pour les autres ménages d'ouvriers. Lafemme, qui, avant son mariage, gagnait sa vie par le filage, s'est tellement affaiblie par les fatigues de la vie domestique et de fréquents accouchements, qu'elle peut à peine gagner quelques sous par semaine pour apporter son contingent aux revenus de la famille. ''outefois, les soins qu'elle prend du ménage contribuent plus au bien-être de tous que ne le ferait le maigre salaire auquel ses forces pourraient prétendre. Tous les membres de la famille observent strictement leurs devoirs religieux.
§ 4. Hygiène et service de santé.
Malgré leur modeste manière de vivre. qui se conforme aux règles de l'hygiène. il parait que la profession exerce ici, comme d'ordinaire,[147]une influence fatale sur la santé. Le chef de la famille, en apparence d'une constitution vigoureuse, montre cependant des symptômes évidents de dépérissement physique. Le travail prolongé et excessif dans des ateliers aussi mal construits que peu entretenus, le façonnement d'une matière première dont les poussières irritent continuellement les voies respiratoires, usent prématurément les forces du corps. Toutefois, ean r... jouit d'une assez bonne santé et son âge surpasse celui des autres ouvriers de son état. La femme aussi s'est affaiblie d'abord, à force de travailler au rouet. et plus tard par suite de malheurs domestiques et de couches fréquentes. Les enfants, quoique souvent sujets à des maladies, dans leur jeunesse, se portent mieux, depuis que'âge a développé leurs forces. Grâce à leurs habitudes propres et modestes, les membres de la famille ont été préservés des maladies épidémiques. Tous ont été vaccinés dans leur jeunesse. S'ils tombent malades, les hommes ont le secours du médecin d'une caisse pour les maladies. qui dépend de la fabrique où ils travaillent. Chaque membre y contribue pour 3 francs par an, et au cas de maladie reçoit 3 francs par semaine. Les femmes ont le secours du médecin d'une caisse particulière de même contribution. En cas de décès, les frais de funérailles sont payés par une caisse d'enterrements ; les tisserands versent à cet effet 10 centimes par semaine, et les femmes la même somme à uneautre caisse. Pour chaque décès, la caisse paye 80 francs. Pour les enfants au-dessous de huit ans, on ne verse pas de contribution et, en cas de décès, on reçoit 16 francs.
§ 5. Rang de la famille.
Quoique les rétributions pécuniaires n'aient pas permis d'économiser assez pour former un capital, et que le chef de la famille ne possède aucun bien immeuble, la conduite morale du chef et des membres de la famille la rendent cependant une des plus respectables et des plus considérées dans cette classe d'ouvriers. A Hilversum, Pierre Kr... et sa famille peuvent servir de modèle, et il serait à souhaiter que tous suivissent son exemple. Non seulement le bien-être moral, mais encore la prospérité matérielle y gagneraient. Malheureusement peu de tisserands ont assez d'énergie et de probité pour résister aux difficultés de la vie dans cette profession. Aussi est-ce déjà beaucoup, dans ce dur et[148]pauvre métier, de pouvoir dire d'un homme tel que Pierre Kr... : Il remplit son devoir. C'est un ouvrier habile et droit, brave époux et bon père, citoyen rangé, un honnête homme entin, et l'exemple de ses vertus agira utilement sur sa postérité.
Moyens d'existence de la famille
§ 6. Propriétés.
(Mobilier et vêtements non compris).
La famille ne possède point d'immeubles et ne conserve pas d'argent. Le matériel spécial des travaux et industries comprend :
Un métier de tisserand, pour fabriquer des étoffes en fil............ 24f 00
Un rouet à bobiner............ 4f 80
Deux paires de cardes............ 4f 80.
D'atres petits outils accessoires............ 5f 80.
Une fourche, une hache, une pelle et une brouette............ 13f 50,
La valeur totale des propriétés est ainsi de............ 52f 90.
§ 7. Subventions.
La famille ne reçoit aucune subvention. En cas de maladie ou de décès, les sociétés de secours mutuels, auxquelles les membres de la faumille prennent part, procurent les secours du médecin et les remêdes, ainsi qu'une rétribution en argent.
Les enfants de la famille ne fréquentent pas d'école et sont actuellement dénués de tout enseignement primaire.
§ 8. Travaux et industries.
Travaux de l'ouvrier. — Le chef de la famille travaille pour le compte d'un fabricant de tapis de crin de vache et de laine. Les usten[149]siles dont il se sert sont la propriété du fabricant. Les samedis avant midi, après avoir fini ses travaux, il nettoye son métier, range l'atelier et remet l'ouvrage de la semaine entre les mains du fabricant. En revanche, celui-ci ou son représentant lui remet la quantité nécessaire des matières premières requises pour tisser les tapis.
Quand le fabricant paye le salaire de la semaine, il en déduit une somme de 20 centimes pour l'usage du ga pour éclairer le métier et de 10 centimes pour la contribution de la société de secours mutuels. En outre, l'ouvrier reçoit la moitié des son salaire en bons. Pour le montant de ces bons, il est obligé de prendre dans la boutique du patron, ordinairement tenue par la femme ou les parents de ce dernier, les combustibles, les vêtements, etc.. selon les besoins de sa famille. Il doit aussi payer 45 centimes au bobineur ; c'est ici son fils cadet. La durée du travail à la fabrique est, en été, de douze heures par jour, avec trois temps de repos : savoir : le matin, une demi-heure : l'aprèsmidi, deux heures avant le repas, et le soir, une demi-heure avant de prendre le café.
En hiver, il travaille dix heures par jour, avec deux temps de repos. Au printemps, il demande un jour de chômage pour cultiver son champ de pommes de terre ; en été, deux jours pour faire sa récolte, travail auquel prennent part les autres membres de la famille. En cas de besoin, l'ouvrier emploie une heure de la matinée avant d'aller à la fabrique pour le travail de son champ.
Travaux de la femme. — Les occupations principales de la femme consistentdans l'accomplissement des travaux domestiques : l'entretien de la maison et des vêtements, la cuisine, le blanchissage ; en un mot, elle a la direction du ménage assistée par sa fille. Après avoir fini ces travaux, elle se met à filer par intervalles durant la journée. Le soir, elle répare le linge et les habits de laine des membres de la famille et confectionne quelquefois du linge neuf.
Travaux du fils aîné. — Les occupations principales dujeune homme consistent à tisser des étofes de coton blanc, connues sous le nom de blane d'Hilversum (Hilversum lit), sur un métier à bras, pour le compte du fabricant. Son travail est payé par pièce. Lui aussi ne rȩoit qu'une partie de son salaire en argent, l'autre partie doit être prise en bons dans la boutique du patron.
D'ordinaire il travaille le même nombre d'heures que son père à la fabrique, avec lesmêmes heures de repos. Pendant celles-ci, il aide sa mère dans les travaux du ménage, tels que lendre du bois, chercher du[150]combustible et autres occupaltions qui demandent des eforts pénibles. Il aide aussi le père de famille à planter les pommes de terre et à épanr cher le fumier.
Travaux de la fille. — Les occupations principales de la fille consistent à iler et àretordre du crin de vache. klle travaille aussi longtemps que son rère, et se repose en même temps que les autres membres de la famille. Le lundi, elle aide sa mère à faire le blanchissage, et le samedi soir, elle range avec elle la maison pour le jour du repos. En été, elle assiste son père dans le sarclage du champ de pommes de terre et pour ramasser la récolte. Le travail du lilage est payé au poids de la matière première qui a été employée (I6i centimes par botte). Avant d'être filée, la matière brute doit être cardée ou épluchée, travail qui s'exécute avec deux cardes à bras. Si la matière première est très pour dreuse, elle est d'abord battue avec un fléau. Carder, filer et retordre sont des travaux qui se font alternativement, selon le besoin.
Travaux du fils cadet. — Celui-ci assiste son père à la fabrique et bobine lamatière première filée sur la navette. Suivant l'usage, quatre tisseurs de tapis ont un seul bobineur au salaire de ce jeune garçon le père contribue donc pour un quart, soit 45 centimes par semaine. Les heures de travail et de repos sont les mêmes pour le garçon et pour le père. Il concourt aussi à labourer le champ. Si le père n'a point à l'occuper, il l'envoie dans la rue pour amasser dans une brouette le umier des chevaux et des brebis.
Mode d'existence de la famille
§ 9. Aliments et repas.
L'alimentation des ouvriers et de leur famille dépend généralement beaucoup de leurs ressources, mais aussi du savoir-faire de la femme et de son habileté à diriger le ménage. Les heures de repas se règlent sur les heures de travail du père de famille dans la fabrique. La nourriture de la famille de Jeanne r..., analogue à celle des autres familles de la même catégorie, se compose surtout de pain fait de seigle avec un peu de froment, de beurre (un demi-kilogramme pour toute la semaine), de lait de vache, de lait battu, de pommes de terre, de café.
[151] Il faut y ajouter des légumes, du lard et quelquefois un peu de viande. Cette nourriture ne suffit pas pour restaurer les forces épuisées par le travail fatigant des ouvriers de ce métier.
Dans le ménage, on fait par jour quatre repas. On se lêve l'été a cinq heures du matin, la femme ou la fille font bouillir l'eau pour le café. On prend en famille à cinq heures et demie le café au lait avec un boulet de sucre cuit, et chacun commence son travail. Le père de famille et le fils cadet se rendent à la fabrique.
A neuf heures se fait le déjeuner, qui consiste pour les membres adultes de la famille en deux tranches de pain de seigle et de froment, légèrement beurrées. Le reste du marc du café du matin, mêlé avec de l'eau et un peu de café, est consommé avec le déjeuner. Le dîner de midi se compose de pommes de terre avec une sauce à la moutarde et d'un morceau de lard rôti. Quelquefois le repas consiste en riz bouilli avec une sauce au beurre et à la farine, ou en farine de sarrasin cuite au lait.
Dans la saison, on mange des légumes frais avec des pommes de terre étuvées dans un peu de graisse de lard (hochepot). Si le hareng est à bon marché, on en fait provision et au dîner on le mange séché et fumé. Les dimanches et les jours de fête seulement on consomme de la viande fraiche, mais le plus souvent en petite quantité : 12 kilog. suffit aux cinq membres de la famille pendant deux jours.
Le reste du café du déjeuner est emporté à la fabrique par le père. qui le prend avec son fils dans les intervalles du travail.
A cinq heures et demie, on prend de nouveau le café au lait en famille, avec une tranche de pain de seigle et de froment. Le soir à neu heures et demie, le souper est ordinairement composé des restes du dîner, des pommes de terre chauffées, du riz ou du lait beurré. Si l'appétit est grand, on ajoute encore une tranche de pain. Il arrive quelquefois que le père, en quittant la fabrique le soir à 9 heures, se rend a l'auberge pour prendre la goutte. D'ailleurs la boisson de la famille est l'eau et surtout le café.
§ 10. HABITATION.
(Mobilier et vêtements).
La famille habite depuis dix ans une de ces demeures de tisserand, comme on en trouve une grande quantité dans la partie orieuntale du[152]village. C'est une maisonnette qui 'a qu'un rez-de-chaussée, composé de deux pièces. Celle de devant, qui est la plus grande, s'appelle d'ordinaire pour cette raison lefort. Elle sert d'atelier, de magasin des matières premières qui doivent être élaborées. Ici se trouvent le métier du ils aîné et la roue à filer de la fille aînée, ainsi que la provision de crin de vache. que l'on carde et bat. Comme on entre directement dans cet atelier par la porte de la rue, on y travaille prcsque toujours à porte ouverte, pour faire échapper plus facilement la poussière.
Dans le fond de cette pièce, une porte vitrée donne accès dans la chambre à coucher ; c'est là aussi qu'on fait la cuisine et qu'on prend les rcpas. Vis-à-vis la haute et large cheminée hollandaise sont deux bois de lit, et entre eux une armoire vitrée dans la muraille pour serrer la faïence. Les murs dans les deux pièces sont blanchis, l'atelier est pavé de briques rouges carrées, la chambre est planchéiée. Celleci n'est que faiblement éclairée par une seule fenêtre. Au-dessus du rezde-chaussée, un petit grenier bas s'étend sur toute la maison. Les garçons y couchent, et quand il pleut, on y sèche la lessive. Il sert aussi de débarras.
La maison est proprement entretenue, mais en revanche elle est peu solide ; et la famille se trouve sous ce rapport dans les mêmes conditions que ses voisins. Le loyer s'élêve a 120 francs par an.
Dans une petite cour, derrière la maisonnette, s'entassent les détritus et se forme le fumier qui doit servir au printemps à l'engraissesement du champ des pommes de terre. On peut considérer ce fumier comme une sorte de caisse d'épargne dont on tire les rentes en été. 9n met le plus grand soin à recueillir cet engrais, que viennent enrichir les vidanges d'une fosse mobile. A quelque distance du fumier se trouve une pompe placée sur une source, qui fournit l'eau potable nécessaire à la famille. La proximité du fumier rend l'eau impure et donne lieu à des maladies.
Meubles............. 328f 40
1° Lits, comprenant un matelas de plumes communes., 30 fr. ; — 4 oreillers de plumes. 15 fr. ; — 1 traversin de plumes, 7 fr. ; — 3 oreillers de vareech. 3 fr. : — 30 bottes de paille. 3 fr. : — 4 paillasses de toile d'emballage. 4 fr. : — 3 couvertures de laine, 42 fT. ; — 1 couverture de coton, 12 fr. ; — 2 rideaux de lit en laine, 10 fr. : — 2 rideaux de lit en coton, 4 r. — Total, 130 fr.
2° Dans la pièce d'entrée. — 1 table en sapin, 8 fr. : 1 armoire en chéne, 20 fr. ; — 4 chaises en noyer garnies de paille, 6 fr. ; — 1 miroir, 4 fr. ; — 1 petite armoire, 5 fr. : — 4 gravures encadrées. 4f60. — Total, 47f60.
[153] 3° Dans la chambre à coucher. — 1 commode en noyer, 16 fr. : — 1 table en orme avec toile cirée. 16 fr. ; — 4 chaises en noyer garnies en paille fine, 20 fr. ; — 1 glace avec cadre verni, 7 fr. ; — 1 dressoir pour la faïence de table, 12 fr. ; — 6 tableaux encadrés (Sainte Geneviève). 8 fr. ; — 3 tableaux de première communion encadrés, 6 fr. ; — 1 horloge. 32 fr. ; — 1 tahatière de bois sculpté, 3 fr. ; — chauffe-pieds, boîtes, etc., 11f 60 : — 3 bénitiers et 1 crucitix, 7f20. — Total, 138f80.
4° Livres. — 1 livre d'église avec garniture d'argent. 8 fr. ; 1 livre de prières quotidiennes, 4 fr. — Total. 12 fr.
Linge de ménage, entretenu et raccommodé avec soin............ 39f 90.
9 draps de lit en coton, 27 fr. ; — 9 taies d'oreiller, 9f90; — 2 rideaux de fenêtres, 1f60; — 2 petits rideaux. 1f 40. — Total, 39f90.
Ustensiles, réduits au strict nécessaire............ 145f 10.
1° Poêle en fonte formant fourneau de cuisine, avec ses accessoires, pelles, pincettes, étouffoir, caisse à tourbe, etc., 45f80.
2° Employés pour la préparation des aliments. — Marmites, chaudrons, poêle, moulin à café, poêlons et terrines, casseroles, cafetières, tasses à café et service a thé en faïence, verres. carates, tasses à café en porcelaine, cuillers et fourchettes, ete., 59f50.
3° Employés pour des soins de propreté. — Carpettes, seaux, balais, matériel de blanchissage, ete., 33f60.
4° Employés pour esagcs divers. — Paniers, ieu de dominos. jeu de l'oie, 7f20.
VÊTEMENTS............ 787f 80.
Vêtements de l'ouvrier, 213 fr.
1° Pour le dimanche. — : casquette de drap. 2 fr.; — 1 paletot de drap, acheté demi neuf, 24 fr. : — 1 surtout de laine, dit duffe, pour l'hiver. 60 fr. : — 1 pantalon de drap. 20 fr. ; — 1 gilet de drap. 4f80; — 1 cravate et 2 mouchoirs, 2 fr. ; — 1 paire dé bottes, 14 fr. — Total, 126f80.
2° Pour le travail. — 1 pourpoint de peluche. 16 fr. ; — 1 pantalon de peluche. 12 fr. ; — 1 blouse de coton, 3 fr. ; — 1 casquette de drap, 1 fr. : — 2 chemises de calicot, 6 fr. ; — 2 calecons, 6 fr. ; — 2 gilets de laine. 16 fr. ; — 2 paires de bas de laine, 4 fr. ; — 4 paires de sabots, 2f80; — 1 montre d'argent, 19f40. — Total, 86f20.
Vêtements de la femme, 174f20.
1° Pour le dimanche. — 1 bonnet de tulle et dentelle, 8 fr. ; — 1 serre-tête. 1 fr. ; 1 mantelet de coton doublé de laine. 17 fr. ; — 1 robe noire en orléans, 19 fr. ; — 2 jupons, 12 fr. ; — 2 paires de bas de coton, 3f20 ; — 3 tabliers, 8 fr. ; — 2 mouchoirs de poche, 2 fr. ; — 2 fichus, 3 fr. ; — 1 parapluie de eoton, 10 fr. ; — 1 paire de souliers. 3 fr. ; — 1 paire de boucles d'oreilles, 11f20. — Total, 97f 40.
2° Pour le travail. — 2 bonnets de coton noir, 1 fr. ; — 2 jaquettes de coton. 10 fr. : — 2 jupons de mérinos noir, 15 fr. ; — 2 tabliers de toile à carreaux, 4 fr. : — 3 chemises de coton, 9 fr. ; — 2 camisoles de coton bleu. 6 fr. ; — 2 jupons de laine, 18 1fr. ; — 2 caleçons de coton, 6 fr. ; — 1 paire de bas de laine noire, 3 fr. ; — 1 paire de pantoules, 3f60 ; — 2 paires de sabots, 1f20. — Total, 76f 80.
VÊTEMENTS DE LA FILLE, 125f80.
1° Pour le dimanche. — 1 bonnet de tulle et dentelle. 3 fr. : — 1 serre-téte noir. 1f20: — 1 robe, 16 fr. ; — 3 jupons de coton, 12 fr. ; — 2 paires de bas de coton blane, 3f20: — 1 paire de souliers, 3 fr. ; — 1 tablier de mérinos noir, 3 fr. : — 1 mouchoir de poche de[154]coton blane. 1 fr. : — 2 1ichus. 2 fr. ; — 2 devants de corsage. 0f0 : — 1 corsage, 2f60; 1 croix d'or, 13 fr. : 1 dé d'argent, 1f40. — Total, 62f20.
2° Pour le travail. 2 bonnets de toile, 1 fr. ; — 2 jaquettes de coton, 10 fr. ; — 1 jupon noir en coton, 5 fr. ; — 2 jupons de laine, 16 fr. ; — 2 tabliers, 5f80 ; — 3 chemises de coton; 9 fr. ; — 2 cammisoles de coton bleu. 6 fr. :. — 2 caleçons de coton bleu, 6 fr. ; — 1 paire de bas de laine noire, 3 fr. : — 1 paire de sabots. 1f80. — Total, 63f60.
Vêtements du fils aîné, 193f 70.
1° Pour le dimanche. A peu près semblables à ceu du père. et de même valeur.
2° Pour le travail. — 3 blouses de calicot bleu. 9 fr. : — 4 pantalon de peluche. 11 fr. ; — 2 chemises, 6 fr. : — 2 caleçons bleus, 6 fr. ; — 2'gilets bleus, 16 fr. ; — 2 paires de bas de laine noire, 4 r. : — 4 paires de sabots, 2f80; — 1 cravate, 0f50; — 1 montre d'argent. 11f60. — Total. 66f90.
VÊTEMENTS DU FILS CADET, 81f10.
1° Pour le dimanche. — 1 casquette de drap, 1 1fr. : — 2 pantalons de peluche, 22 fr. ; 1 jaquette de laine, 1f20 ; — 1 gilet de dra, 3 fr. ; — 1 veste de drap, 10 fr. ; — 1 cravate de soie. 1f80; — 1 mouchoir de poche. 0f50; — 1 paire de souliers. 5 fr. ; — 1 paire de de patins, 0f 80. — Total, 45f30.
2° Pour le travail. — 3 blouses 9 fr. : — 2 chemises, 4 1fr. : — 2 caleçons bleus, 6 fr. ; 2 gilets bleus. 10 fr. : — 1 paire de bas de laine noire, 2 fr. : — 4 paires de sabots, 2f80: — 1t casquete et 1 pantalon de toile, 2 fr. — Total, 35f80.
Dans la valeur totale des vêtements de la famille (787f 80), les bijoux sont compris pour une somme de 56f 60.
LA Valeur totale du mobilier, des ustensiles, du linge de ménage et des vêtements est donc de............ 1,298f 72
§ 11. Récréations.
Les récréations de la famille sont simples. Comme pour la plupart des habitants d'Hilversum, ce sont surtout les veillées près du foyer en hiver, ou les causeries devant les maisons en été. Les hommes allument alors leurs pipes et les deux sees prennent bon nombre de tasses de café. L'après-midi du samedi, quand tout est en rangement chez eux. le père et le fils aîné, l'ouvrage fini, s'en vont à l'auberge pour prendre un petit verre en causant avec les amis. Quoique la tempérance ne soit pas là une vertu ordinaire, on ne peut dire qu'il y ait abus véritable dans l'usage des boissons fortes. ln semaine, ce n'est que le père de famille qui prend un petit verre par jour, pour avaler, dit-il, la poussière de la laine ».
[155] Dans les beaux jours d'été, on se promene d'ordinaire l'après-midi du dimanche aux environs du village. A la foire, on chôme une demijournée, on revêt les habits du dimanche et on visite les baraques. Quelquefois on s'arrête à une boutique de gâteaux ou dans une auberge. Cependant le peu de ressources de la famille ne lui permet pas de grosses dépenses.
Un plat de plus ou une petite tasse de lait sont déjà des réjouisances pour ces ménages aux mœurs smples.
Histoire de la famille
§ 12. Phases principales de l'existence.
Pierre est né à Hilversum, et appartient à une famille toujours attachée à l'industrie manufacturière. Son père, qui était aussi tisserand en tapis et mourut à un âge moyen, le destina au métier et il parcourut, dès sa jeunesse, tous les degrés de la profession, c'esta-dire que de fileur il devint bobineur et enfin tisserand. A huit ans. déjà il prit part aux occupations de la famille. Il devait d'abord faire marcher la roue à filer et filer le crin de vache. A sa dixième année il fut admis comme bobineur pour assister à la fabrique son père. dont il occupe à présent la place. Il s'est occupé ainsi jusqu'à l'âge de dix-sept ans, s'exerçant en même temps à tisser de petits tapis et des chemins unis et étroits. Ayant été exempté du service militaire. il remplaça peu à peu au métier son père, souvent malade et devenant trop faible pour un travail continu. Lorsque ce brave homme vint à mourir dans la force de son âge. Pierre Kr*** eut à pourvoir en partie aux besoins de la famille, puisqu'il devait entretenir, outre sa mère, trois jeunes frères et sœurs. Mais deux années plus tard, il perdit sa mère, et il ne se crut plus obligé d'entretenir ses frères et sœurs devenus capables de travailler : il songea alors à réaliser ses plus chers désirs. Il avait déjà depuis longtemps fait la connaissance de Jeanne*** et il souhaitait vivement se marier avec elle. Celle-ci, née à ortenhog de parents pauvres, avait cherché, dès sa jeunesse, à venir en aide à sa nombreuse famille. At[156]tachée prématurément au filage du crin de vache, travail malsain et fatigant. elle usa tellement sa santé, qu'elle contracta une phtisie pulmonaire. Elle fut obligée de renoncer au filage et de trouver d'autres moyens d'existence. Le travail dans les champs ou dans le ménage des paysans des environs surpassait aussi ses faibles forces. Entin une dame bienfaisante d'Hilversum la prit chez elle, où, tout en s'occupant de travaux légers, elle devint une excellente ménagère. Les parents de Pierre Kr*** étaient aussi du nombre des protégés de cette dame, qui chargeait Jeanne d'y aller porter de temps en temps quelque secours ou des aliments en cas de maladie. C'est ainsi qu'elle tit la connaissance de Pierre, qui appréciait ses qualités et demanda sa main. Il l'obtint, et la jeune femme reçut de sa maîtresse un trouseau et quelques meubles.
Le mari et la femme ont fréquenté dans leur jeunesse l'école communale, quoique, comme d'ordinaire, ils n'en aient pas beaucoup pro1i1é. Tous les deux savent lire, mais leur écriture est très mauvaise. Ce sont les seuls résultats d'une instruction de trois ans. Cependant chacun d'eux est très attaché à ses devoirs. Jeanne est une ménagère prudente, qui dirige très bien les affaires domestiques, sait régler les dépenses sur les revenus, se garde bien de faire des dettes ; la propreté se montre dans la tenue de la maison et l'entretien des habits: en un mot elle est bonne mère et excellente épouse. Le mari est un ouvrier industrieux, probe ethabile, qui n'aime pas à chômer les lundis, et qui, ce qui dit plus, n'a pas de dettes chez son patron. De cette manière tous les deux conservent un esprit d'indépendance et d'honneur. En remplissant ainsi leurs devoirs, ils ne tiennent pas compte des mauvaises langues de leuvs voisins qui envient le bonheur domestique de la famille Pierre Kr***.
Les entants prennent modèle sur leurs père et mère. Chacun, selon ses forces, tâche de contribuer au bien-être de la famille. De leur modique gain ils donnent toujours la plus grande partie à leurs parents. A force d'économie, le peu qui leur reste suffit pour leur toilette et pour se présenter convenablement. Tous ont fréquenté l'́cole communale durant trois ou quatre ans. Ce qu'ils y ont appris se réduit à savoir lire assez bien, un peu écrire et faire les quatre règles.
§ 13. MŒURS ET INSTITUTIONS ASSURANT LE BIEN-ÉTRE PHSIQUE ET MORAL DE LA FAMILLE.
[157] Le chef de la famille est depuis vingt ans membre d'une caisse pour les malades, appartenant à la fabrique, dont il reçoit le secours d'un médecin pour lui seul, quand il tombe malade. En outre, il est membre d'une caisse d'enterrement à laquelle il contribue pour lui et sa. famille à raison de 18 centimes par semaine. La femme et les deux enfants aînés sont aussi membres de deux caisses de la même nature, indépendantes de la fabrique.
Malgré la bonne conduite, l'économie et la tempérance de la famille, l'avenir s'assombrit à mesure que les époux avancent en âg e. La faible constitution du fils l'empêchera toujours d'obtenir un travail lucratif. La bienfaisance publique reste donc la seule sauvearde de la famille r, qui, dans sa situation précaire, ne peuttrouver d'autre appui pour surmonter les mauvaises chances et conjurer une ruine totale.
BUDGET DOMESTIQUE ANNUEL.
§ 15. DÉPENSES DE LA FAMILLE.
[157][158]Les recettes de l'année sont, on le voit, absorbées par les dépenses, et la famille ne peut réaliser aucune épargne pour assurer son avenir.
FAITS SOCIAUX REMARQUABLES.
DE LA NATURE DU TRAVAIL DANS LA FABRIQUE DE TAPIS D'LVERSUM, ET DE SON INFLUENCE SUR LA SANTÉ DES OUVRIERS. — La fabrication des tapis de crin de vache et de laine forme depuis nombre d'années le principal moyen d'existence pour la population. Plusieurs générations s'y sont succédé, et malgré leur application au travail, elles trainent une vie assez misérable. L'industrie reste routinière et trop peu soucieuse des améliorations qui pourraient rendre le travail plus rémunérateur. i une famille est nombreuse, ce n'est que par le travail de tous ses membres qu'elle peut obtenir des moyens d'existence suflisants ; encore faut-il qu'elle joigne l'éc onomie à l'activité. Toutes les opérations pour battre, éplucher, carder, filer, détordre, teindre, bobiner et tisser se font à la main. Si l'on tient compte de la faible constitution des ouvriers, du travail excessif et prolongé des enfants et des femmes à domicile, de la nature malsaine du crin de vache qu'ils emploient et de leur ignorance totale des lois de l'hygiène, on ne s'étonnera pas de voir la population qui exerce cette branche de l'industrie dépérir au point de vue physique et moral. Outre le crin de vache, on emploie une petite quantité de laine pour fabriquer les tapis dits façonnés. Cette laine, après avoir été dégraissée, est envoyée à Utrecht et dans le Brabant septentrional pour être filée dans les usines. Le il de chanvre et de jute pour la chaîne est préparé en d'autres endroits.
[159] L'industrie du tapis est pratiquée ainsi par .593 personnes, divisées en fileurs et fileuses, bobineurs, teinturiers, et tisserands. Tous ces ouvriers travaillent moitié au foyer, moitié dans les fabriques. Le ilage se fait toujours à domicile, isolément ou en ateliers, et occupe 935 personnes, depuis des enfants de cinq ans jusqu'à des vieillards de quatre-vingts ans. parmi lesquels 820 ileuses. Le bobinage et le tissage ont lieu presque entière ment dans les fabriques, avec 368 tisserands et 127 bobineurs, tandis qu'il n'y a que 30 tisserands et bobineurs qui travaillent à domicile.
Les fileurs et les fileuses, qui font le travail le plus malsain et le oins rétribué, forment la partie la plus malheureuse de la population. Leur condition misérablemarque son empreinte sur leur physionomie, leur extérieur, leur voix, leur c aractère, leur démarche. ous montrent le même dépérissement. Dn peut aisément se figurer ce que sera le bobineur, enfant de ce fileur. Le travail qu'il accomplit, bien que moins malsain, empêche tellement le développement du corps, qu'à l'âge mûr, les forces physiques manquent presque toujours pour faire un travail plus dur mais mieux rétribué. Toutefois, la nécessité le contraint et il devient tisserand. Le tisserand montre à un haut degré ce dont le fileur et le bobineur n'accusaient que les symptômes. Le tisserand d'Hilversum est un vrai type de dépérissement. Ses traits prématurément vieillis, sa démarche chancelante, son dos courbé, toute la structure du corps, la toux non interrompue, le thorax amaigri, qui renferme des organes si gravement atteints que sa vie est souvent en dange, tout annonce et prépare la phtisie pulmonaire ou quelque autre maladie de poitrine ou de cur qui l'emportera bien avant l'âge.
Les maladies scrofuleuses et grand nombre d'autres affections se manifestent chez les enfants qui naissent faibles et sont mal soignés. 'ai constaté qu'en dix ans 843 enfants sont morts avant d'atteindre cinq ans ; c'est 67 00 ou plus des 23 du chiffre total des décès dans cette classe. Ceux qui restent ne jouissent guère d'un meilleur sort ; 'ils résistent dans les premières années de leur vie aux iniluences pernicieuses qui les entourent, plus tard, lorsqu'il se livrent à un travail malsain et excessi, se développent les germes des maladies, qui trop souvent, dès le milieu de sa carrière, arrachent l'ouvrier à sa nombreuse famille. De toutes les maladies auxquelles les ouvriers d'Hilversum sont exposés, nous ne citerons que la terrible phtisie pulmonaire, qui fait les plus violents ravages et amène à elle seule 43 des décès dans cette classe de la population. Les maladies ma[160]lignes que subit cette contrée, presque tous les ans, rouvent là aussi leurs premières victimes.
La population ouvrière ne s'accroit pas. lomparée avec les autres éléments de la commune, elle est en arrière sous tous les rapports. ln ce qui touche la santé, par exemple, en 1855, lors d'une épidémie de rougeole, les décès au-dessous de dix ans formaient plus de la moitié du chiffre total, 196 sur 281 ; et les victimes de la rougeole appartenaient pour la plupart à la classe ouvrière des fabriques. En 1857, une épidémie de typlus fit d'horribles rava ges parmi des personnes de tout âge ; sur 25 personnes qui furent attaquées par cette cruelle maladie, 393 appartenaient à la classe ouvrière, dont 372 aux ouvriers de fabrique. La mortalité fut de 1 sur 12. En 1858, la petite vérole vint à son tour enlever petits et grands. Sur 261 malades noOn vaccinés, 43 moururent, par consequent 1 sur 6. Du nombre total des malades, savoir 401, 60 succombèrent, et c'était encore les ouvriers de la fabrique qui en souffraient le plus. Dans les années suivantes, diverses maladies épidémiques ou malignes sévirent encore, sans toutefois faire beaucoup de victimes.
En ce qui touche l'accroissement, quelques chiffres, tirés des registres de l'état civil, sont décisifs. Nous voyons, par exemple, qu'en dix ans le nombre des décès chez les ouvriers de fabrique surpassait de 5 celui des naissances, tandis qu'au contraire, chez les journaliers, le ehiffre des naissances dépassait celui des décês de 19, chez les cultivateurs de 70, et chez les habitants proessant d'autres métiers de 308. C'est au total un accroissement de 333 ames. Si nous en déduisons 91 décès de la classe des rentiers, nous n'obtiendrons qu'un accroissement de 242 àmes. D'autre part, la différence des chiffres de la population au début et à la fin de la période décennale accuse une augmentation de 296 ames ; il faut donc mettre un chiffre de 54 âmes pour l'immigraion. Ces quelques nombres suffisent à montrer clairement les rapports inégaux entre les divers éléments de la population : chez les ouvriers, un décroissement de 58 ames ; chez les autres, un accroissement de plus de 300. Bien que la classe ouvrière des fabriques soit à à peu près aussi nombreuse que la classe bourgeoise, le chiffre des naissances (sans compter les enauts mort-nés) montait chez l'une à 1.184 contre une mortalité de 1.642 et chez l'autre seulement à 865 contre 557. Par conséquent, chez l'une se produit un accroissement rapide et une mortalité plus considérable encore, chez l'autre une augmentation lente avec une mortalité normale. Enin, pour ce qui regarde[161]la bonne constitution, après de minulieuses recherches nous avons obtenu quelques résullats que nous résumerons rapidement. D'abord pour rechercher si la classe ouvrière des fabriques est en arrière comme développement physique par rapport aux autres habitants, nous avons mesuré un certain nombre d'enfants d'Hilversum, de six à quatore ans, des deux sees, et divisés en deux groupes : d'une part les enfants des ouvriers, s ans exception, et de l'autre les enfants de tous les autres citoyens. En outre, pour savoir jusqu'à quel point le bien-être social peut avoir influence sur le développement physique, nous avons formé cinq divisions ou degrés : misère, indigence, peu aisé, médiocrité et richesse. Voiei les résultats : 1e les enfants des ouvriers de fabrique sont de beaucoup en arrière pour le développement de la taille: 2° la différence s'accroit à mesure que ces enfants travaillent dans les fabriques ; 3° le ralentissement de la croissance est plus sensible chez les fileurs et bobineurs entre neuf et treize ans. que chez les fileuses du même âge ; 4° la différence de taille entre les garçons des ouvriers de fabrique et ceux des autres professions du même âgeest plus grande que celle des filles des deux mêmes classes. On pourrait faire des remarques analogues chez les adultes en examinant les conscrits. Nous pouvons donc regarder comme démontré que l'ouvrier des fabriques reste inférieur, pour le développement de la taille au reste de la population.
Nous savons en outre que la bonne constitution, la vigueur physique d'une race se manifeste principalement aux trois périodes de la vie par une mortalité relativement faible dans l'enfance, dans la maturité, dans la vieillesse, de sorte que moins d'enfants meurent au-dessous d'un certain âge et qu'il y a pius de chance pour les survivants d'atteindre un âge moyen, ce qui fait monter le chiffre de la durée moyenne de la vie. Nous avons déjà dit que la mortalité des enfants des ouvriers de fabrique au-dessous de cinq ans monte à 67 % du chiffre total des décès dans la période décennale; pour la classe des journaliers, à 59 % pour les petits artisans à 52 % pour les laboureurs, à 33 %, ce qui démontre par conséquent entre les derniers et les premiers une différence du simple au double dans le chiffre des déces. La mortalité relative des survivants à l'âge viril est encore aussi désavantageuse pour les ouvriers des fabriques, puisque 49 meurent entre vingt ans et cinquante ars, andis que le chiffre des journaliers et artisans ne monte qu'à 24 %, et celui des laboureurs à 16 %. Dans les périodes plus avancées de la vie, nous voyons ce chiffre s'abaisser chez[162]la classe ouvrière tandis qu'il s'élêve chez les autres prolessions. Les ouvriers donnent 26 4 pour l'âge de cinquante à soixante-dix, les journaliers.39 . et les laboureurs, 35 3. La différence est faible entre les ouvriers de fabrique et les petits artisans, quoique ceux-ci aient un avantage de 1 4. Plus le nombre des individus qui atteignent l'extrême limite de la vie est grand, plus il manifeste le bon état de la population. Si nous cherchons cette preuve en comparant la mortalité proportionnelle des différentes classes, nous voyons qu'en dix ans la mortalité dans la classe ouvrière des fabriques, entre soiante et cen ns, ne forme que 10, tandis que celle des petits artisans se porte a 23 ; des journaliers, 24 3, et des laboureurs 44 2. La chance d'atteindre l'estrême limite de la vie est donc quatre fois plus grande pour les eultivateurs de la même commune que pour les ouvriers de fabrique.
La durée de vie moyenne, dépendant du nombre d'individus qui ont atteint un âge assez avancé, est en rapport direct avec ce que nous venons de prouver. Aussi les différences sont-elles très grandes entre les diverses classes. oici les résultats. La durée moyenne de vie des décédés, chez les ouvriers des fabriques, est de quiuze ans et demi: chez les journaliers, vingt-trois ans et demi : chez les petits artisans, trente-deux : et chez les laboureurs, cinquante et demi. Ce qui fait une différence de trente-cinq ans, entre les premiers et les der niers. On peut faire les mêmes évaluations en ne comptant que les décédés au-dessus de l'âge de cinq ans ; on trouve ainsi pour les ouvriers de fabrique un âge moyen de quarante et un ans ; pour les petits artisans, cinquante-deux pour les journaliers, cinquante-quatre, et pour les cultivateurs, soixante-sept ans et demi. La différence n'est pas si grande ici entre les deux termes extrèmes, puisqu'elle ne monte qu'à un peu plus d'un tiers. C'est le nombre considérable des enfants décédés dans l'une ou l'autre classe qui cause la différence énorme des chiffres susdits. Cette différence se voit encore plus clairement. si nous opposons dans chaque classe le nombre des décès d'enfants au total de la population. Nous trouvons alors pour les ouvriers de fbrique l décès sur 32 lahitants, pour les petits artisans sur 83. et pour les cultivateurs 1 sur 151 habitanls.
Ainsi, de quelque façon qu'on interroge la statistique, les chiffres prouvent surabondamment quiil y a dégénérescence et dépérissement dans tous les éléments importants de cette population ou
[163] DE LA SITUATION MORALE ET MATÉRIELLE DE LA POPULATION MANUFACTURIÈRE A HILVERSUM. — Les ouvriers attachés au travaildes fabriques sont en général très peu développés au point de vue intellectuel. Comme les dépenses surpassent les revenus des familles nombreuses, les parents négligent assez souvent l'éducation de leurs enfants. Aussitôt que l'enfant peut se servir de ses bras, on lui remet déjà le crin de vache pour l'éplucher, et on lui apprend à faire marcher le rouet ou tourner le moulin à retordre. En l'occupant ainsi à ces travaux, on ne prend aucun soin de son intelligence et de son instruction. Il y a à Hilversum une école gardienne protestante et une autre pour les cathliques ; la première est dirigée par de jeunes dames riches, la dernière par des sœurs de charité. On y reçoit des enfants des deux sexes de l'âge de deux à six ans, on les dresse aux habitudes d'ordre, de propreté et aux bonnes mœurs. A l'école protestante, il y a 140 enfants, provenant des familles de toute profession ; à l'école catholique, 120, appartenant pour la plus grande partie à la population ouvrière des fabriques. Les filles d'un âge plus avancé reçoivent une instruction gratuite dans les ouvroirs des écoles des deux cultes. Malheureusement, au point de vue moral, les parents sont de très mauvais modêles, et dès que l'enfant a quitté l'école, ils le soumettent à de rudes labeurs, de sorte que tout ce qu'il a pu apprendre au dehors se perd au foyer domestique. Souvent aussi les parents refusent d'envoyer leurs enfants en classe ; on est quelquefois forcé de les y obliger par la contrainte.
Les enfants des ouvriers de fabrique qui ont quitté l'école gardienne, recoivent l'instruction primaire gratuite, durant 9 heures de la semaine, le soir. de 6 à 8 heures. L'école protestante est fréquentée par 157 lles et 190 garçons, et l'école catholique par 104 filles et 204 garcons de l'âge de six à quatorze ans. Les dispositions de ces enfants, les maîtres l'ont reconnu, sont notablement inférieures au niveau ordinaire ; aussi montrent-ils peu d'envie d'apprendre. La mauvaise volonté des parents et des fabricants contribue beaucoup à restreindre encore les résultats de cette instruction. Dans les derniers temps (1865). on avait changé les heures de la classe, car on pensa à juste titre que, dans les heures de repos, on ne doit pas clouer sur les bancs de l'école des enfants qui travaillent toute la journée. On a réduit le travail de deux heures par jour, afin de consacrer ce temps à l'instruction de l'école, ce qui fait que la plupart des enfants ne la fréquentent plus ou n'y viennent que très irrégulièrement.
[164] On peut bien se ligurer ce que sera le développement intellectuel et moral des adultes après une jeunesse si mal employée. Le peu que l'on a p apprendre en deux années s'oublie au travail du rouet ou du métier ; il n'y a qu'un petit nombre d'adultes dont le savoir dépasse la lecture machinale et l'écriture lisible. Ce défaut de culture morale amène souvent entre les jeunes gens des deux sexes des désordres qui nécessitent des mariages à un âge à peine nubile et sans les moyens de pourvoir aux stricts besoins d'un pauvre ménage. La désunion domestique en est la suite naturelle. La femme, incapable de remplir ses devoirs de ménagère, reproche au mari son peu de ressources : la discorde règne dans la maison : le mari, dégoûté du foyer domestique, va chercher au cabaret l'oubli de ses soucis, et, quand il rentre ivre et sans le sou, les querelles recommencent. De tels exemples sont extrêmement pernicieux pour les enfants, qui, pendant les premières années de leur vie, sont une lourde charge pour leur mère et succombent souvent faute de soins suffisants.
La même ignorance règne dans les principes religieux. La superstition se joint à l'intolérance. L'assistance au service divin n'est guère que contrainte ou machinale. C'est l'intolérance religieuse des difé. rentes familles qui causait quelquefois de violents conflits sociaux. Le mauvais arrangement du ménage et le peu de ressources n'ont pas contribué à exciter le goût de l'économie. La caisse d'épargne est une institution superflue ; en revanche, le cabaret et le mont-de-piété sont des lieux ort hantés, et la consommation des liqueurs fortes a atteint un ciffre effrayant.
LES CAISSES POUR LES MALADIES ET LES ENTERREMENTS CHE LES OUVRIERS DE FABRIQUES ET LEURS FAMILLES ÉTABLIES A HILVERSUM. — Les sociétés de secours mutuels sont peut-être les institutions les plus utiles pour garantir l'ouvrier contre les atteintes de la misère. A cet égard la population manufacturière d'Hilversum se trouve dans des conditions très avanlageuses. Presque tous les fabricants ont créé de ces caisses de secours dans leurs usines. Quelques-uns obligent leurs ouvriers à en faire partie. La cotisation est retenue sur le salaire de chaque semaine ; on rȩoit en retour les soins du médecin et les médicaments. Le médecin est choisi par le fabricant et reste sous sa surveillance. Le montant des cotisations lui est entièrement acquis.
Indépendamment de ces caisses, il y en a d'autres à Hilversum,[]auxquelles sont admis non seulement les ouvriers attachés au fabriques, mais aussi leurs femmes et les enfants au-dessus de quinze ans. Souvent, on y reçoit aussi des ouvriers d'autres branches d'industrie. Les sociétés les plus importantes sont celles des catholiques hommes et catholiques femmes, qui comprennent un millier de membres, soit les deux tiers du nombre total. Viennent ensuite les caisses des protestants réformés, enfin celles du culte épiscopal. outes ces sociétés ont pour ressources des cotisations mutuelles et choisissent leurs administrateurs parmi leurs membres. La direction comprend deux régents et deux consolateurs des malades, qui changent tous les deux ans. Outre les secours pour les malades, on fournit aussi des fonds pour les enterrements, et, à la fin de l'année le reliquat est partagé entre les membres. Pour devenir participant il faut avoir plus de quine ou dixhuit ans et moins de quarante à quarante-cinq ans, fournir la preuve qu'on a été bien portant au moins trois trimestres successifs avant l'entrée, n'avoir ni infirmités ni maladie spéciale, et, pour les tisserands, avoir tissé durant une année au moins. On paye une entrée de 20 centimes au profit de la caisse, et une contribution hebdomadaire de 15 centimes ; en retour, on a droit de toucher, en cas de légère indisposition qui empêche le travail, 3 francs par semaine. et 5 francs si la maladie est sérieuse. En cas de décès, la famille reçoit 40 à 44 francs pour les frais d'enterrement. On ne fournit le secours aux malades qu'aprés trois mois d'afiliation et seulement pendant vingtSix semaines consécutives. Ce n'est que sur l'avis motivé du visiteur des malades, qu'on règle le secours d'après l'un ou l'autre tarif. Le malade qui ne recevrait point les soins du médecin perdrait tout droit à la continuation des secours. Il n'est pas permis à celui qui reçoit cette allocation de quitter sa maison ou de travailler au profit de sa famille ; en cas de fraude constatée, le secours hebdomadaire est retenu au profit de la caisse et le réfractaire cesse d'en faire partie.
Aussi la direction exerce-t-elle un contrôle vigilant. Si les membres sont eux-mêmes la cause de leur maladie par rixes, débauches, etc., ils perdent leur droit au secours de maladie ou d'enterrement. Les membres qui s'enrôlent comme volontaires ou qui changent de religion perdent aussi tous droits et abandonnent les fonds qu'ils ont versés. Si l'état de la caisse l'exige, le secours est réduit à 2 francs par semaine, et en cas de décès d'un des membres, tous les autres sont obligés de payer 20 centimes de cotisation extraordinaire dans la semaine de l'enterrement. Si un des membres vient à mourir dans le courant du premier[166]trimestre après son entrée, ses versements profitent à la caisse. Le conseil de direction s'assemble annuellement pour rendre compte de 'administration des fonds et renouveler ses membres.
Outre ces caisses de maladies et d'enterrement, il y a aussi à llilversum une caisse catholique d'enterrement pour les femmes de tisserands. Pour y entrer il faut avoir de quinze à quarante ans. La contribution monte à 25 centimes par trimestre et donne droit, pour un déces, à 20 francs. indépendamment de 8 francs pour le cercueil et 12 franes pour autant de messes. La somme qui reste, ous les frais faits, et qui monte à 8 ou 10 francs, revient à la caisse des pauvres catholiques si le défunt recevait les secours de la commune lors de son décès. de sorte que dans ce cas les parents ne touchent aucun secours en compensation des dépenses extraordinaires causées par la maladie.
APERCU DES INSTITUTIONS DE BIENFAISANCE ÉTABLIES A IlILVERSUM. — Diaconies. — Parmi les institutions de charité établies au profit des ouvriers et des indigents à Hilversum, on compte d'abord les diaconies des catholiques et des protestants. Elles distribuent, à un nombre moyen de[167]50 francs : on en a placé 121, et 6 à 8.000 francs sont mis en circulation annuellement. L'intérêt payé par les emprunteurs est de 5 et le revenu des parts est de 3 2. La plupart des emprunteurs sont de petits cultivateurs, qui, vers le mois de novembre, viennent chercher une somme de 400 francs pour acheter une couple de vaches, les engraisser dans l'étable pour les revendre au printemps. Le produit du lait et du fumier ainsi que le gain de la revente viennent utilement faire face aux frais que demande la culture de la terre au printemps.
On fait aussi des avances à ceux qui jouissent d'une pension du gouvernement, pour les préserver des usuriers. Les petits marchands et les colporteurs ont également recours à cette banque ; mais il est très rare que la population manufacturière ait à réclamer son aide.
Société pour le salut des pauvres. — Cette société est composée de lemmes apDpartenant à la classe aisée, qui exercent un patronage moral. Chaque dame prend à son compte 10 familles qu'elle assiste de ses conseils et quelquefois de secours matériels. Chaque visiteur dispose de 4 francs par mois pour distribuer de la part de la société en cas d'urgence. Ces ressources proviennent d'une loterie de bienfaisance qui se fait tous les ans et qui rapporte une somme moyenne de 700 francs.
L'utilité de cette société, qui ne saurait être constatée par des chiffres, est énorme. On s'en aperçoit dans ces familles où il s'agit de développer les habitudes d'ordre, de propreté, d'économie et de prévoyance. On fait beaucoup de cas de l'éducation des enfants ; on a soin qu'ils fréquentent l'école. et qu'ils soient vaccinés ; on encourage les parents à remplir leurs devoirs religieux et sociaux. Chacune des dames fait un rapport mensuel au comité sur l'état moral et matériel des familles qu'elle assiste.
Société pour la distribution des aliments. — Cette société a pour but de distribuer aux pauvres pendant les mois d'hiverˉ, les lundis, mardis et jeudis, une portion de soupe au riz et de viande (3 décagrammes. La bourgeoisie y contribue pour l.600 francs annuellement. Un nombre moyen de 240 portions est distribué par jour. En outre, les particuliers peuvent faire, au prix de 40 francs, une distribution extraordinaire de soupe avec une livre de pain de seigle par tête. Cela se fait assez souvent, de sorte qu'on peut dire que le pauvre n'est jaumais sans repas chaud durant les jours froids de l'hiver.
Societé pDour la construction de maisons pour les ouvrirs. — Cette jeune société a pris à tâche de pourvoir à un pressant besoin de mai[168]sons pour les ouvriers. A cet effet elle a créé une société par actions pour fournir un capital de 50.000 francs. Jusqu'à ce jour on a placé le 1/5 des actions, ce qui a permis déjà de bàtir 6 maisons, chacune à deux chambres avec les accessoires nécessaires, un grenier et un petit terrain de 1§16 hectare pour la culture des pommes de terre. Le loyer de chaque demeure ne monte qu'à 2 francs par semaine. On peut aisément se figurer qu'elles sont fort recherchées et que le comité prend beaucoup de précautions pour choisir les locataires. On doit considérer cette création comme un véritable bienfait pour l'artisan établi et l'ouvrier de la fabrique. Il est bien fâcheux que le capital social soit encore insuffisant et ne permette pas d'augmenter le nombre des habitations sur les terrains acquis.
HILVERSUM ET LA CONDITION DES TISSERANDS EN 1891. — Il y a déjà plus de vingt-cinq ans que M. le Dr Coronel décrivait, dans l'attachante étude qu'on vient de lire, la condition morale et la situation matérielle des tisserands d'Hilversum. La Société d'Économie sociale a bien voulu me charger, non d'apporter des retouches au portrait ancien, ce qui en eût altérésans profit la ressemblance, mais de préciser par une enquête nouvelle les modifications que le temps a apportées aux travaux et à la vie domestique de ces populations3.
En 1865, lIilersum n'était qu'un village. peuplé par moitié de paysans et de tisserands. Aujourd'hui le nombre des habitants a doublé. Au 1e mars 1891, ils se répartissaient ainsi :
On compte actuellement 27 fabriques, savoir deux grandes usines à vapeur, l'une pour le coton, l'autre pour les tapis : puis 25 fabriques ordinaires de tapis. llles sont dans un état prospère et occupent, avec des métiers Jacquard, 661 ouvriers. Le travail à domicile existe comme[169]autrefois ; les patrons ont alors besoin de peu de local ; ils fournissent toujours les métiers aux artisans, et demandent généralement le fil a l'importation étrangère.
Les habitants d'Amsterdam, depuis l'ouverture du chemin de fer qui relie cette ville à Utrecht par Hilversum4, ont beaucoup multiplié dans ces agréables campagnes la construction de gracieuses villas, soit pour y séjourner pendant l'été, soit même pour s'y établir d'une maniêre définitive. Toutefois, malgré le contact des gens de la ville, la simplicité des meurs villageoises n'a guère été altérée.
La situation s'est notablement améliorée à Hilversum depuis une vingtaine d'années, et depuis la loi du 5 mai 1887, qui interdit le travail en fabrique aux enfants de moins de douze ans, l'école est beaucoup plus fréquentée. La véritable industrie indigêne est toujours la confection des tapis de crin de vache, mais elle est moins malsaine, car le crin n'est plus filé à domicile ; les fabricants ont intérêt à le faire venir tout préparé de l'étranger, surtout de l'Angleterre. On fait aussi des tapis de laine, nommés ˉBrusselsche tapgden (tapis de Bruxelles). qui s'exportent en grande quantité en Allemagne, malgré l'élévation des droits d'entrée5.
Le travail s'effectuant surtout aux pièces, le salaire varie beaucoup avec l'activité et l'habileté des ouvriers : il s'élève à 4, 5, et jusqu'à 10 forins par semaine. Dans l'été, il y a un s temps de relàche penr dant lequel le maximum du salaire ne dépasse pas 6 à 7 forins ; les fabricants limitent ainsi la production pour éviter l'accumulation des marchandises et l'avilissement des prix. La loi met aujourd'hui obstacle autant que possible au paiement partiel du salaire en aliments (truch sgstem) ; très général en 1865, ce système n'est plus pratiqué qu'à titre exceptionnel. Pour le travail à domicile, le salaire, toujours réglé aux pièces, est à peu près le même qu'en fabrique.
La journée de travail est de 8 à 10 heures pour les tisserands, et de[170]12 à 13 heures pour d'autres métiers (charpentiers, maçons, etc.).
La plupart des habitations ouvrières laissent beaucoup à désirer : on peut l'attribuer à ce que presque toutes ont été établies seulement dans un but de spéculation. Aussi les loyers sont-ils assez élevés : 2f25, 2 lorins, 150 et 1 florin par semaine, parfois pour des réduits fort ecentriques. Les ouvriers de la grande usine de coton, qui gagnent par semaine de 4 a 8 forins, habitent en grand nombre des maisons qui appartiennent à la fabrique, et dont le prix n'est que d'un florin par semaine. On y a l'eau de pluie recueillie dans des citernes, l'eau des dunes ou eau de la ville, et en outre de l'eau de source de bonne qualité. Aussi peut-on dire que les logements misérables décrits en 1865 par M. Coronel se sont sensiblement améliorés.
Cependant les ouvriers des fabriques dépensent le 14 ou le 1 3 de leur salaire en boissons fortes de qualité inférieure. Ils fréquentent beaucoup le cabaret. On le concoit sans peine dans un pays qui compte 381 fabriques d'eau-de-vie et 207 distilleries, et dans lequel la statistique relevait, en 1885, 27.945 débits d'alcool munis de licences. Un millier de débits avaient disparu en 1887 sous l'influence de la loi sur l'ivresse publique. joutons que l'alimentation reste insuffisante, et l'on ne s'étonnera pas que ces populations soient, pour la force et la santé, inférieures à la classe ouvrière d'autres régions. Les mauvaises conditions du travail à l'atelier, et le peu d'abondance de la nourriture étiolent les enfants, et pourtant, devenus grands, ils suivent presque toujours le métier de leurs parents. La moralité est peu satisfaisante, et le nombre des filles mères va en croissant.
Hilversum possède un assez grand nombre d'écoles : 4 écoles primaires de l'État ; 3 instituts ; 1 école gardienne de l'Etat méthode Frobel) ; 1 école protestante avec 3 écoles gardiennes ; 1 école gardienne catholique et 1 école juive.
Il y a un mont-de-piété qui appartient à la commune et qui est mis chaque année en adjudication au plus offrant. La caisse d'épargne postale reçoit de nombreux versements. Il y a toujours plusieurs caisses d'assurance contre la maladie ; les tisserands en ont une pour eux. La grande usine de coton, qui occupe 3O0ouvriers, a une caisse spnéciale : la cotisation est de 10 centimes par semaine ; en cas de maladie, la caisse paye 4 florins par semaine à l'assuré. Les frais d'enterrement sont plus ordinairement supportés par les armbesturen, ou administrations des pauvres, communales et paroissiales de diverses confessions.
ndépendamment des tisserands, il y a à Hilversum des ouvriers de[171]divers métiers, notamment du bâtiment, qui en temps de chômage sont secourus par les administrations des pauvres, catholiques ou protestantes. Ces œuvres s'ingénient à venir en aide aux malheureux ; mais ce procédé est quelque peu démoralisant, car il fait croire à l'ouvrier que ses propres efforts seraient impuissants à sout enir sa famille et il l'habitue)à compter trop facilement sur la charité publique. Les principales sociétés d'assistance sont l'association qui fournit la nourriture chaude aux pauvres, et la confrérie de Saint-Vincent-de-Paul.
On ne fait pas asse, croyons-nous, pour remplacer la quiétude avec laquelle l'aumône est recue, par la prévoyance qui en affranchirait. l faudrait susciter parmi les ouvriers les efforts énergiques qui les grouperaient en sociétés coopératives et leur prépareraient des ressources pour les mauvais jours. Il va sans dire qu'il y a des ex ceptions : l'usine à vapeur qui fabrique des tapis est de ce nombre. et les exemples donnés par le patron qui la dirige sont justement estimés. Les améliorations arrivent ainsi à s'exécuter, mais trop lentement. Il y faudrait le concours d'une association dont l'unique but serait de promouvoir tout ce qui importe au bien-être matériel et moral de la classe ouvrière. Mais la fondation d'une semblable société rencontre de grandes difficultéss en raison du particularisme religieux et des antipathies de races.
R Jules d'ANETAN.
La Haye, 3 avri 1891.
BUDGETS DE MÉNAGES OUVRIERS EN 1891. — 1l sera intéressant de rapprocher du budget du Tisserand d'Hilversum quelques comptes de ménages empruntés à des enquêtes récentes.
[172](Extrait d'un intéressant mémoire (inédit) de M. de Koning, adressé à la Société des ingénieurs civils en 1890).
Notes
1. De nombreuses enquêtes ont été ouvertes récemment pour étudier quels ont été depuis cinquante ans les changements survenus dans la condition des ouvriers. et notamment quelles ont été les variations du salaire et du coût de la vie. Les monographies de familles, avec leurs budgets domestiques. sont à cet égard de précieux renseignements. Elles permettent d'ailleurs, au delà des chiffres, de saisir la vie ellemême et de voir comment les transformations économiques modifient les meurs ouvrieres. On sera donc bien aise de trouver ici le Tisserand d'Hilversum. rédigé en 1865 par M. le Dr Coronel, auquel les Ouvriers des Deux Mondes doivent dejà le Pecheur de Marken. M. le Bᵒ Jules d'Anethan, premier secrétaire de la Légation de Belgique à La llaye. a bien voulu consigner dans une note substantielle les principaux changements survenus depuis vingt-cinq ans dans la condition des ouvriers d'Hil versum. Ainsi complétée. cette nonographie sera particulièrement intéressante à rapprocher de celle que M. le comte F. Van den Steen de Jehay a consacrée à décrire la situation actuelle du Tisserand de Gand. et qui formera le prochain fascicule des Ouvriers des Deux Mondes. (V. sur les études successives d'une même famille, le travail de M. E. Cheysson dans l'Organisution de la famille par F. Le Play, épilogue de la 3e édition; V. aussi E. Cheysson. les Budgets comparés des cent monographie de familles des Ouvriers europeens et des Ouvriers des Deux Mondes. Paris, Baudry, 1891, in-4°.)
2. Gooilad, « terre de gooii», du verbe gooien. qui signifie « jeter ».
3. Pour rassembler la plupart de ces renseignements. j'ai eu recours à l'aide obligeante de M. de Bazel, jeune architecte de talent, élève de M. de Kuyper, qui dirige la construction d'une grande église catholique à Hilversum. (V. notre étude La situation ouvrière dans les Pays-Bas, insérée dans la Réforme sociale, 16 juillet et 1r aout 1890).
4. Le trajet d'Hilversum à trecht se fait en trente minutes.
5. Dans son rapport sur la Méerlnde industrielle, notre confrère, M. Maurice de Ramaix, dit : A Hilversum, on fait également des tapis et carpettes en poil de vache et dei-laine (ils sont généralement unis. sauf les carpettes qui ont une bordure). Cette industrie y est même assez étendue, car on y compte 22 usines de ce genre, mais elles netravaillent qu'avec un petit nombre d'ouvriers. Ce genre de produits est très répandu dans le pays : on s'en sert dans les bureaux, corridors, pièces secondaires de la maison, dans les hôtels, etc... On ne l'exporte guère mais par contre on n'achète rien de semblable à l'étranger . (Décembre 1886, ecueil des secretires de legation de edgique, p. 297, t. V ; Imprimerie des Travaux publics.
6. Le florin hollandais : 100 cents : 2f12.