N° 54.

ARABES PASTEURS NOMADES

DE LA TRIBU DES LARBAS

(RÉGION SAHARIENNE DE L'ALGÉRIE).

OUVRIERS CHEFS DE MÉTIER,

PROPRIÉTAIRES, DANS LE RÉGIME DES NOMADES

ET DANS LE SYSTÈME DU TRAVAIL SANS ENGAGEMENTS,

d'après

LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN MARS, AVRIL ET MAI 1885.

PAR

M. AUGUSTE GEOFFROY .



Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.

Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

§ 1. État du sol, de l'industrie et de la population.

[409] Deux grandes divisions résument clairement la géographie physique de l'Arique du Nord, au point de vue du sol et des eaux. Au nord le Tell, tempéré, montagneux, arrosé, cultivé, habité ; au sud le Sahara, brûlant, plat, desséché, inculte, désert. Au nord les eaux qui d'un versant de l'Atlas vont à la mer au sud les eaux qui du versant opposé vont se perdre dans les chotts et les daïas. Que si l'on veut accuser davantage la physionomie particulière de chacune de ces deux grandes divisions, en allant de la mer au désert, on dira le rivage ou Sahel, fait de petites collines boisées et de plaines herbues ; le Tell proprement dit : les lauts Plateu, succession de plaines vastes et élevées qui lorment les contreforts septentrionaux de la principale chaîne de l'Atlas ; les Chotts ou lacs salés ; les Hauts Plateaux. contreforts sud de la chaîne secondaire de l'Atlas ou Djebel Amour ; [410] la région des Ksours ou villages fortifiés qu'habitent les auxiliaires sédentaires des peuplades nomades ; le petit Sahara ou steppes entrecoupées d'oasis habitées : la région des Dunes de sable et des lacs d'eau douce ou Daïas,; enfin le grand Sahara ou Sahara proprement dit (§ 17).

Les nomades s'appellent entre eux et en terme propre rahhalla, conducteurs de troupeaux on les nomme aussi le jusqu'à du vent, à cause de leurs déplacements rapides et incessants. C'est dire que les animaux herbivores, susceptibles de vivre en masse et de se déplacer facilement, font l'objet de leur principale industrie ; l'art pastoral domine leur existence et a donné naissance à toutes les lois et mœurs qui les régissent.

Trois grands parcours nomades à peu près délimités subsistent en Algérie : les Larbas vont du Sahara auTell par toute la partie gauche de la région des sours, tenant tout l'ouest du côté du Maroc depuis Metlili jusqu'au delà des auts Plateaux, aux environs des marchés de Tiaret et de l'eniet-el-llaâd, villes de la province d'Alger. C'est-àdire qu'ils se meuvent sur un parcours mesurant en longueur du nord au sud, cinqCents kilomètres environ; et en largeur de l'ouest à l'est, environ cent kilomètres ; du 30 au 35° degré de latitude nord. Les Oulad Navls circulent dans les espaces de la partie droite, depuis Ouargla 'jusqu'aux lIauts Plateaux en appuyant vers l'est et vers la Tunisie. Les Malifs, Meraznias, araalias piétinent autour des oasis du Mzab, dont ils sont en quelque sorte les vassaeux.

Les parcours propres à chaque tribu emportent avec eux la jouissance des pâturages, des puits, des forêts, des cimetières, des ksours, des oasis et des marchés qui sont dans leur rayon. Dans le hsar (pluriel sours), propriété bâtie, forteresse et jardin du nomade, la possession perd de son caractêre de collectivité. Le lsar de telle région est bien la chose de telle tribu en particulier, mais chacune des familles de cette tribu peut y avoir sa propriété individuelle, sa tente de pierre, sa maison et son jardin ; tandis que pendant la marche le parcours des paîturages est commun à tous et est à peine précisé par le droit du premier occupant temporaire.

La tribu en marche s'appelle neiae, ce qui signiflie textuellement en quéte de pdturages. Les séjours sur un même pâturage sont au plus de trois jours quand la tribu est en mouvement, mais aux points extrêmes de ses pérégrinations, comme dans les lauts Plateaux et au Sahara, elle reste à un endroit tant qu'elle y trouve le nécessaire.

[411] En janvier la tribu se trouve dans les steppes sahariennes, alors couvertes d'herbe par suite des pluies d'automne. Les troupeaux piétinent sur place. L'eau n'est pas rare, mais le froid vif quelquefois, et le chauffage difficile à se procurer, soit en bois, soit en fientes sèches. La provision de burnous, de couvertures et de tapis, tous objets fabriqués par les femmes de la tente. a besoin d'être au complet. En février et en mars les déplacements deviennent plus fréquents, les parturitions des animaux se produisent, exigeant des soins minutieux envers une quantité de petits et produisant d'abondants laitages à recueillir et à transformer. En avril, mai, on séjourne dans la régrion des sours, on passe en revue les provisions qui y sont entassées, on s'occupe des jardins, on fait la moisson. En juin et juillet on engraisse le bétail dans les pâturages abondants des auts Plateaux, afin de donner de la valeur à celui que l'on veut échanger contre les suppléments de grain nécessaires à la tribu. On tond les brebis, on rssemble les tellis ou sacs de dattes, les laines, les cordes, les tapis, tous les produits naturels ou travaillés destinés à la vente annuelle sur les marchés du Tell ; et après avoir laissé les troupeaux et les tentes à la garde de quelques-uns, la plupart des chefs de famille, avec leurs produits, prennent le chemin des marchés. Quand ils ont terminé leurs ventes et recueilli en échange ce qui leur manquait de grains ou d'objets qu'ils ne fabriquent pas et qui leur sont sinon utiles du moins agréables, ils rejoignent le gros de la tribu et redescendent dans la région des sours. après être restés dans les Hauts Plateaux le temps nécessaire pour que l'époque de la végétation saharienne soit assez avancée. Dans les sours, ils ensilotent les grains de réserve, n'emportant avec eux dans le sud que ce qui sera néeessaire à la consommation hivernale, et ils confient les semences à la terre.

Le travail de la terre est chez les nomades tout ce qu'il y a de plus élémentaire. Ils se servent de l'araire primitif attelé de n'importe quel animal, beuf, chameau, àne. de leurs femmes même au besoin. Ils ne donnent qu'une façon à la terre. quelquefois même ils ne se servent pas de charrue et retournent simplement le sol à la pioche ; puis, la semence jetée, ils le remanient encore à la pioche en sens inverse. Ils ne fument pas, mais ils ne sèment jamais deux fois au même endroit. ls n'ont que l'embarras du choix, ne s'occupant même pas de défricher et se fiant à l'abondante couche d'humus qui permet toujours une récolte.

[412] Les pérégrinations des nomades varient selon l'étendue des massifs montagneux qu'ils ont à traverser pour se rendre sur les marchés dul'ell ; selon la qualité et les distances des pâturages de leur parcours.

La grande famille des Larbas est actuellement composée de trois fractions (§ 21). Les ksours des environs d'Ain Madhi sont occupés par les Oulad Salah ; ceux des environs de El A ghouat, par les Mamrâs ; ceux des environs de 'adjmout, par les Iadjadj. Ils sont tous frères, hhouans, de l'ordre religieux musulman de 'edjini, par opposition à leurs voisins nomades qui sont de l'ordre adverse de Derlaoui. Cavaliers redoutables, guides sahariens incomparables, ils servent de barrière contre les tentatives des Oulad Sidi Cheik, la grande tribu sueraine du Sahara. Ils ne demandent qu'à naviguer en paix du Sahara au Tell et du Tell au Sahara. Leurs jeux à cheval sont les plus remarquables du sud, comme le langage des Oulad Nayls en est le plus doux. Sur huit mille âmes, ils ont environ six cents cavaliers. La population ne varie guère, la nombreuse mortalité des enfants la maintenant stationnaire. Les adultes, résultat de la sélection opérée par une vie exceptionnellement rude, sont admirables de formes et étonnants de vigueur. Ils possèdent vingt mille chameaux, douze cents beufs, cent quarante mille moutons, trois mille chèvres, et confient à la terre cent quatre-vingt-quatre quintaux de semence. Leurs ksours renferment quatre à cinq mille ames, de cette race sédentaire berbère qui est en quelque sorte vassale des nomades : trois mille chameaux, vingt-cinq mille moutons. sept mille chèvres ; ils ensemencent soixante-huit quintaux de graine. Le troupeau de moutons est de quatre cents tétes et celui de chameaux est de cent. L'unité de troupeau se nomme ca, bâton, ce qui veut dire le nombre normal d'animaux que peut conduire un gardien avec un bâto.

Le nomade est le suzerain, le patron naturel de outes les populations sédentaires, qui ne vivent que par lui et dont les installations ne sont développées qu'en vue de ses besoins périodiques. Les populations qu'il traverse lui sont d'autant moins inféodés que leur sol plus fécond, mieux défendu par les montagnes, leur permet d'avoir moins besoin de lui et de se suffire comme laine et comme bétail. Le commerce du nord de l'Afrique est dans ses mains ; sans lui on ne peut rien faire, puisqu'il apporte au Tell la viande qui lui manque et qu'il en remporte le surabondant des grains. Ses mou[413]tons, ses laines, ses dattes, ses burnous, ses tapis, il les jette sur le marché à des époques fixes, d'une qualité invariable et par quantités considérables. Il est le convoyeur, le marchand, le fabricant, le banquier. Sa monnaie, c'est la datte ; monnaie excellente, à valeur variable comme les années, selon l'abondance et les besoins ; c'est sa monnaie contre celle du Tell qui est le blé et l'orge. On échange une mesure de dattes contre trois mesures de blé dans le Tell, parce que le transport des dattes est fait ; mais au Sahara une mesure de blé vaut trois mesures de dattes parce que le transport en sens inverse est fait aussi. Au Tell, comme dans les oasis du sud avec les caravanes tunisiennes et marocaines, le nomade troque ce qu'il a sur le dos de ses chameaux, contre ce que les autres transportent. Il donne son surplus de bétail, de laine, de dattes, de gomme, de hennah, à ceux qui en manquent, et prend en échange des grains, des parfums, de la bimbeloterie, des bijoux, du café, du tabac, des étoffes. Plus tard il donnera à son tour une partie de toutes ces choses, après en avoir gardé le meilleur, aux Sahariens éloignés des passages de caravanes, aux souriens, et leur prendra les bijoux de leur fabrication, des plumes, de l'encens, du musc. Il est le trait d'union nécessaire et continuel entre la mer et le Sahara ; il fait un commerce annuel, fixe, indispensable dans le Tell, et il en fait un autre variable, de circonstance, portant souvent sur des superfluités, avec les caravanes et avec les sédentaires sahariens.

Les divisions administratives, si l'on peut ainsi parler, des nomades sont déterminées par la ressource de première nécessité, la fortune du désert, les puits. Les haci sont des puits de circonstance, passagers, creusés à l'aide de la main et d'un petit seau de métal, la sethla, dans le sable des rivières desséchées. Mais il y a des puits permanents, maçonnés, d'une profondeur considérable et très abondants en eau, dont la réunion s'appelle ogla. Du côté du Mzab sont les plus nombreux et les meilleurs ; il n'est pas rare d'en voir où l'on peut puiser quotidiennement plusieurs centaines de mille litres. Les puits sont les régulateurs de la vie nomade, l'axe autour duquel elle pivote. Les tribus s'arrangent de manière à ne pas arriver plusieurs ensemble aux ogla ; car si abondants que soient les puits, ils ne pourraient suffire à un million de têtes de bétail altéré. Les gueltas, laques ou mares d'eau potable, ne sont jamais suffisantes.

La tribu se divise enferquas, fractions ; la ferqua, en douars. c'est-àdire groupes de plusieurs tentes en cercle ; le douar, en nedas ou[414]agglomérations de tentes d'une même famille. La irba est la haie spéciale qui entoure les tentes d'une même communauté, nezla ou douar, qui distingue la propriété familiale simple ou étendue et assure la sécuritérelativement aux frères de la tribu déjà trop éloignés par le sang pour que leur probité soit certaine. La tente se nomme la maison de poil, c'est le sanctuaire du chef de famille. La diemaia est la réunion des notables des douars d'une lerqua se consultant sur des intérêts communs et sous la présidence d'un chih. Le chilh est un vieillard réputé d'expérience ; chilh, vieillard, se dit au reste de tout homme arrivé au pouvoir, tellement le nomade trouve que le pouvoir doit rester entre les mains de l'expérience des anciens. Ceux qui dirigent les débats, qui prennent la parole à la djemâa, les intrigants, sont appelés hommes de langue. Le douar en réalité est la famille étendue, il se compose de familles à origine commune quoique éloignée, maintenues en unité par l similitude des intérêts et par les sympathies. La nezla est plus restreinte comme la tribu est plus étendue ; le souvenir familial se perd dans la tribu, il est très marqué dans la nela. Le type de la famille patriarcale à l'état de rouage social, c'est le douar. ˉOulad, comme en, qui précède le nom des tribus, veut dire fils, frères, et indique bien l'origine familiale, un père commun. Beni est réservé aux tribus serves, Oulad aux tribus nobles, ulad Sidi aux tribus de fils de saints dans l'Ilam, de marabouts. Le nom qui suit Oulad ou Beni est celui du chef de famille fondateur de la tribu.

Le sar, pluriel bsours, est la halte sérieuse, le grenier de réserve, le fort de suprême défense, le coffre-fort, le temple et le tombeau du nomade. Il prépose à sa garde des serfs qu'il paie. D'ordinaire le lsar est bâti près d'une source et entouré de jardins. Le nomade y laisse ses réserves sous deux formes. Des souriens ont métier de loueurs de silos, de greniers, et le nomade leur confie, pour un prix de location qui est du dixième par année, son grain, ses dattes et sa laine. Le loueur a un beau bénéfice, car les greniers, ous au rez-dechaussée, sont des immeubles de peu de valeur ; les silos en ont encore moins. Si le nomade a des greniers à lui, batis dans sa maison, il y entasse ses réserves, mais en même temps il doit y préposer un gardien lsourien à rétribution invariable mais en nature. Le premier comme le second est entièrement responsable des pertes, vols, sinistres ; ii y a là une sorte de contrat d'assurance. Cette garde est aussi une sorte de privilège acquis au sourien.

C'est encore au sourien que le nomade confie le soin de préparer[415]sa laine pour le filage et le tissage. Cela se règle par tiers : le premier tiers reste au sourien ; le second est vendu ; le troisiême, travaillé sous la tente. Le sourien rend pour un quintal de laine : un burnous de 20 francs, un hai de 15 francs, une chemise de 5 francs ; il garde le surplus comme rémunération.

Le sourien, comme les sédentaires, quels qu'ils soient du reste, est toujours pour le nomade un dégénéré, un inférieur. Le nomade, lui, ne fait que passer dans les ksours, qui sont comme les bagages, les ambulances d'une armée en marche. Il n'y reste que le temps nécessaire, n'y couchant même pas quand il est à proximité, et campant en plaine, le long de la portion de remparts qui touche à ses maisons. En général, quand les nomades n'ont pas assez de place pour leurs grains dans les ksours, ils font des silos. Ces silos, où le grain est enterré, sont dissimulés habilement et leur place est un secret quand on n'a eu besoin que de quelques-uns ; mais s'ils sont trop nombreux pour que l'on espère les cacher sérieusement, on prépose à leur garde des hommes qui vivent à quelque distance sous la tente. Les Larbas étant les plus nomades de tous les nomades sahariens ne font jamais de silos ; ils préfèrent les ksours ; le silo semble être plus particulier aux demi-sédentaires, à ceux qui s'embarrassent de grains abondants, qui commencent à cultiver déjà et à semer sérieusement. Dans les diffieultés qui s'élèvent entre ksours, le nomade vient soutenir les gens du sien, il épouse leurs querelles politiques. Méprisant tout autre genre d'existence, il n'aurait pu recruter de gardiens de ksours parmi les siens ; il a eu recours à une autre race que la race arabe, à des sédentaires imvétérés, les Berbères. Ces lieux de grandes étapes, ces resserres indispensables, ces marchés permanents du nomade sont construits en carrés de terre séchée au soleil, entretenus par les souriens, lesquels ont droit à une quantité variable de grain comme rémunération de leurs ser

La famille décrite dans la présente monographie appartient à la grande tribu saharienne des Larbas, fraction des Oulad Salah ; elle a ses magasins à Ain Madhi, ville sainte de toute cette région, située par 33° 53', de long. N. et 0° 5 de latit. 0. ; à 100 kil. à l'ouest de El Aghouat, à 340 kil. vers le nord-nord-ouest d'Ouargla, et à 330 il. vers sud-sud-ouest d'Alger.

§ 2. État civil de la famille.

[416] La famille, organisée sous le régime patriarcal, compte dix personnes groupées en deux ménages, avec trois esclaves domestiques.

1.ALI BEN MOHAMMED(BEN MOHAMMED, indique sa filiation, fils de Mohammed, de même que ses enfants porteront chacun leur nom particulier suivi de ben Ali), chef de famille............ 39 ans.

2.AÏCHA BENT MANSOUR, 1re femme du chef de famille, de la tribu des Larbas............ 32 —

3.ZOHRA BENT OMAR, 2e femme du chef de famille, de la tribu des Larbas............ 25 —

4.ALIMA BENT KADDOUR, 3e femme du chef de famille, de la tribu des Larbas............ 14 —

5.AHMED DEN ALI, fils aîné du chef de famille, né d'Aïcha............ 20 —

6.MESSAOUDA BENT LAKDAR, femme d'Ahmed, de la tribu des Oulad Naijls............ 12 —

7.SADDOK BEN ALI, 2e fils du chef de famille, né d'Aïcha............ 15 —

8.TAÏEB BEN ALI, 3e fils du chef de famille, né de Zohra............ 13 —

9.KRADIDJA BENT ALI, 1re fille du chef de famille, née de Zohra............ 8 —

10.KREIRA BENT ALI, 2e fille du chef de famille, née de Zohra............ 6 —

11.MUSTAPHA BEN KASSEM, esclave domestique nègre du Gourara, acheté dans l'oasis d'Insalah............ 50 —

12.EMBARKA BENT ALI, esclave domestique, négresse du Gourara, achetée à Ghardaia, ville de l'oasis des Beni Mzab............ 40 —

13.KADDOUR, mulatre né sous la tente, des œuvres du chef de famille et de la négresse Embarka, esclave domestique............ 20 —

Le ménage du fils aîné vit sous la tente commune ; son épouse Messaouda a été agréée par le chef de famille. Le père et la mère du chef de famille sont morts. Il a deux frères, mariés eux aussi, qui ont leurs tentes plantées à proximité de la sienne, avec laquelle ils forment nezla. Il a perdu sept enfants dont trois d'Aïcha, trois de Zohra, et un de sa jeune et dernière épouse Alima, prise pour soulager un peu les deux autres dans le travail de la tente, et sur leur demande. Le mulâtre Kaddour, sans être absolument sur le même pied que les autres enfants, est cependant traité aussi bien qu'eux. Il y a peu de différences entre les rapports du chef de famille avec chacune des femmes arabes et sa négresse. Mustapha, comme tous les serviteurs sous les tentes de nomades, où la vie commune est de chaque instant, est plutôt un parent, un ami, qu'un esclave.

§ 3. Religion et habitudes morales.

Sous la tente salarienne le nom de Dieu revient à la pensée et sur les lèvres en toutes choses : S'il plait à Dieu ; — Si c'est la volonté[417]de Dieu ; — Au nom de Dieu; — Ce qui appartient à Dieu. La mort naturelle s'appelle la mort de Dieu. Les démons jouent un grand rôle dans les croyances du nomade ; ils sont de plusieurs espèces. Ce sont : les hatef, voi sans corps qui chantent ; les chahaˉ, qui dévorent les voyageurs en commençant par les pieds ; les nasnas, qui coupent les routes. On rencontre partout des chiffons au bout de bâtons, des mâchoires de chameau accrochées aux palmiers et qui doivent protéger le voyageur. Des pierres marquent tous les endroits célèbres en bien ou en mal, miracles, crimes, sépultures. On exorcise les lieux maudits. Les cinq doigts de la main ouverte, la hamsa, sont dessinés sur les tentes pour les protéger ; c'est une allusion à la main ouverte de Moise devant le Pharaon. IIommes et animaux portent des talismans qui sont des paroles du oran écrites sur toute espêce de matières et que l'on coud dans des sachets de cuir. Le nomade n'a pas de culte régulier, à démonstrations fixes et générales ; c'est le chef de famille qui est le prêtre de la tente, il prie au nom de tous aux heures de la prière quotidienne pour l'Islam entier : à l'aube, vers neuf heures, à midi, à trois heures, à cinq heures, au oucher du soleil, à neuf heures du soir. Il prie à ciel ouvert, détestant tellement les demeures bâties qu'il ne met jamais le pied dans les mosquées. Il enterre ses morts à certains endroits de la steppe, autour des oubas, tombeaux des marabouts, ou alors dans les lspurs. Dans sa philosophie le fatalisme domine tout ; la vie n'est qu'un passage. En saluant même une seule personne, il dit : Le salut soit sur ous parce que les anges, et en particulier l'ange gardien, figurent dans les croyances du nomade. Il préfère et choisit en fait de croyances ce qui se rapporte davantage aux besoins de sa vie errante et périlleuse. Dans les grandes tentes (on appelle grandes tentes les familles riches, les dimensions de cet abri de feutre indiquant la plus ou moins grande aisance de la famille), il y a trente ou quarante jours de deuil quand meurt le chef de famille, lemaître de la tente ; pendant tout ce temps, tous les jours dans le milieu de la journée, durant deux ou trois heures, toutes les femmes de la tribu ou de la fraction de tribu se réunissent dans la tente du mort, sous la présidence de la femme préférée, et se lamentent alors qu'au dehors les chamelles, que l'on a eu soin de séparer de leurs petits, pleurent aussi.

Le nomade a, dans l'acception la plus complète du mot, le sentiment de la paternité. Il aime ce rôle si noble, si grand, de père, et s'il ne s'acquitte pas mieux quelquefois des devoirs qu'il lui impose,[418]c'est qu'il ne sait pas s'élever plus haut dans le sentiment et dans la dignité morale. Aussitôt qu'une de ses femmes est eneeinte, il ne la brutalise plus, en vue de l'enfant qui est à naître. Ce qu'il y a de bon à manger sous la tente est pour elle. On lui évite autant que possible les ftigues quotidiennes, les dangers des migrations. Une forte ceinture d'épais fil de laine lui soutient le ventre. Au moment de l'accouchement le père prépare le nécessaire, puis emmenant ses enfants il va se réfugier chez les voisins. L'épouse reste sous la tente aux mains des autres femmes, qui toutes savent s'entr'aider habilement en telle circonstance. La naissance d'un fils premier-né surtout est accueillie, comme l'a été celle d'Ahmed dans la famille ici décrite, avec des cris de joie. On manipule l'enfant, on le fait vomir, on l'étire pour lui donner une haute taille, on lui pétrit le nez en forme aquiline, on l'enduit de beurre, d'huile, de hennah. Le pêre exige de la femme l'accomplissement entier des devoirs de la maternité. Même répudiée elle doit emporter l'enfant pour l'allaiter, il ne doit avaler une gorgée de lait au sein d'une autre femme ou au pis des animaux qu'à la dernière extrémité. Le lait, dit Ali ben Mohammed, c'est du sang, c'est le sang de la famille. Aussi le lait bu par des enfants de provenances différentes établit-il entre eux une parenté aussi étroite que celle du sang. A deux ou trois mois au plus l'enfant, chez les nomades, est jeté au milieu de la tente, abandonné à lui-même revêtu de sa seule chemise de laine, et c'est ainsi qu'il se fortifie. Dans les voyages, il monte sur le dos de sa mêre et s'y cramponne à califourchon sur les reins. Pour le soutenir, la mère replie sur lui une partie de son voile qu'elle noue ensuite en avant ; le petit se trouve ainsi pris dans une sorte de sac et sans s'en occuper la mère vaque à ses nombreuses occupations. Le père n'a pas honte de porter, lui aussi, le nouveau-né ; il se départit en sa faveur de la gravité farouche qui lui est ordinaire et le laisse barboter parfois dans son écuelle de kouslous. A deux ans il le reprend complètement à la mère et s'en charge exclusivement, ne lui laissant que les filles, sans valeur sous la tente au point de vue de l'éducation paternelle. A cette époque il y a nouvelle fête dans la famille ; l'enfant prend possession pour ainsi dire de son titre d'homme ; un vieillard lui tond la tête et le revêt du vêtement national qui est en même temps un habit religieux : le burnous. Tonsure de la tête, re vêtement du burnous, prise en main de l'éducation par le père, forment un ensemble qui constitue, à deux ans, pour le fils un grand acte familial. A[419]sept ans, la circoncision a lieu. Mais ni la première ni la seconde de ces investitures ne constitue le fait essentiel de la vie morale musulmane ; c'est le droit de prier et le droit de témoigner, droits correspondant à l'obligation du jeûne, qui font du jeune homme une tête virile, un guerrier dans la tribu. La prière est l'acte viril par excellence dans la vie nomade.

Saddol ben Mohammed vient d'être admis à la prière ; comme Ahmed, l'aîné, comme aieb, il n'a pas eu d'autre éducateur que le

La puissance paternelle du chef de famille (§ 19) n'est limitée par aucune entrave ; elle n'a pour freins que l'affection naturelle et l'idée de Dieu, lui aussi père tout-puissant des hommes. Ali ben Mohammed, avec son tempérament d'une résistance et d'une violence nerveuse extraordinaires, est très dur pour lui-même, mais aussi très dur pour les siens ; et cependant, curieux résultat moral d'une perpétuelle communauté de misères et de défense incessante, il est bien plus affeetueux, bien plus digne, bien plus paternel que l'Arabe sédentaire. Notre chef de famille a certainement chéri ses fils quand ils étaient petits ; on en juge par l'affection qu'il témoigne à ses filles. Cependant aujourd'hui il les traite sévèrement, Ahmed, l'aîné, marié, comme les autres ; les fautes les plus légères amènent des violences où l'autorité paternelle, et maritale quand il s'agit des femmes, dépasse certainement ses pouvoirs et son but. Parfois le chef de famille se montre par trop l'exploitant des forces de la famille et exige en sauvage autour de lui une terreur et une obéissance passive qui ne lui font cependant point défaut. La matraque, bâton noueux que le Saharien comme tous les Arabes, pasteurs, sédentaires ou nomades, porte toujours à la main, joue souvent son rôle.

Ali ben Mohammed mange seul avec ses fils et laisse ensuite aux enfants, aux serviteurs ce qu'il lui plait d'abandonner. L'éducation religieuse et morale qu'il a donnée à ses fils se réduit à peu de chose ou mieux à une seule chose ; il leur a appris ce qu'il sait du Coran et ce qu'il en pratique. Ablutions, jeûne, prières quotidiennes, toilette liturgique, croyance en Dieu unique, respect des marabouts, amour du Prophète, espoir d'un paradis sensuel ; voilà tout, puisque la vocation particulière d'aucun n'a permis à la famille de l'envoyer dans une aouia ou école musulmane pour en faire un lettré ou un prêtre.

C'est dans les aouias, mosquées élevées sur les tombeaux des saints que le nomade trouve la vie spirituelle, la vie intellectuelle, les se[420]cours et l'hospitalité de la tombe. Les bâtiments qui en font un temple, une école, un cimetière, un caravansérail sont, de par la loi du Prophète, ouverts à chacun. C'est souvent un des descendants du marabout enterré là qui exploite la aouia et qui y fait l'école. Trois sortes de sujets fréquentent les zaouias pour étudier : les petits qui quitteront de bonne heure pour être bergers, élèves d'une école primaire de pauvres ; les riches de quinze à di-huit ans, fils de chefs. à loisirs ambitieux ; les novices, futurs tolbas ou hhouans, prêtres ou religieux. Après la moisson, les professeurs font faire la quête sous les tentes et recoivent toujours abondamment en nature des offrandes que l'on nomme iaras. Quand la tribu nomade passe près des zaouias, elle y laisse la meilleure partie de ses marchandises en cadeau. Par contre, c'est dans ces sanctuaires que l'on affilie les membres adultes de la tribu aux ordres religieux, qu'ils prennent louerd, ce qui textuellement veut dire a venir à la source ». Ceux qui ont fait des veux pendant le cours de la migration, les accomplissent en cet endroit. Avant de se mettre en route, dans les événements graves de la vie, dans les entreprises commerciales, le nomade fait d'ordinaire des vœux et il les exécute toujours grandement. La zaouia est donc le sanctuaire du nomade, la piscine où il va se retremper moralement. Pour les aumônes extraordinaires, conséquence de vœux, on prévient les pauvres qui se rassemblent là avec leurs chapelets de grains de jujubier, et on leur distribue les viandes du bétail que l'on a tué pour

Quant aux enseignements de la vie matérielle, ils sont complets et répétés quotidiennement pour les deux derniers fils, afin de les mettre à même de soutenir les luttes de la vie et d'apporter à leur père du soulagement et du gain en compensation des frais qu'il a faits pour eux. Tous deux sont très au courant de ce qui concerne l'art pastoral, mais le côté moral de leur conduite est bien négligé. Ali ne s'inquiète guère de ce que deviennent ses fils pendant quils vagabondent avec les troupeaux et en compagnie de groupes d'autres jeunes hommes ou de filles. Les fils d'Ali ben Mohammed craignent leur père pour toutes les choses matérielles de la tente, ils observent à sa suite toutes les prescriptions du culte extérieur, mais ils n'ont en eux aucun secours pour réprimer leurs mauvais instincts, et ceux-ci se développent sans contrainte.

La situation de la mère est tout autre que celle du père. Les enfants d'Ali ben Mohammed peuvent avoir de l'affection pour leurs[421]mêres Aicha et ohra ; mais ils n'ont pas de respect ; le père ne le leur a point appris. Avec la dernière femme, Alima, qui pourrait être la leur, ils en montrent encore moins. De la pluralité des femmes sous la tente résulte nécessairement un manque d'attaches sérieuses entre le fils et la mère. S'il y a divorce, le fils reste avec le père, et de celle qui l'a porté dans son sein, nourri de son lait, il garde à peine le souvenir. Avec ses débordements journaliers, la femme arabe en général ne fait pas non plus ce qu'il faut pour obtenir le respect de ses fils. Fille sans pureté de cœur faute d'éducation morale ; sans chasteté, dès le plus jeune âge, à cause des hasards et des occasions d'une vie vagabonde, où la tente mêle à tous moments garçons et filles. jeunes et vieux ; jetée encore enfant, mais déjà corrompue, sous le joug d'un mari qui l'achète et qu'elle n'a pas été appelée à choisir, la femme du nomade ne rêve qu'amants à son gré, ne parle avec ses Compagnes que de ses amours adultères, qui peuvent à tous moments lui coûter la vie ; car si le mari, en pareil cas, la tue ou la mutile, qui donc s'en préoccupera2 Il est vrai que le plus souvent il n'éclate en une fureur apparente que pour effrayer le complice de la coupable et réussir à la lui céder au meilleur prix possible. En réalité ni père ni fils ne traite la femme de la tente comme une épouse ou une mère, et cependant elle est au moins mère tendre et dévouée. Ahmed. exercant le pouvoir de son père absent, est parfois obligé de frapper Aicha ou ˉohra, absolument comme il ferait avec sa propre femme Messaouda. Il n'hésiterait pas à les tuer si elles compromettaient l'honneur de la tente.

On peut plaindre la femme de l'Arabe nomade de l'abaissement ou elle vit, car c'est le fait des institutions et non le fait d'une infériorité morale qui lui soit propre. Son àme, prématurément pervertie par le milieu où elle est jetée, ne nait pas à la vie morale. Son corps, usé avant que la nature ait eu le temps de le développer complètement. ne sufit qu'avec peine aux travaux de la maternité et ne donne à ses rejetons qu'une constitution débile incapable de supporter les rigueurs de la vie nomade. Aussi l fécondité est-elle inconnue et la mortalité des enfants considérable. Ces faits sont d'autant plus frappants que la polygamie semble promettre le contraire. Avec ses trois femmes, Ali ben Mohammed n'a que cinq enfants (la négresse ne peut compter. n'étant d'apres les usages admise qu'une fois à la couche du maître. pour une sorte de prise de possession seulement) ; il en a perdu sept. Une grande tente voisine de la sienne, dont le che a eu successi[422]ement trente-cinq femmes, ne renferme qu'un seul héritier mâle.

Le nomade prend femme (§ 18) bien plus tôt que l'Arabe sédentaire. Ali ben Mohammed s'est marié la première fois à seize ans. L'estimation de la dot a lieu en argent et on la paie en nature ; approximativement 150 ou 200 francs. Aicha a été cédée pour 120 francs, ohra pour 200 à cause de son extraordinaire beauté, Alima a reçu 175 francs. Quant à Messaouda, épouse d'Ahmed, ses parents ont reçu 500 francs parce qu'elle appartient à la tribu des Oulad Naijls, aussi fameuse par ses femmes que par ses chevaux. Le nomade prend, selon que ses moyens le lui permettent ou mieux que les travaux de la tente l'eigent, deux, trois, quatre femmes ; souvent deux, rarement quatre. li ben Mohammed se défend bien d'avoir pris successivement Zohra et surtout Alima après sa première femme Aicha, qu'il aime beaucoup pour d'autres motifs que la nécessité des travaux de la tente. Des servantes lui eussent coûté aussi cher que des épouses et celles-ci honorent toujours davantage, donnent un appui par l'alliance avec leurs familles, gardent mieux les secrets de la tente. Les femmes de haute naissance sont recherchées avec ardeur.

Le chef de la famille est le patron et le directeur suprême de tous les intérêts groupés autour de lui et qui restent sa chose : enfants majeurs avec leurs femmes, mineurs étrangers en tutelle, infirmes, par rents éloignés. Leurs biens, leurs troupeaux sont sous sa gouverne : il en dispose, il les administre. La smala, agglomération de serviteurs libres, de clients qui vivent sous la protection et aux frais d'un chef de famille de grandes tentes, est une forme remarquable du patronage. Les serviteurs sont des membres de la famille, on ne les paie pas, ils vivent et meurent auprès des maîtres ; très nombreux d'ordinaire, ce sont surtout eux qui forment cette clientèle politique, cette puissance d'inluence que l'on appelle la smala. Les vieillards sont vénérés, écoutés, ils sont la tradition vivante. Le respect dont on les entoure leur donne le droit, également accordé aux infirmes ou aux fous, de séjourner là où bon leur semble, sous les tentes des parents si éloignés qu'ils soient ; on les héberge, le meilleur est pour eux. S'il n'ont pas de parents, la tribu les prend à sa charge et alors ils sont partout chez eux, allant et vivant où il leur plaît. On les accueille comme une bénédiction. Les fous, les infirmes, les femmes répudiées, les vieillards dans la famille, ont pour tuteur naturel le chef de famille. L'émigrant est inconnu che les nomades ; le nomade vit et meurt dans sa tribu.

[423] L'épargne est essentiellement opposée au caractère arabe qui aime le faste, la jouissance immédiate, qui sait se passer quand il n'a pas et qui use à outrance quand il possède. A ce point de vue le nomade est encore plus arabe que l'Arabe ordinaire, sa vie étant encore plus aventureuse, sans besoins, hospitalière. Son fonds de réserve c'est le fonds commun de la tribu : les troupeaux et les pâturages qui ne manquent jamais complètement. Si les troupeaux périssent, la maouna, association mutuelle, les remplace ; si les pầturages manquent d'un côté, on va à trois cents lieues plus loin. La richesse, ce sont les troupeaux et l'herbe ; l'épargne, ce sont les petits qui naissent, l'alfa ou le diss qui repoussent : Dieu se charge de cela. Le nomade met de côté juste l'indispensable pour la semence, pour les disettes, pour les fêtes de famille, pour sa contribution patriotique et religieuse ; et encore, défiant de lui-même, ennemi de l'immobilité, il ne veut pas se faire le gardien de son trésor. Il charge de ce soin, dans les ksours. une race qui lui est diamétralement opposée comme caractère, sédentaire, avare, qui mourrait de faim auprès de silos abondants, la race berbère des souriens.

§ 4. Hygiène et service de santé.

Le nomade saharien est un type admirable de force et d'agilité ; les maladies vénériennes sont la seule cause de corruption du sang. Chez Ali ben Mohammed, la propreté consiste principalement à se déshabiller complètement de temps à autre et à secouer les vêtements au-dessus du feu pour y faire tomber les poux. Les femmes ont, dans le même but de tuer ces insectes, passé des cordons enduits de mercure au cou des deux petites filles. Les crottes de gaelles, parfumées à cause de l'armoise que broutent ces animaux, servent aussi à faire des colliers, à parfumer le tabac. Les mouches et les sauterelles font cruellement souffrir les nomades et ils luttent sans cesse contre ces bestioles. Quant à la santé générale, elle est excellente. Les épidémies sont inconnues ; des légions de scarabées, d'hyènes, de chacals, de vautours, décharnent les cadavres qui empesteraient l'air, les campements, les eaux. Les excréments des animaux sont brûlés et ceux des hommes sont absorbés par les chiens des tentes souvent à jeun. Ali ben Mohammed a parfois de violents et brusques acces de fièvre[424]qu'il compare au vol des hirondelles. Toute la famille prend, quand les lieux s'y prètent, des bains dans les eaux des sables salins ; au printemps elle se nourrit exclusivement de lait et d'herbages, pour se rafraichir le sang et se purger. Ahmed et ses frères ont une santé robuste ; Ali n'a jamais eu de rhumatismes. Quelques transports au cerveau et des ophtalmies sont les seules maladies fréquentes dans la tribu. Les Larbas se servent de romarin, de salsepareille, de thapsia sous toutes les formes, c'est leur révulsif par excellence. Tous leurs remèdes croissent autour d'eux, et leurs médicaments sont simples comme leurs maladies. Ne pouvant pas coucher dans un lit, le nomade ne se déshabille jamais ; il est ainsi toujours pret à courir contre les voleurs et la décence ne souffre pas si l'ouragan renverse sa tente. Sans cesse à cheval ou en marche à pied, il trouve encore des forces pour se livrer à des exercices violents, à des jeux dangereux, dès quiil s'arrête au campement.

La femme nomade est formée entre huit et douze ans. Quand elle est indisposée, elle se revêt d'habits spéciaux et se tient à l'écart pendant quatre ou cinq jours ; elle prend ensuite un bain, si faire se peut. Dans les accouchements, les soins lui sont donnés par des matrones tort habiles. Les femmes de débauche, qui vivent dans des tentes séparées, ne sont l'objet d'aucunes mesures sanitaires ; officiellement la tribu ignore leur existence.

Les épizooties sont le fléau du nomade, puisque le bétail est son unique richesse ; par conséquent le vétérinaire est très considéré. Chacun connait bien l'art vétérinaire comme il connait la médecine pour son propre compte ; mais dans les cas graves on a recours au ˉtebio, médecin, pour saigner ou pour faire des opérations. C'est là euvre de gens particulièrement distingués, doués de la connaissance des maladies et des remèdes ; mais ils sont si fiers de leur supériorité qu'on les offenserait en leur offrant de l'argent. Les vétérinaires nomades sont honorés de toutes les manières, mais exercent gratuitement leur art est une sorte de noblesse qui répond à l'indépendance du barreau chez nous. La science vétérinaire fait surtou usage de révulsifs et de goudron. Le goudron se vend couramment sur les marchés : on l'administre aux animaux sous toutes les formes jusqu'à leur en poser des virgules sur le ne pour chasser les mouches.

bLe nomade a le mépris de l'harmonie des lignes, du parallélisme ; il se préoccupe d'abord de sa santé dans la disposition des tentes. La[425]tente du chef de famille se plante au centre et les autres se groupent à l'entour, en s'orientant suivant la saison et le vent.

§ 5. Rang de la famille.

La considération dans la tribu nomade est attachée au nombre des enfants, à la connaissance pratique de l'art pastoral. à la fortune ; la bravoure va de soi puisqu'elle est le patrimoine commun de tous les Sahariens. Ali ben Mohammed a trois fil ; son épouse la plus jeune peut lui en donner encore d'autres, ses deux filles lui amèneront deux gendres : il est donc dans les conditions d'une famille ordinaire bien partagée. Il a sur le climat de la région saharienne, sur les distances des oasis. des ksours, des puits., des marchés, sur la nature des herbages et la qualité des animaux des notions sures, basées sur une expérience personnelle de vingt-cinq années. Sans être puissamment riche, il l'est néanmoins asse pour être un personnage chez les Larbas ; mais il a surtout la plus grande des richesses aux yeux des nomades, c'est le souvenir d'un passé belliqueux, la mémoire des anciennes luttes entre peuplades, des raias, vols à main armée entre pasteurs, que la domination française est venue reléguer dans le domaine des légendes. Il est le chikh de la nezla composée de ses tentes et de celles de ses frères.

Moyens d'existence de la famille

§ 6. Propriétés.

(Mobilier et vêtements non compris.)

La vie en commun, forcément collective quant à la propriété immbilière sous toutes les formes, la nature unique du genre de propriétés. l'absence de valeurs monnayées, le paiement en nature, les usages qui n'acceptent ni le pret ni la vente de quoi que ce soit entre gens de la même tribu, réduisent les questions de ce chapitre. llerbes et bêtes[426]sont la chose de chacun et un peu la chose de tous ; il y a déplacement momentané dans l'usage, mais non changement de propriété, laquelle est réduite, pour bien dire, aux effets mobiliers, aux objets personnels. Les silos et les maisons des ksours elles-mêmes sont la plupart du temps loués et gardés à frais communs.

Cependant, en ce qui concerne la famille qui sert ici d'observation, on peut dire que son patrimoine immobilier se compose des terres parcourues par sa tribu dans l'ouest saharien et algérien : d'une maison dans le lsar d'Ain Mahdi ; et qu'elle a aussi des esclaves et des animaux en propre. Tout ce qu'elle peut posséder ne vaut eependant que par la jouissance qu'elle en tire collectivement, mais enfin sa jouisSance est précise, chifrée quant à sa maison de lsar, ses esclaves, ses animaux et son mobilier de tente ( 20).

Immeubles : habitation portative, telle que le veut la vie nomade, comprenant une tente principale et une petite tente accessoire............ 2,925f00

1° Habitation. — Ali ben Mohammed possède une tente en bon état, faite d'une dizaine de bandes de poil de chameau et de laine, tissées et goudronnées, teintes en noir. La bande d'étoffe vaut environ sept douros (35f00). Les bandes d'etoffe ou feldia ont 20 métres de ongueur sur 0 70 de large. Étant donnée la hauteur des montants qui les supportent, les feldja quand ils sont tous tendus et attacés aux piquets couvrent une surlace circulaire d'environ 70 métres de pourtour. Les montaunts sont élevés de 3 mètres a peu près ; valeur de la tente avec divers accessoires, 37f60; — 1 petite 1ente supplémentaire pour les événements imprévus, fétes, maladies contagieuses, accouchements, qui n'est pas déployée d'ordinaire, 50f00. — Total, 425f00.

2° Magasin. — Une habitation, ou mieux un magasin, dans lequel couche une famille de Ksouriens, pour en garder les provisions ; elle est située au nord du ksar d'Ain Madhi et entourée d'un jardin oi croissent quelques palmiers. Les urS Sont en terre jaune séchée au soleil et elle 'a point d'étage. Elle est divisée en deux : dans le vestibule se tiennent les gardiens, et dans la pièce du tond sont entassés des sacs de grains, des lai nes, des couffins de dattes. Maison, jardin, arbres et réserves peuvent étre estimés comnme il suit : maison 300f00 ; — jardin, 75f00; — 5 palmiers dattiers 125f00; — réserves de grains, pcaux, laines, dattes, 2.000f00. — Total, 2.500f00.

ARGENT : Sans usage courant et conservé comme chose précieuse et rare............ 125f 00

La famille ne garde pas d'argent monnayé auprés d'elle autrement que pour la paradec, pour les éventualités qui pourraient se produire et ou il faudrait absolument des douros, pour arriver a conclure un marché. Le chef cn possède une dizaine, soit, 50f00; chacun des ils quatre, soit, 60f00; les femmes en ont trois à elles quatre, soit, 15f00. Ces douros sont enlermés dans les coffrets. — Total, 125f00.

ANIMAUX DOMESTIQUES : entretenus toute l'année............ 28,000f 00

1° Chevaux. — 10 étalons, juments ou poulains des supcrbes races du sud algérien. races particuliéres aux nommades et dont la plus connue est celle des Oulad-Naijls ; d'une valeur moyenne de 200f00 (entre Arabes et non pour la vente au Européens). — Total, 2.000f00.

[427] 2° Chamaux. — 40 chameaux, étalons, chamelles, chamelons ou chameaux hongres dont quelques méharis (chameaux coureurs d'une grande valeur). Les chameaux odinaires valent 200f00. — Total, 8.000f00.

3° Moutons. — 800 moutons, brebis, béliers ou agneaux, d'une valeur moyenne de 15 a 29f00; béliers, brebis, agneauv de race saharienne aux splendides toisons. — Total, 15.000f00.

4° Chèvres. — 100 chèvre, boucs ou chevreau, d'une valeur moyenne de 30f00. — Total, 3.000f00.

Des sloughui (lévriers de chasse), des faucouns, des chiens de garde pour la tente ; mais aucun de ces animaux ne s'estime en valeur vénale malgré le grand prix que l'on y attache ; on ne les vend jamais chez les nomades ; ce qui serait en quelque sorte les déshonorer. Le sloughui et le cheval sont aussi bien traités sous la tente que les femmes et les enfants ; on les donne aux parents, aux amis. — Total, 0f00.

Matériel spécial des travaux et industries : les Larbas ensemencent fort peu, et le matériel nécessaire, laissé dans les ksours, est propriété banale............ 721f 00

20 rerara, sacs doubles en laine, qui composent la charge du chameau et servent de malles pour la famille ; elle y empile toutes les choses de valeur, et le chef de fanille place les plus gres sacs sous lui pour passer la nuit et être assuré que l'on n'y touche pas ; ils valent 3f00 chacun, 60f00; — 1 maillet en bois, 1 pioche, 1 hache, des cordes en poil de chameau et en poil de chèvre, des piquets en bois de chêne et de genévrier, des montants e des traverses en bois blanc ou eu sapin pour appuyer les feldja ou morceaux de tente. Tous ces objets servent a l'installation de la maison de poil, et constituent la partie essentielle dcs accessoires de la tente, dont la valeur est comprise dans 'évaluaion totale qui en a été faite ci-dessus (pour mémoire); — 10 guerbas, peaux de boue goudronnées, pour contenir l'eau des puits et le goudron des médicaments. .es guerbas destiuées à l'eau et trempées dans le goudron pour les rendre imperméables, sont les plus épaisses, 30f00; — 4 outres en peau de mouton, tannées avec du sirop de dattes bouillies pour les parfumer ; on y met le beurre de provision, 10f00; — 10 outres tannées de diverses façons, passees à l'écorce de sapin pour leur enlever tout mauvais goùt, et destinées a plusieurs sortes de liquides : petit-lait, miel fondu, graisse, viu de pastéques, huile, 30f00; — 4 5acs doubles en laine destiués à porter les charges de dattes, 20f00; — 30 sacs en forme de vastes paniers, ressés en alfa, pour contenir toute espéce de matériel, 15f00; — 2 moueds, petits sacs de peau de chevreau, destinés à porter la farine d'orge et les dattes dams les longs voyages isolés, 5f00; — 15 nattes en alfa, 10 paquets de cordes en alfa ou en diss, 5f00 ; — 50 métres de cotonnade et 5 paquets de fi de laine et poil de chèvre renforcés avec l'éecorce du grenadier, et préts à étre travaillés, 40f00 ; — 3 moulins de tente, en grés, et 1 petit moulin portatif, raha. pour le voyage : les moulins de tente, dont l'usage est continuel car les femmes sont presque en tout temps à moudre une chose ou l'autre, se fabriquent avec une pierre de grés spéciale ; dans une sorte d'auge ronde s'emboite une tablette que l'on porte et que l'on agite avce un man che de bois : l'auge reçoit le grain ou la matiére à broyer, et on l'écrase en tournant ou plutôt en pilant, avec la tablette du dessus : c'est aussi primitif que pénible, incomnode et mauvais dans les résultats ; mais le nomade n'est pas difticile et avale farine et son a la fois. 1 y a des moulins de terre blanche, de terre ou pierre rouge, de pierre grise : la pierre grise est préférée aux autres : le prix des moulins varie entre 10f00 et 20f00; cela dépend des dimensions et du grain de la pierre dont il est fait : le raha sert à préparer la rouim, farine d'orge du voyageur isolé; i le renferme avec son orge, ses dattes, ses épices et son sel dans le sac de voyage, oued, G0f00; — 5 selles arabes pour cheval, 100f00; — 2 selles pour dromadaire, 20f00; 5 brides arabes, dont une de luxe, 35f00; — 4 paires d'éperons, chabirs, 12f00; — 3 couteaux pour tondre les moutons, 5f00; — 4 fusils arabes, 240f00 ; — 5 couteau de ceinture avec leurs gaines, 5f00; — 6 traues ou bâtons durcis au feu, à pomme ornée de clous, pour la garde des troupeaux et la défense personnelle, 6f00; — 2 portefeuilles de cavalier, djebira, 20f 00; — 1 métier vertical à tisser, 3f00. — Total, 721f 00.

Valeur totale des propriétés...... 31.771f00

[428] Les esclaves. — La dénomination d'esclaves pour les serviteurs achetés par les nomades et tous les Arabes en général est impropre, en ce sens qu'ils sont bien plus domestiques dans la signification familiale du mot que les domestiques de la civilisation européenne. D'autre part, ils ne sont pas une valeur parmi les propriétés de la famille, puisqu'on ne les revendra jamais. Mustapha a coûté 50 douros, le douro est de 5 francs dans le nord de l'Afrique, soit 250f00; Embarla, achetée tout enfant, en a coûté 20 seulement, quoiqu'en général les négresses se vendent plus cher, soit 100f00. Son fils Kaddour est né à la maison et n'a rien coûté par conséquent.

§ 7. Subventions.

La propriété a un cauracère tellement impersonnel chez les nomades, que si un troupeau meurt de la peste, si unme tente est incendiée. les sinistrés vont simplement chercher de tente en tente les animaux et les objets nécessaires pour remplacer ceux qu'ils ont perdus. Cette recherche n'a nullement les allures d'une quête de charité ; c'est une avance sur un fonds commun. La roue de la fortune tourne. disentles nomades, et les riches d'aujourd'hui seront les pauvres de demain : les prêteurs de la veille seront les quêteurs du jour suivant. » Certaines familles possèdent des volumes de créances écrites, dont l'éeriture. faite avec de la gomme et de la laine brûlée, est aussi fraîche que si elles étaient écrites de la veille, et jamais elles ne songent à les réclamer. Beaucoup de riches généreux brûlent même à leur décès tous ces livres de créances, faisant ainsi des donations déguisées. Le prèt à intérêt est non seulement inconnu du nomaude, mais il est même incompréhensible pour lui. Une ancienne coutume, la maouna, veut que, même de tribu à tribu, toutes les avances nécessaires soient faites en cas de malheur. n ne les réclame jamis, laissant aux circonstances le soin d'amener la libération. La maouna est à la fois subvention et société d'assurance mutuelle. Cette communauté dans la propriété, cet échange continuel des choses nécessaires à la vie rend possible la somptuoité traditionnelle du nomade dans la réception des hôtes. Ce ne sont pas les gens de telle tente, de tel douar, e'est la tribu entière qui vous reçoit. Ce qui manquerait à vos hôtes particuliers, les voisins le leur prêteront, et ainsi un pauvre chef de famille pourra, grâce à la[429]généreuse subvention de sa tribu. vous recevoir en grand seigneur dans sa maison de poil ; ce qui sera la plus complète satisfaction de l'orgueil pour lui. T'out ce qui est sous la main du serviteur, disent les nomades, est à son maître ; mais le serviteur retrouve toujours sa part dans la main du maître. » C'est naturellement que l'on s'entr'aide entre tentes voisines, et leplus infime, le plus misérable, le plus inutile des membres de la tribu a le droit de réclamer, de prendre une part, « la part de ce qui appartient à Dieu. mtada ˉlebbi. On ne tue jamais un animal sans que toutes les tentes voisines soient appelées à en venir prendre leur part ; elles rendront les morceaux pris quand elles tueront à leur tour.

§ 8. Travaux et industries.

Travaux des hommes. — Ali ben Mohammed et ses fils, selon l'usage des hommes dans une tribu nomade, ont la charge de la vie extérieure : garde des troupeaux, recherche et creusement des puits, corvées communes à tous les cavaliers de la nedjaà, raias et batailles, poursuite des voleurs, défense des intérêts pécuniaires de la famille, dépôt des marchandises dans les ksours. Le chef de famille soigne les animaux malades, s'occupe des laines, des grains, en théorie, mais pratiquement il y met le moins souvent possible la main, considérant la chose comme indigne de son attention. Sa vie de garde et de courses est rude au contraire ; c'est un peu toujours comme la guerre. Il ne dort pas la nuit. fait boire les animaux dans les puits ou dans les r'dirs (§ 17) ; il entoure ses tentes d'une haie protectrice, la irba ; il lutte contre les éléments qui dispersent souvent bêtes, tentes et gens. Quotidiennement, du berceau à la tombe, la vie du nomade est une lutte pour l'existence. Enfant. il est déjà mêlé aux soins que l'on donne aux animaux sous la tente ; il apprend à monter à cheval avec son père. Plus grand, riche ou pauvre, il s'initie pendant plusieurs années à la conduite si diffieile, si périlleuse, de masses profondes de bétail, à soigner les différentes espèces d'animaux. à les guérir, à les vendre, à en tirer le meilleur parti possible. C'est ce que fout actuellement les deux plus jeunes fils d'Ali ben Mohammed.

Le nomade s'habitue en même temps à vivre de rien, à ne boire qu'à rares intervalles, à faire à pied, à cheval, à chameau des courses de[430]plusieurs semaines. L'art pastoral est plus compliqué qu'il ne semble au premier abord et comprend une longue série de connaissances . équitation, médecine vétérinaire, botanique, astronomie, météorologie, hydrographie, oologie, commerce spécial des laines, des peaux. Toutes ces connaissances sont transmises durant les veillées du soir à Saddol et à 'aieb, par le chef de famille et par les vieillards des tentes contiguës ; à leur tour ils les transmettront à leurs enfants. A vingt ans le nomade est un homme accompli, possédant à fond la science de la vie qu'il est destiné à mener, jouissant de toutes les forces physiques indispensables dans le milieu exceptionnel o il doit lutter. Saddol et Taieb rcmplissent actuellement dans la famille les fonctions de bergers.

Dans les déplacements, la marche, le chef et sa famille entière, dans chacun de ses membres, ont à coopérer au déplacement général. à la sécurité de la tribu entière ; prendre place, garder leur rang. choisir les lieux propices aux campements. Le chef et ses fils galopent sur les côtés de la colonne, relaient les veilleurs à tour de rôle. sont de corvée pour les puits aux jours qui leur sont indiqués, creusent le sable pour l'eau, ou construisent de vastes zirbas quand c'est nécessaire. En cas de pillage. d'incendie, de lutte pour une source avec les tribus voisines, cn cas de sinistre dans un torrent ou par une tempète du simounn, il leur faut concourir à la défense commune.

Travaux des femmes. — La femme nomade a sous la tente et autour de la tente la besogne la plus dure, la plus incessante, la plus étendue. Aicha et ses compagnes s'occupent du chauilage au bois ou au moyen d'excréments desséchés, ce qui n'est pas une mince affaire. Elles moulent les grains, vont chercher de l'eau sur leur dos et souvent fort loin, traient les femelles, soignent les petits animaux, tissent les habits, font le beurre, construisent et démolissent la tente à chaque campement, creusent les fossés et apportent les quartiers de roche destinés à la vconsolider, servent au besoin de bêtes de somme pour les ense mencements, font la moisson, sellent les chevaux, prennent les fardeaux sur leurs épaules et s'occupent des enfants et de la cuisine. Cordes à tresser, couleurs à broyer, terre de poterie à pétrir. les femmes d'Ali ben Mohammed et de son fils Ahmed gardent peu de temps pour les soins de leur propre personne. Si nombreux, si absorbants sont les détails qui leur incombent dans la vie quotidienne. qu'elles ne pourraient certainement pas y suffire si elles n'étaient plusieurs

[431] Comme besogne quotidienne et particulière à la famille, qui s'en parage entre maîtres et serviteurs la peine et le souci, il y a la traite des animaux écartés, la recherche des femelles qui ont mis bas, la préparation de la nourriture spéciale des jeunes agneaux, poulains, chevreaux, chamelons, sloughui, le dressage des animaux plus forts pour la selle et pour le bàt, la chasse des lièvres et des gazelles au fur et à mesure qu'ils se montrent, et que l'on tue souvent au bàton pendant la marche pour leur couper le cou imédiatement. On recueille, pour leurs ourrures ou pour leurs plumes, les chacals. les renards, les outardes, les autruches, que l'on peut abattre étant en marche. On fauche des tas d'alfa pour les mettre sous le nez des animaux que l'on a été foreé d'entraver : on coupe le bois des rares buissons et l'on recherche les crottins secs pour en faire des provisions destinées aux jours où le bois manquerait. La bouse de vache et le fumier de cheval ne servent de combustible aux nomades qu'exceptionnellement ; ils leur préfèrent de beaucoup le crottin de chèvre. de mouton et surtout de chameau. ans le sud, et par les temps de disette. exceptionnellement, les nomades creusent la terre pour disputer aux insectes, et en particulier à une certaine espèce de fourmis ou plutôt de termites, les quantités considérables de grain qu'ils entassent sous terre. Une fois que la masse des troupeaux de la tribu en déplacement est arrêtée sur des pâturages choisis, chaque famille reprend la garde particulière de sa fraction du troupeau général, ce qui ne l'empêche pas de contribuer encore ù la garde de l'ensemble par la présence d'un ou de plusieurs de ses membres sur les lignes extérieures, aux postes avancés de la tribu.

Industries domestiques. — Quand la famille rencontre des arbres d'une essence propre à faire du goudron, on les abat et on les recueille précieusement, parceque le goudron est d'un usage continuel dans la vie saharienne. Le bois que le nomade appelle arar est celui qui est choisi de préférence ; cependant, on répulte comme supérieur un autre bois appelé aga. n somme, on extrait le goudron d'essences résineuses de la contrée, genévrier, sapin et cèdre. Il faut d'abord construire un four d'argile ; les nomades connauissent les endroits de leur parcours où ils trouvent l'argile nécessaire. Le fourneau est une sorte de chaudière de terre ; il a environ 0 70 de hauteur, 040 dle largeur à la base et 0)70 au sommet. Arrivé dans un lieu favorable. on le construit à la hâte. on y empile les morceaux de bois résineux. on allume et bientôt le goudron s'écoule dans un trou creusé en dessous du fourneau. On le puise ensuite avec des vases et on le[432]verse dans des outres spéciales, qui en peuvent contenir une quinaine de litres et que l'on coud pour les transporter sur les marchés. Pour l'employer, on étend le goudron avec du ˉleben (lait aigri). Une outre de goudron, faite d'une peau de bouc, et d'une capacité de 25 litres, a une valeur vénale de 5f 60.

Pendant la marche, la cueillette se compose de truffes blanchâtres, theurfas, de cresson, d'orties. de salade de bouc, d'artichauts, de navets . de carottes sauvages, de crabes terrestres, de sauterelles, parfois de miel. Au printemps, ous ces produits spontanés du sol se découvrent de loin sur la plate immensité de la steppe, les theurfas soulèvent même de petites éminences de sable, et cette rare nourriture végétale arrive avec les laitages au moment opportun. La paille des moissons est, par suite de la rapidité des migrations, abandonnée d'ordinaire sur place pour le bétail des souriens.

Lorsque les femmes d'Ali ben Mohammed ont besoin de beurre, elles versent le lait de vache, de brebis ou de chevre, dans une de leurs outres, jusqu'à moitié de sa hauteur : elles l'agitent ensuite pendant une heure. Aprés, elles font iédir le lait de beurre et en retirent les rumeaux du fromage. Si elles ne désirent faire que du fromage avec la totalité du lait, elles y jettent du duvet d'artichaut sauvage ou de la caillette de chevreau ou de l'alun, environ le contenu d'un plat. Ce n'est u'à la dernière extrémité que les nourrissons sans mère sont élevés avec une petite outre biberonnée ; pour les animaux comme pour les enfants les nomades préfèrent les donner à d'autres mères.

Les femmes sous la tente exercent certaines industries. Celles d'Ali ben Mohammed fbriquent des ustensiles domestiques et aussi des tissus, dont quelques-uns, comme les tapis, ont une grande valeur dans le Djebel Amour. L'alfa sert à confectionner les plats, les tasses à boire, les entonnoirs, les passoires, qui sont par conséquent incassables et peuvent être remués sans danger dans les bouleversements quotidiens du mobilier. Elles fabriquent encore avec l'alfa des nattes que l'on met sur terre avant d'y placer les tapis pour se coucher. Elles ont cuire de la pierre dans de gros tas de bouse de vache, combustible moins ardent que la fiente de chameau mais plus abondant; quand cette pierre est calcinée, elles la broyent, la pétrissent. Cette terre, mora, blanche d'abord, devient rouge et sert à la fabrica tion des ustensiles de terre, des vases. Ces poteries primitives sont rccouvertes d'un vernis fait avec de la résine de pin et de l'huile d'olive, ce qui les rend imperméables.

[433] Pour la fabrication des étoffes, la laine est lavée au carbonate de potasse (pierre à savon très abondante) ; le fil obtenu, laine, poil de chameau ou de chêvre, est toujours teint avant le tissage. La teinture rouge s'obtient au moyen de la garance, qui croît spontanément dans les montagnes du sud. Pour le bleu, on se sert d'indigo et de pastel achetés dans le commerce. Le jaune provient de l'as/far, qui est la gaude. de production spontanée. Le mélange de l'indigo et de la gaude donne levert ; quant au noir, on le prépare avec de l'indigo, de la noix de galle, du vitriol vert et de la gaude ; le violet, avec de l'indigo et de la crème de tartre. Les femmes tissent leurs burnous et leurs couvertures, leurs tapis et leurs bandes d'étoffe pour tentes ou feldia, avec un petit métier de bois. vertical, facilement transportable ; plus souvent encore elles se servent pour tout métier de leurs pieds. de leurs mains et d'une simple navette, ou même de leurs pieds et de leurs mains seulement. Quand elles se servent de métiers et de navettes en bois, c'est que ce sont elles-mêmes qui les ont faits. Messaouda a un talent spécial pour mettre en couleur et rendre imperméables les feldja, à l'aide de vitriol, d'écorce de grenadier, de goudron vert, de son de farine d'orge. de sels minéraux divers recueillis dans la steppe cela parce qu'elle est une fille des Oulad Nayls qui bariolent leurs tentes. Mais chez les Larbas, dont les tentes sont noires, elle aura moins occasion d'appliquer son savoir-faire. Elles tannent et goudronnent les peaux pour en faire des outres. Devant la tente sèchent des peaux lines teintes avec de la garance ou avec du hennah et destinées à la confection d'objets de luxe, selles, bourses, iebir, ces cuirs 1ins sont C que nous appelons du maroquin.

Le blanchissage se fait avec de la soude ordinaire ; pour dégraisser les étoffes, on fait cuire du plàtre, on le pile et on en fait une solution avec de l'eau froide ; on y plonge le tissu que l'on veut nettoyer. On mégisse les peaux avec de l'eau d'alun, des cendres de bois de enèt, du jus de dattes fraiches et de diverses racines.

La poudre a tirer est fabriquée par les hommes de la famille, dans les ksours, dans les oasis. Le salpêtre se trouve en abondance ; le bois que l'on emploie pour faire le charbon qui y entre est le bois de laurier-rose. Ils triturent dans un seul mortier, avec de l'eau, 75 de salpêtre, 12 1 2 de soufre et autant de charbon ; ils sèchent la galette au grand air.

Ali ben Mohammed fait ses transports au moyen d'ânes et de chameaux ; il ne charge jamais ses chevaux. Les bâts de diverses sortes.[434]en bois ou en tissus, sont surtout composés de tellis ou sacs doubles. Autant que faire se peut, sacs, cordages, apis, brides, vases sont en alfa natté. La matière incassable d'une grande partie des objets d'usage journalier chez les nomades se trouve donc sur la steppe elle-même.

alaires. — Les servantes, négresses achetées ou lemmes libres introduites sous la tente, voient leurs enfants élevés, comme celui d'Embarla, avec les autres enfants du chef de famille, et elles savent qu'ils arriveront à la succession au même titre que les enfants des épouses. La négresse est souvent puissante sous la tente parce qu'elle est très travailleuse. Tout est simple chez les nomades ; on n'y fait jamais de marchés écrits. Une parole, et les serviteurs travaillent pour plus fortuné qu'eux, mais non pour un supérieur, car, malgré la situation de payant et de payé, l'égalité subsiste entre les hommes. L location de services ne se produit du reste pas souvent puisque d'ordinaire on s'entr'aide à titre de réciprocité. On paie toujours le salarié en nature et d'une facon non humiliante ; souvent même on s'en remet à sa bonne foi et il se paie lui-même en choisissant ce qu'il croit lui revenir. Le berger a droit à l'usufruit d'une partie du troupeau qu'il garde; il en vend les petits ou il conserve pour sa part le fromage du lait produit. Les ouvrages en laine faits par une femme lui sont payés avec une quantité de laine égale en poids à celle qu'elle a employée pour son travail. Les nomades ouent à l'année et jamais à la journée ; cela se comprend, puisque les déplacements sont considérables et incessants et qu'une journée n'est rien pour le nomade isolé dans la steppe. Le salarié prend d'ordinaire un dixième en nature à la fin du temps de travail convenu ; en plus, il est nourri tous les jours. Dn préfère cette méthode au paiement quor tidien, qui serait trop peu de chose et impraticable en nature. Certaines tribus nomades tout entières louent leurs services pour faire pauitreles troupeaux des sédentaires. Le haès est le serf qui cultive et garde le cinquième du produit, mais il est rare dans les ksours où le gardien de magasins reçoit un dixième, à moins qu'il ne soit le mandataire d'une collectivité, ce qui fait varier la rémunération.

Mode d'existence de la famille

§ 9. Aliments et repas.

[435] Le matin, de la farine d'orge ou parfois de la farine de blé délayée et cuite en galettes, taiina. Le soir, du housbouss ou farine en grumeau cuite à l'étuvée et mêlée à des léggumes, à de la viande. à du piment. avec du lait, de la graisse, du beurre, des dattes, des légumes sauvages. suivant les circonstances; c'est le plat national arabe ; mais un plat plus particulier aux Sahariens se compose de dattes, de beurre, d'oignons et de petits morceaux de pâte cuits ensemble. l'n lièvre, une gaelle de temps à autre, de la galette cuite quotidiennement sous la cendre. du lait en abondance. des dattes, des truffes blanches ou theur/fas venues dans les terrains sahlonneux, de jeunes herbes crues ou cuites. des orties, du guiss, espece de plante à boules noires, des darmouss, autre production végétale spontanée ; et le nomade est content. Pourvu que ses animaux trouvent l'herbe et l'eau, il ne s'occupe de rien au delà: car son troupeau c'est son garde-manger qui le suit. Pendant le longs voyages on empile d'un facon compacte de la farine et des dattes dans des saes, quand on rencontre de l'eau, on fait quelques boulettes de la matière farineuse, sucrée. gluante qui se trouve dans le sae ; on boit une gorgée d'eau, et l'on va plus loin.

Les homnnes mangent seuls : les femnes . les enfants mangent après eux. L'étranger peut toujours prendre place au repas. on lui ollrira ce qu'il y a de meilleur et la tente sera en liesse tant qu'il y restera. Ladatte n'est pas, ainsi que les apparences le feraient supposer, la nourriture vulgaire, courante; c'est une valeur : on la grarde d'ordinaire pour les hôtes. Il en est de même de la viande.

li ben Moammed et ses fils savent se passer de nourriture, de boisson pendant des jours entiers quand il le faut : mais aussi quand la nourriture est abondante et l'eau fraiche, ils englouissent des quanr tités considérables d'aliments et avalent des provisions d'eau. Manger de la viande est en somne le régal supréme, et li ben Mohammed appellemefred forthas, plat teigneux, un louslouss qui n'en contient pas.

Les dattes coûtent en moyenne trente francs le sac. Deux sacs forment une charge de chameau d'environ soixante francs dans les années ordinaires. Dix-huit à vingt boisseaux composent ce que l'on[436]appelle une charge de blé ou d'orge ; si l'orge ou le blé sont destinés à un long voyage, la quantité est moindre pour que la charge ne devienne pas une fatiggue.

La quantité de lait fournie par les femelles laitiêres des animaux domestiques est très variable d'après les époques de l'année et d'après les pâturages qu'elles consomment. Au Sahara, les pâturages les plus abondants sont ceu des steppes de sable ; ils sont inférieurs dans les steppes calcaires, dans les plaines ou les côtes caillouteuses. On fait du beurre ou du fromage avec le lait de toutes les femelles, excepté avec celui de la chamelle. Le fromage est rare du reste. De tous les laits le moins abondant mais le plus nourrissant est celui de la chamelle ; il est très goûté des nomades. Lourd, il leur tient. disent-ils, à l'estomac toute la journée ; il est particulièrement diurétique. Le lait de chèvre est le plus léger. Le lait aigre se boit três bien sous le nom de ˉleben. La chamelle ne donne guère que deux litres de lait quand son petit boit, et trois ou quatre quand il ne boit pas. Chèvres, brebis, juments. vaches, varient dans le rendement, allant quelquefois jusqu'à huit litres, selon la taille. l'âge ou l'espèce. Le chameau est pour les nomades le seul animal pur. thaher. Il est noble, parce qu'il ne couvre jamais sa mère. ses sœurs ou ses filles et que la chamelle ne reçoit toute sa vie que les caresses d'un seul màle. Ses excréments ne sont pas une souillure et l'on peut faire la prière sans ablutions après les avoir touchés. Tous les animaux de prix ont leur amulette au cou et leur race est soigneusement conservée. Le mouton pèse ordinairement de 25 a 30 kilos. Il est quelquefois à trés bas prix et quelquefois fort cher. Plus il y a de nourriture, plus l'année climatérique a été heureuse, et plus le bétail est cher chez les nomades, parce qu'ils ne le vendent que dans un besoin absolu: ce n'est pas leur façon de tirer profit des animaux. Il les consomment eux-mêmes ou recueillent leurs produits naturels ; la vente des petits, des suppléments, est une exception aussi restreinte que possible.

§ 10. Habitation, mobilier et vêtements.

L'habitation du nomade est essentiellement mobile ; c'est exclusivement la tente. Il la désagrège et la réédifie chaque jour sur un sol nouveau, à des distances considérables, sous le soleil, le sable, le vent, la pluie, la neige parfois ; sa demeure le suit au dos de ses cha[437]mcaux. Quand on arrive au campement, les femmes déchargent les ballots d'étoffe goudronnée teinte qui sont roulés sur le bàt des animaux porteurs ; ce sont les longues bandes des feldja. Elles plantent ensuite les piquets, enfoncent les montants qui doivent supporter l'édifice fragile, attachent les cordes, déroulent les nattes et les tapis, placent les coussins et tendent les rideaux qui séparent la tente en plusieurs compartiments, les uns destinés aux hommes, les autres aux femmes, les autres aux hôtes. Le lendemain matin, en une demiheure, l'abri de la veille. de la nuit, est enlevé, roulé, icelé, et il ne reste comme trace du passage du nomade sur ces quelques mètres carrés où il a vécu quelques heures de sa vie de famille, qu'un monceau de cendres et des détritus.

Les gens riches ont, au lieu d'une seule tente divisée en compartiments, plusieurs tentes dressées les unes auprès des autres et dont fait toujours partie une tente d'honneur, vide d'ordinaire et qui attend les hôtes.

Autour des entes sont déposés les adtatiches, vastes palanquins en forme de cages à poules, où sont enfermées les femmes pendant e voyage, e qui ne sont pour ainsi dire que des tentes ambulantes au dos des chameaux.

Meubles. : ils sont tous essentiellement transportables et réduits au strict nécessaire pour ne pas charger inutilement les animaux............ 165f00

1° Un grand tapis du Djebel Amour, en laine teinte, déja usé, servant de lit à la famille. et occupant la moitié de la surface totale de la tente. On le place sur une premiére coueche de nattes en alfa qui couvrent partout la terre, 75f00.

2° Un rideau en étoffe légére destinéà étre tendu le soir au moyen de cordons et d'épingles, entre la partie ou couchent trois des femnes, les enfants, c'est-a-dire les deux garcons et les illettes, et la partie oi couche le chef de famille avec une de ses femmes, 5f00.

3° Trois coussins de peau de chévre et de peau de mouton, teints avec de la garance et du hennah. bourrés de n'importe quoi, alfa, laiue, chiffons, 5f00.

4° Trois tapis en laine et en poil de chèvre, pour permettre aux femmes de s'accroupir dans les palanquins, dtatiches, et qui forment à ceux-ci une sorte de fond, 15f00.

4° Deux voiles (hails) bancs et rouges pour couvrir le dôme des palauquins, 10f00.

6° Deux itatiches en bois tordu au feu, 40f00.

7° Trois petits eoffrets en bois incrusté de nacre et de corail, pour renfermer les papie s de famille, les bijoux, les amulettes, les médicaments, 15f 00.

Ustensiles : aussi simples que peu encombrants............ 30f00

Plusieurs plats en cuivre étamé et quelques marmites en terre, quoique le nomade pré fére de beaucoup les ustensiles en fer, 15f 00; — 1 plat en bois, quȩ, et 1 plat en terre cuite pour les sauces, tadin, 5f00; — un grand nombre d'ustensiles pour boire, pour faire le kousouss, des plats en alfa tressé, 5f00; — 1 petit fourneauu portatif en terre

Linge de ménage nul............ 0f00.

[438]Vêtements : costume caractéristique ; chacun porte toujours sur soi la presque totalité de ses vêtements............ 1.504f00

VÊTEMENTS D'UN HOMME (130f00 ; pour les six hommes, 602f00).

2 chemies, une en laine et une en coton, 5f00; — 1 pantalon, seroua. 7f00 ; — 1 voile, hail, en coton, 2f00; — 1 voile, hai, de lue en soie, 20f00; — 1 tunique, gdoura, en coton, 5f00; — 1 1unique, gandoura, en laine, 10f00;— 1 burnous en coton, 15f00; — 1 buros en laine, 30f00; — 5 calottes blanches ou rouges, 10f00; — 1 corde pour la tète, 3f00; — 1 corde pour la tète, plus longue et plus épaisse, 7f00 ; — savates ordinaires, sebatts, f00; — jambiéres pour cavalier, bitts, en maroquin rouge, 8f00; — 1 ceinture en cuir, 2f00; — 1 portefeuille de cuir brodé en argent, 3f 00; — ce costume d'homme se répéte pour chacun des ils du chef de famille avec de légéres variantes dans l'usure, mais sans différence dans les quantités, car le nomade, outre ce qu'il porte sur lui, ne garde quel'indispensable; soit pour le père et les 3 fils, 520f00.

Le négre Mustapha ne possède qu'un burnous ordinaire, un seroul, une tunique, un il, des savates, une corde et une ceinture ; soit, 37f00.

Kaddour, le fils d'Embara, est un peu mieux vétu; soit, 45f00.

Les valeurs attribuées a chacun de ces vé̀tements sont des valers approximatives, ar tout l'habillement est confectionné sous la tente, ne se vend jamais et n'a par conséquent point de valeur marchande à proprement parler. 1 est rare, les cotonnades exceptées, (ue l'on en achete quelque partie dans le Tel ou aux Juifs.

VÊTEMENTS D'UNE FEMME (64f 00; pour 5 femmes et 2 fillettes, 902f 00).

1 robe ample, de 15 métres, en coton, 8f00; — 1 ceinture en laine, teinte en rouge et brodée en soie, 10f00; — 1 voile de 3 mètres, mala, 2f00; — 1 turban, de 3 métres, en coton in, 2f00; — 1 natte de cheveux postiches, en laine, 20f00; — 2 anneaux de jambes, raldslrads, 60f00; — 2 crochets pour tenir la robe et les voiles sur le devant de la poitrine, 10f00; — 4 bracelets, 25f00 ; — 1 plastron avec chaiunette pour orner la poitrine, charla, 20f00 ; — babouches de velours, brodées en or, 5f00; — sebatts, 2f 00; — ce cos tume se épète avec les mêmes pièces autant de fois qu'il y a de femmes mariées dans la famille; soit en tout pour les 4 femmes mariées, 656f00.

Les fillettes s'envecloppent de quelques mètres de eotonnade et ont des bijoux en cuivre et des sebatts seulement, il en est de même de la négresse vétue d'une robe et d'un hail de cotonnade bleue quadrillée de blanc ; les bijoux, les vêtements brodés sont l'affaire des femmes mariées qui doivent plaire à l'époux et qui en ont reeu des cadeaux ; soit pour les deux fillettes et la négresse, 246f00.

VALEUR TOTALE du mohilier et des vêtements............ 1.699f00

§ 11. Récréations.

Les homes et les enfants ont des jeux nombreu, demandant oujours un grand déploiement des force musculaire, beaucoup d'adresse. Les enfants se poursuivent avec des torches enflammées ; les hommes ondent les uns sur les autres au galop de leurs chevaux, et se tirent dans les oreilles des coups de fusils chargés à balle. Les ntasias, petites guerres, de la tribu des Larbas sont fameuses dans tout le sahara. Mais le nomade n'apprécie pas seulement le jeu de la guerre ; il ne se lasse pas d'admirer, aux heures de repos, les magificences du ciel et des horizons sahariens. Les femmes, comme partout sur la terre, ont pour principale distraction les causeries

Les visites entre voisins sont fréquentes, entre parents surtout.

[439] On 'interroge à plusieurs reprises sur les choses qui peuvent intéresser la famille : on s'inquiète de sa prospérité, et on ne sort pas de là. Sous la tente, les moindres événements pastoraux, comme la naissance d'un poulain, par exemple, défrayent les conversations pendant plusieurs jours. Les femmes ne tarissent pas en questions : elles se baisent les épaules, les mains, parlent santé, s'accroupissent et parlent encore bracelets, robes. amour. Tout cela sur un ton criard avec des exclamations. des gou ou C'est surtout dans l'après-midi qu'elles se visitent. Quand un homme parait dans la portion de tente où elles se trouvent réunies. toutes luient. Quelques nomades fument du tabac parfumé à la crotte de gazelle, mais il y en a peu. Entendre raconter des merveilles est la vraie jouissance du nomade, qui crie sans cesse : id, ro Ajoute, va. Cncore encore: Les conteurs sont donc les véritables artistes du nomade, la premiére cause de ses meilleures récréations : ils sont rois sous la tente. On en rencontre de trois sortes aumilieu des tribus : les gouals, improvisateurs, qui chantent les exploits guerriers et l'amour, en s'accompagnant de la fl̂te et du tambour : les aits, crieurs, hardes guerriers, et les meddas, louangeurs, poetes religieux. Les gouals. les plus communs, sont des gens pacifiques . nourris par les riches . qui vont sur les marchés. aux noces. aux fêtes : on les appelle aussi amis du métier, de la gaie science ; ils portent leurs instruments dans le capuchon de leurs burnous. Les aiats hurlent dans les combats ; font appel à la gloire. au courage, a l'amour, pour que l es guerriers reviennent morts ou vainqueurs. Les meddahs font des cantiques sur les vertus des saints et sur les commbats pour la foi : fanatiques, ils excitent les croyances. amènent l'extase chez les sectateurs du 'rophète ; ils savent aussi trépaner et couper habilement les nembres malades. Tous ces ménestrels, troubadours. poètes ambulants ou bohémiens du sahara racontent magniliquement leurs histoires ou leurs fables : ils ont des gestes admirables, savent mêler le comique au tragique. s'arrêter aux bons endroits. Dans les tribus on chante des souvenirs de batailles. epopées mises en vers, et pendant les migrations, si un cavalier entonne un chant, toute la tribu répète le relrain. Les qoaid sont de petits poèmes et les rniat sont des chansons. uant aux poètes, on dit u'ils ont l'oreille de Dieu, et on les gorge de biens.

Se visiter, contempler la nature, écouter les récits des vieillards, chanter avec les poètes, telles sont les récréations du nomade, récréations graves comme il l'est lui-même.

Histoire de la famille

§ 12. Phases principales de l'existence.

[440] Comme conséquence forcée de la vie monotone de la tente dans une région devenue paisible depuis cinquante ans, il n'y a aucun événement saillant dans l'existence des membres de la famille considérée isolément ; et d'autre part, comme suite nécessaire d'une vie de communauté continuelle, son histoire n'est autre que celle de toutes les autres tentes de la tribu des Larbas. Le chef de famille, Ali ben Mohammed, est trop jeune pour avoir été témoin ou avoir subi les conséquences des luttes homériques auxquelles les nomades se livraient entre eux jadis ; ce qu'il en sait, il l'a appris des vieillards. Il ne connait aussi que par des récits et des poemes l'événement immense qui a marqué danms la vie de toutes les peuplades du nord de l'Afrique, la proanation d'une terre musulmane par l'invasion des chrétiens vainqueurs, la disparition des puissants deys d'Alger, le changement radical que la présence des Francs a apporté dans le commerce et la marche des caravanes sahariennes. Il se souvient cependant des uites précipi tées des siens dans l'extrême sud, des interruptions de l'ordre habituel des migrations, lors de la marche en avant des troupes françaises après la prise de Laghouat, après la révolte de Si Lala.

Messaouada, femme du fils aîné Ahmed, est fille de la tribu des ulad Nayls, dont les meurs, le parcours, le gecnre de troupeaux, les ksours ne sont plus les mêmes que ceux des Larbas. 'a été toute une affaire pour elle de passer des tentes rouges et jaunes de sa famille sous les tentes noires d'Ali ben Mohammed.

Mustapha et lmbarla se rappellent leur vie d'enfants dans les villages nègres du jourara. le climat brùlant du centre africain, le despotisme sanglant des chefs de tribu, la marche avec les caravanes qui venaient les vendre à lnsalah et au Mzab, leur étonnement de se voir traités comme ils le sont sous la tente des maîtres, leur joie d'être mieux nourris et de respirer une atmosphère plus douce. La famille va du sud au nord et du nord au sud depuis des années, quelques vols, une épidémie, la mort d'un serviteur étouffé par le sable et brûlé par la soif en recherchant un chameau perdu ont été les seuls accidents qui aient troublé le came de sa vie errante.

§ 13. Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.

[441] La famille vit comme toutes celles de la tribu ; son lendemain est réglé par les éléments, mais par des éléments invariables dans leurs manifestations et dominés par une expérience séculaire ; sa perte ou son salut sont indépendants de la capacité ou du caractêre de son chef, qui doit suivre ses frères, qu'il le veuille ou ne le veuille pas. Elle n'a point de dépenses somptuaires, point de tentations vicieuses ; son costume et sa nourriture sont adaptés aux besoins du milieu; point de procès, point de dettes, point de chômages, point de pauvreté. Dans la maladie, dans le malheur, dans les calamités on ramasse des collectes, on a recours à la maouna (§ 3). La loi civile, e'est la coutume ; et la loi pénale, c'est la dia ou dette du sang, et les représailles impitoyables contre les voleurs. Le vol est le mal qui menace le plus le nomade et pour lequel il se montre le plus dur ; au Sahara le châtiment n'est autre que la mort. Mais il y a des ligues contre le vol, des sortes d'associations de gendarmes volontaires qui poursuivent les voleurs et ramènent le bétail disparu ; cependant, parfois les voleurs s'en tirent en partageant avec les gendarmes. ln cas de dette échue et non payée, on procêde à une simple saisie, immédiatement suivie d'une vente dont le prix est remis aux mains du créancier. Si un membre de la tribu encourt une condamnation, c'est le chef qui l'applique lui-même ; il prend pour rêgle de ses exécutions la loi du talion ou l'amende proportionnelle.

La famille a le respect des supériorités sociales quelles qu'elles soient, riches, nobles, savants, saints ; elle admire ce qui est au-dessus d'elle, mais elle ne connait pas l'envie. Ali ben Mohammed aborde sans morgue, mais sans crainte, les chefs les plus puissants ; ils peuvent mourir tous les jours ensemble et les besoins de la vie pastorale les font égaux. « L'autorité vient de Dieu, dit-il ; elle est entre les mains de ceux qu'il lui plu de choisir, et il n'y a jamais de honte à se soumettre à eux. Comme grantie de défense, de protection, la famille a, non seulement la solidarité qui la rattache à sa tribu, mais la solidarité qui rattache son chef Ali ben Mohammed, lhouan de l'ouerd de Tedjini, à tous les khouans du même ordre religieux, et de plus la solidarité qui le rattache au so, ou franc-maçonnerie civile des Larbas les plus influents.

Éléments divers de la constitution sociale

FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION SOCIALE; PARTICULARITÉS REMARQUABLES ; APPRÉCIATIONS GÉNÉRALES; CONCLUSIONS.

§ 17 COUP D'OEIL SUR L'ÉTAT PHYSIQUE DE L'AFRIQUE SEPTENTRIOALE DANS LA RÉGION ALGÉRIENNE.

[452] Le Sahel, le Tell, les Hauts-Plaeaux coupés par les Cotts, la région des sours, le petit Sahara, la region des Dunes et des Daias, enfin le Sahar proprement dit forment, du nord au sud, des zones successives. que distinguent des caractêres propres. 'errains convulsés, température variable, rivières et forêts fréquentes, eaux potables, animaux nombreux et divers dans le Sahel et dans le ell ; sur les ˉaus-ˉPlateaur, herbes abondantes, bois rabougris et plus rares, torrents désséchés. eau potables éloignées ; enfin, au ˉahara, dominent le sable et les terrains incultes, desséchés, calcaires ; la flore et la faune se restreignent ; les eaux sont salées, les sources douces extrêmement rares ; les arbres etl'herbe deviennent l'exception pour faire place à une végétation courte, dure, parsemée, apparaissant et disparaissant brusquement. Dans le Sahel, dans le Tell, la race arabe a tous les caractères des races européennes limitrophes : son sang est le même que le sang espagnol; ses chairs ont le relâchement des tissus légèrement lymphatiques d'Europe le teint quelque peu bronzé est plutôt clair. Les costumes et les habitations se rapprochent, pour l'épaisseur et pour la forme, des costumes et des habitations des pays froids et humides. Ces différences sont sensibles même seulement à quelques kilomètres de distance. Aux environs de Médéah, par exemple, dans les gorges de la Chiffa, là où les variations atmosphériques sont redoutables, toutes les habitations arabes sont solidement construites. soigneusement couvertes, ainsi qu'elles le peuvent être dans les [453] montagnes de la babylie. Le visage est découvert, la tête presque nue, le corps enveloppé d'une simple chemise de laine et du burnous, les pieds sont sans chaussures. A mesure que l'on descend au contraire le versant sud de l'Atlas, la tête est protégée davantage, le visage est presque entièrement voilé, les vêtements de laine sont plus nombreux et plus amples, les pieds sont enveloppés de peaux de gazelle ; toutes précautions dirigées contre le soleil et contre le sable, basées sur l'expérience, et éminemment hygiéniques, si singulières qu'elles paraissent au premier abord. Le son de la voix se modifie également et résonne de plus en plus rauque.

lerbacée, aqueuse, abondante au nord, la végétation devient ligneuse, calcaire, rare dans le sud. Plus plantureuse dans le Tell, elle est bien plus nourrissante dans le Sahara. Figuiers, orangers, citronniers, abricotiers pins, cèdres, plantes comestibles variées abondent dans le Tell; au Sahara, plus de bois de haute futaie ; des buissons, quelques baies, quelques fougères, quelques cryptogames, mais aussi le dattier, avec des fruits qui sont à eux seuls un aliment complet. Le peu de céréales qui y croit est exceptionnellement riche en substances nutritives condensées sous la forme la plus restreinte. Sous l'influence des pluies d'automne, le Sahara, dans la partie où il est encore accessible aux troupeaux des nomades, se couvre d'une herbe de la famille des graminées et dont le raygrass ou la folle avoine d'Europe pourraient donner une idée approximative ; c'est le drinn. Le drinn, très calcaire, très substantiel, peut nourrir les hommes au besoin et en tous cas permet aux troupeaux de se soutenir contre les froids relatifs de l'hiver, d'être nourris sur des espaces restreints. Il entretient les animaux dans l'état de santé qui convient à la saison en même temps qu'il donne à tous les petits, en gestation à cette époque, le calcaire nécessaire à la composition des os. Dans les Hauts-Plateaux, ou les troupeaux se trouvent au printemps, le drinn a cessé, mais l'alfa apparait. Les femelles demandent alors du vert, afin de donner en abondance du lait aux petits ; les plaines d'alfa, sorte de jonc verdâtre, s'étendent sur des espaces illimités où l'animal peut brouter à discrétion et errer selon sa fantaisie. Mais avec les ardeurs de l'été l'alfa jaunira, deviendra coriace ; les troupeaux passeront immédiatement dans le T'ell, o ils pâtureront des herbages plus aqueux, moins brûlés, arrosés de temps à autre par quelques pluies. Ce seront les herbages de diss, autre graminée comme le drinn et l'alfa; les pâtures des Telliens devenues mauvaises pour[454]l'animal duTell, mais encore suffisantes pour les troupeaux nomades : les résidus des récoltes, c'est-à-dire les pailles dont on a enlevé les épis. Partout, dans le Sahara comme dans le Tell, comme dans les Hauts-Plateaux, le bétail des nomades rencontre le chih (armoise vulggaire), herbe aromatique qui est comme le complément indispensable de chacun des autres végétaux de la région. Drinn, alfa, diss, chihh se développent spontanément sous l'influence des pluies de novembre ; mais les herbes disparaissent en commençant par le sud. à mesure que le soleil s'avance, et elles reviennent avec lui lorsqu'il se reporte vers le sud. De sorte que les troupeaux sont d'abord forcés de marcher en avant du côté de la mer, quand la chaleur brûle peu à peu leur nourriture, pour revenir ensuite de la mer vers le Sahara, quand le froid les chasse du nord et n'y a pas encore permis l'éelosion des herbes nouvelles. Ces mêmes Hauts-Plateaux, devenus stériles après le premier passage des nomades, redeviennent féconds au moment même où ceux-ci repartent pour le Sahara. De là des hésitations, des mouvements de recul, en octobre et en novembre, dans les migrations ; de là le retour fréquent et plus ou moins prolongé sur des terrains précédemment abandonnés. Le drinn, l'alfa, le diss ont chacun des propriétés distinetes les rapprochant plus ou moins des avoines, des pâturins, des fétuques ; de sorte que si l'on voulait constituer avec ces herbes des pàturages artificiels, chez nous on sèmerait, pour qu'il prolità̂t, le drinn comme on sème les avoines dans un sol calcaire et humide ; l'alfa comme on sème les paturins dans les terres argileuses, épaisses, voisines des forêts; le diss comme on sème les fétuques dans les sols riches, abondants en humus. La Providence s'est chargée de ce soin, réglant ainsi ellemême la marche des troupeaux et par contre-coup l'existence des pasteurs qui en vivent.

Les minéraux, les marbres abondent, sans emploi dans ce pays de pasteurs habitant sous la tente ; le sous-sol est surtout remarquable par les énormes quantités de cristaux salés qu'il renferme. Le Sahara est à proprement parler une couche de sable sur un sousol de sel. Aussi les eaux douces sont-elles rares, et le sol est stérile parce que le sel est éminemment hostile à toute végétation. Les rivières sahariennes coulent dans les profondeurs du sable, et si l'on veut de l'eau salée ou douce, cela d'après la profondeur du puits et la nature des terrains traversés, il faut creuser soi-même son puits et attendre que l'eau filtre. Les Arabes ont une légende sur la mer[455]ancienne du sahara, dont les chotts ne scraient que des restes. Des hommes idolâtres auraient voulu créer une mer dans les sables sahariens en apportant de l'eau à dos de chameau. Dieu les en punit. Le sable but l'eau qui resta empoisonnée: de sorte que maintenant encore les hommes meurent de soif auprès des chotts. Par compensation il y croit une plante d'eau spéciale, l'adierm, aimée des chameaux.

Les mares d'eau naturelle sont rares pour plusieurs raisons : le peu de fréquence des pluies, la décomposition rapide des eau par le soleil, la perméabilité et la saturation saline de la cuvette dans laquelle elles séjournent. Dans les llauts-Plateaux, dans le Sahara de la première zone, dans la région des sours, la couche d'humus est encore assez épaisse pour que les eaux trouvent un lit, et la végétation conservatrice de ces eaux un appui ; mais à mesure qu'elle diminue dans le Sahara proprement dit, ou ne se trouve plus qu'en présence du sable et du sel qui gardent mal l'eau, l'empoisonnent et stérilisent les végétations spontanées qui voudraient se développer aux alentours. 'andis que dans la région saharienne avyoisinant les lauts-Plateaux, les chotts sont l'exception et rien autre chose que les filtrations d'eaux souterraines ; dans le grand Sahara au contraire se rencontrent communément les r'dirs, cuvettes vides parce que l'eau douce ne s'v est pas maintenue, ou cuvettes à eaux non potables parce que les bords en sont salés (r'dir veut dire trompeur en arabe). Les daas, où l'eau se conserve douce par suite de circonstances particulières, les oasis où la végétation persiste, sont assez rares. Il se forme parfois cependant autour des rdirs de petites oasis de jujubiers, de pistachiers, de tamarix et de térébinthes qui ne les rendent que plus trompeurs à distance, en les faisant confondre avec de véritables oasis. Les immensités sahariennes sablonneuses ou couvertes d'alfa ne voient leur plate monotonie interrompue que par des dunes, par des gours et par des hammads. Les gours sont de petits plateaux, sortes de tables de 100 mètres de long sur 50 de large et 75 de haut. formées de terre plus dure que le milieu ambiant. Ces plateaux résistent à l'affaissement des sables voisins et dominent la steppe comme de colossales épaves. Ce sont souvent des rochers de sel. Les hammads sont des plateaux rocailleux, un sol de fer de teinte ocreuse avec anfractuosités, nommées gddas dans le Djebel Amour, et qui servent de cachettes aux indigènes.

Les changements atmosphériques ne sont pas fréquents au Sahara[456]mais ils sont d'une violence extrême. Chaleur intense, prolongée ; pluies d'une abondance qui ne peut être comparée qu'à leur rareté ; vents terribles, desséchants ; tempêtes de sable que le Saharien appelle simounn ou gueoli,; froids sees et relatifs; atmosphêre d'une incomparable pureté, bleu profond du ciel, air vivifiant et sans miasmes délétères.

Les productions végétales sont très rares et localisées. Le dattier est le roi, la vie, le pain universel, de même que l'eau est la reine; sans l'un et l'autre c'est la mort. Quelques arbustes avec des baies, un feuillage médicinal ou servant à faire du goudron, à cuire les aliments quand le fumier desséché manque voilà tout. L'aspect général c'est la steppe, et encore la steppe avec ses alfa, ses chihh, ses drinn, avec quelques bissons rabougris et parfois les têtes élevées des palmiers au bord d'une daia qu'entourent quelques jujubiers.

L'animal ne pouvant boire devient forcément, lui aussi, peu fréquent et partout il est inoffensif : des gazelles1, des lièvres, des autruches, quelques variétés de petits oiseaux solitaires, des perdrix, et les grands nettoyeurs des putréfactions au désert, les vautours chauves et les chacals peureux. Le scorpion et la vipère, seuls animaux dangereux relativement, sont les hôtes ordinaires du sable brûlant et des anfractuosités de rocher.

§ 18. MARIAGE ET DIVORCE.

L'union conjugale est une sorte de marché ; il n'y a de fiancailles que quand il s'agit d'une veuve ou d'une divorcée qui se remarie ; autrement le mari n'est pas censé connaître la femme, il ne s'occupe en rien du mariage, qui est traité par intermédiaires, et il ne verra son épouse que quand la cérémonie du mariage sera terminée. Ce sont les amies de la famille qui se chargent d'examiner secrètement la future pour savoir si phsiquement elle ne laisse rien à désirer, si moralement elle a le caractère facile, si elle est habile ouvrière. Les pères discutent entre eux le don nuptial qui sera versé par le futur épou[457]aux mains de la famille de celle qu'on lui destine. Si la femme est libre, sans parents, elle est représentée pour discuter ses intérêts par une sorte de curateur, et la dot est versée à elle-même. C'est ce qui est arrivé pour Alima, la dernière femme du chefde famille, qui possède ainsi personnellement un certain pécule. La veille de la noce toutes les mères, les sœurs, les voisines entourent l'épousée ; on lui fait une toilette aussi riche que le permettent les pauvres ressources de la tente. On lui agrandit les yeux avec le ol ou sulfure d'antimoine destiné à protéger aussi la vue contre le soleil et le sahle ; on lui teint les pieds et les mains avec le hennah, jus d'une plante qui donne un jaune brun ; on lui réunit avec de la teinture noire les deux sourcils en pointe vers l'arête du nez, et on lui dessine une fleur au milieu du front. Ce sont sous la tente des cris d'allégresse, des gou gou gou incessants. Quant au mari, ses amis lui souhaitent que la vue de cette femme qu'il ne connait pas encore, lui soit agréable, et que le moment terrible où il lui enlèvera le voile n'amène pas une cruelle déception.

Il y a deux catégories de divorces. S'il s agit d'une fille qui était vierge lors du mariage et à laquelle le divorce soit imputable ou qui le demande elle-même. son père doit rendre le don nuptial ou ellemême abandonne ce qui lui a été remis. Dans la pratique, argent ou cadeaux ont déjà disparu, et le mari n'a qu'une créance qu'il exercera, si la femme se remarie, en reprenant sur la dot que donnera le nouveau mari ; ceci est toujours stipulé. Si e'est le mari qui veut divorcer. comme d'ordinaire la dot n'est que fictive et qu'il a vingt ans pour la verser par fractions, il paie les fractions échues, et laisse à la femme ses bijoux et tout ce qu'il lui a donné de la main à la maiu. Quant à la cérémonie même du divorce, la voici. L'homme déclare à la femme que c'est fini et on va chez le cadi, ou le cadi vient lui-même, assisté de deux témoins. Il essaie d'abord de concilier les parties, puis écrit leur déclaration sans mentionner les motifs. Il assure ensuite et avant tout, par mesure préliminaire, l'éducation et l'entretien des enfants selon la fortune des parents. La femme se fait visiter ; si elle est enceinte, l'enfant restera à la charge du mari actuel et ne retombera pas à la charge du second. Si, au lieu d'être une épouse, la femme n'est qu'une concubine servante, le divorce est encore plus simple. Le chef de famille va chez le cadi et lui déclare quiil renvoie une telle. Le cadi en prend acte, inscrit le nom de la femme et fixe la somme qu'ildevra lui payer pour son entretien tant qu'elle n'aura pas un autre maître.

[458] Les enfants restent toujours à la charge de l'homme. La femme peut stipuler dans le contrat de mariage qu'elle abandonne tout ou partie du don nuptial à condition qu'elle restera seule, qu'on ne lui amènera pas de concubines. Les conventions patrimoniales comme les conventions successorales sont réglées par quatre rites : hanifite, naˉlébite, chanféi et hanbli. La femme n'est pas traitée dans tous de la même facon. Quelquefois elle hérite seule, quelquefois elle subit un curateur aux successions vacantes et partage avec la tribu.

Le mariage est l'état naturel dans la famille nomade, le célibataire y est uneanomalie. On n'y suppose pas que l'on puisse vivre sans se marier. Le célibat est encore moins admis pour la femme que pour l'homme et l'on marie même, si l'on peut, les fiiles folles, infirmes. Il y a quelquefois des célibataires qui vivent chez leurs parents, où ils ne sont pas mal vus parce que l'on suppose qu'une infirmité cachée ou une pénurie d'argent les empêche de se marier, sans quoi on ne les comprendrait pas.

§ 19. QUELQUES TRAITS DE L'AUTORITÉ PATERNELLE CHEZ LES ARABES NOMADES.

Le père reste toujours le gardien, le maître des enfants, alors même que le divorce aurait été prononcé contre lui. La femme divorcée nourrit l'enfant de son lait tant qu'il n'a pas deux ans, et par conséquent l'emporte avec elle ; mais elle le rapporte ensuite. Si la femme devient veuve, elle a la garde et le soin de ses enfants tant qu'elle ne se remarie pas à son défaut ce rôle passe à la grand'mère maternelle, puis à la grand'mère paternelle. La mère a de plus la tutelle et à son défaut elle va à la grand'mère maternelle, à l'exclusion des oncles paternels. Car l'amour du père suit les enfants même au delà de sa vie. Il craint pour eux l'ingérence des intéressés dans les questions de sa succession, et lui qui a tant méprisé la femme de son vivant, il l'investit subitement après sa mort des fonctions les plus élevées, s'en remettant avec confiance à son instinct de mère.

C'est à la majorité des fils que l'autorité du père s'exerce le plus justement ; il a à cet âge l'expérience des années. Les droits de l'aîné sont incontestés ; il est et il demeure l'incarnation du père ; la soumission de ses frères à sa suprématie est absolue. L'aîné prend moitié de ce qu'il plait au père d'attribuer à ses fils. Du reste en tout, partout e[459]toujours l'autorité du père de famille est au-dessus de quelque loi que ce soit. Si les fils se disputent, obéissent mal, il chasse définitivement les fauteurs de désordre et restreint le nombre des héritiers au profit de ceux qui restent. « Puisque vous ne voulez pas de mes conseils, dit-il, allez dehors Parfois le père fait de larges avantages, de son vivant, à un seul des enfants, lequel manifeste ses sentiments religieux et veut devenir prêtre imam, lhouan dans une zaouia, marabout. L'orgueil et la piété de la famille sont intéressés, et on ne regarde à aucune dépense au profit du privilégié ; tant pis pour les autres. Plusieurs tentes même, la nezla familiale se cotisent au besoin. On prend un lettré sous la tente. on le paie pour instruire plus particulièrement le futur marabout, ou bien on envoie celui-ci à une faculté musulmane, medersa, à une aouia, à une mosquée.

Quand les fils sont mariés, ils continuent à vivre avec le père dans une entente parfaite sous l'autorité du père, à la fois roi et juge parmi les siens. Mais si par hasard il y a désaccord, si les fils veulent se séparer, le père leur fait immédiatement un petit partage de ce qu'il lui plait de leur attribuer. La coutume ordinaire est que l'aîné reçoive moitié et les autres une part du reste. Tout cela dépend de la manière dont les fils ont agi à l'égard du père et des conditions dans les quelles ils veulent le quitter.

Souvent ils ne couchent pas sous le même abri ; le père a sa tente à part, mais habituellement père et fils prennent leurs repas en commun : à moins que le père ne soit très rigide. Les fils ne réquentent guère les jeunes épouses que le père peut prendre : en principe du moins ; ils ne restent jamais autour du foyer quand il rentre ils ne commandent à personne. même à leurs propres femmes, en sa présence. Si l'une des brus ne plait pas au père de famille, qui n'a pas de raisons à donner de sa répulsion, le fil doit la répudier immédiatement. en supposant que la sage expérience du père a découvert en elle des vices dont il ne veut pas parler. S'il ne veut pas la répudier, il doit quitter la famille avec elle. L'ainé reste seul associé aux affaires du père à l'ordinaire, comme parfois le père peut avantager ouvertement ou secrètement un autre que l'aîné, en vue d'une association d'affaires pour laquelle il a reconnu celuilà plus capable. La baraha, la bénédiction, la grâce divine attachée aux actes, la faveur spéciale du ciel appelée par la prière, don particulier de certains hommes reconnus comme saints, se transmet dans les familles, mais c'est toujours le chef qui en est investi, l'aîné[460]qui en hérite. En résumé le père de famille règne, et plus sa famille est nombreuse plus il est grand roi. Ainsi l'amour de la postérité est si marqué chez le nomade, que ce même homme, si jaloux de ses femmes, introduit dans l'intérieur de sa tente des amis sûrs, des gens qu'il a en haute estime et il les appelle à la couche des épouses quand il est établi par des divorces nombreux que le manque d'héritiers vient de son impuissance. I sollicite ces personnages d'illustrer sa tente et son nom par des rejetons de leur sang, et il ne se considère pas du tout comme déshonoré quand ils acceptent.

§ 20. DES IMPOTS QUE SUPPORTENT LES ARABES NOMADES.

Les impôts sont pour l'Arabe d'ordre divin ; il les paie maintenant aux autorités françaises tels qu'il les payait au autorités turques. Il sont au nombre de trois :

1° Le ehat est l'impôt sur le bétail, établi d'après des listes de recensement, percu en nature ou converti, s'il est possible, en argent. l est du dixième du revenu de chaque bête : 1 chameau, 4 francs ; 1 bœuf, 3 francs ; 1 mouton, 15 centimes ; 1 chêvre, 20 centimes. Le collecteur garde comme rémunération de sa peine un dixième de chaque somme qu'il reçoit.

2° L'achour est l'impôt du dixième sur le rendement de la terre, d'après un classement des récoltes en bonnes, passables ou mauvaises, ou d'après le nombre des bêtes attelées. Cet impôt frappe la tribu et est réparti entre les familles par la diemaia (§ 1).

3° La lema est un impôt sur les biens, réparti aussi par la diemdia, d'après une liste de la fortune de chaque chef de famille, dressée en commun (l'annona romaine).

§ 21. PASSÉ ET AVENIR DES NOMADES DE L'AFRIQUE DU NORD, PARTICULIÈREMENT DES LARBAS.

Refoulé peu à peu, le nomade de l'Afrique septentrionale ne peut pas retrouver dans le sud ce que la colonisation lui fait perdre dans le nord. « Nous aimerions mieux, dit-il, remonter jusqu'à la mer comme les sauterelles et nous y précipiter, que de nous enfoncer au Sahara pour y mourir de soif. » Il a été déjà obligé de changer quel[461]que chose aux époques de ses migrations ; parfois on l'arrête à son arrivée aux époques habituelles sur les limites du Tell, parce que les récoltes des nouvelles cultures européennes, plus variées, plus tardives, ne sont pas encore finies. A dire vrai, du reste, le nomade en Afrique n'existe plus guère qu'à l'état de souvenir, puisque nous ne trouvons plus que trois grandes tribus pour derniers représentants de cet état social. Et quand on songe aux immenses espaces de terrain qui lui sont nécessaires, on s'étonne même qu'il existe encore ; d'un côté la mer avec le Tell cultivé, de l'autre le Sahara avec ses solitudes et ses sécheresses forment deux remparts que jamais aucune puissance humaine ne pourra franchir.

En Afrique, le nomade ne se trouve pas sur une façon de continent propre à sa nature et ou il peut se développer indéfiniment ainsi que le font les vrais nomades du plateau central asiatique ; en Afrique, il vit dans un milieu anormal. Des envahisseurs arabes venus d'Asie dans le nord de l'Afrique, à la suite d'un mouvement religieux accidentel, se sont décidés à continuer la vie errante de leur patrie dans des parages qui leur semblaient convenir à cela. Ils sont devenus ou redevenus nomades par besoin moral plutôt que par besoin matériel. «Loin duTell (c'est-à-dire loin des villes habitées, des terres cultivées, des marchés), près de notre faim et près de notre soif, » disent les nomades du nord de l'Afrique. Rien, en effet, dans l'Afrique du nord, n'est préparé pour la permanence de peuples nomades véritables. Qu'y trouve-t-on A trois cents lieues des côtes, un désert ou les pâturages manquent une partie de l'année ; des variations d'atmosphère, de terrain, de végétation aussi brusques que radicales : des races sédentaires, permanentes ; des terres cultivées ; des ports de mer marchands. lEt, en effet, il y a quinze cents ans, l'Afrique du nord était jusqu'aux limites sahariennes une contrée féconde, habitée, avec des villes immenses ; absolument l'opposé de ce qu'ont toujours été les steppes par destination du plateau central asiatique. L'état nomade des tribus contemporaines d'Afrique est né sur des ruines, à la suite de troubles sociaux profonds, dans un désert d'aventure. Les Arabes d'arrière-garde, chez lesquels l'amour de l'indépendance et le goût pour la vie errante avaient subsisté, trouvérent des solitudes préparées par la dévastation, et y organisèrent le nieux qu'ils purent leurs pérégrinations d'après la nature des herbes et la succession des saisons. Les Berbères, sédentaires, travailleurs manuels, coutumiers indomptables, se sont retranchés dans les mon[462]tagnes les plus élevées, dans les oasis les plus éloignées ; si petit que fTtt l'espace, ils étaient toujours sûrs d'y vivre avec leur labeur acharné. L'Arabe rêveur, paresseux, pillard, cavalier, a préféré vagabonder par les solitudes, l'arme à la main, poussant ses bêtes devant lui. tGuidés par la pluie et par le soleil, les nomades furent amenés, après bien des tâtonnements, des luttes, à suivre des parcours particuliers à chaque tribu. Ceux-ci les menêrent régulièrement, d'après la succession naturelle des herbes et des plantes, aussi loin que l'on pouvait aller dans le Sahara pendant l'hiver ; pour les faire remonter ensuite dans le Tell en été, aussi loin qu'il leur était permis, à la recherche du supplément de nourriture que leurs territoires incomplets leur refusaient et qu'exigeait leur état de nomades imparfaits. Le nomade des pays d'herbes, le nomade pur vit sur lui-même et se suffit.

Les trois grandes familles de nomades en vue, les Oulad Najls, les Larbas, les Malifs ou larazlias ont toutes trois des marchés, oasis. bsours, centres indispensables pour elles et autour desquels elles circulent plus ou moins loin suivant la saison, mais qui restent le pivot de leur existence. Les Larbas, par la composition de leurs troupeaux et la petite superficie de leurs terres ensemencées, sont plus particulièrement nomades. Ils sont originaires du sud de la province de Constantine, ou du moins c'est là, dans le ab, que leurs pères, envahisseurs arabes, ont commencé leur vie errante africaine. Primitivement la famille nomade des Larbas se divisait en quatre grandes fraetions : les Mamras, les ladjadj, les Oulad Salah et les Oulad Zid. Vers l'an 1600 de notre ère, ou vers l'an 1000 de l'hégire, le développement des tribus commenca à faire sentir combien les territoires de pâturages étaient restreints, et deux des quatre fractions, les Mamras et les lladjadj, s'enfoncêrent dans l'ouest à la recherche de meilleurs campements. Pendant quinze années ils ne s'occupèrent pas des voisins nomades que le hasard leur donnait de ce côté, les Rhaman et les Oulad Macoub, lesquels vivaient ensemble. Mais à une certaine époque, des difficultés s'étant élevées à propos de pâturages entre les Oulad Macoub et les haman, ces derniers entrêrent en relations avec les Larbas, qui leur plaisaient, et voulurent les rejoindre pour se fondre avec eux. Comme il s'agissait de soixante douars composés de vingt à trente tentes chacun, les Oulad acoub furent désolés, car l'isolement est dangereux dans la politique des pâturages sahariens, le plus fort accaparant d'ordinaire pour lui seul les eaux[463]et les herbes. Ils envoyèrent donc une députation pour ramener les Rhaman ; ceux-ci refusèrent d'abord, puis, pour éviter de plus longues contestations, ils consentirent à revenir à condition que l'on ferait ensemble les semailles alors en retard. Oulad acoub et Rhaman travaillent ensemble, puis se séparent s'enfonçant chacun de leur côté pour la migration annuelle. Les Oulad acoub pensaient tenir les Rhaman par l'intérêt, mais les Rhaman aimaient les Larbas qui les avaient adoptés de la grande adoption du désert entourée de cérémonies sacrées, et à peine les Oulad Macoub avaient-ils disparu que les Rhauuan avaient rejoint les Larbas. Les Oulad acoub apprirent cette désertion et leur firent savoir que s'ils ne se groupaient pas à la saison suivante avec eux, ils garderaient de leur côté la totalité de la moisson semée en commun. Les Rhaman répondirent : « C'est votre droit, mais nous n'y perdrons pas grand'chose, car nous avons semé dans notre lot. au lieu de grain, de la poussière de paille et des débris d'épis. Nous avons usé de ruse pour endormir vos soupçons, et cela parce qu'ayant été longtemps unis nous i'osions pas vous uitter brutalement. Mais maintenant nous sommes attachés aux Larbas, ils sont désormais notre famille, ils nous ont accordé la grande adoption. » Les Rhaman renforcèrent ainsi les deux fractions Mamras et Iladjadj, ce qui permit au groupe total de refouler les Oulad acoub et autres nomades, et de devenir puissants. Pendant ce temps les deux autres fractions des Larbas, les Oulad Salah et les Oulad id erraient autour des oasis du Mzab, dont les habitants payaient aux Larbas un tribut régulier pour qu'ils respectassent leurs jardins et leurs cultures. Mais les avares Beni Mab, des Berbères, voyant les Larbas séparés en deux camps, se dirent que c'était une excellente occasion d'échapper à la contribution. Ils invitèrent les chefs à une diffa empoisonnée, puis tombèrent sur les douars qu'ils massacrèrent en partie. Lesdébris des Oulad Zid s'en foncèrent pour toujours dans l'est. et les débris des Oulad Salah rejoiggnirent leurs frêres les Mamras et les Hadjadjs augmentés des Rhaman. La grande famille des Larbas, affaiblie d'un côté et renforcée de l'autre, resta donc définitivement composée de trois fractions. Il y a parfois des tiraillements entre elles. mais d'ordinaire elles marchent de concert. Tous les Larbas sont khouans de Tedjini, par opposition aux Oulad Nayls qui sont khouans de Derlaoui, et aussi parce que l'un de leurs sours, Ain Madhi. est le tombeau de Tedjini et le centre de son culte.

Les Larbas apprécient l'influence protectriee de la France. qui les[464]maintient sur leurs pâturages anciens et fait la police entre tribus. Mais cette même France qui les protêge ne les amènera-t-elle pas à se fixer forcément quelque part, à disparaître en tant que nomades2 Ce sera bien difficile de longtemps, parce qu'ils sont indispensables dans les régions où ils circulent et que s'ils n'existaient pas il faudrait les inventer. Les convois européens qui essaient à grand'peine de traverser les pays sahariens sont obligés de devenir momentanément des nomadesmaladroits. Ces pasteurs sont le lien nécessaire, naturel, entre les besoins de deux mondes. La solidarité des tribus et des familles nomades. le divorce, la polygamie, la tutelle de la femme, l'autorité paternelle. l'indivision des propriétés, l'indépendance de tout frein, lunité de langage et de foi, si bien appropriés à la vie pastorale . au climat, aux instincts de race, font que le nomade disparaîtra difficilement du Sahara, et qu'en tout cas, n'ayant rien à lui offrir pour remplacer tout ce que nous lui enlèverions, et n'ayant personne à mettre à sa place, nous paraissons bien faibles pour amener un pareil résultat.

NOTA. — L'auteur de la monographie de famille n° 54 s'est rencontré avec plusieurs membres de la Société d'Économie sociale, pour reconnaître les nombreux traits de ressemblance que présentent les institutions et les mœurs des Arabes pasteurs nomades de la région saharienne de l'Afrique, avec celles des Mongols, pasteurs nomades qui parcourent la région de la terredes herbes comprise du 39e au 43e degré de latitude nord, entre la Grande-Muraille et le désert de Cobi, au centre de l'Asie. Les lecteurs qui seront curieux de faire l'instructive comparaison d'où est ressortie cette appréciation commune, n'ont qu'à lire les deux volumes publiés en 1853 par M. Huc, prêtre missionnaire laariste, sous le titre : Souuenirs d'un ouqe dans la Tatrie, le Tibet et la Chine. C'est jusqu'ici le meilleur recueil d'observations directes sur les pasteurs nomades asiatiques, dont la Société aurait le plus vif désir de publier un jour une nmonographie complète suivant la méthode de F. Le Play.

Notes

1. La gazelle saharienne est celle de l'espèce moyenne, blanche sous le ventre et en dedans des cuisses., la tète armée de longues cornes : on la nomme en langue arabe e Rine. La grande espèce, el 1deme, se trouve dans le Tell; la petite, el Sine, dans le Sersou.