N° 34.
AUVERGNAT BROCANTEUR
EN BOUTIQUE A PARIS
(SEINE — FRANCE)
(Ouvrier chef de métier propriétaire dans le système du travail sans engagement)
D'APRÈS
RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN MAI 1861
PAR
M. F. GAUTIER , commissaire de police à Neuilly.
Sommaire
- Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.
- Notes.
- (A) SUR L'INDUSTRIE DU BROCANTAGE ET SUR LES OUVRIERS QUI L'EXERCENT.
- (B) HISTOIRE ET DESCRIPTION DU MARCHÉ DE PARIS CONNU SOUS LE NOM DE TEMPLE2
- (C) SUR LES HABITUDES D'ÉMIGRATION PÉRIODIQUE DRS AUVERGNATS BROCANTEURS.
- (D) SUR LES DIFFÉRENTS EMPLOIS DONNÉS DANS L'INDUSTRIE AUX EXPLOITÉS PAR LE MARCHAND BROCANTEUR.
- (E) SUR L'EMPLOI DES ENFANTS PAR LES MAITRES RAMONEURS.
- (F) SUR LES RÈGLEMENTS DE POLICE AUXQUELS SONT ASSUETTIS LES BROCANTEURS, ET SUR LES MOTIFS QUI LES ONT FAIT ÉTABLIR.
Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.
I. Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1ᵉʳ. — État du sol, de l'industrie et de la population.
[283] La famille habite à Paris le quartier Sainte-Avoie. Ce quartier, qui fait partie du troisième arrondissement, est borné, au nord, par les rues du Grand-Hurleur, des Gravilliers, Pastourelle ; à l'est, par celles du Chaume et du Grand-Chantier ; au sud, par la rue de Rambuteau; à l'ouest, par le boulevard de Sébastopol. Il tire son nom de l'ancienne rue Sainte-Avoie, confondue maintenant avec la rue du Temple, et ainsi appelée elle-même parce qu'une communauté de femmes s'y était établie, au XIIIe siècle, sous l'invocation de sainte Avoie. Les rues en sont étroites et tortueuses et d'un accès difficile aux voitures; un grand nombre d'entre elles sont les [284] aboutissants d'obscurs passages ou d'impasses dans lesquels le soleil n'a jamais pénétré.
Depuis les démolitions opérées pour l'embellissement de la capitale, ce quartier a servi de refuge à une nombreuse population industrielle appartenant à divers corps d'état. Il compte aujourd'hui près de 30,000 habitants, et les ouvriers qui y travaillent sans y résider sont à peu près aussi nombreux. La chapellerie et la bijouterie y occupent un grand nombre de bras ; mais il est occupé surtout par l'industrie des brocanteurs, ambulants et en boutique, de chifons et de ferraille (A). Cette agglomération doit être attribuée à la proximité du Temple (B), vaste marché où l'on trouve l'écoulement de toutes sortes d'objets hors d'usage.
On voit dans le quartier Sainte-Avoie plus de 300 marchands de vin, achalandés par les ouvriers que l'éloignement de leur domicile oblige a manger hors de chez eux, et par ceux qu'y conduisent leurs goûts d'intempérance.
La famille décrite habite dans le quartier Sainte-Avoie la rue Simon-le-Franc, qui ne renferme qu'un petit nombre de maisons très-anciennes, occupées en général par des fabricants de chapeaux et par des brocanteurs.
§ 2. — État civil de la famille.
La famille se compose de cinq personnes, dont trois seulement vivent ensemble.
1.BERTRAND L***, chef de famille, marié depuis 35 ans, né au Pouget, commune d'Abechet, arrondissement d'lssoire (Puy-de-Dôme)............ 59 ans.
2.MADELEINE D***, sa femme, née a Sauvagnat, arrondissesement d'Issoire (Puy-de-Dôme)............ 53 —
3.Marguerite D***, sœur de la femme, née à Sauvagnat (Puy-de-Dôme)............ 38 —
— Guillaume L***, leur fils, né à Paris, marié depuis quatre ans............ 34 —
— Antoinette L***, leur fllle, née à Paris, mariée depuis huit ans............ 28 —
Le fils est marchand de meubles, en boutique, à Paris. Il a un enfant de 14 mois.
La fille est mariée à un limonadier, à la Chapelle-Saint-Denis ; elle a deux enfants, l'un de 7 ans et l'autre de 15 mois.
Le chef de famille a pourvu à l'établissement de ses enfants.
[285] Chacun d'eux a reçu cinq mille francs le jour de son mariage. Grâce à cette petite dot, à leur travail et à leur intelligence, ils sont en voie de prospérité.
La sœur de la femme n'est pas mariée, et vit avec les époux L*** depuis vingt-trois ans. Elle travaille dans le ménage et surtout dans le commerce de son beau-frère, qui pourvoit a tous ses besoins, et lui alloue en outre un salaire annuel de 300f. Elle est parfaitement au courant des affaires de la maison, et remplace le chef de famille pour les achats et la vente à la boutique. Investie de toute la confiance de son beau-frère, elle possède le maniement des fonds. Elle rend à la famille de grands services, qui sont fort appréciés de L***, ainsi que de ses enfants (§4 et §8).
Le père de l'ouvrier est mort, il y a quatre ans, au pays natal ; sa mère est décédée il y a douze ans.
L'ouvrier a un frère qui est également établi à Paris, comme brocaneur en boutique, dans le quartier Saint-Marceau (§ 11). C'est l'aîné de la famille. Il est marié, et a des enfants ; son commerce est très-prospère. Un autre frère est marchand mercier, près de Libourne (Gironde). Une sœur cadette est restée en Auvergne. Elle est mariée à un cultivateur qui, pendant l'hiver, laisse sa famille au pays pour venir à Paris exercer le métier de brocanteur ambulant (C).
Les autres frères et sœurs de l'ouvrier sont morts (§ 12).
§ 3. — Religion et habitudes morales.
Les deux époux sont nés de parents catholiques.
Dans le Puy-de-Dôme et surtout dans les parties montagneuses de ce département, la religion catholique romaine est enseignée avec soin aux enfants, dont l'instruction est d'ailleurs faible et négligée. Les idées chrétiennes, inculquées de bonne heure, laissent dans les cœurs de ces habitants des montagnes des germes profonds qui, à travers leurs habitudes d'émigration, se retrouvent dans toutes les phases de leur existence. Ils conservent, avec une certaine indépendance dans le caractère et un esprit rare d'initiative individuelle, une déférence intelligente et raisonnée pour les supériorités sociales, déférence qu'on ne rencontre plus guère aujourd'hui parmi les classes ouvrières [N° 17 (B)].
Le chef de famille n'a pas perdu, au contact des mœurs des grandes villes, ses principes religieux. n respect absolu pour ce qui regarde le culte et ses ministres domine son caractère exempt[286]à la fois d'un préjugé aveugle et d'une ferveur exagérée. Il tient à sa religion; le temps seul lui manque pour en observer les préceptes. Jusqu'à l'age de trente ans, Bertrand L*** s'est assujetti aux pratiques religieuses avec autant de régularité qu'un ouvrier peut le faire quand il est obligé, come l'a étè celui-ci pendant de longues années, à mener une existence nomade (§ 12).
S'absorbant dans la surveillance incessante de ses intérêts matériels, Bertrand s'affranchit aujourd'hui presque complètement des prescriptions du culte chrétien. Il ne va à l'église que dans des circonstances exceptionnelles, pour un bapteme, pour une noce, pour un enterrement, et ne tient aucun compte des commandements relatifs à la nature des aliments. Cette indifférence pour l'observation des règles du culte ore un étrange contraste avec la foi religieuse de l'ouvrier. Elle est due à cet âpre amour du gain, à cette passion de l'épargne qui sont les traits caractéristiques du caractère auvergnat.
Sans doute, à l'âge de la vieillesse, lorsqu'il sentuira le besoin du repos, et qu'il ne sera plus détourné par les occupations incessantes de son commerce, l'ouvrier reviendra, plein de foi, à la pratique des devoirs qu'il néglige aujourd'hui.
La femme de ertrand,e et sa suur ont conservé les sentiments pieux qu'elles doivent à leur éducation. La première va assez régulièrement à la messe le dimanche : c'est la seule pratique religieuse qu'elle concilie avec ses occupations ; sa sœur, plus retenue encore par les besoins du commerce, s'y rend cependaut quelque
A défaut des exemples et des exhortations de l'́glise, l'esprit de famille et l'influence des principes religieux conservent la pureté des mœurs dans les habitudes journalières de la vie.
En résumé, la religion est dans cette famille ce qu'elle est à peu près dans tous les ménages parisiens, avec cettedifférence toutefois que chez un grand nombre d'ouvriers de la capitale à l'indiférence se joignent le scepticisme et même le mépris des croyances.
Les brocanteurs forment par leurs meurs une catégorie distincte. ls se concetrent dans les mêmes quartiers de la ville et ne se mêlent pas aux autres ouvriers. Les lieux publics où ils se rendent ne sont en général fréquentés que par eux ; les marchands de vin chez lesquels ils se réunissent, soit pour chercher des distractions, soit plutôt pour les besoins de leurs alaires qu'ils traitent souvent le verre à la main (§ 11), ne comptent dans leur clientèle suivie que des ouvriers de cette prolession. Au milieu de la population parisienne, dont ils ne partagent ni les habitudes, ni les plaisirs, les Auvergnats immigrés vivent dans un cercle fermé; ils n'en franchis [287] sent les limites que pour les besoins de leur commerce, et ils ne cherchent nullement à se créer au dehors des relations de société, d'amitié ou de famille.
Bertrand, L*** sait lire et un peu écrire. l tient lui-même, tant bien que mal, les comptes de sa maison. Ce n'est que dans le cours de sa carrière qu'il a pu, grâce à l'instruction donnée par les écoles publiques des grandes villes, et grâce à un travail assidu pendant ses soirées, acquérir ces notions élémentaires. Dans son enfance, il n'a jamais fréquenté l'école de son village ; à dix-neuf ans, il ne connaissait pas la première lettre de l'alphabet.
La femme et la belle-sœur de l'ouvrier ne savent ni lire ni écrire.
§ 4. — Hygiène et service de santé.
L'ouvrier est de petite taille (1m55). Ses épaules larges, sa poitrine développée annoncent une constitution robuste et une force peu commune.
Dans sa démarche, dans sa tenue, dans son maintien, dans son langage, même dans les traits généraux de sa physionomie, il offre le type particulier aux individus de son pays.
Des yeux petits, mais pleins de vivacité, donnent à son large visage un air d'intelligence que rehausse encore un front élevé.
L'ensemble de son extérieur décèle chez cet ouvrier une nature douée à la fois de la force physique et d'une certaine vigueur morale, qualités qui se rencontrent assez généralement parmi les Auvergnats.
Quoique près d'atteindre sa soixantième année, malgré les fatigues de son métier et les privations de sa jeunesse, Bertrand L*** jouit d'une parfaite santé qui ne sest jamais altérée. Ses traits surtout sont loin d'accuser son age, ses cheveux abondants sont à peine grisonnants. Quelques rhumatismes, dont il surmonte assen facilement les douleurs, excitent seuls ses plaintes, surtout lorsqu'ils l'obligent à quelque repos, ce qui arrive rarement.
La femme, d'une taille un peu plus élevée que celle de son mari, a l'apparence d'une constitution assez délicate ; néanmoins sa santé est bonne.
Quant à la sœur de cette dernière, elle est dans toute la force de l'age. D'une corpulence puissante, active, robuste, elle est douée d'une santé à toute épreuve. Elle remplace un homme pour le travail, et porte journellement sans fatigue d'énormes fardeaux.
En somme, dans cette famille, les soins qu'on donne à l'hygiène[288]sont sans importance, grâce à de vigoureuses constitutions et à une bonne nourriture, complétée par un vin naturel, dont la famille fait usage (§ 9).
Quoique nés et élevés à Paris, les enfants des époux L*** sont dans des conditions de santé aussi heureuses que celles de leurs parents.
§ 5. — Rang de la famille.
Parmi les ferrailleurs et fripiers la seule supériorité est celle de l'argent, et les marchands en boutique occupent le premier rang: par les capitaux nécessaires à leur commerce, ils se placent au-dessus des brocanteurs abulants, dont l'industrie n'exige qu'une mise de fonds insignifiante. Il y a là, comme dans d'autres classes de la société, une ligne de démarcation tracée par la fortune ; c'est au chiffre de cette dernière que les brocanteurs mesurent le degré de considération qu'ils s'accordent entre eux.
L'argent seul peut d'ailleurs établir une distinction entre des gens de même profession ou de même origine, ayant reçu la même éducation, et également ignorants, possédant les mêmes murs et la même manière de vivre. Presque tous les brocanteurs qui, par l'épargne ou la bonne direction de leurs affaires et des chances heureuses, sont parvenus à fonder ou à acheter un fonds de commerce, ont commencé leur carrière par les plus humbles conditions. Beaucoup d'entre eux se sont vus pour ainsi dire expulsés, dès l'enfance, du foyer paternel, et forcés d'émigrer, de quitter une famille et un sol qui ne leur offraient pas des moyens suffisants d'existence. Il y a de ces enfants, de ces petits ramoneurs qu'on voyait naguère mendier dans les rues, et qui sont arrivés, à force de travail, de persévérance et de privations, à une aisance relative et même quelquefois à la fortune. Ceux qui s'élèvent ainsi au-dessus des autres par un avoir très-considérable, sont rares ; il en est cependant qui ont accumule de véritables ichesses (A). Le plus souvent ils atteignent à un certain bien-être matériel, mais ils ne s'élèvent pas au-dessus du rang dans lequel leur naissance et leur existence laborieuse les ont placés. En se retirant des affaires, ils deviennent propriétaires ou rentiers. Ils pourraient alors quelquefois entrer dans la bourgeoisie, si leur dêfaut d'instruction et leurs habitudes parcimonieuses ne les empêchaient de gravir cet échelon. Ils marient ordinairement leurs enfants avec des ouvriers chefs de métier.
Le chef de famille L*** occupe parmi ses compatriotes un certain rang, qu'il a acquis d'un côté par sa position de fortune et de l'autre[289]par ses bonnes murs et sa réputation d'homme de bien. Mais, comme eux, il ne pourra jamais sortir de ce milieu, dans lequel il déclare, du reste, se trouver parlaitement heureux. La prospérité de son commerce et l'augmentation progressive de son patrimoine paraissent être toute son ambition.
II. Moyens d'existence de la famille
§ 6. — Propriétés.
(Mobilier et vêtements non compris.)
Immeubles............ 60,00f 00
Habitation. — 1° Une maison, sise à Paris, acquise depuis quine ans. et entiérement payée depuis cinq ans, avec l'épargne de la famille............ 45,000f 00
2° Une maison, sise à lvry (Seine), avec jardin de 1 are, achetée aussi avec l'éparne de la famille, il y a cinq ans............ 15,000f 00
Argent............ 1,500f 00
Cette somme est destinée à payer les marchandises achetées au comptant et les dépenses domestiques. Si une vente de quelque importance faisait entrer tout a coup dans la caisse une forte somme, elle serait immédiatement convertie en marchandises.
MARCHANDISES............ 18,500f 00
MATÉRIEL spécial des travaux et industries............ 219f 00
1 bascule, 60f 00 ; — 1 grande balance, fixée au plafond de la boutique, avec une série de poids de fonte, 60f 00 ; — 1 bureau de bois blane, 3f 00; — 1 vieux bahut à tiroirs, 1f S0; — 2 chaises, 2f 00; — 1 encrier, 2f 00; — 60 sacs de toile commune, 60f 00; — 6 crochets de fer, avec pignées de bois, 4f 50 ; — 6 graundes corleilles d'osier, f 00; — 2 chelles, 20f 00. — Total, 1I9f00.
Valeur totale des propriétés............ 80,219f 00
§ 7. — Subventions.
La famille ne jouit, à proprement parler, d'aucune subvention. On a cependant fait figurer sous ce titre, au budget des recettes, quelques provisions apportées à l'ouvrier par des amis de son pays et les cadeaux qu'il reçoit de ses enfants.
§ 8. — Travaux et industries.
[290]Travaux de l'ouvrier. — Le travail principal de l'ouvrier consiste : 1° à se rendre en ville chez les particuliers qui le font demander, pour acheter les objets dont ils veulent se débarrasser ; 2° à faire les achats de marchandises qu'apportent les brocanteurs ambulants ; 3e° a vendre soit au public, soit aux marchands du Temple (B), soit aux marchands en gros, qui approvisionnent les fabriques et les usines (D) ; enfin à se transporter partout ou besoin est, pour vendre, échanger ou acheter. L'ouvrier reçoit en outre la marchandise, et travaille à son triage et à son classement dans la boutique. Il tient les écritures de son commerce.
Berturand L*** emploie, plusieurs jours par mois, des journaliers qui sont spécialement engagés pour emballer et charger les marchandises vendues en gros. Ces ouvriers sont aussi des Auvergnats. Ils sont payés à facon, et gagnent en moyenne de 5f a 6f par jour.
Travaux de la femme. — La femme s'occupe spécialement des soins du ménage, de la préparation des aliments, de l'entretien du linge et des vêtements. En dehors de ces travaux, elle a sous sa direction le magasin des chiffons. Les chiffons achetés sont par elle triés, collectionnés et lavés. Cette opération consiste d'abord à séparer les chiffons blancs de ceux de moindre qualité (D) ; à les laver avec du savon à la rivière, et à les classer ensuite dans le magasin. La femme de l'ouvrier consacre à ce travail dix-sept jours par mois.
TRAVAUX DE LA BELLE-SŒUR. — Celle-ci donne tout son temps aux soins du commerce. Parfaitement au courant des affaires, elle rèmplace le chef de famille, surtout pour les achats et les ventes au déail. Elle aide l'ouvrier dans le triage des os, des peaux de lapin, de la ferraille (vieux ustensiles de cuivre, de plomb, de zinc). Elle dirige les ouvriers pour l'emballage et le chargement des marchandises vendues en gros. Ses occupations demandent de la force et de l'activité. Son travail commence en effet le matin, de bonne heure, et se termine en été à la chute du jour ; pendant les soirées d'hiver elle travaille avec une lanterne dans le magasin et dans la cave du brocanteur.
En cas d'indisposition ou d'absence de la femme (§ 11), elle la remplace pour les soins du ménage et la préparation des aliments.
III. Mode d'existence de la famille
§ 9. — Aliments et repas.
[291] L'alimentation de cette famille est saine et abondante, et se rapproche de celle des familles bourgeoises. L'usage d'un bon vin, que l'ouvrier achète en pièces, à un vigneron de la Bourgogne, la rend plus fortifiante encore. C'est à cette boisson que Bertrand L*** attribue l'état prospère de sa santé et de celle de sa famille. Au cabaret il ne consomme généralement que du vin, mais la boisson qu'il trouve là ne ressemble guère à son vin naturel. La mauvaise qualité des vins vendus au détail, exerce une influence malheureusement trop grande sur la santé de l'ouvrier parisien.
Le matin, dès l'ouverture de sa boutique, l'ouvrier se rend chez le marchand de vin du voisinage, et là, en compagnie de quelques compatriotes, prèts à partir pour leur tournée, il prend en biver un verre d'eau-de-vie, en été un verre de vin blanc. Cette goutte. comme il l'appelle, est quelquefois l'occasion d'une affaire impor
La famille fait par jour trois repas, savoir :
1e A neuf heures, le déjeuner on y prend de la soupe, un morceau de fromage et un verre de vin. Les femmes déjeunent quelquefois avec du café au lait et du pain.
2° A deux heures, le dîner : composé d'un plat de viande, d'un plat de légumes et de fromage ou de fruits, selon la saison ; on y boit du vin en quantité suffisante. A ce repas, on mange fréquenment du bœuf bouilli ou du lard, quelquefois aussi du veau et du mouton. De temps en temps, le dimanche ou un jour de fête, on fait cuire un poulet. Les légumes dont la famille fait surtout usage, sont les pommes de terre, les haricots, les choux, les lentilles et les petits pois. La femme achète du poisson lorsqu'il est à bon marché.
Quelquefois, ce repas est suivi de café noir ; l'ouvrier, cependant, n'en prend jamais, parce qu'il ne peut le supporter sans fatigue. La famille a aussi quelques liqueurs, mais elle n'y touche que dans les cas exceptionnels.
3° De huit à neuf heures, après les travaux de la journée, le soupr soupe grasse ou maigrec, avec une salade, une omelette ou[292]les restes du dîner. Ce repas est en général assez léger ; on y boit un peu de vin.
Pendant la journée, la femme de l'ouvrier mange, dans la saison, des fruits qu'elle paraît aimer beaucoup.
§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.
La maison dans laquelle habite l'ouvrier lui appartient ; elle est composée d'un rez-de-chaussée et de cinq étages ; elle a deux fenêtres de façade sur la rue Simon-le-Franc.
Le logement de la famille est au premier étage, immédiatement au-dessus de la boutique : on y arrive par l'escalier de la maison, commun à tous les locataires. L'ouvrier a fait pratiquer un idas dans le plafond de son magasin, vers la porte d'entrée. Ce judas correspond à la principale pièce du logement et se ferme au moyen d'une trappe : on peut voir par là de la chambre, ce qui se passe dans la boutique, et communiquer verbalement avec les personnes qui s'y trouvent.
Ce logement se compose, en entrant, d'une cuisine obscure assez exigué, suivie d'une chambre qui prend jour sur la rue, par une très-large croisée ; c'est la chambre où couche la belle-sœur de l'ouvrier et dans laquelle on prend habituellement les repas. Elle communique, par une porte vitrée, avec une grande pièce éclairée de la même manière par une fenêtre donnant sur la rue. Cette chambre rappelle par son aspect l'intérieur du bourgeois et de l'ouvrier. On y remarque deux grandes pendules dorées, d'un certain prix, placées l'une sur la commode, l'autre sur la cheminée, qu'ornent en outre différents petits ableaux, les photographies de la famille et deux vases de fleurs artificielles recouverts d'énormes cylindres. Dans une grande alcôve, fermée par des rideaux, sont deux larges lits où couchent l'ouvrier et sa femme. La maison est fort ancienne, et le plafond de cet appartement a une hauteur qu'on ne trouve guère dans les constructions modernes.
Quoique tout soit tenu avec propreté, l'ensemble de cet intérieur se ressent de l'industrie de la famille. Celle-ci a son siège dans la boutique du rez-de-chaussée. Cette boutique a 4 mètres de façade sur la rue Simon-le-Franc ; elle est ornée à l'extérieur d'objets de toute nature de la plus grande vétusté. A ĉté d'un chapeau de tôle rouillée, qui a servi d'enseigne à un chapelier, pendent des rideaux troués et des embrasses qui rappellent un somptueux salon. Des marmites cassées, de vieilles casseroles font vis-à-vis à un équipement de garde national ; près de là se groupent des échan[293]tillons de friperie de toute sorte et d'un aspect aussi bizarre que curieux.
Le magasin de Bertrand L*** nest pas large, mais il est long de 21 mètres, et haut de 2,50. Derrière ce magasin, à travers la lanterne d'un ciel ouvert, un jour douteux filtre sur des objets impossibles à décrire. Des os, des drilles, du vieux fer, des chiffons de toute espèce et de toutes couleurs, des peaux de lapin, des vêtements delabrés, des verres cassés, du suif, des débris de papier, etc.. encombrent littéralement l'intérieur de ce long bazar. Il paraît impossible de se reconnaître au milieu de ces montagnes de marchandises ; mais ce désordre n'est qu'apparent, et tout est méthodiquement classé et facile à retrouver aux personnes de la maison.
A l'extrémité du magasin, plusieurs marches conduisent à une longue cave, dans laquelle des produits de même nature se pressent de manière à ne laisser qu'un étroit passage, et dont ils envahissent même l'escalier. Au premier et au second étage, Bertrand a encore deux grandes pièces remplies par les marchandises de son commerce. Au milieu de tous ces débris amoncelés, il se reconnait aussi bien que pourrait le faire un négociant dans le magasin le mieux arrangé.
La famille s'est réservé, dans la maison d'Ivry, composée d'un re-de-chaussée et de deux étages, l'appartement du premier, et elle sy rend souvent le dimanche (§ 11).
Meubles. : Simples et bien entretenus ; achetés, il y a longtemps............ 1,545f 75
1° Lit. — 1 bois de lit dacajou, 80f00; — 1 bois de lit de noyer, 30f00; — 1 bois de lit de sapin, 10f 00 ; 6 atelas de laine et crin et 3 lits de plume, 260f00; — 3 taversins, 30f00; — 4 oreillers, 2f 00; — 2 couvertures de laine, 60f 00; —2 couvertures de coton, 20f 00; — 1 paire de rideaux d'alcove, 15f00. — Total, 50f 00.
2° Meubles des deux pièces du laoement de Paris. — 1 secrétaire d'acajou, 60f 00; — 1 commode d'acajou, 60f 00 ; — 1 armoire de chéne, 40f 00 ; — 1 commode de chène, 20f00; — 1 table d'acajou, avec rallonges, 60f 00; — 10 chaises, 20f 00; — 4 glaces, 80f00; — 2 pendules, 00f 00; 4 grands vases, dont 2 avec globes, 40f 00; — 6 tableaux, 0f 00; — 1 tahle de sapin, 3f 00; —1 cabaret ave carafes de cristal et l0 tasses, 30f00. — Total, 643f 00.
3° Meub̂les du logement d'lvr. — 2 bois de lit d'acajou, 90f00; — 2 matelas s0f 00; — 1 lit de plume, 50f00; — 3 glaces, 120f 00; — 1 table de noyer, 10f 00; — 6 chaises, 30f 00; — 1 fauteui, 15f 00. — Total, 36f 00.
4° Objets relatifs au culte domestique. — 1 cruciflx de cuivre, 6f00 ; — 1 Christ de bois doré, 1f00 ; — 1 heniier de plâtre, 0f7s. — Total, 7f7S.
Linge de ménage : fait généralement de forte toile d'Auvergne, et entretenu en parfait état............ 282f 00
35 draps de lit de toile, 200f00 ; 1 douaaine de serviettes, 19f 00 ; — 4 nappes, 20f 00;[294] — 8 taies d'oreillers, 15f 00; — torchons et linges de toile, servant a diférents usages, 15f00; — 2 paires de rideaux de fenêtre, 20f 00.
UTENSILES............ 578f 50
1° Employés d Paris pour lda préparation et la consommation des aldiments. — 6 csseroles de cuivre, 26f 00; — 2 marmites de fonte, 3f 00; — 1 jusqu'à t et 1 paire de pincettes, 4f 00; — 6 douaines d'assiettes de porcelaine, 18f 00 ; — 1 soupière de porcelaine, f 00; — 3 saladiers de tere, 3f 00; — 2 douzaines de verres, 5f 00; — 100 houteilles, 12f00; — 6 douaaines de cuillers et de fourchettes de fer étamé,8f00; — 1 douzaine de couteaux, 6f 00 ; —divers petits ustensiles de fer-blanc, 5f00 ; — paiers pour divers usages, 17f 00 ; — 16 couverts d'argent, 400f00. —Total, 14f 00.
2° Employés pour les soins de propreté. — Peignes, rosses et rasoirs, 4f 00.
3° Employés pour usages divers. — 3 chandeliers de cuivre, 4f 00 ; — 1 lampe, 7f00 — 1 lanterne, 1f 50; — 3 parapluies, 20f 00. — Tota, 32f 50.
4° Employés, à la maison d'Ivry, pour la préparation et la consommation des aliments. — 2 marmites de fonte, 5f 00 ; 3 casseroles de cuivre, 10f 00; — 2 douzaiues d'assiettes, 2f50; — 1 douzaine de verres, 3f 00; — 2 douaines de cuillers et de fourchettes, 2f 00; — 1 saladier et autres objets de vaisselle, 3f50 ; — 17 bouteilles, 2f 00. — Total, 28 00.
Vêtements : Propres, solides et bien entretenus, n'ayant pas le cachet de ceux que se procurent dans les maisons de confection les ouvriers de Paris, mais rachetant la simplicité de la forme par la bonne qualité de l'étoffe.......................... 2,780f40
Vêtements de l'ouvrier (02f90):
1° Vêtements du dimanche. — 5 paletots ou vestes, 1925f 00; — 4 gilets, 24f 00; — 5 pantalons, 60f 00; — 2 cravates, 6f 00 ; — 2 chapeaux de soie noire, 22f 00; — 1 chapeau de feute, 1I8f 00; — pare de bottes, 14f 00 ; — 1 paire de souliers, 19f 00. — Total, 281If 00.
2° Vêtements de travail. — 6 blouses bleues, 18f 00; — 4 gilets, 12f 00; — 2 pantalons, 18f 00 ; — 30 chemises de toile, 120f 00 ; — 4 gilets de flanelle, 32f 00; — 6 mouchoirs, 3f 60 ; — 3 paires de chaussettes, 1f 50; —2 cravates, 3f 00; — 1 chapeau de feutre gris, 1f 50; — 1 paire de souliers, 12, 00. — Total, 221f 90.
Vêtements de la femme, y compris les bijoux (1,238f 00).
1° Vêtements du dimanche. — 5 robes de mériunos de diverses nuances et 1 de soie noire, 300f 00 ; — 2 chales de lauine, 80f 00 ; — 4 honnets garnis de rubans, 60f 00; — 2 manteaux de drp 50f 00; — 2 manteaux de soie dits talmas, s0f 00; — 4 jupons blaucs garnis de dentelle, 60f 00; — 2 paires debottines, 20f 00. — Total, 630f 0o0.
2° Vêtements de travail. — 3 robes d'étofe commune, 40, 00 ; — 2 robes d'indienne, 0f 00 ; — 1 chale de laiue, 16f 00 ; — 4 tabliers, 12f 00 ; — 24 chemises de toile, 72f 00 ; — 24 mouchoirs, 18f 00 ; — 12 paires de bas, 12f 00 ; 4 fichus, 10f 00 ; — 8 bonnets de mousseline, 24f 00; — 3 jupons, 18f 00; — 1 paire de souliers, 6f 00 ; — Total, 2f 00.
3° Bijoux. — 1 montre d'or avec chaîne de même métal, 300f 00 ; — 1 paire de boucles d'oreilles et 4 bagues, 0f 00. — Total, 30f 00.
[295] VÊTEMENTS DE LA BELLE-SŒUR DE L'OUVRIER, y compris les bijoux (1,039f 50).
1° Vêtements du dimanche. — 1 robe de soie noire, 100f 00 ; — 1 robe de soie grise, 60f 00;— 3 robes de mérinos, 100f 00 ; 6 bonnets avec rubans, 60f 00 ; — 2 chales de laine, 80f 00 ; — 1 pèlerine de soie, 15f 00 ;—t manteau de mérinos dit tadma, 0f 00 ; —4 jupons garnis de dentelle, 60f 00; — 2 paîres de bottines 1s 00. — Tota, 513f 00.
2° Vêtements de travail. — 3 robes d'étofe commune, 40f 00; — 1 pèlerine de dra, 10f 00 ; — 5 tabliers, 10f 00 ; — 20 chemises, 60f 00 ; —1 douaine de mouchoirs, 9f 00 ; — 3 paires de bas, 8f 00; — 8 bonnets, 24f 00 ; — 3 fchus, 7f50 ; — 3 jupons de calicot, 15f 00 ; — 3 paires de souliers, 18f 00. — Total, 20If50.
3° Bijioux. — 1 montre d'or avec chaîne de même métal, 300f 00; — 1 paire de boucles d'oreilles et bagues, 25f 00. — Total, 325f 00.
Valeur totale du mobilier et des vêtements....... 5,186f 65
§ 11. — Récréations.
L'habitude généralement répandue parmi les brocanteurs, ambulants ou en boutique, de se rendre chez le marchand de vin pour y traiter leurs affaires, peut être considérée, à certains égards, comme une récréation. C'est souvent le verre en main que se concluent d'importants marchés ; mais ces libations dégénèrent très-rarement en orgie.
L'ouvrier, comme ses confrères, se rend presque chaque jour chez un des marchands de vin du quartier. Il y prend un verre de vin, et y fait quelquefois une partie de cartes, toujours à l'écarté, le seul jeu qu'il connaisse. Cette partie parait lui procurer un certain plaisir ; il n'y engage jamais cependant de fortes sommes ; une ou deux bouteilles de vin sont en général la seule dépense à la charge du perdant ; L*** trouve dans ses habitudes d'ordre et d'économie un frein salutaire contre la passion du jeu.
A l'occasion d'un marché de quelque importance, l'ouvrier dine quelquefois au restaurant, soit que ce repas ait été imposé au vendeur ou à l'acheteur, par les conditions mêmes du marché, soit que chacun paye son écot.
Dans certaines circonstances solennelles, telles que la fête de l'ouvrier ou une fête religieuse, Bertrand .***, en qualité de chefder la famille, invite à dîner chez lui son frère et ses fils avec leurs femmes et leurs enfants.
Dans les longues soirées d'hiver, quelques amis se rendent chez l'ouvrier, et une conversation de quelques heures, sur le pays natal et sur les affaires commerciales, fait tous les frais de ces réunions intimes.
[296] La plus grande distraction de l'ouvrier et de sa femme est d'aller le dimanche à leur maison d'lvry, qu'ils appellent leur maison de campagne. Ils se sont réservé, en outre du logement, la jouissance du jardin, et les fruits qui en proviennent. Ils permettent cependant à leurs locataires de s'y promener. Quelquefois la femme y reste seule, en été, pendant deux ou trois jours, et c'est pour elle un très-grand plaisir. La famille y va chaque dimanche, pendant la belle saison, et assez fréquemment, en hiver, quand le temps le permet. Elle y passe la journée, elle y dine, et, le soir, elle revient à pied en rapportant un gros bouquet de fleurs ou un panier de
Une autre récréation de la femme, est d'aller visiter ses enfants.
La distraction du théâtre, si goûtée des ouvriers parisiens, l'est fort peu dans la classe des brocanteurs. Le chef de famille, depuis 37 ans qu'il habite Paris, n'y est allé que cinq ou six fois, et dans des circonstances où il avait été, pour ainsi dire, entrainé.
IV. Histoire de la famille
§ 12. — Phases principales de l'existence.
Les traits principaux de l'existence de l'ouvrier se retrouveraient dans l'histoire d'une grande partie des individus du même pays. ayant parcouru une carrière analogue.
L'ouvrier est né dans le département de Puy-de-Dôme (§ 2). Ses parents étaient de pauvres cultivateurs, ne possédant aucun bien, et chargés de famille. Ils avaient huit enfants ; Bertrand L*** êtait le troisième ; l'aîné de tous était un garçon qui, de bonne heure, avait commencé, dans le pays, le métier de ramoneur.
Quant à Bertrand, il se souvient qu'il gardait, étant fort jeune encore, les bestiaux avec s sœur aînée. Il venait d'ateindre sa sixième année quand son père, ne trouvant plus sur le sol natal les moyens d'élever une famille qui augmentait rapidement, résolut d'émigrer. Accompagné de ses deux fils aînés, il quitta l'Auvergne et se dirigea vers le midi de la France pour s'y livrer au ramonage.
Suivant un usage qui sexplique autant par la nécessité de laisser la femme et les jeunes enfants au logis, que par l'industrie même[297]du ramonage, beaucoup plus productif en hiver qu'en été, le père et ses fils retournaient périodiquement au pays. Ils revenaient tous les trois au printemps reprendre les travaux des champs, et ils repartaient en automne, à pied, portant le racloir et la besace; ils parcouraient les villes déja visitées et en visitaient de nouvelles, amassant le plus d'argent possible par leur travail et ne craignant pas même de s'adresser à la charité publique.
Bertrand L*** raconte, qu'après de laborieuses journées, il courait avec son père dans les promenades publiques et dans les rues après les bous messieurs, jusqu'à ce que ceux-ci fussent débarrassés de leurs importunités en leur jetant un peatit sou. Dans leur langag. ils appellent fire la dmi-une, cette action de tendre la main (E).
Ces aumônes, quelquefois abondantes, augmentaient le salaire quotidien, et, grâce à une manière de vivre des plus économiques, le père de Berturand pouvait, à la fin de la campagne, rentrer au foyer domestique avec un petit pécule.
Après avoir parcouru ainsi, dans une période de plusieurs années, Tulle, Bordeaux, Cahors, Carcassonne, Nimes, Monpellier et un grand nombre d'autres villes, Bertrand, qui avait atteint l'âge de quatorze ans, conçut, avec son frère aîné, le projet de se rendre à Paris. Leur père, déjà vieux, ayant renoncé aux voyages, ils le laissèrent au pays et se dirigèrent tous les deux vers la capitale, au commencement de l'année 1813.
Jusqu'a l'âge de dix-huit ans, Bertrandresta associé avec son frère pour l'exploitation du ramonage des cheminées, soit à Paris, soit dans la banlieue; ils n'exerçaient cette industrie que du mois d'octobre au moissde mars, et ils retournaient habiter l'Auvergne pendant le reste de l'année ; ils s'y louaient comme domestiques ou pour la garde des troupeaux ou preaient part aux travaux agricoles (C).
A dix-huit ans, Bertrand commença avec son frère le métier de brocanteur ambulant ou chineur1.
La facilité que leur procurait leur métier de ramoneur d'acheter à bas prix et même de recevoir parfois à titre gratuit, dans l'intérieur des ménages oùils pénétraient, des os, des chiffons, du vieux fer, des peaux, etc., qu'ils revendaient aussitôt à des brocanteurs permissionnés (F), les avait initiés de bonne heure à ce genre d'industrie où ils réalisèrent d'abord d'assez grands bénéfices. En moins de deux ans ils parvinrent à économiser ainsi une somme de 2,000 fr. ; [298] mais quelques achats de marchandises, faits dans de mauvaises conditions, leur eurent bientôt fait perdre ce petit capital.
Sans se décourager, les deux frères recommencèrent à ramoner, et ce n'est qu'à l'âge de vingt-deux ans qu'ils abandonnèrent de nouveau cet état et se firent admettre, chacun pour son compue, au nombre des brocanteurs ambulants (F).
Bertrand, qui chaque année était retourné au pays, pensa qu'il aurait plus d'avantage à renoncer à ces émigrations périodiques. Il se fixa définitivement à Paris et s'adonna exclusivement au commerce du brocantage. Il parcourait la capitale et ses environs, achetant et revendant de tous côtés, profitant de toutes les bonnes occasions qui se présentaient, dépensant le moins possible et économisant même aux dépens de sa santé.
En 1829, il avait acquis un avoir relativement considérable, et il se maria avec une fille de son pays, dont il avait fait la connaissance à Paris, et qui exercait aussi le commerce de brocanteuse (A).
Pour accroître les produits du brocantage auquel son mari continua de se livrer activement, la femme entreprit l'industrie de coupeuse de poil (D). Elle commença seule ce travail consistant à séparer les poils des peaux que son mari achetait dans ses tournées ; puis elle s'adjoignit successivement une, deux et jusqu'à plusieurs ouvrières, à mesure qu'augmentait l'importance de cette source de bénéfices. Cette opération qui se faisait exclusivement a la main, a l'aide de couteaux à larges lames, exigeait une certaine habileté et beaucoup de soins.
Grâce aux spéculations heureuses de l'ouvrier, d'une part, et au travail de la femme, de l'autre, le jeune ménage pospéra. L'avoir s'augmenta peu à peu et, vers 1840, les époux s'établirent brocanteurs en boutique dans les environs du Panthéon. Après avoir vécu quelque temps dans ce quartier, ils allèrent se fixer dans la maison qu'ils habitent aujourd'hui.
Plus tard, ils ont acheté cete maison ainsi que celle d'lry, et ils ont pu néanmoins donner 5,000 fr. à chacun de leurs deux enfants en les mariant.
§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille
L'avenir de la famille es assuré par l'aisance qu'elle a déjà acquise et par les habitudes d'économie qui lui permettront de l'augmenter encore.
[299] L'ouvrier ne fait partie d'aucune société de secours mutuels. Ce trait lui est commun avec la plupart de ses compatriotes, ainsi qu'avec presque tous les individus qui s'adonnent au brocantage. Il pense que nul mieux que lui-même ne peut le garantir contre les êventualités de la misère. Conserver par l'épargne la plus grande partie possible de ce que le travail produit, telle est pour lui la solution la plus simple et la plus sûre du problème de la prévoyance. Il trouve dans ces mœurs, contre la maladie et le chômage des affaires, les mêmes garanties que lui donnerait la mutualité ; il y trouve en outre, pour l'époque de la vieillesse et des infirmités, des ressources que celle-ci ne peut offrir. De plus, il a pu élever sa famille à une position de bien-être qu'elle n'aurait jamais atteinte, s'il s'était contenté de la sécurité momentanée que donnent les sociétés de secours mutuels. L'ouvrier n'a recours à l'assurance que pour mettre ses immeubles et ses marchandises à l'abri des mauvaises chances de l'incendie.
En général, lorsqu'un brocanteur a ramassé quelque argent, il le convertit en marchandises, ou il achète des terres dans son pays (C). Quelques-uns avaient essayé à une certaine époque de se livrer à des jeux de bourse, mais les pertes qu'ils éprouvèrent leur firent abandonner cette spéculation. C'est surtout dans le commerce que les plus hardis cherchent à faire fructifier leurs économies.
Les brocanteurs se servent également très-peu de la caisse d'épargne et de la caisse de reraite pour la vieillesse. Ces institutions modernes exercent, en général, sur eux peu d'attraction. La propriété immobilière est le stimulant le plus efficace de leurs efforts ; c'est l'amour de la terre, fortifié par les traditions du pays. qui les porte à accomplir les travaux les plus rudes et à supporter les privations les plus pénibles.
Notes.
FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION SOCIALE, PARTICULARITÉS REMARQUABLES ; APPRÉCIATIONS GÉNÉALES ; CONCLUSONS.
(A) SUR L'INDUSTRIE DU BROCANTAGE ET SUR LES OUVRIERS QUI L'EXERCENT.
[309] Dans toutes les villes de France et dans tous les pays, on connait les brocanteurs ambulants, que l'on désigne assez ordinairement par les noms de marchands d'habits, marchands de vieux galons, marchands de chiffons, ferrailleurs et quelquefois aussi, mais improprement, par le nom de chiffonniers. A Paris, ce dernier métier est exercé par une classe spéciale d'ouvriers qui diffère, à beaucoup d'égards, de celle de brocanteur.
Le chiffonnier ne sort guère que la nuit. Porteur d'une hotte, armé d'un croc et d'une lanterne, il ramasse dans les rues et dans les carrefours les objets tels que : os, chiffons ou papiers mêlés aux tas de détritus qui proviennent de l'intérieur des maisons, et qui n'ont pas encore été enlevés par le service de salubrité. Ces produits, soigneusement triés et classés, sont ensuite revendus à des marchands en gros, qui en font un commerce spécial. Les chifonniers vivent en grande partie dans le voisinage de la place Maubert (5e arrondissement). Leur nombre à Paris est considérable; ce sont, en général, des gens déclassés, d'une intempérance proverbiale et de mœurs dépravées. Ils se signalent cependant quelquefois par des actes de probité et même par certaines qualités dont il est juste de leur tenir compte (Les Ouv. europ. XXXVI).
Quant au brocantage, c'est une spéculation fort étendue qui a pour objet l'achat et la vente de tous les objets hors d'usage. Cette industrie est exercée à Paris par un grand nombre d'individus, depuis le brocanteur ambulant, dont la spécialité est suffisamment indiquée par son titre, jusqu'au marchand en gros ; entre les deux est le brocanteur en boutique, qui fait à la fois le commerce de gros et de détail. On le rencontre surtout dans les quartiers SainteAvoye et Saint-Marceau, dans le faubourg Saint-Antoine et aux Batignolles.
Le brocanteur en boutique doit être doué, pour réussir, d'une certaine intelligence ; il doit avoir été habitué des l'enfance aux pra[310]tiques du négoce et avoir longtemps exercé la profession de brocanteur ambulant. Il faut passer par ce premier degré pour être initié aux diverses branches de ce commerce, qui comprend (D) une immense variété de produits dont la valeur est fort diflicile à déterminer et que la hausse ou la baisse atteignent quelquefois subitement, suivant les cours généraux de l'industrie. 'ne grande habitude du métier est si indispensable que certains brocanteurs, malgré trente ou quarante ans d'expérience, se trouvent embarrassés quand il s'agit d'une affaire nouvelle. On conçoit, en effet, la difficulté qu'il y a de donner un prix à des objets hors d'usage. n'ayant plus qu'une valeur intrinsèque, fort contestable, et qu'il faut apprécier à la vue. Malgré les prix ordinaires établis dans cette industrie, on voit journellement des brocanteurs perdre 25 et 30 0/0 sur une affaire qu'ils avaient d'abord crue excellente.
Un bon jugement et de l'activité sont aussi des qualités nécessaires au brocanteur. Acheter à bas prix, en profitant des occasions favorables, revendre cher avant les moments de baisse, trier et classer les produits avec discernement, faire des marchés avec les maisons de gros, sont autant d'opérations qui exigent du travail, de nombreuses démarches et une certaine aptitude.
Les marchands en gros qui achètent aussi bien aux chiffonniers qu'aux brocanteurs en boutique, sont placés au sommet de ce genre d'industrie. Ce sont, pour la plupart, d'anciens brocanteurs enrichis se servant des capitaux qu'ils ont amassés pour faire, sur une vaste échelle, le commerce des os, de la ferraille et des chiffons. Ils approvisionnent directement les fabriques et les usines qui s'alimentent des produits du brocantage (D). Ils habitent, en général, les quartiers qui avoisinent le faubourg Saint-ntoine où ils possèdent d'immenses dép̂ts.
Arriver à être marchand en gros, c'est le but des plus ambitieux brocanteurs; mais ils consentent, pour la plupart, à rester dans leur humble sphère, où ils trouvent encore le moyen d'économiser des sommes assez considérables avec lesquelles ils achètent ordinairement des terres dans leur pays (C).
Certains brocanteurs ambulants font tenir par leur femme une boutique où elle fait un autre commerce ; mais ce cas est exceptionnel à cause des soins qu'exige une pareille exploitation. Il est plus ordinaire de voir l'homme et la femme porteurs chacun d'une médaille (F), exercer séparément, quoique en communauté d'intérêts, le brocantage ambulant. Ce sont ordinairement les jeunes mariés, arrivés récemment à Paris, et n'ayant dans leur pays aucune propriété, qui entreprennent ce double commerce. Quant aux brocanteurs qui ont des enfants et un patrimoine, ils viennent seuls [311] à Paris pendant l'hiver, et retournent auprès de leur famille, au commencement de la belle saison.
L'industrie du brocantage a pris à Paris, depuis quelques années, un grand développement. Le nombre des individus qui s y adonnent a presque triplé depuis 1843. On ne comptait alors que 1,600 brocanteurs ambulants : il y en a aujourd'hui 4,010 en exercice, ainsi répartis :
Quant aux brocanteurs en boutique, leur nombre peut être porté a 2,000, sans compter ceux du marché du Temple (B).
Relativement à leur origine, les brocanteurs ambulants et en boutique peuvent être classés en deux catégories : 1e les Auvergnats, originaires des départements du Cantal et du Puy-de-Dôme ; 2e les Normands, originaires des départements de la Manche, du Calvados et de TO0rne.
Parmi les brocanteurs, on rencontre encore quelques Savoyards, quelques Champenois et un petit nombre de Parisiens issus de parents normands ou auvergnats, qui ont bien voulu, ce qui n'arrive pas ordinairement, suivre la carrière de leur père.
Dans le principe, le brocantage était exercé par des Normands auxquels les Auvergnats ne vinrent se mêler que plus tard ; aujourd'hui ce sont ces derniers qui dominent dans la corporation.
Le Normand et l'Auvergnat, presque journellement rapprochés par des rapports d'affaires, vivent cependant séparés. Malgré leur habitude de conclure au cabaret la plupart de leurs marchés, ils sont l'un et l'autre sobres et enclins à l'épargne. Tous deux s'isolent de l'ouvrier parisien, dont ils redoutent les habitudes de dissipation.
Leur commerce, comme leurs mœurs, établit entre les Normands et les Auvergnats une différence qu'il importe d'indiquer. Bien que se livrant les uns et les autres a l'achat et à la vente des mêmes produits, ils ont certains articles qui leur sont, pour ainsi dire, spéciaux. Ainsi, le Normand excelle dans l'art de connaître les vieux habits. Ilabitué, dès son enfance, à voir la fabrication du drap dans les manufactures de son pays, il accapare tout ce qui se rapporte à l'habillement.
Quant à l'Auvergnat, il achète bien aussi le vieux vêtement et surtout les chapeaux et les souliers hors d'usage, mais il s'y connait moins que son concurrent, et il est toujours porté à s'en défier,[312]lorsqu'ils sont amenés, l'un et l'autre, dans une même maison, pour y conclure un marché. Plus fin et plus poli, le Normandinspire par ses dehors plus de confiance. Il est mieux vêtu, parle plus convenablement, et son habileté le fait triompher de son compétiteur dans presque toutes les circonstances. Aussi l'Auvergnat, malgré sa ténacité et sa persévérance, abandonne-t-il au Normand le brocantage lucratif des vieux habits, pour se rejeter sur le chiffon, la ferraille, les os, les peaux de lapin, etc., branche dédaignée par le premier, et non moins productive que l'autre.
Il existe entre les brocanteurs, particulièrement entre les marchands d'habits, un lien qu'il est intéressant de signaler. Lorsqu'un de ces marchands se présente chez un vendeur et qu'il se retire sans conclure le marché, il prévient tous les confrères que le hasard lui fait rencontrer ; ceux-ci en avertissent d'autres, de telle sorte que chaque nouveau brocanteur appelé offre un prix inférieur à celui qui avait été fixé par le premier. C'est une véritable assurance mutuelle contre les effets de la concurrence, et chacun d'eux recueille a l'occasion les fruits de cette entente.
Le brocantage en boutique, qui consiste à acheter tous les produits du brocanteur ambulant, est exercé aussi bien par le Normand que par l'Auvergnat. La spécialité du vêtement est cependant encore là le partage du premier, et un grand nombre de boutiques de vieux habits, au marché du Temple, sont tenues par ses compatriotes (B).
(B) HISTOIRE ET DESCRIPTION DU MARCHÉ DE PARIS CONNU SOUS LE NOM DE TEMPLE2
Le marché à la friperie, connu à Paris sous le nom de ˉ'eple, occupe un vaste emplacement sur les rues du Puits, du PetitThouars, Forez et de Bretagne ; sur cet emplacement sont élevés quatre immenses pavillons carrés, où sont installés les marchands brocanteurs. A l'extrémité de ce marché se trouve une grande[313]constructionen maçonnerie, de forme circulaire, appelée la Rotonde du Temple. Cette construction est une propriété privée, etrenferme aussi des boutiques de marchands.
Comme ce bâtiment, les quatre pavillons qui forment le marché remontent, pour leur construction, au commencement de ce siècle. Construits en bois, et semblables à de vastes hangars, ils ne sont en harmonie de style ni avec un lavoir, bâti non loin de là, ni avec lés maisons voisines, entièrement neuves, ni avec le square qui, depuis quelques années, embellit ce quartier.
C'est sur l'emplacement de cette promenade et du marché actuel, que s'élevait, au x siècle, la demeure du grand prieur des Templiers. A cette époque, l'enclos du 'Temple était une propriété considérable, couverte de constructions fort belles pour l'époque, et connue sous le nom de Ville-Neuve-du-emple. La tour du Temple, bâtie en 1212, par frère Hubert, trésorier des Templiers, en était le centre. C'était un édifice carré, formé de très-épaisses murailles et surmonté d'une tourelle à chacun de ses quatre angles.
L'enclos du Temple fut donné, au xv° siècle, par Philippe le Bel, à l'ordre des hospitaliers de Saint-lean-de-lérusalem, nommé depuis ordre de Malte. Le emple de Paris devint alors le chef-lieu du grand prieuré de France. Les prieurs y avaient un palais qui, après la suppression de l'ordre de Malte, devint une propriété nationale.
Les murs fort élevés de l'enclos du Temple, furent presque enièrement démolis en 1802, et la célèbre tour fut abattue en 1811. C'est dans cette tour que les rois de France ont longtemps déposé leurs trésors ; là étaient aussi les archives des Templiers et celles du grand prieuré de l'ordre des chevaliers de Malte. Le 11 août 1792, Louis MI y fut enfermé avec sa famille ; ce roi n'en sortit que pour se présenter deux fois à la barre de la Convention, et pour aller mourir sur l'échafaud le 21 janvier 1793. Cette tour servit ensuite de prison d'́tat, jusqu'au moment où elle fut démolie.
Quant au palais des prieurs de l'ordre de Male, il fut considérablement embelli en 1812 et 1813 et disposé pour servir d'hotel au ministère des Cultes. Mais les événements de 1814 en changèrent la destination; il fut alors occupé par M la princesse de Condé, ancienne abbesse de lemiremont, et par des dames de son ordre. Ce palais a disparu depuis quelques années ainsi que l reste de l'édifice.
C'est après la démolition de la Tour que fut fondé sur son emplacement le marché du Temple. Éabli comme halle centrale de la friperie, sa première destination n'a jamais été changée. C'est à[314]cette époque aussi que furent élevés les pavillons dont il a été question précédemment.
Le marché du Temple couvre une superficie de 10,831 mètres carrés, sans compter la rotonde ; il contient 1,888 places, ayant chacune 2m 61 de superficie. Les agencements des boutiques sont fournis et montés par les locataires qui doivent les disposer symétriquement, sur un alignement donné, de manière à ménager entre ces boutiques un passage de 1 de largeur.
L'organisation administrative du marché du Temple est semblable à celle de tous les autres marchés de la ville de Paris. Les places y sont concédées, suivantl'ordre d'inscription des postulants, par le préfet de police, ou par l'inspecteur général des halles et marchés, son délégué. lIl est rigoureusement interdit aux titulaires, sous peine d'expulsions du marché, de vendre, sous-louer ou prêter leurs places, qui ne peuvent ainsi constituer un fonds de commerce, comme une boutique louée en ville.
Les proches parents peuvent succéder aux occupants, mais seulement après les avoir assistés pendant deux années consécutives dans leur exploitation. L'administration admet, par exception, les gens âgés ou infirmes, qui ne possèdent aucune ressource, à céder leurs places à titre onéreux : à rente, disent les placiers ; mais le cédant n'a ni la faculté de désigner son successeur, ni celle de fixer le prix de la place. La Préfecture de police respecte, dans ce cas, comme toujours, les droits acquis des marchands déjà établis sur le marché et des postulants inscrits : elle les admet, suivant leur rang d'ancienneté, à se présenter pour occuper la place cédée, moyennant le payement d'un secours viager, réglé sur les besoins du titulaire qui se retire.
Malgré la valeur précaire de ces concessions qu'on ne peut transmettre comme une propriété ordinaire, malgré l'instabilité d'une position louée a la semaine et dont l'administration peut toujours, pour une infiraction plus ou moins grave, priver temporairement ou définitivement le locataire, l'accès du marché du Temple est trèsenvié, et l'on peut toujours compter sur les registres de l'inspection un nombre de pétitionnaires suffisant pour remplirles vacances qui pourront se produire dans une ou deux annèes.
Le prix de location, percu au profit de la ville, est établi ainsi qu'il suit par semaine et par place de 2. 61 de superficie :
[315] Un inspecteur et huit gardiens, installés dans un petit pavillon, placé au centre même du marché, en ont la surveillance spéciale. L'inspecteur statue provisoirement sur tous les cas intéressant le bon ordre trop souvent troublé par l'esprit de concurrence, et il provoque contre les auteurs d'injures, de voies de fait ou de troubles quelconques, dans l'intérieur du marché, des mesures plus ou moins rigoureuses. Ces mesures sont, selon les circonstances, la réprimande, l'interdictuion temporaire, et enfin l'expulsion défi
Le marché du Temple est le point où viennent converger la plus grande partie des produits du brocanteur ambulant (D), et spécialement les vieux habits pour hommes et pour femmes, les vieilles chaussures, les hardes de toute espèce, la ferraille et les chiffons.
Des marchandises les plus diverses y sont, en outre, exposées en vente : les unes entièrement remises à neu, d'autres restaurées seulement, d'autres enfin laissées dans leur état de dégradation et de vétusté, pour être au niveau de la bourse de tous les ache
A part les modes et les vêtements remis à neu, qui s'emportent en province, il ne se fait guère, au marché du Temple, que des ventes au détail ; mais ces dernières sont très-importantes, le Temple ayant pour clientèle une grande partie des ouvriers parisiens et même beaucoup de gens appartenant à la petite bourLes marchands du Temple s'approvisionnent soit dans les ventes publiques, soit dans les ventes périodiques du Mont-de-Piété, soit sur le Carreu du epde. lIls peuvent aussi se transporter chez les particuliers, mais seulement dans le cas où ils sont appelés.
Le Carreau du Temple est un marché qui se tient tous les jours de 11 heures à 1 heure, sur la place qui sépare les pavillons de la rotonde. Là se rassemblent les brocanteurs ambulants, les marchands du 'Temple et les marchands colporteurs qui exploitent les environs de Paris.
Ce marché, toujours fort animé, n'est pas un des moins intéressants de la capitale, tant au point de vue des affaires qui s'y traitent qu'à celui des individus qui le fréquentent. Il avait été spécialement institué pour la vente d'objets vieux ou restaurés ; mais, par suite d'une tolérance, l'administration a laissé les marchands vendre quelques produits neufs. Toutefois, afin de garantir les intérêts des professions analogues de la ville, une décision du 11 mars 1838 interdit expressément aux concessionnaires d'une place au Temple, de tenir aucun commerce de même nature au dehors.
[316] Dans cette petite ville couverte, aux rues planchéiées, chaque quartier a son nom, chaque boutique son enseigne et son numéro. Les quatre grands pavillons qui en forment le principal centre, sont connuus sous les dénominations suivantes :
1e° Le Plais royd, qui renferme les modes, la lingerie, les soieries et les objets de luxe ;
2° La Forêt noire, où l'on trouve les chaussures neuves et vieilles et la chapellerie ;
3° Le Carré du drpeu, où sont exposés la ganterie, la literie et les articles de voyage :
4e Le arré de la ferraille, dont le nom indique la destination. C'est le dépôt des vieux chiffons, du vieux linge, des vieux vêtements pour les deux sexes, des os et des ustensiles hors d'usage.
Les 1,888 places qui se trouvent dans le marché sont toujours occupées ; celles qui deviennent vacantes sont de suite remplies par de nouveaux commerçants. Un seul marchand peut être locataire de plusieurs places situées à la suite les unes des autres et ne formant qu'un seul magasin.
Les marchandises vendues au Temple sont comprises dans la nomenclature suivante, où elles sont rangées d'après le nombre des places qu'elles occupent.
Le nombre des marchands établis au Temple est de 1,500. Les boutiques de friperie sont'généralement tenues par des individus[317]originaires de la Normandie (A) ; les autres le sont par des Parisiens ou par des étrangers.
La rotonde du Temple, dont nous avons déjà parlé, est une annexe du grand marché. Elle a au rez-de-chaussée 4 grandes boutiques où sont installés des marchands de vieux habits pour les deux sexes, de chapellerie, de vieux équipements militaires et d'articles de voyage. Il s'y fait un commerce considérable qui n'est pas évalué à moins de cinq millions de francs.
Cette vaste construction renferme, en outre dans ses étages supérieurs, 200 logements occupés par des dégraisseurs de vêtements, des tailleurs, des cordonniers et autres ouvriers de divers corps d'état, travaillant exclusivement pour les marchands du Temple. On compte aussi dans ce bâtiment, ainsi que dans les rues adjacentes, un nombre considérable de brocanteurs ambulants.
Outre le marché de la rotonde du Temple, il existe encore à Paris deux autres petits marchés, dont le plus important se tient sur la place de la Halle aux Veaux (5e arrondissement) et l'autre sur la Place du Marché-Beauveau (12e arrondissement). Dans ces marchés, on ne vend absolument que de la ferraille, de vieilles hardes et des chiffons. Les objets neufs ou réparés n'y sont pas admis.
Le marché de la llalle aux Veaux a été établi par une ordonnance de police du 1e octobre 1835. Il a lieu tous les jours de la semaine, à l'exception du mardi et du vendredi. L'organisation de ce marché est la même que celle du Temple. Il contient 241 places de 3 de superficie, louées à raison de 0f50 pour les cinq jours d'occupation par semaine.
Le marché de la Place Beauveau ne contient que 100 places.
Ces deux marchés offrent encore un débouché aux produits du brocanteur ambulant, surtout en ce qui concerne les objets de ménage hors de service et particulièrement le vieux fer et les vieux vêtements.
(C) SUR LES HABITUDES D'ÉMIGRATION PÉRIODIQUE DRS AUVERGNATS BROCANTEURS.
Les ouvriers émigrants forment deux classes principales dans la population parisienne : les éigrnts à stations périodiues, qui viennent travailler à Paris pendant la belle saison et retournent[318]chaque hiver au pays sur une petite propriété agricole, constituée a la fois par l'héritage et par les épargnes du chef de famille ; les émigrants a stations prolongées, qui, avec le concours de leurs parents, emploient leurs épargnes dans le pays natal à l'acquisition et à l'accroissement d'une petite propriété, sur laquelle ils se retirent dans leurs vieux jours. [Les Ouv. europ., XXXVI (A)].
Les brocanteurs appartiennent à ces deux catégories; il en est même qui, comme l'ouvrier décrit dans cette monographie, se fixent a Paris définitivement. Pour la plupart cependant, ils conservent leurs habitudes d'émigration périodique.
En énéral, ces enfants de l'Auvergne se rendent à Paris ou dans les villes manufacturières, afin d'y chercher des ressources que le travail agricole est insuffisant à leur procurer. Mais, comme la passion du gain n'éteint pas en eux l'amour du pays natal. ils renoncent rarement à se séparer du petit domaine qu'ils tiennent de leurs pères ou de leurs propres épargnes ; ils sont retenus en outre dans la vie agricole par le sentiment profond des avantages qui résultent de l'alliance du travail industriel avec le travail des champs.
Les brocanteurs, qui ont une propriété, en laissent le soin à leur famille pendant leur absence ; ils y reviennent chaque été pour les travaux de la récolte ; l'hiver, vivant seuls à Paris, ils économisent des sommes qu'ils consacrent à augmenter leur patrimoine, et à assurer l'avenir d'une famille nombreuse.
Ces habitudes d'émigration périodique entretiennent chez les Auvergnats brocanteurs l'énergie des traditions locales. Cest à ces précieuses traditions qu'ils doivent de conserver leurs sentiments de famille, leur amour de la propriété territoriale, leur passion pour l'épargne, leur sobriété proverbiale. en un mot ces mœurs rudes et vivaces qui les distinguent si profondément des ouvriers parisiens. Tandis que les premiers acquièrent par leur travail et leur économie une véritable indépendance, ceux-ci voient tous les jours augmenter leur gêne, malgré l'élévation progressive dutaux des salaires. Perdant de plus en plus les vertus précieuses que possèdent à un si haut degré les uvergnats, ils se laissent aller aux dangers de l'imprévoyance et même trop souvent aux désordres de la dissipation. [Les Ouv. europ., XXXVI (B)].
Les observations qui précèdent s'appliquent pour la plupart aux brocanteurs normands, qui ont également des habitudes d'émigration périodique.
(D) SUR LES DIFFÉRENTS EMPLOIS DONNÉS DANS L'INDUSTRIE AUX EXPLOITÉS PAR LE MARCHAND BROCANTEUR.
[319] Les objets hors d'usage rejetés par les ménages parisiens, et exploités par les brocanteurs, peuvent être rangés dans la nomenclature suivante :
Vieux vêtements des deux sexes ; vieux chapeaux ; vieilles chaussures ; vieux ustensiles de fer, de cuivre, de inc, de plomb, etc. ; bouteilles et verres cassés; vieux papiers ; suif et débris de chandelles ; chiffons de toute espèce ; os, provenant des ménages, des restaurants ou des étals de boucher ; peaux de lapin et autres ; vieilles cordes, vieux bois doré, vieux cadres, drilles, hardes et autres débris, sans distinction de forme, de dimension et d'origine.
Tous ces produits, recueillis par le brocanteur ambulant, passent ensuite par les mains du brocanteur en boutique et du marchand en gros et vont enfin recevoir dans l'industrie des destinations très-diverses, dont il n'est pas inutile de faire connaître les principales.
Les vieux vêtements, achetés par les brocanteurs anbulants, sont par eux revendus, soit aux marchands des campagnes, soit à ceux du emple, soit aux brocanteurs en boutique, soit même aux particuliers, sur le carreau du Temple (B).
Ces vêtements, lorsqu'ils sont destinés au commerce, reçoivent immédiatement de leurs nouveaux propriétaires, si leur coupe ou leur état le comporte, une restauration complète. On en fait des habillements, dits neufs, qui vont ensuite figurer dans les boutiques du emple, dans les ventes au rabais installées provisoirement dans les magasins non loués, dans les foires et marchés des campagnes et dans certaines maisons de confection de Paris, ou dans des établissements analogues de la province et même de l'étranger. Les ouvriers qui ont l'habitude de remanier les vêtements hors d'usage, parviennent à en tirer un parti très-avantageux. Un paletot, par exemple, acheté 5f par le brocanteur ambulant, est encore, après avoir été retourné et réparé, revendu au public 25 f ou 30.
Les vieilles chaussures servent à en confectionner de neuves ; ce sont surtout les semelles qui s'emploient. Il y a dans Paris, des cordonniers qui sont constamment occupés à ce travail. Les chaussures dans un état passable sont facilement réparées et revendues ;[320]les plus délabrées vont dans les fabriques de bleu de Prusse.
Les chapeaux sont démontés, nettoyés et refaits entièrement. Plus d'un brillant magasin de la capitale étale dans sa devanture des chapeaux, qui ont vu le soleil ailleurs que dans la vitrine du marchand.
Le vieux papier et les chiflons subissent chez le brocanteur en boutique un triage et un classemeut des plus soignés. Chacun sait que la plus belle qualité sert à faire le papier fin, et que les qualiés inférieures sont destinées a confectionner les papiers grossiers.
Personne n'ignore l'usage que l'on fait, dans les verreries, du verre cassé, ainsi que du suif et des débris de chandelles, qui servent à la préparation du savon.
Les ateliers metallurgiques, tels que les fonderies de fer et de cuivre, achètent les vieux ustensiles de fer, de fonte, de cuivre, de zinc, et d'autres métaux pour les répandre ensuite, sous d'autres formes, dans le commerce.
La tabletterie commune se fabrique avec les os de premier choix. Le second choix est employé à confectionner des boutons pour l'équipement militaire. Le reste sert dans les raffineries de sucre à faire le noir animal.
Les plus belles peaux de lièvre, de lapin ou de chat sont achetées par les fourreurs. Quant aux autres, elles passent chez le oupur de poils. Cette dernière industrie, quoique peu connue, met en activité un grand nombre d'ateliers et occupe à Paris, plusieurs milliers d'ouvriers. Elle consiste à séparer le poil de la peau de la bête. Le poil est acheté par les chapeliers, et la peau, hachée menue et triturée, est transformée en colle forte.
Autrefois les coupeurs de poils faisaient tout leur travail à la main avec de larges couteaux. Aujourd'hui des appareils fort ingénieux, mus par la vapeur, ont remplacé le travail manuel, et les frais de main-d'œuvre ont été ainsi diminués. Cette industrie a pris ainsi une grande extension. Concentrée a Paris, elle travaille nonseulement pour la capitale, mais encore pour la province et même pour l'exportation. Elle est très-lucrative. Les journaliers de cette profession gagnent des salaires très-élevés, et parmi les chefs de ḿtier, il y en a qui ont amassé de grandes fortunes.
Les autres produits achetés par le brocanteur, et dont la grande variété obligerait à de trop longs détails, sont tous utilisés dans l'industrie. Les bois dorès sont brûlés et l'or en est extrait ; les vieilles cordes servent à faire le carton-bitume; en un mot, chaque débris quel qu'il soit, a son emploi et sa destination.
(E) SUR L'EMPLOI DES ENFANTS PAR LES MAITRES RAMONEURS.
[321] Le ramonage des cheminées, à Paris comme en province, est une industrie généralement entreprise par des ouvriers émigrants de l'Auvergne et de la Savoie. Ces derniers alimentent surtout hLyon, l'est et le midi de la France ; quant aux Auvergnats, ils exploitent principalement Paris et les départements du nord. Ils parcourent les villes pendant l'hiver et ils retournent dans leurs monagnes, au commencement de la belle saison, pour s'y livrer aux travaux de la culture.
Les brocanteurs et les ramoneurs ont la même origine ; ils passent volontiers de l'une à l'aure de ces deux professions, lorsqu'ils ne les exercent pas simultanément, ce qui arrive surtout au début de leur carrière (§ 12.)
On sait que les maîtres ramoneurs, hommes jeunes pour la plupart, sont toujours accompagnés d'enfants, dont quelques-uns ont à peine atteint leur sixième année. Ce sont ces enfants qui, dans l'opération pénible et souvent dangereuse du ramonage, occupent les postes les plus périlleux, montent dans les conduis les plus étroits, et pénetrent dans les coudes les plus obscurs. Il arrive souvent qu'aveuglés par la suie, manquant d'air au milieu de leur parcours, ils sont obligés de revenir à leur point de départ, et de recommencer plusieurs fois de suite un travail où ils exposentleur santé et leur vie. gents principaux et actifs du maître, ils sont aussi les auxiliaires les plus utiles à son industrie et la source de ses bénéfices.
Assez ordinairement, ce maître est le père ou le parent des enfants qui le servent (§ 12) ; souvent aussi ces derniers ont été loués au ramoneur, à son départ du pays, par leur famille, qui reçoit de celui-ci, à la fin de la campagne, un salaire déterminé à l'avance pour les services de l'enlfant.
Il y a une trentaine d'années, les petits ramoneurs étaient payés de 15fa20f pour une saison d'hiver. Aujourd'hui leur salaire a plus que doublé ; mais leur condition morale et matérielle ne s'est pas améliorée sensiblement.
Ce ne sont pas seulement leurs rudes travaux et le peu de bienêtre dont ils jouissent, mais surtout les mauvais traitements dont ils sont quelquefois victimes, la mendicité à laquelle ils sont fréquemment obligés par leurs maîtres, enfin le défaut complet d'é[322]ducation morale et d'instruction qui doivent attirer la commisération sur ces pauvres enfants.
Battus trop souvent sous le moindre prétexte et privés de nourriture, ils sont la plupart du temps après les travaux d'une pénible journée, ou aux époques de chômage. contraints par leur patron d'aller mendier sur la voie publique (§ 12) ; ils sont condamnés à rapporter au logis une some d'argent déterminée, sous peine des plus grossiers reproches et de voies de fait poussées quelquefois jusqu'aux limites d'une révoltante brutalité.
Ce trafic honteux a été à Paris, depuis quelques années, l'obje d'une surveillance sévère de la part de l'administration : aussi peut-on afirmer que dans la capitale cet abus a été, sinon complètement détruit, du moins beaucoup restreint. Mais dans les départements, il subsiste dans toute sa force, et dans les campagnes comme dans les petites villes, l'autorité est pour ainsi dire impuissante à le déraciner.
Les portes des églises, les promenades, les lieux publics, l'intétérieur des maisons, sont envahis par ces petits malheureux qui sollicitent avec d'autant plus d'insistance la charité privée, que le maître est plus sévère et plus exigeant envers eux.
La loi, il est vrai, punit de pareilles maneuvres ; mais ce qui en rend l'application difficile, c'est l'espèce de solidarité qui lie les enfants et le maître : ceux-là refusant de parler, ou s'attribuant une initiative dont on ne peut, à cause de leur âge, leur faire supporter les conséquences légales ; celui-ci dissimulant sous des apparences de bonne foi les manœuvres de sa coupable spéculation.
Cette communauté d'intérêts, cette sorte d'association morale, est encore un des traits qui caractérisent les habitants de l'Auvergne, portés à se grouper entre eux, à se prêter un appui réciproque, à ne jamais se nuire mutuellement. A Paris, les ramoneurs auvergnats sont réunis dans le quartier du Panthéon.
Les ramoneurs savoyards manifestent d'ailleurs les mêmes tendances. La statistique de l'abbé de Pontbriand, dressée en 1735, les montre groupés à Paris par évêché : ceux de l'évêché d'Annecy dans le faubourg Saint-Marceau ; ceux de l'évêché de Saint-Jeande-Maurienne dans le faubourg Saint-Laurent ; ceux de l'archevêché de Mouiers dans le Marais.
Les ramoneurs ne se groupent pas ainsi seulement par un instinct national, mais encore ain de profiter des avantages que procure l'existence en commun. Parqués dans des chambres infectes, où maîtres et ouvriers, hommes et enfants, couchaient pêle-mêle et prenaient ensemble leurs repas, ils vivaient, il y a peu d'années encore, jusqu'à 25 ou 30 dans une même pièce. On faisait chaque[323]jour une soupe immense, pour la préparation de laquelle chacun donnait quelques sous, et des bottes de paille étendues sur le plancher servaient de lit aux hôtes de ces logis malsains.
Cet état de choses s'est beaucoup amélioré par suite des travaux qui détruisent les qnartiers où se réfugiaient jadis les populations ouvrières de la ville, grâce à la vigilance des comités d'hygiène et à l'observation des règlements sur les logements insalubres. Cependant les ramoneurs continuent à vivre, autant qu'ils le peuvent, en communauté, et à repousser les goûts d'aisance et de bien-être qui pénètrent aujourd'hui au sein des classes laborieuses.
Le sort des ramoneurs s'est sans doute considérablement amélioré, et cependant on voyait, il y a peu de temps encore, des vil lages entiers cesser d'envoyer leurs enfants a Paris, après les avoir vus revenir malades, couverts de plaies et de vermine. En présence de ces faits, on peut se demander si l'Éta, dont l'action dans l'industrie privée doit être aussi restreinte que possible, ne ponrrait pas cependant intervenir utilement dans celle du ramonage, pour protéger les enfants contre des actes d'oppression et surtout pour empêcher le vagabondage et la mendicité auxquels les maîtres les obligent souvent.
Sans créer de loi nouvelle à cet effet, on pourrait demander aux lois existantes, et notamment à celle du 22 février 1851, relative aux contrats d'apprentissage, les moyens de réprimer ces abus. Cette loi ne reçoit, en ce qui concerne les ramoneurs aucune application.
Ceux-ci, en effet, lorsqu'ils se chargent au pays, en échange d'un salaire déterminé à l'avance, des enfants que les parents leur confient, ne signent aucun engagement écrit, aucun contrat. Les enfants sont plutôt loués comme domestiques qu'engagés comme apprentis.
Ce n'est qu'en réclamant pour eux cette dernière qualité, qui est bien en effet celle qui leur convient, que l'on pourrait obliger les patrons à se conformer aux dispositions de la loi de 1851.
Or, tout ce qui concerne l'apprentissage des ouvriers est réglé par cette loi. lle contient des dispositions de deux sortes. Les unes sont relatives à la forme, aux conditions, a l'exécution du contrat d'apprentissage, et attribuent la compétence, en cas de contestation, au tribunal de prud'hommes, ou à son défaut, à celui du juge de paix de canton prononçant civilement ; les autres sont des prescriptions ou des prohibitions d'ordre public, intéressant les bonnes mœurs, la santé, l'instruction, l'éducation professionnelle de l'apprenti3
[324] Les art. 8, 9 et 10 de cette loi paraissent inconnus aux maîtres ramoneurs. Ils n'ont d'autre frein à leur cupidité que leur moralité naturelle et la crainte de l'opinion de leurs compatriotes, soit à Paris, soit au pays. Ce sont surtout ces derniers moyens dont il faudrait augmenter la puissance par des influences morales exercées sur les parents des enfants et sur leurs patrons. lIci, comme en tout, l'initiative et la charité privée sont souvent plus puissantes que la loi et la réglementation administrative.
Il existe à Paris, depuis près de deux siècles, une euvre de petit ramoneurs4, dont les résultats sont un témoignage éclatant que l'aumône morale a une force et une fécondité qui n'appartiennent pas toujours à l'aumône purement matérielle. Cette œuvre a pour unique but de donner l'instruction religieuse aux petits ramoneurs, et spécialement de les préparer à la première communion. Il n'y a ni distribution de secours, ni engagements pour l'avenir ; les enfants sont seulement habillés des pieds à la tete le jour de leur première communion.
Fondée en 1664 par l'abbé Bénigne Joly, cette œuvre mourut avec lui. Elle fut rétablie en 1732 et dirigée pendant 32 ans par l'abbé de Pontbriand ; celui-ci en avait fort étendu les attributions; il était devenu l'apotre des Savoyards de tout âge en rési
parents ou ses représentants des fautes graves qu'il pourrait commettre ou des penchants vicieux qu'il pourrait manifester. — l doit aussi les prévenir sans retard en cas
de maladie, d'absence ou de tout fait de nature à nmotiver leur intervention. — 1l
n'emploiera l'apprenti, saui conventions contraires, qu'aux travaux et services qui se rattachent à l'exercice de la profession. Il ne l'emploierajamais à ceux qui seraient insalubres ou au-dessus de ses forces.[325]dence a Paris et il réunissait jusqu'à 700 enfants et 3,000 ouvriers dans des écoles fondées par lui. L'abbé de Fénelon lui succéda dignement. Traduit devant le tribunal révolutionnaire le 7 juillet 1794, il ne fut pas abandonné par ses enfants d'adoption. De temps en temps, sous les fenêtres de la prison, un petit ramoneur venait jouer sur sa vielle quelque air bien connu du bon prêtre. Les Savoyards firent plus : ils se présentèrent à la barre de la Convention pour réclamer la mise en liberté de leur bienfaiteur. Leur demande fut repoussée, et ils ne purent qu'accompagner courageusement jusqu'à l'échafaud l'abbé de Fénelon, suspect de la charité.
L'œuvre ne fut reprise qu'en 1816 par l'abbé Legris-Duval. Elle n'existerait plus aujourd'hui si elle n'avait été adoptée en 1854, à Paris, par des membres de la Société de Saint-Vincent-de-Paul; à Tours, par une dame charitable qui se charge seule de catéchiser les petits ramoneurs et de les habiller.
Aujourd'hui, comme en 1794, il y a chez ces enfants, chez leurs parents et même chez les patrons des sentiments de reconnaissance qui permettent à leurs bienfaiteurs d'exercer une influence salutaire sur leur bien-être physique et moral. Beaucoup de patrons deviennent meilleurs, et ceux-là mêmes qui résistent a l'action du sentiment religieux, se sentent surveillés par des tuteurs désintéressés dont ils craignent et respectent les conseils. Là est la source la plus certaine de l'amélioration du sort des petits ramoneurs. L'œuvre de l'abbé de Fénelon pourrait, si elle se généralisait et si elle voyait augmenter ses ressources, exercer sur ses enfants une tutelle plus efficace que celle de la loi.
(F) SUR LES RÈGLEMENTS DE POLICE AUXQUELS SONT ASSUETTIS LES BROCANTEURS, ET SUR LES MOTIFS QUI LES ONT FAIT ÉTABLIR.
Les marchands brocanteurs ambulants et en boutique paraissent exister depuis longtemps déjà à Paris. Ils y ont formé de bonne heure une corporation qui, sous le règne de Louis V, avait déjà une certaine importance. L'accroissement que prenait cette profession, exercée probablement à cette époque par des gens mal famés ou d'une moralité suspecte, inspirèrent au gouvernement l'idée de restreindre autant que possible les abus dont elle devenait la[326]source. C'est en effet vers le milieu du siècle dernier qu'apparaissent les premières traces des règlements appliqués depuis aux marchands brocanteurs.
Une déclaration du roi en date du 23 mars 1728, relative au commerce des armes secrètes, défend à tous individus, et notamment aux marchands brocanteurs, d'acheter, vendre ou échanger lesdites armes, qui dorénavant demeurent prohibées.
Cette ordonnance ne réglementa pas cependant d'une manière complète le commerce du brocantage qui continua à jouir, sous l'autorité du syndic de la corporation, d'une liberté relative que vint enchaîner plus tard, le 29 mars 1778, une ordonnance royale intitulée : Déclaration du oi portant réglement pour les /fripiers brocanteurs.
Cette ordonnance est le point de départ de la réglementation qui, sauf quelques modifications peu importantes, régit encore aujourd'hui à Paris la profession de brocanteur.
Voici quelles sont les principales dispositions de cette déclaration du roi :
Tous ceux ou celles qui voudront à l'avenir exercer la profession de fripier brocanteur, seront tenus de se faire préalablement inscrire tant sur les livres de la police, que sur ceux tenus par le syndic de ladite profession, à peine de confiscation de leurs marchandises et de dix livres d'amende.
Il sera délivré par le lieutenant général de police, à chacun d'eux, une plaque ou médaille en cuivre numérotée, duquel numéro nention sera faite dans les certificats d'enregistrement, laquelle médaille ils seront tenus de porter sur eux et en évidence.
« Les fripiers-brocanteurs pourront acheter et vendre librement dans les rues, halles et marchés, toutes sortes de marchandises, de friperies, meubles et ustensiles de hasard, qu'ils porteront sous leurs bras, sans qu'ils puissent les déposer ni étaler en place
Défendons pareillement auxdits fripiers-brocanteurs de tenir boutique, échoppe ou magasin des marchandises qu'ils ont la faculté d'acheter et revendre, ni même d'en faire commerce dans le lieu de leur domicile, ou ailleurs que dans les rues, halles et marchés ; leur permettons néanmoins de reporter chez eux les marchandises qu'ils n'auront pas pu vendre dans la journée, même de les raccommoder, sans toutefois pouvoir employer aucuns ouvriers ni compagnuons, autres que leurs femmes et enfants. n
Une ordonnance du 8 novembre 1780 complète ces dispositions. Voic ce qu'elle prescrit :
Faisons très-expresses prohibitions et défenses à tous mar-.[327]chands et artisans de cette ville et de ses faubourgs... d'acheter aucunes hardes, meubles, linges, livres, bijoux, plomb, vaisselle et autres choses des enfants de famille ou des domestiques, sans un consentement exprès et par écrit, de leurs père, mère, tuteur, maître ou maîtresse ; leur faisons semblables défenses d'en acheter d'aucunes personnes dont le nom et la demeure ne leur soient connus, ou qui ne leur donnent caution, sous peine de 400 livres d'amende.
Enjoignons aux marchands merciers, quincailliers, orfévres, joailliers, bijoutiers, horlogers, fripiers-brocanteurs, et à tous autres marchands et artisans qui achètent et revendent, changent et trafiquent de vieux meubles, linges, hardes, bijoux. vaisselle, tableaux, armes, plomb, étain, cuivre, ferraille, et autres effets et marchandises de hasard, d'avoir à tenir chacun deux registres sur lesquels ils inscriront les noms, prénoms et domicile des personnes de qui ils achèteront, sous peine de 400 livres d'amende.
S'appuyant sur ces deux règlements, et considérant que plusieurs dispositions concernant les brocanteurs ne sont pas exactement observées, et que d'autres ne sont pas en harmonie avec le principe de la liberté de l'industrie, consacré par la loi du 17 mars 1791, le préfet de police rendit, le 15 juin 1831, époque à laquelle le nombre des brocanteurs augmentait considérablement à Paris, l'ordonnance qui est actuellement en vigueur. Cet arrêté reproduit les principales dispositions des anciens règlements, e oblige le brocanteur :
1° A avoir un livre paraphé par l'autorité ; à y inscrire jour par jour, sans aucun blanc, rature, surcharge ni interligne, les noms, demeure, profession et qualité des personnes de qui il achète, avec indication du prix de tous les objets dont il fera l'acquisition ;
2° A se munir d'une patente ;
3° A ne point exercer dans Paris et la banlieue sans être pourvu d'un bulletin d'inscription à la préfecture de police ;
4° A porter, d'une manière apparente, une médaille délivrée par la même administration, et portant un numéro d'ordre ainsi que le nom du titulaire;
5° A ne point prêter, louer, vendre ou échanger ladite médaille, età la déposer à la préfecture de police en cas d'absence ou de renonciation ;
6° A n'acheter aucun objet, quel qu'il puisse être, des enfants ou des domestiques, à moins qu'ils ne soient autorisés par leurs père, mère, tuteur ou maître ; à n'acheter des soldats aucune arme ni aucun objet d'équipement militaire ;
[328] 7° A n'acheter, non plus que vendre ou échanger aucune arme en bon état, de quelque nature qu'elle soit ;
8° A n'exposer ni dêbiter aucune clef, vieille ou neuve, séparément de la serrure pour laquelle ladite clef aura été faite ;
9° A ne faire aucun étalage sur la voie publique et à ne s'y arrêter sous aucun prétexte, si ce n'est devant le marché de la rotonde du Temple, et ce, depuis onze heures du matin jusqu'à une heure seulement ;
10° A faire connaître à l'autorité tout changement de domi
11° A représenter le registre, la patente, la permission, et même les objets achetés ou échangés à toute réquisition de l'autorité.
Ces dispositions sont applicables à tous les brocanteurs ambulants et même en boutique. Ces derniers, toutefois, ne sont pas astreints à la médaille, à moins qu'ils n'exercent simultanément les deux industries.
Cette réglementation, déjà fort étendue, se complète par les lois du 28 mars 1793 et du 19 brumaire an v, le décret du 2 nivôse an xv, l'ordonnance royale du 24 juillet 1816, les ordonnances de police du 1eer aou 1820 et du 15 juin 1831, la loi du 24 mai 1834, l'ordonnance royale du 12 novembre 1835 et l'article 314 du Code pénal.
Les mesures restrictives de la liberté du commerce, en ce qui concerne la profession du brocanter, sont, on le voit, assez nombreuses. Or, il suffit de jeter un coup d'œil sur les pratiques de cette industrie, sur la manière dont elle s'exerce, sur les objets qu'elle embrasse, sur la moralité souvent douteuse des individus qui s'y adonnent, ou du moins qui peuvent facilement s'y adonner, pour comprendre les motifs qui l'ont fait soumettre, dans ses rapprts avec le public, sinon dans son exploitation, à une réglementation fixe, uniforme et sévère.
En effet, le brocanteur pratique le plus souvent son commerce en ville, à domicile, chez les particuliers ; il pénètre dans les maisons et, pour ainsi dire, au cœur des familles, surtout dans les classes pauvres de la société. Il exerce en quelque sorte une profession de confiauce dans laquelle il peut facilement abuser : de là l'idée de l'obliger à porter un signe extérieur de reconnaissance, la médaille.
En rapport constant avec des gens dont les moyens d'existence sont peu connus, le brocanteur pourrait, par l'appât d'un gain considérable et facile, devenir receleur. Le voleur lui-même pourrait se faire brocanteur. On a donc pensé qu'il y avait un immense intérêt à astreindre les individus de cette industrie à la tenue d'un[329]registre qui, représenté périodiument à l'autorité compétente et chaque fois que celle-ci le requiert, est un contrôle incessant de leurs opérations.
Ne pouvoir rien acheter d'enfants ou de domestiques sans le consentement de leurs parents ou maîtres ; ne pas vendre d'armes offensives ; ne pas exposer en vente des clefs séparées de leurs serrures, sont encore des prohibitions limitatives de l'industrie du brocanteur.
Enfin, les nécessités de la circulation à l'égard d'une profession qui est, en quelque sorte, en circulation permanente sur la voie publique, ont également conduit l'administration à prendre, dans ce sens, des précautions spéciales.
Au surplus., les condamnations que prononcent fréquemment les tribunaux attestent que toutes ces mesures ne sont pas inutiles.
part ces restrictions, le brocantage jouit de la liberté commerciale au même titre que les autres genres d'industrie, et chacun peut l'entreprendre en se conformant aux règles générales du commerce et a ses usages.
La réglementation dont on vient d'indiquer les dispositions principales, n'est applicable qu'à Paris eà sa banlieue.
En effet, l'ordonnance du 8 novembre 1780, qui enjoint la tenue du livre de police, dit expressément : a Faisons défense... à tous marchands et artisans de cette ville et de ses faubourgs... ; et la Cour de cassation a reconnu par différents arrêts, et notamment par un arrêt du5 juillet 1860, que l'autorité municipale n'a pas le droit d'imposer aux marchands brocanteurs l'obligation d'avoir un registre destiné à l'inscription de leurs achats. Elle peut seulement, en vertu de l'article 46 de la loi du 22 juillet 1791, rappeler les citoyens à l'observation des règlements anciens qui existent dans la localité.
Il ressort de ces faits que, dans les communes de l'empire où il n'y a pas d'anciens règlements à invoquer (et c'est la majorité), l'industrie du brocantage jouit d'une liberté complète ; et que, même là où d'anciens règlements existent, cette réglementation n'est pas pour la pénalité équivalente à celle de Paris. En effet, dans cette dernière ville, c'est devant la juridiction correctionnelle que sont portées les infractions à l'ordonnance du novembre 1780, tandis que dans les départements, les infractions de même nature ne sont passibles que des peines de simple police, par application de l'article 471 du Code pénal5.
[330] On peut se demander la aison de ce défaut d'uniformité dans la législation, puisque, dans certaines villes de province, le commerce du brocantage est relativement aussi important qu'il l'est à
Notes
1. Chineur est un terme de l'argot du brocantage. Ce mot, fort ancien dont on ignore l'étyimologie, s'applique surtout à ceux des brocanteurs qui achètent spécialement les os, les peaux, la ferraille et les chiffons.
2. Cette description ne sera bientôt plus que de l'histoire. La reconstruction du marché du Temple a été déclarée d'utililé publique par un décret du 14 août 1862, et les travaux, concédés à une CompaKuie, doivent être prochainement commencés. Le nom- bre des boutiques sera porté a 2,400, et la Compagnie en disposera à son gré, en se conformant à un tarif spécial et faisant approuver par le préfet de police le choix des locataires.
3. Art. 8. — Le maître doit se conduire envers l'apprenti en bon père de famille , urveiller sa conduite et ses mœurs, soit dans la maison, soit au dehors, et avertir ses parents ou ses repréeentants des fautes graves qu'il pourrait coinrneltre ou des pen- hants vicieux qu'il pourrait manifester. — 11 doit aussi les prévenir sans retard en cas de maladie, d'absence ou de tout fait de nature à motiver leur- intervention Il 'emploiera l'apprenti, sauf conventions contraires, qu'aux travaux et services qui se attachent à l'exercice de la prol'ession. Il ne l'emploierajamais à ceux qui seraient usaluljres ou au-dessus de ses forces.
Art. 9. — La durée du travail effectif des apprentis, âgés de moins de quatorze ans, e pourra dépasser dix heures par jour. — Pour les apprentis âgés de quatorze à seize ns, elle ue pourra dépasser douze heures. — Aucun travail de nuit ne peut être im- osé aux apprentis âgés de moins de seize aui. Est considéré comme travail de nuit out travail fait entre neuf heures du soir et cinq heures du matin. — Les dimanches t jours de fêtes reconnues ou légales, les apprentis, dans aucuu cas, ne peuvent être enus, vis-à-vis de leur maître, à aucun travail de leur profession. — Dans le cas où ';ipprenti serait oldigé, par suite des conventions ou conformément à l'usage, de ranger 'atelier aux jours ci-dessus marqués, ce travail ne pourra se prolcwger au delà de dix eures du matin. — Il ue pourra être dérogé aux dispositions contenues dans les trois remiers paragraphes du présent article que par un arrêté rendu par le préfet sur l'avis u maire.
Art. 10. — Si l'apprenti Agé de moins de seize ans ne savait pas lire, écrire et ompter, ou s'il n'a pas encore terminé sa première éducation religieuse, le maître st tenu de lui laisser prendre, sur la journée de travail, le temps et la liheité néces- aires pour son instruction. — Néanmoins, ce temps ne pourra excéder deux heures par our.
Art. 12. — Le maître doit enseigner à l'apprenti, progressivement et complètement, e métier ou la profession spéciale qui fiit l'objet du contrat. — Il lui délivrera, à la fin e l'apprentissage, un congé d'acquit ou ceitilicat constatant l'exéculiou du contrat.
4. Les détails qui suivent ont été communiqués à la Sociéte d'économie sociale, dans la séance du 1ef mars 1868, par M. Ad. Certes, inspecteur des fnances.
5. Art. 471. — Seront punis d'amende depuis un franc jusqu'à cinq francs inclusivement: 1° ... ; 15° ceux qui auront contrevenu aux règlements légalement faits par l'autorité administrative, et ceux qui ne se seront pas conformés aux règlements ou arrêtés publiés par l'autorité municipale.