No 33.

COMPOSITEUR-TYPOGRAPHE

DE PARIS

(SEINE — FRANCE)

Ouvrier-tâcheron dans le système des engagements momentanés)

D'APRÈS LES

RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN JUIN 1861

PAR

M. A. F. BADIER

ouvrier typographe



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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille

Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

§ 1eʳ. — État du sol, de l'industrie et de la population.

[241] La famille habite à Paris, sur la rive gauche de la Seine, la rue Neuve-Sainte-Geneviève, située entre le lycée Napoléon et le collège Rollin (5e arrondissement). La maison, exclusivement occupée par des ouvriers de divers états, est assez convenablement disposée; elle offre toutefois des inconvénients qui proviennent en grande partie des locataires: ainsi tous les objets d'un usage commun sont sales et mal entretenus. La famille vit dans ce logement depuis le mois de janvier 1861. Précédemment elle avait demeuré, pendant près de 20 ans, en face de la bibliothèque Sainte-Geneviève, dans une maison qu'elle regrette encore et qu'elle n'a quittée que parce qu'on a dû y faire des réparations importantes. Sortie de slà, elle est allée habiter une maison qui fut bientôt démolie, [242] dans un but d'utilité publique, pour le percement de la rue des Écoles.

L'ouvrier est occupé, depuis 34 ans, dans la même imprimerie, en qualité de compositeur-typographe. Cette profession comptait à Paris, en décembre 1860, de 3,000 à 3,500 ouvriers de diverses nations de l'Europe. Un tiers environ de ces ouvriers est souvent sans travail, et les trois quarts ne gagnent pas, en moyenne, plus de 3f par jour (A).

Cette famille, comparée à celle du compositeur-typographe de Bruxelles (No 14), offre des analogies et des contrastes qu'on signalera par des renvois spéciaux.

§ 2. — État civil de la famille.

L'ouvrier, marié d'abord en 1832, est devenu veuf en mars 1851; il s'est remarié au mois de septembre de la même année.

La famille comprend les deux époux et trois enfants, savoir:

1. Alexis-Félix B***, chef de famille, né à Tours (Indre-et-Loire)............ 55 ans

2. Catherine M***, sa seconde femme, née dans la conmmune de Saint-Julien, canton de Duras (Lot-et-Garonne)............ 44 [ans].

— Marie-Stéphanie-Rosalie-Alexandrine B***, fille du premier lit, née à Paris et mariée au dehors............ 25 [ans].

3. Marie-Amélie-Antoinette-Anna B***, fille du second lit, née à Paris............ 7 [ans].

4. Alfred-Emmanuel B***, fils du second lit, né à Pais............ 4 [ans].

Quatre enfants du premier lit sont venus mort-nés; un autre a vécu un mois. Sans ces circonstances, l'ouvrier aurait pu avoir un assez grand nombre d'enfants. Il eût différé, sous ce rapport comme sous d'autres, de la majorité de ses confrères, qui paraissent éviter, autant que possible, les charges d'une famille nombreuse (C).

La fille aînée de B*** est mariée depuis trois ans; elle habite avec son mari à Étampes (Seine-et-Oise).

Les deux époux n'ont plus ni père ni mère. L'ouvrier est le huitième enfant sur neuf que sa mère mit au monde; quatre de ses sœurs existent encore: deux sont veuves; les deux autres ont gardé le célibat.

La femme avait également quatre sœurs. Deux, dont l'une est morte à Amiens, étaient entrées en religion, dans deux communautés différentes; une troisième, mariée à Bordeaux, vient de succomber cette année; l'aînée, enfin, n'a jamais quitté son pays, où elle est restée veuve avec plusieurs enfants (§ 10).

§ 3. — Religion et habitudes morales.

[243] Nés de parents catholiques, les époux B*** tiennent à leur religion, sans observer rigoureusement les prescriptions du culte. L'ouvrier surtout n'a plus le zèle qu'une éducation religieuse lui avait donné dans sa jeunesse; cependant il lit encore assez souvent le livre des Saints Évangiles. Offrir à Dieu ses actions de grâce, faire honnêtement et consciencieusement son devoir, telle est sa règle de conduite. Il habitue ses jeunes enfants à faire leur prière, à respecter leurs parents et à leur obéir (No 14, § 3). Une cause qui, dit-il, l'empêche de se rendre à l'église, c'est l'impôt prélevé sur l'usage des chaises. Il trouve blessante et déplacée, dans un temple religieux, l'inégalité qui résulte de ce péage, et il ne veut pas s'y assujettir.

L'épouse a été élevée dans la pratique du culte catholique; mais les soins à donner à son ménage et à ses deux enfants, qu'elle a nourris, lui font négliger aujourd'hui ses devoirs religieux: elle ne va guère à la messe que les jours de grande fête. Elle élève d'ailleurs ses enfants avec l'amour et la sollicitude d'une bonne mère de fa

Les époux vivent en bonne intelligence et leurs enfants leur témoignent autant d'amitié à l'un qu'à l'autre. B** paraît d'ailleurs conserver avec soin les affections de famille. Il ne parle jamais de ses vieux parents qu'en exprimant le regret de les avoir perdus; il ne peut contenir son émotion, quand on lui rappelle sa première femme1. Malgré sa position précaire, il accorde chaque année quelques secours à des parents peu aisés (D. 4e Son).

Cette vertu de charité est très-prononcée chez l'ouvrier. Dans son atelier, il prend souvent l'initiative de souscriptions en faveur d'ouvriers typographes malheureux ou des veuves qu'ils laissent dans le besoin. Il s'inscrit toujours sur les listes, et dépense ainsi 24f chaque année. En 1849, une circonstance fortuite manifesta ces sentiments charitables chez l'ouvrier ainsi que chez ses camarades d'atelier (C). Un jeune garçon de 11 ans se présenta un jour à la porte de l'imprimerie, exténué de fatigue et de faim; les carrières des environs de Paris étaient son lieu de refuge depuis plus d'une semaine. Émus de pitié, les ouvriers de la maison firent entre eux une collecte pour habiller l'enfant et pour le nourrir pendant quelques jours. B*** offrit aussitôt pour lui servir de père. Il [244] l'emmena à son domicile, où il l'entretint pendant plus de trois mois avec le concours d'une loge maçonnique, qui voulut le seconder dans cet acte d'humanité. Il le plaça ensuite chez un ébéniste en cadres, dont il voulait lui faire apprendre l'état, et que l'enfant quitta quelque temps après, au grand regret de l'ouvrier, pour retourner à Lyon dans sa famille.

B** a une grande politesse, due sans doute à l'éducation qu'il a reçue, et parait d'un caractère très-facile et très-doux. Quelquefois cependant il s'abandonne à la colère, mais il ne garde pas de rancune contre ceux qui ont blessé sa suscepibilité (No 14, § 3). Sa femme est vive et prompte à s'emporter sur le plus petit sujet qui aura pu froisser son amour-propre. B*** se reconnaît le défaut d'être trop expansif avec des personnes dont il ne connaît pas assez le caractère: aussi ses confrères l'ont-ils plus d'une fois puni de ses confidences par leurs railleries.

B** témoigne beaucoup de déférence et d'attachement pour son patron, dont il a reçu, comme marque de satisfaction, une médaille d'argent avec cet exergue: À M. B**Souvenir de bons et anciens services — 1861.

Il est le doyen des ouvriers de la maison, dans laquelle il travaille depuis 4 ans, et ses chefs reconnaissent qu'ils n'ont jamais eu qu'à se louer de lui. Il est resté étranger aux troubles survenus récemment entre les imprimeurs et les ouvriers typographes. Il a été un des trois délégués que ses camarades d'atelier ont envoyés auprès de leur patron commun, qui lui ont exposé avec convenance l'objet de leur mission en s'en rapportant à son équité, et qui ont vu leurs démarches couronnées de succès (No 14, § 3).

Au point de vue des institutions sociales, B** manifeste un esprit de sage conservation. Il n'a pris part aux événements politiques que pour assurer le maintien de l'ordre et de la tranquillité publique (§ 12).

On remarque chez l'ouvrier une grande disposition à la propreté dans l'habitation et dans les vêtements (§ 10). Il est en outre d'une grande tempérance, ne s'adonne pas à la boisson, et n'a jamais mérité le reproche d'ivrognerie, qui, suivant lui, est adressé à tort aux ouvriers typographes, chez lesquels ce défaut n'est pas plus prononcé que chez les ouvriers d'autres professions. B** a de véritables tendances à l'épargne, assez rares dans la corporation dont il fait partie (C); mais il rencontre des obstacles très-réels dans son faible salaire et dans les charges qu'il supporte (§ 13).

L'ouvrier, qui se destinait aux ordres religieux (§ 12), a reçu une instruction assez complète. Il a appris le latin et le grec, et achevé ses classes de littérature; il écrit passablement, et les défauts de [245] son style ne proviennent que du manque d'habitude. Sa femme, au contraire, était complètement illettrée; mais B*** est parvenu, à force de patience, à lui apprendre à lire dans les livres des enfants et à lui faire reproduire les lettres de l'alphabet (No 14, § 3).

La petite fille, âgée de 7 ans, suit l'école d'enseignement mutuel du cinquième arrondissement; elle lit déjà couramment, commence à écrire, et se sert de l'aiguille avec adresse. Chaque soir et dans la journée du dimanche, le père lui donne des leçons. Il se propose de lui enseigner prochainement l'histoire et la géographie, et rédige dans ce but un petit cours d'histoire de France, qu'il lui fera copier. Appréciant les bienfaits de l'instruction, il ne veut rien négliger pour les faire acquérir à ses enfants.

§ 4. — Hygiène et service de santé.

L'ouvrier est d'une taille moyenne (1m68), d'une force ordinaire et d'un tempérament sanguin. Il n'a jamais fait d'excès et jouit d'une parfaite santé. Sobre par devoir autant que par goût, il s'applique à ne pas déranger son estomac. Dans son enfance, il eut une altercation avec un de ses camarades; des insultes on en vint aux coups, et en se débattant, B*** se heurta l'oreille droite contre le piquet d'une palissade de jardin; il se forma dans la partie meurtrie un dépôt, qui occasionna le rétrécissement du canal auditif et une lésion du tympan; B*** devint sourd. Son père fit pour sa guérison de grands sacrifices d'argent qui restèrent sans résultat. Vers la même époque, B*** fut victime d'un autre accident. Un jour, comme il voulait soulever un poids trop grand pour ses forces, une hernie se déclara dans l'aine droite; elle fut traitée avec succès; mais depuis ce moment B*** n'a jamais quitté le bandage. Malgré cette seconde infirmité, il peut soulever des fardeaux assez lourds dont sa profession exige parfois le maniement.

L'ouvrier n'a jamais eu, grâce à son bon tempérament, de graves maladies. Il cherche d'ailleurs à les prévenir par une bonne hygiène, et il en conjure les effets, quand elles se font craindre, par le repos et par des soins particuliers. Son logement est toujours propre et bien aéré; il évite avec attention les refroidissements. En cas d'indisposition, il fait usage de quelques médicaments simples, tels que: la mauve, les quatre fleurs, le bouillon blanc, le coquelicot, la feuille d'oranger, la graine de lin, la farine de moutarde, etc. Ces médicaments sont rangés dans une petite boîte, que l'ouvrier ne laisse jamais vide.

C'est surtout sur sa famille que B*** exerce la plus active surveillance. [246] Il fait porter des bas de laine à ses enfants jusqu'à la fin du printemps. Lorsque des symptômes de refroidissement se présentent, il les combat par de petits sinapismes appliqués aux jambes. Si une toux sèche et opiniâtre vient à les fatiguer, B*** fait tiédir un peu d'eau-de-vie, en verse quelques gouttes dans le creux de la main, frotte la poitrine du malade jusqu'à ce qu'une chaleur douce se produise à la peau, et opère la même friction le long de la colonne vertébrale et entre les épaules. Ce remède est toujours efficace. B*** fait généralement prendre une fois par semaine en été, une fois par mois en hiver, des bains à ses enfants. Le médecin n'est appelé que dans les cas graves, et il n'a jamais désapprouvé les premiers soins donnés par le père.

Sa femme, de petite taille (1m46), jouit d'une très-bonne santé. À part ses couches, elle n'a jamais fait une seule maladie. Ses cheveux sont châtains; son visage a perdu de sa fraîcheur, mais il est encore agréable et rempli de finesse. La fatigue du travail a fait apparaître quelques rides le long de ses joues. Catherine M* mariée à 35 ans, a eu trois couches en huit ans. La première fut pénible et dangereuse; la mère souffrit pendant cinq jours de douleurs mortelles, et l'enfant vint mort-né. Les deux autres couches ont été très-faciles, et ensemble elles n'ont pas retenu Catherine au lit pendant plus d'une semaine.

Les enfants sont nés très-petits; pendant quelques jours ils ont inspiré des inquiétudes: mais, gr̂ce aux soins affectueux de leur mère, qui les a allaités pendant deux ans et demi, ils ont pris des forces et de la santé. La petite fille, quoique mignonne, est bien portante. Le petit garçon a eu une dentition très-difficile; une maladie sérieuse a presque toujours accompagné chez lui le percement d'une dent. Il a eu à surmonter successivement une inflammation d'intestins, une angine, le coup et une fièvre cérébrale.

Les charges de ces maladies ont été supportées par la famille. La première couche, opérée avec l'assistance de deux médecins, a coûté 50f d'honoraires. Les deux autres ont coûté 30f chacune. Les soins donnés aux enfants par le docteur, depuis le commencement de l'année 1857 jusqu'à la fin de l'année 1860, ont coûté la somme de 200f, a 2f par visite, et ils ont exigé 80f de médicaments (N 14, § 4).

§ 5. — Rang de la famille.

L'honnêteté et la conduite régulière de l'ouvrier lui ont acquis la bonne réputation dont il jouit. Malgré ses qualités morales et malgré ses connaissances littéraires, il n'a pu s'élever, dans la [247] hiérarchie typographique, au-dessus du rang de compositeur. La cause en est attribuée par lui et par son patron a la surdité partielle, qui rend difficiles ses communications avec les auteurs et l'empêche d'être employé à la correction des épreuves. Après avoir passé quelque temps dans cette dernière fonction, il a repris de lui-même sa première condition de paquetier (B), qu'il n'a plus abandonnée depuis 1848.

Dans l'imprimerie, les habiles compositeurs peuvent lever dix mille lettres par jour. B***, qui a commencé tard son apprentissage (§ 12), n'a pu acquérir cette agilité des doigts à laquelle un jeune homme arrive aisément: aussi doit-il se contenter d'un gain assez modique. D'un autre côté, son instruction ne lui a pas beaucoup servi; la connaissance du grec et du latin, d'une si grande ressource pour les correcteurs d'épreuves, ne lui a été de quelque utilité qu'à de rares intervalles.

Aujourd'hui l'ouvrier ne peut songer en aucune manière à s'élever dans son état; il exprime seulement le regret de l'avoir embrassé.

Moyens d'existence de la famille

§ 6. — Propriétés.

(Mobilier et vêtements non compris.)

Immeubles............ 0f00

La famille n'en possède aucun.

Argent............ 3,662f00

1e Sommes placées sous le nom de la femme: rente annuelle de 119f00 en fonds français 4 1/2 p. 100 (évaluée au cours de 102f55), 2,712f00; — fonds placés à la caisse d'épargne, 900f00.

2e Argent conservé dans le ménage pour les besoins extraordinaires: 50f00.

Matériel spécial des travaux et industries.

1o Outils de compositeur. — 3 composteurs de fer, 8f50; — 1 composteur de bois, 0f25; — 1 paire de pinces, 0f50; — 2 pointes, 0f20; — 1 paire de ciseaux, 0f50; — 1 manuel de Typographie de Brun, 5f00; — 1 boîte pour renfermer les outils, 0f60; — 1 tabouret, 2f00; — 1 coussin en tapisserie, 3f50. —Total, 21f05.

[248] 2o Outils servant aux réparations du mobilier. — 2 marteaux de fer, 9f50; — 1 merlin, 2f00; — 1 ciseau, 0f75; — 1 lime, 0f75; — un tourne-vis, 0f50; — 1 râpe, 0f75; — 2 limes triangulaires, 1f20; — 3 coins de fer, 1f00; — 1 rabot, 0f75: — 1 scie, 3f00; — 2 compas, 1f00; — 1 couteau à petits ouvrages, 2f00; — 2 paires de tenailles, 1f50; — 1 boîte de clous assortis, 1f50; — 1 mètre, 0f10. — Total, 20f30.

3o Ustensiles pour le blanchissage du linge de la famille. — 1 brosse de chiendent, 0f30; — 1 battoir, 0f50; — 1 planche à repasser le linge, 1f50; — 3 fers à repasser, 3f00; — 1 fer à tuyauter, 0f40; — 1 poêle de fonte, 13f50. — Total, 19f20.

4o Ustensiles pour la confection et l'entretien des vêtements. — 1 paire de ciseaux de cordonnier, 5f00; — 1 tranchet de cordonnier, 1f00; — 10 aiguilles à tricoter, 1f00; — 1 dé à coudre, 0f10. — Total, 7f10.

Valeur totale des propriétés............ 3,729f65

§ 7. — Subventions.

L'ouvrier ne reçoit aucune subvention de son patron. Jadis dans chaque imprimerie il était réservé quelques exemplaires de chaque ouvrage sortant des presses de l'établissement; ces exemplaires, qu'on appelait copies de chapelle, étaient à la fin de l'année vendus au profit des ouvriers. Mais cet usage a aujourd'hui complètement disparu.

L femme de l'ouvrier reçoit d'une dame âgée dont elle fait le ménage. et à qui elle rend quelques services gratuits, certaines subventions: ainsi on lui donne quelquefois deux litres de vin, d'autres fois son dîner qu'elle emporte chez elle et qui suffit au repas de toute la famille. On peut estimer la valeur totale de ces subventions à 35f par an.

D'autre part, les tantes et la marraine du petit garçon donnent, chaque année, à la mère des étoffes et des vêtements neufs pour les enfants; la valeur de ces dons peut être estimée à 30f. En outre, la petite fille reçoit de son oncle de Bordeaux et de son parrain de Paris des cadeaux qu'on peut évaluer à 13f.

Enfin, on doit compter, comme subvention, l'instruction gratuite donnée à la petite fille de 7 ans, dans une école du cinquième arrondissement. Cette subvention peut-être évaluée à 80f par an, y compris les livres, les plumes et l'encre fournis par l'administration municipale. Le garçon est encore trop jeune pour profiter des mêmes avantages.

§ 8. — Travaux et industries.

[249] Travaux de l'ouvrier. — L'ouvrier travaille à la tâche, comme compositeur typographe, dans un atelier. Ce travail est payé d'après un tarif qui est le même pour la plupart des compositeurs de Paris. B*** a eu beaucoup de peine à vaincre l'habitude, contractée pendant son enfance, de se servir de la main gauche de préférence à la droite (B). Cette habitude est peut-être aujourd'hui une cause du peu d'agilité qu'il a acquise à lerer la lettre. Le salaire de ses journées, variable en raison du travail qui lui échoit, peut être fixé en moyenne à 3f45.

L'ouvrier, qui n'aime pas à rester dans l'inaction, se livre chez lui à quelques travaux domestiques. La réparation du mobilier, l'encadrement de gravures, le vernissage de ses meubles, occupent utilement ses veillées.

Travaux de la femme. Dans les premières années de son mariage, la femme exerçait le métier de bordeuse de souliers, qu'une de ses amies lui avait appris. Ce travail lui rapportait 1f50 à 1f75 par jour, mais elle dut l'abandonner quand elle devint mère pour la première fois. Aujourd'hui, en dehors des heures consacrées à la promenade et aux récréations des enfants, elle s'occupe de l'entretien et de la confection de leurs vêtements, et du blanchissage du linge de la famille. Elle fait en outre le ménage d'une dame âgée, dont elle soigne également le linge. Ce travail lui rapporte 10f par mois.

III. Mode d'existence de la famille

§ 9. — Aliments et repas.

Le régime alimentaire est soumis aux règles d'une stricte économie; l'ouvrier n'a aucune propension pour la bonne chère ni pour la boisson (C).

La famille fait régulièrement trois repas par jour:

1o À huit heures, le déjeuner: la femme et les enfants prennent du lait légèrement coloré avec du café. Autrefois, l'ouvrier se contentait le matin, avant de partir pour l'atelier, de la même nourriture, mais il a trouvé qu'elle ne le soutenait pas assez, et il l'a [250] remplacée soit par de la soupe, soit par un morceau de fromage ou de viande froide; il boit en outre un verre de vin.

2o À midi, le dîner: la femme et les enfants prennent chez eux un repas composé d'un peu de viande avec du fromage ou des confitures. Le père emporte ce repas à l'atelier, avec un flacon de vin.

3o Le soir, à sept heures et demie ou huit heures, le souper: la famille réunie prend joyeusement un repas composé de pot-au-feu (No 1), d'un morceau de bœuf et d'un dessert; quand le souper est maigre on a du poisson, ou bien des œufs, ou bien encore du foie sauté, et un plat de dessert variable suivant la saison. Le dimanche, on ajoute au repas du soir de la salade et quelque friandise préparée par la mère.

La famille ne consomme que 3l de vin par semaine; pendant l'été, elle coupe ce vin avec de l'eau de houblon. B*** boit fort peu d'eau-de-vie, il en achète seulement pour 1f50 par an et il en emploie la majeure partie comme médicament pour guérir les enfants de leurs rhumes (§ 4). Pour les besoins de la cuisine, la femme achète à la halle environ 40k de panne de porc qu'elle fond, et dont elle conserve la graisse dans des pots; le beurre est rarement employé dans le ménage. En résumé, la famille s'impose la plus grande sobriété, pour ne pas dépasser les ressources de son budget, et ne pas entamer le capital épargné.

§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.

Le logement occupé par l'ouvrier, au deuxième étage d'une maison de la rue Neuve-Sainte-Geneviève (§ 1), se compose d'une chambre servant de cuisine et d'un cabinet, pour lesquels il paye 190f00 de loyer. Ces deux pièces, éclairées chacune par une fenêtre, sont convenablement aérées; la vue s'étend sur de vastes jardins. Malheureusement un brocanteur, qui occupe la boutique du rez-de-chaussée, entasse dans une cave de la maison des os et des chiffons, d'où s'exhalent des miasmes peu salubres. Ce logement n'a qu'une superficie de 25mq12. Il est si exigu que l'ouvrier a dû faire dans le cabinet, à 2m15 au-dessus du sol, une espèce de soupente pour y placer quelques meubles qui ne sont pas d'un usage journalier. Les dimensions de cet appartement contrastent avec l'étendue de celui du compositeur de Bruxelles, qui occupe avec sa famille une petite maison avec cour, dont la superficie totale est de 84mq.

Meubles: d'un style ancien, mais fort propres, quoique achetés depuis 18 ans............ 1,029f55

[251] 1o Lits. — 1 lit pour les époux: 1 bois de lit de noyer, 70f00; — 2 matelas de laine, 75f00; — 1 lit de plumes, 67f00; — 1 traversin de plumes, 15f00; — 2 oreillers de plumes, 15f50; — 3 couvertures de laine, 30f00; — 4 taies d'oreiller de calicot, 9f50; — 2 paires de rideaux de calicot, 12f80; — 1 couvre-pieds brodé au crochet par la fille aînée, 35f00. — Total, 329f80.

1 Lit pour la petite fille: 1 lit de fer, 15f00; — 1 matelas de laine, 35f00; — 2 couvertures de laine, 18f00; — 1 paillasse remplie de paille de seigle, 3f50; — 1 traversin, 4f00; — 1 oreiller de fougère, 4f00; — 1 couvre-pieds broché à la mécanique, 6f00. — Total, 85f50.

1 Lit pour le petit garçon: 1 lit de merisier, 6f00; 1 paillasse de paille de maïs, 3f00; — 1 matelas de balle d'avoine et de fougère, 2f50; — 1 couverture de laine, 5f00; — 1 oreiller et un traversin de fougère, 4f00; — 1 couvre-pieds ouaté, 4f50. — Total, 25f00.

1 lit de sangle, 4f00.

2o Meubles de la chambre à coucher et du cabinet: 1 armoire de noyer, 90f00; — 1 table de nuit de noyer, 20f00; — 1 commode de noyer avec dessus de marbre, 70f00; — 1 table ronde de dix couverts avec sa toile cirée, 30f00; — 1 table à ouvrage de noyer, 25f00; — 6 chaises de noyer à siège de paille, 45f00; — 6 chaises de merisier, 36f00; — 1 glace, 25f00; — 1 petite pendule de cuivre doré, 25f00; — 2 flambeaux de cuivre argenté, 7f00; — 2 vases de porcelaine avec fleurs et cylindre, 35f50; — 1 corbeille de porcelaine avec cylindre, 7f00; — 2 vases à fleurs donnés en cadeau, 10f00; — 6 tasses de porcelaine dorée, 18f00. — Total, 443f50.

3o Objets relatifs au culte domestique. — 13 gravures et lithographies encadrées, représentant des sujets religieux, 80f00.

4o Livres. — Une quinzaine d'ouvrages reliés ou brochés, tous achetés par l'ouvrier, savoir: Dictionnaire de Vailly, 3f50; — les saints Évangiles de Lamennais, 4f50; — la vie de N.S. Jésus-Christ, par l'abbé Vortot, 3f00; — les Martyrs, par Chateaubriand, 4f50; — histoire de la Vierge, par l'abbé Orsini, 9f50; — Enseignement élémentaire universel, 10f00; — 1 vol. du Magasin pittoresque, 8f00; — les derniers jours de Pompéi, 2f00; — Pensées de Cicéron, traduites en français, 1f25; — 3 volumes de l'histoire de France, par Henri Martin, 15f00; — plusieurs petits ouvrages à l'usage des enfants, la Journée du chrétien, 1 paroissien, etc., 6f50. — Total, 61f75.

Ustensiles............ 134f10

1o Dépendant de la cheminée et du poêle. — 1 pelle à feu, 1 paire de pincettes, 1 trépied, 1 paire de chenets, 1 fourneau de tôle, 16f00.

2o Employés pour la préparation et la consommation des aliments. — 1 marmite de fonte, 4f50; — 2 cocotes de fonte, 4f00; — 2 casseroles de fer battu, 3f50; — 1 bouillotte, 4f00; — 1 filtre à café, 1f50; — 1 plat de fer battu, 1f25; — 1 passoire de fer-blanc, 0f75; — 1 écumoire et 1 cuillère de fer battu, 1f50; — 2 boîtes à lait de fer-blanc, 2f25; — 1 sceau de zinc, 1f50; — 1 fontaine à filtre, 15f00; — 1 plat de terre cuite, 0f60; — 6 assiettes de faïence, 0f90; — 12 assiettes de porcelaine, 4f50; 1 cruche de grès, 0f75; — 6 tusses à café de porcelaine, 4f50; — 6 verres de cristal, 7f00; — 1 saladier de porcelaine, 2f00; — 2 salières de verre, 0f75; — 1 boîte de fer-flanc pour emporter le repas de l'ouvrier, 0f75; — 6 couteaux de table et un couteau à découper, 4f50; — 10 cuillères d'étain, 2 cuillères de fer et 12 fourchettes de fer, 6f00; — 1 couvert argenté (reçu en cadeau), 6f00; — 6 cuillères à café argentées, 6f00; — 1 pot au lait de faïence dorée, 1f00; — 1 moulin à café, 2f00; — Total, 87f00

3o Employés pour les soins de propreté. — 1 miroir à barbe, 0f75; — 3 rasoirs, 4f00; — 1 cuvette, 0f75; — peignes et brosses, 5f75; — 1 baignoire de zinc pour les enfants, 10f00. — Total: 21f25.

4o Employés pour usages divers. — 1 lampe à main, 2 00; — 2 chandeliers de cuivre, 2f10; — 4 paire de mouchettes, 0f76; — 1 balai de crin, 3f50; — 1 plumeau, 1f50. — Total, 9f85.

[252] Linge de ménage............ 156f50

8 draps de lit (4 de toile et 4 de coton), 90f00; — 10 draps d'enfants, 22f50; — 12 serviettes de table, 14f50; — 1 grande nappe, 6f00; — 2 paires de petits rideaux de fenêtre de mousseline brochée, 4f50; — 2 grands rideaux de fenêtre de calicot, 10f00; — 6 torchons de toile, 4f50; — 4 serviettes de toilette, 4f50. — Total, 156f50.

Vêtements, simples pour les jours de semaine, assez recherchés pour les jours fériés............ 1,122f15

Vêtements de l'ouvrier. — 467f25.

1o Vêtements du dimanche. — 1 paletot d'hiver de drap noir, 45f00; — 1 redingote noire, 40f00 — 1 paletot d'été, étoffe dite d'Orléans, 18f00; — 1 gilet de piqué à carreaux, 14f00; — 1 autre gilet de poil de chèvre, 12f00 — 1 gilet de drap noir, 20f00; — 1 pantalon noir, 25f00; — 1 pantalon de coutil croisé, 12f00; — 1 cache-nez de laine, 5f00; — 2 cravates de soie noire, 10f50; — 1 chapeau de soie noire, 10f00; — 1 paire de souliers, dits napolitains, 12f00; — 1 canne de jonc provenant de l'héritage d'un parent, 12f00. — Total, 235f50.

2o Vêtements de travail. — 1 gros paletot, 30f00; — 1 redingote de drap bleu, 35f00; — 2 pantalons de drap, 32f00; — 2 blouses de coton, 6f50; — 12 chemises de toile de coton, 60f00; — 2 gilets dont un de flanelle, 10f00; — 2 gilets de tricot, 6f00; — 2 caleçons de tricot de coton, 6f00; — 6 mouchoirs de fil, de couleur, 6f00; — 6 mouchoirs de coton, de couleur, 3f50; — 2 paires de bas de laine, 5f00; — 6 paires de chaussettes de coton, 4f50; — 4 paires de chaussettes de laine, 6f00; — 1 paire de chaussons, 1f25; — 4 cravates de coton, 2f00; — 1 chapeau de feutre gris, 10f00; — 1 paire de galoches, 3f50; — 1 paie de souliers raccommodés, 4f50. — Total, 231f75.

Vêtements de la femme. — 430f75.

1o Vêtements des jours de fête. — 1 robe noire de satin de laine, 25f00; — 1 robe gris perle, dite Orléans, 20f00; — 1 autre robe de même étoffe, foncée, ayant servi de robe de noces, 35f00; — 1 châle tapis broché, 48f00; — 1 châle d'été, 11f00; — 1 mantelet de soie noire (reçu en cadeau), 18f00; — 6 jupons blancs, 24f00; — 1 crinoline, 3f50; — 2 mouchoirs brodés, 6f00; — 6 paires de bas blancs, 7f50; — 3 cols brodés, 9f00; — 3 paires de gants, 3f75; — 1 chapeau de castor, 15f00; — 1 chapeau de paille, 10f00; — 1 paire de bottines, 10f00. — Total, 245f75.

2o Vêtements de travail. — 2 robes de couleurs foncées, 8f50; — 1 robe de mousseline de laine, 12f00; — 1 châle tapis, 18f00; — 1 corset, 10f00; — 6 chaises de toile de coton, 22f00; — 12 mouchoirs de poche blancs, de fil, 12f00; — 4 jupons provenant de vieilles robes, 6f00; — 2 gilets de tricot de coton, 4f00; — 3 camisoles, 9f00; — 4 tabliers de coton, 8f00; — 4 bonnets de nuit, 3f00; — 3 bonnets, 9f00; — 1 bonnet brodé, 5f00; — 3 paires de bas de laine, 9f00; — 3 mouchoirs de couleur pour le cou, 4f50; — 1 paire de souliers, 5f00. — Total, 145f00.

3o Bijoux. — 1 paire de boucles d'oreilles d'or, 18f00; — 1 petite broche-médaillon d'or, 10f00; — 2 bagues d'or, 12f00. — Tota1, 40f00.

Vêtements des enfants (G). — 224f45.

1o Vêtements de la petite fille. — 3 robes de laine, 25f00; — 5 robes d'été, 20f00; — 1 manteau, 10f00; — 2 châles, 7f50; — 2 pélerines, 5f00; — 8 chemises, 12f50; — 2 mouchoirs brodés, 3f00; — 4 autres mouchoirs, 2f00; — 5 jupons, 7f00; — 2 jupons de tricot de coton, 4f00; — 3 pantalons, 3f00; — 1 pantalon brodé, 3f00; — 3 paires de bas de laine, 2f50; — 4 paires de bas de coton, 5f00; — 1 paire de guêtres, [253] 4f50; — 4 tabliers, 6f00; — 2 pointes, 4f00; — 1 paire de gants, 1f00; — 1 chapeau de soie noire, 5f00; — 1 chapeau de paille, 3f50; — 1 capeline de tricot de laine, 3f00; — 2 paires de bottines, 6f00. — Total, 142f50.

2o Bijoux. — 1 paire de boucles d'oreilles, 7f00; — quelques médailles et 1 petite croix d'argent, 5f50. — Total, 12f50.

3o Vêtements du petit garçon. — 3 blouses de laine, 9f00; — 1 par-dessus gris en laine pour le dimanche, 10f00; — 1 autre par-dessus, 5f00; — 3 pantalons, 5f25,; — 4 chemises, 8f35; — 4 mouchoirs, 2f00; — 3 jupons, 1f00; — 4 tabliers, 5f00; — 2 paires de bas de laine, 2f10; — 4 paires de bas de coton, 5f00; — 3 collerettes de mousseline, 1f50; — 3 bonnets de nuit, 1f50; — 3 bonnets blancs, 2f25; — 1 capeline de tricot de laine, 3f00; — 1 casquette de paille, 1f50; — 1 casquette de cuir, 2f00; — 2 paires de bottines, 5f00. — Total, 69f45.

Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 2,442f60

§ 11. — Récréations.

Les principales récréations de l'ouvrier sont celles qu'il prend avec sa famille. Il se prête aux jeux de ses enfants qui lui donnent, de leur côté, les marques d'une tendre affection. Le dimanche, surtout en hiver, ils vont tous ensemble se promener dans les jardins publics: le Luxembourg, les Champs-Élysée, le Jardin des Plantes. Au printemps et à l'automne, ils vont dans les champs, et l'été dans les bois (Ne 14, § 11). Ces courses se font généralement à pied, à moins que le but ne soit trop éloigné. Quand, dans les chaudes journées de juin, ils vont chercher la fraîcheur dans les bois de Vincennes, de Clamart ou de Meudon, ils prennent le chemin de fer. Dans ces excursions, jamais ils ne mangent chez le traiteur: la mère emporte ce qui est strictement nécessaire pour le goûter. On ne se met pas en route sans avoir préparé à l'avance le repas du soir. Au retour, on retrouve la soupe et les autres mets chauds encore, parce qu'on a eu le soin de les envelopper dans une couverture, et de placer le tout entre deux oreillers.

Au commencement de son premier mariage, l'ouvrier se livrait, avec ses camarades, à toutes les joyeuses distractions de la corporation des typographes (No 14, § 11); il se rendait particulièrement aux banquets et aux assemblées (H). Il a cessé de prendre part à ces plaisirs vers l'année 1848; il ne va plus qu'au banquet offert annuellement à son patron, pour célébrer l'anniversaire du jour où il reçut la croix de la Légion d'honneur. Les frais de ce repas s'élèvent à 10f; ils sont payés par une cotisation volontaire versée régulièrement dans l'atelier sur les salaires de la quinzaine. Le soir du même jour, B*** passe la soirée avec sa famille au théâtre du Montparnasse, où tout le personnel de l'établissement est invité par le patron.

La famille va encore une fois par an au théâtre Saint-Marcel, [254] quand on joue au profit d'un ouvrier typographe malheureux; elle fait dans ce cas une dépense de 3f00, plutôt pour accomplir un acte de charité que pour se procurer un plaisir. L'ouvrier d'ailleurs y trouve plus de fatigue que d'agrément, à cause de sa surdité. Durant les longues soirées d'hiver, le frère de la première femme de l'ouvrier vient avec sa famille passer quelques heures avec B*** et les siens. Ces réunions sont, pour les parents, l'occasion de causeries intimes, tandis que les enfants s'abandonnent ensemble à la gaieté de leur âge.

Histoire de la famille

§ 12. — Phases principales de l'existence.

Le père et l'aïeul de l'ouvrier étaient cordonniers et établis dans la ville de Tours (Indre-et-Loire), où ils jouissaient d'une bonne réputation d'honneur et de probité. En 1793, le père de l'ouvrier fut traduit devant le tribunal révolutionnaire pour avoir donné asile à deux prêtres non assermentés, et avoir facilité leur fuite. Il paya d'audace, confondit ses dénonciateurs, et fut acquitté. Plus tard, malgré sa position d'homme marié, il fut enrôlé dans la garde nationale pour marcher contre les Vendéens. Fait prisonnier et blessé à l'affaire de Thouars, il ne dut la vie qu'à la grâce demandée et obtenue par Bonchamp, sur son lit de mort, pour ses compagnons d'armes.

La mère de l'ouvrier, issue d'une famille noble par alliance, perdit ses parents et sa fortune à la chute de la royauté; dénuée de ressources, elle épousa le père de B***, qui la rendit heureuse. Elle eut cinq garçons et quatre filles; un seul fils lui resta, et elle désirait beaucoup le voir entrer dans les ordres religieux.

De son coté, le père de l'ouvrier ne voulait pas que B*** apprit l'état de cordonnier, pour lequel il avait lui-même une profonde antipathie. L'enfant montrait d'ailleurs quelques dispositions pour la langue latine qu'un vieil ami de la famille, ancien professeur, lui enseignait le soir. Toutes ces circonstances le firent placer dans un pensionnat par son père, qui payait en chaussures, pour la famille du maître, le prix de l'éducation de son fils. Arrivé à sa quatrième, B*** concourut pour l'admission au petit séminaire diocésain, et fut [255] reçu le deuxième sur près de trois cents candidats. Il se trouva fort heureux dans cet établissement, où il acheva sa troisième et termina presque ses humanités. Il dut malheureusement en sortir pour suivre le traitement d'un médecin qui croyait pouvoir guérir le commencement de cette surdité (§ 4). Il entra alors au collège de Tours, où il ne put achever sa rhétorique, à cause de la difficultés qu'il éprouvait à entendre les cours du professeur; celui-ci le faisait cependant assister à des leçons particulières qu'il donnait à quelques élèves appartenant à des familles aisées. Grâce à une mémoire excellente, il a conservé quelque fruit des études qu'il a faites; mais les avantages qu'il aurait pu en recueillir dans le cours de sa carrière ont malheureusement été toujours paralysés par son état de surdité.

Après plusieurs tentatives inutiles pour se procurer à Tours des moyens d'existence par le travail, l'ouvrier vint à Paris, où il trouva asile chez sa sœur aînée. Il entrait alors dans sa vingtième année. Il aurait voulu devenir soldat, mais il fut réformé par le docteur Dupuytren, à cause d'une hernie qu'il avait dès cette époque (§ 4). Il entra alors, comme apprenti peintre sur porcelaine, dans une fabrique située rue de la Roquette. Mais il n'avait pas la moindre notion du dessin. Protégé par le sous-directeur de la manufacture des Gobelins, il allait, le soir, trois fois par semaine, prendre des leçons de dessin dans cet établissement, d'où il se rendait au domicile de sa sœur, près de la porte Saint-Denis, pour prendre son repas et pour se coucher. Accablé par ces courses fatigantes et par celles qu'il faisait encore dans la journée pour son patron, B*** dut abandonner cette vie nomade à travers la capitale; il alla trouver un de ses compatriotes, qui montait alors un établissement typographique, et qui le prit comme apprenti. En 1826, i devint ouvrier compositeur.

En 1830, il fit partie de la garde nationale, et s'employa à l'apaisement des émeutes. Il y resta depuis le 24 décembre de cette année jusqu'à cette fatale revue sur les boulevards, où le maréchal Mortier trouva la mort avec tant d'autres victimes. À cette époque, il changea d'arrondissement, et se retira de la milice citoyenne. En janvier 1846, il obtint la présentation et la lecture en séance publique dune pétition adressée par lui à la Chambre des députés, pour l'amendement de la loi pour l'extinction de la mendicité, et l'adoucissement de la pénalité qu'elle inflige.

En 1848, B*** rentra dans la garde nationale. Muni d'un ordre du maire du douzième arrondissement, accompagné de deux ouvriers et d'un élève de l'école Polytechnique, il courut aux barricades du faubourg Saint-Marceau, pour faire livrer passage aux charrettes [256] chargées de farine; cette tentative eut un plein succès. Le lendemain, il concourut avec ses camarades à la protection des presses de son patron, et il eut le bonheur de les voir épargnées. À cette même époque, le travail manquant dans son atelier, il fut assez heureux pour trouver un emploi dans un des bureaux établis pour la formation des premières listes électorales; il passa ensuite au bureau de bienfaisance du douzième arrondissement comme employé auxiliaire à la distribution des secours à domicile. Quand le calme fut rétabli, il fut remercié et rentra dans son ancien atelier, qu'il n'a plus quitté depuis ce temps.

L'ouvrier se maria en l'année 1832. Sa première femme était bonne et laborieuse; le premier livret de la caisse d'épargne fut pris à la fin de 1833. Elle travaillait, suivant les besoins du moment, comme giletière, gantière, brodeuse ou relieuse. Le ménage commençait à prospérer, lorsqu'elle fut atteinte par une maladie longue et cruelle, une tumeur cancéreuse au côté droit, qui enleva cette malheureuse mère après quatorze années de souffrances et d'admirable résignation. À ses derniers moments, jetant un regard attristé sur sa fille, qui avait quitté son apprentissage pour la soigner, elle fit promettre à son mari de se remarier. Resté seul avec sa fille à peine âgée de 14 ans, l'ouvrier s'entendit avec la maîtresse d'apprentissage de son enfant, et obtint que celle-ci prendrait deux repas dans l'atelier et ne le quitterait que le soir, à l'heure où son père, de retour de son travail, pourrait prendre avec elle son troisième repas.

L'ouvrier s'est remarié à la fin de l'année 1851. Le père de sa seconde femme était un fermier aisé de la Gascogne, peu actif et grand amateur de procès. Sa femme mourut des suites d'une fluxion de poitrine. À peine devenu veuf, il se remaria avec une femme plus jeune que lui de moitié. Il rendit compte à ses cinq filles du bien de leur mère; la fille aînée fut avantagée, selon la coutume de la localité, et reçut le quart de la succession; les autres reçurent chacune 50f. Catherine M***, à peine âgée de 10 ans, quitta son pays les pieds nus, ses sabots à la main et son mince bagage sous le bras, pleurant sa mère qu'elle avait tendrement aimée. Elle arriva à Duras, où elle se mit en condition. Trois de ses sœurs allèrent à Bordeaux. Annette M***, sœur jumelle de Catherine M***, s'y est mariée à un honnête ouvrier, devenu aujourd'hui fabricant. Elle devait être la marraine de la petite fille de B*** elle est morte en janvier 1861. Les deux autres sœurs de Catherine M*** sont entrées au couvent. L'une d'elles est morte, il y a trois ans, au couvent de Notre-Dame de l'Espérance, à Amiens. L'autre, sœur de la congrégation de Saint-Joseph, habite Madrid. La sœur aînée n'a jamais quitté le [257] pays; elle est veuve maintenant et a plusieurs enfants dont quelques-uns sont mariés; elle est dans une position aisée.

Catherine M***, après avoir fait sa première communion à Duras, alla rejoindre ses sœurs à Bordeaux; elle se rendit à Paris quelques années plus tard avec les maîtres chez lesquels elle était en service, et qui l'aimaient beaucoup: c'est là que l'ouvrier la connut. Touché de ses qualités, il la demanda en mariage; le mari et le père de sa maîtresse voulurent, en témoignage de leur estime, lui servir de témoins. Les petites économies que Catherine M** possédait en se mariant, et les 50f00 de la succession de sa mère, ont toujours été considérés par les époux comme un dépôt sacré.

La fille aînée de l'ouvrier parut heureuse de ce mariage, et vécut fort bien avec sa belle-mère. Le temps de son apprentissage expiré, elle entra dans une bonne maison de couture. Sa belle-mère lui proposa de la prendre en pension et de l'entretenir moyennant 4f00 par semaine, lui faisant observer que, puisqu'elle gagnait 1f50 par jour, elle pourrait mettre à la caisse d'épargne ses petites économies; elle-même l'avait fait autrefois, et s'en était bien trouvée. La jeune fille accepta, et l'année suivante elle avait placé près de 200f. Elle devint la marraine de la petite fille issue du second mariage. Quelque temps après la naissance du petit garçon, elle parut soucieuse. Ayant fait, à l'insu de ses parents, des démarches sans résultat pour entrer dan la communauté des sœurs de Saint-Vincent de Paul, elle parvint à se faire agréer dans celle des Dames de la Doctrine chrétienne; mais il lui fallait le consentement de son père. Elle le lui demanda, en disant que son intention était depuis longtemps arrêtée. Le père, ne voulant pas lui laisser prendre légèrement une détermination si grave, ajourna à six mois son consentement. Au bout de ce temps, la jeune fille persista, et, fatigué de ses instances, le père l'autorisa en lui prédisant qu'après quelques mois elle lui reviendrait. Le prix de son entrée au couvent fut fixé à 300f; c'était à peu près la somme épargnée par elle. Elle partit pour faire son noviciat à la maison-mère, située dans les montagnes des Vosges. Le premier mois tout parut aller à merveille; au bout de trois mois elle n'avait pu s'habituer à la règle, et elle revint à la maison paternelle conduite par une des sœurs de la communauté. La supérieure, au moment de son départ, lui rendit 100f, restant de son épargne, qui lui servirent à faire un nouveau trousseau. Il fallut travailler de nouveau. Enfin, au bout d'une année, elle fut demandée en mariage par un jeune homme, parent de sa famille du côté maternel; elle l'accepta, et leur union fut célébrée après les fêtes de Pâques en 1858. L'ouvrier remit à sa fille une somme de 300f00, valeur approximative du mobilier [258] qu'il possédait à la mort de sa première femme, et qui avait été alors grevé de dettes, contractées pour subvenir aux besoins quotidiens.

§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.

Pendant son premier mariage, l'ouvrier avait commencé à placer à la caisse d'épargne quelques économies; il dut les retirer pour subvenir aux frais de la longue maladie de sa femme. Après la mort de celle-ci, il se trouva avec 400f de dettes, qu'il a payés en partie avec l'argent apporté par sa seconde femme. La gêne dans laquelle il vécut alors a beaucoup augmenté chez lui le désir de l'épargne. Il a rencontré de nouveaux obstacles dans les maladies de son fils (§ 4); mais il espère actuellement pouvoir réaliser chaque année quelques économies.

Pour conjurer les éventualités de la maladie, B*** a recours à l'assurance mutuelle. Comme tous ses camarades, dont les mœurs diffèrent tant à cet égard de celles d'ouvriers décrits dans d'autres monographies [les Ouv. europ., XXXVI (A) ;les Ouv. des Deux Mondes, Nos3, 17, 25, 34], B*** considère la mutualité comme la meilleure garantie de bien-être pour le présent comme pour l'avenir (C). Il est devenu membre d'une société qui, fondée dans l'atelier où il est employé, fut dissoute plus tard, rétablie, dissoute de nouveau, réorganisée une troisième fois, et qui existe encore aujourd'hui sous le nom de cotisation des dix centimes. L'ouvrier paie 1f par mois, et reçoit 1f par jour de maladie, pendant trois mois, et 0f50 seulement, pendant trois autres mois. B*** fait partie d'une autre société de secours, à la fondation de laquelle il a coopéré. C'est une société religieuse placée sous le patronage de Saint-François-Xavier; la cotisation mensuelle, fixée d'abord à 0f50, est actuellement de 1f. Elle assure aux sociétaires malades 1f par jour jusqu'à concurrence de 100f. Enfin vers le milieu de l'année 1860, l'ouvrier s'est fait recevoir dans la société typographique parisienne, qui alloue à ses membres, en échange d'une cotisation de 2f par mois, une subvention de 1f50 par jour, et qui leur promet une pension de retraite dans certains cas (E). Par suite de son afliliation à ces trois sociétés, B*** est aujourd'hui assuré de recevoir une somme de 3f50 pour chaque jour de maladie (No 14 § 13).

Le bien-être physique des deux époux, à l'époque où l'âge et les infirmités les empêcheront de travailler, a pour garanties les épargnes déjà accumulées, celes qu'ils pourront faire encore, la pension de retraite que croit pouvoir donner la société typographique, [259] enfin l'aide de leurs enfants élevés dans des principes de bonne conduite et d'attachement filial. Ceux-ci d'ailleurs ont en perspective l'héritage d'une tante qui est revenue des États-Unis avec des économies dont le revenu lui assure 900f de rente, fruit de son travail comme modiste, et qui a testé en faveur de son neveu et de ses nièces2.

Budget des recettes de l'année

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Budget des dépenses de l'année

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Comptes annexés aux budgets

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Notes

Faits importants d'organisation sociale; particularités remarquables; appréciations générales; conclusions.

(A) Sur l'histoire de la typographie parisienne.

[270] Vers l'année 1469, sous le règne de Louis XI, Guillaume Fichet, recteur de l'académie de Paris, avec l'aide et le concours de Jean de La Pierre, fit venir à Paris trois Allemands, hommes énergiques et entreprenants, élèves du savant maître Gutenberg. Ils s y établirent sous le protectorat de la Sorbonne, malgré les persécutions de l'autorité, suscitées par le clergé, qui voulait conserver le monopole de la science. Ces trois hommes se nommaient: Ulric Géring, Martin Krantz et Michel Friburger. Ils virent demeurer près de la célèbre abbaye de Cluny, pour exercer leur profession d'imprimeurs en lettres, ainsi qu'il est indiqué dans leurs lettres patentes. Bientôt l'imprimerie s'enracina dans le sol parisien; elle y fleurit avec éclat, surtout dans le xvie siècle, où les Estienne, et surtout Robert, le neveu du premier de ce nom, lui donnèrent une vive impulsion, de 1470 à 1560. Ils affichaient à leur porte les épreuves des ouvrages qui devaient sortir de leurs presses, afin que le public pût y signaler les fautes qui leur seraient échappées. « François Ier, dit M. Frey dans son dictionnaire manuel de typographie, rendait de fréquentes visites à l'illustre Robert Estienne, son savant ami. Un jour, il persista à attendre qu'Estienne eût fini la lecture d'une épreuve, que celui-ci voulait interrompre pour recevoir son roi. »

Après les Estienne, parut Ambroise Didot, qui, en 1730, acquit une fort belle réputation; puis vint Firmin Didot, dont le nom fut justement estimé: il exerça sa profession de 1764 à 1836. L'exposition de 1855 a mis en relief les grands maîtres de notre époque, qui se sont distingués par les ouvrages magnifiques sortis de leurs presses, et surtout par la parfaite exécution du tirage des gravures sur bois, qui ont fait l'admiration des savants de l'Europe entière.

La nécessité de reproduire fréquemment et à bon marché les ouvrages classiques fit surgir deux procédés, la stéréotypie et ensuite [271] le clichage des formes. Sous le règne de Napoléon Ier, Herban imagina de fondre en creux des caractères de cuivre dans lesquels il coula de la matière de plomb en fusion; celle-ci recevait l'empreinte d'un mouton qu'on laissait retomber fortement. Ce procédé s'appela la stéréotypie. n grand nombre de petits ouvrages in-18 existent encore de nos jours comme spécimen de son invention. Plus tard, s'introduisit le clichage des formes. On vit surgir les clicheurs au plâtre, au sable fin, à la pâte de papier. Ce dernier mode prévalut sur les autres, parce qu'il détériorait moins vite les caractères; avec les deux premiers moyens, il fallait changer trop fréquemment les fontes, et ce renouvellement était quelquefois plus coûteux qu'une recomposition des éditions épuisées.

À l'Exposition universelle de 1855, on a vu le pianotype, jolie petite machine inventée et construite par un ouvrier compositeur de Copenhague, dont les touches, semblables à celles d'un piano, faisaient descendre les lettres que le doigt désignait. Les lettres glissaient le long de conduits, et se plaçaient dans l'ordre voulu pour produire le mot demandé. Mais les caractères employés dans un ouvrage étant d'inégale épaisseur, et encrassés par le service, étaient fréquemment arrêtés dans leur chute, et ne formaient qu'une composition indéchiffrable. La réparation du travail opéré par cette machine coûtait presque autant que le même travail fait entièrement par le compositeur. Le pianotype servait à la fois à composer et à distribuer les caractères.

Cette machine avait un autre défaut, commun à toutes celles dans lesquelles les lettres, mises en mouvement par l'action du doigt sur la touche d'un piano, se déplacent par l'action de la gravité seule, sur un plan incliné qui doit les conduire au composteur. La vitesse du travail est nécessairement fort limitée, car les lettres les plus légères sont fréquemment retardées dans leur marche par la moindre poussière, de telle sorte que, si l'ouvrier allait très-vite, une touché après un i arriverait avant celui-ci.

À l'Exposition universelle de 1862, on a remarqué une machine d'origine américaine, dans laquelle ce n'est plus la gravité qui dé1erminel'arrivée des caractères dans le composteur. Ceux-ci tombent sur de petits rubans sans cesse en mouvement, qui les conduisent sur un autre ruban, placé obliquement et transversalement par rapport aux premiers, et qui les amène dans le composteur.

On peut d'ailleurs se demander si l'on doit en principe attendre des machines à composer un avantage considérable. La lecture du manuscrit étant essentiellement une œuvre intellectuelle, l'intervention de l'ouvrier ne peut être supprimée, et le problème ne [272] porte que sur l'abréviation du temps peu considérable qu'il emploie à lever la lettre. Une faible réduction dans la dépense, répondant à une partie seulement du travail que doit faire le compositeur, compenserait-elle les frais d'achat et d'entretien de cette machine compliquée3

Le nombre des imprimeries de Paris est de 92, y compris l'imprimerie impériale et celle établie à la Monnaie pour l'impression des timbres-poste. 22 imprimeurs ont une spécialité pour le latin; 20 pour l'anglais; 12 pour l'espagnol; 9 pour l'allemand; 3 pour le grec; a pour la langue hébraïque; pour la musique; pour le plain-chant; pour le polonais; 1 pour la langue copte. Quelques maisons possèdent des caractères étrangers; mais les plus beaux types appartiennent à l'imprimerie impériale, qui, au besoin, les met à la disposition des imprimeurs de Paris. Sa chambre de composition des langues orientales est la plus riche et la plus complète de l'Europe. lors de la capitale, dans un rayon de 100 kilomètres, il y a une cinquantaine d'imprimeries alimentées en partie par les éditeurs parisiens.

(B) Sur l'organisation du travail dans la typographie parisienne.

L'imprimeur ou patron dirige les travaux de sa maison et traite avec les fournisseurs. Mais, comme il ne peut s'occuper de tous les détails de son établissement, il a un employé investi de sa confiance qu'on appelle prote.

Le Prote, du mot grec πρὦτοζ qui signifie premier, est un homme instruit; il représente le patron avec lequel il est sans cesse en communication directe. Pour bien remplir cette fonction, il faut avoir une grande diversité de connaissances et connaître à fond l'imprimerie. Le prote veille à la régularité du travail et à l'entretien du matériel; il se met en relation avec les auteurs, surveille l'envoi et la réception des épreuves, et maintient l'ordre dans les ateliers. Autrefois le prote lisait et corrigeait lui-même les épreuves, que le patron revoyait aussi: mais les conditions du travail ont subi de telles modifications, et d'autre part il faut souvent produire dans des limites de temps si restreintes, qu'il est devenu impossible au patron et au prote de lire tout ce que les presses de l'établissement doivent imprimer: ce travail est donc fait aujourd'hui par des correcteurs d'épreuves. En outre, le prote réunit tant [273] d'occupations diverses que, dans les imprimeries importantes de Paris, on a dû souvent lui adjoindre un ou deux aides. Alors le premier sous-prote s'occupe du tirage des feuilles et de la surveillance des presses mécaniques. Le second est spécialement occupé du personnel de la composition: il veille à ce que le travail soit distribué avec justice entre tous les ouvriers; il révise les bordereaux des metteurs en pages et fait la banque3 à ces derniers, qui la répartissent entre leurs paquetiers.

Les correcteurs d'épreuves possèdent à leur tour la confiance du prote, qui leur fait lire les feuilles sortant des mains du compositeur. Ils doivent être fort instruits, connaître parfaitement leur langue et savoir convenablement le grec et le latin. Ils doivent avoir des connaissances en littérature, en histoire et en géographie. Ils sont intéressés à ce que les ouvrages sortant de la maison qui les occupe soient aussi parfaits que possible. Le correcteur doit travailler dans un local spécial, loin de tout bruit; il doit avoir sous la main une petite bibliothèque de livres choisis. Il y a souvent plusieurs correcteurs dans une imprimerie. L'un est chargé de lire la première épreuve avant qu'on l'envoie à l'auteur, et d'en faire effacer notamment les fautes, telles que bourdons4, doublons5, mauvaise ponctuation ou fautes grammaticales, dont la correction est à la charge du compositeur. Un autre correcteur lit la deuxième épreuve; un autre encore lit la troisième avant que l'auteur donne son bon à tirer, vérifié une quatrième fois; puis lorsque la feuille est prête à tirer, on remet la tierce au prote ou au patron; celui-ci, après l'avoir lue et s'être assuré que les blancs sont convenablement jetés, la signe pour qu'elle serve à établir le compte de l'ouvrier pressier qui en effectue le tirage.

Les ouvriers compositeurs peuvent être divisés en quatre classes: 1o les hommes de conscience; 2o les metteurs en pages; 3o les paquetiers; 4o les journalistes.

Les hommes de conscience sont payés à la journée, d'après le tarif fixé, ou d'après un prix détermine de gré à gré avec le paturon. La durée de leur travail est de dix heures par jour, et leur salaire varie de 5f à 7f, selon leur mérite. Ils se recrutent parmi les meilleurs compositeurs, parmi ceux dont le talent est reconnu des chefs d'atelier. Ils sont chargés des ouvrages de ville, des affiches, des prospectus, dans lesquels il faut déployer un grand luxe de caractères variés. Le soin et la surveillance spéciale du matériel sont [274] également dans leurs attributions. L'ouvrier en conscience fait aussi des tableaux. Ordinairement le tableautier est payé aux pièces. Il faut savoir parfaitement manier la lime et le couteau à filets, pour acquérir de la réputation dans ce travail exceptionnel qui, du reste, est assez bien rétribué.

Le metteur en pages est celui qui, dans la composition d'un ouvrage, fait les titres, dispose les blancs, établit les pages de la longueur voulue, communique aux compositeurs les renseignements qu'on lui a donnés, reçoit chaque semaine le compte de ceux à qui il a remis du travail, fait son bordereau, et solde à chacun, le jour de la banque, ce qui lui est dû. Comme il est seul responsable envers le prote de l'exécution de son livre, il veille à son tour à ce que la composition en soit irréprochable et régulièrement corrigée. Les mises en pages sont tarifées, en prenant pour base la mise en pages simple, sans titres courants, d'après les dimensions indiquées par les principaux formats de papier. Le metteur en pages profite des pages blanches, du commencement et de la fin des chapitres, du placement des vignettes, etc. Celui qui dirige simultanément l'exécution de plusieurs ouvrages réalise d'assez beaux bénéfices; au contraire, celui qui n'a qu'un ouvrage court, qu'il compose lui-même, n'a pas toujours de quoi employer son temps; car pour avoir de la lettre, il est obligé d'attendre que les feuilles déjà établies soient corrigées et imprimées. Le metteur en pages très-occupé s'adjoint habituellement un compositeur de son choix pour le seconder dans la répartition, entre les compositeurs, des caractères des feuilles tirées, et dans la correction sur plomb des épreuves renvoyées par les auteurs. Cet aide travaille à raison de 0f50 l'heure; son travail est fatigant à cause de la position penchée qu'il doit garder longtemps pour la correction au marbre, c'est-à-dire pour la correction des formes disposées sur une table de marbre. Le salaire du metteur en pages est, d'après ses fonctions, très-variable: il gagne de 5f à 11f par jour.

Le paquetier ou compositeur proprement dit est continuellement occupé aux travaux relatifs à la composition, à la correction de la première épreuve, avant qu'elle soit envoyée à l'auteur, et à la distribution des caractères6. Debout ou assis devant sa casse7, tenant le coposteur8 de la main gauche, il lève de la main droite, [275] entre le pouce et l'index, les lettres destinées à reproduire les mots qu'il lit sur la copie9 ou manuscrit placé devant lui, et range ces lettres dans le composteur. Ce travail se paye 0f50 par mille lettres levées pour la réimpression et 0f55 pour le manuscrit, y compris la distribution et la première correction. Ce prix varie suivant la force ou la faiblesse des caractères autres que ceux qui ont les dimensions moyennes. Au-dessus ou au-dessous de ces dimensions, les prix sont plus élevés de 0f05 ou de 0f10. Le paquetier remplit sa casse avec les caractères qui lui sont distribués comme il est dit ci-dessus. Ensuite, sur l'indication du prote ou du sous-prote, il s'adresse à un metteur en pages, pour avoir de la nouvelle copie. Celui-ci inscrit son nom au premier alinéa des feuillets de manuscrit qu'il lui remet, et en même temps il en prend note sur son livre de compte. Ainsi un paquetier reçoit partiellement sa banque de plusieurs metteurs en pages, s'il a fourni du travail à chacun d'eux.

Le travail à la casse exige du silence et une attention soutenue, afin d'éviter les erreurs qui retomberaient à la charge de l'ouvrier, et le feraient passer pour incapable. Un bon paquetier peut lever dix mille lettres par jour et gagner alors 5f; mais eu égard aux pertes de temps, sa journée ne s'élève en moyenne qu'à 3f50. Ces pertes de temps sont souvent causées par les auteurs, qui n'alimentent pas de copie les compositeurs employés à leurs ou

Les journalistes ne sont que des paquetiers choisis parmi les plus agiles compositeurs. Les journaux, qui doivent être composés très-vite, n'exigent pas le même soin que les ouvrages de luxe. Quelques-uns de ces ouvriers lèvent jusqu'à 2,000 lettres à l'heure. Leur salaire est de 6 par jour pour les journaux de grandeur ordinaire; ceux de grand format payent 7 par jour, et ils emploient de vingt-six à vingt-huit compositeurs. Le Moniteur en a trente-deux. Le metteur en pages d'un journal quelconque gagne plus que dans une autre imprimerie. Il y a des suppléants qui, n'étant payés que lorsqu'ils travaillent, ont généralement un emploi ailleurs. Chaque journaliste reste à son tour, après la composition finie, pour la correction de la dernière épreuve ou bon à tirer: cette fonction s'appelle morasse. D'après cette organisation, chacun doit faire à peu près une égale portion du travail; mais si un compositeur n'a pas l'agilité nécessaire pour faire la moyenne convenue, il est invariablement exclu par ses camarades; s'il peut faire plus, il a le droit de se reposer.

[276] À l'époque des grands maîtres, les compositeurs typographes étaient lettrés. Classés au rang des artistes, ils se faisaient gloire de posséder un blason armorié. Mentel, célèbre imprimeur de Strasbourg, fut le premier anobli: Frédéric IV, empereur d'Allemagne, lui accorda des armoiries en 1466. Ce blason existe encore et se voit dans quelques imprimeries, notamment dans l'atelier où travaille l'ouvrier. Il est composé d'un heaume en or plein, terminé par une pointe en cœur; l'aigle d'Allemagne de sable est au milieu tenant entre ses serres, à dextre, le visorium avec la copie entre les mordants; à senestre, le composteur. Ce blason est surmonté d'une couronne de comte et d'un cimier au-dessus duquel est un griffon d'azur aux ailes droites et déployées, pressant l'une contre l'autre deux balles, servant autrefois à l'impression; quatre longues plumes d'autruche d'azur et de gueule entrelacées descendent de la couronne de chaque côté de ce blason.

L'imprimerie française a pris le pas maintenant sur l'imprimerie allemande. Si nos premiers maîtres dans cet art ont porté l'épée comme artistes de premier ordre, la corporation des ouvriers typographes ne doit point dégénérer; elle doit être composée uniquement d'hommes dont l'instruction et le mérite soient en rapport avec l'importance de leur profession.

Une des plaies du métier, c'est le mauvais apprentissage que font bien des jeunes gens. Il ne suffit pas de savoir lestement bourrer des lignes, il faut encore savoir sa langue parfaitement, pouvoir déchiffrer aisément le manuscrit et ne pas se trouver embarrassé devant un passage de grec ou de latin. L'imprimerie impériale a pu conserver la tradition de nos pères; jamais elle n'admet un adulte dans ses ateliers, sans lui avoir fait subir un examen rigoureux.

(C) Sur le caractère des ouvriers typographes et sur la société artistique.

L'ouvrier compositeur est en général gai, vif, insouciant, causeur, aimant à rire et à plaisanter sur tout. Il ridiculise volontiers ce qui lui paraît drôle; les caricatures des camarades circulent dans l'atelier. Quelque auteur l'a gratifié du sobriquet de singe, par opposition au pressier qu'il appelait ours. Le typographe est serviable, humain, bienfaisant, compatissant. Ce caractère de générosité, qu'on rencontre en général chez l'ouvrier de Paris [les Ouv. Europ., XXXVI (B), ne lui fait pas défaut (§ 3).

Les mœurs du typographe présentent avec celles des ouvriers, décrits dans la monographie qui précède et dans celle qui suit, plusieurs [277] contrastes, qui sont autant d'analogies nouvelles avec les meurs dominantes des ouvriers parisiens. Ainsi, les ouvriers compositeurs ont en général un petit nombre d'enfants, ordinairement deux à trois. assez rarement quatre. B*** explique ce fait en disant qu'étant hommes intelligents, un peu lettrés même, ils ont souvent dans la pensée la perspective de la misère avec une trop nombreuse famille et s'évitent, autant que possible, cette charge onéreuse (§ 2). Ils sont donc loin de penser, comme le manœuvre-vigneron de la basse Bourgogne (Ne 32), que la fécondité soit pour le ménage un stimulant au travail, en même temps qu'une source de profits.

Les ouvriers typographes ne recherchent pas, comme l'auvergnat brocanteur (No 34), dans de dures privations et dans l'épargne individuelle, le moyen d'assurer leur bien-être dans le présent et dans l'avenir. Ils vivent communément au jour le jour: les plus rangés usent volontiers, quoique modérément, des plaisirs de la bonne chère. Il n'en est qu'un petit nombre qui placent des économies à la caisse d'épargne; c'est en général à la mutualité qu'ils recourent contre les chances fâcheuses de la maladie, et, pour l'époque de la vieillesse, ils se contentent des garanties que les sociétés de secours mutuels cherchent à offrir.

Dans l'atelier où travaille B***, les ouvriers ont fondé une petite caisse de secours. Tous les adhérents vont à tour de rôle, d'après une liste alphabétique, visiter les confrères malades et leur porter des secours en même temps que des consolations; chacun est aussi receveur à son tour. Un sociétaire, qui quitte l'atelier, peut rester membre de la société en payant régulièrement sa cotisation de 1f par mois (§ 13).

Les typographes ont recruté dans leurs rangs les membres d'une société artistique. Ceux qui en font partie donnent des représentations et le produit du prix des places est distribué par eux à leurs camarades dans le besoin (§ 11); ils atteignent ainsi parfois un résultat qui les surprend eux-mêmes. D'autres trouvent dans la musique une distraction salutaire: ils sont les adeptes zélés des sociétés chorales de l'Orphéon, ou de la méthode Chevé. Le nombre des ouvriers faisant le lundi diminue beaucoup depuis quelques années, par suite de cette tendance à rechercher les récréations musicales.

(D) Sur certaines fêtes en usage dans la typographie.

Autrefois la corporation des typographes avait sa fête indiquée dans le calendrier, le 6 du mois de mai, jour de la Saint-Jean-Port-Latine, [278] son patron. Il y a près d'un demi-siècle que cette fête est tombée en désuétude et n'est plus observée que chez les relieurs.

En 1843 eut lieu la réunion qui fixa pour les ouvriers typographes un tarif uniforme; un premier banquet eut lieu à cette occasion le 15 septembre. Ce fut un jour de joie: patrons et ouvriers prirent place autour d'une table de 1,800 couverts, et la plus parfaite cordialité régna dans l'assemblée. Cette fête se reproduisit ainsi chaque année, le premier dimanche qui précédait ou qui suivait le 15 septembre, jusqu'en 1847, époque à laquelle elle cessa par ordre de la police. En 1848 et 1849 les anniversaires furent repris, pour être de nouveau interrompus. Enfin, en 1860, elle fut autorisée par le préfet de police. Les ouvriers typographes espèrent que rien ne viendra plus troubler cette réunion fraternelle. B***, qui y a fréquemment assisté, en a vu la reprise avec un grand plaisir.

Pendant les années où cette réunion de la corporation entière était suspendue, les ouvriers en avaient institué d'autres, entre confrères de même atelier, pour honorer le mérite de leurs patrons respectifs. C'est ainsi que dans la maison où travaille B*** un banquet a lieu chaque année, le 2 septembre; voici à quelle occasion.

Le patron de B***, qui s'était fait distinguer à l'Exposition nationale de 1849, ainsi qu'à l'Exposition de 1851, à Londres, et qui, à Paris, en 1855, avait reçu la médaille d'or, fut nommé chevalier de la Légion d'honneur. Ses ouvriers et les employés de sa maison lui offrirent spontanément un banquet. Pour répondre à leurs cordiales félicitations, il les invita, après le repas, à une représentation théâtrale; la salle du théâtre Montparnasse fut mise entièrement à leur disposition. Pour renouveler cette fête de famille, tous les ouvriers de l'imprimerie prélèvent, à chaque banque, une petite cotisation sur leur salaire, et le 2 septembre de chaque année ils se trouvent en possession d'une somme de 10f pour couvrir les frais du banquet. B*** se fait un vrai plaisir, comme vétéran de la maison, d'assister à cette fête; c'est un témoignage d'attachement qu'il se fait un devoir de donner à son patron et à ses confrères. Cette réunion, quoique nombreuse, n'a jamais cessé d'être bien organisée et parfaitement convenable.

(E) Sur la société de secours mutuels dite Société typographique parisienne.

[279] L'ouvrier a été un des fondateurs de cette société en 1841. Elle était alors connue sous le nom de Société typographique de Paris, et ne s'occupait que du maintien du salaire [No14 (A)]. B*** en fut un des membres les plus zélés jusqu'en 1849, époque à laquelle, à bout de ressources pécuniaires, il fut forcé de suspendre le payement de ses cotisations mensuelles, et cessa d'en faire partie. Un peu plus tard les sociétaires se désunirent. Les uns conservèrent la première dénomination; les autres prirent le nom d'Association libre du tarif. L'ouvrier redevint sociétaire au moment où, en 1860, les deux camps, s'étant réunis, formèrent une nouvelle société sur les mêmes bases que la première. Un règlement fut fait, discuté. puis présenté à la sanction de M. le ministre de l'intérieur, auquel on demanda l'autorisation de fonctionner avec la même protection qui est accordée aux autres sociétés de secours mutuels. La permission une fois obtenue et le président nommé par l'Empereur, sur la liste des candidats présentés, la société prit le nom de Société typographique parisienne, et l'on célébra sa bienvenue par un banquet.

Cette société a pour but: 1o de secourir chacun de ses membres dans la maladie, les infirmités et la vieillesse; 2o de venir en aide, par des prêts d'honneur, aux sociétaires dans la gêne; 3o de secourir les veuves et les orphelins de ses adhérents par des allocations temporaires et régulières, à l'aide d'une cotisation spéciale, facultative aux sociétaires; 4o de faciliter, par tous les moyens dont elle peut disposer, le placement des sociétaires sans travail. Elle a pour capital les sommes provenant de la liquidation des deux sociétés et de la cotisation mensuelle de 2f versée par chacun de ses membres. Pour être admis à faire partie de la société typographique parisienne, il faut exercer la profession de compositeur-typographe, être d'une moralité reconnue et être présenté par deux sociétaires. La durée du noviciat est de trois mois; nul n'a droit aux secours avant l'expiration de ce délai. Tout sociétaire est tenu d'acquitter exactement ses cotisations; de faire connaître au bureau les maisons où l'on demande des ouvriers, afin de faciliter le placement de ses camarades inoccupés; de se rendre au siège de la société quand il est sans ouvrage, pour y prendre connaissance des demandes qui peuvent y être faites; enfin de visiter les malades sur l'invitation qui lui en est adressée, service qui est de rigueur et qui ne peut être refusé sous peine de perdre le droit aux primes.

[280] La société alloue à tout sociétaire atteint de maladie 1f50 par jour pendant les trois premiers mois; à partir du quatrième mois, l'indemnité est portée à 2f par jour jusqu'à l'expiration de l'année (§ 13). Tout sociétaire dont la maladie dépasse ce terme, ou qui devient incurable ou infirme avant l'âge fixé pour avoir droit à la pension, peut recevoir un secours éventuel déterminé chaque année par le bureau, selon les ressources de la caisse. Tous les trois mois il est procédé, entre tous les sociétaires qui ont participé aux cotisations pendant un an au moins, au tirage au sort de deux primes, la première de 100f et la deuxième de 50f.

Les prêts d'honneur sont faits aux ouvriers honnêtes et laborieux qu'une maladie ou un malheur de famille place momentanément dans la gêne; l'intérêt de ces prêts est fixé à 5 pour 100. Le prêt d'honneur ne peut dépasser la somme de 50f. Tout sociétaire qui, ayant obtenu cette allocation, a failli au remboursement, alors qu'il pouvait l'effectuer, est exclu de la société, après avertissement donné par le bureau.

Un fonds de retraite est créé conformément au décret du 26 avril 1856, et placé à la caisse des dépôts et consignations: il se compose; 1o des prélèvements annuels faits sur les excédants de recettes; 2o des subventions spéciales accordées par l'État, le département ou la ville. des dons et legs faits avec affectation spéciale au service des pensions. Conformément à l'art. 6 dudit décret, la quotité de la pension est fixée, sur la proposition du bureau, en assemblée générale. Pour y avoir droit, il faut être incapable de travailler, avoir au moins soixante ans d'âge, et dix ans de séjour dans la société. Le service des pensions ne commence que du 1er janvier 1862. La société alloue 30f pour les frais de convoi de chacun de ses membres décédés. Cette somme est remise à la famille du défunt; s'il 'a pas de famille, la société pourvoit elle-même à son enterrement.

Le fonds de la caisse de secours en faveur des veuves et des orphelins, se compose; 1o d'une cotisation facultative de 0f50 par mois, versée par les adhérents; 2o de l'intérêt des prêts d'honneur. Ces secours ne sont accordés qu'aux veuves et aux orphelins des sociétaires qui ont acquitté la cotisation spéciale.

Pour avoir droit à tous les avantages ci-dessus énumérés, un sociétaire doit verser une cotisation mensuelle de 2f.

Appel a été fait à tous les typographes, qui ont été invités à devenir membres de cette société; mais une partie seulement de la corporation y a répondu. Le nombre des membres participants est de 1,200. Le gouvernement a fait don à la société d'une somme de 4,000f: 2,000f ont été employés pour frais d'installation, et [281] 2,000f ont été placés, sous le nom de la société, à la caisse des dépôts et consignations pour les retraites de la vieillesse.

(F) Sur la société de prévoyance de la paroisse Saint-Étienne du Mont.

Une société paroissiale de prévoyance prit naissance en 1843, dans une des chapelles basses de l'église Saint-Sulpice, et des sociétés semblables furent bientôt établies, dans d'autres paroisses de Paris, notamment dans celle de Saint-Étienne du Mont. Celle-ci a pour but de donner à ceux qui en font partie une instruction basée sur la religion, l'histoire et la science, de les former à l'exercice de la charité, de leur procurer en cas de maladie les soins d'un médecin, des médicaments et même des secours en argent, de leur assurer dans de graves circonstances les consolations spirituelles, et, en cas de décès, un service religieux et un convoi convenable quoique modeste; enfin, de donner un secours a la famille du défunt. Ce secours est le résultat d'une collecte spéciale, ainsi que d'une cotisation supplémentaire de 0f25, que chaque sociétaire doit payer en sus de sa cotisation mensuelle, pour chaque décès, et qui sert en premier lieu à solder les frais funéraires.

Les réunions ont lieu une fois par mois; on y fait une petite instruction, et une tombola composée de livres pour l'usage des enfants termine la séance. Chaque année, il y a une séance solennelle présidée par un haut dignitaire de l'Église, qui distribue aux plus dignes des livres contenant les récits des missionnaires, en récompense de leur assiduité.

L'œuvre reçoit les ouvriers et les artisans de toutes les professions; le nombre des membres participants est limité à cinq cents. Elle admet aussi, comme membres honoraires, les personnes aisées qu'un sentiment religieux de solidarité porte à s'y joindre; le nombre de ces derniers n'est pas limité.

L'œuvre fut placée dès l'origine sous la direction supérieure du curé de la paroisse, assisté d'un prêtre directeur, qui le remplaçait en cas d'absence; le bureau fut composé de la manière suivante: le supérieur, le directeur, un président, deux vice-présidents, un secrétaire, deux vice-secrétaires, un trésorier, deux vice-trésoriers, un administrateur, un vice-administrateur, deux contrôleurs, deux préposés à la recette.

Après la révolution de 1848, la société fut sur le point de se dissoudre, un grand nombre de ses membres l'ayant abandonnée [282] pour entrer dans les sociétés fondées dans chaque arrondissement par l'initiative gouvernementale. Elle s'appela alors Société du quartier Saint-Jacques; plus tard, lors de la délimitation des quartiers, elle prit le nom de Société du quartier de la Sorbonne, mais toujours sans cesser d'être sous le patronage de saint François-Xavier. L'ancien règlement fut présenté à la sanction du ministre, et un président fut nommé par l'Empereur.

Les cotisations fixées uniformément dans le principe à 0f50 par mois pour tous les membres, comprennent maintenant trois catégories. La première, qui est de 2f par mois ne compte encore aucun adhérent; la seconde, qui est de 1f par mois, renferme à peu près la moitié des sociétaires; enfin la troisième se compose des anciens membres qui payent encore 0f50 par mois. Les trois quarts de ces cotisations sont remboursées par la société de Saint-Vincent-de-Paul à des sociétaires indigents.

Chaque membre doit assister au moins sept fois par an aux séances de la société et résider dans la circonscription.

Les secours en argent, alloués en cas de maladie, ne peuvent excéder, pour toute la durée de l'année, 100f pour les membres qui payent 1f, et 50f pour ceux qui payent 0f50 de cotisation mensuelle. Le médecin de la société n'est pas rétribué.

Les allocations de maladie, les soins médicaux et les secours de toute sorte donnés par la société de Saint-François-Xavier, paraissent présenter peu d'avantages à l'ouvrier décrit dans cette monographie. près l'avoir quittée en 1849, y être rentré en 1856, P a définitivement abandonné en 1862 cette société. Il se plaint de certains vices d'administration, qui, suivant lui, paralysent tout le bien qu'elle pourrait faire. Ainsi il prétend que chaque séance mensuelle coûte 30f, que, deux ou trois fois par an, la location d'un piano vient augmenter de 50f cette dépense, qu'enfin la séance annuelle entraîne des frais considérables, parce que, pour donner plus de pompe à cette solennité, on y appelle la musique militaire et quelquefois même des artistes de nos plus grands théâtres.

Notes

1. Depuis l'époque où a été rédigée cette monographie, il a donné l'hospitalité à une de ses sœurs, qui a une partie de sa fortune aux États-Unis et que la diminution de ses moyens d'existence par suite de la guerre actuelle a obligée de chercher une réduction de dépenses dans la vie en commun (§ 13).

2. Depuis l'époque où a été rédigée cette monographie, les revenus de la sœur de l'ouvrier se sont réduits à 600f, dont 400f proviennent de sommes placées à fonds perdu (§ 3).

3. On nomme banque, dans une imprimerie, ce que l'on appelle la paye dans les autres ateliers.

4. Mots oubliés.

5. Mots répétés.

6. Action de replacer dans leurs compartiments respectifs les lettres ayant formé les pages déjà imprimées.

7. Boite à compartiment contenant tous les caractères de l'alphabet et placée sur un plan incliné en forme de pupitre.

8. Instrument en fer de forme rectangulaire, dans lequel sont juxtaposées les lettres qui forment les mots et les mots qui forment les lignes, et qui, au moyen d'une vis, s'allonge ou se raccourcit suivant la justification que l'on veut obtenir.

9. Le mot copie vient de l'usage où étaient autrefois les auteurs de recopier leurs manuscrits avant de les livrer à l'imprimerie.