N° 3.

PAYSANS EN COMMUNAUTÉ

DU LAVEDAN

(HAUTES-PYRÉNÉES — FRANCE)

(Propriétaires-ouvriers dans le système du travail sans engagements)

D'APRÈS LES

RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN AOUT 1856

PAR

M. F. LE PLAY C.E.



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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille

I. Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

§ 1ᵉʳ. — État du sol, de l'industrie et de la population.

[107] La commune de Cauterets, qu'habite la famille, est située par 42° 51' de latitude nord, et par 2° 28' de longitude ouest, au centre des Pyrénées ; elle confine, sur une étendue de 20 kilomètres environ, à la frontière d'Espagne. Le sol, où les roches affleurent fréquemment au jour, se compose de schistes argileux, de calcaires, de micachistes et de granites. Il est traversé par de nombreuses sources d'eaux thermales dont la température varie de 50° à 90° c. Le terrain offre des différences de niveau considérables : au-dessous de Cauterets, la pente moyenne du Gave est de 46 mètres par [108] kilomètre. Ce bourg est à 971 mètres au-dessus du niveau de la mer ; les montagnes contiguës s'élèvent à 2,000 mètres : le Vignemale, point culminant de la commune, atteint 3,300 mètres. La neige couvre pendant six mois le pays, excepté les parties basses ou directement exposées au midi; elle persiste toute l'année sur les hautes montagnes, dans les ravins profonds et sur les pentes exposées au nord. La température qui s'élève accidentellement à 40° c., pendant l'été, sous l'influence du vent d'Espagne, ne comporte pas la culture de la vigne ; elle ne se prête même pas tous les ans à la complète maturité du mais.

Le sol cultivable n'occupe qu'une faible étendue : le cadastre de la commune se résume dans les chiffres suivants :

Typologie des propriétés de la commune de Cauterets (§ 1)
Typologie des propriétés de la commune de Cauterets (§ 1).

Les propriétés privées sont possédées et exploitées dans les conditions que la présente monographie fait connaître (E). Quant aux biens communaux, ils forment deux groupes principaux. Le premier groupe formé par les montagnes contiguës au bourg de Cauterets et aux germs des paysans de la commune, est spécialement réservé aux troupeaux de ces derniers ; le second groupe, beaucoup plus étendu et comprenant toutes les montagnes situées entre le premier groupe et la frontière d'Espagne, sert pendant l'été au parcours des troupeaux émigrants appartenant aux six communes qui forment avec celle de Cauterets la communauté dite de Saint-Savin. Les forêts comprises dans ces territoires fournissent, par tolérance ou par maraude, aux paysans, du bois de chauffage et d'éclairage (§ 7) et des matériaux pour la clôture des champs et des prairies.

La souche de la population se compose d'une cinquantaine de familles de paysans entre lesquelles se répartissent les terres et les prairies ci-dessus indiquées, et dont les plus aisées possèdent de 12 à 24 hectares. Chacune de ces petites propriétés comprend ordinairement deux parties distinctes : 1° le domaine, avec la maison [109] d'habitation, les granges ou étables d'hiver, la terre arable et les prairies basses, pourvu d'eau courante et d'arbres épars assez nombreux ; 2° le germ situé à 600 mètres au-dessus du Gave, de 400 à 550 mètres au-dessus du domaine, et comprenant le reste des prairies, la grange ou étable d'été, avec une chambre pour l'habitation temporaire des bergers.

Le surplus de la population se compose de bûcherons et de charbonniers, de manœuvres et de domestiques fournissant aux paysans un supplément de main-d'œuvre, et surtout de personnes vivant plus ou moins directement des profits que donne le séjour des étrangers attirés en grand nombre, pendant la belle saison, par la réputation des eaux thermales.

Ces divers éléments de la population se trouvent dans les proportions indiquées ci-après :

Catégories socio-économiques de la population de Cauterets (§ 1)
Catégories socio-économiques de la population de Cauterets (§ 1).

La famille décrite dans cette monographie appartient à la catégorie des paysans propriétaires : son domaine est à 1 kilomètre et élevé de 50 mètres au-dessus du pont de Cauterets. Le germ est situé 550 mètres plus haut et à 3 kilomètres de ce même bourg.

La commune produit en froment, seigle, orge, millet, sarrasin et mais, la moitié environ des céréales nécessaires à la nourriture des agriculteurs ; le surplus provient des plaines situées vers le nord. Les principaux produits sont les veaux, les agneaux, et en moindre proportion, les chevaux ou les mulets. Pendant la saison des bains, les agriculteurs trouvent à Cauterets un débouché avantageux pour le lait, le beurre et les œufs.

Les célèbres eaux minérales de cette localité y attirent chaque année, pendant les dix semaines de la saison chaude, environ 12,000 étrangers. De là résulte une classe spéciale de bourgeois-logeurs, d'aubergistes, de marchands, d'artisans, de loueurs de chevaux, de porteurs et de guides dont l'accroissement progressif tend à modifier l'ancien état d'équilibre de la population. Cette circonstance, favorisant une tendance naturelle vers l'indépendance, multiplie les petits ménages vivant momentanément des ressources offertes par les étrangers et commence à détruire les anciennes communautés de famille. Cependant, sous l'influence de l'opinion locale et de la [110] tradition, la plupart de ces communautés ont résisté jusqu'à ce jour à l'influence de la loi civile : la famille décrite dans la présente monographie offre, sous ce rapport, un remarquable exemple de l'ancienne constitution sociale de cette région (B).

§ 2. — État civil de la famille.

L'opinion publique a maintenu dans cette localité, et spécialement dans cette famille, une organisation fort différente de celle qui règne dans la majeure partie de la France. Le bien de famille conservé intégralement de génération en génération réunit, dans une complète communauté d'existence, tous les membres qui n'ont pas voulu s'établir au dehors (A). Le bien est toujours transmis à l'aîné des enfants (garçon ou fille) ; le nom de famille est lui-même religieusement conservé ; il est donné par la coutume au gendre qui épouse l'héritière de la maison (ayrété). C'est ainsi que le chef de famille actuel, nommé Joseph P* et qui est entré dans la maison en épousant l'héritière, est généralement connu sous le nom de M*e. Dans l'opinion de tous, ce même nom doit être invariablement attribué au possesseur de cette propriété ; il était donné à Pierre D** beau-père de P* qui était également entré dans la maison en épousant l'héritière ; enfin il est déjà attribué à Bernard O** marié à la fille aînée de P* et qui, après la mort de ce dernier, deviendra à son tour chef de la communauté.

Le nom, l'âge et les relations de parenté des quinze membres de la communauté sont indiqués ci-après :

1. Joseph P**, dit M**, maître de maison, veuf de Dominiquette D**, précédente héritière,........................ 74 ans.

2. Savina P*, dite M**, fille aînée de Joseph P*, maîtresse de maison depuis la mort de sa mère, héritière de la propriété, mariée depuis 19 ans, grosse de son huitième enfant........................ 45

3. Bernard O**, dit M**, mari de Savina, chef de famille, appelé à succéder à Joseph P* dans les fonctions de chef de maison........................ 60

4. Marthe O**, dit M**, fille aînée de Savina, future héritière........................ 18

5. Eulalie O** — sœur jumelle de Marthe........................ 18

6. Germaine O**, — 3e fille de Savina........................ 16

7. Elisabeth O** — 4e fille de Savina........................ 14

8. Suzanne O**, — 5e fille de Savina........................ 12

9. Joseph O** — 1e fils de Savina........................ 9

10. Dorothée O**, — 6e fille de Savina........................ 7

11.Jean D**, dit M**, oncle de Savina, célibataire........................ 56

1. Marie D**, dite M**, tante de Savina, célibataire........................ 48

1. Jean-Piere P*, dit M**, frère de Savina, célibataire........................ 38

14. Dominique P*, — frère de Savina, maladif, célibataire........................ 32

15. Antoine R**, célibataire, étranger à la famille, engagé en qualité de berger-domestique (§ 3)........................ 59

[111] Depuis 1826, la communauté a doté et établi au dehors 10 de ses membres, savoir : 2 fils de Pierre D**, mariés à 30 et 28 ans ; 3 filles du même, mariées à 38, à 26 et à 34 ans ; Savina, mariée à 26 ans en 1837; 1 fils de Joseph P*, marié à 29 ans ; enfin, 3 autres filles du même, mariées à 24, à 25 et 21 ans. Des renseignements analogues recueillis pour la plupart des maisons de ce district, démontrent que l'on peut compter au moins sur une moyenne d'un mariage tous les quatre ans dans chaque famille, ou d'un jeune ménage établi annuellement par chaque groupe de 8 maisons, lorsque l'on tient compte des garçons qui se consacrent au service militaire, des jeunes gens des deux sexes qui entrent dans les ordres sacrés ou dans les communautés religieuses, et en général de ceux qui, par divers motifs, restent dans le célibat. Les jeunes gens qui s'établissent ainsi en dehors des communautés entrent dans l'une des catégories ci-dessus indiquées (§ 1ᵉʳ) ; ils s'adonnent pour la plupart aux industries du bâtiment, à la confection des meubles, aux métiers de guides et de loueurs de chevaux, c'est-à-dire aux professions que multiplie chaque année l'affluence croissante des étrangers (§ 1ᵉʳ). En l'absence de toute impulsion vers les colonies françaises, et au détriment de la nationalité, quelques jeunes émigrants, inspirés par l'exemple de la population des Basses-Pyrénées (N° 4), commencent à s'acheminer vers l'Amérique du Sud.

§ 3. — Religion et habitudes morales.

Toute la famille élevée dans la religion catholique romaine en observe régulièrement les pratiques. Les enfants reçoivent au catéchisme, dirigé par le curé, une instruction religieuse prolongée ; ils ne font guère la première communion avant 14 ans : pendant l'hiver, à la fin de chaque veillée, la prière est faite en commun et récitée à haute voix. Tous les membres de la famille communient à Pâques ; plusieurs d'entre eux, les femmes particulièrement, à toutes les grandes fêtes. Le repos du dimanche est scrupuleusement observé ; mais le clergé accorde toutes les dispenses nécessaires pour les récoltes de foins et de céréales. Le maître de maison et son beau-frère Jean D** sont membres d'une confrérie religieuse dite de Saint-Laurent, qui prend part, surtout dans les processions, à l'exercice du culte ; la maîtresse et sa tante Marie D** sont affiliées à cette même confrérie. Le souvenir des parents morts est pieusement conservé ; des sommes considérables sont consacrées à faire dire des messes à leur intention.

Ces habitudes se lient à des mœurs fort recommandables ; le [112] maître et la maîtresse exercent sur tous les membres de la famille l'autorité indispensable à la conduite des travaux et au maintien de l'ordre intérieur. Les enfants voyant les membres de la communauté obéir à ses chefs en toute circonstance, s'habituent, dès leur plus jeune âge, à accorder aux supériorités sociales le respect à défaut duquel il ne peut y avoir de stabilité dans l'État. Mais, en même temps, les sentiments d'affection que développe la vie de famille contribuent à alléger, pour tous les subordonnés, le poids de cette autorité. Les enfants sont traités avec douceur et l'on fait de grands sacrifices pour leur éducation ; nonobstant l'urgence des travaux confiés aux adultes, ils se livrent en toute liberté aux jeux de leur âge. On remarque que sous l'influence de l'éducation scolaire, les enfants sont devenus plus familiers avec la langue française que ne le sont les gens âgés, et qu'ils se servent moins exclusivement du patois local. Bien que les mariages soient peu précoces, les mœurs des jeunes gens sont exemplaires. Les membres de la famille qui gardent le célibat et qui laissent dans la communauté la dot à laquelle ils auraient droit, sont traités avec beaucoup d'égards. Le domestique lui-même est logé, nourri et vêtu exactement comme un membre de la famille : sa situation qui est évidemment la conséquence d'anciennes habitudes (B), forme un contraste frappant avec celle qui est faite maintenant aux domestiques dans la plupart des classes de la société française.

Les tendances religieuses du pays fondées sur une foi traditionnelle, se maintiennent nonobstant le contact des étrangers (§ 1ᵉʳ), par suite de l'influence dont le clergé jouit dans cette localité. L'événement le plus heureux que puisse désirer une famille est de faire arriver à la prêtrise un de ses enfants. Le jeune prêtre, en effet, renonce toujours, en faveur de l'aîné, à sa part d'héritage ; il contribue ainsi à prolonger pendant une nouvelle génération la conservation intégrale du bien de famille. Souvent il apaise, par son ascendant, les dissentiments qui tendent à s'élever dans la communauté. Recruté dans la localité même, le clergé y est fortement imbu des opinions qui dominent chez les personnes les plus éclairées : il se persuade que le bien-être et la moralité des paysans sont intimement liés au maintien de la tradition en ce qui concerne la conservation intégrale des patrimoines ; l'une de ses constantes préoccupations est d'employer dans ce but l'influence dont il dispose (A). Cette sollicitude pour un détail essentiel de la constitution économique du pays a les plus heureuses conséquences pour les paysans ; elle explique en partie pourquoi ce district a pu échapper jusqu'à ce jour au régime des partages forcés propagé maintenant dans la majeure partie de la France.

[113] Quelle que soit, au reste, la cause qui maintient dans cette localité le principe de la transmission intégrale des biens patrimoniaux, l'observation apprend tout d'abord que ce principe est, avec la religion et l'autorité paternelle, le premier mobile de cette population. Chaque famille y subordonne, en toutes circonstances, ses pensées et ses actes ; c'est le grand intérêt commun que les parents signalent, dès le plus jeune âge, au respect de leurs enfants ; c'est la préoccupation vers laquelle chacun se trouve constamment ramené. par l'expérience même de la vie commune et par la pression de l'opinion locale.

§ 4. — Hygiène et service de santé.

Presque tous les membres de la famille se distinguent par un large développement de force corporelle et par une santé robuste ; la taille du maître de maison est de 1m 75 ; celle de la maîtresse est de 1m 65. A 74 ans, le premier prend part encore à tous les travaux et fait au besoin assez lestement l'ascension du germ (§ 1ᵉʳ). Les filles aînées, âgées de 18 ans, portent aisément sur les épaules et sur la tête, par des chemins difficiles, des charges de 80 kilogrammes. La fécondité des femmes, l'une des conséquences de la pureté des mœurs et l'une des causes principales de la prospérité des familles, paraît aussi devoir être attribuée à ce que les filles ne se marient qu'après avoir acquis tout leur développement physique (§ 2). La maîtresse actuelle de la maison a déjà 7 enfants vivants ; sa mère en a eu 12 et sa grand'mère 10. Dans plusieurs autres maisons de la commune la fécondité est encore plus grande.

Les indispositions et les maladies de la famille proviennent presque toutes de la suppression brusque de la transpiration, par suite des variations fréquentes de la température. C'est particulièrement à cette cause qu'il faut attribuer l'état maladif habituel d'un membre de la famille (§ 2). La population parait donc agir judicieusement en résistant à l'introduction des étoffes légères à bon marché fournies par le commerce, et en conservant l'usage traditionnel de ses épaisses étoffes de fabrication domestique (§ 7).

La maîtresse de maison traite elle-même les rhumes et les autres indispositions au moyen d'infusions de plantes médicinales cultivées dans le jardin (3). Pour les maladies proprement dites, on a recours aux soins des médecins. Bernard O**, chef de famille, est affilié à une société de secours mutuels établie à Cauterets. Celle-ci, moyennant une contribution annuelle de 6 francs, lui assure, au besoin, les secours de la médecine et de la pharmacie, avec une indemnité [114] journalière de 1f pendant la maladie et de 0f50 pendant la convalescence. La maison étant voisine du bourg (§ 1ᵉʳ), ces soins s'étendent même, par tolérance, à la femme et aux enfants du sociétaire. Tous les autres membres de la famille sont traités, en cas de maladie, par un médecin qui reçoit à titre d'abonnement une rétribution annuelle de 7f, tant pour ses soins que pour la fourniture des médicaments.

Le tableau suivant signale la longévité des habitants de la commune de Cauterets et les âges auxquels se contractent habituellement les mariages :

Nombre des individus de chaque âge, dans la commune de Cauterets [§ 1]
Nombre des individus de chaque âge, dans la commune de Cauterets [§ 1].

Les infirmités sont assez rares et ne sont signalées que chez 4 individus du sexe masculin, savoir : 2 aliénés, 1 idiot et 1 sourd-muet.

§ 5. — Rang de la famille.

Propriétaire d'une habitation agréable ; jouissant, en raison de son existence frugale, d'une honnête aisance ; contribuant à accroître la force de l'État par ses nombreux rejetons (§ 2) et par sa production agricole (1 et 2) ; ayant toujours réussi, à chaque génération, à établir tous ceux de ses membres qui ont désiré sortir de la communauté (A). La famille, caractérisée par le nom de M**, attaché à son domaine patrimonial, jouit dans le pays d'une considération méritée L'aptitude à maintenir l'harmonie et une intelligente direction dans une nombreuse communauté de travailleurs, donne [115] naturellement aux chefs de maison la finesse, le discernement et l'esprit de conciliation unis à une grande expérience des hommes et des choses. L'organisation sociale de cette vallée développe, par conséquent, chez les paysans, la capacité administrative beaucoup plus que ne le fait ailleurs le régime d'isolement spécial à notre époque. Il existe donc par exception, dans le personnel de cette localité, pour les besoins des administrations communales, des ressources bien supérieures à celles que nos modernes institutions réclament ordinairement. En cas d'extension des attributions communales, notamment en ce qui concerne l'administration des forêts et des eaux thermales, on disposerait immédiatement, dans cette localité, de fonctionnaires préparés à remplir avec intelligence leurs nouveaux devoirs.

On trouverait difficilement ailleurs des types de paysans-propriétaires représentant plus dignement la civilisation européenne et, en particulier, la nationalité française.

II. Moyens d'existence de la famille

§ 6. — Propriétés.

(Mobilier et vêtements non compris.)

Immeubles : 2 propriétés distinctes : le domaine dans la vallée ; le germ dans la montagne............ 28,000f 00

Habitation : Maison composée d'un rez-de-chaussée et d'un premier étage, 1,200f 00.

Bâtiments ruraux. Grange et étables, 3,040f 00 ; — Porcherie et poulailler, 110f 00.

Étendues et valeurs des terres du domaine et du germ de la famille M*** (§6)
Étendues et valeurs des terres du domaine et du germ de la famille M*** (§6).

Argent............ 184 00

Somme gardée par la maîtresse de maison et constituant, avec les grains, les jeunes animaux et les provisions, le fonds de roulement de la communauté, 176f 00. — Somme possédée à titre individuel, par les divers membres de la communauté [ceux-ci s'empressent en général de dépenser tout ce dont ils peuvent disposer (C)], 8f 00.

[116] Animaux domestiques entretenus toute l'année............ 3,264f 20

Bêtes à cornes. — 8 vaches, 1,360f 00; — 3 à 5 génisses ou veaux (selon la saison), 130f 00. — Total, 1,510f 00.

Bêtes a laine. — 60 brebis de 3 à 6 ans, ayant déjà porté ; 15 femelles de 2 ans (doubleras); 15 femelles d'un an (bacivas); 55 moutons, agneaux, béliers, etc., 1,108f 00.

9 de ces brebis sont possédées à titre individuel, savoir : 6 par Jean D**° (§ 2), 2 par Marie D** et 1 par le domestique, qui vendent à leur profit les produits qui en proviennent, à la charge toutefois, pour les deux premiers, de payer à la communauté 5f par tête de brebis pour la valeur du foin consommé. Conformément à la coutume qui est également suivie dans la Basse-Bretagne (les Ouvr. europ. XXIX § 7), cet avantage est accordé au domestique à titre gratuit (C).

Animaux divers. — 1 jument, 240f 00 ; — 1 chien de garde, 30f 00. — Total, 270f00.

Basse-cour.-Deux cochons à l'engrais, 210f 00 ; — 6 poules, 11f 20. Total, 221f 20.

Rucher. — 12 ruches en paille, 155f 00.

Matériel spécial des travaux et industries............ 639 30

Exploitation des champs, des prairies et des arbres épars (E). — 4 charrues (arétes), 30 00 ; — 5 jougs (yus) pour atteler les vaches, 17f 50; — 3 cuirs (guillas), pour attacher les vaches au joug, 8f 25 ; — 1 herse en fer (arrascle), 7f 00; — 1 herse en bois, 5f 00 ; — 1 mesure à 3 tiges (marcadé) pour tracer les sillons de maïs, 8f 75 ; — 1 houe à vaches (raserot) pour biner le maïs, 3f 00 ; — 6 petites houes triangulaires à main (houssé) pour le labourage, 7f 50; — 2 houes (houssera) pour le labourage, 3f 00 ; — 3 pioches doubles avec tranchant (hachat) pour tracer les rigoles des prés, 6f 00 ; — 3 tridents en fer (cargadé) pour remuer le fumier, 4f 50 ; — 3 pioches simples, 5f25 ; — 3 pelles en fer pour labourage (palaher), 9f 00; — 6 pelles en bois, 2f10; — 20 râteaux à foin, en bois, 12f 00; — 1 serpe (bedouï) pour tailler les haies, 2f 00; — 24 corbeilles en noisetier tressé, pour transporter sur la tête le fumier et la terre, 7f 20 ; — 5 civières en bois pour transporter le fumier et la terre, 22f 50 ; — 3 civières à gros barreaux (bayar) pour transporter les pierres, 6f 00 ; — 2 brouettes à une roue ferrée (carrio), 14f 00 ; — 6 fourches en bois pour manœuvrer la paille, 2f 40 ; — 12 fourches pour éparpiller le fumier sur les prés, 3f 00 ; — 7 faux pour foins et regains, 31f 50; — 1 enclume et 1 marteau pour battre à froid les faux, 3f 00 ; — 6 pierres à aiguiser avec leurs étuis en bois, 7f 50; — 12 instruments spéciaux (arrias) pour charger le foin sur les épaules, 9f 00 ; — 6 cribles à cercles de bois, à fonds de peau de mouton (sinnès) pour vanner et trier les grains, 15f 00; mobilier pour l'exploitation des arbres : 4 haches à deux mains et 3 serpes, 18f 90. — Total, 264f85.

Exploitation des bêtes à cornes, et à laine et de la jument (E). — 16 cloisons placées entre les vaches (meillans), 46f 00 ; — 8 crèches pour les vaches et les veaux, 8f 30 ; — 18 attaches en bois à 3 anneaux (coueras), 10f 00 ; — 3 échelles pour la descente du foin, 6f 00 ; — 18 cloisons pour 3 étables à brebis, 54f 00; — 100 panneaux de barrières mobiles (clédas) avec piquets et bourras pour monter les parcs à brebis (bargère) en dehors des bergeries, 100f 00; — 7 échelles à foin pour le service des bergeries, 13f 00; — 3 cabanes mobiles en bois et paille (burguet) pour loger le berger près des parcs à moutons, 9f 00; — 2 trompes de berger ppour signaler les animaux dangereux, 2f 00 — 3 poches à sel pour les bergers, 1f 00; — 4 cruche à bec avec couvercle, de 15 litres, en fer-blanc (bane) pour le transport du lait, 6f 00; — 2 seaux en fer-blanc de 3 à 4 litres pour le transport du lait, 4f 00 ; — 2 seaux en bois avec anses (sanguias) pour traire les vaches au domaine, 2f 00; — 2 seaux en bois pour traire les vaches au germ (§ 1ᵉʳ), 2f 00; — 4 seaux en bois avec couvercles, de 3 à 4 litres, cerclés en fer, pour traire les brebis, 3f 75 ; — 3 chaudrons en cuivre étamé pour préparer la crème, 21f 00; — 2 tamis à cercles de bois, à fonds de crin, pour passer le lait, 2f 00 ; — 3 cuillers plates en bois pour écrémer le lait, 0f 50 ; — 1 baratte moderne à beurre en fer-blanc, 5f 00; — 1 baratte moderne à bourre en bois, 3f 00 ; — 2 barattes [117] antiques en peau de mouton, considérées encore aujourd'hui comme les meilleures, 2f 75 ; — 2 petits chaudrons en cuivre pour la cuisine des bergers à la station d'été, ou germ, 8f 00; — Vases et ustensiles divers pour le service d'été des bergers, 4f 10; — mobilier pour l'exploitation de la jument : râtelier, cloisons, mangeoires, harnais, 30f 90. — Total, 344f 30.

Exploitation du jardin potager. — 2 houes, 2 pelles, boites à graines, cordeaux, 6f 20.

Exploitation de la basse-cour. — Auges, vases et ustensiles pour le service des cochons, 14f 00 ; — Ustensiles pour le service du poulailler, 1f 60. — Total, 15f 60.

Exploitation des abeilles. — 6 ruches de rechange, 3 30 ; — ruches en bois avec toit en ardoises, 9f 00 ; — petite presse pour séparer le miel de la cire, 0f 45 ; — Vases et ustensiles pour la conservation des produits, 0f 80. — Total, 13f 55.

Fabrication des fils et étoffes de lin. — Quenouilles, fuseaux, bobines, etc., 1f 10 ; — 1 métier à tisser (aujourd'hui sans usage), 4f 50. — Total, 5f 60.

Fabrication des fils et étoffes de laine. — Quenouilles, fuseaux, bobines, 1f 20.

Fabrication des sabots. — 1 établi en bois de hêtre, 4f 15 ; — 3 petites haches courbes (hucholas), 3f 60; — 3 outils recourbés à 2 tranchants (rase), 2f 00 ; —2 grandes tarières, 1f 85; — 2 petits rabots à polir, 0f 60. — Total, 12f 20.

Petites fabrications domestiques. — Couteaux et outils divers pour le travail du bois, 4f 20 ; — aiguilles et ustensiles divers pour ouvrages de femme, 1f 60. — Total, 5f 80.

Valeur total des propriétés............ 32,117f 50

§ 7. — Subventions.

L'étude du budget des recettes prouve que les subventions exercent sur le bien-être de la famille une influence considérable. Il faut placer au premier rang l'herbe broutée par les animaux domestiques sur les pâturages communaux, à proximité du germ (§ 1ᵉʳ) où ils se tiennent pendant l'été ; les troupeaux y prennent environ les quatre dixièmes de la quantité totale de nourriture qu'ils consomment. Viennent ensuite, selon l'ordre d'importance, les racines de pin (Pinus sylvestris L.) récoltées par tolérance de l'administration forestière dans les forêts communales, et employées sous le nom de tèda, à l'éclairage domestique (§ 10) ; le bois de chauffage et les matériaux de clôture enlevés par maraude dans les bois communaux voisins des habitations, composés principalement de taillis de hêtre (Fagus sylvatica L.). Il est à remarquer que la maraude dans les bois communaux ne constitue pas, dans l'opinion du pays, une action honteuse, et qu'elle se concilie même chez toutes les familles avec un développement prononcé du sentiment religieux. On peut encore compter au nombre des subventions fort appréciées des familles demeurant près de Cauterets, le droit d'envoyer pendant [118] les journées d'hiver leurs fileuses aux thermes de ce bourg, et de jouir ainsi, à titre gratuit, de la douce température développée par la circulation des eaux minérales.

§ 8. — Travaux et industries.

Tous les membres de la famille, à l'exception des deux plus jeunes enfants, exécutent en commun la culture et la récolte des champs, et quelques travaux spéciaux, tels que l'abatage des cochons, la tonte des brebis et la préparation des pailles pour la couverture des granges (E).

Travaux des hommes. — Les travaux spéciaux aux hommes sont : le labourage et le fauchage ; les soins donnés aux vaches, aux brebis, à la jument et aux abeilles ; l'abatage des produits forestiers, la fabrication des sabots et l'entretien du mobilier agricole.

Travaux des femmes. — Les travaux spéciaux aux femmes sont : la culture du jardin potager ; le service de la basse-cour ; les travaux de ménage et spécialement les soins de propreté ; la préparation du pain, de la mestura (§ 9) et des autres aliments ; le blanchissage du linge ; la fabrication des fils et des étoffes de lin et de laine ; la confection des vêtements et du linge de ménage. La maîtresse est plus particulièrement chargée du jardin-potager, de la cuisine et des ventes au marché. Le service de la laiterie n'est jamais dévolu aux femmes.

Travaux des enfants. —Les enfants sont peu chargés de travail ; les deux filles de 14 et de 12 ans consacrent une grande partie de leur temps à l'école et au catéchisme ; les deux plus jeunes enfants, âgés de 9 et 7 ans, suivent toute l'année ce double enseignement. On ne les emploie jamais aux travaux qui pourraient excéder leurs forces. Leurs occupations principales sont : le filage, le tricotage, la garde des brebis et la récolte d'herbes destinées aux cochons ; elles sont pour eux une récréation autant qu'un travail.

Industries entreprises par la famille. — L'essence même de l'organisation sociale à laquelle se rattache cette famille, est que tous les travaux sans exception soient entrepris à son compte particulier.

III. Mode d'existence de la famille

§ 9. — Aliments et repas.

[119] Le régime alimentaire de la famille, suffisant à la rigueur pour entretenir les forces des travailleurs est néanmoins soumis aux règles de la plus sévère économie ; on n'y voit jamais apparaître le superflu, même aux principales fêtes de l'année.

Ce régime a pour bases essentielles, les céréales, la graisse et la viande de porc, le beurre, le sel et quelques légumes.

Les céréales se préparent sous quatre formes principales : 1° le pain de seigle et de froment mélangés ; 2° la mestura, sorte de pain de qualité inférieure, enfournée à l'état de pâte très-molle composée d'un mélange d'orge, de maïs, de millet et de sarrasin ; 3° la bouillie de maïs préparée à l'eau et au sel, quelquefois au lard, et mangée chaude ; la même, refroidie à l'état de pâte, tantôt assaisonnée de lait aigre, tantôt frite dans la poêle avec de la graisse ou du beurre ; 4° enfin, des crêpes de maïs ou de sarrasin, à l'eau ou au lait, plus rarement aux œufs, cuites sur une poêle enduite de graisse ou de beurre.

Le beurre, la graisse et la viande de porc servent en outre à préparer des soupes au pain, plus rarement à assaisonner des légumes,

La famille fait chaque jour trois repas :

1° à 8 heures, le dîner : Les jours gras : soupe au pain, à la graisse, aux choux, au porc salé ou fumé ; puis porc bouilli mangé avec le pain. — Les jours maigres : soupe au pain, au beurre, aux choux, ou aux haricots ; puis pain et fromage.

2° A 2 heures, le midi : Mets assez variés : pommes de terre assaisonnées à la graisse et mangées avec la mestura ou cuites à l'eau et mangées avec le pain et le sel ; mestura sortant du four, mangée avec le beurre ; crêpes de sarrasin et de maïs cuites sur la poêle ; bouillie de maïs cuite avec du sel et un peu de porc haché, etc.

3° à 8 heures, le souper : bouillie chaude de maïs à l'eau et au sel ; la même, épaissie par refroidissement et mangée avec du lait froid écrémé ; mestura émiettée dans du lait écrémé bouilli, etc.

Les jours de grands travaux, et notamment lorsque les voisins sont convoqués pour aider la famille dans quelque corvée [120] extraordinaire, telle qu'un transport de matériaux, la tonte des brebis, etc., les repas deviennent plus substantiels et comprennent une quantité modérée de vin et de viande de boucherie (D).

Les noces sont la seule circonstance pour laquelle les repas prennent le caractère de l'abondance : ainsi, à l'occasion du dernier mariage célébré dans la famille et auquel étaient conviées 32 personnes, il a été consommé 22 kilogrammes de viande, 20 litres de vin, 1 hectolitre de froment, 2 kilogrammes de lard, 6 kilogrammes de beurre et 4 douzaines d'œufs ; dans cette consommation se trouvait comprise la tista, c'est-à-dire le panier rempli de provisions que, suivant un usage traditionnel, les jeunes mariés emportent chez eux en quittant la maison paternelle.

§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.

La maison, solidement construite en maçonnerie épaisse et couverte en ardoise, offre, au rez-de-chaussée comme au premier étage, de grandes pièces de 38 mètres carrés ; à une fenêtre ; séparées, à chaque niveau, par l'escalier et par un large couloir servant d'antichambre, de vestiaire et de magasin pour la farine.

Les deux pièces du rez-de-chaussée sont : 1° la cuisine avec une grande cheminée, le four, le râtelier à vaisselle, la table à manger et les trois lits : du vieux père et du plus jeune garçon, de la maîtresse de maison et de son mari, de la tante célibataire et de la plus jeune fille ; 2° l'atelier pour la fabrication des sabots, la fabrication du mobilier agricole et en général la confection des objets de bois nécessaires à la famille.

Les deux pièces correspondantes du 1er étage sont : 3° une chambre à 3 lits et à 2 armoires pour les filles et pour leur oncle valétudinaire ; 4° une chambre à quatre lits où couchent les autres hommes, le domestique et au besoin un parent venant visiter la famille.

La valeur du mobilier et des vêtements peut être établie ainsi qu'il suit :

Meubles : suffisants pour les besoins du ménage : les lits, en particulier, témoignent d'un véritable confort ; tous sans exception, même celui du domestique (§ 3), sont à colonnes, garnis de couvre-pieds et de rideaux fabriqués avec une solide étoffe de laine............ 1,171f 05

Lits. — 10 lits pareils comprenant chacun : 1 bois de lit en sapin, 1 matelas à étui de toile rempli de paille de maïs, 1 matelas à étui de toile ou de cotonnade rempli de laine, 1 traversin à étui de toile rempli de plume de poule, 2 couvertures en laine, [121] rideaux et couvre-pied en étofe de laine de couleur foncée ; — Total pour 1 lit, 89f 30; — 2 oreillers à étui de toile, remplis de plumes de poule, pour les deux lits du maître et de Jean D**, 9f 50; — Total pour les 10 lits, 904f 50.

Mobilier des chambres à coucher. — 2 armoires (sapin et noyer), pour le linge des femmes et du ménage, 120f 00 ; — 1 commode de noyer au maître de maison, 45 00 ; — 7 coffres en noyer avec serrures pour les effets particuliers des divers membres de la famille, 35 00; — 12 chaises en bois et paille, 15f 00; — 3 porte-manteaux, 21 50; — 2 petites tables en noyer, 10 00. — Total, 227f 30.

Mobilier de la cuisine. — 6 chaises en bois et en paille, 6 00 ; — 1 banc près du feu, 1f 30 ;— 10 tabourets en bois à trois pieds (troubès), 51 00 ; — 1 table ( noyer et hêtre), 10f 00 ; — 1 vaisselier à buffet et à triple étagère, 15 50; — 1 planche à pain près du plafond, 1f 25. — Total, 39f 05.

Ustensiles : solides ; suffisant à l'usage journalier, comprenant quelques objets de prix pour les jours de noce............ 223f 85

Dépendant du foyer de la cuisine. — 1 crémaillère en fer, 2f 25 ; — 2 gros chenets en fer forgé de 8 kilogr., 16f 00 ; — 1 plaque de foyer en fonte de fer, 91f 00 ; — 1 pelle et 1 pincette en fer forgé, 2f 50; — 1 jusqu'à t en cuir et en bois, 1f 25. — Total, 31f 00.

Dépendant du four à pain. — 1 rable en fer pour éparpiller la braise, 3f 00; — 2 pelles en bois, 1 25; — 1 pétrin en bois, 8 00 ; — Vieux chaudrons pour la cuisson de la mestura, 11 20. — Total, 13f 45.

Employés pour la cuisson et la consommation des aliments. — 1 marmite à anse en fonte (melao) pour la soupe, 3f 50 ; — 1 marmite à 3 pieds en fonte, 2f 75 ; — 3 chaudrons en cuivre de 11f 00, de 7f 50 et de 5f 00, 2350; — 1 poêle à longue queue en fer battu, 3 00 ; — 1 poêle à courte queue en fer battu, 1f 50; — 1 gril en fer pour viande, boudins, saucisses, 1f 50; — 1 broche à rôtir, tournée à la main, 1f 75; — 1 tourtière en cuivre pour pâtisseries, servant les jours de noce, 14f 50; — 3 grandes cuillers et 12 cuillers ordinaires en fer battu, 8f 00 ; — 3 casseroles en cuivre pour ragoûts, surtout pour les jours de noce, 12f 00; — 2 pots en terre vernissée allant au feu, 0f 70 ; — 1 couteau de cuisine, 2f 00 ; — 36 cuillers en bois pour soupes et bouillies, 3f 60 ; — 6 terrines en terre vernissée pour servir les soupes, les bouillies et les légumes, 3f 00; — 24 assiettes en grosse faïence à émail opaque, 2f 40; — 18 assiettes en terre de pipe, 2f10 ; — 2 grands plats en bois pour servir les soupes et les bouillies, 2f 00 ; — 2 vases en bois (paraos) pour préparer les légumes, 2f 00 ; — 5 écuelles en terre (vases à boire), 0f 70; — 5 écuelles à boire pour les enfants (coussets), 1f 25 ; — 6 bouteilles à vin en verre (grandes et petites), 1f 00; — 12 petits verres à boire, 1f 80; — 2 cruches à eau en terre, 1f 20; — 1 moulin à poivre, 3f 00 ; — 1 égrugeoir à sel en bois, 0f 40; — Tonneaux et caisses pour liquides, viandes salées, etc., 6f 60. — Total, 105f 75.

Servant à l'éclairage. — 1 lampe à huile, à 3 becs, en laiton (gruzo), 41 00; — 4 chandeliers en laiton, 30f 00; — 1 plaque en tôle pour brûler la téda (§ 7), 0f25; — 1 sac en étoffe de laine pour porter la bougie que la maîtresse tient allumée pendant la messe, 0f 20. — Total, 34f 45.

Servant au blanchissage du linge. — 2 cuviers à lessive d'un volume total de 650 litres, 13f 00 ; — 4 pièces de grosse toile (siaré) recevant les cendres, 16f 00; — 6 battoirs à linge, 1f 80; — 3 fers à repasser, 8f 40. — Total, 39f 20.

Linge de ménage : en toile solide, assez abondant............ 527 10

30 paires de draps de lit en toile (lin et coton), 297f 00; — 72 serviettes en toile, 68f 40; — 6 nappes en toile, 69 00 ; — 24 torchons en toile, 12f 00 ; — 4 pièces de toile en provision pour les besoins du ménage, 81f 00. — Total, 527f 40.

Vêtements : les vêtements sont, par leur forme et par la nature des étoffes [(7) (10)], parfaitement appropriés aux convenances [122] du climat. Celui des femmes surtout offre un véritable cachet de distinction : il contraste heureusement, sous ce rapport, avec le vêtement banal qui se propage, au détriment du goût et de la santé, chez beaucoup de populations............ 3,543f 25

Vêtements des hommes (6 adultes et 1 jeune garçon), selon le détail ci-dessous (1,532f 60).

Vêtements d'un homme (pour les dimanches). — 1 veste de drap fin, noir, 40f 00; — 1 gilet noir (drap ou soie), 10f 00 ; — 1 pantalon de drap fin, noir, 20f 00 ; — 1 chemise de toile fine, 51f 00; — 1 cravate de soie (noire ou de couleur), 5f 00; — 1 bonnet (berrété) de drap bleu, 3f 00; — 1 paire de bas (coton ou laine), 2f 00; — 1 paire de souliers, 10f 00 ; — 1 mouchoir de poche (toile fine), 1f 00; — manteau (point), 0f 00. — Total, 96f 00.

Vêtements d'un homme (pour le travail). — 1 habillement complet en gros drap brun, comprenant veste, pantalon, gilet et guêtres, 15f 49 ; — 1 gilet de tricot, 6f 00; 1 chemise en toile, 3f 60; — 1 pantalon en toile, 2f 50; — 1 cravate en coton imprimé, 0f 8 ; 1 mouchoir de poche en toile, 0f 90 ; — 1 paire de bas de laine, 2f 00; — 1 paire de souliers, 10f 00; — 1 paire de sabots, 1f 20; — 1 paire de gants tricotés, 1f'00 ; — 1 bonnet en gros drap bun, 2f 00; — 1 surtout en drap noir, 40f 00. Total, 85f54.

Vêtements d'un homme (en provision ou en double). — 10 chemises de toile, 3 paires de bas cn laine, 5 mouchoirs de poche, 2 cravates, 48f 20.

Vieux vêtements. — On suppose que leur valeur balance la diminution à faire sur les prix précédents, qui sont ceux de fabrication ou d'acquisition. — Valeur totale des vêtements d'un homme, 229f 74.

Vêtements des femmes (5 adultes, 2 jeunes filles, 1 enfant) selon le détail ci-dessous (2,010 05).

Vêtements d'une femme (pour le dimanche). — 1 robe de mérinos, couleur brune, 20f 00 ; — 1 jupon en toile de coton, 6f 00 ; — 1 tablier noir (laine ou soie), 9f20 ; — 1 mouchoir de cou (en soie), 4f 00; — 1 mouchoir de tête en laine de couleur, 3f 80 ; — 1 châle en laine imprimé, 10f 00 ; — 1 paire de bas blancs en coton, 2f 00; — 1 paire de souliers, 6f 00 ; — 1 chemise en toile fne, 4t 35 ; — 1 long surtout en mérinos noir, 56f 00 ; — 1 court surtout en drap blanc fin, 9f 50 ; — 1 mouchoir de poche en toile fne, 1f 00. — Total, 132f 35. — Total pour la maîtresse de maison, y compris une alliance en or valant 8f 00, 140f 35.

Vêtements d'une femme (pour le travail). — 1 chemise de toile, 3f 60 ; — 1 habit (corsage et jupe) en drap noir, 12f 80 ; — 1 jupon en étamine grise, 4f 67; — 1 habit d'indienne, 1f 95 ; — 1 tablier d'indienne, 3f 08 ; — 1 mouchoir de cou (coton ou laine), 3f 00; — 1 mouchoir de tête (coton ou laine), 1f 80; — 1 paire d bas en laine, 1f 20; — 1 mouchoir de poche en toile, 0f 90 ; — 1 paire de souliers, 5f 50; — 1 paire de sabots, 1f 25 ; — 1 long surtout en drap commun, 17f 00 ; — 1 court surtout en drap blanc commun, 5f 00. — Total, 71f 75.

Vêtements d'une femme (en provision ou en double). — 10 chemises de toile, 38f 00; — 10 mouchoirs de cou, 30f 00 ; — 10 mouchoirs de tête, 18f 00 ; — 10 paires de bas en laine, 12f 00; — 10 mouchoirs de poche, 9f 00. — Total, 105f 00.

Vieux vêtements (même remarque que ci-dessus). — Valeur totale des vêtements d'une femme, 309f 10.

Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 5,465f 55

§ 11. — Récréations.

[123] La famille, composée de 15 personnes, trouve dans vla vie commune, dans les jouissances et dans les devoirs de la propriété, des moyens suffisants de récréation, et l'on y songe rarement à s'en créer d'autres au dehors. Les principales circonstances qui rompent agréablement pour la communauté le cours ordinaire de l'existence, sont : les exercices du culte auxquels tous les membres de la famille assistent successivement les fêtes et les dimanches; les repas composés de viande de boucherie et de vin qui ont lieu les jours où la famille exécute seule ou avec le concours des voisins certains travaux extraordinaires (D) ; enfin, les excursions faites aux foires de Lourdes et d'Argelès pour la vente ou l'achat des bestiaux. Les droits à ce dernier genre d'amusement sont garantis par l'usage à chaque membre de la communauté : ainsi, ceux qui possèdent des bêtes à laine à titre individuel (§ 6) vendent eux-mêmes leurs produits ; la vente d'une vache appartenant à la communauté est toujours pour les jeunes filles l'occasion d'un voyage à la foire.

Pendant les journées d'hiver les femmes qui ne sont pas obligées de vaquer aux travaux du ménage, prennent plaisir à filer, en compagnie des voisines, dans les thermes de Cauterets (§ 7). Elles se plaisent surtout, pendant les veillées d'hiver, près du foyer domestique, à entendre les récits amusants que fait le père de famille en vue de prolonger la durée du travail.

Les hommes s'abstiennent absolument de l'usage du tabac et des spiritueux ; ils vont seulement trois ou quatre fois par an faire une consommation modérée de café dans les auberges de Cauterets, de Lourdes ou d'Argelès.

IV. Histoire de la famille

§ 12. — Phases principales de l'existence.

Élevés avec sollicitude par les parents, entourés dès leur plus jeune âge de soins et de distractions au milieu d'une communauté nombreuse, les enfants vivent en pleine liberté dans les conditions [124] les plus favorables au développement des facultés physiques, de l'intelligence et des sentiments moraux. On ne les surcharge de travaux ni à l'école ni au catéchisme ; on attache même de l'importance à reculer vers 14 ans l'époque de la première communion, et il s'écoule ensuite une année au moins avant que l'on emploie aux travaux la totalité de leur temps.

Les mariages sont tardifs : ils ont ordinairement lieu de 24 à 25 ans pour les filles, de 28 à 30 ans pour les garçons; souvent plus tard encore. De chaque union sortent ordinairement 8 à 10 enfants. L'aîné (garçon ou fille) se marie le premier dans la maison paternelle, et le jeune ménage qui doit un jour, conformément à la coutume, posséder le bien de famille, commence peu à peu à seconder les vieux parents dans la direction des affaires de la communauté. A une époque convenablement choisie (A), on fait l'estimation du bien ; on assure au jeune ménage la propriété du quart que la loi laisse à la disposition du père de famille et de la part qui lui doit revenir sur le surplus ; une part égale est attribuée successivement à chacun des autres enfants au fur et à mesure qu'ils quittent la maison paternelle. Lorsque ces derniers se marient, ils renoncent à toute réclamation ultérieure sur le bien de famille moyennant le paiement de cette dot prélevée sur les profits de la communauté. Le paiement de la dot du plus jeune enfant laisse ordinairement l'aîné unique propriétaire du bien. Diverses circonstances viennent habituellement en aide au succès de ces combinaisons : les jeunes gens des deux sexes désireux de se marier s'efforcent, avec une ardeur soutenue, d'augmenter par le travail et l'économie les profits qui, en s'accumulant, doivent constituer leur dot ; ceux, au contraire, qui ont peu d'inclination pour le mariage et qui préfèrent à la responsabilité que leur imposerait la situation de chef de famille, la quiétude qu'ils trouvent dans la maison paternelle, peuvent toujours compter sur l'affection et les égards de la famille, à laquelle ils assurent, par cette détermination, un accroissement de ressources et une diminution de charges. Ceux des enfants qui entrent dans les ordres ou dans une congrégation religieuse, concourent non moins efficacement à assurer la conservation intégrale du bien de famille en cédant de suite à l'aîné leur part de patrimoine.

Les mêmes combinaisons se renouvellent par périodes de 24 à 28 ans correspondant à l'intervalle qui s'écoule moyennement entre deux naissances successives d'héritier. Pendant ce temps la famille établit au dehors au moins 6 à 7 enfants et souvent davantage (§ 2). Cette même maison assure une vie heureuse à ceux de ses rejetons qui, à raison de quelque imperfection physique ou intellectuelle, ne pourraient prospérer comme chefs de famille ; elle est un asile toujours [125] ouvert pour ceux qui échouent dans leurs entreprises, pour le soldat invalide, etc. Elle conserve une situation digne aux vieux par rents et aux membres infirmes de la communauté. En outre, dans chaque période de 4 ans la même famille prenant seulement au dehors, pour compléter sa provision, 800 fr. de céréales, livre au commerce, en bestiaux seulement, une valeur plus grande de 50 pour 100, notamment deux chevaux ou mulets propres au service de l'armée, 32 bêtes à cornes et 240 moutons ou brebis.

§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.

La transmission intégrale des petites propriétés de paysans, entraînant comme conséquence le régime du travail sans engagements, est le fondement de la constitution sociale de cette localité (§ 3) ; elle établit entre les générations successives d'une même famille une association permanente, maintenue par le libre consentement des parties, laissant à chacune d'elles la faculté de s'établir au dehors avec une dot proportionnelle à sa part de propriété. De cette famille souche, placée, grâce à un travail opiniâtre (E), dans d'excellentes conditions de moralité et de bien-être, partent incessamment, en moyenne tous les quatre ans, des rejetons dressés au travail et à l'obéissance, pourvus d'un petit capital, offrant par conséquent de précieuses ressources à une nationalité en voie de développement. Ce régime présente des avantages évidents pour le recrutement de l'industrie, de l'armée, de la flotte et des colonies ; il donne des garanties toutes spéciales pour le maintien de l'ordre public, pour le progrès des institutions communales (§ 5) et de la liberté civile. Ici, comme dans la Suisse allemande, l'Allemagne du nord, le Danemark, etc., il concilie au plus haut degré l'intérêt public et la permanence du bien-être individuel.

§ 14. — Budget des recettes de l'année.

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§ 15. — Budget des dépenses de l'année.

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Comptes annexés aux budgets.

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Notes

Faits importants d'organisation sociale ; Particularités remarquables ; Appréciations générales ; Conclusions.

(A) Sur la transmission intégrale des biens de famille chez les paysans du Lavedan.

[141] Les ouvriers agriculteurs occupent une multitude de situations entre les deux types du propriétaire-cultivateur secondé dans son travail manuel par des salariés [les Ouv. europ. XX (A)], et du salarié proprement dit dépourvu de propriétés, ou tirant tout au plus de quelque parcelle de terre des moyens insuffisants de subsistance [les Ouv. europ. XVI (B).]

A égale distance de ces deux termes extrêmes, se trouvent les familles où le nombre des bras est si bien proportionné à l'étendue de la propriété, qu'on peut s'y dispenser également, et d'employer des salariés et de demander du travail au dehors. Partout cette situation fait naître des mœurs spéciales, parfois des vertus éminentes. On y trouve souvent réunis : le bien-être et la frugalité, l'amour du travail et le goût de l'épargne, la dignité personnelle et l'esprit d'obéissance, la stabilité et le progrès. Cette classe a, depuis longtemps, une importance considérable en Europe : elle est caractérisée dans chaque langue par une expression spéciale ; et, bien que le nouveau régime français repousse les distinctions de classes, les individus appartenant à cette catégorie continuent à être habituellement désignés par le nom de paysans.

Dans les civilisations peu avancées, on vise ordinairement à conserver par des prescriptions spéciales l'état d'équilibre qui caractérise la situation des paysans ; chez les peuples les plus intelligents et les plus libres, on laisse à l'intérêt individuel le soin d'y pourvoir. En fait, la pression des règlements locaux ou le libre arbitre des individus fondent en général la stabilité et le bien-être de cette classe sur le principe de la transmission intégrale des héritages.

En France, en 1793, à l'époque où nos législateurs modifiaient si profondément l'ancienne constitution sociale, on se préoccupa plus qu'on ne le faisait précédemment d'accroître l'influence des paysans. Mais on pensa alors que, pour atteindre ce but, il était plus [142] essentiel de morceler systématiquement les grandes propriétés antérieurement maintenues par le droit d'aînesse ou la mainmorte, que de conserver intactes les petites propriétés constituées par le régime antérieur. Sous cette inspiration, le législateur, s'écartant brusquement de la tradition européenne, fonda, avec des formes excessives, un régime de partages forcés qui fut seulement tempéré par les lois de l'an v et de 1803.

Il est vraisemblable que la classe des paysans, considérée dans son ensemble, a, momentanément, tiré avantage de ce nouveau régime ; mais l'observation prouve que ce dernier donne aujourd'hui, dans la majeure partie de la France, des résultats opposés à ceux qu'on en avait attendus. En présence d'un territoire qui ne peut guère s'accroître désormais aux dépens de la grande propriété, soumis à une série de partages aux décès successifs des chefs de famille, les paysans n'ont pour la plupart, devant eux que deux alternatives : ou bien, peu soucieux de l'avenir, ils se multiplient conformément au vu de la nature, et alors, renonçant à l'état d'équilibre qui assurait leur bien-être, ils arrivent à une condition inconnue dans les autres civilisations européennes, celle du propriétaire-indigent [les Ouv. europ. XXVIH(B)] ; ou bien, plus réfléchis, ils fondent sur la stérilité du mariage la prospérité des générations successives, et c'est alors l'intérêt national qui se trouve sacrifié. En d'autres termes, à une époque où, chez les autres grandes nations, les classes agricoles débordent par la colonisation sur le monde entier, les paysans français privés de l'organisation qui, dans les derniers siècles, leur permettait de fonder le Canada, ne peuvent s'assurer le bien-être qu'en neutralisant leur force d'expansion au détriment de la grandeur de l'État [les Ouv. europ. XXX (B)]. Assurément, en rappelant ces faits, sans les développements que le sujet comporte, l'auteur comprend bien qu'ils ne peuvent tout d'abord être admis comme des vérités démontrées : il connaît, en effet, la vivacité des convictions qui, cachant en quelque sorte l'évidence, n'ont pas permis d'apercevoir encore les funestes conséquences du régime des partages forcés. Ramené sur ce sujet par la présente monographie, il voudrait, du moins, faire remarquer combien ces conclusions sont graves et combien il importerait de les confirmer ou de les réfuter par de nouvelles observations.

A ce point de vue, il serait utile de constater si l'influence de la loi doit encore s'employer à détruire les familles-souches cultivant dans les conditions présentement décrites, un bien patrimonial ; ou si, au contraire, il faut dorénavant laisser à l'initiative individuelle le soin de décider ce qui convient le mieux à chaque famille et à chaque localité. Ces recherches qui, en cas de succès, [143] doivent avoir des conséquences si importantes, ne peuvent dans le cas où elles resteraient stériles, entraîner aucun inconvénient, pas même celui de passionner les esprits pour le changement, puisque, comme il arrive toujours en matière de succession, les sympathies publiques sont généralement acquises au système établi.

Les études internationales jetteront beaucoup de jour sur ce genre de recherches : comme on l'a déjà remarqué, en effet, la loi ou les meurs, dans les autres constitutions européennes sont aussi favorables au régime de transmission intégrale que le nouveau système français lui est hostile. D'un autre côté, des arguments non moins dignes d'attention se trouveront dans les localités où les paysans français, conservant la tradition des peuples les plus stables et les plus libres, ont pu jusqu'à présent résister, par la seule force des mœurs, à l'envahissement du régime des partages forcés.

Dans l'intérêt des recherches dont le plan vient d'être indiqué, il semble donc opportun de faire connaître les combinaisons au moyen desquelles les paysans de l'ancien Lavedan assurent la transmission intégrale de leurs héritages. Pour donner plus de précision à cet exposé, on indiquera ici les faits qui se sont produits, pendant le cours des deux dernières générations, chez la famille décrite dans la présente monographie.

En 1810, Pierre D*, grand-père de Savina P*, maîtresse actuelle de la maison M** (§ 2), maria sa fille ânée, Dominiquette, à Joseph P*, qui est encore aujourd'hui chef de communauté. Selon l'usage, cette fille destinée en qualité d'héritière (ayrété), à posséder un jour le bien patrimonial, ne reçut aucune dot en argent, et devint désormais, avec son mari et ses enfants, partie intégrante de cette maison. A cette époque, les autres enfants de Pierre D** étaient encore pour la plupart en bas âge ; il avait encore à marier sept beaux-frères ou belles-sœurs et à acquitter les engagements contractés à l'occasion des mariages antérieurs.

En 1835, ces dernières obligations avaient été remplies, et les dots avaient été intégralement payées ; un seul beau-frère décidé à garder le célibat restait fixé dans la famille, se réservant, ce qui a été accompli plus tard, de léguer à sa nièce Dominiquette sa part de propriété. A la même époque, un frère et une sœur de Dominiquette étaient déjà mariés et une somme de 1,100f avait été payée sur leur dot à titre d'à-compte. Les enfants célibataires survivants de Pierre D** n'étaient plus qu'au nombre de cinq et avaient atteint ou dépassé l'âge du mariage. Les enfants de Dominiquette étaient encore pour la plupart dans un âge peu avancé,; parmi ceux-ci, l'aînée, Savina P*, devait se marier deux ans plus tard, en 1837. Ce fut alors que le père de famille, déjà veuf et sentant approcher sa fin, jugea le [144] moment opportun pour régler la situation de ses enfants, au moyen d'un acte notarié qui est devenu, en quelque sorte, la charte de cette génération.

Il est constaté dans cet acte que la propriété de Pierre D** et de ses enfants s'élève à la somme de 17,368f, savoir :

Valeur et actifs de la propriété de Pierre D** (notes annexes)
Valeur et actifs de la propriété de Pierre D** (notes annexes).

Sur ce capital, il est attribué par Pierre D** à sa fille aînée Dominiquette à titre de préciput et hors part, conformément aux articles 913 et 919 du Code civil, le quart disponible, soit 4,342f. Le surplus 13,026f devait être partagé entre les huit enfants survivants et assurer à chacun d'eux une part de 1,628f 25.

Depuis lors, toutes les forces de la communauté ont été employées à constituer par l'épargne cette somme, à titre de dot, aux enfants de Pierre D**. Lors de la mort de ce dernier, survenue en 1836, les enfants non mariés n'ont soulevé aucune difficulté contre les intentions de leur père, ni avancé aucune prétention au partage en nature que l'article 815 du Code civil leur donnait le droit de réclamer. Trois d'entre eux se sont mariés en renonçant, moyennant le paiement de leur dot de 1,628f 25, à toute réclamation ultérieure sur le bien patrimonial. Les deux autres, restés jusqu'à ce jour célibataires, continuent à faire partie de la maison dans les conditions décrites par la présente monographie §2, (B)] : selon toute apparence, ils légueront en mourant à leur nièce Savina ou à Marthe sa fille aînée, leur part de propriété.

Des douze enfants de Dominiquette D** et de Joseph P*, cinq sont décédés, cinq ont été mariés et deux, ayant gardé le célibat, habitent encore la maison paternelle (§ 2). L'un de ces derniers déclare être décidé à rester dans sa situation actuelle et à léguer un jour sa part de propriété à Marthe, sa nièce aînée, héritière de la famille. Un arrangement analogue à celui qui est indiqué ci-dessus, est d'ailleurs intervenu entre Joseph P* et ses enfants : la dot de chacun de ces derniers a été fixée à 2,395f 50 (C). Toutes les épargnes de la communauté sont aujourd'hui employées à acquitter les engagements ainsi contractés. Dans cinq ou six ans après le mariage de Marthe, lequel n'imposera aucune charge à la maison, l'épargne sera employée à constituer une nouvelle série de dots en faveur de la dernière génération.

[145] Cet aperçu de l'histoire des deux dernières générations de la maison M* (§ 2), indique les moyens légaux auxquels, sauf quelques nuances, ont recours toutes les familles de cette commune pour conserver intact le bien patrimonial. Il ne signale qu'imparfaitement les efforts que ces mêmes familles doivent faire, en prenant appui sur les mœurs, pour tourner les obstacles qui leur sont opposés par la loi (B). Chaque membre d'une communauté appréciant de bonne heure (§ 3) les avantages qui s'attachent à la conservation du bien patrimonial, subordonne à ce sentiment toute sa conduite et se prête avec déférence aux intentions du père de famille. En même temps, la satisfaction que chacun trouve dans le régime établi, la pression de l'opinion publique, les conseils des plus notables et des plus éclairés, enfin l'influence du clergé (§ 3), viennent incessamment renforcer chez les individus ces tendances traditionnelles. D'un autre coté, l'usage habituel du patois local, la difficulté des communications matérielles et des rapports intellectuels avec les principaux centres de population, ont repoussé jusqu'à ce jour de cette localité les opinions et les tendances qui prévalent dans la plupart des autres parties de la France.

On ne peut se dissimuler cependant que cette organisation sociale, fondée sur la tradition locale, sur un intérêt collectif et sur une sorte d'isolement intellectuel, résultant de l'emploi d'un langage spécial et du manque de communications rapides, ne peut guère compter sur l'avenir : elle résistera difficilement aux prescriptions formelles de la loi et aux opinions dominantes que le progrès de l'instruction publique et le perfectionnement des voies de communication doivent inévitablement propager (B). Ces tendances nouvelles, sans être encore prépondérantes, sont déjà appréciables dans cette partie de la chaîne des Pyrénées. Cédant à ces influences, excités d'ailleurs par des gens de loi désireux d'intervenir dans le partage forcé des biens, plusieurs jeunes gens ont repoussé les combinaisons traditionnelles de leur famille et provoqué le morcellement du bien patrimonial. Quant aux familles chez lesquelles ce morcellement s'est depuis longtemps opéré, elles sont tombées de la condition de paysan à celle de salarié : sous le rapport moral comme sous le rapport matériel, elles sont dans une situation bien inférieure à celle où se trouvaient les précédentes générations : une enquête spéciale, qui compléterait utilement la présente étude, ne laisserait aucun doute sur-ce point.

En constatant que, dans cette localité, le progrès de l'instruction publique, des moyens de communication et de l'indépendance individuelle peut, sous certains rapports, compromettre le bien-être et la moralité des populations, on est conduit à se demander [146] pourquoi les mêmes progrès n'entraînent point en Angleterre ni aux États-Unis les mêmes conséquences fâcheuses. Cette explication se trouve pour l'auteur dans la direction imprimée à l'opinion publique chez les Anglais et les Américains du Nord, et dans l'idée juste qu'ils se font des bases essentielles d'une bonne constitution sociale.

L'instruction publique, les sciences et les arts, les voies rapides de communication, les rapports intellectuels établis par la presse, la liberté civile elle-même ne sont, à leurs yeux, que les éléments secondaires, et, en quelque sorte, la manifestation extérieure de la civilisation. Leur essor n'est désirable, et leur influence ne se fait sentir d'une manière bienfaisante, que s'ils ont pour contre-poids dans tous les cœurs la religion et l'autorité paternelle. L'opinion unanime qu'entretiennent, à cet égard, les hommes d'État de ces deux pays explique pourquoi le progrès se concilie avec la stabilité dans les institutions de la race anglo-normande ; elle est, au fond, la cause première de la prépondérance que prend cette race dans le monde entier.

Si l'opinion de ces deux grands peuples repose effectivement sur ces bases, et si elle a les conséquences qui viennent d'être indiquées, les personnes qui dirigent en France l'opinion publique ne devraient-elles pas faire un retour sur elles-mêmes, et se demander si l'opinion inverse, généralement répandue chez nous, n'est pas la principale cause des embarras qui se manifestent dans notre organisation sociale ?

Les hommes distingués et les écrivains habiles qui, dans leurs appréciations de notre état social, croient devoir faire abstraction de la religion et de l'autorité paternelle ; ceux, à plus forte raison, qui signalent ces deux forces comme des obstacles au progrès, n'emploient-ils pas, en fait, leur influence à reculer ce progrès qui se manifeste hélas ! chez nous, de leur propre aveu, avec des caractères si douteux et si instables

En ce qui concerne la religion, l'obstacle vient précisément chez nous des classes riches et lettrées qui seules auraient l'ascendant nécessaire pour provoquer une réforme dans l'opinion. Cette situation entraîne, à notre époque, des conséquences d'une gravité extrême ; il ne faut pas cependant s'en exagérer les difficultés, ni perdre l'espoir d'y porter remède.

Chez les classes les plus intelligentes, la religion s'appuie sur l raison presque autant que sur la foi. En Angleterre, aux États-Unis surtout, la vivacité des croyances religieuses repose en partie sur la conviction qu'elles sont, au fond, la principale source des progrès et qu'elles n'en peuvent compromettre aucun. L'hostilité qui se [147] manifeste en France contre la religion ne résulte pas surtout du manque de croyances, mais de préoccupations ayant leur origine dans le passé. Des personnes considérables, fondant leurs impressions sur notre histoire, redoutent chez les hommes religieux, chez les catholiques surtout, des tendances trop exclusives ; ils craignent qu'une grande influence attribuée à ces derniers ne compromette la liberté de conscience et les grands intérêts qui s'y rattachent. L'opinion dominante deviendrait, comme elle l'est aux États-Unis, favorable à la religion le jour où l'on serait rassuré sur des éventualités qui n'ont plus désormais de base sérieuse, mais qui préoccupent encore parmi nous les classes les plus influentes.

Au lieu de poursuivre à l'avenir des discussions sans fin sur les causes de ce malentendu, il faudrait que chacun s'employât a le faire cesser. En premier lieu, les esprits prévenus devraient étudier avec impartialité les faits en France, en Belgique, surtout en Angleterre, dans l'Allemagne du Nord et aux États-Unis, où le catholicisme est en contact intime avec les autres communions chrétiennes. Ils constateraient bientôt que pour les catholiques les plus éminents la liberté et la religion sont désormais inséparables ; que sous leur influence, nonobstant quelques intermittences dues à l'imperfection humaine, cet accord se produit de plus en plus dans les esprits. En second lieu, les hommes religieux devraient avoir sans cesse devant les yeux un passé regrettable pour se rendre compte des craintes exagérées de l'opinion, et pour écarter des préventions qu'ils ne peuvent négliger alors même qu'elles seraient complètement injustes. Leur mission spéciale est de gagner les cœurs ; c'est à eux surtout que revient la tâche d'établir, par une conduite prudente et par une constante sollicitude, l'harmonie qui existe si heureusement ailleurs entre la religion et l'opinion publique.

En ce qui concerne l'autorité paternelle, aucune considération analogue ne saurait faire craindre à nos hommes d'État de la fonder sur les principes établis en Angleterre et aux États-Unis [les Ouv. europ. XXV (A)]. Le droit de tester, base nécessaire de cette autorité, est, en effet, adopté par les deux peuples qui pratiquent le mieux la liberté civile ; il se concilie, d'ailleurs, chez eux, avec les formes politiques les plus opposées.

A ce point de vue, notre état social, pour concilier désormais la stabilité avec le progrès, semblerait donc exiger deux réformes essentielles. La première, qui se produirait exclusivement dans les mœurs, consisterait en ce que les hommes religieux donneraient dorénavant à l'opinion publique, en ce qui concerne la liberté de conscience, les satisfactions acquises à l'Angleterre et aux États-Unis; la seconde réforme, qu'il faudrait demander à la loi, [148] consacrerait, en ce qui concerne la transmission des biens, la liberté du père de famille.

La nécessité de ces réformes est apparue à l'auteur chaque fois qu'il a observé attentivement, dans son ensemble et dans ses détails, l'un des éléments de notre système social ; elle s'est surtout révélée dans le cours des études dont il offre ici le résumé. Il est déplorable, en effet, que les manifestations les plus légitimes de la civilisation, le perfectionnement de l'instruction publique et des moyens de communication ; qu'en d'autres termes, un contact plus intime avec l'esprit dominant du pays puisse compromettre, même momentanément chez les populations agricoles de cette région des Pyrénées, la stabilité laborieusement conquise dans le développement progressif de la civilisation.

A la suite de ces considérations générales, il y a lieu de signaler le genre spécial d'imperfection que présente l'état social décrit dans la présente monographie et qui se retrouve dans beaucoup d'autres organisations de l'ancien régime [les Ouv. europ. XVI (A)]. En l'absence de moyens réguliers d'émigration, les jeunes ménages, sortant des familles-souches, ne trouvent pas un emploi suffisant pour leur activité ; et, d'un autre côté, un sentiment respectable de dignité personnelle les empêche souvent de rechercher au loin les conditions de domestiques ou de salariés. Il en résulte une tendance trop prononcée pour le célibat, et, par suite, une certaine exagération du principe de communauté. En résumé, dans ce régime, le bien-être et la moralité des populations reposent trop exclusivement sur la communauté et l'esprit de tradition ; tandis qu'en Angleterre et aux États-Unis, grâce aux mœurs et à l'aide d'un système régulier d'émigration ou de défrichement, les mêmes avantages ont aussi pour base l'indépendance individuelle et le libre essor de la pensée.

(B) Sur l'ancienne organisation sociale du Lavedan

Les paysans trouvaient dans l'ancienne constitution sociale beaucoup plus de facilités qu'ils n'en ont aujourd'hui pour donner un caractère stable à la petite propriété, et pour assurer la transmission intégrale des biens de famille. En effet, suivant la coutume du Lavedan, l'aîné des enfants (garçon ou fille) marié dans la maison paternelle, recevait, à titre de préciput et hors part, la moitié du bien patrimonial. Les autres enfants n'avaient à réclamer, en se mariant, que leur part de l'autre moitié ; mais ils n'avaient, dans aucun cas, [149] le droit d'exiger le partage en nature. Une moitié environ de chaque génération gardait le célibat, formant près de l'héritier une communauté nombreuse, dans la condition où quatre membres de la famille M** se trouvent encore aujourd'hui (§ 2).

La présente monographie indique bien la situation où ces célibataires étaient placés : ils étaient autorisés à entretenir, à leur profit, dans le troupeau commun, un nombre d'animaux fixé de gré à gré avec le chef de maison, à la charge pour eux de payer à la communauté ou d'acheter au dehors le foin que ces animaux consommaient dans la saison d'hiver. L'intérêt des célibataires s'identifiait, sur ce point, avec celui du reste de la famille ; car les animaux qu'ils possédaient en propre ne nuisaient pas sensiblement à ceux de la famille, à l'époque des pâturages d'été, tandis que la famille tirait grand avantage des fumiers que produisaient ces animaux dans la saison d'hiver. Ce genre de propriété se développait beaucoup, dans certaines familles, avec l'activité et l'esprit d'épargne des individus ; c'est ainsi que dans la maison paternelle du chef actuel de communauté, Joseph P* M**, un oncle célibataire possédait une trentaine de vaches que, selon la coutume locale, il a léguées lors de son décès au chef de la maison P*. En raison des avantages accordés aux célibataires, la concorde et l'harmonie des caractères, ces données premières de la vie commune, se maintenaient aisément dans la famille (C) ; elles étaient assurées d'ailleurs dans les conditions que la famille M** a si bien conservées (§ 3) par les bonnes mœurs, la religion et l'autorité paternelle.

Quant aux membres qui sortaient de la maison paternelle, les uns restaient célibataires et étaient admis comme domestiques dans les communautés où les bras faisaient défaut, et ils y étaient traités, à tous égards, comme des membres de la famille, dans des conditions d'égalité dont la tradition s'est conservée jusqu'à ce jour (§ 2). Ils étaient autorisés, par exemple, à entretenir à leur profit jusqu'à quatre brebis dans le troupeau de la communauté. Les autres épousaient l'héritier ou l'héritière d'une autre maison, ou bien ils s'établissaient dans une petite maison munie de quelques dépendances agricoles, en qualité d'artisans, de bûcherons, de guides, etc.

Avant la révolution de 1789, les paysans du Lavedan n'étaient pas soumis aux corvées, mais ils payaient de faibles redevances seigneuriales en argent et en bestiaux. Le principal impôt, la dîme attribuée au clergé, se prélevait sur le blé, le beurre, le fromage et les agneaux, avec cette particularité qu'il n'était pas tenu compte des fractions de dixième, en sorte qu'un donnait également un seul agneau pour dix et pour dix-neuf têtes ; chaque communauté donnait en outre un agneau par an au vicaire de la paroisse. Ces impôts [150] ont été allégés par le nouveau régime : en 1826, on s'accordait déjà à penser que les impôts étaient moindres qu'avant la révolution, et, depuis lors, par suite des circonstances spéciales à cette localité (E), ils ont encore été réduits de moitié. Des anciens, depuis peu décédés, qui avaient vu avec regret les changements apportés au régime des successions et l'accroissement des charges hypothécaires, gardaient un souvenir reconnaissant de cette diminution des impôts ; avec les habitudes frondeuses qui existaient dans le Lavedan, comme en d'autres parties de la France, ils avaient coutume de dire que la Révolution n'avait produit de bon que ce changement.

Les traditions conservées dans la commune de Cauterets apprennent que, sous l'influence de l'ancienne coutume de Lavedan, la famille M**, que décrit la présente monographie, s'est maintenue sur son domaine (§ 1ᵉʳ), pendant quatre cents ans au moins, dans l'état de bien-être et de moralité que l'on constate encore aujourd'hui.

Trois circonstances principales se réunissent dorénavant pour modifier cet ancien ordre de choses et pour enlever aux pères de famille le pouvoir d'en assurer la continuation à leurs descendants. En premier lieu, le préciput qui peut être attribué à l'héritier, ayant été réduit par le Code civil au quart de la valeur des propriétés, il devient plus difficile à la communauté de doter les enfants et de conserver le bien sans le grever d'hypothèques. En second lieu, les enfants qui ne sont pas mariés à la mort du chef de famille (A). ayant maintenant le droit de réclamer le partage en nature (art. 815 du Code civil), la conservation du bien de famille a cessé d'être un principe social, et, désormais, elle reste complètement subordonnée au hasard des volontés individuelles. Mais ce sont surtout les opinions nouvelles propagées par le Code qui doivent, à la longue. détruire l'antique organisation du Lavedan. Il est dans la nature des choses, en effet, qu'en matière de successions, l'esprit public cède peu à peu à la direction que la loi lui imprime. Le sentiment de l'intérêt commun et de la justice obligeait, selon l'ancienne coutume, de subordonner toutes les convenances sociales à la transmission intégrale des biens de famille ; selon la loi nouvelle, il exige que ces biens soient, autant que possible, morcelés. L'ancienne tradition conservée jusqu'à ce jour, sous l'influence du patois local et d'une situation isolée au milieu de hautes montagnes (§ 1ᵉʳ), se modifiera donc inévitablement à mesure que le progrès de l'instruction publique et des moyens de communication mettra cette localité en contact plus intime avec les idées qui dominent dans les autres parties de la France (A).

Tout en constatant que le régime de transmission intégrale conservé [151] dans cette localité offre, à quelques égards, plus d'avantages que le régime de partage égal adopté dans la majeure partie de la France, on pourrait être conduit à penser que le premier donne moins satisfaction que ne le fait ce dernier à la justice considérée au point de vue individuel. Le régime actuel du Lavedan attribue, en effet, un préciput d'un quart à l'héritier et diminue d'autant la part des autres enfants. Il semble en outre que, sous ce rapport, il devrait être préféré à l'ancien régime dans lequel le préciput s'élevait à moitié.

Pour apprécier les motifs d'équité qui recommandent en principe ce préciput, il faut considérer qu'un domaine patrimonial est une sorte d'atelier social livrant, indépendamment des produits annuels destinés à l'alimentation publique (§ 12) et du personnel nécessaire à son propre recrutement (§ 2), des jeunes gens des deux sexes, instruits, moralisés, habitués au travail et pourvus de tout ce qui est nécessaire à l'établissement de leurs ménages (C). Cet atelier ne doit pas seulement subvenir aux besoins des enfants qui sortent de la famille ou qui y restent ; il doit encore supporter tous les frais qu'entraînent l'éducation des enfants morts avant le mariage, l'entretien des vieux parents, les secours à donner aux proches qui ne réussissent pas dans leurs entreprises, les pertes dues aux disettes, aux épizooties et aux calamités de tout genre qui se présentent dans le cours d'une génération, les frais de baptême, de noce et d'inhumation, les subventions accordées au clergé pour célébrer les anniversaires de la mort des anciens chefs de famille, etc. Il est juste que l'héritier sur lequel retombent ces charges en soit dédommagé par une attribution exceptionnelle. Les difficultés que les communautés trouvent aujourd'hui à se maintenir avec le préciput d'un quart, l'existence plus que sévère imposée à la famille et qui se révèle suffisamment dans le budget des dépenses, semblent indiquer que le préciput de moitié, auquel avait conduit l'ancienne tradition, était plus conforme aux données économiques et aux lois de l'équité.

(C) Sur l'emploi de l'épargne annuelle de la communauté.

Le maintien de l'harmonie et des rapports affectueux entre les membres de la famille est la condition première de l'organisation sociale décrite dans la présente monographie : la préoccupation constante des chefs de la communauté est donc d'écarter, autant e possible, les causes de mésintelligence. Au nombre de ces [152] causes, il faut placer, en première ligne, la difficulté qu'éprouveraient les membres de la famille à contenter les fantaisies qui, selon les usages locaux, peuvent être considérées comme une sorte de droit individuel. L'expérience a depuis longtemps appris que la discorde ne tarderait pas à s'introduire dans une famille si la bourse commune devait subvenir à l'acquisition des petits objets de luxe que les femmes, les filles, et les jeunes garçons veulent introduire dans leur toilette, et aux menues dépenses que les hommes se plaisent à faire pour la consommation du café les jours de marché, ou pour l'achat d'un couteau, ou de tout autre objet possédé à titre individuel. Les combinaisons adoptées pour satisfaire à cette convenance sont un des traits caractéristiques de tous les régimes de communauté, aussi bien dans les localités où ils sont encore dominants [les Ouv. europ. II (H), III (J)], que dans celles où ils ne figurent plus qu'à titre exceptionnel [les Ouv. europ. XXXI (B)]. Il y a donc intérêt à signaler ici, comme appendice au budget, celles qui sont en usage dans cette localité.

Les jeunes filles sont autorisées à employer une partie de leur temps : l'hiver, à des travaux de broderie, de couture et de tricot ; 'été, à la cueillette des fleurs de tilleul, des fraises et des framboises ; puis à vendre à leur profit les produits de ces industries. Les garçons fabriquent au couteau, en gardant les troupeaux, de petits objets en bois, notamment des sabots de poupées et autres jouets d'enfants, puis ils les vendent à des marchands qui centralisent ce genre de commerce. La communauté assure des moyens plus réguliers de recette à ceux de ses membres, à Jean et à Marie D** (§ 2), qui ayant renoncé au mariage, laissent indivise la portion de bien qu'ils pourraient réclamer à titre individuel. Elle leur accorde la propriété exclusive d'un certain nombre de brebis, nourries avec le troupeau commun, et dont ils vendent à leur profit tous les produits, en payant toutefois à la communauté une somme annuelle de 5 francs par tête de brebis, comme dédommagement, pour la valeur du foin consommé. Le domestique lui-même, suivant la coutume qui se retrouve également en Basse-Bretagne [les Ouv. europ. XXIX § 7], est autorisé à entretenir à son profit, sans aucune redevance, dans le troupeau commun, une brebis achetée de ses deniers. Ce domestique, bien que traité à tous égards comme un membre de la famille (§ 3), n'est point associé à la propriété commune et il est rétribué, comme cela se pratique ordinairement, par un salaire réglé à l'année : ce salaire, fixé à 65 francs, représente, en fait, une part du bénéfice annuel à peu près proportionnelle à la quantité de travail qu'il fournit.

L'épargne annuelle mentionnée au budget a été calculée sans [153] tenir compte des prélèvements faits, à ces divers titres, sur les produits du travail de la communauté.

L'épargne annuelle, après déduction de ces prélèvements, est employée exclusivement à constituer les dots et les trousseaux des membres de la famille qui se marient et s'établissent hors de la communauté. Cette épargne est presque toujours engagée à l'avance par suite de la pression exercée sur leurs parents par les jeunes gens désireux de devenir indépendants et de s'élever à la dignité de chefs de famille.

Ces diverses combinaisons, indiquées par l'antique tradition du pays, réalisent la plupart des avantages qu'on a prétendu faire surgir, récemment, à titre d'innovation, des principes absolus de communauté. Si elles ont persisté jusqu'à ce jour, nonobstant les influences qui tendent à les détruire, c'est qu'elles concilient à un haut degré les avantages dérivant de ces principes avec les justes exigences de la liberté individuelle.

La dot et le trousseau attribués dans cette famille aux jeunes gens de la dernière génération (A), c'est-à-dire aux enfants de Joseph P* qui ont été récemment établis, peuvent être estimés comme suit :

Dots et trousseaux attribués aux filles et garçon de la famille D*** (notes annexes)
Dots et trousseaux attribués aux filles et garçon de la famille D*** (notes annexes).

On peut admettre que ces dots sont constituées tous les quatre ans (§ 2), et qu'en conséquence la communauté supporte, pour cet objet, une charge moyenne annuelle de 598f 87.

La majeure partie de cette dot est prélevée sur l'épargne annuelle en argent réalisée par la famille ; cependant, une partie des trousseaux est produite par un travail supplémentaire, non évalué dans le budget normal, et auquel tous les membres de la famille se prêtent avec empressement aux époques qui précèdent les mariages.

En résumé, l'épargne annuelle de 735f 35 qui établit la balance des recettes et des dépenses de la communauté, est attribuée, en partie, conformément à certains usages, au domestique et aux divers membres de la famille ; le surplus sert à acquitter les dots accordées aux enfants mariés. Cet emploi est indiqué ci-après :

Répartition et emploi de l'épargne de la communauté (notes annexes)
Répartition et emploi de l'épargne de la communauté (notes annexes).

(D) Sur les échanges de travail dispensant les paysans de recourir aux salariés.

[154] L'organisation agricole décrite dans la présente monographie offre ce caractère distinctif (A) que la famille trouve, sur la propriété commune, un emploi suffisant pour tous les bras, sans qu'il soit nécessaire de chercher du travail au dehors. Cette famille se rattache donc nettement à la classe des ouvriers ; seulement, ainsi que cela avait lieu plus généralement qu'aujourd'hui dans l'ancienne constitution de l'Europe, chaque membre, protégé par le principe de la communauté, réunit intimement à la qualité d'ouvrier celle de propriétaire. Dans ce système, l'étendue de la propriété agricole détermine toujours le nombre des bras de la communauté, et, lorsqu'il ne peut être entièrement fourni par la famille, ce nombre est complété, comme dans ce cas particulier, par des ouvriers domestiques (§ 2).

Cependant cet équilibre, établi pour l'ensemble des travaux, se trouve momentanément rompu pour certains travaux urgents qui doivent être complètement achevés dans un délai donné, ou qui ne peuvent être exécutés par fractions. Tels sont, pour cette famille, la récolte des foins, la tonte des brebis, l'abatage des cochons, un transport de matériaux pour une réparation urgente, le dépicage de l'orge et du millet au moyen de juments réunies pour ce travail au [155] nonbre de cinq, etc. Dans ces différents cas, la famille se procure à titre d'échange, le nombre nécessaire d'ouvriers et d'animaux. Pendant la durée de cette adjonction, les ouvriers auxiliaires sont toujours admis à la table de la famille ; c'est l'une des circonstances dans lesquelles la nourriture devient plus substantielle (§ 9) : ces habitudes, qui étaient fort communes dans l'ancien régime européen, se retrouvent encore en beaucoup d'autres contrées [les Ouvr. europ. I, II, XX, XXIX]. Depuis quelques années, cependant, la destruction des anciennes communautés de famille (A) et le développement graduel d'une classe de journaliers à existence instable commence à propager pour certains travaux, notamment pour le fauchage des foins, l'emploi des salariés.

En outre, la famille confie certains travaux d'une nature spéciale, tantôt à des ouvriers, des tisserands, par exemple (6), qui travaillent chez eux à la tâche; tantôt à des ouvriers, et par exemple au tailleur d'habits (10), travaillant à la journée dans le ménage et admis à la table commune.

La quantité de travail fournie à ces divers titres à la famille, par les auxiliaires admis à sa table, est indiquée ci-après :

Nombre de journées de travail et nombre de journées de cheval réaclamées à titre d'échange (Notes annexes)
Nombre de journées de travail et nombre de journées de cheval réaclamées à titre d'échange (Notes annexes).

(E) Sur le système de culture des hautes vallées de l'ancien Lavedan.

Les détails économiques présentés ci-dessus dans les budgets et les comptes, touchant les quantités de travail, les recettes et les dépenses qui se rapportent aux diverses subdivisons de l'exploitation agricole de la famille, comprennent implicitement les principales particularités du système de culture de cette localité. Il a paru utile, toutefois de compléter ici cet exposé par quelques indications sommaires.

[156] L'exploitation des vaches est la principale industrie des paysans : les deux tiers de leur recette en argent proviennent, en effet (2), de la vente du lait, du beurre, des veaux et des vaches grasses ; on en tire, en outre, divers produits pour la consommation domestique, la force nécessaire aux labours et la majeure partie des fumiers employés pour l'amendement des prairies et des champs. Les vaches gardées pendant tout l'hiver et nourries au foin dans les étables du domaine, séjournent au germ du 20 mars au 30 septembre, sauf quelques journées d'avril, de mai et de juin, pendant lesquelles elles sont employées aux labours et aux binages. Elles redescendent pendant le mois d'octobre pour faire le labour des grains d'automne et consommer les herbes du domaine ; elles remontent ensuite au germ du 1er novembre jusqu'à Noél pour consommer les dernières herbes et une partie des foins. De décembre en avril elles ne mangent que du foin ; en mai, septembre, octobre et novembre, elles consomment simultanément des herbes et du foin ; en juin, juillet et août, elles vivent exclusivement d'herbes broutées dans les pâturages communs des hautes montagnes voisines du germ. Les vaches sont soignées au germ par le domestique (2) qui y séjourne pendant toute la belle saison, en même temps qu'un fils chargé de la garde des brebis. L'une des filles monte chaque jour au germ les provisions nécessaires à ces deux bergers et en rapporte le lait, le beurre et le fromage. N'ayant guère à craindre dans ce district les attaques des loups et des ours, les bergers emploient la majeure partie de leur temps à confectionner avec adresse les meillans, les couéras, les clédas, les burguets (§ 6) et une multitude d'objets en bois au profit de la communauté ou à leur profit personnel (9). Ils exécutent en outre, aux époques indiquées ci-dessus, le transport des fumiers, le balayage des prairies, l'entretien des clôtures, la conduite des eaux, enfin, la récolte des foins et des regains. Ils descendent alternativement une fois chaque quinzaine pour assister, à Cauterets, à la messe du dimanche.

La famille tire de l'exploitation des brebis, c'est-à-dire de la vente des agneaux, des brebis grasses, de la laine, du lait et du beurre (mêlés à ceux des vaches), l'autre tiers de sa recette en argent. Les brebis sont gardées pendant l'hiver dans les étables du domaine ; cependant, il n'y a pas un seul mois de la saison rigoureuse pendant lequel elles ne sortent pas vers le milieu du jour pour brouter quelques herbes dans les champs ou les prés les mieux exposés aux rayons du soleil. Les brebis montent au germ le 1er mai et redescendent le 30 août; pendant ce temps, elles vivent exclusivement des herbes broutées sur les pâturages communaux des hautes montagnes ; elles reviennent toutefois chaque soir s'établir pour la nuit [157] sur un emplacement bien abrité qu'elles choisissent elles-mêmes à proximité du germ, où elles sont d'ailleurs gardées par le chien (§ 6) et par le berger armé de sa trompe (§ 6), et dormant dans le burguet. En septembre, en octobre et en mai, elles ne mangent que les herbes broutées sur les champs et sur les prés du domaine où on établit leurs parcs de proche en proche. Le retour en cette saison a en partie pour but de faire fumer par les brebis les champs riches en herbes qui doivent recevoir les grains d'automne. Le principal motif de ce retour est la tonte exécutée le 31 août, puis les naissances d'agneaux qui, commençant en septembre, ont lieu surtout en octobre et en novembre et se terminent avec l'année.

La jument que l'on fait saillir en mars, reste au germ du 1er mai au 30 septembre : pendant ce temps, elle erre en liberté jour et nuit, dans les pâturages communaux des hautes montagnes en se réunissant aux juments et aux chevaux des autres paysans. Chaque fois qu'il rencontre ce troupeau, l'un des bergers attire à lui cette jument en lui donnant une petite ration de sel qu'il porte toujours sur lui dans une poche spéciale (§ 6) ; c'est par le même moyen qu'il se rend maître facilement de cet animal, chaque fois que la famille en a besoin pour opérer un transport ou pour se rendre, dans une voiture empruntée à un voisin, aux foires de Lourdes ou d'Argelès. C'est ici le lieu de remarquer que le sel dont la famille fait une consommation considérable (§ 2), est, dans les soins donnés aux animaux, à la fois un moyen de direction et d'hygiène : c'est par exemple, l'attrait qui ramène chaque soir les vaches à l'étable du germ. Quant aux brebis, on leur donne le sel une fois chaque semaine à dater de la Saint-Jean, sur une pierre plate choisie à proximité de la station de nuit.

Le parcours des cochons et des poules est restreint aux prairies et aux champs contigus à la basse-cour : ces animaux sont d'ailleurs les seuls dont la direction soit attribuée aux femmes. Le vieux père aidé des deux plus jeunes enfants, soigne particulièrement pendant l'arrière-saison et l'hiver les jeunes agneaux, et pendant l'été les abeilles.

Les prairies fumées et entretenues avec beaucoup de soin occupent environ les 88 centièmes de la surface de la propriété (§ 6) ; la culture des céréales ne s'applique qu'au surplus, c'est-à-dire à une surface de 2h 25. L'ancien système d'assolement comprend deux révolutions consacrées, l'une aux grains d'automne, le seigle et le froment ; l'autre aux grains de printemps, parmi lesquels se placent en première ligne l'orge, le sarrasin et le millet. Cependant on cultive généralement aujourd'hui, avec fumure, des racines et des légumineuses en intercalant ces produits, soit après, soit avant [158] les grains d'automne, selon des combinaisons asse variées, mais qui tendent, pour la plupart, à remplacer une jachère et à constituer une sorte d'assolement triennal. Celle des combinaisons qui semble se rapprocher le plus d'un système régulier, est indiquée dans le tableau suivant :

Asolement triennal (notes annexes)
Asolement triennal (notes annexes).

Mais cette culture, à raison des fortes déclivités du sol, présente des difficultés considérables. C'est par ce motif que l'impôt foncier est ici moins élevé que dans la plupart des autres contrées de la France ; la terre arable est médiocrement fertile (§ 6) ; elle ne produit que la moitié des céréales nécessaires à la nourriture de la famille. Les fumiers sont amenés et répandus sur les champs et les prairies dans des corbeilles portées par presque tous les membres de la famille à dos ou sur la tête : la rentrée des récoltes exige également un travail considérable et c'est ici le lieu de signaler les arrias (§ 6), instruments aussi simples qu'ingénieux, au moyen desquels on rentre le foin aux étables par charges de 80 kilogrammes. Avant chaque labour, on remonte toujours, au moyen de corbeilles, à la partie supérieure du champ, une masse de terre large de 0m 50 et épaisse de 0m 25, enlevée à la partie inférieure. Le labour proprement dit exige le concours de 3 hommes, de 2 femmes, et de 2 vaches tirant une petite charrue ; un des hommes précède les vaches, le second tient la charrue, le troisième rabat les sillons à la bêche et travaille les angles que la charrue ne peut atteindre, les deux femmes aplanissent le sol avec la petite bêche (houssé) et enlèvent les mauvaises herbes. Les semailles se font toujours en même temps que le dernier labour, et, dans ce cas, le grain est répandu par l'homme qui tient la charrue.

Outre les dates précédemment indiquées pour les migrations des animaux, le calendrier des travaux présente les particularités suivantes :

[159]Janvier.

Sortie et manipulation des fumiers ; abatage et transport du bois de chauffage ; réparation des murs de soutènement des prairies et des champs ; filage du lin et de la laine ; travaux de tricot et de couture, le jour aux thermes de Cauterets (§ 7), le soir près du foyer (§ 11) : ces derniers travaux, commencés à la Toussaint, se prolongent jusqu'à la mi-mars). Abatage des 2 cochons engraissés et préparation des divers produits (§ 2). (Voir décembre.)

Février.

Transports de terres du bas en haut des champs ; transports de fumiers sur les champs et les prairies, continués jusqu'en avril (le reste comme en janvier).

Mars.

Réparation des chemins par lesquels les bergers doivent faire, avec les vaches, l'ascension du germ ; premiers labours pour grains de printemps et préparation des semences de millet, d'orge, de sarrasin et de maïs ; premiers labours et semailles au jardin potager, et autres travaux de culture poursuivis, de temps en temps par la mère de famille jusqu'en octobre ; réparation des haies ; réparation des couvertures en paille ; blanchiment du fil de lin.

Avril.

Transports de fumiers (fin) ; 2e labour et semailles de l'orge et des pommes de terre ; balayage des prairies, récolte d'orties et d'autres plantes (continuée pendant les mois suivants) pour la nourriture des cochons.

Mai.

Balayage des prairies (fin) ; premiers labours pour sarrasin et millet ; 2e labour et semailles du maïs, du sarrasin, des pois et des haricots ; premier binage des pommes de terre à la houe à main (houssé) ; sarclage du seigle et du froment ; récolte et transport du bois de chauffage et de la téda (§ 7) ; prestation en nature sur les chemins vicinaux.

Juin.

Réparation des haies (fin) ; 2e binage des pommes de terre à la houe à 2 vaches (raserot) ; butage des pommes de terre à la houe à main ; sarclage à main du maïs et binage du même à la houe à vaches ; récolte et transport de la téda (§ 7) ; 2 labour et semailles du millet ; sarclage de l'orge, du sarrasin, du froment et du seigle : commencement (le 20) de la récolte et du transport des foins.

[160]Juillet.

Récolte et transport des foins pendant tout le mois, prolongés parfois jusqu'au 5 août; irrigation des prés immédiatement après la récolte ; fauchage des pois à faire manger en vert par les vaches.

Août.

Irrigation des prés ; récolte, liage en bottes de 3 kilog. et transport du seigle et du froment (10 au 15) ; battage et vannage de ces grains ; préparation des pailles pour les couvertures ; fumage. labours et semailles des navets (10 au 20) ; récolte, mise en tas, liage et transport de l'orge (20 au 25) ; récolte des pois et des haricots ; tonte des brebis au domaine. Commencement de la récolte et du transport des regains (25 au 30).

Septembre.

Récolte et transport des regains (fin) ; récolte du millet et du sarrasin ; dépicage du millet ; préparation des faisceaux de paille (saumants) pour couvertures ; battage et vannage du sarrasin.

Octobre.

Labour et semailles du seigle et du froment ; récolte des rameaux de frêne pour les brebis ; récolte des pommes de terre et du maïs ; commencement de la récolte des navets ; dépicage de l'orge ; lavage et cardage de la laine ; réparation des haies.

Novembre.

Réparation des couvertures en paille et mise en ordre des étables pour la saison d'hiver ; transport des fumiers sur les prairies du germ et du domaine ; récolte de la téda ; ramassage des feuilles pour litière ; commencement (à la Toussaint) de travaux de filage, de tricotage et de couture.

Décembre.

Sortie et manipulation des fumiers, en attendant l'époque de transport ; abatage et transport des bois de chauffage ; réparation des murs de soutènement ; défrichements partiels et enlèvement de grosses pierres éparses çà et là dans les champs et les prairies ; soins particuliers donnés à l'engraissement de 2 cochons ; grande activité donnée aux travaux de filage, de tricotage et de couture ; à la réparation des nombreux objets en bois du matériel agricole; à la fabrication des sabots, et en général aux travaux qui s'exécutent à l'intérieur, de novembre à la mi-mars.