N° 43.

BRIGADIER DE LA GARDE REPUBLICAINE

DE PARIS (SEINE).

Agent de la paix urbaine,

Sous le régime des engagements volontaires permanents,

D'APRÈS LES

RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN 1881

PAR

M. JOSEPH PAVIEZ .


Sommaire


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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.

I. Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

§ 1ᵉʳ. — État du sol, de l'industrie et de la population.

[261] Le chef de famille, brigadier de la Garde républicaine (garde municipale de Paris), demeure et prend ses repas à la caserne Napoléon, rue de Rivoli. Sa femme et ses enfants habitent à 2 kilomètres de là, rue Saint-Jacques, près de l'hôpital du Val-de-Grâce. Ils ont dû se résoudre aux inconvénients de cet éloignement, en raison de la modicité du loyer et de la salubrité des jardins du Luxembourg, qui sont dans le voisinage ; en outre, la femme est née dans les environs du Val-de-Grâce et sa clientèle se trouve dans les rues adjacentes.

On ne trouve pas d'industries spéciales dans ce quartier, dont la population est de 25,000 individus environ. L'hôpital militaire y occupe un vase emplacement on voit aussi de grands chantiers de charbon dans les rues d'Ulm et des Feuillantines. Les étudiants y mènent une existence plus sérieuse que dans les[262]autres parties de l'arrondissement : ce sont surtout des élèves en médecine.

La maison occupée par la famille représente assez bien la population ouvrière de ce quartier. La boulanggère du rez-dechaussée est veuve et sa fille, aggée de 20 ans, a une très bonne conduite. Au premier étage logent un tourneur en cuivre, dont la femme est la concierge de la maison, et un cordonnier ; leurs enfants sont bien elevés. Au deuxième étage vivent un peintre en bâtiments, un gardien de la paix et une couturière ; les deux premiers sont mariés et vivent en bon accord ; la couturière est célibataire et ses liaisons clandestines sont assez discrètes pour ne pas éveiller la susceptibilité des ménages voisins. n ouvrier gazier et un typographe habitent avec leurs familles le roisiéme étage. l'out ce monde a de bons rapports, sans relations intimes et sans bruit.

Le brigadier vient au domicile de famille en dehors de ses heures de service ; il obtient quelquelois la permission de la nuit. Sa femme vaque aux soins du ménage et fait quelques travaux de couture à domicile ; elle a une clientèle sulisante pour être également occupée dans toutes les saisons.

§ 2. — État civil de la famille.

La famille comprend les époux et deux enfants :

Eugène-Jacques Michel D***chef de famille, marié depuis le 27 avril 1874, né à Olet (Pyrénées Orientales)............ 43 ans

Eugénie G***, sa femme, née à Paris, le 20 octobre 1851............ 29 —

Germaine D***, leur fille, née à Paris, le 1er fêvrier 1876............ 5 —

Armand D***, leur fils, né à Paris, le 5 décembre 1877............ 3 — 1/2

Le chef de famille a encore des frères et sœurs. Sa femme a ses père et mère à Paris, ainsi qu'un frère et une sœur. Ils se visitent souvent et vivent en parfaite harmonie.

§ 3. — Religion et habitudes morales.

Les époux sont nés tous deux de parents catholiques. Le mari, par tradition de famille, a un profond respec pour tout ce qui se rattache au culte ; mais, sans aflicher l'indifférence, il ne suit pas les exercices de sa religion ; il assistait cependant régulièrement aux oflices qui, pendant un certain temps, étaient célébrés par un aumônier militaire dans une chapelle improvisée de sa caserne. l a enseigné la prière à son petit garçon, et c'est la petite sœur[263]de ce dernier qui la lui fait réciter. De ses trois frères, l'un est capitaine de cavalerie, un autre chet de bureau à la compagnie du chemin de fer d'Orléans, et le troisième, prêre à Prades. Ses quatre sœurs sont religieuses dans la communauté dite des Dames du Saint-Sacrement, dont la maison mère, à Perpignan, a l'aînée pour directrice ; les trois autres sont dans les succursales de Prades, de Céret et de Rivesaltes.

La femme est née à Paris. Son père, Bourguignon fortement attaché aux vieux usages de son pays, vint à Paris en l811 et y épousa la fille d'n Auverggnat. Il acquit bientôt l'estime de tout son quartier où, depuis quarante ans, il est directeur de la Société de Saint-incent-de-Paul. Il eut trois enfants : un garçon, aujourd'hui serrurier et marié ; une fiile, mariée à un tourneur en cuivre, enfin la ille mariée au brigadierD. Tous vivent en bonne intelligence et ont conservé, à défaut de pratiques régulières, un grand respec pour les croyances religieuses.

L'épouse du brigadier D dirige l'intérieur de son ménage et en règle les dépenses d'un commun accord avec son mari. Elle vit très sobrement et élève ses enfants avec le plus grand soin. Le petit garçon allait à l'asile ; ses parents y ont renoncé, à cause de sa santé. Le père lui apprend ses lettres et l'enverra à six ans chez les Frères. La petite fille est élevée gratuitement chez les Dames de charité, par la même Seur qui a élevé sa mère. Ces religieuses occupaient autrefois une maison de la Ville ; un arret du conseil municipal leur ayant enlevé la jouissance de cet immeuble pour le conier à une institution laique, elles se sont retirées dans une maison achetée par le curé de la paroisse. Leurs anciennes élèves les y ont suivies ; elles ont conservé une grande alection pour les Seurs, et, après être sorties de leurs mains, elles continuent à se réunir chez elles le dimanche et y forment un patronage de jeunes filles. Elles assistent aux ofllces sous leur direction et aiment, comme dans leurs premières années, être conduites par elles au Luxembourg pour s'y promener et y jouer.

Les ordres religieux, à case du bien qu'ils faisaient dans ce quartier, y étaient très populaires et ont laissé de sincères regrets. Ils trouvaient, du reste, dans cette partie de la capitale, des habitudes différentes de celles des autres quartiers et des mœurs presque provinciales ; certaines rues, en effet, y ont la même apparence et la même tranquillité que dans nos petites villes, et forment pour ainsi dire des oasis, où se réfugient les àmes paisibles qu'eflarouchent le tourbillon fiévreux et la vie bruyante du centre de la ville.

§ 4. — Hygiène et service de santé.

[264] Le chef de famille est d'une belle taille (1 80), robuste et bien portant. Sa vigoureuse constitution a résisté aux dures épreuves de sa carrière militaire, et il est appelé à vivre encore de longues années.

La femme est de taille moyenne (1 60), délicate et nerveuse. Elle jouit d'une bonne santé et son humeur est gaie ; bien que travaillant tout le jour, elle n'est pas surmenée par des occupations pénibles ; mais son tempérament subit l'influence d'une vie constamment passée dans un intérieur médiocre, et privée des effets fortifiants du grand air de la campagne.

Elle n'a jamais eu que deux enfants. Ses couches ont étéfaciles ; elle a été chaque fois opérée par une sage-femme moyennant une somme de 25 francs ; elle a nourri elle-même ses enfants au sein. Ceux-ci se portent assez bien, mais n'ont pas la vigueur de constitution des enfants élevés hors Paris. Leurmère les entretientdans le plus grand état de propreté ; elle prépare elle-même leurs bains, ceux des époux sont pris hors du logis.

La famille reçoit gratuitement les soins médicaux de la Légion de la (arde républicaine ; tous les membres peuvent se rendre indistinctement, à la caserne, aux heures prescrites pour la visite du médecin militaire ; celui-ci doit se rendre à domicile pour soigner le malade qui serait hors d'état d'être transporté. Il y a aussi, dans le quartier du Val-de-Grâce, une consultation civile gratuite.

La pharmacie de la Légion fournit gratuitement, sur une ordonnance du médecin militaire, les médicaments prescrits pour les familles, sauf les sirops.

§ 5. — Rang de la famille.

Le brigadier D***, en raison de ses longs services, de son honorabilité et de ses nombreuses campagnes, a conquis l'estime de ses chefs et de toutes les autorités auprès desquelles il est appelé par ses devoirs professionnels. On apprécie, chez ces serviteurs modestes et utiles, le désintéressement, la valeur et le dévouement avec lesquels, pendant une longue carrière, ils protègent la société contre les ennemis du dehors et du dedans. Dans une ville turbulente comme Paris, la présence de deux gardes municipaux suflit souvent pour maintenir en respect toute une foule hostile : c'est ce qui se présente surtout dans les bals des uartiers excentriques, où se réunit la lie de tous les pays il[265]arrive fréquemment, dans ces lieux mal famés, que deux gardes, ayant à opérer une arrestation, sont assaillis par une bande avinée ; ces militaires, n'ayant pour se défendre qu'un mauvais sabre, reçoivent parfois maintes blessures ; mais ils tiennent bon et finalement force reste à la loi. Le prestige qui s'attache encore à leurs fonctions et à leur uniforme est donc bien justifié.

Le moment critique de leur carrière est celui de la retraite, surtout s'ils n'ont pu se créer à la campaggne un foyer domestique. Ils trouvent bien des emplois ou leur pain quotidien est à peu près assuré, mais ils restent alors dans un état de dépendance et d'incertitude de l'avenir qui n'est pas une récompense sufisante après une vie si honorablement remplie. Tel n'est pas le cas pour le brigadier D**. Ses ancètres avaient acquis un patrimoine que nos lois de succession ont brisé, il est vrai, mais dont les débris ont pu subsister, gràce au bon esprit qui animait les membres de cette famille. D* a pu ainsi se constituer un petit domaine où il se retirera avec sa femme et ses enfants et ou, gràce aux vertus et à l'énergie de cette famille, il pourra bientôt acquérir une situation respectable. Il sera, en efet, immédiatement en état de s'élever à la condition de propriétaire et d'exercer une salutaire influence dans sa contrée. La direction à donner à ses enfants est toute indiquée : a l'exemple de plusieurs familles de cette région de la FTrance, ils devront s'efforcer de conserver intact ce foyer domestique où les traditions de famille les plus honorables remontent au nilieu du dernier siècle et se perpétueront aussi longtemps que durera l'union des enfants. C'est ainsi que, dans l'attente de lois qui sauvegarderaient l'autorité paternelle, peuvent se préparer des familles-souches, d'où sortiraient de nouveau ces pépinières d'agriculteurs, de marins, de soldats et de colons qui furent autrefois la gloire et la force de la patrie.

II. Moyens d'existence de la famille

§ 6. — Propriétés.

(Mobilier et vêtements non compris).

Immeubles............ 1,800 fr. 00

Le grand-père maternel de D** était pharmacien à Olet et avait acquis une superbe propriété. Il eut neuf enfants. Suivant[266]la coutume du pays, il laissa le quart à l'aîné et partagea le reste entre les autres. La mère de D* fut la moins bien partagée, elle eut encore cependant une garigue (lieu planté d'arbres), une vigne de 3 hectares, une maison a 2 étages et grenier avec jardin, plus un bien situé à 'orrens, consistant en 31 hectares de champs, luzernes, chàtaigners et carrières d'ardoises non exploitées. Quand elle mourut, ses enfants s'arrangèrent à l'amiable pour ne pas partager ce bien, qui fut laissé à l'aîné de la famille, actuellement chef' de bureau à la compagnie du chemin de fer d'rléans : ce dernier paya une soulte à chacun de ses frères. D eut 1,000 francs pour sa part ; il employa 2,200 francs pour les frais de son premier établissement à l'époque de son mariage, et il consacra les l,800 francs restants à l'achat d'une petite maison appartenant à un de ses oncles, directeur des postes à Orange. Cette maison consiste en un rez-de-chaussée avec cuisine, salle a manger, 2 pièces au premier étage, grenier, cave, source d'eau vive, petite écurie et jardin d'un hectare. Située à 1 kilomètres des bains de (raous, elle est gérée par une de ses tantes qui en emploie le revenu, 200francs environ, à l'amélioration de la propriété.

Argent............ 796 fr. 00

Somme représentée par 2 obligations de la ville de Paris, emprunt 3 p. 1O0. 1871.

MATÉRIEL SPÉCIAL des travaux et industries............ 261 fr. 20

1° ˉMachine à coudre (Howe) perfectionée. — Elle sert aux travaux de la femme, pour la confection des vêtements de la famille et des ouvrages que lui commande sa clientèle. 250 francs.

2° Matériel pour le repassage du linge. — 3 fers à repasser, 2 fr. 50 ; — 1 fer à tuyauter. 2 cent. : — 1 couverture. 1 fr. : — 1 poignée pour le fer. 10 cent. ; — 1 porte-fers, 25 cent. — Total. 4 fP. 10.

3° Matériel d'ajustage pour le mari, dont l'emploi ne constitue aucun travail. — Une boite à outils en bois. divisée en 4 compartiments, i cent. : — vis, clous. pattes. etc. 1 fr. 50 ; — 2 vrilles. 40 cent. : — 1 paire de tenailles. 1 fr. 25 : — 1 marteau, l fr. 20 : — 3 ciseaux à froid. 2 fr. 25. — Total, 7r. 10.

Valeur totale des propriétés............ 2,857 fr. 20

§ 7. — Subventions.

Les subventions dont bénéficie la famille ont une assez grande importance ; elles constituent une recette annuelle de 212 fr. 10 en nature et 122 fr. en argent.

[267] L'Etat dispose d'une très faible proportion de logements pour les ménages, tout au plus 1 pour 80 militaires : la ville de Paris accorde une subvention annuelle aux Gardes municipaux mariés et l'́at leur dcnne un secours motivé par la cherté des vivres dans 'aris ; tous indistinctement rȩoivent une indemnité pour leur service de nuit, dans les établissements publics.

Les travaux de la femme ne lui permettent pas de blanchir ellemême son linge ; l'obligation de confier ce soin à une blanchisseuse de profession est très onéreuse au point de vue pécuniaire et à cause de la prompte usure du linge ainsi nettoyé. La femme trouve donc un atile auxiliaire dans sa mère qui prend à sa charge le blanchissage d'une quantité notable du linge de la famille ; elle rȩoit encore, en cadeau de ses parents, divers vètements ou des étoffes qu'elle confectionne.

Les enfants entrent aussi pour une part dans les subventions de la famille. Le garçon est inscrit comme enfant de troupe sur les contrôles d'un des régiments de la garnison : il reçoit, à ce titre, une rétribution en argent (16, H) et reste auprès de ses parents : à l'âge de dix ans, il devra vivre en communauté avec les enfans de troupe du régiment où il sera inscrit. L'éducation donnée par les Sœurs de charité à la fille est gratuite, mais le vêtement et la nourriture sont à la charge des parents ; l'année scolaire dure dix mois de l'année ; l'enfant va à l'école tous les jours, jeudi et dimanche exceptés, de 9 heures à 4 heures en hiver et de 8 heures à 4 heures en éte ; elle revient de 11 heures et demie à l heure pour déjeuner. Les Seurs ne reçoivent aucun cadeau des parents ; elles en font, au contraire, à leurs élèves ; elles ont donné une capeline pour l'hiver à la petite fille. L'entretien de cette école coùte 30,000 francs par an au curé, qui dispose d'abondantes ressources ; il perçoi en quétes, 26,000 francs environ et paie le reste.

Le service médical de la famille est exercé gratuitement par les médecins de la Légion ou sert le mari ; les visites du dehors lui coûteraient 3 francs chacune : les médicaments sont donnés gratuitement avec libéralié par la pharmacie ; la seule obligation pou ceux qui les rȩoivent est de restituer les récipiens qui les contiennent.

§ 8. — Travaux et industries.

TRAVAUX DU MARI. — En dehors de son service professionnel, le chef de famille ne se livre à aucun travail manuel pour lequel il ne trouverait pas d'ailleurs de loisirs suflisants. Ces travaux[268]lui seraient au reste interdits par la dignité de son uniforme ; il ne pourrait les effectuer qu'à son domicile et assez discrètement pour n'éveiller sur ce point aucune susceptibilité. Chargé de contribuer au maintien de la tranquillité pblique, il monte la garde dans divers établissements de la ville, assiste les magistrats dans leurs instructions et le transfèrement des prisonniers, et prète son concours, quand il en est requis, aux autres agents de la paix urbaine. Il veille également au maintien de l'ordre dans les théatres et les bals publics. Il assiste, dans la helle saison, aux maneuvres de son arme, qui est l'infanterie, et dont le service est moins pénible que celui de l'arme à cheval.

Dans son intérieur, il aide sa femme pour quelques travaux domestiques.

Travaux de la femme. — La vie de la ménaere est très occupée, et elle sufit à tout, gràce à sa bonne santé, son activité et son intelligence. Levée dès six heures du matin, elle vaque d'abord aux soins de son ménage. Vers six heures et demie en été et sept heures et demie en hiver, elle lève ses entfants, les habille, les nourrit et conduit la petite fille à l'école. La matinée est employée à l'entretien de la maison, des enfants, des vétements et à la préparation des aliments pour le repas de midi. Le travail productif de la femme commence à une heure ; avec l'aide de sa machine, elle confectionne les vêtements de la famille et ceux que lui commande sa clientèle. A quatre heures du soir, elle va chercher sa fille et prépare le souper ; puis elle couche ses enfants et se remet au travail jusqu' onze heures du soir ou minuit ; elle passe même la nuit, quand le travail presse beaucoup ; le produit de ce travail varie suivant les saisons de l'année. Une journée par semaine est consacrée au raccommodage des vètements ; elle ne travaille ni les dimanches ni les jours fériés.

INDUSTRIES ENTREPRISES PAR LA FAMILLE. — La femme repasse elle-même le linge qui est blanchi au-dehors (16, A), au moyen d'un matériel peu coûteux. Elle confectionne elle-même la plus grande partie de ses vêtements et de ceux des enfants ; presque tous ceux du mari sont achetés confectionnés. Le bénéfice résultant de la confection de ses vêtements et de ceux des enfants est sensihlement moindre que celui qu'elle obtiendrait en consacrant le temps qu'elle y emploie à confectionner des vétements pour une clientèle ; mais elle préfère que ses enfants et elle-même soient habillés par le travail de ses pronres mains,; le temps qu'elle consacre à sa clientèle est seulement celui qui lui reste après qu'elle a accompli tous ses devoirs de mère de famille.

III. Mode d'existence de la famille

§ 9. — Aliments et repas.

[269] Le brigadier D*** ne peut prendre sa nourriture en commun avec sa famille, il ne pourrait le faire que s'il était logé avec elle dans la caserne. Tette onéreuse condition lui impose une dépense qui serait réduite au moins d'un tiers, s'il pouvait se nourrir dans la communauté domestique. Il se joint à ses collègues, dans une cantine de la caserne, où ils prennent leurs repas d'après un tarif fixé par l'autorité militaire : moyennant 1 fr. 20 par jour et par tête, le cantinier leur fournit deux repas, à dix heures et à cinq heures. Le déjeuner consiste en un plat de viande, un plat de légumes, deux dessers; le dîner en un pot-aufeu, un rôti, une salade et un dessert. Le pain est à discrétion, le vin est à la charge des consommateurs. La cherté des vivres dans Paris ne pourrait permettre de donner quotidiennement deux repas confortables sans quelques compensations ; aussi le cantinier a-t-il le logement gratuit et le droit de débiter aux militaires de la caserne des boissons ou des aliments, dont le tarif et le contrôle sont soumis a l'examen d'une commission d'olciers.

La mère prépare elle-meme sa nourriture et celle de ses enfants. Le matin, vers sept heures et demie ou huit heures, ils prennent du café ou du chocolat au lait avec du pain ; le café seul est sucré. Le repas de midi est le dîner ; il consiste en une soupe à l'oignon, une côtelette de mouton ou un biftec, auquel on ajoute quelquefois des pommes de erre frites, un peu de fromage ou un fruit. De temps à autre, on ait le pot-au-feu : on mange alors la soupe, des léggumes, de la viande, quelquefois même une saucisse ou un morceau de boudin, avec un peu de fromage ou un fruit. Après le dîner, la mère prend du café noir sans sucre. Les jours maigres, on mange du macaroni avec du fromage ; quand il y a du poisson, on achète du hareng, du maquereau ou un autre poisson bon marché, quelquefois des eufs ; on y ajoute quelques noix ou noisettes. La famille mange assez souvent de la salade. Les enfants consomment les mêmes aliments que la mère. Vers quatre heures et demie, ils font un gouter avec une tartine de beurre ou de confiture.

Le souper est à six heures un quart. Quand il y a le pot-au-feu. on ange le beuf bouilli accommodé avec des oignons et un peu[270]de dessert, fromage ou autre ; dans les autres cas, on apprète du foie 1rit ou du ragoût de mouton avec des pommes de terre. Les jours maigres, le souper consise en lentilles, haricots ou riz, avec un peu de fromae de Brie ou autre dessert. Vers huit heures du soir, la mère prend un peu de café sans sucre.

Le vin n'entre qu'en petite quantité dans la consommation de la famille ; elle boit quelquefois du cidre, acheté chez l'épicier. On offre de temps à autre un verre de vin ou de liqueur à un ami ou un parent en visite, ainsi qu'au commissionnaire qui apporte le charbon et qui ne veut pas accepter de rétribution pécuniaire parce qu'il est l'ami du père de la dame D*.

Le mari mangTe rarement à la maison en dehors de son service ; il ne le fait régulièrement que pour assister aux repas de famille qu'il donne à des époques fies de l'année.

§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.

Le quatrième étagre de la maison est entièrement occupé par la famille : une porte, située au has de l'escalier à hauteur du troisième étage, en fait un logement indépendant et composé d'une grande chambre ou couchent les parents, d'une petite pièce en soupente pour les enfants, d'une entrée et d'un corridor aboutissant à l'escalier. L'air des jardins environnants et la lumiere haiggnent et assainissent ce logement. La ménagère fait la cuisine dans le corridor sur n petit fourneau.

La surface totale habitée est de 33 m. q. 97, savoir :

Répartition des pièces dans l'étage occupé par la famille (§10)
Répartition des pièces dans l'étage occupé par la famille (§10).

Une grande propreé règgne dans ce petit appartement ; mais la maison est mal tenue parce que le concierge, qui es pe soigneux, n'est pas rétribué. Par les temps brumeux, les escaliers sont humides ; uune mauvaise edeur règne dans la maison. Comme la porte reste ouverte la nuit, les passants déposent des immondices dans la rigole ; le concierge y jette bien quelques seaux d'eau le matin après avoir balayé les escaliers, mais la mauvaise odeur persiste. Le propriétaire ne fait aucune réparation, parce que la maison doit être expropriée par le prolongement de la rue de l'Abbé-de-l'Epée : cependant il donne aux locataires du papier quand ils en demandent, à a charge pour ceux-ci de le coller[271]eux-mêmes ; sa libéralité cotraste avec la soif du gain chez les autres propriétares, car il n'a pas auggmenté les loyers dans sa maison et a promis d'y faire venir l'eau et le ga il paye 250 francs d'impots par an et dépense environ 5 francs pour les réparations. L'eau se prend au dehors, à la fontaine des Sourdset-Muets.

Le mobilier est simple, mais confortable :

Meubles. : simples, mais tenus proprement............ 703 fr. 60

1° Lits. — 1 lit en chène plaqué en noyer. l sommier, 1 matelas en laine. 1 matelas en varech. 100 fr. — 2 oreillers en plume. 16 fr. — 1 traversin en plume, 10 fr. — 3 couvertures en laine grise, 45 fr. — 1 couverture en laine blanche, 20 fr. — 1 lit d'enfant en fer peint en bleu, 2 matelas en varech, 1 petit traversin en varech. 1 flèche à rideau, 8 fr. — 1 oreiller en plume, de fabrieation domestique, 6 fr. — 1 couverture de couleur en laine, 4 fr. — 1 vieux châle servant de couverture., 5 fr. — 1 lit Tucker en fer a ressort pour enfant et peint en bleu. acheté d'occasion, 4 fr. — l matelas en varech. 2 fr. — 2 couvertures en laine rousse, 6 fr. — 1 oreiller en plume. 6 fr. — Total : 232 francs.

2° Meubles de la chambre, du cabinet et de la pièce d'entrée. — 1 armoire en bois blanc. d'occasion. 6 fr. — 1 commode en noyer avec dessus en marbre, 85 fr. — 1 armoire en acajou, d'occasion, 60 fr. — 1 table de nuit. dite vide-poches. 1E5 fr. — 1 able de toilette. d'occasion. avecc dessus en marbre et glace. 18 1fr. — l glace dorée. d'occasion, 32 fr. — 1 table ronde en noyer. 26 fr. — 1 table en bois blame, 9 fr. — 1 1able de cuisine en chène. d'occasion, 5 fr. — 3 chaises cannelées en noyer. 35 fr. — 3 vieilles chaises en noyer. 6 fr. — 1 pendule en zinc doré 50 fr. — 2 flambeaux facon bronze, 8 fr. — 2 chandeliers en cuivre, 2 fr. — 1 bougeoir en cuivre. 1 f. — 2 lampes à huile, 8 fr. — 2 vases à fleurs, 2 fr. — 1 poêle en fonte. 10 fr. : tuyaux, 2 fr. — 1 fourneau de cuisine, 14 fr. — Total : 394 francs.

3° ¯Livres. — Œuvres complètes de Fenélon. — Poésie et charité de Claudius Hébrard. — Pensées et réflexions du docteur Guillemeau. — Le feu du ciel. — Le Mexique telM quil est par E. Domenech. — Servitude et grandeur militaire par Alfred de Vigny. — Vie de saint 'raņois Xavier. — Les ducs de Bourgogne. — Les Dernières années de Louis NV. — Les femmes de Versailles. — Mauel du docteur Dchau. — l'histoire de don Quichotte. — Le Symbolisme de la cloche. — nventaire historique et anecdotique des découvertes et institutions. — Merveilles de l'industrie. — La découverte de l'Amérique. — Géographie de Crozat. — L'intelligence des bêtes. — La maison de la rue d'Enfer. — Les Fleurs de la science. — Histoire de Franmce, d'Anquetil, en 1 4 volumes. — Atlas de Cortambert. — Aventures de T́lémaque. — L'apôtre de l'Aquitaine. — Le fils de Rodrigue. — Choix d'histoires. — .Jeanne de Ligueris. — Rose de Tannebourg. — Jeanne d'Arc. —— Vie des enfamts célèbres. — Fablier de la jeunesse. — Souvenirs du Mexique. — abrielle Lembert. — Voyage au mont Sinai. — Souvenirs de l'ancienne église d'Afrique. — Géoggraphie de Meissas et[272]Michelot. — Grammaire de Noel et Chapsal. — Arithmétique. — Les pensées de Larochefoucauld. — Histoire de France. — Dieu dans la nature. de Camille Flammarion. — Le Médecin des accidents. — Livres d'enfants. — Total : 60 francs.

4° Gravures encadrées. — La Grèce. — Le temple d'Isis. — Les jardins de Damas. — L'Ouadi alfa (Oasis). — Louqsor. — Le départ de Vert-Vert. — Djerrasch. — Siout. — Une fontaine au Caire. — Le Sinai. — Thiers. — Le comte de Chambord. — Louis XNV1. — Marie-Antoinette. — AlsaceFrance-Lorraine. — Tableau de famille. contenant i photographies. — (Toutes ces gravures ont été encadrées au prix de 0 fr. 75 chacune.) — Total : 12 francs.

5° Objets relatifs au culte domestique. — 3 tableaux représentant la Sainte-Viergee et le Christ. — 'n reliquaire. contenant 30 reliques de Saints. envoyée par une des sœurs du mari. religrieuse. — Le pape Pie N. — Un tableau (dit cachet) de première communion. — Le manuel des enfants de Marie. — 1 paroissien romain. — Divers livres de piété. — 1 crucifix en plâtre. — 3 bénitiers. — 1 christ. — Total : 5 fr. 50.

Mobilier du mari à la caserne (appartenant à l'Etat). — 1 lit en fer, un matelas. 1 paillasse, 1 traversin. couverture, couvre-pieds, 1 paire de draps (changés tous les mois).

LINGE DE MENAGE. — Bien entretenu et raccommodé avec soin............ 114 fr. 50

6 paires de draps, 60 fr. — 4 paires de draps pour enfants, 20 fr. — 2 douzaines de serviettes., 10 fr. — 2 douzaines de torchons. 3 fr. — 1 douaine de vieux torchons. 0 fr. 50. — 1 douzaine de taies d'oreillers. 4 fr. 50. l nappe, 3 fr. — i paires de rideaux de fenêtres. 6 fr. — Provision de toile de coton. 10 mètres à 0 fr. 75, 7 fr. 50. — Total : 114 fr. 50.

Ustensiles DE MÉNAGE............ 110 fr. 25

1° ¯mpdogés pour d prearation et la consommation dess adiments. — 1 marmite en fonte, 2 fr. 75. — 1 cocotte en fonte. 0 fr. 75. — 1 cocotte en fonte. 1 fr. 0. — 2 marmites en terre., 1 fr. 20. — 2 petits poèlons en terre. 1 fr. — 2 casseroles en fer battu. l fr. :50. — 2 petites casseroles en fer battu, 1 fr. — 1 filre à café., 0 fr. 90. — 1 moulin à café, 2 fr. 50. — 1 poêle à frire, 0 fr. 50. — 1 gril, 0 fr. 50. — 1 boîte à lait. 0 fr. 40. — 2 carafes, 1 fr. 20. — 1 saladier. 0 fr. 60. — 3 douzaines d'assiettes en faïence, 5 fr. 40. — 1 douzaine d'assiettes en porcelaine, 6 fr. — 1 soupière en faïence, 1 fr. 50. — 9 verres à pied. 1 fr. 35. — 12 petits verres à pied, 3 fr. — 1 salière, 0 fr. 15. — 1 poivrière, 0 fr. 15. — 1 cuir à repasser les couteaux. 0 fr. 40. — 1 douzaine de couteaux, 3 fr. 60. — 6 couverts argentés, 48 fr. — 4 couverts en fer battu, 1 fr. 60. — 1 grand couteau de table à découper, 1 fr. 50. — 1 grande fourchette de table. 1 fr. 50. — 1 casse-noix. 1 fr. 45. — 1 couvert en bois pour salade, 0 fr. 40. — 6 petites cuillères à café en ruolz, 10 fr. — 6 petites cueillères à café en fer, 0 fr. 30. — 1 éponge de cuisine, 0 fr. 50. — Total : 103 fr. 10.

2° Employés pour les soins de propreté. — 1 balai en crin, 4 fr. — 1 petit balai en crin, 0 fr. 40. — cuvette, 0 fr. 75. — Total : 5 fr. 15.

[273] 3° Employés pour usages divers. — 1 seau en zinc, 1 fr. — 1 boite à ordures, 0 fr. 50. — 1 boîte à charbon, 0 fr. 50. — Total : 2 francs.

VÊTEMENTS. — Le mari est toujours en tenue militaire ; la femme et les enfants sont convenablement vètus, avec simplicité et goût, et paraissent appartenir plutôt à une classe de petits rentiers qu'à la classe ouvrière............ 1,387 fr. 21

VÊTEMENTS DU MARI (77 fr. 91).

1° Habillement. — 1 tunique avec galons de brigadier. 39 fr. 67. — 1 tunique avec galons de brigadier, 25 fr. — 1 tunique avec galons de brigadier, 12 fr. — 1 capote manteau avec gralons, 58 fr. — 1 capote manteau avec galons, 15 fr. — 1 veste avec galons, 12 fr. — 1 veste avec galons. 5 fr. — 1 pantalon, 19 fr. 80. — 1 pantalon. 12 fr. — 1 pantalon, 10 fr. — 1 paire de trèfles et aiguillettes, 30 fr. — 1 paire de trêfles et aiguillettes, 15 fr. — 1 col, 0 fr. 50. — 1 col. 0 fr. 10. — Total: 254 fr. O7.

2° Coiffure. — 1 bonnet de police à visière, dit lépi, 4 fr. — 1 képi, 2 fr. — 1 schalo avec plaque, 5 fr. — 1 couvre-schalo, 0 fr. 50. — 1 chapeau bicorne, 12 fr. — 1 chapeau bicorne. 2 fr. 20. — 2 pompons rouges, 1 fr. — 1 plumet rouge avec étui et olive, 1 fr. 47. — 1 plumet rouge avec étui et olive, 1 fr. — Total : 29 fr. 1I7.

3° Grand et petit équipement. — 1 giberne nouveau modèle, 5 fr. — 1 giberne nouveau modèle, 2 fr. 50. — 1 ceinturon de sabre, 6 fr. — 1 ceinturon de sabre, 3 fr. 50. — 2 chapes mobiles, 0 fr. 52. — 2 plaques de ceinturon, 1 fr. 36. — 1 bretelle de fusil, 0 fr. 75. — 1 bretelle de fusil, 0 fr. 50. — 1 hâvre-sac avec grande courroie, l2 fr. — ceinturon d'épée, 4 fr. — 1 ceinturon d'épée, 2 fr. 50. — 1 plaque de ceinturon d'épée, 0 fr. 60. — 1 plaque de ceinturon d'épée. 0 fr. 30. — Total : 39 r. 53.

4° ¯Linge, chaussure et objets d'ordonnance. — 2 chemises d'ordonnance, 4 fr. 56. — 1 cehemise blanche en coton, 6 fr. — 6 chemises de couleur, 20 fr. — 3 chemises de couleur de confection domestique. 9 fr. 95. — 6 caleçons en toile, 11 fr. — 6 calecons, 5 fr. — 12 paires de chaussettes en coton, 15 fr. — 1 douzaine de mouchoirs, 4fr.—1 douzaine de mouchoirs, 1 fr. 350. — 2 paires de gants, 2 fr. — 6 paires de gants, fr. — 2 serviettes, 1 fr. 04. — 6 gilets de flanelle, de confection domestique, 23 fr. 70. — 1 tricot, 20 fr. — 1 cache-nez, 4 fr. 50. — 2 ichus en laine, 3 fr. — 1 paire de bottes, 20 fr. — 1 paire de bottes, 10 fr. — 1 paire de bottines, 10 fr. — 1 paire de savates. 0 fr. 50. — 1 paire de pantoules, non montées, reçues en cadeau. — 1 courroie pour nouer la capote sur le sac, 0 fr. 25. — 1 malle, 7 fr. — 1 gamelle en fer batu, 0 fr. 50. — 1 compartiment en fer battu, 0 fr. 50. — 1 assiette en fer battu, 0 fr. 30. — 1 livret, 0 fr. 30. — 1 cahier d'écriture, 0 fr. 50. — 1 formulaire de procès-verbaux, 1 fr. — 1 instruction municipale, 0 fr. 30. — 1 sac de petite monture comiplet, 3 fr. — Total : 190 fr. 40.

5° Armes et munitions. — I. Appartenant à l'État. — 1 fusil Gras, 57 r. 20. — 1 épée-baonnette, 2 fr. 80. — 1 nécessaire d'armes, 1 fr. — 1 étui à cartouches en cuivre, 0 fr. 04. — 44 cartouches à balles, 4 fr. 40.[274]Total : 65 fr. 414. — II. Appartenant à l'homme. — 1 épée, 7 fr. 50. — 1 revolver à 6 coups. avec un étui et 200 cartouehes, 25 fr. — 1 petit revolver à 6 coups, avec 12 cartouches. 12 fr. — 1 pistolet de salon, système Flaubert, 10 fr. — 1 boite., avec 80 cartouches Flaubert. 1 fr. 80. — 1 plaque de tôle pour tirer avec le pistolet Flaubert, 1 fr. — Total : 57 fr. 30.

Total des armes et des munitions : 122 fr. 74.

6° ¯Décorations et bijoux. — 1 médaille militaire neuve, 13 fr. — 1 médaille d'lalie., 6 fr. 00. — 1 médaille du Mexique. 6 fr. — 1 montre en or à cylindre et 8 rubis, 100 fr. — 1 chaîne en jais, 4 fr. — 1 aliiance de famille (venue de la mère du mari), 10 fr. — 'otal : 139 francs.

Vêtements de la femme (5O9 r. 65).

1° Vêtements du dimanche. — 1 robe en cachemire noire, 23 f. 80. — 1 robe lantaisie couleur verte, 7 fr. 10. — l paletot en drap, 17 fr. 50. — 1 vêtement dit visite. 7 1fr. 70. — 1 chapeau de velours, 5 fr. — 3 jupons blanecs. 3 fr. 60. — 3 jupons blancs, 2 fr. 30. — 1 jupon de moire anglaise, 1 1r. 25. — 1 jupon de soie, 10 fr. — 1 paire de jarretières, 0 fr. 35. — 2 paires de gants de peau, 4 1fr. — 1 paire de bottines en cuir, 4 fr. — Total : 86 . 60.

2° Vêtements de travail. — 2 robes de laine pour lajournée. 24 fr. 50. — 4 robes de laine pour le matin. provenant des précédentes. 24 fr. 50. — 2 robes, 12 fr. 25. — 1 vater-proof,4 fP. 50. — 1 manteau mérinos, 2 fr. 80. — 2 douzaines de chemises. 28 fr. 80. — 1 douzaine de mouchoirs de poche, 1 fr. 50. — 1 douzaine de mouchoirs de poche, 3 fr. 30. — 1 douzaine de paires de bas. l2 fr. — 1 corset, 4 fr. — 2 tabliers en cotonnade. 2 fr. 55. — 2 paires de manchettes, 0 fr. 75. — 3 cols, 1 fr. — 4 foulards, 6 fr. 50. — 6 bonnets, 3 fr. — 1 paire de bottines en étoffe, 3 fr. 50. — 1 paire de caoutchoucs, 0 fr. 60. — 'oal : 136 fr. 05.

3° Bijoux. — Une montre de femme remontoir, système Louis XV. 150 fr. — 1 alliance, 18 fr. — 1 bague avec un grenat, 20 fr. — 1 médaillon en or, 40 fr. — 1 Jeannette, ou croix en or, avec collier en or, 37 fr. — 1 paire de boucles d'oreilles en or, 22 fr. — ''otal : 287 francs.

VÊTEMENTS DU GARCON (4l fr. 05).

1° Vêtements du dimanche. — 1 robe bleue en cachemire, 4 fr. 20. —

[275] VÊTEMENTS DE LA FILLE (61 fr. 60).

1° Vêtements du dimanche. — 1 robe noire, 6 fr. — 1 paletot en drap gris. 1 fr. 50. — 1 toque astraban, 1 fr. 50. — 1 paire de bottines blanches en peau, 2 fr. — 2 pantalons blancs en calicot, 3 1r. — jupons blanes en calicot. 2 fr. — 2 tabliers blanes, 2 fr. 50. — 1 paire de gants. 9 fr. 25. — 1 paire de mitaines, 0 fr. 25. — Total : 19 francs.

2° Vêtements de la semaine. — 1 robe bleue en drap, 1 fr. — 3 robes grises. 2 fr. — 1 robe cachemire, 5 fr. — 1 manteau, 1 fr. — 1 toque astralan. 0 fr. 50. — 4 chemises. 3 fr. — 6 mouchoirs de poche. fr. 60. — 6 paires de bas de coton. 2 fr. — 2 paires de bas de laine. 2 fr. — 1 paire de bas de laine. 0 fr. 75. — 4 bonnets de nuit en couleur. 1 fr. — 6 fichus de cou, 1 fr. 50. — 2 foulards. 0 fr. 50. — 3 abliers en cotonnade. 3 fr. — 1 paire de galoches., 1 fr. 50. — 1 paire de bottines noires, 3 fr. — 1 chapeau blanc en paille d'alie, 3 fr. — 1 capeline. 0 fr. 75. — 1 paire de souliers pour l'éé. 0 fr. 50. — Total : 32 f. 60.

3° Bijoux. — 1 paire de boucles d'oreilles en or. 10 francs.

Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 2,315 fr. 56

§ 11. — Récréations.

La famille toute entière prend plaisir, le dimanche, a visiter des parents ou des amis : quelquefois même, dans ce hut, elle se rend aux environs de Paris. Plusieurs fois dans l'année. elle done des repas de famille et on souhaite alors la fête aux parents ainsi qu'à leurs enfants : on mange dans ces repas un lapin, avec la soupe et le pot-au-feu, une salade et un dessert. Le frère du chef de famille, le comptable, assiste à deux de ces repas.

Le mari fait usage du tabac a 1umer, mais avec modération. Il est en outre astreint, par sa position, à exercer quelques devoirs d'hospitalité envers des camarades de passage à Paris ; il leur fait alors une petite invitation à sa caserne.

La femme a pour disraction deux chats, qu'elle nourrit et qui sont exercés à ouvrir ex-mêmes la porte, en soulevant le loquet.

En résumé, la famille ne se désunit pas pour prendre ses récréations et, si quelques dépenses sont inutiles, elle les fait ensemble et d'un commun accord.

IV. Histoire de la famille

§ 12. — Phases principales de l'existence.

Le grand'père paternel de D naquit en l758 à Olet (PyrénéesOrientales) et mourut en 185 à l'âge de 87 ans. Il était, sous l'ancien régime, maréchal des logis dans les miquelets, à Olet.

[276] Pendant la Révolution, chargé de procéder à l'arrestation de plusieurs familles nobles du pays, il les faisait avertir secrètement et trouvait leurs maisons vides quand il arrivait : il sauva ainsi le comte de Monferré dont le fils, devenu plus tard chef de légion de gendarmerie dans les Pyrénées-Orientales, lui en témoigna sa gratitude en protégeant ses enfants.

Le père de *** naquit à O0let. Engagé sous la Restauration dans une lérion départementale, il arriva vite sous-lieutenant, grâce à l'appui des Montferré. Il se distingua par sa bravoure au siège d'Anvers, au Panthéon en 1830, puis dans la guerre d'Afrique. Il devint ainsi capitaine de grenadiers. Revenu en France, il occupa avec son régiment plusieurs villes de garnison : Avignon, Besançon, Lons-le-Saulnier, Montmédy, Amiens, Montreuil-surMer, IHam. Ces changgements continuels étaient très onéreux et très pénibles, car il s'était marié à Olet avec ue parente éloignée, fille d'un pharmacien, et cette union avait été féconde. Il prit sa retraite dans ce pays et sa femme y mourut en 1850; lui-même mourut en 1858, à l'age de 6l ans, des suites d'une chute de cheval, en allant au pèlerinage de Font-Iomeu, en France, sanctuaire trés fréquenté par les lEspaggnols.

D'T naquit à Olet en 1838. I suivit, tout enfant, son père dans plusieurs garnisons et revint avec lui au lieu de sa retraite. A sa mort, il entra comme enfant de troupe dans un réggiment d'infanterie à Perpignan : les enfants de troupe, qui sont aujourd'hui l'objet d'une grande sollicitude, étaient alors complètement abandonnés. D*** s'engagea à 17 ans dans l'infanterie de ligne ; à 1S ans, il était caporal et entrait avec ce grade aux grenadiers de la Garde impériale. Il resta deux ans à Paris ; mais, écœuré du spectacle de la vie dissolue de la capitale et se sentant mal à l'aise vis-a-vis des vieux soldats de Crimée, il partit en Afrique aux zouaves. Il 1it la campagne d'Ialie, prit part aux batailles de Montebello et de Marignan, et là reçut quatre blessures ; il resta en Italie, à Milan et à Pavie, avec l'armée d'occupation, puis revint en Afrique faire la campagne du Maroc, ou il éprouva, ainsi que toute l'expédition, de grandes misères. Il 1it la campagne de Syrie et fut témoin des affreux massacres de Deir-elamar et de Damas car, à l'arrivée des Français, les cadavres égorgés n'avaient pas encore été enlevés et on les voyait serrés dans les bras l'un de l'autre. Il fut ensuite envoyé au Mexique où il eut de grandes fatigues à supporter ; il it parie de colonnes volantes qui sillonnèrent tout le pays et il y vécut toujours en très bonne intelligence avec les indigènes, dont il parlait la langue et qui étaient généralement pleins d'urbanité pour le[277]soldat français. Pendant la guerre de 1870, il fut blessé à Gravelotte ; fait prisonnier après la capitulation de Metz, il passa son temps de captivité dans un camp, en anôvre. De retour en France, il entra dans la Garde républicaine, devint rapidement brigadier et se maria.

Sa femme est issue d'une famille d'Auvergnats qui vinrent s'établir à Paris pour y ramasser un pécule ; ils parvinrent à acquérir une position moeeste et conservèrent avec ténacité les habitudes de leur pays. Leurs enfants reçurent une saine éducation qui les preserva de l'influence démoralsatrice du milieu parisien ; aussi D, en se mariant, choisit-il une épouse sérieuse. aimant le travail et la vie d'intérieur, active et habile à la couture et aux travaux du ménage. Elle n'éprouverait aucun regret de quitter Paris, où elle et ses enfants s'étiolent. Elle voit avec satisfaction approcher l'époque de la retraite de son mari. Celui-ci attend le moment, qui est proche, où il recevra la croix de la Légion-d'Honneur : alors il se retirera avec sa famille et les parents de sa femme dans les Pyrénées-Orientales, où il trouvera une installation plus confortable et tout le bien-etre que pro cure la vie rurale.

§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.

La famille doit son bien-être à la position du mari, aux qualités de la femme et à l'accord qui rege entre eux. Ce bien-être ne serait que temporaire, si le brigadier ** n'avait pas reçu un petit héritage et s'il n'avai pas eu la sagesse d'en consacrer une partie à l'achat d'un bien rural. La rétribution pécuniaire qui lui sera donnée, sous 1orme de pension, à sa retraite, serait insuflisante pour lui permettre de vivre indépendant à Paris et il devrait alors se livrer à des travaux pénibles qui l'épuiseraient vite. Aucun lien du reste n'attache les époux à la capitale ; ils n'y ont contracté aucune relation sérieuse et ils sont toujours restés étragers aux préoccupations politiques et aux haines envieuses de la population parisienne. Le mari aura l,200 francs de retraite ; il sera logé gratuitement dans son bien et pourra obtenir de l'État un bureau de tabac a Olet ; pendant la belle saison, il sera employé au araous, établissement de bais à quatre kilomètres d'Olet, qui communique avec cet endroit par un service de voitures publiques. En ce moment le petit bien où doit se retirer la umille, est administré par une tante de °° et amélioré chaque année. Il y a donc là pour elle une source certaine de bien-étre, qui lui permettra de bien élever les enfants et d'assurer leur avenir.

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§ 14. — Budget des recettes de l'année.

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§ 15. — Budget des dépenses de l'année.

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§ 16. — COMPTES ANNEXES AU BUDGET

Cliquez pour zoomer ou afficher en plein écran. Utilisez les flèches pour passer d'une page à l'autre (9 pages disponibles).

Eléments divers de la constitution sociale.

[295] — Faits importants d'organisation sociale ; particularités remarquables ; appréciations générales ; conclusions.

§ 17. — SUR LES CAUSES QUI NUISENT AU BON EMPLOI DE L'ÉPARGNE DANS LES POPULATIONS URBAINES.

Le ménage décrit dans la présente monographie possède des aptitudes sufisantes pour se constituer une épargne. S'il ne fait pas un emploi judicieux de son excédant de recettes, c'est que, sorti du milieu ou ses ancètres ont encore conservé de fortes coutumes à cet égard, il est, par contre, sollicité par une classe particulière d'industriels qui le poussent à consommer immédiatement ses économies en achats dispendieux et superflus. Il s'est, en effet, établi dans la capitale de grandes maisons qui, avec un certain étalage de désintéressement et de philanthropie, guettent l'épargne des ménages modestes et, par un procédé très simple, se constituent avec eile une riche source de béné

L'ouvrier, ne disposant jamais d'un gros capital, ne peut prendre sa part du luxe qui l'entoure et qu'il envie. C'est alors qu'un délégué d'une de ces maisons se présente à lui et lui offre un bel objet mobilier à choisir, à condition de lui verser, à son passage, un franc par semaine avec inscription sur un livret ; mais l'objet convoité ne s'obtient qu'après un versement égal à la moitié, vingt francs, par exemple. On délivre alors seulement un bon de quarante francs, au moyen duquel l'ouvrier se rend dans le magasin ou une de ses succurs ales, choisit l'objet qu'il désire, donne le bon en paiement et continue à faire ses versements. Cette obligation devient chez lui une habitude commode ; ses désirs se renouvellent, il achète à nouveau et se trouve ainsi lié indéfiniment à la maison qui l'exploite. Celle-ci bénéficie d'abord de l'intéret des sommes qu'elle perçoit, vend elle-même ses marchandises bien au-dessus de leur valeur, puis ne faisant aucun escompte, ne perd rien sur ce qui lui reste à percevoir, et enfin obtient une remise des maisons à qui elle procure des clients. C'est ainsi que l'ouvrier, privé de conseil et d'un bon système de patronage, se lais se aller au découragement et s'abandonne à qui trouve un moyen nouveau de lui arracher le fruit de ses labeurs.

Le ménage dont nous nous occupons a un emploi tout trouvé de son épargne. Possesseur, dans un pays très fertile, d'une petite[296]propiété rurale, il doit consacrer toute son énergie à acquérir un capital pour la faire valoir quand il s'y retirera. Là, les meubles de luxe et les bijoux ne seront pas à leur place, tandis que la moindre somme d'argent aura sa valeur pour améliorer la maison, la terre, les clôtures, faire des plantations et contribuer à l'agrandissement du petit domaine. C'est ainsi que D°° peut s'élever, de la condition de salarié de l'Etat, à celle de propriétaire rural, et, si notre législation successorale est modifiée, il pourra fonder une de ces familles-souches qui, en lrance, autrefois et aujourd'hui encore en Angleterre et dans la plaine saxonne, assurent la force et la prospérité de ces pays.

§ 18. — ÉLÉMENTS DE SUCCÈS ACQUIS AUX ARMÉES DONT LES OFFICIERS SONT LIES AUX SOLDATS PAR L'ESPRIT DE PATERNITÉ.

Les récents désastres qui ont aflligé notre pays et compromis sa sécurité, ont tiré la nation de l'indifférence demi séculaire dans laquelle elle s'était endormie. Il a fallu le terrihle réveil de 1870 pour attirer son attention sur le soin jaloux et persévérant avec lequel nos puissants voisins avaient établi leur suprématie ; la nation s'est alors inquiétée des moyens les plus propres à la mettre désormais à l'abri de pareilles épreuves, et, si elle a voulu faire acte de sagesse en n'empruntant à ses vainqueurs que ce qui pouvait convenir à notre génie national, elle n'a pas abdiqué le devoir de rechercher le véritable secret de leur supériorité.

Les grands succès obtenus par l'armée allemande tiennent à une admirable préparation militaire commencée dès l'enfance dans des conditions toutes spéciaCes. L'esprit de discipline et de dévouement qui anime cette armée provient des liens affectueux qui la lient au chef de l'Éat et aux ofliciers. L'empereur se considère comme le pere de ses soldats et cette idée anime tous les degrés de la hierarchie. Les chefs ont en vue le bien-être et la considération des membres de la vaste association militaire, Sans en exclure les femmes et les enfants. Le recrutement régional facilite l'exécution de cette grande pensée ; le district régiounal de recrutement et la compagnie ne font qu'un ; oficiers, sous-ofliciers et soldats résident en permanence dans la contrée, et il n'y a pas de changements de garnison. Les oficiers connaissent leurs hommes de longue date, ils les ont vus enfnts et sont liés à leurs familles ; il y a entr'eux un continuel échange d'affec[297]tueuse familiarité qui rend la discipline supportable, quelque rude qu'elle soit. Le militaire allemand s'y soumet avec une abnégation réfléchie, avec la pensée arretée que la moindre faute peut compromettre le salut de la grande patrie allemande. Au jour du danger, tout le monde s'entr'aide avec un dévouement sans égal : le soldat sait que, de retour dans ses foyers, sa bravoure comme sa faiblesse seront connues de ses compatriotes, et il ne néglige rien pour mériter l'estime qui l'attend au retour. L'armée allemande, en résumé, est une fédération de groupes ruraux, ayant leur vie et leur originalité, centralisés et cimentés par de puissants liens de paternité et de dévouement, animés par une volonté souveraine et respectée, qui imprime le mouvement général, mais laisse à chacun l'initiative des moyens.

Il serait diflicile en France d'arriver aussi rapidement au résultat qui a placé la Prusse au premier rang en Erope. Ce fut sous l'impression des désastres qui marquèrent les années néfastes de 1806 et 1807 que germa l'organisation militaire qui a groupé l'Allemagne dans un même faisceau cette œuvre s'est entée tot naturellement sur une organisation sociale qui en a permis le développement persévérant pendant plus d'un demisiècle. Le pouvoir central, incontesté et respecté par les administrations provinciales, s'est trouvé dès l'origine dégagé des mille préoccupations qui, en France, paralysent l'action gouvernementale, réduite à intervenir dans les moindres détails d'intérêts locaux ; aussi, de même que dans l'administration civile l'autonomie des groupes provinciaux avait été conservée, de même dans l'armée les grands traits du mouvement militaire furent imprimés aux diférentes unités, et celles-ci, prenant a charge de leur propre adminis tration et la responsabilité des moyens employés, voient toujours leur initiative individuelle encouragée dans la poursuite du but indiqué par le souverain. Ce dernier, directement intéressé à la grandeur de son pays, ne néglige rien pour avoir la plus belle armée du monde, et son intervention personnelle donne au soldat allemand un degré d'énergie et de confiance dont l'Allemagne apprécie la valeur au jour du danger.

Les malheurs de 1870 n'ont pas trouvé non plus la France indifférente et aucun peuple n'a montré plus de bonne volonté pour réparer ses désastres,; mais le patriotisme de nos gouvernants s'est heurté à des difficultéss d'un ordre particulier. A la suite des guerres du premier Empire, on songea tout d'abord à la restauration de nos forces nationales. Le principe d'égalité ayant fait disparaitre les avantages qui résultaient de l'échange réciproque[298]des droits et des devoirs entre les divers degrés de la hiérarchie sociale, on y suppléa en faisant de l'armée un corps particulier dans la nation. Le service fut porté à sept ans le :égiment devint un cloitre ou le drapeau remplaça le clocher du village, une communauté dont les membres brisèrent presque tout lien de famille. Ce fut cette armée qui conquit l'Algérie et s'illustra en Crimée et en lItalie. Mais alors diverses causes vinrent concourir à la disloquer : la multiplication des chemins de fer. le rapide développemet du bien-être matériel, la brusque création de la Garde impériale, l'indifférence sinon la diminution du respect et de la considération du public pour l'armée. Tandis que nos voisins attendaient avec impatience l'occasion de prouver leur supériorité militaire, notre armée se fondait ; les soldats étaient envoyés en masse en conggés illimités par raison d'économie ; des chansons moqueuses, des pamphlets contre tout ce qui portait l'uniforme passaient sans soulever l'indignation publique : l'utilité des armées permanentes était mise en question ; la pauvreté du soldat n'était plus en honneur ; il comparait sa noble simplicité avec la considération dont on entourait la richesse, et à la fierté d'un état jadis respecté avait succédé un profond découragement. L'Éat lui-même, malgré les avertissements qui lui arrivaient de tous côtés, paraissait ne pas apercevoir l'orage et ne faisait rien pour redresser l'opinion publique égarée. Les soldats ne restaient plus sous les drapeaux et on retenait avec peine les sous-ofliciers. C'est dans des conditions aussi défavorables que la guerre de 1870 éclata.

Après nos désastres, on comprit que la France devait avoir desormais une grande armée nationale et on pensa aussitôt à instituer le recrutement régional ; mais la crainte du rétablissement des provinces intimida un préjugé déja séculaire, et on ne s'engagea que timidement dans cette voie, reconnue pourtant salutaire. On créa bien les corps d'armée permanents ; mais le centre seul resta un point fixe, tandis que la circonférence continuait à s'agiter dans un mouvement perpétuel.

On n'est pas encore arrivé à faire coïncider le district de recrutement avec la compagnie ; cependant les inconvénients du régime contraire se manifestent de plus en plus, tant par les charges qu'il fait peser sur le trésor et sur les particuliers que par le nanque de cohésion des individualités entr'elles. La crainte de voir se développer l'esprit de particularisme arrète encore la formation des autonomies ; mais l'expérience montre chaque jour qu'il est dangereux d'appliquer la théorie de l'égalité aux défenseurs d'un pays, et que le soldat n'est pas un automate dont il[299]suflt de presser le ressort pour en faire un héros animé de toutes les vertus. Nos voisins n'ont pas été les seuls à donner toute leur ollicitude aux intérêts particuliers de leurs soldats et, pour ne citer que des morts, les Bugeaud et les Lamoricière, ont dù leurs succès à l'esprit de paternité qui les animait envers leurs compagnons d'ames ; mais ils étaient au moins en relation constante avec eux, tandis qu'avec le peu de temps que nos jeunes recrues passent sous les drapeaux, leurs ofliciers renouvellent le travail de Pénélope. Un tout autre résultat est obtenu en Allemagne où aucun effort n'est perdu, car, pour ne pas être constamment dans les rangs de l'armée, les jeunes soldats d'une même contrée se retrouvent annuellement dans les exercices et s eront conduits en temps de guerre par les mêmes oficiers et les mêmes généraux.

La difficulté du recrutement de la Garde républicaine montre à quel point la loi de l'offre et de la demande est peu applicahle aux armées. Alors que la profession des armes jouissait encore en France d'une légitime considération, les sous-oficiers se faisaient un honneur de rendre leurs galons pour entrer dans la Garde municipale ou dans la Gendarmerie. Mais, lorsque le courant qui enleva à notre armée ces indispensables auxiliaires du commandement se fut établi, il emporta également pour la Gendarmerie nationale les élements les plus précieux de son recrutement, et la Garde mnicipale vit son effectif tomber de cinq mille à trois mille cinq cents hommes. Des sujets mediocres comme de bons sujets, gradés ou non gradés, y étaient admis ; attirés par l'espoir d'un service moins pénible que dans les régiments et par la séduction que le sejour de Paris exerce sur tous les esprits, ils ne venaient que pour achever leur temps de service et s'en allaient. Cet état précaire dure encore. On a créé successivement, pour y remédier, sept institutions dont une seule eut sufi autrefois pour conserver tous nos sous-oficiers : deux augmentations de solde successives, indemnité de logement aux gardes mariés et non logés, secours annuels, augmentation de la pension des veuves, augnentation des retraites et créantion des retraites preportionnelies. Ces sacrifices, prodigues par nos représentants avec la plus grande libéralité, n'ont pas encore produit les résultats qu'on en attendait. Il reste certainement peu de chose à faire. Il ne faut pas perdre de vue que, si les ressources matérielles du célibataire sfisent à ses besoins, il ne prolongera néanmoins son temps de service qu'è la condtion de pouvoir se marier. Or, il est effrayé, aujourd'hui, par la perspective de voir, dès le début et pour longtemps, son ménage separé[300]en deux, lui à la caserne, sa femme et ses enfants en ville ; de voIr, par conséquent, ses modiques ressources absorbées en faux frais et de n'avoir que les charges de la famille sans en avoir les ressources ni les joies. C'est là une grave question qui mérite d'attirer toute la sollicitude de l'Etat et de la Ville de Paris. Le jour où chaque ménage qui se fonde aura son pain quotidien assuré, le recrutement des troupes municipales deviendra facile, et, en échange des témoignages réels d'un esprit de paternite bien entendu, l'administration urbaine aura à son service une abondante pépinière de serviteurs dévoués et fidèles, dont le concours devient de plus en plus nécessaire. L'esprit de patronage s'applique à toutes les formes de la société, mais on ne saurait sans danger le méconnaître là où sont directement engagés le repos et la sécurité du pays.

§ 20. — DES AVANTAGES MATÉRIELS QUE LE RÉGIME DE COMMUNAUTÉ APPORTE DANS L'ALIMENTATION DE L'ARMÉE.

L'alimentation du soldat a toujours été une des grandes préoccupations de nos gouvernants, et, aujourd'hui surtout que les charges militaires ont augmenté dans une proportion considérahle sans que l'élévation du prix des denrées ait cessé de suivre une marche rapide, le problème est devenu d'une solution plus lificile. De tout temps on l'a résolu partiellement en faisant vivre en commun les hommes d'une même compagnie, et c'est gràce à des prodiges d'économie et de sobriété qu'on a pu réussir à nurir à peu près suffisamment l'armée ; il est reconnu néanmoins qu'à de rares exceptions près ce genre de nourriture ne saurait réparer suffisamment la déperdition de forces qu'engendrent les fatigues de la vie militaire, à Paris notamment où l'air est plus ou moins vicié et où l'on ne peut se procurer les subventions en nature que fournit le voisinage des campagnes. Lorsque les charges de la famille viennent s'ajouter à ces inconvénients,[306]ce qui n'a lieu du reste, pour les corps constitués, que dans la Garde républicaine, les diflcultés augmentent encore et il arrive parfois dans ce cas que certains chefs de ménage tombent dans un degré complet d'épuisement. La sollicitude de l'administration militaire est depuis longtemps en éveil sur cette question du bien-être matériel. dont la solution, indiquée par l'expérience et le raisonnaement, se trouve retardee par des ohstacles qui la rendent très complexe.

En tout cas l'examen du problème doit être précédé de cette remarque que la Garde républicaine trouverait des avantages incontestables à être répartie en compagnies dans la hanlieue, le long de la ligne de ceinture et dans des sections correspondant aux arrondissements excentriques. Les terrains y sont à bon marché et, parmi ceux de la ône militaire des fortifications, il y en a dont la jouissance gratuite pourrait être concédée aux gardes municipaux ; ils trouveraient ainsi, dans la culture de ces terres actuellement sans profit, un emploi sain et utile de leurs loisirs et une source précieuse de bien-etre pour tous, notamment pour les hommes mariés. Il serait facile de construire à bon compte des casernes aménagées pour les célibataires, avec un pavillon séparé pour les menaes, chacun pouvant être indépendant de son voisin. La Ville de Paris ne verrait pas une grande diminution dans ses ressources par la suppression pour les gardes des droits d'entrée sur les denrées destinées à leur consommation ; les ordinaires, comme les familles, pourraient profiter, au point de vue du prix et de la qualité, des avantages que procurent les provisions de vin faites dans les bonnes années.

Le recrutement des gendarmes en province est facilité par les avantages matériels qui leur sont faits. La solde est la même, moins le supplément dans Paris ; mais tous les ménages sont logés et ont la jouissance d'un jardin, dont les produits en fruits et en légumes suflsent généralement à la consommation de l'année. Des avantages analogues rendraient plus facile le recrutement de la arde républicaine, et l'appàt d'une vie de famille où ne seraieunt plus compromis ni le bien-être et la considération de ses membres, ni la dignité du foyer domestique, attirerait de nouveau dans ce corps des sujets d'élite.

§ 21. — DES INCONVÉNIENTS QUE PRÉSENTENT, POUR LA DÉFENSE DES CAPITALES, LES GRANDES AGGLOMÉRATIONS URBAINES; ET DES CONSÉQUENCES DE L'ORGANISATION MUNICIPALE DE PARIS.

La Garde républicaine, en temps de paix, est chargée de maintenir la tranquillité pubolique et de réprimer les troubles ;[307]en temps de guerre, elle aurait à remplir la même mission avec une plus grande énergie, afin de laisser libre de toute préoccupation sur ses derrières l'armée chargée de la défense des ouvrages avancés ; elle pourrait même lui donner son appui, si la paix était assurée dans la ville.

Le concours qu'elle prète aux agents de la force publique est d'ordinaire suflsant pour assurer l'ordre dans Paris ; mais, dès qu'une effervescence sérieuse se produit, il est nécessaire de faire intervenir l'armée : et, comme une émeute éclate en géneral quand celle-ci est éloignée ou occupée à la défense du pays, il en résulte que les troupes municipales sont insufisantes pour enrayer un mouvement, comme l'ont demontré a plusieurs reprises les évènements de 1830, 188, 1870 etU 1871.

La répartition des troupes municipales dans Paris a fai l'objet de nombreuses discussions, et les avantages de leur concentration ont été souvent mis en balance avec ceux de leur distribution dans chaque quartier. Les partisans de la concentration faisaient valoir les inconvénients d'une dissémination dans une grande ville où, en cas de troubles, les postes isolés peuvent étre facilement enlevés, comme en 1871, et ils insistaient sur l'avantage d'avoir toujours sous la main une force imposante pour écarter l'émeute à son début, là où elle se produisait. Les partisans de la répartition par quartier faisaient ressortir l'antagonisme qui existe entre deux corps de citoyens entièrement séparés les uns des autres et ohjectaient qu'en cas d'émeute la force armée qui arrivait dans un quartier n'y trouvait que des ennemis ou des indifférents, tandis qu'une force vivant en permanence dans un quartier s'assimilait à ses habitants, connaissait les gens paisibles et les turbulents, n'avait pas un champ d'action disproportionné, et entin, par l'habitude des lieux, pouvait étoufier une insurrection dans son germe. Mais il semblait qu'etrer dans cette voie c'était faire un pas vers une décentralisation administrative dont l'opportunité n'est pas encore admise et qui paraitrait avec raison devoir porter atteinte à l'omnipotence du pouvoir municipal. L'opinion publique, en efet, n'est pas encore préparée à adopter à cet égard les usages anglais. Ce serait une grave erreur de croire que le lord-maire, le mayor de Londres est le maire de toute la Ville ; il ne l'est que de la Cité, et de même le Conseil municipal qui l'assiste. Le borough ou city, à Londres, est une sorte d'ile urbaine dans l'agglomération qui forme cette immense ville ; il en est de même pour toutes les grandes villes de l'Angleterre ; 'les banlieues agglomérées autour de la Cité de Londres ont peu à peu constitué[308]des villes distinctes, en contact l'une avec l'autre, mais ayant des intérêts et des administrations absolument distincts ; il s'est ainsi formé des ilots constitués par la coutume et par la loi et n'empiétant jamais sur les départements ruraux contigus. Les Anglais considéreraient comme une atternte à leurs libetés tout envahissement des villes sur les campagnes, comme ceux qui ont lieu aujourd'hui par toute la FTrance où le développement des agglomérations urbaines aux dépens des hanlieues rurales n'a plus de limites.

Dans ces conditions il est dificile de voir se produire à Londres ces grands mouvements populaires qi, pendant la guerre de la Défense nationale, paralysèrent les opérations militaires et compromiren la résistance. C'est une des raisons pour lesquelles la fortification des capitales a été mise en question ; la nécessité en est contestée et il est certain que Saint-lPétershourg, Moscou, Berlin, Vienne, Madrid, Londres ne sont pas fortifiées. L'exemple tout récent de Vienne est curieux à noter. Aprés les désastres de 1866, l'Autriche s'empressa de démolir les fortiflcations de la ville qui cependant avait été menacée et qui avait dû son salut, ainsi que celui de la monarchie autrichienne, à l'intervention du gouvernement français. Les hommes d'tat autrichiens considérèrent que la situation à Vienne s'était modiiée depuis le passé ; quand Vienne fut fortifiée au temps des incursions des Turcs, elle leur résista avec succès parce qu'alors les corporations existaient encore et que patrons et ouvriers s'entendaient pour la défense commune ; aujourd'hui que ces liens sont brisés, le gouvernement redoutait qu'en cas de siège le peuple exigeât des armes, ne s'en saisit que pour faire échec aux bourgeois, et qu'après la paix il devint impossible de le désarmer. Ces prévisions des Allemands furent justifiées en 1870 et 187 en France par l'exemple de Paris. Le gouvernement français s'étant enfermé dans la capitale ne fut plus en communication avec les départements, et la reddition ne fut plus qu'une question de temps ; l'armemnt d'une population patriotique, mais turbulente et inexpérimentée, créa au gouvernement des difficultés inextricables qui aboutirent à de terribles catastrophes ; la prise de Paris fit croire que tout était perdu et en effet on y avait enfermé et paralysé les plus puissants ressorts de la résistance.

Les partisans des fortifications de Paris ont fait valoir de leur cêté plusieurs raisons. La France étant un pays éminemment centralisé, on est habitué dans le moindre hameau à accepter comme un fait accompli tout ce qui vient de la capitale, et l'opinion publique croirait qu'en abandonnant Paris, en ne le[309]fortifliant pas, on compromettrait ravement l'indépendance nationale. De plus, Paris contient de telles richesses et, de plus, de telles ressources qu'il faut protéger les unes et utiliser les autres. Enf̂n Paris, par sa position centrale, par le grand développement de ses forts détaches, permettrait constamment de menacer les flancs d'un ennemi qui s'aventurerait au cœur de la France.

Les deux opinions ont une grande valeur et on peut sans doute trouver un moyen terme. M. Thiers pensait qu'il ne fallait pas immobiliser dans Paris les armées qu'y nécessite aujourd'hui l'énorme développement de sa ceinture de forts : il était partisan d'un sysème plus restreint qui, tout en mettan Paris a l'abri d'un bombardement, laisserait disponible la maieure partie de notre armée nationale. Il est facile, au moment du danger. d'embarquer sur des vaisseaux, comme en 1870, os richesses. monétaires et artistiques. En ne maintenan pas le gouvernemen dans la capitale, Paris n'est plus qu'un poste ortifié, d'une plus grande importance que les autres, et dont la chute n'est qu'un événement militaire malheureux. Il y a enfin intérêt a attirer l'ennemi au cœur de la France, pour menacer ses flancs et comprometre sa retraite en cas de succès. De grands capitaines ont pensé et pensent encore que le salut d'une nation n'es pas dans ses murailles, mais dans l'àme des citoyens : là est la force de la patrie, et tant que hattent des cœurs decidés à la défendre, elle y trouve un meilleur rempart que dans les plus solides bastions. La fortification n'est qu'un auxiliaire, un engin de résstance, mais c'est toujours sur les champs de bataille que se décidera le sort des nations.

§ 22. — DES AVANTAGES DU PRINCIPE DE LA STABILITÉ DANS LA GENDARMERIE PROVINCIALE, ET DU CONCOURS EFFICACE QUE SON MODE DE RECRUTEMENT APPORTE AU MAINTIEN DE LA PAIX PUBLIQUE.

Lorsqu'une société s'est assuré la conquète du pain quotidien, son premier besoin est de veiller à sa sécurité et à la conservation de ce qu'elle a acquis au prix du labeur de plusieurs générations. Dans les régions pastorales où les productions spontanées du sol fournissent en abondace la nourriture et le vêtement, les pasteurs, certains de retrouver chaque année sur des territoires inepuisables les aliments dont ils ont besoin, vivent sans soucis et sans convoitises. La nécessité engendre déjà l'espri de prévoyance chez les[310]races agricoles, et les familles ont à s'y prémunir contre les tentatives de voisins avides ou malheureux. Le régime industriel, en développant rapidement la richesse et en provoquant de grandes agglomérations, rend plus faciles les entreprises des deshérités de la fortne et des aventuriers ; aussi les peuples dont la vie est compliquée par les travaux du commerce, de l'industrie, de l'agriculture et des arts libéraux ont-ils toujours cherché à garantir les richesses qu'ils amassaient. Ils y ont réussi plus ou moins de trois manières : d'abord par une organisation sociale où la sécurité du pain quotidien étai la même pour toutes les classes, unies entre elles par des liens qui ne laissaient aux inégalités sociales que les apparences, en second lieu, par une sévere observance des lois morales en dehors de laquelle l'histoire ne montre aucune nation prospère enfin au moyen de milices organisées contre les ennemis du dehors e du dedans. Ces forces concouraient également au maintien de la paix publique, avec cette différence que les agressions du dehors ne se produisaient qu'à des intervalles indéterminés, tandis que les préoccupatios qui tenaient en éveil les gendarmeries naionales sont restées et demeurent constantes.

Les corps préposés au maintien de la paix publique n'ont pas toujours eu dans les sociétés une organisation uniforme : leur rôle et leur fonctionnement ont varié suivant les coutumes locales, la nature des lieux, les mPurs des habitants. Au fur et à mesure que le développement des voies de communication facilitait l'euvre des partisans de la centralisation, e que le pouvoir central s'accroissait au détriment de la vie provinciale, l'uniformité s'établissait dans les orgganisations militaires ; mais ce n'est guère que vers le commencement du siècle que la Gaendarmerie française a formé un corps regi par des institutions définitives.

Tel qu'il est ajourd'hui, il répond aux obligations multiples qui lui sont imposées ; et si les citoyens paisibles ne se rendent que médiocremen compte des se vices que leur rend cette force d'élite, en revanche les malfaiteurs, les braconniers, les gens sans aveu savent que jour et nuit toues les routes, chemins et sentiers, tous les bourgs, hameaux et habitations isolées sont parcourus et visités par de petits groupes de deux hommes qui exercent sur les coins les plus reculés du territoire une surveillance protectrice. ne légende acceptée sans réflexion les représenterait volontiers comme des fonctionnaires assez inoccupés et promenant sans grande utilité leurs loisirs sur les grandes routes ; mais les parquets, les bureaux de recrutement et les adminisrations publiques connaissent l'activité, le zèle ardent,[311]l'esprit saggace, le sang froid et la patience de ces modestes et fidèles serviteurs, d'un désinteress ement sans égal e d'un dévouement sans limites.

Avant 1870, le rôle de la (endarmerie était plutôt civil que militaire ; son recretement dans l'armée et son unitcrme lui donnaient le prestige don elle avait besoin. Elle relevait directement d Ministre de la guerre et recevait également des ordres des Ministres de la .ustice et de l'Iérieur : il éait à craindre qu'une entière subordination à ce dernier, à l'exclusion presque absolue des deux autres, si elle venai à se produire, ne dénaturàt le caractère d'impartialié et par suite la meilleure garantie de la considération qui s'attache à u corps placé en dehors des luctuations de la politique. Les brusques évènements de 1870, en amenant en France une perurbatio profonde das les régimes politique, économique, financier et miliaire, apportèrent aussi de grands changements dans les fonctions de la Gendarmerie : ses ohligations civiles ne furent pas diminuées, mais son rôle militaire s'accrut dans de larges proportions.

Les malheurs de la guerre avec la Prusse provenaient non-seulement de notre inferiorite numérique, mais surtout d'un systéme défectueux de mobilisation qui ne nous avait pas permis d'amener en temps voulu sur notre frontière les forces sur lesquelles oOn comptait.Cette question est depuis douze ans l'incessante préoccupation du Conseil supérieur de la guerre. et sur la endarmerie seule reposent la rapidié et la ponctualite avec laquelle seront transmis et exécutés les ordres de mobilisation. Qui mieux qu'elle, en effet, avec son organisation régionale, son esprit nilitaire et son prestige sur les populations, pouvait être charggé d'une mission aussi délicate et d'un intérè aussi capital 1 N'es-on pas assuré, par sa fidélité au devoir et ses habitudes de régularité, de peuvor compter sur elle, lorsqu'en temps de paix elle assure avec tant de précision le service du recrutement et la préparation du temps de guerre 4 Comment songer dès lors a retirer à ce corps d'élite le caractère militaire qui fait sa force et est une garantie de l'ordre et de la rapidité avec lesquels la France pourrait en quelques jours se trouver prète à la guerre, surtout lorsque l'on songe qu'il est un auxiliaire indispensable de la sécurité et de la discipline des armées 1l y a quelques années l'immixtion de certaines individualités, mues par des considérations purement politiques, donna l'idée ou tournit le prétexte de subordonner entièrement la Gendarmerie au ministre de l'ntérieur. La sagacité et le patriotisme des membres de la Commission qui fut nommée à cet effet, placèrent la question sur un terrain plus élevé. celui[312]du salut public : leurs avis furent écoutés et le projet complètement ahadonné.

La endarmerie, en raison de ses attributions complexes et délicates, doit être recrutée avec un soin tout spécial. Si les éléments qui la recomposent chaque jour sont plus jeunes qu'autrefois, en revanche la guerre de 1870 n'ayant pas altéré ses exXcellents cadres. les traditions ne s e sont pas perdues, et dans ce petit groupe de cinq homnmes qu'on omme la Brigade, e nouvel arrivé se façonne vite. Mais il ne faut pas se faire d'illusions dangereses : il y a beaucoup d'améliorations à faire, bien des précautions à prendre. Avec n peu de prévoyance et presque Sans dépenses aucune pour le budet national, on peu assurer un recrutement aussi bon qu'autrefois. Il faut méditer souvent l'irrémédiable désorganisation qui a frappé depuis la guerre notre corps de sous-ofliciers, et empêcher a tout prix la dislocation d'un service public que rien re saurait remplacer.

Les gendarmes d'une brigrade forment une sorte de communauté 1amiliale dont les éléments vivent sous le même toit, dans une même maison, n peu enggrenés les uns dans les autres. Cette juxtaposition, favorable à la discipline et aux exiggences d'un service de tous les instants. nécessite de la par du che beaucoup de tact, de fermeté e de bienveillance. La caserne est généralement au centre de la résidence, avec vue sur les aven ues principales et déggagements commodes. Chaque logement est composé autant que possible d'une cuisine servant de chambre pour les repas et de deux pièces pour la séparation des sexes, quand il y a de nombreux enfants. Chaque ménage possède en utre une portion de grenier, un bucheir, une cave et une petite pièce de terre arable : le ménage en retire une subvention de 50 à 60 francs en légumes et fruits ; la famille y trouve en même temps une saluaire distraction, et la culture de son jardin procure au gendarme l'emploi utile des courts loisirs que lui laissent les obligations multiples de son service. Cette subvention lui est indispensahle, eu égard au tauxmodique de son salaire journalier qui es. de 3 fr. 22. 2 s'il est a cheval, et de 2 fr. S0. 5 s'il est à pied. Il doit pourvoir lui-même à l'achat de son cheval, mais l'Eta lui en donne la ourriture ; sur sa modique solde il doit subvenir à son habillement, équipement, harnchement, à l'entretien et l'alimentation de sa famille. Aussi la vie d'un gendarme est-elle une merveille de sobriété, d'autant qu'il est tenu, pour Cconserver son prestigge sur les populations, d'avoir un uniforme brillant et toujours bien entretenu. bLes auggmentations de ressources que peuvent lui donner son ancienneté, le placement d'un[313]enfant dans un corps de troupe, des indemnités de secours sur des fonds spéciaux, sont les mêmes que dans la Garde républicaine ; mais elles ne servent souvent qu'à pallier la misère sans appoter un bien-être réel dans une famille qui ne possède rien et ou la dignité professionnelle du mari interdit à la femme l'exercice public de toute profession.

Il serait injuste de dire que l'attention de nos gouvernants et des autorités publiques n'est pas éveillée, depuis longtemps, sur une situation précaire à laquelle on apporte chaque année quelque remède, quelque amélioration sensible, en attendant que les palliatifs fassent place à des mesures plus efficaces encore à l'étuee. La gendarmerie tiendra toujours à honneur de conquérir son pain quotidien par un dévouement de plus en plus grand à la société qu'elle protège ; aucun service public ne mérite plus de sollicitudes et d'encouragements que ce corps, sur l'abnégation duquel le pays peut compter sans réserve.