[N° 43 bis]
GARDE MUNICIPAL
DE PARIS
CÉLIBATAIRE
[PRÉCIS D'UNE MONOGRAPHIE]
[PAR]
[ Joseph Paviez ]
Sommaire
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§ 19. — Précis de la monographie ayant pour objet le garde municipal de Paris, célibataire.
[Ce précis est issu de la monographie n°43 : Brigadier de la Garde républicaine de Paris (Seine - France).]
I. Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
[300] Le garde municipal décrit présentement est un agent de la paix urbaine, sous le régime des engagements volontaires permanents et de la pension de retraite. Il fait partie d'une légion, composée d'infanterie et de cavalerie, recrutée dans l'élite de l'armée et formant un corps organisé ie Gendarmerie nationale. Il est dans l'infanterie et il demeure dans la caserne Napoléon, rue de Rivoli. Là sont entassés mille deux cents hommes et cette agglomération serait des plus pernicieuses sans la minutieuse propreté avec laquelle cet établissement est entretenu ; en outre, l'édifice étant isolé, l'air y circule de tous les côtés et y entretient la salubrité.
Le garde r est originaire d'Aubenas, dans l'Ardèche, arrondissement de Privas ; il est né en 1819 de parents catholiques, dans une contrée dont les habitants ont encore conservé le respect de l'autorité et les bonnes meurs. C'est un homme d'une conduite irréprochable et d'une assiduité qui ne s'est jamais démentie. D'un caractère paisible, un peu taciturne en apparence, il occupe ses loisirs en se perfectionnant dans la lecture et l'écriture ; à peine lettré à son entrée dans l'armée, il a fait de[301]grands progrès et possède à présent une bonne instruction élémentaire. Sa physionomie décèle la modestie, la sagesse, la fermeté ; il est maigre et en même temps vigoureux ; son teint bas ané annonce une bonne santé. Modeste dans ses goûts, il est très heureux de sa condition et accomplit ses devoirs sans jamais trouver trop dure la tàche qui lui incombe.
II. Moyens d'existence.
Le garde D*** possède dans son pays une petite propriété indivise avec ses trois frères et sœurs. C'est une maison de rapport, pouvant être évaluée à 112,000 francs environ et dont le rapport est de 500 francs. T* a donc l25 francs pour sa part. Il s'est en outre constitué, par ses économies, un petit capital de 3,000 francs placé en obligations de la ville de Paris et lui rapportant net d'impôts, 105 francs.
Les subventions n'entrent que pour une faible part dans ses revenus, car il n'a reçu de son régiment que 21 francs de gratifications en six ans. Sa solde, avec les accessoires, monte annuellement à 1,38 fr. 30.
Son travail pour l'Ea, dont la somme précédente est la rétribution, consiste en heures de surveillance dans divers établissements publies, halles, marchés, théàtres, bals publics ; en assistance aux magistrats pour le transferement des prisonniers, l'instruction et les audiences ; en service de garde dans les maisons de corrections ; et enfin en exercices militaires, revues, parades et patrouilles de nuit. Pour les services dans les bals et théàtres, il reçoit une indemnité supplémentaire de un franc par soirée de présence. Cette somme est destinée à couvrir les frais d'un supplément d'alimentation que rend nécessaire la rentrée tardive des postes de nuit.
III. Mode d'existence.
Dans chacune des copaggnies de la Garde républicaine, composée de cent hommes environ, la vie matérielle est en commun : ain de réduire encore les frais généraux et d'augmenter les avantages de la communauté, on réunit quelquefois deux compagnies en une seule. Les repas sont préparés par une cuisinière[302]dans une grande marmite, alimentée par un seul feu. e matin de très bonne heure, des hommes de corvée vont aux halles acheter à prix réduit les denrées nécessaires pour la journée ; on fait même provision de celles que l'on a avantage à acheter en gros lots et qui peuvent se conserver. Deux repas sont distribués par ce moyen aux ardes, qui les emportent dans une gamelle surmontée d'une assiette et les consomment dans la chambre commune ; ceux qui en ont le moyen y ajoutent à leurs frais un peu de vin acheté à la cantine. Le versement opéré par chaque homme est de un franc par jour ; en déduisan un prelèvement de 0 fr. 311 pour la cuisinière, le porteur, le balayage, le blanc et cirage, l'étameur, le charbon, le bois, le repassage. les enfants de troupe et le pain, on a 0 fr. 656 par homme et par jour pour la nourriture proprement dite, ce qui fait 0 fr. 328 par tète et par repas. Ces repas consistent en soupe au beuf et légumes, ou bien en ragout et salade ; quelquefois, on y ajoute un dessert ; il y a dans l'alimentation une assez grande variété, et l'achat de la viande, soumis à une surveillance rigoureuse, donne d'assez bos résultats ; en prenant les bas morceaux, On l'obtient au prix de 80 à 90 centimes le kilogr., soit moitié meilleur marché que pour les particuliers. On comprend cependant que les bouchers puissent la céder à ce prix, eu se rappelant qu'ils la payent de 90 centimes à l franc le kiloggramme sur pied à la Villette et qu'ils vendent fort cher les morceaux de choix ; la concurrence entre les houchers pour avoir la fourniture de la troupe prouve qu'ils sont encore heureux de la céder à ce prix. L'ordinaire est géré par un brigadier, sous la surveillance d'un oflicier et du capitaine de compagnie. Les grandes revues sont généralement l'objet d'un repas plus copieux et d'une distribution de vin ; le vendredi-saint, on fait deux repas maigres. Ces Suppléments de dépense sont prélevés sur un fond particulier, nommé boni d'ordmaire, provenant des économies faites sur les dépenses quotidiennes. Les repas sont préparés par une cuisinière, assistée d'un garde de corvée et d'un homme a gages, dit porteur, qui ramasse les gamelles dans les chambrées, balaye la cuisine, aide au lavage de la vaisselle et porte la nourriture en ville aux hommes de garde dans les postes.
Les Gardes municipaux sont logés en commun dans des chambrées, dont la contenance varie de vingt à cinquante hommes ; leurs lits sont disposés en rang le long des murs et au milieu à une certaine distance les uns des autres, mais sans séparation ; une malle à roulettes, contenant leurs effets et leur linge, se place sous le lit ; d'autres effets sont disposés avec[303]ordre sur une plachette ; les armes sont à un ratelier. Le plafonds sont très élevés et chaque homme a de quinze à vingt mètres cubes d'air à respirer. Les murs sont blanchis à la chaux tous les deux ou trois ans, ce qui est insufisant.
Le mobilier, avec les vêtements semblables, sauf les insiggnes du grade, à celui déjà décrit dans la monographie du brigadier, est toujours entretenu avec le plus grand soin et ciré au vernis
Le garde ** emploie une partie de ses ressources à maintenir sa santé en bon état en consommant chaque jour un litre de vin à ses repas, il ne prend d'autre distraction que d'aller quelquefois le dimanche, avec un ou deux camarades, hoire un café ou un litre de vin chez un cabaretier. Il rentre toujours à sa caserne aux heures réglementaires et ne demande jamais de permission de la nuit ni même de minuit.
IV. Histoire de la famille
Le garde T** est né, en 1819, de parents vivant du travail de la terre et qui ont su, à force d'ordre et d'économie, se constituer un patrimoine. Il a été élevé dans un milieu calme, simple, où il a contracté l'habitude de l'économie, de l'ordre, et où il n'a jamais eu que de bons exemples sous les yeux. Lorsque le moment du tirage au sort est arrivé, il est parti au régiment et a fait la campagne de 1870. Fait prisonnier après la capitulation de Metz, il a fait son temps de captivité en Allemagne, a Dresde. Il est ensuite revenu en France, et en 1876 est entré dans la Garde républicaine, où il a l'intention de rester sinon jusqu'à sa retraite, au moins jusqu'à ce qu'il ait acquis des droits à la retraite proportionnelle.
V. Budget domestique annuel et avenir du garde T**


[304] L'épargne s'élève ainsi à 421 fr. 67 ; elle est convertie successivement en valeurs solides, rentes sur l'État ou obligations de la Ville de Paris. On voit, par l'examen du budget, qu'elle pourrait être plus forte ; mais alors ce serait aux dépens de la santé du garde T*** et il agit judicieusement en en consacrant une partie à se maintenir robuste : il ne prend du reste aucune distraction. On voit également que cette épargne correspond à peu pres à la omme obtenue en additionnant son revenu particulier et ses chevrons ; de sorte que le célibataire, nouvellement arrivé à la Légion de la Garde républicaine et sans ressorces, a déjà de [305] quoi suffire à sa subsistance, puisqu'il peut encore disposer annuel, lement d'une somme de 100 francs pour améliorer son ordinaire. Et c'est ici que l'on peut voir à quels résultats mène la méthode des enquétes directes. En 1880, un prix de vertu a été décerné par une Société à un vieux garde qui, sans autres ressources que sa solde, avait successivement élevé et placé les dix enfants de ses frères, réduits à un dénuement presque absolu ; jamais cet homme admirable ne buvait un verre de vin ; on ne le voyait prendre aucune distraction et on ne pouvait s'imaginer à quoi il employait ses économies ; l'enquète provoquee par la Société d'encouragement au bien fit découvrir ce modèle de tempérance et de modeste héroisme.
Le garde pv veut rester célihataire, tant qu'il sera lié au service. L'exemple de la triste condition dans laquelle végètent quelques-uns de ses camarades mariés, sans fortune, et chargés d'enfants, le souci de ne pouvoir habiter avec sa famille, lui donnent une répugnance invincible pour fonder un ménage dans ces conditions. Il se plait dans son métier, il aime l'accomplissement tranquille de ses devoirs ; il attendra donc l'heure de sa retraite et probablement la mort de ses parents pour retourner dans son pays, s'y marier et fonder une famille rurale. Il aime la terre, c'est à la campagne qu'il destine ses épargnes accumulées : rral il est né, rural il veut finir ses jours.