N° 44.
PAYSAN-RÉSINIER
DE LÉVIGNACQ (LANDES).
Propriétaire-ouvrier dans le système du travail sans engagements,
D'APRÈS LES
RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN 1881
PAR
M. URBAIN GUÉRIN .
Sommaire
- Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille
- Éléments divers de la constitution sociale
- § 17. — RÉSULTATS DE LA LOI DU 19 JUIN 1857 SUR L'ASSAINISSEMENT ET LA MISE EN VALEUR DES LANDES DE GASCOGNE.
- § 18. — SUR L'EXPLOITATION DES PINS.
- § 19. — SUR LA DISTRIBUTION DES TRAVAUX AGRICOLES ENTRE LES DIFFÉRENTES ÉPOQUES DE L'ANNÉE.
- § 20. — SUR LA DIVISION ADMINISTRATIVE DE LA FRANCE.
- § 21. — SUR LES CONFRERIES ET SUR QUELQUES TRAITS DE L'HISTOIRE RELIGIEUSE DE LÉVIGNACQ.
- § 22. — SUR LES HEMNotes.
- § 23. — SUR LES HABITUDES DE CHASSE CONSERVÉES PAR LES HABITANTS DE LA COMMUNE DE LÉVIGNACQ.
- § 24. — SUR LES PARTAGES D'ASCENDANTS.
- § 25. — SUR LES CAUSES QUI TENDENT A DÉSORGANISER LES POPULATIONS LANDAISES.
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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille
I. Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1ᵉʳ. — État du sol, de l'industrie et de la population.
[315] La famille habite, dans le département des Landes, la commune de Lévignacq, qui dépend du canton de Castets et qui est située à 35 kilomètres de Dax, chef-lieu de l'arrondissement, et à 23 kilomètres de Rion-des-Landes, station du chemin de fer de Bordeaux à Irun.
Le village de Lévignacq est placé aux confins de deux vieux pays, le Born et le Marensin, qui s'étendent de la mer à la ligne du chemin de fer, précédemment nommée, depuis l'entrée de cette ligne dans le département des Landes jusqu'à l'Adour.
Le Born comprenait, avec Lévignacq. plusieurs paroisses, parmi lesquelles les paroisses voisines de Saint-Julien et de Méhos ; il était sous la juridiction épiscopale de Bordeaux.
Le Marensin se composait des paroisses de Léon, Linxe,[316]Moliets, Azur, Messanges, le Boucau, Vieille-Saint-Giros, Mixe, Lit, Castets, aller, Saint-Michel-Escalus. Il dépendait de l'évêché de Dax. Il renferme d'immenses pignadas, entrecoupés çà et là de hameaux qui jettent une note gaie dans l'austère paysage, avec leurs maisons proprement tenues, leurs champs cultivés et les bosquets de grands chênes qui ombragent de vertes pelouses.
Le département des Landes n'est pas composé tout entier de landes, comme son nom semblerait l'indiquer. Il se divise en deux régions parfaitement distinctes : celle qui est située au sud de l'Adour, celle qui est située au nord ; et à leur tour ces régions comprennent chacune plusieurs parties.
Au sud de l'Adour se trouvent la Chalosse dont l'extrémité orientale porte le nom de Tursan et le pays d'Orthe.
Au Tursan appartiennent les cantons d'Aire et de Geaune. Il est habité par une population active, sobre, économe. Le sol produit des céréales, du vin et du lin. Il est exploité dans le système du métayage. Les métayers restent généralement peu de temps sur la même terre.
La Chalosse proprement dite commence aux environs de IHagetmau pour finir à IHinx, à onze kilomètres de Da. C'est un pays extrèmement fertile, sillonné par de nombreux ruisseau, très ondulé et qui produit en abondance des céréales et du vin. Il est habité par une population qui a conservé, avec le respect des traditions, de grands éléments de stabilité. On y rencontre quelques familles de métayers qui sont établies depuis cinq et six cents ans dans le même domaine. D'autres, sans prétendre remonter aussi haut, se transmettent depuis plusieurs générations les mêmes terres. Il n'est pas rare de trouver dans la même demeure plusieurs ménages vivant en bonne intelligence sous la direction du père ou du frère aîné.
A l'ouest de la Chalosse, dans l'angle formé par le confluent de l'Adour et du Gave de Pau, s'étend le pays d'Oorthe autrefois très aride et composé uniquement de landes. Mais depuis l'ouverture de l'Adour au Trossoat en 1558, l'écoulement plus rapide des eaux du fleuve a mis à découvert des plaines composées de terrains d'alluvion d'une grande richesse.
Au nord de l'Adour se trouve la Lande proprement dite qui à son tour renferme la grande et la petite Lande, le Marsan, le Gabardan, le Born, le Marensin. C'est dans les cantons de Labrit, de Roquefort, de Sabres, de Pissos, de Sore et de Parentis, que la grande Lande se présente telle que l'imagination la concoit habituellement : un pays sablonneux, plat, aride et dans lequel le sol serefuse à toute autre production qu'à celle des pins maritimes.
[317] Quoique ces parties du département difèrent sous plusieurs rapports, les habitants vivent principalement de l'exploitation des pins maritimes et de l'élevage de maigres troupeaux. Depuis la loi de 1857, lIes pins ont pris une grande extension dans certaines communes et sur les rivages de la mer menacés par les progrès des dunes (§ 17).
Enfn le pays de Maremne, situé au sud du Marensin, confine au pays d'Orthe et à la mer. Il vit de l'exploitation des pins et de quelques champs et surtout de la fabrication des bouchons qui se tirent du chêne-liége.
Il faut noter qu'une partie considérable des Landes se trouve sur le territoire du département de la Gironde. Le département des Landes et le département de la Gironde comprennent donc tous deux des parties aussi ditfférentes par le caractère des habitants ue par l'organisation du travail (§ 20).
La commune de Lévignacq est placée au fond d'une légère dépression de terrain et, du haut des ondulations qui l'entourent, on aperçoit de toutes parts une vaste étendue de forèts de pins ou de pignadas, suivant l'expression locale. Le climat est chaud; pendant l'été, le thermomètre s'élève fréquemment au-delà de trente degrés centigrades. Toutefois, la mer n'étant distante que de 20 kilomètres, la brise se fait sentir jusqu'à Lévignacq et adoucit un peu les ardeurs du climat. En hiver, le thermomètre descend assez fréquemment au dessous de 0'; mais la neige ne tombe, en moyenne, qu'une fois ou deux par an, aux mois de janvier et de février.
Le sol de la commune de Lévignacq est, comme celui des Landes proprement dites, argilo-sableux tertiaire. Il repose sur une couche de tuf de 30 centimètres à l mètre d'épaisseur, désignée sous le nom d'alios et composée de sables agglutinés par un ciment formé de matières organiques. Cette couche, arrêtant l'écoulement des eaux, empêche les landes de devenir aussi productives que les utres parties du territoire français. L'alios est à une profondeur qui varie selon les lieux ; 1 metre dans certaines communes, quelques centimetres dans d'autres, 60 ou 70 centimètres a Lévignac
Le territoire de la commune se divise ainsi d'après les évaluations cadastrales :


[318] La dernière statistique agricole de la commune ne concorde pas exactement avec les évaluations du cadastre et donne un résultat un peu différent quant à la répartition des diverses sortes de terre.

D'après les mêmes statistiques, le sol de Lévignacq, produit en ceréales, par hectare, une moyenne de 9 hectolitres de grains, de 6 quintaux de paille ; — en mais et millet, par hectare, 7 hectolitres et 3 quintaux de paille ; — pour les haricots, une moyenne de 20 hectolitres par hectare ; — pour les pommes de terre, de 12 hectolitres. On y compte 300 ruches en activité qui donnent par ruche une production annuelle de 1 kilog. 500 grammes.
La même statistique a relevé pour les animaux domestiques les chiffres suivants : 30 chevaux, 50 mules, ànes, 5 bœufs et taureaux, 10 vaches et génisses, S veaux, 1200 brebis, 90 porcs, 20 chèvres. La production totale de la laine s'élève à 1200 ilos.
Les habitants sont au nombre de 962, dont 199 hommes et 163 femmes. 90 d'entre eux ont dépassé l'âge de 70 ans. On compte 162 enfants de l à 7 ans. Cete population est répartie dans cinq quartiers, dont le plus peuplé est le bourg où 109 foyers sont agglomérés. uant à leurs moyens d'existence, les familles se partagent ainsi :
30 chefs de ménage, propriétaires-cultivateurs ;
1l chefs de ménage, colons ;
85 id., résiniers et artisans ;
1 id., négociant ;
4 id., marchands en détail ;
9 id., propriétaires rentiers ;
1 id., pensionné de l'Etat.
Comme on peut le voir par cette statistique, le principal moyen d'existence des hahitants est la récolte de la résine des pins mari[319]imes. Elle est faite, soit par les propriétaires eux-mêmes, soit par des ouvriers qu'ils emploient et auxquels ils donnent tant par barrique. Ces ouvriers reçoivent le nom de geiers qui équivaut à celui de résiniers. Par gemmier fermier, il ne faut donc pas entendre un homme qui a pris à ferme une propriété de pins moyennant une somme fixée d'avance. Les propriétaires traitent avec les gemmiers à tant la barrique recueillie et ne donnent à ferme que leurs champs, de sorte que le nom de fermier s'applique seulement à celui qui aferme une certaine quantité de terre.
La même observation s'applique au métayer. Le métayer n'est jamais métayer que pour la partie agricole. S'il entreprend de gemmer des pins en sus, il les gemme toujours moyennant une somme donnée par barrique. Le métayer rȩoit le nom de quartier lorsqu'il ne donne que le quart à son maître. On entend de même par locataire celui qui loue une maison avec son petit jardin et qui ontreprend ensuite de gemmer les pins, suivant le mode indiqué plus haut.
Les pins ont été, pour la plupart, plantés dans la commune de Lévignacq à une époque fort ancienne. Dans quelques endroits seulement ils datent d'une cinquantaine d'années. En tout cas, la loi de 1857 n' a pas reçu d'applications (§ 17).
Le lieu où habite la famille s'appelle Pascouau qui signitie pàturage. Ce nom lui a été donné sans doute en raison des pàturages qui s'étendaient autrefois aux environs et constituaient la principale ressource du pays. Mais, depuis une époque indéterminée, la propriété a reçu la physionomie qu'elle présente aujourd'hui.
La famille appartient à la classe des paysans propriétaires ; elle est une des plus anciennes du pays. Cette classe forme l'élément stable de la commune, tandis que les résiniers et artisans sont soumis à des conditions sociales différentes. Ceux-ci, en effet, vivent dans des appartements pris à location, et, sous le rapport moral et religieux, ils se montrent très inférieurs aux paysans. En outre, leurs familles, beaucoup moins nombreuses, sont atteintes par le fléau de la stérilité systématique.
§ 2. — État civil de la famille.
La famille comprend 11 membres, plus un domestique, appelé pasteur, qui vit avec elle.
Jean L***, le grand-père............ 76 ans.
Pierre Michel, son fils, le père............ 50 —
Jeanne, femme du fils, la mère............ 46 —
[320] Jean-Baptiste, l'aîné............ 26 ans.
François, leur second fils............ 24 —
Joseph, leur troisième fils............ 22 —
Laurent, leur quatrième fils............ 19 —
Marie, leur fille aînée............ 18 —
Henri, leur cinquième fils............ 17 —
F́élicien, leur sixième fils............ 15 —
Berthe, leur seconde fille............ 11 —
Jean Ducout, pasteur............ 63 —
Le grand-père avait 8 frères et sœurs. Une sœur utérine ayant seule survécu, ils s'étaient fait, lui et elle, donation réciproque de leur fortune au survivant des deux. Comme elle est morte avant lui, il a reçu tout l'héritage. Il a été père de trois enfants, deux fils et une fille. Le frère de Michel L*** s'est marié avec une fille aînée à laquelle le domaine patrimonial a été attribué en cette qualité. Sa sœur s'est mariée également.
La femme du grand-père est morte en 1852. La femme de Michel avait deux frères et trois sœurs. Un de ses frères a gardé la maison paternelle, et, étant mort sans enfants, la veuve y est restée seule.
Le fils aîné reçoit le nom de bouvier; cette appellation veut dire que c'est lui qui est chargé de mener les beufs et de faire les travaux agricoles. Elle remonte probablement à l'époque assez récente où l'on se servait de bœufs au lieu de mules.
Dans les vieilles familles de paysans, les domestiques restent longtemps en place, plus de dix ans parfois. Ailleurs ils changent très fréquemment et ne prolongent pas plus de six mois leur séjour dans une même maison.
§ 3. — Religion et habitudes morales.
Toute la famille observe avec fidèlitéles pratiques de la religion catholique dans laquelle elle a été élevée. Elle suit notamment les prescriptions de l'Eglise relatives à l'abstinence d'aliments gras le vendredi, les vigiles des principales fêtes, les quatretemps, et pendant le carème le mercredi, le vendredi et le samedi, plus les quatre derniers jours de la semaine sainte. On constate que les jeunes gens qui reviennent du service militaire manifestent moins de zèle dans l'accomplissement de leurs devoirs religieux. Ils reprennent leurs pieuses habitudes au moment du mariage, lorsqu'ils appartiennent à des familles vraiment religieuses.
[321] La famille entretient de bons rapports avec le clergé. Le grandpère est président du conseil de fahrique ; la fille aînée préside la congrégration des enfants de Marie (§ 21).
Le respect de la religion n'est pas ébranlé parmi les habitants de la commune, et surtout parmi les familles de paysans. 141 hommes et 250 femmes s'approchent des sacrements pendant le temps pascal (§ 21). C'est une proportion sensiblement plus forte que dans un grand nombre des communes rurales et surtout urbaines du reste de la France. Mème dans les groupes de population qui ne suivent pas les prescriptions de l'Église, aucune hostilité ne s'est déclarée contre le clergé.
La meilleure harmonie règne entre tous les membres de la famille. L'autorité du père y est respectée, et aucun sentiment de jalousie ne se manifeste entre les enfants à propos des arrangements qui seront pris au sujet de la transmission des biens. Le grand-père a reçu le nom de patron. uoiqu'ayant partagé sa fortune entre ses enfants, il continue à être l'objet de leurs attentions et de celles de ses petits-enfants. Il s'est fait toujours remarquer d'ailleurs par la délicatesse de ses sentiments. Ainsi, ayant eu un jour à adresser une observation à un de ses petits-enfants, il ne voulut pas le faire en présence du père, pour ménager les suscepibilités de celui-ci, mais appela son petit-fils dans sa chambre.
Aucun trait spécial ne marque le culte rendu aux morts. Toutefois les deuils se portent longtemps : celui d'un père ou d'une mère pendant deux ou trois ans selon les familles ; celui d'un proche parent pendant un an. Le deuil est d'ailleurs observé par toutes les familles et on ne remarque aucune tendance à en abréger la durée.
D'anciens usages relatifs aux mariages se perdent dans les familles aisées. Devant les invités. la mariée demandait pardon à Dieu, à la Sainte-Vierge, a son père et à sa mère, à son parrain et à sa marraine de la peine qu'elle avait pu leur faire. Elle se pla̧ait devant la porte de la maison et chacun des invités déposait une pièce de monnaie dans le plat qu'elle leur tendait. Cette coutume était pratiquée par l'époux, soit en sortant de chez lui, s'il devait habiter ailleurs après le mariage, soit à la porte de l'église, s'il devait rester dans la même demeure. Quelquefois c'etait le parrain ou la marraine qui se chargeaient de tenir le plat à la place de la mariée.
Les mariages sont touiours célébrés avec un grard concours de parents et amis. Quelquefois dans les familles de paysans aisées, une centaine de personnes sont invitées et les fêtes se prolongent pendant plusieurs jours.
[322] La coutume des longues flancailles n'existe pas. Une fois que le mariage est décidé, il ne tarde guère à être célébré.
Les paysans manifestent des sentiments généreux et hospitaliers. Ils n'ont pas l'esprit processif, et comme les terres ne sont pas enchevêtrées les unes dans les autres, il s'élève peu de contestations au sujet du bornage des propriétés. Ils n'apportent pas dans les relations d'intérêt cette âpreté au gain qui, dans certaines contrées désorganisées, étouffe toute autre considération et les détermine à l'emploi de maneuvres captieuses dans le désir de réaliser un bénéfice plus élevé. Mais, en même temps quoique laborieux et actifs, ils ne le sont pas au même degré que les petits propriétaires des villages à banlieue morcelée, obligés de conquérir leur vie sur un domaine trop exigu par un travail incessant.
Si les attentats contre les propriétés sont rares, les paysans n'hésitent pas à promener leurs troupeaux sur les jachères du voisin et à ramasser leurs provisions de chauffage dans ses bois. Les paysans n'ont pas autant qu'ailleurs la distinction dutien et du mien, en ce qui est de certains usages du bien d'autrui. Ces mœurs traditionnelles tiennent à l'antique constitution du pays. Les communes possédaient autrefois d'immenses biens communaux. et les habitants y trouvaient ces avantages de pacage et d'affouage auxquels ils ne peuvent se décider à renoncer.
Les deux grands vices de la population sont l'ivrognerie et la légèreté des mœurs. L'ivrognerie tend à s'accroître, et la loi sur l'ivresse, rarement appliquée, est incapable d'arrêter ces progrès. La légèreté des mœurs s'affirme par l'existence presque toujours irrégulière des hemnotes (§ 25), dont l'usage dans la commune de Lévignacq remonte à un temps immémorial. Malgré ces tendances fàcheuses, le mariage est encore assez généralement respecté, et la stérilité systématique, qui fait dans le reste de la France et surtout dans les départements riches de la Normandie de si cruels ravages, apparait seulement dans les familles d'ovriers désorganisées.
Tous les membres de la famille savent lire et écrire, sauf le grand-père qui, malgré son ignorance, a géré ses intérêts et gouverné sa famille avec beaucoup de tact et d'intelligence. Une école existait cependant à Lévignacq depuis un temps très reculé. Dans les années qui ont précédé le vote de la loi du 28 mars 1882 établissant l'instruction obligatoire, les enfants suivaient presque tous l'école et l'instituteur relevait rarement des absences, sauf à l'époque des semailles où le travail des champs réclame le con[323]cours de tous les bras disponibles. La rétribution scolaire mensuelle était de 2 francs, plus 10 centimes pour les fournitures.
L'instruction obligatoire soulève de vives critiques parmi les paysans, dont les plus éclairés redoutent les perturbations qu'elle est appelée à produire et qui se sont déjà manifestées (§ 25).
§ 4. — Hygiène et service de santé.
La famille doit à son existence passée en plein air, à des habitudes d'ordre et de régularité une bonne santé. En cas de maladie elle appelle un médecin qui prend 2 francs par visite sur le territoire de la commune et 3 francs en dehors ; elle conserve d'ailleurs chez elle quelques sangsues qu'elle applique même avant l'arrivée du médecin, lorsqu'un des membres est pris d'une indisposition qui nécessite une émission sanguine immédiate.
On emploie dans le pays, tout à l'entour, un rebouteur qui habite Lespéron et qui est en grand renom d'habileté pour remettre les membres démis ou fractures. Il y a aussi à Uza une femme réputée pour avoir de précieuses recettes curatives. Quelques personnes attribuent aux pauvres une aptitude particulière pour indiquer les moyens de guérison.
Les accouchements se font avec l'aide d'une sage-femme à laquelle on donne 6 francs. Quand le médecin est appelé en pareil cas, il rȩoit 20 francs.
Lévignacq est un pays plus sain que ceux de la rande Lande ou du bord des étangs. La vie moyenne y est de 1 ans.
Les maladies les plus répandues sont cependant les fièvres paludéennes qui sévissent principalement dans une ou deux parties de la commune situées à proximité de flaques d'eau ou de marais. On signale de temps en temps quelques bronchites. Mais le voisinage de la mer et les émanations des pins maritimes empêchent ordinairement les affections de poitrine.
La paralysie frappe souvent les vieillards ; il y a parmi eux quelques exemples de mort subite.
uelques maladies épidémiques. comme la fièvre typhoide, apparaissent de temps à autre à Lévignacq.
§ 5. — Rang de la famille.
Fixée depuis 1732 sur le même domaine ; jouissant d'une honnête aisance ; se faisant remarquer par ses pieuses habitudes et par la bonne conduite de ses membres ; échappant à toute inquié[324]tude sur son avenir matériel, la famille mérite d'ètre considérée comme une des premières familles de paysans du pays. Aussi estelle haut placée dans l'estime de ses concitoyens. Le grand-père et la fille aînée ont reçu des dignités peu importantes sans doute en elles-mêmes, mais qui font foi de cette considération (§ 21). Dans les discussions d'intérêt on se fie toujours a la parole du chef de famille.
§ 6. — Propriétés.
(Mobilier et vêtements non compris.)
Immeubles : reçus en héritage des parents et augmentés avec l'argent provenant de l'épargne............ 60,500 fr.
1° Habitation. — Maison composée d'un rez-de-chaussée surmonté d'un grenier, 1,000 fr. — Total : 1.000 francs.
2° Bâtiments ruraux. — Carriou ou écuries. 1.000 fr. — Bâtiment où se trouvent le chaix et la boulangerie, 200 fr. — Grenier à foin, appelé Cérès, 100 fr. — Porcherie, 200 fr. — Total : 1, 500 francs.
3° Domaines. — Terres labourables, 15 hectares à 500 fr. chaque, 7,500 fr. — Jardin à côté de la maison, 1 hect. 500 fr. — 81 hectares de pins 47,700 fr. — 1 hectare pour les chênes, 300 fr. — Total : 56,000 fr.
4° Prairies. — 2 prairies du côté de Lit, 1 hect., 500 fr. — Prairie de 25 ares à Dax, 1000 fr, — Prairie annexée à leur domaine, 1 hect., 500 fr. — Total : 2,000 francs.
Argent. — La famille possède un fonds de roulement composé d'un millier de francs............ 1,000 fr.
ANIMAUX DOMESTIQUES, enretenus toute l'année.,160 fr.
1° ˉBêtes à cornes. — 1 vache bretonne, 200 francs.
2° Bêtes à laine. — 8 béliers et brebis. 1.00 fr. — Le pasteur reeoit 6 livres de laine provenant des brebis. La laine et les peaux des agneaux lui reviennent.
3° Animaux divers. — 1 cheval, 600 fr. — 2 mules 1,500 fr. — 2 chiens de garde, 10 fr. — Total : 2,110 francs.
Les mules sont achetées et revendues avec bénéfice.
4° Basse-cour. — 2 porcs, 225 fr. — 109 poulets., l25 fr. — Total : 350 fr.
5° Apier. — 82 ruches en activité, 800 francs.
Matériel spécial des travaux et industries............ 2,O39 fr. 70
1° ¯Exploitation des pins. — Crampoungs ou zines placés sur les pins, à 38 fr. le mille environ, le prix ne variamt que de quelques numéros, 12 milles, 494 fr. — 2 rateaux pour charger le charbon, fr. — Instruments pour empêcher d'autres matières de tomber dans la gemme, 1 fr. — 1 cache ou pelle pour charger la résine, 4 fr. — 3 pelles pour charger la[325]gemme, 7 fr. 50. — 1 apiote à barre, 10 fr. — 7 apiotes à poignes, 5 fr. — 1 apiote pour le haut, 5 fr. 50. — 6 baresquits, 3 fr. — 3 beches pour tailler la bruyère, 5 fr. — 2 haches pour fendre le bois, 10 fr. — 2 scies neuves, 20 fr. — Echelle servant autrefois pour gemmer, 3 fr. — Total : 573 francs.
2° ˉExploitation des champs. — 8 cribles, 4 fr. — 7 sarcles, 3 fr. — 9 rateaux ou binoirs, 27 fr. — 6 pelles en bois pour le fumier, 3 fr. 50. — 1 croix en bois pour porter le bois, 1 fr. — 3 fourches en fer, 6 fr. — 3 fourches en bois, 1 fr. 50. — 1 cercle pour couvrir la voiture, 1 fr. 50. — 1 brouette neuve, 8 fr. — 1 brouette ordinaire, 4 fr. — 4 échelles, 5 fr. — 4 faux, 22 fr. 50. — 2 hachoirs pour la paille, 8 fr. — 1 baquet pour la farine de mais, 3 fr. — 1 charrue, 150 fr. — 2 charrettes servant pour le fumier, 600 fr. — Total : 848 francs.
3° ¯Exploitation des animaux domestiques. — 2 paires d'éperons pour le cheval, 1 fr. 20. — Harnais pour le cheval, bridon, bride, 1 surfait pour tenir la couverture, martingale, selle, etuis. 78 fr. 20. — Raelier et mangeoire dans l'écurie du cheval, 12 fr. — Harnais pour les mules, 2 colliers, joug, licols en cuir, aiguillon, 83 fr. 10. — Ratelier dans l'écurie des mules, 15 fr. — 1 baquet pour les cochons, 3 fr. — 1 marmite en fonte pour les cochons, 4 fr. — 1 mangeoire à cochon, 1 fr. — Tonneau à miel, 5 fr. — Ustensiles pourles ruches, 2 fr. 50. — Petits instruments pour le poulailler, 4 fr. — 1 paire d'échasses, 3 fr. — 6 seaux en bois, 3 fr. — Baratte à beurre en bois, 3 fr. — Instruments divers pour le lait, 2 fr. — 1 lanterne de voiture, 3 fr. 50. — 1 pompe pour tirer de l'eau, 90 fr. — 1 pompe de fonte sur la pompe, 7 fr. 50. — Total : 321 francs.
4° ˉExploitation de la chasse. — 1 havre-sac, 15 fr. — 3 fusils, 100 fr. — Sac pour mettre la poudre, 1 fr. 50. — Total : 116 fr. 50.
5° ˉExploitation du jardin potager. — 10 pots de fleurs. 1 caisse en bois, 3 fr. — Pelles, pioches, 2 arrosoirs, 6 fr. — Total : 9 francs.
6° Industries diverses. — 1 petite caisse pour la farine reposant sur 2 objets en bois, 5 fr. — 1 instrument pour faire raffiner la farine, 1 pelle pour le four, 1 fr. — 2 cribles pour raffiner la farine, 6 fr. — 10 paniers, pour mettre le pain, fr. — 1 grand coffret, 25 fr. — 1 gril de charbonnier, table et baquet dans la boulangerie, 15 fr. — l'stensiles servant au blanchissage, 115 fr. 20. — Total : 172 fr. 20
Valeur totale des propriétés............ 67,999 fr. 70
§ 7. — Subventions.
Les familles, à Lévignacq jouissent de précieuses subventions. Il est d'usage en effet que les propriétaires laissent le droit de parcours s'exercer librement dans les bois de pins et le maintien de cette coutume empêche la population de trop souffrir de la perte des biens que la commune possédait autrefois en immense quantité et dont les derniers ont été vendus il y a quarante ans.
Quoiqu'on considère généralement le libre parcours comme[326]produisant des résultats funestes pour la pousse des arbres, les propriétaires ont toujours maintenu cette subvention qui amène entre eux une réciprocité de services et de concessions dont ils apprécient les bienfaits. Si les arbres ont atteint douze à quinze ans, la cime des pins s'éléve déjà à une hauteur assez considérable pour que les brebis qui, marchant toujours le nez à terre et ne cherchant que les tiges tendres, ne causent aucun dommage. Elles empêchent, il est vrai, la continuité du repeuplement, puisqu'elles broutent tous les petits arbres qui sortent du sol. Toutefois, il vaut mieux pour la croissance du pin que le sol soit dégarni, le soleil ayant plus d'action sur l'écorce et les dangers d'incendie étant moindres.
Les propriétaires se contentent d'empêcher provisoirement le pacage sur quelques terrains où une coupe rase a été pratiquée, les pins poussant naturellement lorsqu'ils ne sont pas détruits par les animaux.
L'interdiction de la vaine pàture porterait du reste un grave préjudice aux populations. Les troupeaux de brebis sont absolument nécessares pour fournir le fumier aux terres labourables. Si les paysans peu aisés ne pouvaient envoyer leurs brebis paitre sur les pàturages de leurs voisins, ils se trouveraient dans l'impossibilité de conserver des troupeaux. Aussi le refus de cette subvention, lorsqu'il est prononcé, cause-t-il une profonde irritation aux voisins du bois défendu.
Sur les confins des Landes et de la Gironde, l'administration des forêts de l'Etat et les propriétaires, dont beaucoup sont des capitalistes étrangers aux pays, ont pris l'habitude de se montrer moins tolérants que dans le Marensin pour l'exercice des droits d'usage. On a remarqué aussi que les incendies y étaient plus fréquents que dans cette dernière contrée, et on n'a pas hésité a considérer comme les auteurs de ces sinistres, les bergers irrités de la suppression du libre parcours. Lorsqu'un incendie éclate dans le Marensin, les habitants manifestent au contraire le plus grand empressement pour l'éteindre.
Les habitants ont encore la jouissance d'une autre subvention dont le bienfait n'est pas moins vivement apprécié, c'est le bois. Les pauvres peuvent aller glaner le bois mort qu'ils trouvent à terre et même faire tomber les branches mortes. Ce droit n'est exercé que lorsque les charbonnières ont été faites.
Les colons et les fermiers sont généralement autorisés par leurs maîtres à abattre les arbres qui leur sont indiqués, pour qu'ils se procurent la provision de bois nécessaire à leur consommation.
[327] Ce sont de jeunes pins d'éclaircissage et des pins morts qui leur sont attribués.
Gràce à cette sabvention libéralement accordée, les pauvres ne souffrent jamais de la pénurie de chauffage. Telle est du reste l'immense quantité de bois contenue dans les pignadas qu'un grand nombre de pins restent souvent àerre sans aucun usage, a la suite des éclaircissages que les propriétaires font pratiquer. Les besoins de la population sont déjà satisfaits et la vente ne produirait aucun bénéice, les frais de transports s'élevant au-dessus du prix que le bois pourrait atteindre.
Le maintien de ces subventions contribue à rendre les rapports des propriétaires et de la classe peu aisée empreints d'une grande cordialité.
La famille L* ne consommant même pas la quantité de bois que lui fournit sa propriété ne ramasse aucune branche morte. Ses troupeaux usent comme ceux des autres habitants du libre parcurs.
§ 8. — Travaux et industries.
Le père et les membres de la famille qui prennent part aux travaux agricoles, sauf l'enfant le plus jeune, se lèvent pendant l'été entre 3 et 4 heures du matin, en hiver à 5 heures.
Ils se mettent au travail aussitôt, et l'interrompent seulement pour prendre un peu de nourriture avant leur dîner fixé à midi. Cependant l'interruption du déjjeuner n'a point lieu pendant l'hiver, parce que ce repas a été fait à la maison avant le départ ou se fait souvent pendant le chemin.
En été, ils se reposent alors jusqu'à 2 heures environ. Cette période de repos est notablement abrégée en hiver. Dans cette dernière saison, le travail se poursuit sans interruption, jusqu'à ce que le jour tombe. En été, au contraire, ils l'abandonnent à 5 heures pendant quelques instants.
Les soirées d'hiver sont consacrées à de menues occupations, telles que dépouiller ou égrener le mais, ou à quelques lectures. Les femmes se livrent à la couture. L'été, tous les membres de la famille se couchent après le souper qui n'a souvent lieu qu'a 9 heures du soir, au moment où la chute du jour rend tout labeur impossible.
La famille accomplit, sans le concours d'ouvriers journaliers, tous les travaux qu'exige le domaine. Depuis que l'usage des machines s'est répandu même dans les parties les plus reculées du territoire, elle en emploie une au moment de battre la[328]moisson. Cette année elle a gardé pendant un jour une machine pour battre le seigle. Le mécanicien et le chauffeur sont nourris. Ils recoivent en outre une rétribution de 2 francs.
Avant l'introduction des machines, la famille appelait pour la moisson des voisins auxquels elle rendait un service analogue. Le chiffre des journées dont elle était redevable s'élevait parfois jusqu'à neuf.
TRAVAUX DU GRAND'PÈRE. — Eu égard à son âge avancé, le grand'père ne se livre plus à aucune besogne qui réclame un grand déploiement de forces. Il prend encore soin des bestiaux et s'occupe spécialement de l'apier. A la maison, il tricote.
TRAVAUX DU PÈRE. — La direction générale de l'exploitation incombe au père. Il tient les comptes, distribue à chacun la besogne qu'il doit accomplir, surveille l'ensemble des travaux. Il gemme surtout les pins, mais prend part comme tous les autres membres de la famille à l'exploitation des champs.
En sus des travaux accomplis sur son domaine, le père se rend à Dax une fois par an pour visiter la prairie qu'il y possède. Cette année, il y est allé pour opérer de nouveau le partage de cette terre qui était mal délimitée.
TRAVAUX DE LA MÈRE. — La mère est chargée de la préparation des aliments. Elle entretient les vêtements et le linge, et vaque à tous les soins du ménage. Elle s'occupe de la dernière petite fille.
Elle va également aux champs, sarcle le seigle et le mais, mais elle ne participe pas au gemmage des pins. Elle veille à la basse-cour et parfois soigne la vache, avec le concours de la fille aînée.
TRAVAUX DU FILS AINÉ (bouvier). — Le fils aîné est chargé de conduire les mules et de faire avec elles les principaux travaux de la propriété. Il fait les transports à Dax pour les commerçants de brai, goudrons, colophanes et essences de thérébentine, et aussi pour les marchands de vin. Il part le plus souvent le vendredi matin et revient le samedi soir rapportant soit du vin ou des denrées coloniales pour les marchands, soit du gravier pour les routes, soit enfin du minerai pour les forges d'Uza et de Castets. Il emporte un peu de nourriture pour lui et se munit de celle qui est destinée aux mules.
TRAVAUX DE LA FILLE AINÉE. — Elle aide la mère dans le ménage, coud, tricote, s'occupe des lessives et travauxde les bas. Elle se rend quelquefois dans les pins pour les opérations les[329]plus faciles, comme pour enlever l'écorce des arbres au commencement de la campagne et pour vider du quarte dans le barcou lors des amasses (§ 18). Elle prend soin des fleurs du jardin.
TRAVAUX DES AUTRES ENFANTS. — Ils prennent part à l'exploitation du domaine sans qu'aucune tâche spéciale soit assignée à l'un d'eux.
La petite sur va à l'école.
TRAVAUX DU PASTEUR. — Le pasteur est spécialement chargé de la garde du troupeau de brebis. Tandis qu'il les surveille, il tricote. Quoique cet usage semble commencer à se perdre, le pasteur fait encore lui-même des objets de tricot qu'il porte.
Dans l'hiver il se livre à cette occupation, monté sur des échasses qui le préservent de l'humidité. L'écoulement des eaux dispense aujourd'hui de l'emploi de ces anciennes montures qui, du reste, n'ont jamais été en grand honneur dans le Marensin.
INDUSTRIES ENTREPRISES PAR LA FAMILLE. — Le caractère de l'organisation de cette famille est de vivre sur son domaine et d'entreprendre tous les travaux à son propre compte. Il n'y a donc pas lieu de mentionner les industries domestiques.
III. Moyens d'existence de la famille
§ 9. — Aliments et repas.
La famille prend une nourriture substantielle mais sans aucune recherche. Les bases de cette nourriture sont les céréales, la viande de porc et les œufs. Les céréales sont consommées sous formes de pain et d'escauton ou galette de mais. Le pain blanc est réservé pour les dimanchs et jours de fête.
Le veau n'apparait sur la table que dans des circonstances exceptionnelles. La viande de vache est également prise dans de rares occasions. On en fait du bouillon et la viande se mange, soit sous forme de bouilli à midi, soit avec une sauce piquante le matin. La famille consomme plus fréquemment du mouton, soit rôti et assaisonné avec l'ail, condiment qu'elle recherche beaucoup, soit en ragoût avec des haricots.
Le dimanche, elle se plait à manger de la fricassée de poulet et aussi de temps en temps un pàté fait avec de la farine de froment, des œufs, de la cannelle, de l'eau-de-vie et du citron.
[330] Depuis que le prix du vin a subi une augmentation sensible, la famille en a restreint l'usage.
Elle prend quatre repas par jour.
Le matin vers 8 heures le déjeuner qui se compose de viande de cochon, du jambon par exemple et d'escauton avec le pain. On boit le plus souvent de l'eau.
A midi, le dîner composé de soupe, de porc et de légumes. Pendant l'hiver le porc est fréquemment remplacé par la viande d'agneau provenant du troupeau.
A cinq heures, le goûter composé de pain, de fromage et d'un peu de vin.
Le souper se compose de soupes et de portions de légumes. En été, au moment des grands travaux, il n'a quelquefois lieu qu'à 10 Leures du soir.
La famille prend du café les jours de fête, ainsi qu'aux repas où elle invite ses parents. Elle boit de l'eau-de-vie dans les mêmes occasions et quelquefois les jours de travail, mais avec discrétion. Une autre liqueur préférée est le vermouth, dont elle a toujours chez elle deux ou trois bouteilles.
§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.
La maison principale, construite en briques légères et en bois se compose d'un rez-de-chaussée surmonté d'un grenier recouvert en tuiles. Elle comprend la cuisine ou pièce principale dans laquelle se préparent les aliments et où la famille se tient habituellement. A droite se trouve la chambre du père et de la mère. le cellier ou pièce servant d'office ; à gauche la chambre du grandpère, celle des deux jeunes filles. Derrière la salle à manger située au fond de la cuisine il y a une chambre à donner. Au-dessus se trouve le grenier.
Non loin de la maison et avant d'y arriver est le carriou ou remise des chars dans lequel se déposent également tous les autres instruments aratoires. C'est là que couchent les fils. Le carrEou renferme en outre un grenier pour le foin, les feuilles de mais et de millet, le regain et l'écurie des mules.
Un autre bâtiment comprend la buanderie ou fournière, avec tous les instruents de lessive, et la boulangerie. A côté est située l'écurie du cheval, puis le chaix et le poulailler. La chambre du pasteur se trouve entre le chaix et la boulangerie.
La loge des cochons forme un bâtiment séparé ; elle est divisée[331]en deux parties, l'une réservée aux cochons gras, l'autre aux plus petits.
Au milieu des champs, il y a une grange mal construite et dans laquelle se déposent au temps de la récolte le seigle, lemillet et le panis. On l'appelle ceres. Devant elle se trouve l'aire pour dépiquer.
Meubles. : La famille possède un mobilier sufllsant, mais sans aucune recherche de luxe............ 1,600 fr. 90
1° Lits. — 10 lits, tous en bois de pin, le lit du grand-père seul en bois de noyer. Les objets de literie sont les mêmes pour tous les lits, sauf l'édredon que possèdent seuls les lits du père et de la mère : 2 matelas contenant de la laine, avec étui de toile, 1 paillasse à étui de toile, 2 couvertures en laine, 1 traversin à étui de toile, rideaux, 1 oreiller à étui. — Total, 1,038 fr. 50.
2° Mobilier des chamores à coucher et de la salle à manger. — 8 armoires pour les objets possédés par la famille, 174 fr. (le bois de deux de ces armoires a été fourni par la famille au menuisier): — 1 commode en bois de pin, 8 fr.; — 1 glace avec cadre noir. l miroir, 18 1r. : — 30 chaises, 54 fr. ; — 7 porte-manteaux, 2 fr.: — table pour écrire. 5 fr.: — autres tables dont l'une avec toile cirée, 43 fr.:— 3 ables de nuit. 7 fr.: — tapis de table, 4 fr. ; — secrétaire en noyer, 100 fr. — 'otal. 415 fr.
3e Mobilier de la cuisine. — 1 pendule reposant sur un long support en bois peint, 40 fr. : — 12 chaises en bois. 24 fr.: —1 commode où se déposent les objets de cuisine, 20 fr.; — 1 table. 20 fr. — Total, 104 fr.
ˉ4° Livres, gravures et objets de piété. — 2 Histoires de France, Grammaire de Noel et Chapsal, Grammaire de Lhomond, 1 carte de France, 1 livre de lecture, tableau historique de la France, 16 fr.: — 2 almanachs, 1 fr. 50 ; — livres de messe, 15 fr.; — cadre de première communion et objet de piété, 2 fr. ; — plumes et papiers à lettres, 2 frˉ. ; — 6 cadres, 3 fr. 75;—1 statuette de la Se Vierge, achetée à Buglose. 0 fr. 75; — 2 petites gravures, 0 fr. 40 ; — images de la première communion et photographies, 2 fr. — Total, 43 r. 40.
Ustensiles. — Répondent à tous les besoins de la famille. Ne présentent aucun cachet particulier et sont maintenus en bon état............ 326 fr. 15
1° Employés pour la cuisson et da préparation des aliments. — 3 douaines de petits verres, 4 fr.: — 6 litres pour liqueurs, 1 fr. 20 ; — 6 cafetières en fer battu, en fer blanc et en terre, 8 fr. ; — 3 marmites en fer blanc, 6 fr. ; — 1 couvre-plat, 1 fr.; — 3 grandes cuillers, 3 fr. ;— 1 baquet pour laver la vaisselle, trescat pour mettre la vaisselle non lavée, 2 fr. 50; — 1 dressoir, 5 fr.; — 28 plats en terre pour faire cuire la mesture, 7 fr.; — 2 bannes en terre pour porter l'eau, 1 fr. ; — 1 garde-manger, 30 fr.; — 1 cache-marmite reposant su 3 pieds pour faire l'escauton, 3 fr.: — 5 casseroles en fer battu, 20 fr.: — 1 pressoir en fer blanc, ordinaire, 2 lèchefrites, 1 en fer blanc, 1 en fer battu, 4 fr. ; — 4 entonnoirs en fer[332]blanc, 1 fr. ; — 2 râcloirs pour râper le sucre, en fer blane, 1 fr. ; — 1 gril pour le boudin, en fer blanc noir, 1 fr. 20: — 1 poêle en fer bautu, 2 fr. 50; — 1 grande cuiller en cuivre, 3 fr.; — 1 grilloir à café. 2 fr. ; — 1 instrument pour roussir les œufs, en fer, 4 fr.; — 1 objet à mettre le sel, 2 fr.; — 2 marmites en fonte, 1 grande, 1 petite, 8 fr. ; — 1 broche en fer. 15 fr.; — 1 tranche pour piquer le porc, 1 fr.; — 4 douzaines d'assiettes blanches, 14 fr.; — 4 douzaines d'assiettes en terre, 3 fr. 60 ; — 5 soupières en couleur, 5 fr. ; — 8 douzaines de cuillers et fourchettes, en fer, en étain et en métal blanc, fr.: — 5 douzaines de verres, 4 fr.; — 4 carafes en verre, 6 fr. ; — 10 couteaux de poche, 6 fr.; — 4 douzaines de couteaux de table, 20 fr. — Total, 197 fr.
2° Servant à l'eclavage. — 1 trépied pour brûler la chandelle de gemme, 4 fr.:— 2 chamdeliers en cuivre, 6 fr.:— l lampe àsoléine, 10 fr.: — 1 boueille à soléine, 0 fr. 209 — 2 lampes à ga rectifié, 3 fr.; — 2 lanternes, 5 fr. — Total. 28 fr. 20.
3° Usages divers de ménage. — Brosse pour nettoyer le cuivre, 0 fr. 80; — pierre pour repasser les couteaux. 1 fr. :50; — 3 cuvettes en terre blanche, 4 fr. 50; — 3 marteaux et 1enailles. 7 fr. ; — poêle à frire.1 fr. 50;— 1 baquet en bois devant la maison, 2 fr.; — 6 paniers en chène et en osier, 11 fr.; — 1 seau pour porter de l'eau, en bois de chataignier. 3 fr. 50: — 2 balais, 1 fr. 25 ; — 1 instrument pour nettoyer les bouteilles, 0 fr. 25 ; — 2 chaudières en cuivre, 25 fr. ; — vieux cabas, 1 fr. 50: — 1 petit filet. 0 fr. 15 ; — fuseaux, 0 fr. 30; — 3 balances romaines, 9 fr.: — 1 caisse, 1 fr.;— 1 réservoir d'eau, 3 fr. — Total. 73 r. 25.
ˉ4° ¯Dépendant de la cheminée. — Chenêts en fonte et en fer avec une barre, qui sont dans la maison depuis un siècle au moins. 15 fr.: — 2 pincettes et 1 pelle, 3 fr.; — 1 jusqu'à t, 1 fr. 50 ; — 1 plaque en fonte, 8 fr. 50. — Toa, 26 r.
Linge de ménage. — Assez abondant, de bonne qualité et entretenu avec soin............ 613 fr. 20
25 paires de drap de lit. dont 6 paires provenant du lin récolté, 424 fr.;— 72 serviettes de table ordinaires, 43 fr. 20 ; — 24 serviettes plus fines, 18 fr.; — 5 douzaines de torchons, 60 fr.; — 6 sacs de lessive, 8 fr.; — 1 pièce de toile tenue en réserve, 60 fr. — Total, 613 fr. 20.
VÊTEMENTS. — Les vêtements n'offrent aucun trait caractéristique, sau le béret des hommes et le mouchoir de couleur avec lequel les femmes se couvrent la tête. Ils se rapprochent beaucoup de ceux qui sont adoptés dans les autres parties de la France............ 4,560 fr. 70
VÊTEMENTS DES HOMMES (3380 fr.)
1° Vêtements d'un homme (pour les dimanches). — 1 béret, 4 fr. 50 ; — 1 veston en drap de laine noir, gris ou bleu foncé, 46 fr. ; — 1 pantalon et 1 gilet de la même couleur, 38 fr.; — 1 cravaute, 0 fr. 75; — 1 paire de bas, 2 fr.; — 1 paire de chaussures, 18 fr.; — 1 mouchoir de poche, 0 fr. 75; — dans l'été, le vêtement qu'ils portent le dimanche est d'un prix moins élevé[333]que celui de l'hiver : les diverses paties qui le composent sont souvent exactement semblables, 61 fr. 0. — 'otal, 171 fr. 50.
2° Vêtements d'un homme (pour le travail). — Les vêtements se composent des habits du dimanche qui commencent à être usés ou d'un costume valant 36 fr.; — 1 paire de souliers. 5 fr.; — 1 paire de bas. 2 fr.: — 1 béret ordinaire, 2 fr. ;— ou dans les grandes chaleurs, 1 chapeau de paille, 1 fr. 50; — 1 chemise en cretonne, 2 fr. — Total, 48 fr. 50.
3° Vêtements en provision ou en double. — 4 paires de bottes possédées par l'aîné, le père et le grand-père. 85 fr. ; — 4 paires de chaussures possédées par chacun des fils adultes. 4S fr.; — 2 pantalons et vestons pour chacun, 45 fr.: — 6 cravates. 4 fr. 50 ; — 20 chemises. 60 fr. ; — 24 mouchoirs de poche, 20 fr. — Total, 262 fr. 50 (soit 214 fr. 50 chacun, pour l'aîné, le père et le grand-père, et 177 r. 50 pour chacun des fils adultes).
Valeur totale des vêtements du grand-père, du père et du fils aîné, 434 fr. 50. — Total pour les 3. 1203 r. 50.
Valeur totale des vêtements de chacun des autres fils adultes. 397 fr. 50. — Total pour 4 hommes. 1590 fr.
4° Vêtements du plus jeune fils. — Valeur totale, 190 fr.
5° Vêtements du pasteur. — Absolument semblables à ceux des membres de la famille ; valeur totale, 397 r. 50.
VÊTEMENTS DES FEMMES (1180 fr. 70.
1° Vêtements de la mère. — 2 robes pour les dimanches et fêtes, 50 fr.: — 3 robes de travail, 28 fr.; — 3 jupes de laine. 30 fr.: — ̀ jupes de mérinos pour les dimanches et fêtes, 30 fr.; — 4 paires de bas en laine dont 2 provenant du troupeau, 15 fr.; — 10 paires de bas de coton, 22 fr.: — paires de souliers, 20 fr.; — 2 paires de sabots, 3 fr. 20 ; — 2 douzaines de chemises, 60 fr.; — 1 douzaine de mouchoirs, 12 fr. ; — 4 châles en mérinos, 60 fr. ; — 2 casaques de travail, 5 fr.: — 2 casaques pour les dimanches, 10 fr. ; — 5 mouchoirs destinés à entourer la tète, 5 fr. ; — pour les dimanches, 10 fr.; — 1 paire de boucles d'oreille. 20 fr.; — 5 gilets de flanelle, 25 fr.; — 2 paires de gants, 5 fr.: — 2 tabliers en mérinos pour dimanches et fêtes, 8 fr. ; — 2 de travail, 4 fr. — Total. 422 fr. 20.
2° Vêtements de Marie. — 5 robes de travail. 25 fr. : — 4 robes pour les dimanches, 132 fr.: — 4 jupes pour le travail, 20fr.;— i pour les dimanches et fêtes. 90 fr.; — 2 douzaines de chemises de toile de lin. 75 fr.; — 4 casaques pour dimanches et fêtes, 48 fr.; — 2 gilets de coton, 5 fr.; — 2 corsets, 7 fr. 50. ; — 1 douzaine de crayates, 4 fr.; — 2 mouchoirs pour la tête, de mérinos noir, 8 de soie, 23 fr.: — 2 douzaines de mouchoirs de poche, 25 fr. 50 ; — 10 paires de bas de laine marchande, 2 paires confectionnées avec la laine du troupeau, 12 paires de coton, 46 fr.;— 3 paires de bottines, 54 fr. ; — 1 paire de pantoufles, 8 fr.: — 2 paires de sabots, 2 fr. 50.; — 2 paires de gants de laine, 5 fr. ;— 4 abliers, 10 fr. ;— 2 filets pour la tête, 2 fr.; — 2 paires de boucles d'oreilles, 25 fr. — Total. 607 fr. 0.
3° Vêtements de Berthe. — 2 robes pour les jours de travail. 15 fr.; — 2 pour les dimanches et fêtes, 24 fr. ; — 2 jupes en laine, 8 fr.: — 2 de coton, 12 fr. ; — 1 douzaine de chemises, en toile de coton, 4S fr. ; — 13 paires de[334]bas de laine, 22 fr. ; — 1 paire de bottines, 12 fr. ; — 1 paire de souliers, 8 fr. ; — 2 paires de sabots, 2 fr. — 'otal, 151 francs.
Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 7,101 fr. 25
§ 11. — Récréations.
Le plus grand plaisir de la famille consiste à se livrer au travail en commun, a mener l'existence calme et assurée des propriétaires qui tirent leur subsistance de leur propre domaine.
Le dimanche, les membres de la famille se rendent au bourg au moment de la célébration des exercices religieux, et, pour être en mesure d'y faire un plus long séjour, ils y ont loué une chambre. Les jeunes gens passent là une partie de la journée. Ils jouent sur la place publique aux quilles ou au rampot. jeu préfèré du pays. Ils entrent aussi au café, mais ils n'y prennent que des consommations modérées.
Les veillées d'hiver sont consacrées à la lecture. L'un des membres de la famille lit souvent a haute voix le journal qu'elle reçoit : le Courrier de Dr. Les ouvrages qu'elle lit de préférence sont les livres de classe qui ont servi à l'instruction des enfants et une IIistoire de France abrégée.
Les jours de fête, on joue aux cartes, à la sizette ou au loto.
La famille invite les parents qu'elle possède à Morcenx, à Lespéron, à Lit, le jour de la Saint-Martin, de la Saint-acques ou de la Saint-Joseph ou elle a l'habitude de chômer. Une vingtaine de convives prennent place autour de la table. Le soir on joue à la bourre, au bourgou, et les enjeux perdus ou gagnés s'élèvent quelquefois à la somme de vingt francs. Le jour du l1 juillet, le travail s'arrête à midi.
Les hommes prennent un grand plaisir à fumer, le père la pipe, les autres la cigarette ou le cigare. Ils recherchent cette distraction, surtout en hiver ou lorsqu'ils surveillent la combustion d'une charbonnière.
La présence aux foires est regardée par les jeunes gens comme une distraction. Ils s'y rendent même lorsque le besoin ne les y attire pas. Mais, n'y restant que quelques heures, ils n'y prennent aucun repas et s'abstiennent de toute dépense exagérée.
La chasse est un de leurs plus vifs plaisirs. Ils chassent même en temps prohibé et sans jamais prendre de permis. Les principaux gibiers qu'ils tirent sont la palombe, le roquet et le ramier en automne, la bécasse et le lièvre en hiver. Lorsqu'ils se rendent à leur travail, ils se munissent souvent de leur fusil (23). [335] Cette habitude constante de la chasse les porte à rechercher les exercices de tir. Aussi le dimanche y en a-t-il souvent du côté des dunes où se rendent les jeunes gens qui commencent à tirer. Le prix consiste dans un objet attribué à celui qui s'est fait remarquer par son adresse.
On peut encore ranger parmi les distractions les courses que les fils font à cheval.
IV. Histoire de la famille
§ 12. — Phases diverses de l'existence.
L'histoire des L*** ne présente pas les incidents variés et multiples qui sont le trait caractéristique des familles instables. Le grand-père est né sur le domaine que son père lui a transmis, celui-ci à son tour l'avait reçu de ses ancetres, car les archives de la paroisse montrent que, depuis 1735, le domaine appartient à la même famille, et encore n'est-il pas devenu sa propriété par une acquisition, mais à la suite d'un mariage de ean, avec Marie Cajioula, fille de Bertrand Cajoula e de Jeanne Denthomas. Le chef de famille actuel est resté toute sa vie sur le domaine, et si, résistant au courant moderne, le fils aîné suit fidèlement la tradition, il mènera paisiblement la même existence que ses ancètres.
Chez les paysans, les enfants ne sont pas assuiettis a des travaux pénibles qui contrarieraient leur développement phySique. Ils prennent part aux occupations agricoles dans la mesure de leurs forces et vont en même temps à l'école. ̀uelques enfants y restent jusqu'à l'à̂ge de quatore ans. La première communion se fai, suivant l'usage adopté aujourd'hui à peu près dans toute la France, à onze ou douze ans.
Les jeunes gens des familles notables restent a la maison où ils exploitent le domaine sous la direction de leur père. Le plus souvent celui-ci ne leur attribue pas une rémunération fixe, mais il leur accorde de l'argent, lorsqu'ils le demandent. Le fils aîné seul est associé à l'exploitation. Le père lui laisse prélever un petit pécule puis il place quelque argent en son nom et prend ses dispositions pour lui transmettre le domaine. Aussi, l'aîné est-il généralement appelé l'eurté, c'est-a-dire l'héritier, lorsque le père compte deux ou trois enfants mâles. Cette qualification est acceptée par tous les siens et par les voisins : nul ne songe à s'en étonner.
[336] Les jeunes filles se marient à l'âge de 20 ou 22 ans, les jeunes gens vers 25 ans ou 26 ans, lorsqu'ils ont satisfait aux exigences de la loi militaire. A l'occasion de son mariage, le fils aîné reçoit dans un grand nombre de familles le quart par préciput et hors part. Si ces dispositions n'ont pas été prises, le père assure, avant sa mort, la conservation du patrimoine par le partage de sa fortune. Ainsi en 1881, le grand-père L a partagé d'une manière définitive tous ses biens. Il s'est réservé le droit a l'habitation et au logement, la propriété personnelle du mobilier qui garnit sa chambre, la jouissance de l'àpier avec faculté de l'accroître ; de plus ses enfants lui serviront une pension de cinq cent trente-trois francs dont le ils aîné paiera trois cent trente-trois francs. Le reste sera supporté par les deux autres enfants. Le fils conservera le domaine et désintéressera ses frères par le paiement d'une somme d'argent. Sa sœur a reçu une faible portion de terre.
Souvent le père de famille livre par l'acte de partage la maison tout entière à ses enfants et habite un appartement pris à location, disposition qui n'est pas exempte d'inconvenients. Lorsqu'il existe des mineurs, on a soin de composer leur lot de pins très jeunes et qui sont destinés, au moment de la majorité du co-partageant, à acquérir une plus grande valeur par la production de la résine. On se met ainsi en garde contre les demandes de rescision pour cause de lésion, le mineur n'ayant plus d'intérêt à faire attaquer un partage dont la nullité le placerait dans la même situation qu'au moment ou il a reçu des pins sans valeur.
Il est à remarquer que, dans ces partages, on entend par usufruit la résine provenant des pins mariimes, et non les arbres eux-mêmes considérés comme faisant partie du fonds auxquels il est interdit à l'usufruitier de toucher.
L'usage des testaments est peu fréquent et c'est par des partages que se règle habituellement la transmission des biens.
§ 13. — Mœurs et institutions destinées a assurer le bien-être physique et moral de la famille.
Tout le bien-être repose ici sur le respect de la loi religrieuse et sur la transmission intégrale du doaine à l'un des enfants, charggé de mairtenir les traditions familiales et de conserver le patrimoine que les générations se sont idèlement légué.
Dans les familles qui n'ont pas conservé la permanence du[337]foyer, l'union ne tarde pas à disparaitre entre les divers membres qui, dispersés çà et là, ne sont plus jamais abrités par un foyer commun. Le père ne conserve aucune autorité sur les enfants dont chacun prétend à une part égale de l'héritage, malgré la volonté qu'il aura manifestée, et, si en dépit de la loi, il désire soustraire son domaine à l'anéantissement, il ne trouvera trop souvent d'autre remède eflicace que la restriction du nombre de sa postérité.
Il faut remarquer en effet que la famille décrite n'est parvenue à maintenir sa position qu'en luttant sans cesse contre la loi. Ce qui est appliqué ici, ce n'est pas le système de la transmission intégrale, c'est celui de la lutte contre le Code civil. L'édifice qui a été laborieusement construit est donc battu en brèche à chaque partage, et, longtemps après la mort du père, une menace reste suspendue sur la tête de l'héritier (24). Si l'héritier était seul, nulle crainte ne l'assiégerait.
Jusqu'ici aucune mésintelligence, ni aucune cause de ruine materielle ou morale ne se manifeste parmi les membres de la famille. Se sutlisant à elle-même, elle n'a besoin d'avoir recours à aucune autre institution. Ainsi une société de secours mutuels existe pour les ouvriers de Lévignacq. mais aucun des fils n'en fait partie.
Les L*** mènent une existence assez ranggée pour que l'épargne qu'ils ont constituée leur permette de supporter les années dans lesquelles la résine se vend à un cours inférieur. Une exploitation de ce genre est du reste moins soumise que toute autre aux intempéries des saisons (18).
Cette bonne harmonie et cette sécurité morale et matérielle sontelles destinées à se maintenir longtemps encore 4 A cette question, nous n'osons répondre affirmativement, malgré les sentiments de toute la famille, car trop de causes ébranlent aujourd'hui ces populations pour que l'observateur puisse eanvisager leur avenir sans crainte (25).
Le jour où les habitudes de transmission intégrale seront perdues, où la foi religieuse ne gouvernera plus les àmes, le domaine sera vendu, et les vices des populations désorganisées apparaitront. Les membres de la faille, étrangers les uns aux autres, quitteront le village ; ils iront grossir dans les villes le nombre des déclassés. Suivant l'expression que l'un des ils appliquait à une famille aisi dissoute à la suite du partage du oyer, ils ne seront plus rien.
§ 14. — Budget des recettes de l'année.
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§ 15. — Budget des dépenses de l'année.
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§ 16. — COMPTES ANNEXÉS AUX BUDGETS.
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Éléments divers de la constitution sociale
Faits importants d'organisation sociale ; particularités remarquables ; appréciations générales ; conclusions.
§ 17. — RÉSULTATS DE LA LOI DU 19 JUIN 1857 SUR L'ASSAINISSEMENT ET LA MISE EN VALEUR DES LANDES DE GASCOGNE.
[351] En 1819, un ingénieur des ponts et chaussées, M. Chambrelent, commenca à mettre en eœuvre, dans les landes de Gascogne, un système d'assainissement que sept ans d'études et de nivellements opérés sur le terrain l'avaient amené à concevoir.
Le plateau sur lequel s'étendent les Landes, avait-il remarqué, n'est pas horizontal ; il est en réalité formé de versants dont l'inclinaison est sans doute faible, mais permet cependant de faire écouler économiquement les eaux au moyen de fossés dont les pentes seraient bien réglées.
Il se rendit propriétaire d'une superficie de 500 hectares, ouvrit des fossés et organisa un véritable drainage dans le terrain sablonneux qui recouvre, sur une épaisseur d'environ 0 10, la couche imperméable nommée adios. Le sol ainsi préparé fut ensemencé de pins maritimes. Cet heureux exemple eut des imitateurs. Les résultats furent des plus encourageants.
L'assainissement de la lande eut pour principes le drainage ci-dessus indiqué qui assure l'écoulement des eaux hivernales, et un système de puits descendant seulement à 5 mètres, entourés d'une maçonnerie imperméable avec un fond de débris pierreux sur environ 1 50 d'épaisseur. Ces puits percent la couche imperméable de l'alios et mènent les eaux qu'elle retenait dans la couche sous-iacente où par filtrage elles acquièrent une salubrité qui n'est pas contestée1.
M. Chambrelent soumit, en l855, les résultats de ses premiers travaux au iury international chargé d'examiner les essais forestiers faits sur les terres incultes situées dans diverses régions de la France et des pays voisins.
Le résultat de l'examen du jury fut de constater :
1° Que la bonne venue des arbres était remarquable sur toute la surface des landes assainies ;
2° Que le système d'assainissement appliqué à ces landes était aussi simple que peu coûteux ;
[352] 3° Que le même système pouvait être appliqué avec la même facilité sur toute l'étendue des terres incultes ou insalubres qui existaient encore sur cette partie du sol de la France, et en permettre une mise en valeur rationnelle.
Une fois reconnue l'eflicacité de la méthode d'assainissement et de mise en valeur imaginée par M. Chambrelent, il était d'intérêt public et national d'en généraliser l'application. Sans l'intervention de l'Etat, faisaient observer les promoteurs de l'entreprise, il était à craindre que la mauvaise volonté ou les lenteurs des conseils municipau n'empêchassent pendant longtemps les projets d'assainissement de recevoir une eécution.
On remarquait en effet qu'un grand nombre de propriétaires avaient déjà imité M. Chambrelent, mais aucune commune n'avait commencé à assainir les landes qu'elle posséeait2
Une loi fut donc soumise aux Chambres et votée le 19 juin 18857. Le principe de la loi fut celui-ci : Les landes communales des deux départements de la Gironde et des Landes seront assainies et mises en valeur aux frais des communes. En cas d'impossibilité ou de refus de la part des communes de faire exécuter ces travaux, il y sera pourvu aux frais de l'Etat, qui se remboursera de ses avances en principal et intérêts, sur le produit des coupes et exploitations. La loi portait en outre que les routes agricoles destinées à desservir les terrains à assainir seraient construites aux frais du trésor public.
Suivant l'impulsion intelligente qui leur était donnée par l'Etat, tous les conseils municipaux exécutèrent les travaux à leurs frais et il ne fut absolument rien prélevé sur les 6 millions qui avaient été mis a la disposition de l'Eat pour l'exécutio des travaux que les communes se seraient refusées à accomplir. xemple remarquable des heureux résultats que produit l'initiative intelligente du pouvoir central, lorsque, sagement réglée, elle s'applique a des intérets d'un ordre général.
Dès 1862, la loi avait deà amené d'excellents résultats qui étaient ainsi constatés par le préfet de la Gironde dans son rapport adressé au Conseil général. L'application de la loi du 19 juin l857, di-il, présentait de sérieuses dilicultés. I fallait determiner le meilleur mode d'assainissement, persuader aux communes de l'employer, éclairer les populations landaises sur leurs véritables intérets que de vieilles habitudes et les préjugés leur faisaient méconnaître, vaincre les résistances qui se[353]manifestaient dans quelques localités, faire procéder à la délimitation d'innombrables parcelles de terrains, objet de litige et de rivalités, veiller à ce que les estimations des terrains fussent bien établies, déjouer les manœuvres tendant à enrichir les particuliers aux dépens des communes, surveiller les ventes pour qu'elles fussent régulières, prendre des mesures pour assurer la sincérité des adjiudications et la bonne exécution des travaux, en un mot faire ressentir partout l'action incessante d'une administration ferme et bienveillante à la fois. .
Les résultats de la loi de 1857 se résument ainsi au point de vue statistique :

[354] Les travaux exécutés dans les Landes n'ont pas amené des résultats moins heureux au point de vue de l'amélioration de la santé publique.
Dans chacune des communes assainies, dit un rapport adressé au Conseil général de la Gaironde, de 1855 à 1858, époque où commençait à se faire sentir l'effet des premiers travaux d'assainissement exécutés par des propriétaires isolés, la diminution du nombre des décès sur celui des naissances a été de l p. 00. De 1858 à 186l, cette diminution a été de 27 p. 00. Enfin de 1861 au 1e janvier 1865, période pendant laquelle les travaux ont pu produire un efet beaucoup plus sensible, le nombre des décès a été de 11 p. 0 0 moindre que celui des naissances.
Les rapports de tous les médecins des Landes confirment ces renseignements oficiels si dignes d'attention. Un médecin du canton de Castelnau qui donnait ses soins aux communes de Sainte-IHélène, La Canau, Saumos et le Porge, communes ravagées par les fièvres paludéennes, constatait que, dans cette contrée jadis si insalubre, il n'y avait pas plus de malades que dans les parages les mieux favorisés. Un autre médecin qui exerçait dans les communes d'Artès, d'Audernos, de Lanton, de Biganos et de Mios, signalait des résultats non moins remarquables.
Quelque bienfaisants et considérables qu'aient été les résultats de la loi de 1857, il ne faut pas cependant croire qu'elle a transformé tout le département des Lndes en quelques années. D'une part, il reste encore une étendue considérable de landes à assainir et à mettre en valeur. D'une autre part, avant la loi, des semis de pins avaient été faits sur une grande étendue dans plusiers parties du département. Ainsi c'est au milieu du siècle dernier que le célèbre ingénieur Brémontier commença à fixer les dunes par des semis de pins maritimes. Le Marensin comprenait déjà de nombreuses forèts, et, dans les premières années du siècle, il éclata non loin de la commune de Léviggnacq un immense incendie qui ravagea plusieurs forèts dont la plantation, au dire des habitants, remontait à plus d'un siecle.
§ 18. — SUR L'EXPLOITATION DES PINS.
L'exploitation des pins (Pius aritia Lam.) constitue, et pour la famille décrite et pour les autres habitants de la commune, une de leurs principales ressources. Cette exploitation qui se fait de diverses manières n'exige pas un labeur extraordinaire ou de grands efforts intellectuels.
[355] Si l'on veut affecter les pins à ia production de la résine, on commence la campagne de gemmage tantôt au mois de mars, tantôt au mois de février, suivant la température. Un vieux proverbe du pays dit à ce propos : Tout boung ieme pique en héouré Lou iémérot pique quouan pot, ce qui en français veut dire : Un bon gemmier pique en février, un petit gemmier pique quand il peut.
Pour gemmer un pin, on commence d'abord par elever les parties rugueuses de l'écorce, généralement à l'aide d'un instrument recourbé, plus ou moins longuement emmanche suivant le besoin, et portant le nom de arresqid. Cela fait, on plante, soit au pied du pin, soit au bas de l'entaille de l'année précédente, d'abord une lame de zinc légèrement recourbée qu'on appelle crapoutng et puis un peu au-dessous, à 0 m. 02 environ, quand le crampoung n'est pas tout-à-fait au bas de l'arbre, une pointe destinée à soutenir le pot qui doit recevoir la gemme. Lorsque vient le temps de commencer l'entaille, le pot se met sous le crampoung. le rôle de ce petit appareil étant de conduire la gemme dans le pot. Après cela, on pratique sur l'arbre, à l'aide d'une hache spéciale (hapiot), une entaille peu profonde et la gemme, sortant des pores du bois sous forme de petites perles, coule avec plus ou moins d'abondance suivant le temps et la saison. La méthode que nous venons de décrire constitue le système Iugues, en vigueur depuis une trentaine d'années environ, et qui est aujord'hui universellement adopté. Autrefois, les procédés étaient plus simples. On se contentait de faire au pied de l'arbre autant de trous (crots) qu'il y avait d'entailles et c'étauit là qu'on recueillait la gemme. Il n'était question ni de pots, ni de pointes, ni de crampoungs. C'était plus facile, mais ce n'était pas aussi rémunérateur, par suite des pertes et d la mauvaise qualité de la gemme. Aussi, les marchands ne pay ant pas autant la résine recueillie de la sorte, le système primitif a-t-il été abandonné à peu près partout, et le système lIugues admis presque universellement.
Lorsque la partie supérieure de l'écorce est enlevée, que le pot et la pointe sont placés, il ne sufit pas d'une entaille sur la même place pour faire couler la gemme pendant toute la saison ; il faut de temps en temps, tous les huit jours au moins, user du hapiot pour rafraichir la blessure faite au pin et c'est ainsi que peu à peu, durant la campagne du gemmage, l'entaille monte jusqu'à ce qu'elle arrive à une hauteur[356]de trois mètres environ. Pour y atteindre au fur et à mesure qu'elle s'élève, les gemmiers se servent de la tchanqte, sorte d'échelle à un seul montant le long de laquelle ils grimpent avec l'agilité de l'écureuil, ou bien encore de la barre, instrument recourbé qui leur tient lieu de hapiot et qui, gràce à son long manche, les dispense de toute ascension. Ils n'ont besoin que d'appliquer leur appareil sur la tige du pin et de tirer, en s'aidant du poids de leur corps, pour renouveler l'entaille.
Cependant la gemme coule, les pots se remplissent ; il s'agit de les vider à temps pour ne rien laisser perdre. Pour cela on s'arme de récipients portatifs à anse, appelés gquuartes et, passant à chaque pin, on prend successivement les pots et, à l'aide d'une palette (paiot), on en vide le contenu dans le récipient. Lorsque celui-ci est plein, on va le vider à son tour dans un réservoir, enfoncé dans la terre et fait de madriers, que l'on appelle barcou. C'est de là qu'on transvase la gemme sur un char dans des barriques spéciales de la contenance de 360 litres, et qu'on la porte à l'atelier où elle doit être distillée. Toute cette opération reçoit le nom d'aasse, elle est faite par les femmes généralement, sauf le transport du barcou à l'atelier. Il y a six amasses par an et la campagne dure tous les ans depuis le mois de février ou de mars jusqu'au mois d'octobre. On init en raclant avec soin toutes les entailles avec un petit barresquit, et ce que l'on recueille porte le nom de bavrs ou de gdipot.
Le prix de la barrique de gemme varie chaque année et même plusieurs fois chaque année3. Pendant la guerre d'Amérique, il s'est élevé à 280 francs, l'exploitation ayaet été arrètée dans les forèts de pins américaines dont les produits résineux inondaient les marchés européens. La ]ournée pour les ouvriers gemmiers fut payée jusqu'à 10 francs. Aussi, gràce à cette élévation des pri, des fortunes considérables furet-elles réalisées en peu de temps. IBien des gens, ouvriers, marchands en gros ou paysans propriétaires, se voyant à la tète d'un gin aussi inespéré, perdirent la tète et se livreret à toute espèce de[357]dépenses et d'extravagances. Le pays a conservé le pittoresque souvenir de quelques anecdotes ui expriment à quel point la simplicité des meurs avait reçu un dangereux ébranlement.
Lorsque la guerre d'Amérique eut pris fin, le prix de la barrique de résine subit une dépréciation très forte. Il y a quelques années même, il tomba moentaément jusqu'à 35 francs. Néanmoins le cours moyen de la hrrique peut environ être fixé entre 10 et 50 francs. Les propriétaires de pins avaient demandé l'établissement d'un droit protecteur sur les produits résineux provenant des Eats-Unis et employés comme lest par les navires américains. Ce droit protecteur était d'autant plus utile, faisaientils remarquer, que l'existence des populations landaises repose sur l'exploitation des pins et que la nature du sol ne leur permet pas de substituer à ce travail une exploitation plus fructueuse. Cette demande n'a pas été prise en considération : la résne n'a pas même été mentionée dans le tarif général. On l'a fait rentrer dans la même catégoriequee la gomme.
La production de la résine aux Etats-Unis est du reste peu connue. Sur la demande des producteurs français, plusieurs enquètes ont été entreprises pour savoir selon quel mode les pins s'exploitaient. Cette enquète n'a amené aucun résultat. Depuis deux ou trois ans, les envois de résine provenant des Américains semlent heureusement fléchir. On prétend que ce ralentissement de la concurrence américaine serait du à l'insufllsance de bras, les ouvriers se dirigeant de préférence vers le canal de Panama ou ils espèrent toucher des salaires plus élevés.
Le commerce de la résine présente plusieurs particularités dignes d'ètre mises en lumière. Ainsi lorsque la barrique de gemme est vendue par les propriétaires ax chets d'atelier qui fabriquent les produits résineux, cette vente a lieu sans qu'aucune discussion s'enggage au sujet du prix. Le fabricant le fixe lui-même. Les fabricants amènent à leur tour leurs produits à Dax ou se tient un important marché de matieres résineuses ; ils s'adressent à un marchand en gros dans la loyauté duquel ils ont confiance, et s'il s'agit de goudron, de brais ou de colophanes, qui sont les moindres dérivés de la gemme, ils raitent à forfait sans qu'il s'élève aucune discussion. Mais pour l'essence de térébenthine, qui est le produit le plus important extrait de la gemme4, les usages diffèrent. Le samedi, jour du marché de Da, dix ou douze marchands en ros se réunissent dans un endroit réservé et constatent d'abord[358]les apports faits sur la place. Puis il s'établit entre eux une sorte d'enclère à la suite desquelles le dernier enchérisseur est obligé de prendre à son compte toutes les marchandises envoyées, si ses confrères en trouvent le prix trop onéreux. Au cas contraire, chacun garde ce dont il a besoin. Quel que soit le mode d'achat adopté, le prix des essences est définitivement fixé pour la semaine.Aaprès cette opération, les mêmes fabricants, se basant sur la valeur des diverses matières résineuses et principalement sur celle de l'essence, fixent d'un commun accord le prix de la gemme qu'ils paieront aux propriétaires lorsque ceux-ci la leur proposeront. Ces divers prix sont presque toujours acceptés sans la moindre réclamation. amais une brrique apportée sur la place n'est remportée.
U'ne telle coutuxe inspire un singulier étonnement, dans un pas qui est habitué au libre jeu d'un concurrence sans frein. Au premier abord, il semble que les intérêts des producteurs soient absolument sacriiés par cete singulière coutume. lle ne produit pas cependant les résultats qui semblent en découler et, en fait, le cours s'établit d'une manière assez équitable. l est facile en même temps de se représenter quelles conséquences amènent au point de vue moral les usages relatifs a la vente des produits résineux ; car les mœurs se modèlent naturellement sur les faits de la vie quotidienne, l'homme étant beaucoup plus guidé par des habitudes que par des raisonnements et des théories. 'omme nous venons de le dire, aucun débat ne s'établit sur le prix de la gemme. u contraire, dans les pays voués à l'élevage du bétail, lorsque par exemple on se présente à une foire avec des bestiaux, une lute s'engage entre l'acheteur et le vendeur, le premier intéressé à atténuer les qualités de la marchandise, le second à en dissimuler les défauts ; dans cette lutte d'intéréts, la victoire appartient au plus habile, au plus rusé, au plus tenace, et, en vue d'obtenir un pix largement rémunérateur, on n'hésite pas à faire à la vérité quelques accrocs. Peu à peu l'habitude se contracte d'avoir recours à la dissimulation dans la perspective d'un gain pius élevé.
Là rien de semblable ne se passe ; le paysan écoule ses produits sans débat. Il échappe par conséquent à tous les défauts du commerçant ; il n'est pas tourmenté par cet àpre désir du gain qui entraine tant de vices, lorsque des sentiments fortement religieux ne viennent pas lui faire contrepoids, et ainsi s'expliquent certains traits du caractère des paysans landais, attestation nouvelle du lien intime qui s'observe entre le caractère de l'homme et l'organisation du travail.
[359] L'exploitation des pins fournit encore une seconde source de revenus au moyen des charbonnières qui sont faites avec la cime et les branches des pins restant après les coupes, ainsi qu'avec les petits pins provenant d'éclaircissages. 'landis que la récolte de la gemme exige une somme de travail peu considérable, la charbonnière réclame au contraire des soins particulièrement pénibles. Elle doit d'abord être placée à une certaine distance des habitations, pour que celles-ci ne soient pas exposées aux risques des incendies, et cette condition impose aux charbonniers de nombreux déplacements pour les travaux préliminaires qui consistent à couper et à charrier le bois nécessaire. Lorsque la charbonnière est construite, il faut pendant une vingtaine de jours abandonner à peu près complètement la maison. Nuit et jour, le charbonnier est tenu de surveiller la motte fumante. Parfois en effet, le feu, acquérant une trop grande force, perce la croûte de terre sous laquelle il est étoufé. Le charbonnier s'empressera alors de doubler l'enveloppe qui l'enserre ou bien il lui fournira des aliments nouveaux qui calmeront sa voracité. Parfois la charbonnière éclate comme un volcan. On doit alors rétabir à tout prix l'édifice ébranlé, sinon le charbonnier verrait se perdre en un instant le fruit de son dur labeur.
Cependant les Landais se livrent à ces travaux avec courage. Pendant les trois semaines que dure la charbonnière, couchant sous une petite hutte formée avec des planches, ne mangeant que ce qu'on leur apporte de la maison, ils mènent une existence qui rappelle quelque peu celle du charbonnier des Alpes de la Carinthie5. De temps en temps seulement un des leurs vient leur tenir compagnie ou les soulager un peu. Une charbonnière produit 28 ou 30 chars de charbon qui valent de l8 à 20 francs chacun. Très souvent le charbonnier fait le charbon non à son compte, mais à celui des exploitants de pignadas. Rétribué alors comme un simple ouvrier, il reçoit 5 francs par char.
Les propriétaires des Landes retirent encore du goudron des pins maritimes. Il est produit selon deux méthodes, tantôt dans un four à gase6, tantôt dans un four construit différemment et qu'on appelle le hournot. La barrique de goudron vaut de 30à 10 francs. Le goudron qui est fait au moyen d'un four à gase vaut toujours[360]plus cher que celui qui est fabriqué selon la seconde méthode. La plupart des propriétaires usent cependant du dernier procédé.
Enfin la vente du bois, à l'époque des coupes rases de leurs forêts, fournit encore aux habitants des Landes un revenu important. Ils vendent généralement les arbres à des exploitants qui se chargent de les faire couper, et transforment les arbres abattus au moyen de scieries à vapeur locomobiles, transportées dans les pignadas. Tout ce qui n'est pas utilisable pour le commerce ou l'industrie est converti en charbon ; les souches sont sṕcialement réservées pour produire le goudron. Les pins se vendent dans ce cas de 8 à 10 francs pièce suivant leur dimension. Au moment de la guerre d'Améri;ue, ils atteignirent le prx de 20 francs.
Certains propriétaires entreprennent quelquefois eux-mêmes l'exploitation de leurs forèts. Ils le font alors en louant une scie à vapeur ou, ce qui est plus rare, en pay at le prix du sciage dans une scierie hydraulique. Les pignadas peuvent s'exploiter de la sorte tous les cent ans. Les propriétaires pressés par le besoin se déterminent seuls à vendre prématurément leurs pins. Ces exploitations périodiques, quand elles sont sagemenet aménagées, procurent de grands avantages aux propriétaires ; elles leur assurent à des époques fixes des capitaux importants. Il y a déià longtemps que la famille n'a ainsi exploité ses pignadas. Aussi a-t-elle à sa disposition un grand nombre de pins dont elle utilisera la vente pour fournir la dot de ses nombreux enfants, au moment de leur mariage. evant la concurrence faite aux produits résineux par les produits similaires de provenance américaine, beaucoup de propriétaires même ont renoncé à gemmer les pins et les exploitent seulement au point de vue des bois qu'ils fournissent. Ce mode d'exploitation a pris surtout une grande extension dans les landes du département de la Gironde. Les pins s'exploitent alors de la manière suivante :

M. Chambrelent, dans l'ouvrage déja cité, indique avec soin quels débouchés se sont ouverts pour les produits des pignadas des Landes de Gascogne. Leur crue facile et rapide permet de présenter leurs produits sur les marchés, à des prix inférieurs à ceux des produits rivaux similaires. Le but entrevu par M. Chambrelent et que sa savante initiative avait signalé au[361]gouvernement français, a donc été atteint. Des terrains stériles et malsains ont été assainis et une nouvelle production a été créée.
Toutes les mines de France et les houillères de l'Angleterre utilisent les pins des Landes. L'exportation va jusqu'en Ecosse et même en Amérique.
Les pins trop jeunes pour faire des poteaux sont expédiés en bois de chauffage à Bordeaux et dans les principales villes de France, et surtout à Paris. Ces bois, sous le nom de cotrets . ou de falourdes, sont surtout employés au chauffage des fours de la boulangerie parisienne. On utilise encore d'une autre façon les pins d'éclaircissage trop jeunes pour faire des poteaux de mine. Il s'est établi depuis quelques années dans le pays plusieurs usines, qui transforment les pins de 7 à S centimètres de diamètre en manches à balai, que l'on exporte dans toute la France, et même à l'étranger.
On emploie une grande partie de ces pins pour faire des caisses dans lesquelles Bordeau envoie dans toute l'Europe, et surtout en Aérique, ses vins, ses eaux-de-vie, ses prunes, ses pommes de terre, et autres marchandises qui s'exportent aujourd'hui de ce centre commercial au sud-ouest de la France. Enin on s'en sert pour fabriquer les doubles fuailles dans lesquelles sont enfermées les barriques de vin que le commerce veut mettre à l'abri de la fraude et les barils où sont contenus la chaux, les plâtres, les engrais et toutes les autres exportations de ce genre.
La moyenne de la valeur de la terre dans les Landes peut à peu près s'établir de cette manière.

La valeur d'une forêt de pins varie donc suivant l'âge des arbres.
§ 19. — SUR LA DISTRIBUTION DES TRAVAUX AGRICOLES ENTRE LES DIFFÉRENTES ÉPOQUES DE L'ANNÉE.
Janvier.
Travail à la charbonnière, préparation du goudron. FTente du bois en vue de ces opérations ou pour le chauffage. Eclaircissage des pins, consistant à couper les plus petits. Ceux qui ont 30 centimètres de diamètre sont seuls brûlés par la famille.
[362] Février.
Même travail que dans le mois de Janvier jusqu'au 20 environ. A ce moment, si la saison est favorable, la campagne de gemmage (18) commence. On porte le fumier aux prairies.
Mars
Si la campagne de gemmage est commencée, elle se poursuit. Sinon on l'entame à cette époque. Les champs ne réclament presque aucun travail.
Avril.
Continuation du gemmage. Dans la première moitié d'avril, on ramasse la résine ; elle est mise dans le quarte, portée dans le barcou et ensuite livrée à l'atelier. Les résidus du fumier porté aux prairies sont recueillis et brulés. On commence à semer le millet ((ˉPanicu idiccu Lin) et le panis (ˉPanice agindu Svartz).
Mai.
Continuation du travail de la résiue. On sème le mais (c nas Lin.) du areit, terre où l'on n'a pas semé de seigle (Secale cereale Lin.) et dans laquelle on recueillera une seule moisson. Tous les quatre ans, on réserve dans le domaine appartenant a la famille L' une étendue de terre, variable. En moyenne, elle est de 75 ares.
Juin.
On continue le gemmage. Commencement de la récolte de seigle vers le milieu du mois, et à mesure qu'elle se fait, semailles du mais, du millet ou du panis dans les champs occupés par le seigle.
Juillet.
Continuation du gemmage. On depique et on bat le seigle. On sarcle le mais du bareit et les autres cultures de mais, de millet et de panis, à mesure que le besoin s'en fait sentir.
Août.
Gemmage. Il est nécessaire pour le plein succès de la récolte que la température n'arrive pas à un degré trop élevé. Les mois de juin, juillet et août sont les mis les plus favorables au gemmage.
Septembre.
Continuation du gemmage. On coupne le millet et on récolte le mais qui a été planté dans le bareit. On plante les choux (ˉBrassic oteracea Lin.)
[363] Octobre.
En ce mois finit la campagne de gemmage. On fait le galipot. Labourage de la terre. Les travaux d'ensemencement du seigle ont lieu vers le 12 ou le 16.
Novembre.
On chasse aux bécass es (Scolopax usticola Lin.), le nois de novembre étant le mois dans lequel cette chasse est surtout fructueuse. Les travaux de la terre sont presque nuls. Les femmes taillent le soutrage pour former la litière des écuries. Elles piquent la bruyère (ˉErica vdgavis Li.) portée dans les sillons.
Decembre.
Continuation de la fabrication du charbon. Dans les propriétés étendues, trois ou quatre charbonnières brûlen quelqueois en même temps. On ne fait aucun travail agricole.
§ 20. — SUR LA DIVISION ADMINISTRATIVE DE LA FRANCE.
La description de la géographie du département des Landes (1) peut servir à faire ressortir le vice de la division politique que l'Assemblée constituante a substituée à l'ancienne division provinciale. Cette délimit ation groupe dans le même faisceau des populations que séparent le mode d'existence, l'orgganisation du travail, les meurs, le caractère et souvent même la langue. Ainsi le département des Landes comprend deux parties qui présentent entre elles un contraste aussi absolu au poit de vue physique (1) qu'au point de vue moral. Les habitants des Landes n'ont pas l'exubérance méridionale et l'entrain bruyant des habitants de la Chalosse, chez lesquels on trouve dans toute sa pureté le type du ascon, vantard, querelleur, plein d'éclat, tel qu'on ne saurait s'en faire l'idée, si on ne l'a vu dans son propre milien, là surtout ou sa verve s'épanouit dans son exubérance, aux fêtes locales, aux marchés et aux courses de vaches7.
De même, le département de la Gironde sur le territoire duquel se trouve une partie des Landes n'offre aucune unité. Il y a entre les coteaux fertiles sur lesquels se récoltent les vins celèbres, et les[364]landes désolées qui commencent aujourd'hui à être mises en valeur, le même contraste que, dans le département voisin, entre la partie située au nordde l'Adour et la partie située au sud de ce fleuve. Le législateur qui eùt voulu tenir compte des indications géographiques, et grouper dans la même division administrative, des intérêts identiques, eût composé le département des Landes de toutes les landes proprement dites, c'est-à-dire eût détaché les landes du département de la Gironde et les eùt réunies à celles qui s'étendent au nord de l'Adour. La Chalosse eût fait partie du département des Basses-Pyrénées, ou eût formé un département spécial dont le chef-lieu eùt été Bayonne.
Nos anciennes provinces, ou leurs subdivisions traditionnelles, formaient des entités vivantes ; elles se composaient de pays que des intérets communs avaient constitués, et chacun, ataché à cette patrie locale par la force des souvenirs, des mœurs et des intérêts, était d'autant pus fidèle à la grande patrie et savait mieux la défendre au jour du péril. Aujourd'hui, subdivision toute fictive, le département n'éveille aucun souvenir et n'inspire aucun attachement. Le patriotisme local, quand il subsiste, se rapporte encore, près d'un siècle plus tard, aux vieilles circonscriptions traditionnelles.
L'anglais Burke, contemporain de ce remaniement violent du sol de la France par des Français, écrivait dans ses Réflexions sur la Révolution : « On s'est vanté d'avoir adopté une division géométrique au moyen de laquelle toutes les idées locales s'éteindraient. Ce qui arrivera vraisemblablement, c'est qu'au lieu d'ètre tous ˉFrangcais, les habitants de ce pays ne tarderont pas à n'avoir plus de patrie. »
« Les provinces, dit M. Le Play, ont été un élément essentiel des anciennes prospérités de la France. Elles sont plus que jamais placées parmi les fondements de la constitution sociale, chez les peuples ui prospèrent encore aujourd'hui. Enfin, elles ont été détruites sans aucune raison légitime, par des hommes passionnés et ignorants ; jamais en effet on n'avait articulé un grief contre les circonscriptions provinciales, au milieu des récriminations contre l'ancien réggime et des entrainements vers la nouveauté qui précédèrent les violences de la Révolution. Toutes les règles tirées de l'expérience et de la raison se réunissent donc pour enseigner que la rétforme de la FTrance doit être intimement liée à la restauration de la vie provinciale8. »
§ 21. — SUR LES CONFRERIES ET SUR QUELQUES TRAITS DE L'HISTOIRE RELIGIEUSE DE LÉVIGNACQ.
[365] La paroisse de Lévignacq compte depuis le NVII siècle plusieurs confréries qui avaient été fondées dans le but de rendre plus vivaces les sentiments religieux des habitants, plus intimes les liens qui les unissaient les uns aux autres, et de les faire participer à des avantages que chacun d'eux, livré à lui-mée, aurait été incapable de se procurer.
Les règlements de l622 portaient les recommandations suivantes : Prendront diligemment garde tous les confrères qu'il ne se trouve entre eux, auscunes tasches de paillardise, larcin, détraction, ivrognerie, blasphème, soit conre l'honneur de Dieu et sa glorieuse et immaculée mère ou d'aucuns des siens, veu qu'il serait fort absurde que qui est voué particuliérement au culte et à l'honneur d'icelui et qui doit servir d'exemple, fasse tasche de ce qui est horrible même à un I'urc et payen.... Ne se détracteront point en faisant folies et plaisaneries. Les confrères étaient tenus de s'approcher des sacremets aux quatre fêtes annuelles de Noél, de la Toussaint, de Paques, de l'Ascension, et le jour de la fête du patron de la confrérie. A l'ASsomption, ils devaient avoir un prédicateur auquel ils remettaient 1 livres. Cn syndic était élu. Il avait la charge de visiter les confrères malades, de les faire communier, confesser et extrémiser, s'il est expédient. 'n membre de la confrérie, réduit à la pauvreté, devait être assisté et enterré aux dépens de la dite confrérie. Chacun s'obligeait à respecter strictement les statuts sous peine de péclé mortel. En outre des buts particuliers que se proposaient les confréries, elles contribuèrent souvent de leurs deniers a l'aggrandissement de l'Eglise.
Les confréries qui existaient avant 1789 portaient les noms de Notre-Dame, de St-Roch et de St-Jacques. Leurs membres cessèrent de remplir leurs engagements au moment de la Révolutioe. Toutefois, comme elles s'étaient maintenues nominalement, un curé de Lévignac, en l82S, en réforma le règlement. Il réduisit le nombre de torches que la fabrique devait fournir pour les services des frères défunts. Il stipula que les caisses des confréries seraient désormais confondues avec celles de la fabrique et qu'il fallait faire partie de trois confréries à la fois. Les seuls avantages qui resaient aux confrères étaient les torches, la bannière portée à l'enterremet et les messes basses dites après la mort. Aujourd'hui ces anciennes confréries ne comprennent plus[366]que soixante-dix membres, unis par un faible lien religieux. Une messe basse est dite par les confrères à St-Roch, à St-Jacques et à l'octave du 5 aout. Les enterrements des confrères ont lieu avec un certain éclat. Une messe est dite dans les mêmes formes le septième jour et un an après la mort. D'autres confréries ont été créées depuis lors et comptent aujourd'hui de nombreux adhérents. La confrérie du Sacré-Cœur a été fondée le 6 juillet 1857. Les conditions exigées sont de mener une conduite régulière, de payer un franc par an, et de s'approcher des sacrements. A l'enterrement des confrères, on pcrte une croix ainsi que la bannière de la confrérie. Un drap mortuaire est fourni par les confrères qui supportent également les frais de la messe chantée après la mort.
Une association spéciale aux jeunes filles a reçu la désignation d'association des Enfants de Marie. Les principales obligations consistent à observer une conduite particulièrement chrétienne, à s'appocher des sacrements une ois par mois, et à assister tous les seconds dimanches du mois à une réunion où le curé fait une instruction. La confrérie est administrée par la directrice, personne âgée, par une présidente, aidée de deux assistantes, et par un conseil composé de six membres, choisi dans les différents quartiers de la paroisse. La fête de la congregation est le jour de l'immaculée conception. Les réceptions se tiennent deux fois par an, ce jour là et le jour de la fête du Saint-Sacrement. C'est également le jour de l'immaculée ccnception que se font les élections de la présidente et des ares dignitaires. Elles occupent une place distincte dans l'église et chantent aux oflices. IPour subvenir aux dépenses, une cotisation annuelle de 50 centimes est versée. Lorsqu'une des associées se marie, ses compagnes achètent la couronne. En cas de mort, elles assistent toutes à l'enterrement.
Il existe encore à Lévignacq les confréries du Rosaire, du MontCarmel, de la Propagation de la Foi et de la Sainte-Enfance.
Une autre association s 'est fondée dans un but exclusif de bientaisance. Pour faire disparaitre la mendicité, on engagea les propriétaires à souscrire une somme dont la quotité était laissée à la volonté de chacun. Une société de mères de famille, choisies dans les différents quartiers de la paroisse, distribuait ces secours. Cette société ne tarda pas à prendre un caractère religieux ; elle adopta pour fête la Présentation de la Sainte-Vierge. Mais, au bout de peu de temps, les cotisations se ralentirent parce que la commune continuait a être sillonnée de pauvres étrangers demandant l'aumône. Craignant de manquer de ressources, l'association s'adjoignit alors plusieurs nouveaux mem[367]bres qu'elle recruta parmi les femmes des propriétaires aisés. Elles s'engageaient à verser une cotisation annuelle. L'association secourt en moyenne sept ou huit pauvres à domicile. Elle possède une rente de cent cinquante francs placée au nom de la commune.
La paroisse de Lévignacq se montre aujourd'hui plus attachée aux pratiques religieuses qu'au commencement du siècle (3). Les paroisses du Marensin et des Grandes Landes avaient en effet beaucoup souffert de la Révolution au point de vue religieux. Lorsque le culte fut restauré, les prêtres les plus distingués par leurs vertus et leur savoir furent placés dans les paroisses de la Chalosse. Les premiers ecclésiastiques au contraire qui furent envoyés dans les autres parties du département avaient subi l'influence des idées nouvelles. Leur zèle s'était affaibli pendant la tourmente révolutionnaire, et ils ne s'occupèrent des àmes confiées à leurs soins qu'avec beaucoup de tiédeur. Ainsi un curé, qi séjourna longtemps à Lévignacq dans la première moitié du siècle, exerça une très mauvaise influence par son indulgence excessive. En 1835 par exemple, trois femmes seulement s'approchèrent des sacrements le jour de Noèl, et il n'y eut pas plus de l35 habitants sur une population de 800 ames qui remplirent le devoir pascal. Vers la même époque, un saint évêque, se rendant compte de la gravité du mal et de la nécessité d'y porter remède, it appel au èle de ses meilleurs pasteurs, pour les envoyer dans les paroisses des Landes plus ignorantes que gàtees. Les premiers prêtres qui se montrèrent plus eiggeants et plus sévères rencontrèrent de grandes diflicultés dans l'accompissement de leur tàche ; mais, par leur zele et leur énerggie, ils triemphèrent des obstacles amoncelés sur leur route. Les populations revinrent aux pratiques religieuses. Des sentiments d'indifférence ou d'hostilité se coOnservèrent seulement dans certaines régions de la bourgoisee.
Un fait analogue a été observé à une autre extrémité de la France. Dans plusieurs communes d'un département de l'Est, aujourd'hui complètement désorganisées, l'indifférence sinon l'hostilité est le trait dominant de la population enatière religieuse. Or, une des causes qui ont contribué à amener cet etat de choses a été l'insfisance des secours religieux le lendemain de la restauration du culte. Les prêtres qui furent chargés de ces paroisses avaient prèté sermet à la consitution civile du clergé. Ils ne cherchèrent pas énergiquenet à ramener au bien les populations privées pendant si longtemps de tout exercice religieux et les efforts des ecclésiastiques qui leur succédèrent furent impuissants à ramener la foi remplcée par le culte des erreurs nouvelles.
§ 22. — SUR LES HEMNotes.
[368] Les henotes ou petites femmes se rencontrent à Lévignacq et dans plusieurs villages du Marensin. Ce qui en motive, dit-on, l'existence, c'est le désir pour les propriétaires d'avoir toujours à leur disposition une journalière, principalement pour l'époque des grands travaux agricoles, les hommes se consacrant à l'exploitation des pins. Ils la logent donc pour cela auprès de leur maison, soit dans le carriou, soit à une extrémité du domaine, et, dans le prix du loyer, stipulent tojours la redevance d'une journée par semaine.
Malheureusement, ces hemnotes, jeunes filles ou femmes isolées, sont exposées à tomber dans l'inconduite. Ce fait se rencontre surtout chez les propiétaires aisés, sur le domaine desquels se trouvent quelquefois jusqu'à trois hemnotes.
La servante du loggis, fille le plus souvent d'une hemnote, trouve diflicilement à se marier à cause de la tache de son origine et de la modicité de ses gages. Enviant alors le sort de l'hemnote, elle exploite le propriétaire ou son ils de manière à s'assurer ses bonnes grà̂ces. Mais le plus ordinairement ceux-ci abusent de leur autorité pour détourner du devoir les fenmes vivant sans famille sur leur domaine.
Dans la première moitié du siècle, le mal avait atteint un degré extrême d'acuité. En 182, par exemple, a Lévignac, il y avait 17 enfants légitimes contre l8 enfants naturels.
Les hemnotes transormaient alors leurs maisons en véritables lieux de débauche et s'attachaient de préférence à corrompre des enfants de seize ans. A cette immoralité précoce correspondait un amoindrissement de la race. .Jus pu'a seize ans, les jeunes gens annoņaient de bonnes dispositions mais alors leur intelligence, comme leurs forces physiques, commençait à s'altérer.
Depuis, sous l'influence d'une direction religieuse plus ferme, le mal a été sans cesse en décroissant. Ajoutons du reste qu'il se présentait moins fréquemment dans les domaines des paysans. Les personnes appartenant à la classe bourgeoise donnaient surtout l'exemple de ces scandales.
En 1879, le registre de l'état civilrelevait 5 naissances illégitimes sur un total de 25 naissances ; en 1880, 6 naissances illégitimes sur un total de 27 naissances. Dans la première année, quatre naissances illégitimes provenaient d'hemnotes, la cinquième d'une couturière. Dans la seconde année, trois hemnotes se trou[369]vaient parmi les filles-mères, deux autres étaient des servantes, la sixième était la fille d'un fermier.
Les habitants du pays constatent généralement que les hemnotes sont laborieuses et rendent d'utiles services à l'occasion des grands travaux.
En résumé, l'existence des hemnotes tient aux conditions particulieres suivant lesquelles l'exploitation des domaines est constituée. Dans la Grande Lande où le métayer s'occupe autant de la culture des champs que du gemmage des pins, les hemnotes ne se rencontrent pas comme dans le Marensin à l'état d'usage, fort ancien du reste.
§ 23. — SUR LES HABITUDES DE CHASSE CONSERVÉES PAR LES HABITANTS DE LA COMMUNE DE LÉVIGNACQ.
Les membres de la famille trouvent dans la chasse une de leurs plus grandes distractions. Ils s'y livrent a toute époque de l'année, sans respecter les lois qui l'interdisent pendant plusieurs mois ou n'accordent le droit de chasser que moyennant la délivrance d'un permis. Cependant le paysan des Landes manitfeste un grand respect pour l'autorité ; penchant touiours du côté du gouvernement, il n'aime pas entrer en révolte contre lui et, dans les élections, vote de préférence pour les candidats qu'il lui désigne.
Jusqu'ici les habitudes de chasse sont demeurées tenaces parmi les Landais, et la surveillance des agents de l'autorité a été impuissante à les régulariser. Dans ces solitudes où parfois une maison ne s e rencontre pas sur une étendue de plus de deux lieues et où les bois de pins ne présentent aucun caractère distinctif, la surveillance est, il est vrai, facile à déjouer. Lorsque les chasseurs aperçoivent les gendarmes, ils s'enfuient dans les bois dont ils connaissent les moindres détours et au milieu desquels, malgré la monotonie des lieux, ils savent toujours se guider. Les gendarmes, avec leur uniforme lourd, les atteignent avec peine; ils s'égarent facilement et toute la population, complice des chasseurs surpris, parvient à dérober les coupables aux recherches des agents de la force publique. L'imagination populaire conserve même le souvenir de quelques anecdotes dans lesquelles les chasseurs surpris ont été soustraits par des maneuvres ingénieuses à une arrestatio imminente.
Les principaux gibiers tués sont la palombe ou pigeon ramier, (Coloba padubus Lin.) oiseau de passage, s'arrètant sur les chenes pour en manger les glands, le roquet (ˉCotua livia Briss.),[370]offrant égralement une grande ressemblance avec le pigeon, la hécasse (Scolopac usticola Lin).
IIabitués dès leur jjeunesse à la chasse, les Landais acquièrent une rande habileté dans le maniement du fusil. Aussi, lorsqu'ils arrivent au réggiment, ils obtiennent les prix accordés aux meilleurs tireurs. De plus, comme ils sortent de familles où le respect n'est pas encore perdu et où les habitudes d'obéissance se sont maintenues, ils forment d'excellents soldats, disciplinés, rompus aux fatiggues, treurs habiles et sachant se contenter de peu.Au bout d'un temps très court, ils arrivent au grade de sergent. Toutefois l'esprit militaire semble éteint chez eux comme dans une trop grande partie de la France. Malgré tous les efforts des colonels pour retenir d'aussi précieux sous-oficiers, ceux-ci ne restent pas au régiment. Les Landais appartenant à des familles désorganisées aspirent à entrer dans des emplois civils. Ceux qui au contraire ont conservé, avec l'attachement au foyver, le goût des occupations rurales veulent retourner à la maison paternelle. usqu'ici les efTorts tentés par les pouvoirs publics, pour prévenir cet amoindrissement de nos forces militaires, ne semblent avoir eu qu'une médiocre eflicacité9.
En ce qui concerne la conservation du gibier, des faits analogrues à ceux qui ont été observés dans le département des Landes ont ramené souvent i'attention sur les résultats des lois restrictives dudroit de chasser. On a soutenu qu'elles étaient inefficaces et même nuisibles, que lorsque chacun aurait la permission de chasser en tot temps, il aurait par là même un intérêt direct à la conservation du gibier. Aujourd'hui au contraire, les personnes trop peu aisées pour payer un permis s'appliquent à detruire le gibier de mille manières. Elles y ont même un intérêt direct aux époques prohibées. Les dispositions de la loi créent alors pour les produits du braconnage une plus-value qui agit comme une prime d'encouragemen. On s'est demandé s'il y a intérêt à multiplier les prescriptions législatives qui, n'assurant pas le respect d'un principe moral, sont plus facilement violées par les populations. La multiplicité de ces règlements transggressés sans remords afaiblit ainsi peu à peu le prestige de la loi.
L'auteur de la monoggraphie du Manœuvre-vigneron de l'Aunis a développé cette idée et vivement réclamé une modification de la loi sur la chasse. Il voudrait que le paysan qui prend un fusil pour se distraire en allant visiter ses champs, n'eùt pas de permis[371]de chasse à payer. Si vous l'imposez, dit-il, il renoncera à ce plaisir innocent et utile à la santé, et ira chercher d'autres distractions au cabaret10.
Dans le département des Landes, si, malgré la violation constante de la loi sur la chasse dans le Marensin, le gibier n'a pas encore été détruit, cela tient aux conditions particulières du pays. La population est très peu dense et les agglomérations sont fort éloignées les unes des autres. Les villes où les paysans seraient assurés de trouver l'écoulement fructueux du produit de leur chasse sont en outre situées à une distance trop éloignée. Dans d'autres conditions, on verrait sans doute se produire les faits constatés pour les campagnes avoisinant nos cités : le gibier et le poisson détruits par des braconniers qui retiret de cette industrie illicite un bénéfice relativement considérable.
Jusqu'ici l'expérience semble donc conclure en faveur du maintien des lois sur la chasse au point de vue de la conservation du gibier.
Des sociétés de tir ont été également formées dans le département des Landes. Ces sociétés contribuent encore à donner aux jeunes gens des Landes une grande habitude du 1usil. Elles leur procurent une distraction plus salutaire que celle qu'ils iraient chercher au cabaret. Dans un département où la famille n'a pas encore été profondément désorganisée, ces sociétés n'ont produit que d'heureux résultats. Les jeunes gens bien disciplinés au foyer paternel demeurent peu accessihles aux mauvaises influences qui essaieraient de s'y exercer.
§ 24. — SUR LES PARTAGES D'ASCENDANTS.
I° — Nature et utilté du partage d'ascendants. — Les familles landaises qui ont à cœur de prévenir le morcellement du domaine prescrit par la loi, et d'en assurer la transmission a l'un des enfants, ont recours aux partages d'ascendants. Rarement le chet de la famille laisse un testament. Il croit atteindre plus sûrement son but en partageant, dans ses derniers jours, sa fortune entre ses enfants. Contenus en effet par l'autorité paternelle, ceux-ci n'oseront pas attaquer les dispositions contre lesquelles de mauvais conseillers exciteraient leur défiance. Plus tard, lorsque l'auteur du partage aura cessé de vivre, ses défiances[372]seront peut-être calmées. Ils rougiront d'attaquer un acte auquel ils auront donné leur assentiment en pleine connaissance de cause, et des contestations qui auraient éclaté le lendemain de l'ouverture de la succession seront prévenues par la présence du père. De plus, les enfants seront moins exposés à recevoir les conseils intéressés de ces hommes d'affaires qui ont intérêt à exciter les héritiers les uns contre les autres. La rédaction d'un acte de partage appelle peu leur attention ; elle est faite dans le sein de a famille et souvent même le père évite d'en révéler les dispositions.
Aussi a-t-on toujours reconnu au partage entre-vifs l'avantage d'arrèter les discussions dans lesquelles disparaissent, avec la paix de la famille, des sommes qui auraient été plus utilement coOnsacrées à assurer l'avenir des heritiers. Mais, si même cette raison ne suflisait pas pour recommander le partage entre-vifs à la justice et à la bienveillance du législateur, il devrait encore étre favorisé comme une nécessité à laquelle il est diflicile de se soustraire. Lorsque le che de famille arrive à la vieillesse, il devient incapable de mener la vie active et laborieuse qu'exige l'exploitation d'un domaine. A-t-il alors la ressource d'appeler auprès de lui un de ses enfants et de le constiter son associé Dans les familles qui se plient aux exigences de la loi, l'enfant manifeste une répugnance bien naturelle à se rendre à cet appel. Il n'est pas assuré que la terre à laquelle il aura consacré ses eforts lui revienne, les limites imposées à la quotité disponible ne permettant pas au père de récompenser l'enfant selon le concours dévoué qu'il lui aura prèté. Le chet de famille se trouvera donc contraint d'avoir recours à des bras mercenaires qui suppléeront à son activité éteinte. Mais peut-être ne sera-t-il pas en mesure de donner une rémunération suflisane aux étrangers chargés du travail que ses bras fatigués ne sont plus capables d'accomplir, et, e s upposant même que l'étendue de ses ressources lui permette d'userde cette combinaison, elle ofrira toujours le grave détaut de livrer sans surveillance une exploitation agricole à des domestiques.
Il ne reste en définitive au propriétaire qu'un seul moyen d'éviter une vente qui ne tarderait pas à s'imposer à lui, c'est de répartir sa fortune entre ses enfants, de leur ransmettre une propriété qu'il n'a pus la force de conserver.
Le partage d'ascendants répond à de telles nécessités qu'il a été de tout temps pratiqué. Le droit romain s'en est occupé ; on le retrouve dans les ormles et 'apitulaires et, aujourd'hui, le partage est un acte en usage dans toutes les parties de la[373]France, quel que soit le système qu'elles aient adopté au sujet de la transmission des biens.
Dans ces partages11, le père répartit sa fortune moyennant certains avantages stipulés en sa faveur. Tantôt, comme dans la famille décrite, il reste dans la maison, chef respecté d'une famille qui s'incline toujours devant son autorité. 'antôt, il stipule le paiement d'une pension viagére. l'antôt, chacun de ses enfants s'engage à subvenir à ses besoins et à le loger à tour de rôle.
MIalheureusement, si le département des Landes conserve, au oOins dans les familles de paysans, le respect de la loi de Dieu et l'attachement à la tradition, il existe en France des régions où les intérêts matériels dominent dans les àmes. Le culte de l'argent, la soif inextinguible du gain étouffe toute autre considération et la relirion oubliée est impuissante à maintenir dans des cœurs pervertis le respect de la loi divine. L'autorité paternelle n'est considérée que comme une grène insupportable vis-à-vis laquelle il est inutile de garder des ménagements, dès qu'aucun avantage n'est plus attendu. Aussi les enfants qui ont reçu les biens du père de famille refusent-ils trop souvent d'exécuter les clauses moyennant lesquelles ces biens leur ont été attribués, ou tout au moins apportent-ils dans l'accomplissement de ces conventions une mauvaise volonté quasi-invincible.
Le père et la mère12se réservent fréquemment une pension dans les actes de donation. La crainte de voir révoquer la donation oblige seule les enfants à exécuter cette clause. Beaucoup de pères ou de mères de famille sont réduits à s'adresser aux tribunaux pour obtenir de leurs enfants la somme que ceux-ci s'étaient engagés à payer. Le père, devenu vieu et empèché de travailler par ses infirmités, est trop sovent une charge pour ses enfants. Ces faits se reproduisent plus nombreux dans d'autres régions surtout dans les villages à banlieue morcelée du Laonnais, du Soissonnais, de la Champagne et de l'Ile de France.
L'auteur de la Monographie du Maitre danchisseur de Clicg a dépeint avec énergie les sentiments contre-nature et les luttes[374]impies que ces meurs déplorables 1ont naitre jiusque dans le sanctuaire de la famille, où les lois divines et humaines assurent ailleurs un refuge contre les atteintes de l'antagonisme13. Bien des enfants qui se sont engagés à loger chacun à leur tour leurs parents, refusent d'exécuter cette clause, et ceux-ci sont obligés d'ahandonner le toit inhospitalier de ces fils ingrats.
Lévignacqet les communes avoisinantes ne sont généralement pas aflligées de pareils scandales. La religion exerce encore une influence eflcace sur la direction morale des familles, et la passion du gain ne s'est pas emparée exclusivement des esprits. Toutefois, à la suite des partages, si le père abandonne la maison au fils chargé de la conserver, il se retire dans un appartement pris à location. Il subit par là un amoindrissement de position funeste au prestige de l'autorité paternelle.
Quant aux faits d'ingratitude que nous avons relatés plus haut, les partages d'ascendats ne doivent pas être considérés comme en étant respons ables. S: des parents âgés sont atteints d'infirmités qui les condamnent au repos, il faut nécessairement que leurs enfants viennent à leur aide. Ou ils seront dans l'obliggation de leur servir une pension qui compensera pour le père et la mère la perte résultant d'une inaction forcée ; ou ils devront les recueillir chez eux et l'ingratitude d'enfants irrespectueux se manifestera aussi hien dans ce cas que si le père de famille avait procédé à un partage entre-vifs. Ils montreront même d'autant plus d'impatience à se débarrasser de cette charge sacrée que le jour ou elle ne pésera plus sur eu sera celui ou ils recueilleront l'héritage ; le jour de la mort du père sera attendu comme un jour de délivrance. Lorsque le respect de la loi divine est efacé des cPrs, ous les faits sociaux mettent à nu les sentiments odiux des individus. quelles que soient les circonstances au ilieu desquelles ils se trouvent.
Nous n'en devons pas moins voir dans le partage d'ascendants un précieux instrument pour les chefs de famille. En diminuant les chances de contestations ruineuses entre les enfants, en empèchant les exploitations agricoles d'ère ruinées par un partage inintelligent, il rend d'incontestables services à l'agriculture.
Quel sort la loi lui fait-elle 4 Commet a-t-elle favorisé une opération si utile et, dans ien des cas, d'une impérieuse nécessité 8 Tels sont les points que nous allons maintenant examiner.
[375] 2° — ˉLa loi et la jurisprudence. — Le partage d'ascendants a pour but de faire passer aux enfants la propriété que le père n'est plus en état de conserver. Il ne produira donc tous ses fruits que si les copartagés, investis d'une véritable propriété, continuent l'exploitation en toute sécurité et ne sont pas exposés à des revendications ultérieures qui frapperaient leurs efforts de stérilité.
Or, notre Cole semble avoir accumulé à plaisir les mesures qui rendent précaire la situation des copartagés. D'abord le partage peut être attaqué, s'il y a eu lésion de plus du quart, et il peut l'être par ceux-là mêmes qui l'auront accepté. Un enfant aura donc profité des libéralités paternelles, il aura donné son consentement à l'acte que le père avait rédigé pour prévenir une dispendieuse liquidation de succession, puis, lorsqu'il jiugera le moment favorable à ses interèts personnels, il intentera une action qui, remettant tout en question, jettera le plus grand trouble dans la famille.
Les dangers de l'action laissée aux copartagés, malgré leur libre consentement, seraient au moins atténués si la loi avait admis un délai très court pendant lequel elle pût s'exercer. Mais, elle s'exercera pendant trente ans. Dans tout le cours d'une période si longue, une incertitude absolue pèse sur les copartagés. Aucun fait ne les met à l'abri d'une demande en rescision, et, après avoir joui de leur propriété comme si elle leur éait pour toujours assurée, ils peuvent se trouver face à face d'une attaque en nullite qui, produite au bout de 29 ans, les obligera à soutenir un procès hérissé de diflicultés. Comment en ellet retrouver tous les documents qui donneront au tribunal le moyen de distinguer la vérité Si tous les papiers de famille n'existent plus, il faut alors recourir à des expertises dont le coùt ne tarde pas à monter à un chiffre élevé. Ainsi la famille Mélouga a été dissoute par une demande en rescision d'un partage fait en 1835, demande intentée au moment ou la prescription trentenaire allait expirer. Le récit des luttes qu'elle dut soutenir, des frais qu'elle eut à payer, des incidents multipliés qui marquèrent un procès diflicile a déjà été tracé14. A la suite de ce combat judiciaire, la famille a été ruinée, et l'union qui s'était jusqu'alors conservée entre tous les enfants s'est rompue. Tel sera toujours le résultat des procès intentés dans les conditions que la loi autorise.
Ces deux clauses, déjà si dangereuses, reçoivent une aggravation[376]par l'époque que la loi fixe pour l'estimation de la valeur des biens dans un procès suscité pour cause de lésion. Les biens ne seront pas estimés d'après leur valeur au moment du partage, mais d'après leur valeur au moment de l'ouverture de la succession. Par cette mesure, la loi décourage le zèle des copartagés, les améliorations qu'ils auront réalisées sur ler domaine présent étant rapportées dans la masse générale des biens soumis à un partage nouveau.
Le copartagé devra même éviter de se livrer à un travail trop opiniâtre, de réaliser sur sa propriété de trop nombreuses améliorations ; il redoutera les évènements fortuits qui accroitront la valeur de son domaine. Car si un des copartagés s'apercoit de cette plus value, il pourmra intenter un procès pour cause de lésion avec de grandes chances de succès, puisque le domaine, estimé d'après sa valeur le jour de l'ouverture de la succession, vaudra plus qu'à l'époque du partage. Le propriétaire évincé aura travaillé pour autrui, son labeur lui ara nui. Ainsi la loi constitue une prime à la déloyauté ; elle accorde toutes ses faveurs à l'héritier qui, reniant son consentement au partage, détruit par sa mauvaise foi la sécurité de la famille.
Il est cependant un principe juridique universellement admis, c'est que la chose périt, décroît ou s'augmente pour le propriétaire. A propos des partages d'ascendants, la loi écarte ce principe, bien que le caractère essentiel du partage est d'ètre une transmission anticipée de la propriété ; du jour où ils ont donné leur consentement, les copartagés sont devenus de légitimes propriétaires.
Ces dispositions apportent déjià des entraves considérables aux partages d'ascendants,; elles n'ont pas encore sufli aux yeux de la jurisprudence qui, par des exigences nouvelles, s'est efforcée de les rendre impossibles.
L'article 1070 déclare que les partages peuvent être attaqués pour cause de lésion. La jurisprudence a ajouté une autre cause de nullité, c'est la violation des articles 826 et 832 qui exigent que les parts soient composées d'une manière égale de meubles et d'immeubles. La discussion préparatoire du Code civil montre cependant que les législateurs n'avaient pas songé à introduire cette cause de nullité. Ainsi Bigot de Préameneu dit que le père peut éviter des démembrements, conserver à l'un de ses enfants l'habitation qui pourra servir d'asile commun : qu'il peut combiner et en même temps réaliser la répartition la plus équitable et la plus propre à rendre heureux chacun de ses enfants. C'est réellement reconnaître au père de famille le droit[377]de composer les lots comme il l'entend, sans être arreté par les prescriptions des articles 826 et 832. On ne peut, dit à son tour Joubert, prévoir que deux cas : ou le père n'a fait qu'un partage ou il a fait une disposition par préciput. Dans le premier cas, l'acte ne pourra être attaqué, que pour lésion de plus du quart ; dans le second, il pourra l'ère toutes les fois que le père aura été au delà de son droit de disposer. .
Dans la pensée des rédacteurs du code, l'énonciation de l'article 1079 était donc limitative. Un partage ne pouvait être attaqué, du chef de la composition des lots, que pour lésion de plus du quart. Le père était libre de composer les lots, de la manière la plus équitable et la plus propre à rendre heureux ses enfants. En lui retirant cette faculté, la jurisprudence expose tous les partages aux dangrers d'une rescision. Il n'y en a pas un dans le département des Landes qui, devant la justice, échapperait à la rescision.
Cette exigence amène en outre des résultats que le bon sens réprouve. n père de famille par exemple, qui n'a qu'un enfant, a le droit de faire donation à un étranger de tous ses immeubles et d'atribuer a son fils tous ses meubles. L'acte est irréprochable, et, après la mort de son père, l'enfant ne sera pas admis à intenter une action contre l'étranger, pour violation des articles 826 et 832. En revanche, si le père a deux enfants, il ne lui sera pas permis dans son partage entre vifs d'user de la même faculté. Les lots devront être composés non-seulement d'une manière égale, mais encore d'une manière identique.
Lorsqu'un partage est attaqué soit à cause de la composition des lots, soit du chef de l'omission d'n enfant, lajurisprudence refuse aux copartagés le droit d'arrêter l'action en désintéressant l'enfant omis ou le cohéritier lésé. Elle exige qu'un nouveau partage, c'est-à-dire de nouveaux frais, aient lieu. Les biens doivent être rapportés dans la masse générale et, pour recommencer l'opération, il est nécessaire de procéder à des expertises dispendieuses. Pourquoi denie-t-elle aux enfants déjà pourvus, le droit d'arrêter des poursuites qui introduiront dans la famille une si grave perturbation 4 Il est, dit-elle, du principe de la réserve d'être prise sur les biens héréditaires dont se compose la succession. Ainsi la sécurité des propriétaires, la stabilité des familles sont sacrifliées à un principe-purement théorique et qui ne s'appuie sur aucune considération d'ordre moral. Lorsqu'on étudie les faits d'après une méthode d'observation rigoureuse, Il est impossible de trouver la justification d'une décision aussi contraire au bien-être des familles.
La jurisprudence décide également,comme conséquence logique[378]du principe cité plus haut, que le partage annulé complètement ne vaut même plus comme donation en à-compte d'hoirie. Toutes les aliénations consenties par les copartagés, propriétaires apparents seulement, sont déclarées nulles.
Aux prescriptions de la loi, aux décisions de la jurisprudence sont venues s'ajouter les prétentions du fisc. Le partage d'ascendants est grevé d'un droit ixe de l franc pour cent, drcit qui est le même que celui dont est frappée une succession en ligne directe. Peut-être ce droit dejà quelque peu élevé constitue-t-il une entrave à un acte qu'une loi, soucieuse de la stabilité des familles, se serait attachée à favoriser. Mais, depuis la loi de 1855 relative à la transcription, les copartagés doivent verser au Trésor un droit de 1 f. 50 pour cent qui, s'ajoutant au droit primitif, élève ainsi la somme due à 2f. 50 pour cent. Les cons équences de ces mesures fiscales sont faciles à prévoir. Ou les biens sont estimés à un taux très inférieur à leur valeur réelle, ou les copartagés ne transcrivent pas l'acte. Les deux faits se rencontrent dans la majorité des partages.
En un mot, telle est la rigueur de la législation relative aux partages que les actes, même les plus irréprochables en apparence, ne sont pas a l'abri de revendications judiciaires. Aussi un partage d'ascendants ne produit-il des avanages, que si les copartagés ne se soumettent pas aux prescriptions légales qui leur sont imposées. Le respect de la loi, c'est, en cette matière, la destruction des familles, le démembrement du domaine, l'incertitude de la propriété.
3° — Les Ueux e les cssais de rére. — Ces dispositions de la loi concernant les partages d'ascendants ont depuis longtemps provoqué de vives réclamations, aussi bien de la part des agriculteurs, des hommes pratiques, que de la part des jurisconsultes que n'aveugle pas le fétichisme du Code. Dans l'enquéte agricole de 1866, les veux des propriétaires se sont afirmés avec une grande précision, comme M. osseau le constate dans son rapport, un grand nombre de déposants appartenant à toutes les régions ont réclamé l'extension des facilités accordées aux partages entre-vifs. Ce qu'il y a au fond dans les partages d'ascendants, dit-il, ce qui les rend bons et utiles dans un grand nombre de cas, c'est que le père de famille, se survivant pour ainsi dire a lui-même par la pensée et prévoyant l'avenir dans l'intérêt des enfants qu'il aime, fait à chacun d'eux sa part et leur évite ainsi des désagréments et des dissentiments dans l'avenir. Quant au point de vue agricole, lorsque le père de famille ne peut plus cultiver par luimême, n'est-il pas essentiellement utile, au point de vue de la production, que sa terre soit labourée par ses enfants dont les[379]bras sont plus vigoureux, plus forts et dont l'intelligence est plus active 8 s
Résumant les vues des agriculteurs du département de la Dordogne, M. de Forcade faisait remarquer que les partages d'ascendants étaient fondés sur le désir des pères de famille de ne pas morceler l'exploitation de leur domaine. ppliqué à toutes les successions, toutes les familles, le principe contenu dans les articles 826 et 832, dit MN. Migneret, est donc un diviseur continu agissant sans cesse et agissant come tout fait absolu, sans discernement. C'est en vain que le père de famille aura laborieusement rassemblé, cultivé et constitué un domaine d'une certaine étendue ; s'il laisse plusieurs enfants, la loi du partage condamne ce domaine à la division ; le système de culture finit avec la propriéé à laquelle i s'appliqee, et le propriétaire nouveau recommence une seconde vre de cen(ralisation et d'économie aricole qui doit aussi inir avec lui. 'ette loi de division, rien ne peut y étre soustrai. Le pére de famille, même en se dépouillant de son vivant. même en amassnt. pour maintenir l'égalité, des valers mobilières équivalentes, ne peut prévenir la destruction de son œuvre. .
En conséquence, la commission supérieure demanlait que l'article 832, interprêté d'une manière si rigoureuse par la jiurisprudence, fut modifie de la manière suivante : ans la formauion et composition des lots, on doit éviter de morceler les héritages et de diviser les exploitations. Chaque lot peut être composé exclusivement ou en quantités diférentes de meubles ou d'immeubles, de drois ou de créances de même nature et valer. Le père de famille aurait recouvré par là une partie de sa lberté.
La règle relative a l'estimation des biens d'après leur valeur, non au moment du partage, mais au moment de l'ouverture de la succession, ne rencontra pas moins d'opposition chez les déposants. M. Migneret résuma ainsi, d'après les dépositions, la situation qui devait être faite au fils à la suite d'un prtage. Il faut, dit-il, que le fils investi du droit de propriété par le père de famille sache bien que la maison qui lui a été donnée, le chaump qui lui a été confié sont devenus, par l'effet de la démission lu père, sa propriété incommutable, qu'il peut s'y consacrer, y travailler, améliorer avec la certitude qu'aucune cause ne viendra le troubler. Or, loin de là, un grand nombre des procès intentés à l'occasion des partages sont provoqués par cette disposition concernant l'estimation des biens. Dans l'arrondissement de Villeneuve-sur-Lot, par exemple, il y avait eu dans un court espace de temps quatre-vingts demandes en nullité de partages[380]pour cause de lésion, uniquement fondées sur ce que les biens n'avaient plus, à la mort du père, la valeur qu'ils représentaient au moment du partage. Se rendant au vœu unanime des populations, la coanmission supérieure décida que l'estimation des biens devait désormais être faite, en cas de rescision, d'après leur valeur au jour du partage.
L'enquête mit également en lumière les plaintes que soulevait l'élévation du droit exigé par le fisc, pour les partages. Aussi, M. Jcsseau, dans son rapport consacré au droit de transcription, estimait-il d'après les faits constatés, que les quatre cinquièmes des partages d'ascendants n'étaient pas transcrits. Malgré ces fraudes universellement pratiquées, la suppressiondudroit proportionnel aurait entrainé, il est vrai, un deicit annuel de 500,000f. Mais ce déficit était plus apparent que réel ; car, en cas de suppression, il aurait été cempensé par le droit fixe de vingt-six mille partages qui reculent devant la transcription, à cause de l'élévation du droit, et par la vente du timbre des registres de transcription. Malgré la diminution du droit, M. .osseau calculait que l'Etat trouverait dans la reforme un benéfice 'au moins 300,000 francs par an. Il proposait de soumettre désormais les partages à un droit fixe de 1 franc15
Ces réclamations de l'opinion décidèrent le gouvernement impérial à présenter, en 1867, un projet de loi concernant les ventes judiciaires et les partages de diverses sortes. L'article 117 était ainsi rédigé. Les parties sont autorisées, lorsqu'il y a parmi elles des mineurs, des interdits ou des absents, purvu que les uns et les autres soient légalement représentés, à procéder à l'amiable aux opérations, liquidations et partages, sans qu'il soit nécessaire de tirer les lots au sort, ni d'observer l'article 832 du Code. s Comme cette loi ne fut pas votée par les 'hambres, le Ministère du 2 janvier présenta un projet qui se bornait à réformer les articles 826 et 832. L'exposé des motifs constatait que ces articles exagérés par la jurisprudence rendaient impossibles les partages d'ascendants.
Par là, aioutait l'exposé, est souvent dépréciee l'exploitation agricole qui, en raison, sinon en fait, forme un tout indivisible, chacune des parties contribuant à la prospérité des autres. L'assolement régrulier, l'emploi des instruments accélérateurs du travail, l'irrigation, le drainage et d'autres améliorations deviennent impossibles sur des parcelles exigiies. Si le père de famille voit d'avance s'anéantir l'œuvre de sa vie agricole par le[381]démembrement qui menace sa propriété à la mort, le fondateur d'une manufacture prévoit aussi qu'après lui elle sera détruite ou passera dans des mains étrangères. A quoi bon éviter les aventures d'une course trop rapide vers la fortune, et songer à créer une renommée pure et des relations qui puissent se transmettre et grandir par la durée, quand on pense que la maison ne sera que viagère 8 Ni la moralité, ni la prospérité de l'industrie, ni même l'intérêt d'ouvriers que dispersera la dislocation d'une fahrique et que le patron ménage moins quand il est instable, ne gagnent à cet état de choses ; les dynasties manufacturières sont moins nombreuses chez nous que dans d'autres pays également démocratiques. Les évènements du 1 Septembre empèchèrent le projet d'êre voté par les Chambres.
A peine l'Assemblée nationale de 1871 ut-elle réunie, que l'attention d'un grand nombre de ses membres se porta sur la réforme des dispositions les plus critiquées de notre législation successorale. Dès 1871, trois députés, MM. Lucien Brun, Baraggnon et MortimerTernaux prenaient l'initiative d'un projet de loi qui améliorait heureusement les prescriptions du Code civil relatives aux partages. Le projet supprimait dans tous les partages la règle de la similitude des lots entre eux, quant à la nature des biens. Le délai de la prescription contre l'action en rescision des partages pour cause de lésion, était réduit à deux ans. In cas de rescision, les lots devaient être estimés d'après leur valeur au jur du partage, et non d'après leur valeur lors de l'ouverture de la succession.
Quoique ce projiet ne touchàt pas à la question de la liberté de tester, il n'en soleva pas moins dans la traction de l'Assemblée la plus attachee aux idées nouvelles une résistance passionnée. M. Marcel Barhe déclara qu'il ne fallait pas toucher au Code civil sur lequel reposait toute la société moderne. Il fit appel à tous les prejuggés répandus en Frace depuis la évolution, et prit la défense de l'aricle 832 dont l'interprétation rigoureuse, fixée par la jurisprudence, était, à ses yeux, la seule garantie de l'égalite des partages. Malgré ces attaques, le projet fut pris en considération. Mais les préoccupations de l'Assemlée en ajournèrent indéiniment la discussion.
D'éminents juriscnsultes ont joint lers etorts à ceux des agriculteurs et des économistes pour demander la reforme des articles réglant les partages d'ascendants. Ainsi M. Iequier, présideat de Chambre à la cour d'Agen, dans son ˉ'aité têoiqe et prdique des partages d'ascendants,; M. IBarafort, président de Chambre à la cour de Lyon, dans son livre sur tc pardages l'ascedauts, ont démontré aec une grande force au[382]poin de vue jiuridique les contradicions et les iniquités de la loi sur cette matière. Leurs vux ont été résumés par M. Claudio annet dans son remarquable travail sur la réfore de la loi selon ˉlcs urisconsultes des pas ae fatillce-souche. La loi, en réalité, ne peut être justifiée que si elle se propose d'empêcher les arrangements du père avec ses enfants et d'imposer dans tus les cas une liquidation coùteuse.
4° — La réforme. — Les réformes que nous venons d'exposer constitueraient une heureuse amélioration de la législation actuelle ; mais elles ne préviendraient pas toute contestation à propos des partages. La réforme la plus eficce consisterait donc à considérer les partages d'ascendants comme des contrats synallagmatiques soumis aux règles du droit commun et aux seules causes de nullité qui peuvent êtres invoquées dans les contrats ordinaires. Ainsi aucune action ne pourrait être intentée du chef de lésion de plus du quart. Le consentement donné par les enfants couvrirait tout; ils ne seraient plus recevables à critiquer l'acte auquel ils se seraient associés. Toutefois, si un des enfants avait été omis, il serait autorisé à attaquer le partage ; mais les copartagés pourraient arrèter cette action endésintéressant l'enfant omis par le paiement d'une soulte en argent. Il n'y aurait pas lieu de considérer comme nulles les opérations du premier partage et de le recommencer.
Mais, si cette réforme paraissait s'écarter trop radicalement du système suii jusqu'alors, il serait néces saire de reprendre celles qui étaient proposées par le projet de loi de M. Lucien Brun, d'après les vux unanimes recueillis dans l'enquète agricole. La longue durée du délai pendant lequel le partage peut être attaqué demande avant tout à être abréggée. Ce délai devra être réduit à deu ans ; dans cette période de temps les copartagés ont toute facilité pour se rendre compte de la valeur des biens qui leur sont atribués. L'abréviation des délais a pour résultat de diminuer l'importance de l'aricle relati à l'époque choisie pour l'estimation de la valeur des biens.
La loi néanmoins contiendra l'inscription de cette règle prescrite par la justice et le bon sens : en cas de rescision d'un partage d'ascendants, les biens seront estimés d'apres leur valeur au moment du partage.
La jrisprudence ayant fait application aux partages d'ascendants des dispositions contenues dans les articles S26 et 832, le législateur devra décider que cette application, qui n'était pas dans la pensée des rédacteurs du Code, a été faite à tort. Il se prononcera également contre la décision de la jurisprudence[383]refusant aux copartagés le droit d'arrêter l'action par le paiement d'une soulte et inscrira cette faculté dans la loi.
Enfin les réformes de la législation relative aux partages d'ascendants se complèteront par l'abaissement des droits fiscaux. Comme le proposait M. .Josseau dans son rapport sur les résultats de l'enquète agricole, le droit proportionnel de1 fT. 50 p. 100 serait supprimé ; cette mesure amènerait pour le Trésor un bénéfice de 300,000 francs.
Telles sot les réformes que réclame le Code dans la partie consacrée aux partages d'ascendants. Elles seront accueillies avec reconnaissance par les propriétaires, et surtout par les petits propriétaires. Une opinion erronée représente les habitants des campagnes comme acceptant avec enthousiasme les dispositions de notre législation successorale et n'appelant de leurs vœux aucune réforme. Or, l'exemple de la famille que nous avons décrite ne demeure pas isolé. Dans toute la région, les pères de famille et les enfants s'efforcent de prévenir le morcellement de l'exploitation, morcellement qui, dans les Landes, rendrait impossible toute exploitation. Le fait a du reste déjà été signalé, le Midi a engagé une lutte infatigable et tenace contre le partage forcé. Mème dans les régions où les coutumes de transmission integrale n'existent pas, la réforme sera également appréciée et par les pères et par les enfants. Sans créer aucune contrainte nouvelle, elle assurera un plus libre jeu aux intérêts
Avec la legislation actuelle, les copartagés n'ont que le choix entre ces deux alternatives : respecter les exigences minutieuses de la loi ou consulter avant tout leurs intérêts. Dans le premier cas, le partage est impossible ; dans le second, il expose à des revendications ruineuses.
§ 25. — SUR LES CAUSES QUI TENDENT A DÉSORGANISER LES POPULATIONS LANDAISES.
Nous avons eu lieu de signaler (22) dans les murs de Lévignacq, depuis le commencement du siècle, une amélioration certaine due au zèle des différents pasteurs de la paroisse. J'ajoute volontiers que les habitants sont revenus en plus grand nombre aux habitudes religieuses (21). Mais, en prés ence de cette amélioration toute locale, il convient de mentionner l'ensemble des causes qui tendent à désorganiser les populations landaises.
Malgré la lutte que les peres de famille soutiennent pour main[384]tenir, en matière de successions, la coutume que condamnent les prescriptions de la loi, la famille-souche, là comme en d'autres contrées de notre pays, a perdu ses garanties séculaires d'existence. La permanence du foyer, si nos lois de partage forcé subsistent sans modifications, est destinée à disparaitre. La famille landaise passera tôt ou tard au type instable (24). Elle ne conserve plus la stabilité que par des combinaisons ou la volonté du père est exécutable seulement en cas de parfaite entente de tous les enfants. L'existence de mineurs au moment ou s'ouvre une succession rend cet accord impossible ou plein de dangers pour l'avenir. puisque la loi considère cette entente comme une. sorte de complicité dont elle infirme les effets. Puis, cette harmonie est toujours ditlicile à maintenir lorsque les sœurs de l'héritier sont mariées. On a déjà observé que les résistances viennent ordinairement des filles représentées par leurs maris16. Le même fait se produit dans les Landes, et ces résistances se multiplient d'autant plus qu'un mouvement d'émigration très accusé entraine les jjeunes gens vers les villes. Les jeunes filles snt heureuses de devenir les femes de petits fonctionnaires ou employés dont elles considèrent la position comme supérieure à celle de paysan. De plus, elles aiment mieux l'existence de la ville qu'elles trouvent plus brillante et qu'elles s'imaginent plus facile. yant puisé au foyer paternel des habitudes de travail, elles apportent en se mariant une régularité et un ordre qui soutiennent le petit ménage. Mas si le mari se livre à la dissipation, la femme se laisse envahir par l'amor de la toilette et les emharras srviennent. Pour laire face à ses dépenses excessives, le ménage n'hésite pas à réclamer la part d'héritage légalement exigible et brise ainsi un foyer auquel il ne reviendra plus s'asseoir.
De nombreux trains de plaisir étant orgganisés à l'occasion des foires de Bordeaux, beaucoup d'habitants en profitent, et les jeunes filles, dans leur court séyour au milieu de la grande ville, aperçoivent leurs compagnes revètues de vete-ments coquets. Séduites et par ces avantages extérieurs et par les gages élevés qui sot donnés aux domestiques, elles ahandonnent à leur tour les travaux de la campagne. Beaucoup d'entre elles vont se placer comme domestiques, soit à Bordeaux, soit à Arcachon. Là, isolées de la famille, abandonnées sans surveillance aux tentations de toutes sortes, elles tombent trop souvent dans l'immoralité.
[385] Chez les jeunes gens, cette répugnance pour les travaux ruraux se manifeste non moins vivement. Tantôt c'est dès la sortie des écoles primaires et avant l'entrée au régiment ; tantôt c'est après les années passées au service. En quittant l'armée, beaucoup d'entre-eux cherchent à entrer dans les administrations publiques. La ualité d'employé les élève à leurs yeux dans la hiérarchie sociale. Les ns se placent dans la Compagnie du Midi ; les autres dans l'administration forestière ou douanière ; quelques-uns recherchent la gendarmerie.
Le développement de l'enseignement primaire éveille dans l'esprit des jeunes gens des deu sexes le désir d'abandonner le travaux des champs ; les paysans se plaignent que depuis que leurs fil'es se livrent à des travaux de couture perfectionnés, ou ont contracté l'habitude de lire, elles manifestent une vive répugnance pour les occupations qu'elles acceptaient autrefois sans murmurer.
Dans la monographie du Bordier de la Basse-Bretagne, M. Le Play observait que l'introduction d'un système perfectionné d'enseignement considéré comme moyen essentiel d'éducation, peut provoquer dans l'rdre moral de regrrettables changements. Elle est dangereuse quand elle fournit aux populations l'occasion de s'imprégner de sentiments ostiles aux institutions traditionnelles de l'humanité. Chez toutes les nations où cette impulsion donnée à l'intelligence des jeunes générations coïncide avec l'affaiblissement des croyances religieuses et de l'autorité paternelle, il se manifeste dans la constitution sociale une perturbation dont les conséquences offrent dejà une gravité extreme17.
Cette perturbation se constate chez ls populations landaises. L'instituteur coņoit de son rôle une opinion exagérée ; il se laisse volontiers persuader qu'il est le régénérateur prédestiné de la société moderne, qu'à lui seul revient le soin de former les enfants et de combattre l'autorié traditionnelle du père de famille et du pretre. L'enseignement qu'il donne aux enfants est imbu des trois faux dogmes que la lévolution de 1789 a proclamés (liberté systématique — égalité providentielle — droit de révolte). Il procède de la croyance à la perfection originelle de l'homme, l'erreur fondamentale dont la propagation menace de désorganiser aujourd'hui l'Europe18. Ces doctrines erronées donnent à la jeunesse des raisons spécieuses de considérer l'autorité du père[386]de famille et la contrainte exercée au nom des prescriptions de la loi de Dieu comme des usurpations injustifiables sur sa part de liberté native, comme des outrages à l'égalité naturelle qui est son droit. Non-seulement l'école inculque à l'enfant les principes d'où sortent de pareilles conséquences ; mais elle lui enseigne encore quelles minutieuses précautions prend la loi pour protéger ses droits contre so père. On lui apprend plus tard que celui-ci n'est plus le maître de sa fortune ; il est conduit à le considérer comme une sorte d'usufruitier détenant son propre avoir et contraint de le lui remettre quoi que lui-même ait pu faire.
Aussi, remarque-t-on maintenant, dans les familles, plus de diflicultés soulevées à l'occasion des partages qu'il n'y en avait autrefois. Souvent même les idées des enfants réagissent sur les pères. Ceux-ci, illettrés, se croient inférieurs à leurs enfants pourvus de quelque instruction, et, doutant de leur droit, ils ne se préoccupent plus de maintenir ler autorité.
L'action de la presse se fait éralement sentir parmi les populations landaises. Depuis quelques années un petit journai publié à Bordeaux est répandu dans les villages les plus reculés des Landes. Attaquant violemnment les institutions et les meurs traditionnelles, il apporte un puissant concours à l'œuvre de désorgaisation. Le nombre d'exemplaires qui se vend chaque jour à Lévignacq indique la facilité avec laquelle il pénètre dans toutes les familles, surtout dans les familles d'ouvriers instables. De plus, en se rendant le dimanche au bourg, les jeunes gens sont exposés a le lire. En voyant attaquer tout ce qu'ils avaient jusqu'à ce jour vénéré, ils perdent le respect et le doute pénètre dans leur esprit.
En résumé, ébranlée par la loi, battue en brèche par l'enseignement public, minée par la diminution du sentiment religgieux, la famille est comme un édifice dont chaque jour emporte une pierre. Elle résiste par les forces que la tradition a accumulées. Mais les contraintes légales qui pèsent sur elle depuis la loi édictée par la Terreur luttent contre sa stabilité et la condamnent fatalement à tomber si la situation se prolonge.
Notes
1. Voir l'Avis sur 'insertion du Meoire e M. Cambrelent, par M. endarme, inspecteur général des ponts et chaussées.
2. Voir : Assainisseent et mise en valeur des landes ˉle Gascogee, par M. Chaumbrelent, ingenieur en chet des ponts et chaussées. Dunod, éditeur.
3. Il en est de même de la plup rt des produits reirés des pins maritimes. Ainsi, l'essencee de térébenthine. qui se eoait a Dax de 75 à 80 franes au mois de septembre S2, vlait 100 1rnecs au marehé du 2l oectobre suivant et ne vaut pls maintenant que 59 r. L goudron se payait de 20 a 30 1., il y a trois ans : au commencement de l'nnée dernière, il aeignait le prix de 45 franes et dans les mois de juillet, aoit et septembre, celui de 69 frnes. Les autres produits sont suiets à d'aussi grandes variations. lles tiennent en partie à l'irrégularité avec laquelle les proluits américins sont jctés sur le marché.
4. On compte en moyenne dans les départements des Landes et de la Gironde 150 usines dans lesquelles on distille la résine.
5. Les ˉOuviers europeens. — 2ᵉ edit., T. IV, les Ouvriers de l'oceident ; Populations stables.
6. Si on emploie ce procédé, on dresse le bois absolument eomme pour une charbonnière, sur une espèce de plate-forme ronde d'un diamètre de l0 mètres environ et formant, à 2 mètres à peu près au-dessus du sol, comme un grand entonnoir carrelé dont le centre se trouve en communieation avec un bassin construit sur un des bords.
7. Rapport de M. le baron d'Artigues à la Soeiété d'Economie sociale. — Séance du 3 avril 188l ; La ˉRéforme sociale du 15 septembre 1881.
8. La Réforme sociale, 5e edition, t. II. p. 530 et 531.
11. Rappelons ici que le partage d'ascendants peut aussi se faire dans un testament. Le testateur a le droit d'assigner leur part à chacun de ses héritiers, sans leur as sentimeet, pourvu que les conditions de la loi sur les testaments et les partages soient observées. Toutefois dans le département des Landes, le partage d'ascendamts se fait toujours par un acte entre-vifs, qui est du reste, même ailleurs, la forme la plus usitée.
13. Les Ouvriers europeens, t. V, p. 106.
14. L'Organisation de la famille. 2° édit. ; — Bulletin de la ocieté d'Écouomie sociale, T. IV, p. 303; — La Revue La Réforme sociale, 15 septembre 1883.
15. Voir Enquète agricole. — 1e série, 2e volume du résumé de l'enquête, n 12-3-26-27-7-60-207-211-221-246-249.
16. Les ˉOuvriers europeens, 2 édition. Populations ebranlées. Monographie du paysan du Labourd.
17. Les ˉOuvriers europeens, 2 édit., T. IV, p. 362, Monographie du Bordier dit Pen-ty de la Basse-Bretagne.
18. Voir Les Ouvriers europeens, 2ᵉ édit., T. I, p. 18.