N° 84.
CORDONNIER D'ISEGHEM
(FLANDRE OCCIDENTALE — BELGIQUE)
TACHERON,
DANS LE SYSTÈME DES ENGAGEMENTS VOLONTAIRES PERMANENTS,
D'APRÈS
LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN 1895,
PAR
C. GILLÈS DE PÉLICHY 1.
Sommaire
- Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.
- Éléments divers de la constitution sociale
- § 17. HISTOIRE DU MÉTIER DE LA CORDONNERIE A ISEGHEM.
- § 18. APPLICATION DES LOIS OUVRIÈRES EN CE QUI CONCERNE LE MÉTIER DE LA CORDONNERIE A ISEGHEM.
- § 19. INSTITUTIONS D'ORDRE ÉCONOMIQUE ET MORAL FONDÉES A ISEGHEM POUR LE BIEN DE L'OUVRIER.
- § 20. SUR LES JEUX ET LES DIVERTISSEMENTS LOCAUX.
- § 21. SUR L'ORGANISATION CORPORATIVE DES CORDONNIERS DANS LES VILLES FLAMANDES.
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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.
Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1ᵉʳ. État du sol, de l'industrie et de la population.
[137] Assise sur la rive droite de la Mandel, au centre des plaines fertiles de la Flandre Occidentale, la petite ville d'Iseghem est distante d'environ 35 kilom. de Bruges. La commune s'étend au milieu de ses riches cultures sur une superficie de 1.130 hectares ; le chemin de fer et un canal établissent de faciles communications avec les centres commerciaux du pays.
Simple bourgade jadis, mais datant des temps les plus reculés, cette Seineurie fut élevée au rang de Comté par Philippe II ; et Louis XIV,[138]lors de ses conquêtes, en fit le siège d'une principauté. Vers la fin du siècle passé, Iseghem ne comptait que 6.500 habitants répartis entre 1.200 demeures. Aujourd'hui la population atteint le chiffre de 11.000, et le sol de la commune a vu surgir 2.226 habitations dont 1.281 forment une agglomération de 6.205 âmes. La statistique constate pour une population de 11.000 âmes un mouvement annuel moyen de 400 naissances, 300 décès et 75 mariages ; soit un accroissement annuel de 100 habitants.
Les terres, cultivées par petites fermes comptant de 5 à 20 hectares, sont généralement très fertiles. Bon nombre de petits fermiers propriétaires se rencontrent encore aux environs, à Emelghem, à Cachtem ; leur nombre décroît cependant et leur situation réclamerait, pour se maintenir, une protection législative toute spéciale.
Aucune grande usine n'est encore venue s installer sur le territoire d'Iseghem ; il n'existe donc pas d'ateliers très considérables et presque tous les métiers s'exercent au foyer domestique. Celui des tisserands était jadis très prospère. Aujourd'hui, en ville, deux industries très florissantes, la cordonnerie et la brosserie, occupent la majeure partie des habitants. La cordonnerie emploie environ 2.000 personnes pae trons, ouvriers, ouvrières, apprentis et apprenties. Le travail a généralement lieu à domicile.
La famille qui fait l'objet de cette monographie, occupe une maison simple mais commode, entourée de quelques terres et distante d'environ dix minutes du centre de l'agglomération.
C'est là une situation fort désirable pour l'ouvrier cordonnier, car elle lui permet de prendre et de rapporter son ouvrage sans grande perte de temps, tout en lui procurant les bienfaits si nombreux d'une habitation à la campagne. Parmi ceux-ci, nous ne pourrions assez faire remarquer les grands avantages et le bénéfice net d'environ 100 francs que la culture d'un champ de 11 ares donne chaque année à la famille (§ 16 A). Ce jardinet lui fournit en sus de la récolte indispensable de pommes de terre, un contingent fort respectable de légumes variés, nourriture dont l'ouvrier des villes se prive trop souvent, hélas en face de la dépense, et ceci au détriment de sa santé. Inutile également d'insister sur le bien physique et moral que procure le grand air de la campagne aux heureux enfants de ce ménage qui échappent ainsi à la corruption des rues étroites de la cité.
Mais si la vie champêtre est avantageuse à l'ensemble des ouvriers, elle ne l'est pas moins à un point de vue tout spécial pour le eordon[139]nier d'Iseghem. C'est dans la culture de son champ que le travailleur honnête et laborieux trouve, avec le bien-être, un préservatif puissant aux plus grands écarts ainsi qu'aux pertes de temps inévitables à son métier. En effet, le lundi avant midi, il lui est souvent fort difficile de se procurer de l'ouvrage, car les cuirs doivent être préalablement préparés par les découpeurs. Il en est de même les deuxième et troisième jours de Pâques et de Pentecôte, ainsi que la semaine de la kermesse2et bon nombre d'autres jours de fête qui sont chômés d'une manière générale par le métier. Pour beaucoup de compagnons, ce sont là des occasions de faire de grande dépenses et de se livrer à leur passion favorite, l'ivrognerie. Nous reviendrons plus loin sur ces abus ; qu'il nous suffise de constater ici combien l'occupation saine et rémunératrice de la culture peut porter remède à cette situation. Le chef de famille dont nous allons esquisser la monographie ne nous disauit-il pas un jour fort ingénument : Au chômage de Pâques, je plante mes pommes de terre et mes autres légumes ; à la Pentecôte, j'enlève les mauvaises herbes et je relève la terre autour des plantes ; à la kermesse, aidé de mes enfants, je fais la récolte et nous préparons la terre pour l'année suivante. Cela ne vaut-il pas mieux, Monsieur, que de passer tout mon temps à l'auberge, de ne rien gagner et de dépenser beaucoup ?
Après les durs travaux viennent le repos et les plaisirs bien mérités ; aussi, spécialement chez les cordonniers de la campagne, les jours de fête ne se paussent-ils pas sans un joyeux repas de famille. Un lapin soigneusement élevé dans ce but fait les honneurs du festin, il est arrosé d'un bon litre de bière acheté à l'auberge, et parents et enfants mordent à belles dents dans d'énormes tartines de pain de gateuu, vrai signe des réjouissances flamandes.
N'est-ce point là la vraie vie de famille Jetons un voile sur les scènes d'orgie dont la ville n'est malheureusement que trop souvent le théatre, pour proposer aux cordonniers citadins l'exemple plus consolant de leurs frères campagnards.
§ 2. État civil de la famille.
[140] La famille comprend les deux époux et trois enfants.
1°HENRI D***, chef de famille, né à Iseghem, marié en 1879............ 37 ans.
2°LÉONIE L***, sa femme, née à Lendelede............ 34 —
3°HÉLÈNE D***, leur première fille, née à Iseghem............ 15 —
4°JEANNE D***, leur seconde fille, néc à Iseghem............ 12 —
5°THÉRÈSE D***, leur troisième fille, née à Iseghem............ 2 1/2
L'aînée des filles est apprentie piqueuse de bottines et gagne de 2 francs à 2f50 par semaine.
La seconde fille se rend encore à l'école, elle embrassera probablement sous peu, soit le métier de sa sœur, soit celui de la brosserie qui prend une grande extension dans la cité.
§ 3. Religion et habitudes morales.
Comme la grande généralité des habitants d'Iseghem, les membres de cette famille sont foncièrement chrétiens. Chez eux la foi se traduit par les euvres et nul ne rougit de pratiquer ouvertement sa religion.
La femme, véritable mère chrétienne, ne néglige rien pour l'éducation de ses enfants ; elle-même fait partie d'une congrégation pieuse. Au foyer domestique, c'est le Christ et la Madone qui occupent la place d'honneur. L'aînée des filles, apprentie piqueuse de bottines, se rend tous les dimanches à l'école dominicale, puis au patronage de Sainte-Germaine. Sa sœur Jeanne l'accompagne et fréquente de plus les classes journalières de l'école primaire, dirigée gratuitement par des religieuses.
Le mari, membre zélé du cercle d'ouvriers chrétiens de Saint-Francois-avier, dits les avériens, y assiste chaque semaine aux offices religieux et à l'instruction ; puis il se livre avec ardeur aux divers amusements organisés dans ce local, principalement au jeu de boules. De plus, Henri D*** est membre d'une de ces nombreuses associations[141]de cordonniers dont le but dégénéré semble malheureusement ne plus devoir être que la célébration joyeuse de la fête patronale. La fondation d'une vaste corporation de cordonniers, embrassant ces petites gildes particulières, s'impose comme remède à cette situation regrettable.
Que dire de la moralité des membres de la famille D***, sinon qu'à l'exemple de la majorité des habitants des Flandres, elle est excellente. Cet éloge s'applique d'une manière toute spéciale aux campagnards flamands.
Si jusqu'à présent nos ouvriers sont demeurés sourds aux incitations des meneurs socialistes, ce n'est point une raison de croire qu'ils restent indifférents au courant d'idées qui se manifeste en ce moment. Suffisamment instruits et intelligents, les membres du ménage d'Henri D*** lisent avidement en famille, le dimanche soir, les nouvelles que leur apporte un petit journal chrétien, spécialement rédigé pour les travailleurs. Le mari, content de sa situation actuelle, et respectant les droits de chacun, a cependant l'oeil trop perspicace pour ne point s'apercevoir des abus dont l'ouvrier cordonnier est parfois la dupe. Tout ce qui touche au progrès du métier l'intéresse. Sa religion et sa raison lui défendent de recourir à des voies de fait, mais sa volonté n'en est pas moins ferme et énergique dans la défense de ses droits.
Le ménage sait apprécier les heureux fruits de l'épargne, si les charges actuelles de la famille ne lui permettent point encore de capitaliser, le livret d'épargne lui facilite singulierement l'équilibre du budget3.
Si son industrie continue à être prospère, l'ardent désir de la famille serait d'acquérir bientôt la propriété d'une demeure, par la bienfaisante entremise du Comité de patronage des maisons ouvrières.
§ 4. Hygiène et service de santé.
La famille jouit habituellement d'une santé florissante. Le mari seul a fait exception en contractant, il y a quelques années, une grave[142]pleurésie. Cette pénible épreuve fut heureusement traversée par la famille grâce au concours des Sociétés de secours mutuels (§ 19). Ces sociétés, l'une dite de Saint-Hilone, patron de la paroisse, l'autre dite des Ouvriers réunis, accordent des secours à 1.200 personnes environ et distribuent près de 8.000 francs par an.
Parfaitement rétabli actuellement, n'étaient les quelques soins spéciaux ordonnés par le médecin, tels que le port constant de la flanelle et l'absorption de quelques litres d'huile de foie de morue, Henri D*** ne se douterait plus des souffrances et des dangers passés.
Une petite maladie d'enfant exigea, il y a quelques mois, la visite du médecin.
§ 5. Rang de la famille.
Henri D*** appartient à cette classe nombreuse des cordonniers iseghemois dont le salaire, laborieusement gagné, suffit à l'entretien convenable d'une famille, et peut même faire espérer des jours de plus en plus prospères à ceux qui savent joindre au travail l'apport si précieux d'une bonne conduite, de l'ordre et de l'économie.
Le salaire du cordonnier d'Iseghem est supérieur à celui de la plupart des autres travailleurs de la commune4. Il peut varier entre 10 et 24 francs par semaine d'aprés les aptitudes spéciales de l'ouvrier et le genre de travail qui lui est confié (§ 17).
Les salaires élevés étant réservés aux découpeurs et à ceux qui fabriquent les chaussures les plus fines, ne répondent point à la condition générale des cordonniers ; aussi avons-nous choisi un ouvrier ordinaire comme sujet de cette monographie. Bon à toutes sortes de travaux, il fait indifféremment des souliers de toute qualité, parce que son patron n'a pas une clientèle assez forte pour lui permettre de donner toujours du bel ouvrage. Il en résulte un salaire modique, mais qui peut être considéré comme le gain moyen de nos cordonniers. Le revenu de la famille trouve d'ailleurs un appoint assez considérable dans le salaire de la femme, de la fille et des deux jeunes apr prentis, joint au bénéfiee de la culture.
[143] Ces diverses ressources, gérées avec économie, suffisent à procurer au ménage une dose de bien-être fort supérieure à celle dont jouissent des ouvriers mieux rémunérés, mais souvent plus dissipateurs.
La situation matérielle du ménage n'est donc pas mauvaise ; et par l'appoint considérable du salaire entier des deux filles aînées elle ne tardera pas à s'améliorer au point de permettre quelques économies pour les vieux jours. Notons aussi que cette famille, suivant en cela l'exemple de la plupart des cordonniers, se donne un certain confort, bien relatif il est vrai, mais que les ressources malheureusement trop restreintes d'autres ouvriers, tels que les tisserands et les ouvriers agricoles, ne peuvent bien souvent pas leur accorder. Père, mère et enfants sont convenablement vêtus ; le dimanche, on les prendrait pour de petits bourgeois. La viande5paraît deux ou trois fois par semaine à leur table et la maison respire un air de propreté et d'aisance.
Si nous avons choisi ce ménage entre des centaines d'autres, c'est qu'il nous donne la note juste de ce qu'un cordonnier d'Iseghem, de condition fort ordinaire et ne jouissant que d'un salaire moyen, peut devenir en joignant à l'ardeur du travail une économie bien comprise. D'autres familles comptant plusieurs enfants adultes peuvent gagner davantage, par contre il en est aussi qui à raison du nombre des enfants en bas âge, passent parfois par des crises pénibles6. Le ménage D** dans son état actuel semble nous donner une moyenne, et il nous présente l'avantage de montrer les divers travaux de fabrication de la chaussure réunis sous un même toit et réalisant ce que l'on pourrait appeler le travail familial.
Parmi les cordonniers d'Iseghem les engagements entre patrons et ouvriers sont généralement stables ; il faut des raisons graves, un renvoi ou un manque prolongé de commandes, pour mettre fin à des relations d'ailleurs assez amicales, surtout lorsque le patron se sert rarement d'intermédiaires dans ses démêlés avec les ouvriers. Le rebutage des pièces, l'emploi plus ou moins libre du salaire, peuvent pro[144]voquer parfois des murmures, mais jamais cela ne prend un caractère de réelle gravité. Cependant, si les plaintes allaient en se multipliant, un conseil d'arbitrage pourrait avoir ici sa raison d'être.
Moyens d'existence de la famille
§ 6. Propriétés.
(Mobilier et vêtements non compris.)
Immeubles et argent............ 0f00
La famille ne possède point d'immeubles ; la maison et le champ qui l'entoure sont pris en location. Elle ne parvient à faire actuellement aucune épargne, les besoins du ménage sont trop grands et les enfants ne gagnent pas encore asse pour permettre de songer à thésauriser. Généralement on se sert de l'argent inscrit sur les livrets d'épargne des enfants pour leur acheter chaque année des vêtements. Actuellement la mère de famille songe à l'achat, par ce moyen, d'une machine à coudre dont sa fille aînée aura besoin l'année prochaine.
ANIMAUX DOMESTIQUES............ 16f00
1° Entretenus toute l'année. — 4 canaris dont 2 mâles et 2 femelles, 6f00.
2° Entretenus ane partie de l'année. — Quelques lapins, 10f00.
Matériel spécial des travaux et industries............ 55f 27
1° Pour le métier de cordonnier (servant au père et à la mère). — 3 marteaux, 6f25 ; — 3 couteaux, 1f75 ; — 2 pinces, 2f10 ; — 1 pince à œillet, 0f90; — 3 limes, 3f30 ; — 2 petites limes, 1f65 ; — 1 paire de ciseaux, 1f30 ; — 10 alènes, 0f80; — 1 roulette, 1f00; — 1 pierre à aiguiser, 0f20; -— 1 percoir, 0f10; — 5 outils à déformer et à polir, 6f35 ; — 6 talons en fer, 0f25 ; — 1 bassin, 1f80 ; — 1 planche à découper, 0f 05 ; — 1 tabouret pour homme, 1f00; — 1 tabouret pour femme, 1f50 ; — 1 encrier et pinceau, 0f20. — Total, 30f50.
2° Pour le métier de piqueuse de bottines (servant à la fille aînée). — 1 paire de ciseaux, f70 ; — aiguilles, 3f50; — dé, etc., 0f17. — Total, 6f37.
3° Pour la culture. — 1 bêche, 4f 00; — 1 râteau, 0f40; — 1 houe, 0f50; — 1 pioche, 0f50; — 1 cuve à purin, 5f50 ; — 1 louche, 1f 10; — 1 panier, 0f85 ; — 1 grand panier à pommes de terre, 1f00. — Total, 13f85.
4° Pour l'élevage de lapins. — Clapier, 1f25.
5° Pour l'élevage de canaris. — 3 cages, 3f30.
Valeur totale des propriétés............ 71f27
§ 7. Subventions.
[145] L'éducation est donnée gratuitement aux enfants, mais faute d'un point de comparaison, il est difficile d'attribuer à cette subvention une valeur matérielle déterminée. De plus, pendant trois mois d'hiver, la seconde des filles a reçu trois fois la semaine, à l'école primaire des religieuses, une portion de ri au lait etune tartine ; elle y a également participé à des distributions de pain ; l'ensemble de ces secours peut étre évalué à 12f14. Mentionnons également des prix d'une valeur de 5f00 environ obtenus par les filles aînées à l'école primaire et à l'école dominicale.
Il reste enfin une dernière subvention à signaler : lors de la distribution annuelle de secours faite aux membres du cercle ouvrier, le mari a reçu une cuve pour le transport de l'engrais, d'une valeur de 5f50.
§ 8. Travaux et industries.
C'est sous le régime de la fabrique collective qu'est spécialement organisé le travail de la cordonnerie à Iseghem. Chaque patron possède ordinairement un magasin de cuirs et un atelier où il n'occupe qu'un nombre assez restreint d'ouvriers découpeurs. C'est là que les différentes pièces de la chaussure sont préparées pour être livrées ensuite aux cordonniers ordinaires, qui travaillent presque tous à domicile.
Parfois, cependant, le patron garde auprès de lui quelques ouvriers pour les commandes spéciales et les ouvrages les plus délicats. Il lui faut aussi quelques hommes pour l'emballage si soigné des chaussures élégantes que nous voyons exposées aux vitrines de nos grandes villes, et pour l'expédition de la marchandise qui se fait dans les principaux centres de Belgique et de l'étranger, voire même jusqu'au Congo. Presque tous les employés et les explorateurs de l'État lndépendant sont en effet chaussés de souliers d'seghem.
[146] Comme on le voit, la vie de la majeure partie de nos cordonniers se passe au foyer domestique. Cette absence d'ateliers importants et de travail d'usine est un avantage inappréciable au point de vue de l'état physique et moral de la population. Sans cesse au milieu des siens, le mari surveille et protège sa famille dont les membres sont fortement unis par un travail commun7. Bien souvent la mère ou la fille ont embrassé le métier de piqueuse de bottines et cousent, au moyen d'une forte machine, les différentes pièces qui forment le haut de la chaussure ; le mari et les fils les rattachent ensuite à la semelle soit par la couture, soit au môyen d'une double rangée de petits clous de cuivre. Tous les membres de la famille ne travaillent cependant pas toujours pour le même patron ; il peut y avoir des exceptions, alors chacun se borne à rapporter à l'atelier le travail qui lui est proprc. En ce cas les charges peuvent devenir parfois bien lourdes pour le ménage, lorsque l'èmploi du salaire n'est pas absolument libre.
Chaque ouvrier est porteur d'un livret ; généralement le paiement des salaires se fait le samedi.
Les piqueuses vont également prendre leur travail à l'atelier du patron. Comme les jeunes cordonniers, elles se soumettent d'habitude à un apprentissage d'au moins trois ans chez une femme du métier, le salaire y est fort modique, 2 francs à 2f50 par semaine la seconde et la troisiême année ; parfois les jeunes filles sont réunies en assez grand nombre, de manière à constituer de véritables petits ateliers ; de fortes machines à coudre y sont mises à leur disposition.
Travaux du père. — Dans l'organisation qui vient d'être décrite, Henri D*** travaille à domicile en moyenne douze heures et demie par jour à l'exception du lundi ; il doit alors généralement attendre jusque vers midi avant d'obtenir de l'ouvrage ; le vendredi par contre il a souvent un surcroît de besogne. Il arrive que durant la nuit du vendredi au samediil ne peut se livrer que pendant quatre heures à un repos bien mérité, il s'agit de terminer la besogne pour le samedi soir. Le travail serait grandement facilité si tous les patrons et contremaîtres, imitant en cela l'exemple de plusieurs, procuraient du travail à leurs ouvriers dès le commencement de la semaine sans attendre les derniers jours.
[147] Henri D*** est assisté dans son travail par un jeune apprenti. Celui-ci, âgé de treie ans, travaille doue heures par jour en été, dix heures et demie durant les trois mois d'hiver. Etant apprenti de seconde année, il partage le bénéfice avec son patron ; à partir de l'an prochain, il ne lui devra plus que 1 franc par semaine aussi longtemps qu'il demeurera encore che lui.
Comme nous l'avons signalé plus haut, les jours de chômage sont utilement employés par notre cordonnier à la culture de son champ.
Travaux de la femme. — En dehors des soins du ménage la mère de famille parvient encore, comme bon nombre d'autres femmes de cordonniers d'Iseghem, à passer en moyenne trois heures et demie par jour à la fabrication de petites chaussures d'enfants. Elle aussi a un apprentiâgé de treie ans. Il en est encore à sa première année d'apprentissage, tout le gain revient au patron, sous déduction d'un pourboire de 5 centimes par paire de souliers.
Travaux des enfants. — La fille aînée est seule en âge de se livrer au travail, elle est apprentie piqueuse de bottines et travaille douze heures par jour, ce qui parait exagéré. L'an prochain, elle rentrera au foyer paternel ; l'achat d'une machine incombera alors aux parents ; cette acquisition peut se faire par paiements échelonnés, mais l'avantage de ce procédé est souvent contrebalancé par l'exagération du prix.
Industries entreprises par la famille. — Outre les travaux de culture d'un petit champ et l'élevage de lapins et de canaris, il y a lieu de mentionner ici, comme constituant une véritable industrie spéciale, le fait de diriger l'apprentissage de deux jeunes ouvriers, en profitant, en retour des soins et du temps qu'on leur consacre, de tout ou partie du produit de leur travauil.
Mode d'existence de la famille
§ 9. Aliments et repas.
Ce qui constitue la base de la nourriture du peuple en Flandre, c'est la pomme de terre. La famille D*** consomme annuellement plus de 1.200 ilos de ces tubercules récoltés sur son champ et dont la valeur[148]s'élève à 96f00. Ce légume renferme malheureusement peu de matières nutritives ; les ménagères auraient grand intérêt à le mélanger à d'autres farineux d'une nature moins aqueuse, tels que des fèves, des haricots, etc.; mais telle est la force de l'habitude que,malgré les conseils donnés sur ce point, le grand plat de pommes de terre et la soupe au lait doux ou au lait battu constituent encore. les principaux, pour ne point dire les seuls éléments du repas de nos classes pauvres. A la campagne, bon nombre d'ouvriers relativement aisés et de petits fermiers se contentent de la même nourriture.
Jouissant d'un salaire plus élevé que celui de la moyenne des travailleurs, les cordonniers d'Iseghem se donnent généralement une nourriture plus recherchée et plus fortifiante ; la viande, le poisson, les œufs paraissent à leur table.
Les repas de la famille D*** sont les suivants. Vers sept heures du matin, on prend du café au lait avec des tartines de pain et de beurre. Peu après, les enfants partent pour se rendre à l'école. A midi a lieu le principal repas ; deux ou trois fois par semaine, notamment le dimanche, on mange de la viande, généralement du bœuf bouilli, parfois rôti; journellement après la soupe au lait vient le plat de pommes de terre ; il est d'habitude assaisonné au lard et souvent accompagné de légumes divers dont la famille fait une grande consommation. L'abstinence est toujours strictement observée le vendredi et les autres jours fixés par l'Eglise ; des harengs ou des moules font alors ordinairement les honneurs du repas. A quatre heures, café, pain et beurre comme le matin. A sept heures, on sert soit une soupe au lait battu soit une soupe à la bière ; en hiver on voit généralement figurer des harengs à ce repas ; assez souvent on mange encore des pommes de terre. Quant à la boisson, on n'en prend qu'à l'auberge, três rarement en mangeant, sauf parfois un verre de bière les jours de fête.
§ 10. Habitation, mobilier et vêtements.
La maison habitée par la famille D*** comprend quatre pièces au rez-de-chaussée et une à l'étage, plus le grenier. Elle est louée à raison de 57 francs par an, le terrain non compris. La cuisine sert de chambre de réception ; toutes les autres pièces y ont leur entrée. C'est là que se[149]tient la famille lorsque ses membres ne sont point à l'ouvrage. On s'y réunit également pour prendre les repas.
Une autre pièce beaucoup plus petite sert de buanderie. Là se trouvent la pompe, les cuves pour la lessive, et tous les ustensiles de ménage.
Le mari, la femme et les deux apprentis, travaillent dans une troisième pièce. Depuis qu'ils ont abandonné leur ancienne chambre à coucher qu'ils trouvaient trop humide, les époux logent dans cette même chambre de travail; c'est là également qu'est placé le berceau du plus jeune enfant.
Un petit réduit, l'ancienne chambre des parents, situé à l'ouest de la maison sert de remise aux instruments aratoires et à divers autres objets. A l'étage, se trouve encore une bonne chambre à coucher occupée par les deux filles aînées. Le grenier, assez vaste, sert à remiser une foule d'objets ; on y sèche également le linge de la lessive en temps de pluie.
En général, on peut dire que la maison est saine, en bon état, blanchie chaque année à la chaux intérieurement et bien aérée.
Meubles. : le mobilier, assez pauvre quand on le compare à celui des personnes de la même condition habitant la ville, est cependant convenablement entretenu. L'ordre et la propreté règnent dans le ménage............ 190f20
1° Literie. — 1 lit pour les parents, 25f00; — 1 lit pour les filles ainées, 5f50; — 1 berceau, 3f00; — 7 couvertures, 37f00; — 3 paillasses, 19f00; — 1 grand traversin, 2f80; - 2 petits traversins, 2f10. — Total, 94f40.
2° Mobilier de la cuiine et des chambres à coucher. — 1 poêle, 12f00; — 1 bac à charbon, f00; — 6 chaises, 1f00; — 1 petite chaise d'enfant, 1f25; — 1 table, 2f00; — 1 armoire. 15f00; — 1 pendule, 42f00; — 1 paravent, 3f75 ; — 1 grand miroir, 1f25 ; — 1 petit mlroir, 0f5 — ases, 0f75; — boules en verre, 0f60 ; — 2 grands vases, 2f50; — cadres, 4f75; — 1 diplome encadré, f50 ; — 4 pots a eurs, 0f15 ; — 4 soucoupes, 0f20 ; — a caugcs à pinson y comprs les oiseaux, 3f0; — 1 boite à chapeau, 0f70. — Total, 76f85.
3° Mobilier de la buanderie. — 1 petlte table, 0f50 ; — 1 grand vase et petits, 0f65. — Total, 1f15.
4° Gravures et objets de pieté. — 1 croix avec deux vases, 8f7I5; — 1 tatue de la Vlerge, 10; — 9 livres de prlére, 5f15 ; — 3 chapelets, 1f 30 ; — 5 scapulalres, 0f50. — Total, 17f80.
Ustensiles............ 21f32.
1° Employés pour la préparation et la consommation des aliments. — marmites, 1f30; — 1 grande marmlte, 1f00; — 1 bouillloire, 1f50; — 1 grand pot en terre, 0f60 ; - grand plat. 0f0; — 1 petit pot à beurre. 0f5 ; — 11 assiettes, 1f10; — 5 jattes, 0f60 ; — 4 cafetire. 1f50 ; 1 écrémeuse, 0f30 ; — 1 mortier en bois, 0f25 ; — 10 bouteilles, 1f20; — gourde, 0f1; — panier. 0f35; — 1 pierre à aiguiser, 2f00; — 1 moulln à café, 0f50; —[150]2 terrines, 0f50; — 5 couverts, 0f50; — 3 cuillères en bois, 0f25 ; — 1 grand couteau. 0f50; — 1 platine, 0f75. — Total, 15f47.
2° Employés aux soins de propreté. — 1 seau, 0f10; — 1 cuve à laver, 1f30 ; — 1 cuvette, 0f30 ; — 2 balais, 0f 75 ; — 1 petit balai. 0f50 ; — 1 brosse, 0f30. — Tota1, 3f25.
3° Employés pour l'éclairage. — 1 lampe, 1f 00 ; — 4 chandeliers, 1f650. — Total, 2f 60.
Linge de ménage............ 11f50
3 paires de draps de lit, 11f50.
Vêtements : Simples mais tenus avec ordre et propreté............ 234f95.
V́̀TEMENTS DE L'OUVRIER, d'une valeur totale d'environ 45f60.
Vêtements de la femme, d'une valeur totale d'environ 105f45.
VÊTEMENTS DES DEUX FILLES AINÉES. d'une valeur totale d'environ 72f 70.
VÊTEMENTS DE LA PLUS JIEUNE ENFANT, d'une valeur totale d'environ 11f20.
Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 457f97
§ 11. Récréations.
Les jeux organisés le dimanche après midi et les jours de fête au cercle ouvrier fournissent un amusement toujours nouveau au chef de famille. C'est là qu'il retrouve ses amis et connaissances ; on y parle des nouvelles de la semaine et on y assiste à toutes les péripéties du jeu de boules, le délassement favori.
Vers sept heures, Henri D*** quitte le cercle pour rentrer en famille. Un bon souper l'y attend ; puis à tour de rôle on lit les divers articles d'un petit journal ouvrier chrétien ou bien quelque bon livre.
L'élevage des oiseaux procure également quelque distraction à notre cordonnier; il déclare qu'il ne saurait se passer de leur compagnie et suspend leurs cages dans sa chambre de travail.
Les deux filles aînées passent agréablement l'après-midi du dimanche à l'école dominicale et au patronage de Sainte-Germaine, où toutes sortes de plaisirs les attendent.
Les fêtes du village, appelées lermesses en souvenir de la dédicaee de l'église, procurent des jours heureux à tout l'ensemble de la famille. Le chômage et les plaisirs, entrecoupés seulement par les soins de la culture et la récolte des pommes de terre, occupent une semaine entière.
Histoire de la famille
§ 12. Phases principales de l'existence.
[151] Iseghemois de race, enri D*** descend d'une famille adonnée depuis longtemps au même métier, qu'elle estime, non sans raison, comme supérieur à tout autre. Son père eut huit enfants ; il était issu d'une famille composée de dix-huit membres, et celle de sa femme comptait dix-sept enfants. Etant le cadet d'une nombreuse famille, il eut l'avantage de demeurer longtemps à la maison paternelle ; ce fut de son père lui-même qu'il recut la première initiation au métier qu'il devait exercer plus tard avec tant d'ardeur, et c'est avec respect qu'il conserve encore quelques vieux outils échus de l'héritage paternel. Jusque vers l'âge de doue ans, il fréquenta assidûment les leçons de l'école primaire ; puis, après sa première communion, il s'engagea résolument, comme les autres garçons de son âge et de sa condition, dans la voie plus pénible de l'apprentissage. L'école dominicale et la congrégation des jeunes gens lui offrirent l'occasion de passer l'après-midi du dimanche d'une façon utile et agréable. Aussi constatons-nous que, loin d'oublier les principes de sa première instruction, il a constamment cnrichi son esprit de connaissances utiles. Actuellement encore, la lecture est son passe-temps favori. Ce fut sous la sauvegarde de ces euvres de patronage que notre futur chef de famille passa une jeunesse heureuse et se prépara par la pratique d'une vie chrétienne et laborieuse ux lourdes charges de la paternité. Ayant appris son métier fort jeune et déchargé par un heureux sort du service militaire, il put se marier de bonne heure; il n'avait que vingt et un ans lorsqu'en 1879 il épousae une honnête et forte jeune fille d'un village voisin. Son union fut constamment heureuse. Les soins et les secours apportés par les jeunes époux au vieux père du mari amenèrent sur eux les bénédictions du ciel, et leurs enfnts semblent être appelés par leurs heureuses dispositions, tant physiques que morales, à faire l'honneur et la joie de leurs prents.
§ 13. MOEURS ET INSTITUTIONS ASSURANT LE BIEN-ÈTRE PHYSIQUE ET MORAL DE LA FAMILLE.
[152] Doué d'une grande énergie, l'ouvrier dont nous nous occupons ne néglige rien pour fournir à son ménage toutes les ressources nécessaires. Il y a peu d'années encore, c'étaient ses bras seuls qui faisaient vivre la famille, L'apport, maintenant si précieux, fourni à la caisse commune par le travail de la femme, de la fille aînée et des apprentis, ne comptait jadis que pour une faible part dans le budget des recettes. Aussi l'ouvrier a-t-il toujours suivi avec èle toutes les transformations et les améliorations que la mode ou la découverte de procédés nouveaux amène dans l'accomplissement de son métier.
En effet, c'est là une condition indispensable pour demeurer bon cordonnier, spécialement dans un centre comme Iseghem où la petite industrie ne peut triompher de la concurrence de la machine que par la perfection du travail manuel.
C'est ainsi que, grâce à son esprit clairvoyant, Henri D*** se rend de temps à autre chez un compagnon habile pour inspecter les nouveaux modèles de chaussures et pour apprendre leur mode de fabrication. Le Lèle qu'il déploie dans ces circonstances le rend apte à tous les ouvrages : jamais il ne demeure sans travail, contrairement à bon nombre d'autres ouvriers du même métier, qui, arrivés à un certain âge, se laissent entrainer par la routine et finissent par ne plus être capables que du travail le plus commun et par conséquent le moins rétribué.
Nous avons déjà dit plus haut combien l'institution de l'épargne est en honneur dans la famille que nous décrivons. C'est d'ailleurs là un fait commun à la plupart des ouvriers d'Iseghem. emarquons cependant que c'est par l'intermédiaire des enfants que bien souvent les ménages rassemblent le plus d'économies. Chacune des filles aînées de notre cordonnier possède son livret d'épargne (§ 6). C'est là, croyons-nous, un excellent moyen de leur inculquer ces principes d'ordre et d'économie qui feront le bonheur de leurs futurs ménages.
Le manque d'union a été trop longtemps fatal aux ouvriers cordonniers d'Iseghem pour qu'ils n'en soient point arrivés à comprendre[153]que leur salut se trouve dans l'association. Mais il faut que ces corporations ne soient point de pures sociétés d'agrément destinées uniquement à perpétuer le souvenir des libations qui accompagnent les fếtes du métier. Les abus, déjà fort atténués, du a trucl system », le besoin d'amener par l'apprentissage professionnel le perfectionnement du travail, le désir de se procurer la matière première à meilleur compte. l'utilité de la conciliation et de l'arbitrage conduisirent peu à peu les ouvriers à resserrer les liens qui les unissaient. Les patrons ne restèrent point étrangers à ce mouvement. L'union fut conclue, et la nouvelle corporalion de 1882 dressa fièrement son étendard aux formes antiques rappelant la puissance de nos vieilles gildes nàtionales.
Aujourd'hui que le danger devient de plus en plus pressant, que la concurrence étrangère et celle plus terrible encore de la machine menacent cette dernière citadelle de la petite industrie, l'union s'impose plus impérieusement tant aux patrons cordonniers qu'à leurs nombreux ouvriers.
Si les premiers peuvent trouver le salut de leur métier dans l'entente, pour la fixation du prix de la chaussure et la recherche de débouchés nouveaux, les seconds doivent pouvoir soutenir également la lutte par l'union dans le double perfectionnement de leur travail et de leur situation économique.
Quant aux euvres ouvrières destinées à procurer aux travailleurs d'Iseghem l'avancement moral et matériel que la situation de l'heure présente réclame à si juste titre, tant pour eux-mêmes que pour leurs femmes et leurs enfants, elles sont trop nombreuses pour que nous les comprenions dans ce chapitre. Nous nous bornerons à renvoyer le lecteur aux §§ 17 et 19, où nous nous efforcons de donner une esquisse rapide des tentatives exécutées dans cette voie et des projets dont la réalisation est confiée à un avenir des plus prochains.
§ 14. Budget des recettes de l'année.
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§ 15. Budget des dépenses de l'année.
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§ 16. COMPTES ANNEXÉS AUX BUDGETS.
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Éléments divers de la constitution sociale
FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION SOCIALE;
PRTICULARITÉS REMARQUABLES ;
APPRÉCIATIONS GENERALES ; CONCLUSIONS.
§ 17. HISTOIRE DU MÉTIER DE LA CORDONNERIE A ISEGHEM.
[165] L'industrie de la cordonnerie ne s'implanta à Iseghem d'une manière solide que durant la première moitié de ce siècle. Elle a traversé trois périodes nettement distinctes, de 1840 à 1860, de 1860 a 1882 et de 1882 jusqu'aujourd'hui.
Iʳᵉ PÉRIODE (1810-1860) : — CORPORATION FERMÉE.
1° Privilège du métier. — Nul ne pouvait être apprenti s'il n'était descendant d'un cordonnier ou membre d'une famille nécessiteuse secourue par le bureau de bienfaisance de la commune. Cette deuxième condition atténue les reproches d'exclusivisme si souvent formulés contre les corporations de l'ancien régime.
Pour faire instruire ou prendre à leurservice un apprenti, les pantrons devaient faire accepter sa candidature par une commission choisie parmi les maîtres cordonniers, elle jugeait sans appel.
2° Police du métier. — Le règlement de la corporation était exécuté sous la surveillance de cette commission. Chaque transgression venant de la part d'un patron stigmatisait son établissement ; on le déclarait indigne ; et les apprentis y travaillant indûment devenaient par le fait même incapables d'être reçus dans un autre atelier. Les ouvriers du patron frappé d'un tel arrêt le quittaient immédiatement sans achever l'ouvrage commencé et sans l'indemniser des débours faits et des avances de soldes déjà effectuées en leur faveur. Les compagnons placés dans des conditions pareilles étaient toujours adnmis dans les ateliers associés similuires, et leurs nouveaux patrons[166]ne devaient en rien dédommager celui qu'ils avaient abandonné.
3° Travail grossier. — Ne travaillant guère que pour les marchés des petites villes des environs8et pour l'usage personnel de la population en grande partie agricole, les maîtres cordonniers étaient loin alors d'atteindre la perfection du travail d'aujourd'hui. De grandes bottes et des souliers grossiers appelés coaaben, faisaient l'objet principal de leur industrie.
Il serait bon de remarquer également que durant cette période la besogne effectuée maintenant par le découpeur et la piqueuse de bottines était faite par le même ouvrier. La division du travail doit naturellement avoir amené des perfectionnements, exigés d'ailleurs aujourd'hui par la nouvelle clientele des magasins des grandes villes.
4° Salaire modique. — Un coup d'œil jeté sur le tableau comparatif des salaires aux diverses périodes, tableau annexé à ce paragraphe, convaincra de la hausse considérable de ceux-ci depuis l'époque qui nous occupe. Nous ferons remarquer cependant qu'une partie de cette hausse n'est qu'apparente. Vers 1872 les patrons croyant, peut-être non sans raison, que les matières premières qu'ils fournissaient gratuitement jusqu'alors, telles que le fil, la cire, les clous, etc., donnaient lieu parfois à d'inutiles gaspillages, décidèrent que ces objets seraient désormais fournis par les ouvriers. Il en résulta, par contre, une hausse d'environ 20 centimes par paire de souliers pour les cordonniers et 15 centimes pour les piqueuses de bottines. Quant aux clous de cuivre, s'ils étaient plus chers jadis, depuis quelques années on en emploie un plus grand nombre, la dépense reste donc à peu près équivalente.
5° Causes de la chute de ce régime. — La corporation fermée subsista jusque vers 1860. A partir de cette date, un atelier de cordonnerie assez considérable fut fondé à Iseghem, en dehors des règlements admis par les patrons fédérés. Une famille du nom de Verhoeve, venant des environs de Mouscron, en prit la direction. Le schisme s'étendit bientôt et, l'accord général étantrompu, l'ancienne corporation, quoique encore puissante, déclina rapidement.
La véritable cause de la chute du régime corporatif à Iseghem est donc la fondation, en dehors des rêglements établis, d'une maison étrangère de cordonnerie ; elle seule entraîna la ruine de l'ancienne organisation si florissante durant les années qui précédèrent 18609.
[167] 6° État de la cordonnerie. — De 1840 à 1860 l'industrie de la chaussure comptait à Iseghem environ 30 patrons et 200 ouvriers. A Emelghem résidait un seul patron occupant au plus trois ou quatre ouvriers. lngelmunster possédait deux patrons cordonniers qui fournissanient de l'ouvrage chacun à cinq ouvriers. Çà et là quelques cordonniers isolés travuillaient pour les patrons d'Iseghem.
IIᵉ PÉRIODE (1860-1882) : — MÉTIER LIBRE.
1° Abolition de toute rêglementation. — Le régime sévère de la corporation a fait place où la liberté pleine et entière du travail. La longue période de prospérité qui s'ouvre à cette époque nous semble due àl'émulationetà l'extension produite ausein du métier par le nouvel étnblissement de cordonnerie dont il est question plus haut. Mais, si l'ancienne police du métier pouvait être accusée parfois de routine ou d'excès de sévérité, nul ne douterait cependant de la puissance d'une pareille organisation fondée sur l'union de ses membres et capable, sans grande réforme, de réaliser tous les avantages si ardemment désirés de nos jours. Au point de vue moral, l'abolition de toute discipline ne tarda point à engendrer des abus. Les membres de l'ancienne corporation, fractionnée en un grand nombre de petites associations ayant pour centre une auberge, ne se réunirent plus que pour célébrer d'une façon plus ou moins bruyante, la fête de Saint-Crépin, patron des cordonniers. Les libations souvent trop abondantes et les querelles qui s'en suivaient demeurèrent, durant de longues années, les seuls vestiges du régime d'autrefois.
2° Extension du marché. — La perfection du travail amenée par l'émulation ouvrit dès 1860 des débouchés nouveaux à l'industrie cordonnière d'Iseghem. L'exportation des chaussures s'étendit d'abord aux localités voisines de la frontière française, puis à la France et au Borinage.
[168] Après 1870, les produits se déversèrent davantage dans les grandes villes de l'intérieur du pays, telles que : Bruxelles, Anvers, Liège, Gand, etc. Ces mêmes produits se répandirent peu après dans les pays voisins ; la France, l'Angleterre, la ollande les recherchèrent, et des envois furent faits même jusqu'en Amérique.
3° Division du travail. — L'apparition des machines à coudre, appliquées au travail de couture du haut de la bottine, amena une modification notable dans l'industrie de la cordonnerie. L'ouvrier ne fit plus que rassembler et ajuster à la semelle les différentes pièces préparées par le découpeur et cousues par les piqueuses de bottines. Cette simplification du travail concentrant toute l'attention des travailleurs sur une partie de la chaussure, doit être donnée également comme une des causes de son perfectionnement.
4° Augmentation du salaire. — La grande prospérité du métier, malgré la diminution du travail de chacun, amena cependant une hausse assez considérable dans le salaire à la pièce. Le tableau reproduit plus loin (p. 174) en donne la preuve. Il faut cependant encore tenir compte de la majoration des prix indiquée précédemment et motivée par l'achat de certaines matières premières par l'ouvrier lui-même, depuis 1872. Toutefois il est certain que non seulement le travail à la pièce, mais aussi celui de l'ensemble de la famille ouvrière est bien mieux rémunéré qu'il ne l'était auparavant. L'apparition de l'industrie des piqueuses de bottines, venant au moment où celle des dentelières commençait à baisser, fournit aux femmes et aux jeunes filles de la contrée une occupation saine et productive, sauvegardant à la fois leur santé physique et leur condition morale par l'éloignement des dangers de l'atelier et la conservation des bienfaits sans nombre de la vie domestique.
5° Etat de la cordonnerie a) A Iseghem. — La liberté donnée au métier en 1860 doubla le nombre des ouvriers en peu d'années. Dès 1863 Iseghem comptait : 70 patrons, 400 ouvriers et 200 piqueuses de bottines ; en tout 670 personnes occupées à cette industrie. — b) Dans les villages voisins. — Cette extension de l'industrie cordonnière n'eut lieu d'une façon notable, dans la banlieue, que depuis 1870. Le mouvement fut provoqué par la forte crise que les tisserands eurent à traverser à cette époque. Bon nombre de jeunes gens vinrent alors apprendre le métier à Iseghem, d'autres moins ambitieux se contentèrent des leçons des maîtres de leurs villages, mais mal leur en prit, car n'étant pas au courant des perfectionnements de l'industrie,
[169] Ils se virent incapables de fabriquer de fines chaussures et durent se contenter d'un salaire moindre. Aucun patron ne s'était installé dans ces communes distantes de quelques minutes seulement d'Iseghem. Tous les ouvriers travaillaient pour cette ville.
Dês la fin de la période qui nous occupe, ngelmunster comptait près de 20 cordonniers, et Emelghem une centaine, ce qui donne avec les cordonniers d'Iseghem, un total d'environ 1.000 personnes occupées au travail de la chaussure.
IIIᵉ PÉRIODE (depuis 1882) : — CORPORATION LIBRE.
Fondée en 1882 sous l'inspiration du clergé et d'hommes dévoués à la classe ouvrière, la gilde de Saint-Crépin est une manifestation vivante du besoin d'union qui s'imposait de plus en plus au métier de la cordonnerie depuis l'abolition du régime corporatif. Si elle n'embrasse point encore toutes les aspirations que les besoins légitimes des patrons et des ouvriers ont provoquées de nos jours, elle n'en est pas moins une base solide sur laquelle il sera possible de grouper bon nombre d'utiles institutions. La somme de bien déjà réaulisé par cette union fraternelle d'hommes adonnés au même métier, ayant les mêmes difficultés à surmonter et les mêmes intérêts à défendre, est due à la bienfaisante influence d'hommes aussi zélés que chrétiens. Deux autres corporations composées surtout d'ouvriers existent au sein du cercle de Suint-François-Xavier et de la congrégation des jeunes gens. Ce sont les seules associations sérieuses ; les autres, assez nombreuses, n'ont qu'un but : celui de célébrer joyeusement la fête du saint patron. Nous donnons plus loin à titre de document les statuts de la gilde de Saint-Crépin.
1. Lutte de l'usine contre la fabrique collective. — Un patron cordonnier fit en 1888 la tentative de l'emploi de machines pour la confection de la chaussure. Une quarantaine d'ouvriers furent employés dans su fabrique. Mais la crainte que ces nouvelles installations avnient inspirée aux cordonniers d'Iseghem ne fut point de longue durée. La lutte se résume dans la supériorité des produits du travail manuelsur ceux de la machine qui, peut-être trop peu perfectionnée, âchait énormément de matière première. Les coupures et les égratignures faites au cuir rendaient, à ce que l'on dit, bon nombre de chaussures impropres à lan vente. Ces souliers, facilement reconnaissables,[170]ne bénéficiaient point du renom si justement attribué aux produits d'Iseghem. L'amortissement du capital ne put se faire dans d'aussi tristes conditions ; le salaire, d'abord élevé, baissa subitement, et les ouvriers, joints à bon nombre d'autres caordonniers irrités déjà par cette innovation menaçante, se soulevèrent et se livrèrent même à des désordres que la saine raison, malgré les circonstances atténuantes, ne permet point d'approuver.
La fabrique de chaussures fut fermée, après un fonctionnement de quelques mois, et depuis lors la petite industrie put jouir en paix de son triomphe.
2. Crise des salaires. — Depuis le mois de juin 1888,

De ces 115 ouvriers, une cinquantaine furent réduits à chercher du travail à l'étranger : à Binche, à Anvers, en France, etc. Les autres, moins méritants, joints à bon nombre de cordonniers d'Emelghem et d'Ingelmunster, demeurèrent sans ouvrage, surtout à cause de leur manque de capacité, parce qu'ils s'étaient laissé dominer par la routine. A l'époque présente, l'ouvrier cordonnier pour avoir du travail doit être un artisan habile ; ce que l'on demande de lui, c'est l'ouvrage achevé, artistique, celui enfin que la machine ne produit pas. Le travail commun et de grande exportation, la grosse cordonnerie en un mot, est abandonnée au travail mécanique.
L'offre de bras excédant malheureusement la demande à cette époque les salaires ne tardèrent point à baisser de 1 à 2f,50 par semaine suivant le travail. Sauf quelques légères fluctuations, ils demeurent actuellement à peu près au même niveau.
3. Concentration du travail entre les mains d'n petit nombre de patrons. — Le bon marché du cuir, jusqu'à ces derniers temps, les bénéfices dus à l'activité et à l'initiative des patrons permirent à ceux-ci d'étendre rapidement leur industrie. Les bénéfices résultant surtout du trafic en gros, les petits patrons cédèrent peu à peu la place à ceux qui se sentaient capables de grandes entreprises, et les ouvriers se groupèrent de plus en plus nombreux autour de ces quelques patrons puissants. Le tableau suivant montre cette transformation :

[171] Si l'on joint aux 1.745 personnes qu'occupe l'industrie cordonnière d'Iseghem, les apprentis et apprenties de première année qui n'ont point encore de livret distinct de leurs maîtres, on arrive facilement à un total de plus de 2.000 personnes vivant du produit de ce métier et soutenant pour la plupart à leur tour une nombreuse famille.
4. Crise provopuée par la hausse des cuirs. — Cette crise semble avoir pour effet direct, si elle se prolonge, d'accentuer la ruine des petits patrons. Par un contre-coup d'ailleurs facile à comprendre, elle commeņa par provoquer une recrudescence des affaires ; tous les grands magasins voulurent se fournir aux anciens prix. Les demandes furent extrèmement nombreuses durant les derniers mois de l'été passé (1895). Des patrons puissants entreprirent des affaires sur une large échelle ; bon nombre d'ouvriers abandonnèrent même les petits patrons pour courir vers les ateliers où l'ouvrage abondait. Mais cette prospérité apparente sera-t-elle de longue durée Les stocs de matière première sont bien vite épuisés. Heureusement le prix de la chaussure monte rapidement, et la rémunération du patron sera peut-être suffisante pour lui permettre de ne point diminuer le salaire des ouvriers. Nul doute cependant que la situation est périlleuse et, de l'avis de tous, elle ne deviendra véritublement stable que quand, grâce au monopole qu'ils exercent pour ainsi dire en Belgique, les patrons cordonniers d'Iseghem auront pu s'entendre pour fixer le prix des chaussures.
Ce besoin d'union entre patrons d'une part, entre ouvriers de l'autre part, est bien la note caractéristique de la situation actuelle du métier.
[172] 5. Groupement syndical professionnel. — Tout l'intérêt se concentre pour les patrons dans l'achat à bon marché des matières premières, la fixation du prix des chaussures et l'ouverture de débouchés nouveaux. De l'avis général l'union syndicale serait le moyen le plus efficace pour arriver à cet heureux résultat.
Quant aux ouvriers, inutile d'appuyer sur les avantages énormes qu'ils retireraient de l'achat en commun des objets indispensables à la fabrication de la chaussure, tels que clous, fil, cire, outils, etc. Ces objets doivent être fournis à leurs frais depuis environ vingt ans ; ils les paient ordinairement fort cher, leur emploi entraîne d'habitude une dépense de 15 à 20 centimes par paire de souliers et même davantage10.
Inutile également d'appuyer sur les avantages que les ouvriers d'une corporation aussi puissante que celle- ci, si elle était constituée, retireraient de la loi future sur la personnification civile des associations ouvrières, leur permettant de posséder un fonds commun et de plus de louer en bloe et de sous-louer à leurs membres des parcelles de terre. Les profits que pourrait en retirer l'ouvrier cordonnier seraient énormes, tant au point de vue de l'emploi utile de son temps libre que du gain qui en résulte pour la famille. Pour s'en convaincre, il sufit de jeter un coup d'œil sur le bénéfice que la culture d'un champ procure à la famille ouvrière dont nous esquissons la monographie.
La question de conférences publiques, et même de lecons pratiques données aux cordonniers est intimement liée à celle de la perfection du travail, qui semble être le point capital et le seul avenir de la cordonnerie d'Iseghem.
Cette question si importante intéresse également les patrons et les ouvriers ; aussi, de même que les conflits soulevés à l'occasion du rebutage des pièces et du salaire, ne peut-elle être résolue que de commun accord. Elle semble être réservée, avec bon nombre d'autres, à un conseil supérieur composé des délégués des deux groupements, celui des patrons et celui des ouvriers, qui, bien qu'ayant des intérêts propres, ont le devoir de s'entendre et vivent de la prospérité d'un même métier.
[173] Quel que soit l'avenir réservé à notre industrie cordonnière, le tableau suivant semble assez bien correspondre dans ses grandes lignes aux vœux exprimés un peu partout pour une organisation qui comprendrait :
I. Syndicat de patrons pour : 1° fixer le prix de venté des chaussures ; 2° chercher et entretenir des débouchés ; 3° acheter en commun la matière première ; 4° élire des délégués au conseil supérieur.
Syndicat d'ouvriers pour : 1° acheter en commun les instruments et objets nécessaires au métier ; 2° élire des délégués au conseil supérieur ; 3° délibérer et prendre des mesures utiles : assurances, caisses de secours, etc.
II. Conseil supérieur composé : 1° des délégués des syndicats de patrons et d'ouvriers ; 2° du président, du vice-président et de l'aumônier de la Gilde des métiers, et ayant pour mission de : 1° régler les questions des salaires ; 2° siéger a) pour donner des explications, b) pour amener la conciliation, c) pour émettre une sentence arbitrale en matière de conflits soulevés à l'occasion du rebutage des pièces, des règlements, des renvois, des salaires, etc. ; 3° régler les écoles du métier, les conférences, etc. ; 4e louer en bloc et sous-louer des parcelles de terre aux membres.
Il n'est pas sans intérêt de joindre comme annexe à ce paragraphe trois documents : 1° un spécimen de règlement d'atelier; 2° le tableau comparatif des salaires pendant les trois périodes que l'on vient de parcourir successivement ; 3° les statuts de la Gilde de Saint-Crépin.
I. — RÉGLEMENT D'ATELIER.
Art. I. — Nul n'obtiendra d'ouvrage s'il n'est porteur d'un livret délivré par nous et s'il n'accepte les conditions y mentionnées.
Art. II. — Chaque ouvrier est tenu d'examiner l'ouvrage qui lui est donné au monent oui il le reçoit ; car nulle réclamation ne sera acceptée lors de la rentrée du travail fait. Les mesures doivent être délivrées également s'il y a lieu.
Art. III. — Quiconque vend, échange, ou modifie une partie quelconque du travail qui lui a été confié devra reprendre ce travail à son compte et donner le dédomnmagement qui lui sera imposé par son patron ; il en est de[174]même pour ceux qui livrent un travail fautif tel que celui qui présente des coupures, des coutures mal faites, etc.
Art. IV. — Toute matière première que l'ouvrier reconnait mauvaise ou désavantageuse doit être rapportée.
Art. V. — Encourent une amende de 0f50 :
1° Ceux qui ne rapportent point leur ouvrage au temps stipulé ;
2° Ceux qui n'impriment sur leur travail aucun numéro, ou un numéro autre que le leur ;
3° Ceux dont les souliers présentent des clous à l'intérieur.
Art. VI. — Nul travail ne sera accepté si ce n'est au temps stipulé.
Art. VII. — H est sévèrement défendu sous peine d'une amende de 0f50 de pénétrer dans la fabrique en fumant.
Art. VIII. — Nul ne pourra régler les comptes si ce n'est au temps fixé, c'est-à-dire de... à 7 h. du soir.
Art. IX. — Tous les livrets doivent être rentrés le samedi avant midi, afin que l'on puisse régler les comptes l'après-midi.
Art. X. — Hormis les choses dont l'ouvrier a besoin pour l'achèvement de son travail ou l'exercice de son métier, et pour compte de son patron, rien ne lui sera livré ou vendu à crédit.
![Heures fixées pour la livraison et la rentrée du travail [notes annexes]](https://api.nakala.fr/iiif/10.34847/nkl.dc7an8vp/066371113a4cc6091402e0bedf4ce066003f51e5/239,1971,1562,527/max/0/default.jpg)
II. — TABLEAU COMPARATIF DES SALAIRES.
![Gain de l'ouvrier à la pièce [notes annexes]](https://api.nakala.fr/iiif/10.34847/nkl.dc7an8vp/066371113a4cc6091402e0bedf4ce066003f51e5/231,2870,2146,1071/max/0/default.jpg)
![Gain de l'ouvrier par semaine [notes annexes]](https://api.nakala.fr/iiif/10.34847/nkl.dc7an8vp/34087f65584f765724c004ab571577ffb5d1913b/207,463,2194,903/max/0/default.jpg)
![Gain de l'ouvrière (piqueuse) à la pièce et gain de l'ouvrière par semaine [notes annexes]](https://api.nakala.fr/iiif/10.34847/nkl.dc7an8vp/34087f65584f765724c004ab571577ffb5d1913b/251,1363,2170,943/max/0/default.jpg)
III. — STATUTS DE LA GILDE DE SAINT-CRÉPIN.
[175] Art. I. — Une association de cordonniers est fondée sous le nom de Gilde de Saint-Crépin, dans le but d'unir les cordonniers par des liens fraternels, de veiller aux intérêts du métier, et de célébrer la fête de Saint-Crépin d'une façon joyeuse et honnête.
Art. II. — Tou les cordonniers, tant les patrons que les ouvriers, qui ont atteint l'age de dix-huit ans peuvent faire partie de la Gilde.
Art. III. — Le bureau est composé d'un chapelain et de sept membres qui élisent entre eux un doyen et un secrétaire. Tout membre, qu'il soit patron, découpeur, ou ouvrier, peut être membre du bureau.
Art. IV. — Le bureau est chargé :
1° De l'acceptation et la répudiation des membres;
2° bDes décisions touchant les réunions et les jours de fête ;
3° De la rentrée et de la distribution du'numéraire;
4° De l'inspection des comptes;
5° De la prise des mesures tendant à l'amélioration du métier ou de la Gilde ;
6° Du renouvellement du bureau.
[176] Art. V. — Les membres s'engagent à être présents à la messe annuelle de la Gilde célébrée en l'honneur de saint Crépin ainsi qu'au banquet de midi et à la fête du soir qui doit se terminer au coup de dix heures.
Art. VI. — Chaque membre verse hebdomadairement 10 centimes entre les mains du collecteur. Ces deniers doivent servir au paiement : de la nesse de saint Crépin, des messes dites pour les membres défunts, du salaire du collecteur, du banquet annuel de la Saint-Crépin, des insignes, du drapeau, des habits de procession, des écrits et de tous les autres objets acquis pour l'honneur ou l'avantage de la Gilde ; s'il reste un reliquat important, de l'avis favorable du bureau une part des deniers versés sera rendu le jour de la Saint-Crépin.
Art. VII. — Dans les premiers jours qui suivront la mort d'un membre, une messe sera chantée aux frais de la Gilde pour le repos de son âme, tous les membres sont tenus d'y assister.
Art. VIII. — Quiconque abandonne la Gilde par changement de domicile ou exclusion perd tout droit sur les deniers déjà versés, sauf s'il a quitté la Gilde pour servir dans l'armée.
Art. IX. — Seront exclus par décision du bureau ceux qui déshonorent la Gilde par leurs jurons, paroles inconvenantes, querelles, ivrognerie ou mauvaise conduite.
Art. X. — Les membres se réuniront tous les mois au local de la Congrégation pour traiter des affaires de la Gilde et du métier. Le bureau veille à ce qu'il soit donné durant ces réunions des lȩons ou des conférences et qu'il soit distribué des écrits et des modèles dans l'intérét et pour l'amélioration du métier de la cordonnerie.
§ 18. APPLICATION DES LOIS OUVRIÈRES EN CE QUI CONCERNE LE MÉTIER DE LA CORDONNERIE A ISEGHEM.
Conseils de Prudhommes. — Loi du 31 juillet 1889. Iseghem n'est pas placée sous cette juridiction spéciale, qui ne peut être octroyée que par une loi.
Conseils d'industrie et du travail. — Loi du 16 août 1887, non encore appliquée à Iseghem.
Travail des femmes et des enfants. — Loi du 13 décembre 1889. Il serait difficile de trouver des infractions à cette loi pour ce qui concerne le métier de la cordonnerie. Bornons-nous à remarquer que le maximum de doue heures de travail, accordé par l'article 4 aux enfants[177]âgés de moins de seize ans et aux femmes et filles âgées de plus de seie ans et de moins de vingt et un ans, est bien souvent atteint, spécialement dans ces petits ateliers de piqueuses de bottines qui réunissent bon nombre d'apprenties. Nous n'ignorons point les bénéfices considérables de cette industrie, nais il nous semble que la spéculation sur le travail des enfants, bien que n'enfreignant pas les bornes posées par la loi, doit causer un préjudice à leur état sanitaire. L'apprentissage ne se fait certes pas plus rapidement lorsque le corps et l'esprit sont surchargés de besogne, et l'enfant ne gagne pas davantage puisque son salaire est fixe (2 francs à 2f50 par semaine).
Payement du salaire. — Loi du 16 août 1887. Les payements ennature ont diminué depuis la promulgation de cette loi. L'ouvrier jouit également d'une plus grande liberté dans l'emploi de son salaire ; mais les nouvelles dispositions présentent encore des lacunes. En vertu des articles 8 et 9 l'action du patron, de sa femme, de ses enfants etc., tendant au payement de fournitures faites par eux à leurs ouvriers, n'est pas recevable ; mais cette règle ne comprend pas les objets fournis par la mère, le frère, la sœur, le beau-frère, la belle-sœur du patron, ni toute autre personne officieusement désignée par lui aux ouvriers comme devant leur procurer, soit des objets nécessaires à leur métier : clous, fil, cire, etc. (ceci serait encore permis par le 3° de l'article 2, si ces objets n'étaient livrés qu'au prix de revient, mais ce ne semble point être le cas ordinaire), soit toutes autres marchandises, telles que des étofes, des épices, voire même du pain et ce à des prix parfois vraiment ex âgérés. Hâtons-nous d'ajouter que ce reproche est loin de s'adresser d'une façon générale aux patrons cordonniers.
L'article 4 de la loi dit que le payement des salaires ne peut avoir lieu dans les cabarets ; il semble que cette stipulation est ordinairement observée, mais le fait que bon nombre de découpeurs (sortes de contremaîtres qui préparent et attribuent souvent l'ouvrage aux ouvriers) sont cabaretiers, entraine précisément les abus que la loi veut éviter. Le salaire du cordonnier dépend surtout de la qualité de l'ouvrage, un bon ouvrier prefère obtenir des commandes de souliers fins dont la confection lui procure une rémunération beaucoup plus élevée. Avoir du travail pour toute une semaine est également un grand avantage, cela permet de perdre moins de temps dans des visites inutiles à l'atelier. br, pour étre bien vu du découpeur, et partant obtenir facilement du bel ouvrage, n'est-il pas nécessaire d'aller boire chez lui le dimanche et même une bonne partie du lundi en attendant la préparation des[178]cuirs ? C'est là une situation regrettable, car elle ne sert qu'à entretenir le penchant, déjà trop accentué, de l'ouvrier cordonnier vers l'ivrognerie.
Mais gardons-nous de généraliser, et hàtons-nous de dire que si, dans une aussi vaste organisation du travail, il se trouve encore quelques points qui donnent prise à la critique, c'est grâce cependant à l'heureuse initiative de nos patrons cordonniers que le métier se maintient relativement si prospère.
Loin de se reposer le dimanche des durs labeurs de la semaine, plusieurs d'entre eux se dévouent avec un zèle vraiment admirable aux euvres ouvrières qu'ils ont aidé à fonder et dont ils demeurent les énergiques soutiens. Aussi sommes-nous heureux d'avoir ici l'occasion de rendre un juste hommage à leur dévouement.
§ 19. INSTITUTIONS D'ORDRE ÉCONOMIQUE ET MORAL FONDÉES A ISEGHEM POUR LE BIEN DE L'OUVRIER.
Cercle ouvrier de Saint-Francois Xavier, fondé dans la confrérie fdu même nom. Toutes les œuvres ayant pour but le bien moral et matériel des travailleurs ontpour centre le cercle ouvrier dit de Saint-François-Xavier. Instructions religieuses, délassements honnêtes, charité, épargne, rapports intimes entre compagnons, et entre patrons et ouvriers, sont autant de notes caractéristiques de cette vaste association, qui en se perfectionnant de plus en plus embrassera les aspirations de tous les travailleurs, les groupera d'après leurs intérêts, et deviendra bientôt dans ses locaux agrandis une puissante gilde des métiers.
II. Caisse d'épargne. — Cette œuvre, commencée il y a vingt et un ans sous les heureux auspices de M. l'abbé Van den Driesche11, prospère de jour en jour grâce au zêle éclairé et persévérant de ses dévoués collaborateurs. Le rapport sur la période comprise entre le 1er juillet 1894 et le 30 juin 1895 nous donne les chiffres suivants

[179] Cette bienfaisante institution étend ses ramifications jusqu'au village voisin d'Emelghem, où 47.315f18 furent épargnés durant l'année écoulée. Toutes les écoles, les congrégations et les patronages sont autant de canaux recueillant les économies sou par sou pour les faire fructifier dans le trésor commun.
Le tableau suivant ne sera peut-être pas sans intérêt :

III. Caisse de pret gratuit. — Fondée en 1874 au sein du cercle ouvrier, par M. l'abbé Van den Driesche, cette institution de crédit ppulaire revisa ses statuts le 17I octobre 1890.
Pour bénéflcier des avances de fonds qu'elle fait gratuitement, il[180]faut être muni, depuis trois mois au moins, d'un livret de la caisse d'épargne et rembourser chaque semaine : 0f25 pour un prêt de 5 fr., 0f50 pour 20 fr., 1 fr. pour 50 fr., 2 fr. pour 100 r., 5 fr. pour 200 fr.
Le livret d'épargne est déposé en caution. On peut obtenir le double de la somme y inscrite, jusqu'à concurrence de 200 francs. En cas de non-remboursement l'emprunteur, peut être poursuivi par tous moyens légaux ; son nom sera affiché au bureau de la caisse d'épargne. Jusqu'ici le capital, produit d'un don, n'a subi aucune perte. Il ne comporte que 2.250 francs. Les avantages qu'en retirent les ouvriers sont très sensibles. Durant l'année écoulée, 7I5 avances d'argent furent opérées comme suit :

IV. Caisse de secours mautauels de Saint-Hilone. — Cette œuvre fondée
en 1874, offre un subside à chaque membre malade de la famille ouvrière, et cela pour la modique cotisation de 5 centimes par semaine donnés pour tout le ménage ; 30 hommes dévoués, placés sous la direction d'un conseil, se partagent les différents quartiers de la commune pour faire la collecte, visiter les nécessiteux et accorder les subsides, le tout gratuitement. L'esprit de la charité chrétienne domine spécialement cette institution. Aussi le bureau jouit- il d'une asse grande latitude dans l'octroi des subsides. Ceux-ci varient entre 2 et 3 francs par semaine. Bon nombre de membres d'honneur soutiennent cette euvre par leurs aumônes. En moyenne 3.000 francs sont distribués annuellement aux pauvres. Plus de 600 personnes sont affiliées à la Caisse ; ce sont surtout les femmes et les enfants qui en bénéficient, car le mari est assuré le plus souvent à une caisse spéciale fondée sur le pied des mutualités ordinaires.
[181] Une autre société analogue, les Ouvriers réunis, a été fondée en 1883 avec 26 membres. Elle compte aujourd'hui 530 participants et 144 membres honoraires ; elle accorde des subsides pour 4.700 francs par an.
V. Caisse de retraite. — Jointe à la succursale de la Caisse d'épargne de l'État fondée au sein du cercle ouvrier, cette institution semble être appelée à poduire de grands fruits. Moyennant une cotisation de 1 franc par mois l'ouvrier, s'il a commencé à quinze ans, peut obtenir à soixante-cinq ans une rente de 293f50 ou de 161f84 selon qu'il a versé à capital abandonné ou réservé. lInutile d'appuyer sur les avantages énormes que peuvent en recueillir les travailleurs, spécialement ceux qui, comme les cordonniers et les brossiers, sont habitués à gagner un fort salaire et jouissent d'un certain bien-etre, mais qui, arrivés à l'âge de soixante à soixante-cinq ans, voient leur famille se disperser, leur agilité faiblir et sont souvent réduits à une misère d'autant plus pénible qu'elle succède à une aisance habituelle et bien méritée. ne petite rente peut obvier à cet état de choses, et permettre à l'ouvrier de léguer de plus un capital à sa veuve ou à ses enfants.
VI. Association pour la construction de maisons ouvrieres. — Elle fut fondée le 30 mars 1893. Son capital, formé de souscriptions, s'élève a 50.000 francs, divisés en 50 actions. Des avances de fonds sont faites par la Caisse d'épargne.
Quatre maisons, d'une valeur moyenne de 2.000 francs terrain compris, ont été fournies aux ouvriers moyennant ce prix payable par unnuités ; cinq avances de fonds ont été faites par la même société pour l'chat ou la construction d'une demeure. Plusieurs maisons sont encore en voie de construction.
VII. Gilde d'agriculteurs de Saint-Eloy. — Fondée en 1891 au sein du cercle ouvrier, cette associatio n comprend 160 cultivateurs possédant au moins une vache. L'avancement moral et matériel de ses membres est stimulé par des conférences touchant les droits et les devoirs des fermiers, l'emploi des engrais, la science agricole, les institutions économiques, etc., ainsi que par des séances expérimentales de laiterie, de fromagerie, etc., des consultations gratuites, l'institution de l'arbitrage et des expositions agricoles.
Les membres promettent de maintenir l'ordre moral et religieux sur toute l'étendue de leurs exploitations respectives. Le prévôt de la corporation est spécialement chargé de ses intérets. Le doyen, élu annuellement, n'est pas rééligible ; ce doit être un cultivateur. L'inluence réside surtout entre les mains d'un président permanent qui[182]dirige les débats dans les réunions. Toutefois l'institution d'un doyen non rééligible a l'avantage d'amener de nouveaux éléments dans le bureau de la gilde.
Une assurance contre la perte du bétail vient d'être fondée au sein de cette association. Espérons que cette nouvelle institution, jointe d'un côté aux nombreux avantages énumérés ci-dessus, et de l'autre aux améliorations ardemment désirées partout pour l'avenir, telles que coopératives pour la fabrication du beurre et du fromage, l'achat en commun d'instruments de travail perfectionnés, de semences et d'engrais, contribueront puissamment au bien-être de la classe agricole si digne d'intérêt.
V. Assurance contre les incendies. — Iseghem payait autrefois environ 30.000 francs par an à diverses sociétés d'assurances. Or en moyenne le feu ne faisait que pour 5.000francs de ravages. Fatigués de ces dépenses exagérées, les habitants trouvèrent avantage à s'assurer eux-mêmes. Le 20 décembre 1890, fut fondée l'Assurance d'seghem.
Cette Société n'assure pas au delà d'une valeur de 50.000francs. Son capital social se compose des primes versées durant les six premières années, après ce délai les primés ne seront plus perçues que pour autant qu'il sera nécessaire de lever de l'argent sans toucher au capital. Un fonds de réserve de 50.000 francs, souscrit par actions de 100 francs, sert de garantie. Les sommes n'en seront versées que pour autant que le besoin s'en fera sentir apres l'absorption du capital social.
Détail piquant : un ouvrier qui assurait jadis son mobilier pour 1.500 francs, payait annuellement 8f20 ; actuellement il paie 1f50 pour la même assurance.
IX. Gilde des Francs brossiers, créée le 10 décembre 1894. — Le métier de brossier prend de plus en plus d'extension à Iseghem. Plus de 700 ouvriers et 750 ouvrières vivent de ce travail. Bien que leur ouvrage, surtout celui des femmes, puisse souvent se faire à domicile, nous remarquons, contrairement à ce que nous avons vu pour la cordonnerie, que presque toute la besogne se fait à l'atelier. Inutile d'insister sur les désavantages physiques et surtout moraux de cette organisation. Aussi n'est-il point étonnant que le contact de l'atelier ait produit des effets fâcheux sur cette classe de travailleurs.
Abandonnés à eux-mêmes jusqu'ici, les brossiers eurent le bonheur de voir des hommes d'euvres s'intéresser à leur sort. L'avancement moral et la prospérité matérielle sont également sauvegardés dans les[183]statuts de la jeune corporation. Comme celle des cordonniers, déjà elle entame la lutte avec des associations moins chrétiennes, et elle obtient la victoire du nombre et la sympathie des habitants. Elle compte actuellement 202 membres, tandis que l'autre association n'en compte que 75.
M. Gilde des etiers (en formation). — L'avenir seul nous dira les résultats que pourra donner cette fédéraution de toutes les gildes particulières. Elle est destinée à grouper les unions professionnelles et toutes les œuvres ouvrières dans une vaste association chrétienne aayant pour base la confrérie déjà existante et le cercle de Saint-Fraņois Xavier.
Des institutions semblables ont déjà été fondées en Belgique dans bon nombre de villes, notamment à Bruges et à Louvain. Les avantages que les centres économiques et chrétiens procurent aux ouvriers sont énormes, ce sont là de véritables forteresses contre le socialisme. Mis si ces associations, fondées pour ainsi dire tout d'une pièce, ont pu se maintenir et prospérer, combien ne pouvons-nous point espérer d'une organisation qui reposera sur une confrérie aux tendances à la fois religieuses et sociales Celle-ci, en effet, compte déjà bon nombre d'œuvres ouvrières dans son sein, elle est enracinée depuis vingt-trois ans dans les cœurs comme dans les esprits, et ses 00 membres ouvriront leurs bras avec joie à leurs nouveaux frères pour former avec eux, dans leurs locaux agrandis, l'élite de la population ouvrière d'Iseghem.
Le nouveau cercle, actuellement en construction, comprendra, outre la grande saulle de café et de réunions, des salles de section pour les diverses corporautions et associations, des salles de jeu et des bureaux pour les nombreuses euvres économiques, telles que caisses d'épargne, de prèt gratuit, etc.
XI. Cercle catholique, fondé le 21 juin 1878. — Il compte 130 membres. Bien que cette association ne rentre pas directement dans le cdre des euvres ouvrières, ous ne voulons point ln passer sous silence. Son influence s'étend surtout sur les classes bourgeoises.
XII. Cercle d'improvisation. — Une vingtaine de membres s'y réunissent tous les quine jours pour étudier les questions littéraires et sociales et pour préparer des conférences populaires.
XII. La bibliothèque populaire, fondée en 1869, au siège de la Congréation des jeunes gens, est ouverte le dimunche et le jeudi.
XIV. Oeuvres de charité chrétiene. — Il faut citer ici, d'abord la[184]Conference de Saint-Vincent de Paul comprenant 30 membres actifs, visitant 20 familles pauvres à domicile et distribuant en secours annuels 2.,100 francs ; ensuite la Conpférence des dames, spécialement fondée pour soutenir les veuves et les orphelins ; les visites se font également à domicile par 20 dames à 23 familles ; la conférence compte encore plus de 300membres d'honneur et distribue annuellement pour plus de 2.000 francs de secours ; enfin ˉl'Association de femmes paures assistant tous les dimanches à un sermon et recevant soit un pain, soit des secours en argent.
XV. Patronage de la eunesse. — Il s'exerce soit par des établissements d'instruction, soit par des œuvres de patronage proprement dit.
Aux premiers appartiennent : une école libre et catholique des garģons récemment adoptée par la commune ; elle compte 11 professeurs et 661 élèves, répaprtis en diverses sections payantes (193 élèves) ou gratuites (468 élèves) ; l'enseignement primaire est couronné par l'enseignement moyen qui compte 4 professeurs prêtres et 65 élèves ; puis une ecole libre de filles dirigee par des religieuses, elle comprend : un pensionnat de 24 élèves, une section payante d'enseignement primaire fréquentée par 180 élèves, une section gratuite d'enseignement primaire fréquentée par 327 élèves, une école gardienne, gratuite de 195 élèves, payante de 92 élèves ; une école dentellière, où 44 élèves apprennent le métier, qui semble se relever quelque peu en Flandre ; une école ménagère, comprenant l'enseignement de la cuisine, de la couture, du lessivage, etc. Les cours, donnés depuis le mois d'octobre 1895, sont suivis actuellement par 16 élèves ; ce nombre tend à augmenter. L'établissement compte 20 maîtresses et 878 élèves. De même qu'à l'école des garçons l'épargne est mise en honneur, des succursales de la Caisse générale sont établies dans toutes les sections. Trois écoles rurales complètent cette organisation ; elles sont situées dans les hameaux les plus éloignés de la ville ; l'instruction y est généralement confiée à deux maîtresses sous la direction d'un prêtre de la paroisse ; elles comptent ensemble 120 garçons et 122 filles.
Parmi les œuvres de patronage proprement dit, il faut citer surtout les fondations suivantes. La Congregation des jeunes gens, dirigée par les vicaires de la paroisse et fournissant à la jeunesse, avec les enseignements moraux, tous les plaisirs et les délassements désirables pour l'après-midi et la soirée du dimanche. Une société musicale très florissante y a été fondée. L'épargne y est également pratiquée. Elle comprend 3 sections : 1° petite congrégation, 180 membres ; 2° congré[185]gation moyenne, 20 membres ; 3 grande congrégation, 350 membres. La Congregaotion de dames et de ieaunes ˉfiles, dirigée par le curé de la paroisse ; elle compte 640 mepmbres. Le ˉPatronage de ˉSainte-Germaine, nouvellement fondé et destiné à procurer aux jeunes filles de tous les âges des délassements honnètes pour l'après-midi et la soirée du dimanche. Toutes sortes de jeux y sont installés. Elles y bénéficient également de l'enseignement moral donné par un vicaire de la paroisse et peuvent y déposer leurs épargnes. L'Ecole dominicale des garģons, divisée en 10 classes confiées à la surveillance de 20 maîtres et comptant 100 élèves. Elle procure à la jeunesse studieuse l'oc casion de ne point oublier les connaissances acquises jadis à l'école; elle est dirigée par un vicaire de la paroisse, aidé d'une phalange d'hommes dévoués consacrant leur après-midi du dimanche à l'avancement moral et intellectuel de la jeunesse. Après l'étude, les 425 jeunes gens se livrent à des distractions variées et participent également aux bienfaits de l'épargne. Une grande distribution des prix a lieu annuellement. L'Ecole dominicale des filles procure aux sœurs de nos jeunes ouvriers tous les avantages énumérés plus haut. Les 625 jeunes filles qui la fréquentent, apres avoir assisté aux leçons données avec tant de dévouement par leurs maîtresses ainsi qu'à l'instruction religieuse et au Salut, se rendent au patronage voisin de Sainte-ermaine, où divers amusements leur permettent de passer agréablement le reste de l'après-midi et le commencement de la soirée. Enfin l'Orphelinat des gargons et l'Orphelinat des filles.
XVI. Confréries pieuses. — Les sentiments chrétiens de la population d'seghem trouvent encore le moyen de s'affirmer dans bon nombre de pieuses confréries parmi lesquelles nous citerons : les obiassen, ou disciples de Tobie, qui, moyennant une légère cotisation, procurent un service religieux aux membres défunts et dont à tour de rôle les 200 confrères portent les morts à leur demeure dernière ; elle date de 1670; les ertiaires de Sain-ranois d'Assise, confrérie qui semble spécialement établie pour combattre le luxe, l'une des plaies de notre époque, et ramener le monde à une vie plus chrétienne ; elle compte 163 membres ; la Confrerie du Saint-Sacrement, fondée vers 17I15, dont les membres accompagnent publiquement la sainte Eucharistie portée aux malades et dans les processions ; elle compte 250 hommes et 350 femmes ; la ˉConfrérie du ˉosaire, préconisée par Léon XIII; la Con/frérie de la Sainte -Famille, créée sous la même inspiration ; enfin la Confrérie du Sacré-Coeur, fondée en 1868, et comptant 620 membres.
§ 20. SUR LES JEUX ET LES DIVERTISSEMENTS LOCAUX.
[186] A côté des sociétés de fanfare, de chant, de tir à la cible, de tir à l'arc, etc., très répandues dans tout le pays, les habitants d'Iseghem ont d'autres divertissements favoris qui révèlent un caractère plus spécial d'originalité ; nous citerons les suivants :
Le ieu de bagues réunit à certains jours toute la jeunesse des envions. Les concurrents, montés sur de robustes chevaux ou traînés dans une calèche légère, doivent viser un anneau suspendu en travers de la route et tâcher de l'emporter au bout de leur lance. Chevaux et cavaliers sont souvent fort élégamment ornés. Parfois, pour égayer ces joutes populaires, un baquet rempli d'eau est disposé de manière à se déverser sur celui qui par maladresse aurait manqué son coup. De grands honneurs sont rendus au vainqueur ; il est reconduit processionnellement par une imposante cavalcade. Cette coutume semble avoir une origine fort ancienne.
Les concours de pinsons. Ces oiseaux sont fort recherchés dans le pays. Les oiseleurs les prennent en grande quantité et pour les amener à chanter davantage (probablement afin d'égayer leur solitude) ils usent d'un procédé assez barbare, qui consiste à les priver complètement de la vue en brûlant leurs paupières au moyen d'un fer rouge.
Chaque année, vers le printemps, les nombreux amateurs de pinsons organisent divers concours. On se réunit souvent dans le parc du château toutes les cages sont alignées de chaque côté d'une longue et large avenue et devant chacune se trouve un contrôleur armé d'une longue règle sur laquelle il prend note à l'aide d'un morceau de craie de chaque ritournelle de l'oiseau. Le concours dure une heure ; c'est un véritable concert. Il est déjà arrivé que le pinson qui remportait le prix avait chanté plus de 1000 fois.
La noble, antique et louable Gilde du cheualier saint Georges, tel est le titre inscrit dans les registres de l'ancienne association de tir à l'arbalète dont l'origine remonte au moyen age. Les plus puissants seigneurs de la Flandre se mêlaient aux bourgeois pour prendre part à ce jeu si éminemment populaire.
D'après les statuts renouvelés en 1665,il fallait, pour faire partie de cette confrérie, être catholique romain, être né de parents honorables et avoir soi-même une conduite irréprochable », enfin il fallait avoir[187]prêté serment à la Gilde dans la forme et selon les rites usités. Les règlements portent que cinq fois par an les membres étaient tenus d'accompagner le roi (doyen de la confrérie) à l'église paroissiale afîn d'y assister à la messe dite pour les membres défunts ; tous ceux qui habitaient Iseghem devaient également assister aux funérailles des confrères décédés. De grands banquets étaient donnés à l'occasion des tirs, tous les membres y prenaient part. L'organisation intérieure de ces jeux était régie, sous peine d'amende, par une discipline sévère dont on observait encore il y a une quarantaine d'années les prescriptions les plus importantes ; aujourd'hui l'association est dissoute.
Une des journées les plus mémorables dont fassent mention les registres de l'antique confrérie est celle où les membres de la famille seigneuriale des princes d'Iseghem prirent part à ces réjouissances publiques et se firent inscrire comme membres de la Gilde de Saint-Georges. Voici à titre de document la traduction littérale du procès-verbal tel qu'il se trouve inscrit en langue flmande :
« Le 31 mai 1679, les confrères de cette noble et renommée Confrérie ont abattu le maître oiseau sur lequel avait tiré Son Ecellence Philippe Balthasar Villain de Gand, prince de Masmines. gouverneur de la province et duché de Gueldre, chevalier de la Toison d'Or, comte d'Iseghem, Emelghem, etc. Ainsi que le prince d'Iseghem, son fils aîné, et madame la princesse son épouse, de même que le marquis de Valparaisos, beau-fils de Son Excellence le prince de Masmines ; et pour donner une preuve du zèle et de l'estime qu'ils e portent à cette Gilde, ils ont signé le présent registre de leurs noms illustres comme confrères et conseurs de la prédite Gilde, le 33 juin 1679.
M. de HUMIÈRES, princesse d'Isanghien, Ph. de GAND, prince de Masmines, le marquis de VALPARAISOS, Jean de GAN, prince d'Isanghien. »
§ 21. SUR L'ORGANISATION CORPORATIVE DES CORDONNIERS DANS LES VILLES FLAMANDES.
Un apercu succinct de l'organisation corportive du métier de la cordonnerie dans les autres villes flamandes ne sera peut-être[188]pas dénué d'intérêt. Citons les corporations de Bruges et de Roulers.
A Bruges, la corporation des cordonniers forme une section de la puissante Gilde qui comprend tous les métiers de la ville. Quelques extraits des statuts rédigés en 39 articles feront connaître son fonctionnement. — Art. 1. Les travailleurs du cuir tels que cordonniers, selliers, bourreliers, tanneurs, patrons et ouvriers membres de la Gilde des métiers forment une association sous le nom de corporation des cordonniers. Ils choisissent pour patron saint Crépin. — Art. 4. La corporation des cordonniers comprend des membres actifs et des membres protecteurs. — Art. . La corporation des cordonniers est régie par un bureau comptant au moins membres plus le doyen et l'aumônier de la Gilde générale des métiers, ou en leur absence deux autres membres de ce conseil supérieur spécialement désignés par eux à cet effet. — Art 20. L'argent disponible est versé hebdomadairement dans la caisse d'épargne de la Gilde. Les membres du bureau ont le droit de contrôler chaque semaine la situation financière de la corporation. — Art. 21. Le produit des amendes est destiné à couvrir les frais du souper offert aux membres de la corporation le jour de la Saint-Crépin. — Art. 22. La caisse de la corporation sert : 1° à couvrir les frais d'administration ; 2° à procurer des secours en cas : a) de maladie de longue durée ; b) d'infirmité ; c) de vieillesse ; d) de mort. (La caisse de la Gilde assure pour les maladies au dessous de 60 jours.)
A Roulers, la corporation des cordonniers fait également partie de la Gilde générale des métiers. Voici les plus importants articles des statuts. — Art. 2. La corporation s'occupe des objets suivants : 1) amélioration dutravail; 2) application d'un minimum de salaire; 3) détermination des heures de travail ; 4) enquète permanente sur les institutions à créer en faveur de ses membres ; 5) conférences et apprentissage du métier ; 6) conseils du travail et arbitrage; ) propagande. — Art. 15 : Les cordonniers qui seaient privés de travail par mauvais vouloir du patron à cause de leur participation à la corporation seront secourus par elle. Ils recevront un franc par jour jusqu'au moment où ils auront obtenu du travail, ceci à condition de faire partie de la corporation au moins depuis un an. — Art. 17. Chaque année une messe sera chantée le jour de la Saint-Crépin, les membres sont tenus d'y assister sous peine de 25 centimes d'amende. — Art. 23. Les ouvriers membres du bureau de la corporation qui deviendraient patrons doivent renoncer aussitôt à ces fonctions.
Notes
1. Monographie présentée le 11 novembre 1895 à la conférence d'économie sociale de l'Université catholique de Louvain, cours pratique dirigé par M. le professeur Brants.
2. Fete du village.
3. Lorsque le salalre dépasse les besoins journaliers de la famllle, le surplus est versé provisoirement à la Caisse d'épargne pour faire face plus tard aux grosses dépenses, telles que le loyer, l'achat de vêtements, etc.
4. Celui des ouvriers employés à l'agriculture n'est guère supérieur à 1 fr. 25 par jour. La fabrication des brosses exigeant moins de capacité est généralement moins bien rétribuée que les travaux de cordonnerie.
5. Remarquons ici que bien peu d'ouvriers des Flandres et même de petits cultivateurs sc pcrmettent lemploi de la viande en dehors du dimanche. Et souvent même alors se contentent-ils de lard ou du prodult de l'élevage de leur cochon.
6. Nous connauissons une famille de cordonnlers dont le budget des recettes, alimenté par le travail du père et de ses trois flls adultes, s'élève à prés de 100 francs par semaine ; mais c'est là une situation evccptionnelle et peu durable. Arrivés a cet âge et disposant de pareilles ressources les enfants ne trdent généralement pas à s'établir et souvent pDour le pere de famille une vieillesse plutôt misérable succéde à ecet état de prospérité, s'il n'y a point pourvu par l'épargne.
7. Le salaire élevé gagné par les enfants vdiminue cependant parfois l'autorité paternelle. Nous en avons vu, mus par un coupable désir d'émancipation, oublier le devoir de la reconnaissance et se borner à payer une pension moyennant laquelle ils se croyaient quittes de toute obligation.
8. Courtrai, Ypres, Tournai, Avelghem, etc.
9. Ce n'est pas sans étonnement que nous avons remarqué dans un ouvrage de M. Vandervelde (Enquête sur les associations professionnelles, t. 1, p. 17) quelques mots qui semblent attribuer ka chue défnitive de l'ancien régime (1860), à la création d'institutions noderne., termes qul paraissent, dnns la pensée de l'auteur, devoir s'appliquer à la corporation chrétlenne de saint Crépin. fondée seulement en 188, ous l'Inspiration de M. l'abé Vaun den Driesche. pour remédier au relachement moral qui avait suivi l'abolition de k'ncienne rélementation. De plus, loin d'admettre avec le même auteur que cette tentative ait compnlètement échoué. nou reconnaissons à la nouvelle associatlon une influence hautement mornlisatrlce, que ses développements nouveaux (voir plus loln) ne pourront qu'afernir en y ajoutant des avantages matériels de plus en plus palpable.
10. Peut-être la crainte de ces achats en commun par les ouvriers engagerait-elle les petits négociants à prendre les devants, à s'unir dans ce même but atfîn de pouvoir fournir à meilleur compte aux cordonniers. Sans nuire au petit commerce on arriverait ainsi a peu près au même résultat.
11. Les origines et les premiers développements de cette institution ont été exposés par M. Faligan dans une brochure iuntitulée Monographie des institutions economiques fondees par M. l'abbé Van den Driesche à Isegem et à ˉEeghem. La Réforme sociale l'a resumée dans sa livraison du 15 janvier 1886.