N° 107
ETAMEUR SUR FER-BLANC
DES USINES DE COMMENTRY
(Alller — France)
OUVRIER-PROPRIÉTAIRE
DANS LE SYSTÈME DES ENGAGEMENTS MOMENTANÉS
d'après
LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN 1889 ET AOUT 1890
Avec notes sur la situation en 1905
PAR
M. FÉNELON GIBON
Secrétaire de la Société générale d'éducation et d'enseignement
Sommaire
Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille
Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1ᵉʳ. — État du sol, de l'industrie et de la population.
[433] La famille décrite dans cette monographie habite, dans la partie de la ville de Commentry que nous désignons sous le nom de ville ouvrière, la douzième maison située à gauche, en partant de la Grand'Place, dans la rue Saint-Quirin, qui prend son nom d'un saint lorrain, patron des [434] verriers : cette dénomination résulte de ce que les premiers ouvriers appelés dans la localité, à la suite de l'exploitation des houillères de Commentry, furent appliqués à une glacerie installée sur l'initiative de la duchesse d'Angoulême vers 1820 (§ 17).
Le chef-lieu d́e la coumune est situé par 46° 17' 30'' de latitude nord et par 0° 24' de longitude est de Paris, à dix kilomètres environ du Cher. Commentry, auquel on accède de Montluçon par une voie pittoresque et extrêmement accidentée, est en même temps chef-lieu de caunton de l'arrondissement de Montluçon, centre d'industries très importantes, distant de quatore kilometres par là ligne d'Orléans (Bourges à Moulins). La station thermale de Néris-les-Bains, desservie par la gare de Chamblet-Néris, est à six à huit kilomètres de Montlucon comme de Commentry. En continuant à stivrè la même vie ferrée vers le ord-otést, oii trouve la ville de Saint-Amand-Montrond, chef lieu d'arrondissement du Cher, à soixante-troie kilomètres ; Moulins, chef-lieu du département de l'Allier, relié à Commentry par uné voie ferrée qui dessert un grand nombre de centres miniers (Bézenet, Doyet Montvicq, etc.), est à la distance de soixante-cinqkilomètres. Au sud-est, se trouve aannat, autre chef-lieu d'arrondissement, à cinquante-quatre kilomètres, sur une voie ferrée qui relie Commentry à Bordeauux par Lyon. La ville appartiet au département de l'Allier ; au sud de l'ancienne province du Bourbonnais, à proximité du nord de l'Auvergne et de l'ancienne province de la Marche, elle est comprise dahs le diocèse de Motuliis, dans le treizième corps d'armée, et relève de la Cour d'appel de Riom.
La commune occupe une superficie de 2,088 hectares, dont la plus grande partie sur un plateau médîocrement fertile s'élevant, la ville à 385 mètres, le bourg à 360 metres au-dessus du niveau de la mer.
Après le Revolution, la commune était du canton de Néris et du district de Montlucon. Après lae suppressien du canton de Néris, Commentry fit partie du canton de Montmarault jusqu'en 1859, ou il fut érigé en chef-lieu de canton et distrait de celui de Montmarault, avec les trois communes de Hyds, Colombier et Malicorne.
Le territoire de Commentry, très accidenté, appartient au terrain secondaire, à la base duquel se trouve le terrain carbonifère ou terrain houiller, qui repose sur les terrains dits de transition, et affleure à la surface du sol sur la plus grande partie de la concession (§ 17).
Parmi les cours d'eau qui arrosent cette portion du territoire, le plus important, le Cher, rivière torrentueuse descendant des monts d'Auverge, aux environs de Montel-de-Gelat, baigne les ruines du château[435]de l'Ours, point d'excursion favori des baigneurs de Néris. C'est là le point où il est le plus rapproché de Commentry. A proximité de la ville se trouvent deux autres cours d'eau sans importance : l'Amaron, qui passe à Montluçon et sort de l'étang situé au pied du château des Forges, à un kilomètre environ ; l'Oeil, qui, passant au vieux bourg de Commentry, situé à six ou sept cents mètres de l'hôtel de ville (§ 17), reçoit les eaux de l'étang de Lacore qui concourt à l'alimentation des usines, et se grossit de la rivière de la Chaux (la Celle) et de la Baune ou du Bauny, qui sépare, sur une grande étendue, les deux paroisses du Sacré-Coeur et de Saint-Front. La Baune est aussi appelée Rivière noire, parce qu'elle lave les charbons. Les deux cours d'eau se joignent aux Ranayds, sur les limites de Commentry et de Malicorne, à 350 mètres d'altitude environ. Il convient de mentionner aussi le canal du Berry, qui s'unit au Cher à Montluçon, et qui, par sa position centrale, joue un grand rôle dans le réseau complet des communications par eau entre les différentes parties de la France.
Le canton de Commentry est traversé par quatre chemins de grande communication et sept chemins d'intérêt commun, savoir : Chemins de grande communication d'Ébreuil à Commentry, n° 19 (longueur dans le canton, 7, 445 mètres) ; de Gannat à Montuçon, n° 37 (longueur, 12,780 mètres) ; de Villebret à Villefranche, n° 38 (longueur, 4,720 mètres) ; de Commentry à Marcillat, n° 69 (longueur, 3,020 mètres). — Chemins d'intérêt commun de Montmarault à Hyds, n°8 (785 mètres) ; de Commentry à Montaigut, n° 53 (4,430 mètres); de Commentry à Pionsat, n° 54 (4,440 mètres); de Doyet à Marcillat, n°56 (7,660 mètres); de Malicorne à Bézenet, n° 59 (2,070 mètres) ; d'Hyds à Colombier, n° 82 (3,230 mètres) ; avenue de la Gare à Malicorne, n° 100 (100 mètres). On le voit, ce canton est très bien desservi.
Le pays est riche en eaux minérales. Indépendamment de celles de Néris, qui amènent annuellement trois mille baigneurs, atteints de rhumatismes nerveux ou d'affections spécialement nerveuses, les eaux de Châteauneuf et de Bourbon-l'Archambault, éloignées de quarante et de quatre-vingt-quatorze kilomètres, attirent chaque année de nombreux visiteurs dans la contrée. Très accidenté et pittoresque, le pays forme comme un échelon inférieur des monts d'Auvergne.
Les centres industriels de Montluçon et de Commentry ont provoqué l'établissement d'un ensemble de voies ferrées fort actives. Après Ivry, Commentry est la gare de marchandises de plus fort tonnage de la Compagnie des chemins de fer d'Orléans, en raison des minerais, ferrailles[436]et matières premières qu'elle reçoit pour le service des usines, surtout des charbons et fers de toute nature qu'elle expédie ; le mouvement des marchandises se traduit par ces deux chiffres, pour l'année 1888 : arrivages, 179,500 tonnes ; expéditions, 193,000 tonnes. Les deux établissements privés des forges et des mines, appartenant, l'un à la Compagnie anonyme des forges de Chatillon et Commentry (à un kilometre et demi environ de la gare), l'autre à la Compagnie anonyme de CommentryF'ourchambault, sont desservis par des chemins de fer privés qui les relient à la gare.
La Compagnie de Commentry-F'ourchambault dispose d'une autre ligne, à voie étroite, — d'un mètre, — qui la relie aux houillères de Montvicq et au port de Montlucon. Son développement total est de trente kilometres environ.
En dehors des voies ferrées d'intérêt industriel qui sillonnent la contrée et d'autres voies d'intérêt économique, comme celle de Commentry à Marcillat et à Varennes, il convient de signaler particulièrement la ligne de Montluçon à Tours : ce chemin constitue la voie transversaule la plus courte qui va des ports de lOcéan à Toulon. Comme le canal du Berry, les difiérentes voies ferrées de cette région, en raison de leur position centrale, ont une grande importance, parce qu'elles servent de lien entre les réseaux des Compagnies françaises.
La ville ouvrière de Commentry doit son nom à une ancienne bourgade baignée par l'Eil, qui se trouve à ses pieds, et que les habitants de la cité appellent un peu dédaigneousement le vieux bourg la découverte et l'exploitation du bassin houiller de Commentry ont provoqué cette éclosion spontanée, qui compte un demi-sièele d'existence et fera plus loin l'objet d'une note particulière (§ 1). La ville, qui s'est formée sur un plateau élevé de 186 mètres au-dessus du Cher, à son passage à Montluçon, à 386 mêtres au-dessus du niveau de la mer, offre un climat rigoureux et défavorable aux personnes dont la poitrine est un peu faible. Le pays est sain.
La principale richesse minérale du pays est la houille. Le charbon de Commentry, gras, à longue flamme, d'excellente qualité, est principalement utilisé pour la production de la vapeur, le chauffage domestique, les usines à gaz, la forge, la fabrication du cole et des agglomérés. On trouve sur les schistes des empreintes de poissons, de fougères et de caulamites. Des empreintes d'insectes, plus rares, ont été trouvées à Commentry (Aoreige de geologie de M. de Lapparent, p. 177, 5e édition). La production de charbon, qui était de 600,000 tonnes environ avant 1897,[437]était tombée à 383,000 tonnes en 1901 ; elle continue à décroiltre, et l'on peut prévoir, d'ici à quelques années, l'épuisement complet de cette grande concession.
Commentry, comme tout l'arrondissement de Montluçon, est riche en produits végétaux et animaux. Sur 2,088 hectares que comprend la commune, 562 sont consacrés à la culture. Les récoltes en blé, seigle, avoine, orge, pommes de terre, sont excellentes. Les prairies, — 410 hectares, — nombreuses et vertes, sont peuplées de bœufs et de vaches de races charollaise et nivernaise (687 têtes au 1er novembre 1904). Le lait est riche et d'un goût agréable. Les chevaux (48) et les ânes (52) sont peu nombreux. Les races ovine. porcine et caprine sont élevées dans quelques fermes en assez forte quantité. Le gibier, à poil ou à plume. est plutôt abondant : hélas : les brauconniers aussi 1
Beaucoup de familles, celles surtout des ouvriers mineurs éparses dans les écarts si nombreux de la commune, élevent un porc, des lapins, des poules ; plus rarement, une vache ou des chèvres. L'ouvrier mineur cultive son jardin et souvent un champ contigus à la maison, dont il est le plus habituellement propriétaire : son service à la houillère, qui prend fin ordinairement entre quatre et cinq heures de relevée, lui laisse la facilité de conduire cette culture. L'ouvrier forgeron, plus enclin à la dépense et d'ailleurs beaucoup plus assujetti par la continuite d'un service fatigant, offre plus rarement le bon exemple de l'ouvrier propriétaire, cultivant une parcelle de terre.
En raison de son activité industrielle considérable, Commentry réunit les différentes industries urbaines qu'il est d'usage de trouver dans les centres populeux. Il se tient, dans la contrée, d'importantes foires a bestiaux.
Le relevé ci-dessous de quelques marchandises, consommées durant l'année 1888, marque l'importance acquise par ce chef-lieu d'industrie :
Vin, 12,501 hectolitres ; alcool pur, 492 hectolitres ; huile minérale, 1,131 hectolitres ; huile végétale, 632 hectolitres ; viande de bœuif, vache, taureau, génisse, 280,203 kilos ; viande de veauu, 141,860 ilos ; viande de mouton. 26,400 ilos ; lard, viande fraiche ou salée, 220,477 lilos ; graisse de saindoux, 2,928 lilos ; vinaigre, 243 hectolitres.
Les terres sont, en général, de qualité médiocre ; des accidents locaux, dus à l'exploitation de la houillere, ont produit parfois des afaissements : cette défectuosité des terrains, et la nécessité pour les ouvriers de s'établir à proximité des puits d'extraction, sont les principales causes qui justifient l'existence des trente écarts disséminés sur le terri[438]toire d'une communa, dont la superficie est dg 2,088 hectares 5 ares (la concession de la houillère s'étend sous toute la commue de Cmpmgnty)
La population a suivi un mouvement ascensionnel remarquable. Elg s'élevait, il y a lus de quarante ans, a 861, à 3,g habitgns, lgg recensements dae 1866, 182 t 186 accusient 10,000, 123,000 et anfl 13,000 habitants. La crise métallurgique des dernières annégg aena desg dépressions qui font tombqr la ppnulation : en 1881 at 1886, à 12,416 a à 12,51t5 habitants. Outre la ville dae Commantr, qui pssède 1,73 mai sons, occupées par2,379 aénages, dont les membres valides gont presque tous emplayés dans les houillères et les usines, le tierse de ces agglonérations, Pourcheroux, les Remorats, le hourg, Signevarine, Chgampfrmentoau, etc., offrent quelque importance.
La moyenne des enfants est sensiblement de quatre par mépnage. La natalité est, très approximativement, de quarante par 1,000 habitants.
Les gros propriétaires sont rares a Commentry. En revanche, les pns sesseurs d'une ou de plusieurs maisons aec jardin sont trè nobrgux. r̂ece a leur bon salaire, laes mineurs nt pu généralement achater un fonds de terrs at y faire construire unae maisonnette propre et gentille, Le jardinet, que sultive le mineur à son raetour du travail, fournit asgs de légumes pour la famille, et parmet même à la ménagère d'en portgr une partie aux marchés de Copnmentry et des villes voisines. Le jardinage et la culture maraichère comprennent 10 hectaras.
Les arbres fruitiers les plus divers abondent et donnent d'excellents produits. La vigne n'est guère cultivée que dans les jardins pour la raisin de table. A peine y a-t-il, dans toute la commune, un hgecfgre et demi planté en vigne pour le vin.
Commentry est, avant tout, un centre industriel, connu par deu groupnements cnnsidérables : les fnrges, dlépendant de la Campagnie de Chatillon, Commentry et Muves-laisons, conprenant hautgfournea, puddlage, fers-blancs, grnsse tôle, étameriegs et imprimeries sur ferblanc ; les houillèras, appartenant à la mpagnie de Conmentry, Fourchambault et Decaaeille. Autour de ces grands etahljssemens. gravitent l'usine Bodanrd, une chaînerie, une fabrique de sulfte de fer, plusieurs maisons de confectiong e de passmeneries.
Les professions les plns diverses existent à Commentry : médecins, pharmaciens, droguistes, marchands de vins, bonchers, houlangers, inr dustriels, mineurs, forgrons. Il sgerait dificile de dénambrer les chiffres exacis, par ecatégorie.
Quant aux rapports reliant les ouvriers aux patrons, nu ne connaig[439]ons que les Socjétés de secours nutuels de la forge, de la mina et de la vjle, La ˉoule de eige, la ˉCsois ˉMoage fracaisge, lae Dottian e daˉ lgunesse dg ˉFrgnce, les Preuaauants e l'venir, les Vgeterans des argees dge tgerrge et dge gr nt ne sgectin à Conentry.
§ 2. État civil de la famille
Le ménage comprenait, en 1889, quatre personnes, savoir :
Eugène P***, chef de famille, marié depuis vingt-neuf ans, né au Clerjus (Vosges)............ 50 ns.
Anne B***, sa femme, née à Decize (Nièvre)............ 49 —
Germaine, leur deuxième fille, née à Commentry............ 22 —
Louise, leur troisième fille, née à Commentry le 4 mars 1873............ 18 —
La fille aînée, Philomène, âgée de ving-quatre ans et mariée depuis sept ans, habite aussi la ville.
Deux petits garçons, né du mariage, sont morts les 21 juillet 1863 et 10 janvier 1865, l'un à deux ans, l'autre à vingt mois.
§ 3. Religion et habitudes morales.
Caame la papulatinn piae dans san ensemhle, les membros de la famille profasaent la religiaen catholique. Lauvrier, né dans les Vosges, au ailiaeu dune papulatian crayante, et issu d'une famille pénétrée des traditions chsrétiennes, a consaré pendant quelque temps en Bourhennais as pratiques raligieuses ; il sen est partiellement déshabitué depuis tantd̂t quinse ans, par négligenee et non par hostilité. La femme r, chrétienpamant élaé, a inculqué à ses filles des principes sûrs, et la famille cansarva, dans sa plenitude, le respeet paur los ehoses religieuses, dont la decraissance ast généralamant gcanstatée dans le pays. Très ehrétienne il y a un quart de siècle à peine, et entretenue dans les pratiques da la faoi pare des écales oongréganistaes nambreusees auyant que fréquentéa, la papulation ne suit plus aujeurd'hui, avec la même assiduité, les ofices de l'glise et les prascriptions de la religien. Les oinq nesses du[440]dimanche sont pourtant suivies ; il convient d'observer qu'il y a une sixième messe au bourg de Commentry. La messe d'hommes du dimanche existe toujours, mais on n'y retrouve plus le tiers des fdèles qui s'y pressaient autrefois. Les hommes, surtout, assistent à la messe aux grandes fêtes.
Le niveau des traditions religieuses s'est toutefois sensiblement maintenu à Commentry, comme l'atteste le chiffre respectable des communions distribuées annuellement — 25,000. — Toute la population tient au mariage, au baptême et surtout à la sépulture de l'Eglise : malgré les excitations mauvaises, les mariages et les enterrements civils y sont à peu près entièrement inconnus. Le jour de l'enterrement, la cérémonie religieuse est très suivie, et tous accompagnent le convoi jusqu'au cimetière ; le service de quarantaine est rigoureusement célébré, et les membres de la famille qui habitent les localités les plus éloignées ne se dispensent jamais d'y assister.
La commune possède deux églises : l'une au vieux Commentry, dite l'église du bourg (§ 17) ; l'autre au chef-lieu de la ville industrielle. Projetée en 1845, commencée en 1851, sur les plans d'un ingénieur dominé par la pensée de construire un édifice susceptible de recevoir une grande agglomération ouvrière, — parallélogramme non orienté de 50 mètres de longueur, en y comprenant l'abside, sur 20 mètres de largeur, — et consacrée en 1853 par Mgr de Dreux-Bréé, évêque de Moulins, cette église, d'une superficie extérieure de 1,100 mètres carrés, ne se recommande guère par la splendeur des lignes architecturales ; elle fait l'efet d'une vaste halle, mais elle a un titre très spécial à la dévotion, puisqu'elle fut la première de France placée sous le vocable du Sacré Cœur. Aux jours de grandes fêtes, elle est, actuellement encore, insuffisante. La fête du Sacré-Ceur y est très solennelle. Il faut convenir que les fêtes religieuses ne sont plus célébrées par la masse de la population avec le même respect qu'autrefois ; toutefois, les deux grands établissements industriels de la localité célèbrent avec éclat, conformément à des traditions déjà anciennes, les fêtes de saint Thibaud et de saint Éloi, patrons des ouvriers mineurs et des ouvriers orgerons de Commentry. Le chômage de ces jours facilite tout naturellement les réjouissances dans les familles, également accoutumées à célébrer les anniversaires des leurs (§ 11).
Mentionnons plusieurs Associations et Confréries florissantes : les Confréries de la Bonne Mort (la plus ancienne, compte 200 membres), du Sacre-Cœur de Jésus et du Rosaire (chacune 400) ; deux Congrégations[441]d'Enfants de Marie (100 chacune), une Association de Dames de la Charité (100), une Association de Mères chrétienhes (80), et le tiers ordre de Saint-Francois (25).
Il y a un certain nombre de protestants dans la commune, et leur prosélytisme a fait de nouvelles recrues dans ces dernières années ; un office religieux les réunit le dimanche soir à sept heures. Au surplus, les passions religieuses ne sont nullement développées dans le pays, et les croyants des diférentes religions y vivent côte à côte en bonne harmonie.
Sous l'influence des idées dominantes, Commentry subit, lui aussi, surtout depuis ces dernières années, une incontestable décroissance de l'esprit religieux, aussi bien dans l'élément forgeron que dans l'élément mineur. Les directeurs d'industries favorisaient, autrefois, les pratiques religieuses ;: aujourd'hui, les sociétés industrielles ne paraissent plus 'intéresser, au même degré, aux progrès de leur personnel dans l'ordre moral et religieux. Toutefois, il subsiste encore à Commentry quelque chose de ce fonds religieux qui a été cultivé et entretenu par le bienfait des écoles chrétiennes. Malheureusement, les anciennes traditions tendent à s'afaiblir, là comme dans lae plupart des centres ouvriers. Espérons que, la Providence nous ramenant à des jours meoilleurs, l'étincelle qui couve aujourd'hui sous la cendre ravivera, dans cette intéressante population industrielle, un foyer de chaleur et de lumière
Naturallement disciplinée, la famille P*** a conservé l'habitude de la priere du matin et du soir. Le mari récite alors, à peu d'exceptions près, l'oraison dominicale et la salutation angélique ; la femme et les filles font, de leur côté, leurs prières à genoux. Nous avons remardque, dans la chambre des jeunes filles, une statuette en marbre de la sainte Vierge, qui appartient depuis trois siècles à la famille PT, et qui, lors de lincendie des étameries, au-dessus desquelles demeurait notre ménage, fut préservée d'une façon considérée par plusieurs personnes comme tenant du miracle. Un crucifix, la sainte Face de Notre-Seigneur, la Cène, les images-souvenirs de preomière communion des jeunes filles, un bénitier, attestent les pieuses traditions de la famille. La femme va à la première messe de six heures, le dimanche ; l'ouvrier va habituellement à la messe des hommes ; les jeunes filles se rendent plus tard à la messe, et assez souvent ̀ la grand'messe ; elles la manquent rarement les jours de fête, et ne négligent guère une aussi favorable occasion de faire un peu de toilette.
La famille qui nous occupe offre un exemple d'accord et d'entente bien digne d'être signalé : la bonne harmonie règne entre les époux, très[442]affectueusement unis, qui traitent en comun foutes leur affaires ; le pai s plalt à rgecannatre que la pnrévayapnte éopnomie de sa appnme a très efficaucement contribué à rendre satisfaisante la situation aménag. n ne pau age g'ǵlgever aonre l'sage les ieux parentg, larsqils nt pagsé l'gg de travailler, de digtriber lgeurg bjens epre leurgnfants, ̀ cpgarge par cguci dg ler jair deg rapnte u de lgpr aggsrep l'haspitalité à topr dn rôle ; les gen(ans ne gppnligggn pas oujors lars ngageneps, e lgg malheupreux vieillaprds nn4 gouvepnt g̀ déplore n aban dn rn légèremen coneenti. L fapille P n'gen̂t vraisahlahlement pae donné lieu à un tgl reprche : aig lg pèrg de otre gpvpier, anr depuis quagranerois ans, g ]ui a laissé d'autra fortune gue quatr frères at quatre sours : Eugène était ls uitième enfant.
e suvenir daes mrts est en grand honneur dans le pays ; las ahitanps visiten assea spusent lg ombe de laeurs dafiunts, e ils l'entretiennaent ave un sin pieux ; ils prient au cinmatière t ae l'église, le jour de la fête des morts, et bsaucoup nt la aligiaeuse habitude de faire célébrer plusieurs messes paeur le reps des amses qui laur snt chères.
Lss anfants de la famille obsarvée sont l'objet d'une grandae gollicitude de la part de leurs parants. Les trois filles sont allée à l'ecole ue la Compagnie des forges de Châtillon et ammentry a confiée aux œurs de Saint-Vincent de Paul, et, d fait, elles posèdgent una instruction élémentaire asse camplèe : sllas sont demeurées filles rsapeotuenses, pleines d'égards pnr leurs parens, t Philomène, ariéa dapuis ep an, nae fait, actuellemen enore, aucun acha sans cansulter s mère. La femme S, justaement jalouse da son autorité, sureille de près ses nfants, qu'elle a la vigilanee da garder le plus possihle à l maisqn. Laes nécessités de son copmarce dépiceris ampêchent le jsune ménage d se réunir à la famille aussi fréquemment qu'il le désiraerait : une des sours cadettes va, en ce cas, tenir le magasin. Las domestiques de la contrée, généralement laués pour une année, d'́une Saint-Martin p l'autre, sont traités avec égards. On n'a pas l'hahitude de faire upporter de mauuvais traitements aux animaux.
Les dispositions à faire la charité sont assa générales, aet la population, eomme toutes les populations ouvrièra, marque de l'inclination aè lentr'aider. Les dépenses faites en 188e pour laeys indigants, par le bureau de bienfaisance, s'élèvent à 6,200f. Il y a d'ailleurs peu de pauvres dangs la commune, puisque des oaisses de secours, fondées par les industries qui se papragent la grande majorité des ouvriers du pays, leur viannent[443]e aide dés gu'ils gsnt attintsg par les maladies et les ippfirmités, in hopicge, portnt le titre d aison ait-Lauis, du nom du gée reux fondgtgur e l'etabljsgngp g confié gu r e l Carité g ages gnd dg trg§s gnds sgervjcgg, racevgpt ]gs hlegse lgs gccidsn d tpravai suprvyes g gs gu pnines, gbipagn ]gs glades g itifgnt e pnir être signes ans lge jgppille. e éngge pgus ogaape fait la charié a epgles o estrpiés q'i rencne
Biap ga l aditions du pays soiet habitue]lenent procgsive, gn remarque, dapi uelque temps, une gran(de dipminutip dgns ls ae tepatjpn, atanent dans celles prtéesg ]evan le iuge dg pai, pLes affaires pe pnarchgn guere et les paig e justicg sgen rgsgnpt, agp son gensenple, la ppulatjon, (e ppeur dopes es afale e polie Les rgppr gu chga de chan(iger P, très bs avgec les auriers plagcg§s soug sa conqujpga, par eet d'asupre un hon sgevice ; comme tap lg peronpne des longpang attgché apx égalliseents industrigl, i de la déférence pour ses chefs et un juste senipment de reconnjsane, n raisn des bligatons contracées,
La plaie des pensionnaires (jeunes garçons cus dans les famille ouvrières) gexerce heanucoup moins de ravages dan les nenage de pne menr qu'il y a ne vingtaingé d'années. pLe nmariage, ci comga pagr. fait sentir sa hate infuence porle : ]es praties du patrngg gnt réduit sensiblament lgs gcandaleque présentaiept de nmbrpugse unions illicitge. parsévérapmpnent régularisegs, gpuis gr§ dg gjacla, par le concert du clgrgé et des chefs d'industries Qn cnnststarg pl loin (§ 11) le danger e la requentatin gs hals aj cpurir è la jer ass : les café exgeprcent ausi une pernicieuse jnfuenre ui sern rglqée dagns ]e ene parggpaphe, Dge trè grands prgrès nt ét́ réliseé, dans ce dernier quart de siecle, dans l'habitation (§ 10) et dans les Mêtemgnts ]a la paplation ; à ce darpie point dg ue, l'xcèg est indéniagble, lag pilette desg femmeg get des jeunes filles n'a rign de aommnn agvec la jpljcité. La maison de l'ouvrier est très igné. nais la penua ds jguues personnes ffre un contras(e choquant e la mise i sgngé de la mèrae de fagmillg : cegt la funeste cséquence de vanié u tep, et le moragliste y trouvera un indic d concegsions qui n'ont pien d'gccidantel. Lg ménaga ast bre et l'puvrier 'a pag l'habitudg de boir, a dglg le ce qui lui est nésgessjr pur désalt́rer, même durant lgeg chalaur éarasaes de l'atelier, I a g4j̀ éte wignalé (§ 1) quge lges ouvrier mineurs gont souen prprigaie: il nen ast pas dipajrepent dg mĝpe des forgerons, l convient, tou [444] tefois, de constater les progrès qu'ils ont réaulisés, depuis vingt-deux ans, dans la voie de l'épargne, sous l'influence de la Société coopérative fondée parmi eux depuis 1867 (§ 19). La famille P°°, depuis 1888 propriétaire de la maison qu'elle habite, offre, à cet égard, un heureux exemple des progrès que la bonne entente du ménage, l'esprit d'ordre et d'économie de la mère de famille, peuvent atteindre, pour la constitution du patrimoine de l'ouvrier et son afranchissement des exploiteurs de la vente à crédit. L'exemple a paru d'autant plus saisissant que P*e° a gagné son premier sou en arrivant aux forges de Commentry.
La population ouvrière de la ville, bien assise dans l'ensemble et formée de familles profondément attachées au sol et aux industries qui les emploient, a cette supériorité marquée sur la plupart des grandes agglomérations ouvrières qu'elle possède, dans une mesure appréciable, l'esprit de prévision du lendemain. Elle se divise naturellement en deux catégories dont chacune offre un canractère, des habitudes et des mœurs tout à fait distincts (§ 17).
Les ouvriers mineurs, qui appartiennent en très grande majorité à la population agricole du pays, ont conservé tous les instincts des campagnards. Ils sont durs à la fatigue, patients, sobres, et ont pour principal objectif des économies qui leur permettent de se former une petite propriété qu'ils cultiveront dans leurs vieux jours : ils aspirent au travail en plein soleil, sans doute pour se dédommager du travail souterrain qui forme le fond de leur existence. D'un esprit généralement peu curieux, ils ne cherchent guère à se mettre au courant de ce que l'on appelle le mouvement financier : aussi ignorent-ils, pour la plupart, ce qu'on entend par fonds d'État ou valeurs industrielles ; ils réalisent quelques économie qu'ils emploient en acquisitions d'immeubles ou en prêts hypothécaires.
Les ouvriers forgerons, qui appartiennent moins à la population agricole qu'i celle des villes et qui proviennent le plus habituellement des Ardennes, de la Bourgogne ou de la Lorraine, pays par excellence de la fabrication du fer, ont, en général, plus voyagé et, par conséquent, plus appris. Ils sont sensiblement moins économes, ont conscience du confort et même du luxe, et cherchent ù se les donner, ou du moins à en approcher le plus possible ; leurs habitations sont plus propres, mieux soignées et mieux entretenues que celles des mineurs. Par suite de leur frottement avec la population urbaine, et aussi de leurs voyages, ils sont plus au courant des choses de la vie et savent très bien ce que e'est que les valeurs mobilières, avec leurs fluctuations : aussi, en achètent[445]ils plutôt que de placer leurs économies en prèts hypothécaires ou en acquisitions d'immeubles ; c'est ainsi que l'on peut évaluer à cent, pour les seules forges de Commentry, le nombre de souscripteurs aux obligations de Panama, et le capital engagé è 350,000f 00. II est pénible de voir un aussi grand nombre d'ouvriers se laisser aveuglément entrainer dans de hasardeuses opérations financières qui présentent l'appaèt trompeur de gros bénéfices et, fnalement, engloutissent des capitaux que l'épargne avait lentement formés. Parmi les forgerons, les propriétés se transmattent surtout par voie d'héritage, les donations à titre de partage anticipé étant assez rares.
Il n'y a pas d'habitudes d'émigration. Le soldat aime à revenir au foyer, après son congé. Il n'est pas rare de voir des ouvriers houilleurs et métaullurgistes de la contrée compter jusqu'à trente, trente-cinq et quarante ans de service dans le même établissement.
La population, au service de laquelle les Compagnies métaullurgique et minière ont mis d'importantes écoles dirigées par des Frères des écoles chrétiennes, par des Filles de la Charité et par des Surs de la Charité de Nevers, a d'exceptionnelles facilités pour l'éducation de ses enfants : ces écoles congréganistes, fort suivies, que patronnent et subventionnent les Compagnies, sont souvent recherchées par les personnes de la ville, et elles offrent un contrepoids d'autant plus précieux que l'enseignement oficiel y a souvent été assez faiblement représenté. Pour encourager les études des jeunes gens comme pour s'assurer un recrutement homogène, les étaublissements industriels de Commentry prennent au service de leurs bureaux, comme dessinateurs ou comme employés, les meilleurs sujets provenant des écoles des Frères ; mais ce débouché, encore insuffisant, n'empêche pas plusieurs jeunes gens, trop instruits pour leur condition, d'aller grossir l'armée des déclassés. Les filles, reçues à l'asile dès l'âge de trois ans, peuvent, en passant par l'école primaire et en séjournant quatre ou cinq ans à l'ouvroir, demeurer chez les Sœurs jusqu'ù vingt et un ans ; elles ont encore, jusqu'à leur mariage, la ressource du patronage du dimanche. Le plus grand nombre, parvenu à l'âge de vingt ans, ne conserve guère qu'un reflet des connaissances enseignées à l'école et au catéchisme ; il arrive trop souvent que l'on ne garde de l'usage de la lecture que l'indispensauble pour épeler péniblement le journal, mais c'est au bienfait de l'enseignement congréganiste qu'il faut attribuer le respect des traditions de foi que l'on retrouve vivantes encore dans une notable partie de la population.
L'ouvrier P*** sait lire et écrire ; il est peu ferré sur l'orthographe, mais[446]a conservé des notions précises de calcul. Sa femne sait également lire et écrire. Philomène, Germaine et Louise ont été élevées par les Surs de Saint-Vincent de Paul qui, au nombre de quatore, tiennent, pour le compte de la Compagnie des forges, un établissement d'instruction bien complet. L'ainée, devenue la femme r, tient la comptabilité de l'épicerie du Comptoir parisien, sa maison de commerce ; Germaine a reçu le bevet élémentaire en 1885 ; elle a exercé pendant deux ans le8́ fonctions d'institutrice privée dans une maison bourgeoise du voisinage, et n'a pas trouve d'emploi, depuis cette époque, dans l'enseignement public ou libre. Sa sœur cadette, Louise, sortie d'apprentissage dans les premiers mois de 1889, ne peut avoir encore une clientèlé biei nombreuse.
Il n'y a pas préciséen de patois local, mais quelques mots de vieux français sont restés en usage, et souvent la prononciation est très diféreite de celle d'aujourd'hui. Les habitants ont, en général, cette facilité d'esprit, essentiellement superficielle, qui se dévieloppe prodigieusement au contact de l'atelier : de fàcultés intellectuelles limitées, ils ne brillent pas plus par la solidité du jugement que par la férmeté du caractère. Pénétrés de défiance vis-à-vis des chefs d'industrie, des contremaîtres et chefs de chaitier, d'une ombrageuse incrédulité qui n'a d'approchant que la méfiance du paysan, ceux dont les conseils sont écoutés le plus volontiers ont une sorte de malveillance innée pour toute autorité sociale. es idées socialistes, la libre pensée, exercent des ravages dans les esprits d'un grand nombre, jadis disciplinés, aujourd'hii profiondément dévoyés. Les pires théories collectivistes sont en honneur. Le ˉCri du peuple détrône le Petit ournal, et le 'rauaidleur, distribué dans la ville sous un titre moinis trompeur eicore que ses malfaisantes élucubrations, vomit une fois par semaine dans l'atelier, dont il ait un enfer n, ses plus noires caulonmnies contre le patron, contre les contremaîtres qu'il représente comme des gardes-chiourmie . Aujourdhui, c'est le Reveil social qui échauffe les esprits, jusque dans les campagnes avoisinantes. — Notre ouvrier, lui, a le bon esprit de ne pas pairtíger des idées qui sont surtout chères à la jeunesse de Commentry. Il reçoit, chaque soir, de son gendre le Petit Journal où celui-ci suit les cours du commerce, et cette lecture qui peut passer pour anodine, à côté des autres feuilles que nous venons de citer, constitue une des récréautions les plus régulières dans la faumille observée (§ 11).
L'ouvrier de Commentry n'est pas, par nature, enclin aux innovations. Il se méfie des perfectionnements apportés dans son travail ; mais, dès[447]qu'il éh a recon̂nt la vialêur, il les adopte volontiers èt sais ariièrepesée.
Lés rapport8 aveé les iiaires sônt généraléiénit bois. Les eociétés secrétes lôcalês ónt suséité dâis la coitrée des greves iportaiites qui oit altéiré cees iapports, surtou en cés dernières aiiees. Le syidicat des ERouges est bien plus important que celui des Jauné.
Coiiie istitutioi civile, il coivient dé signaler la oéiéte cooperatié de orgeros de Commentryi (§ 19).
§ 4. Hygiène et service de santé.
Lé iari, d'une taillé un peu au-dessus de la moyenné, jouit d'uné santé habituelléiêt esatisfaisante, 'sané être servi par né robusite constitution. Jusqu'à présent, il n'a éprouvé d'autres ià ladiés qu'une courbature occasionnée par des excès de travail en 188. Le plus hau numéro du caton de Commentry, qu'il éut au tiragé, l'exempta du serviće iilitâiré. La féme et lés roias illes oit uine bonne santé.
Le pàys a lait, dais ces dériieré années, de reomarquables progirés soué lé iapport de la propreté dés habitauions : en ce qui concerné ld Compagnie des lorgés, dé l̀quelle relévé directement notre ouvrier, il est́ ̂ied certain quie la survieillaice exércée sur les logements qu'elle met à lIa dispositiôn de son persoiinel n'est pas étâigere à cé bieniait. Sani8 étiré vigoiréuee, la population de Coimimientry est trés apte à supportér lé rdes faiguies imposées aux classes ouvrières ; ele compte actuéllément qiuatré-viiig-dix octogénaires et deux cent quarante-trois septtagénaires : vioil̀ une nouvielle preuve que le travail n'afiaiblit pas les ràces bien coisetiiéés1
L'extrémie pénurie d'aiu éipéché la population dé se baigner, li, le cours d'éau lé plus rapproché, etant, l'été, habituellementà sec : la localité possêde iien deix établissements de bains, mais leur prix relativement élêvé ne les met pas à la portee de tous. Les sources voisines de la ville fournissait une quantit6́ d'eau insufisante et la distribution qui a ét6́ dernièrement prise sur un étang mal curé donhe des eaux souvent bourlieuises. La ville est largeent approvisionnée de viande de boucherie et l'oiivrier forgeron surtout, qui dépense beaucoup de forces, en mange iibituellement au moins une fois par jour : on tue deux ou trois fois par[448]semaine à la boucherie de la Societe cooperative (§ 19). Un certain nombre de ménages ouvriers élèvent, comme le ménage observé, quelques lapins et des poulets ; plusieurs aussi cultivent un jardin, de plusieurs ares, qui fournit salades, oignons etc. ; c'est ainsi que notre ouvrier cultive pour son gendre le jardin de cent mètres carrés que celuici possède. Les femmes des campagnes environnantes approvisionnent de légumes, deux fois par semaine, le marché de Commentry, à des prix abordables pour les bourses les plus modestes. Les ouvriers, surtout les ouvriers forgerons, si terriblement altérés dans leurs travaux pendant les fortes chaleurs, consomment nécessairement beaucoup de vin. Le ménage observé en consomme trois pièces par an ; cette quantité dépasse notablement la moyenne de la consommation locale. Un très grand nombre d'ouvriers se contentent de boisson faite avec des raisins secs. Les usines mettent à leur disposition, pendant les chaleurs de l'été, une boisson composée d'extrait de gentiane additionné de tafia (la dépense pendant les chaleurs s'élève à 3,000f 00) ; la ociete cooperative desforgerons vend du vin aux ouvriers, et cette branche de son commerce présente une réelle importance (§ 19).
L'ouvrier forgeron revêt habituellement le bourgeron comme vêtement de travail : pendant l'été, il garde simplement le pantalon. Les vêtements de travail d'Eugène, invariablement en toile, ne craignent pas le contact des graisses employées dans son chantier ; il a des vêtements de sortie plus chauds et présentables. Les familles ouvrières brûlent habituellement du charbon et de la terre noire ; ce dernier mode de chauffage, fourni par l'administration des houillères et provenant du lavage des charbons, est économique, mais il offre l'inconvénient de brûler les poêles et de salir énormément l'intérieur. La Compagnie de Commentry-F'ourchambault fournit à son personnel, et à des prix sensiblement réduits, le charbon nécessaire à sa consommation.
On observe depuis quelques années une grande amélioration dans les installations de la population, et l'on peut dire que les habitations sont généralement satisfaisantes. La famille observée a longtemps habité dans les maisons ouvrières, en bordure de l'établissement, que la CompDagnie des forges met à la disposition de ses meilleurs ouvriers. Dépossédée par force majeure, lors de l'incendie des étameries, en 1863, de l'appartement qu'elle occupait au-dessus des étameries, elle fut installée, peu de temps après, dans une de ces maisons, composée d'une cuisine, d'une chambre à coucher et de deux petits cabinets, avec jardinet généralement pourvu d'un appentis où la ménagère fait, l'été, sa cuisine.
[449] La maison actuellement occupée par la famille est sa propriété depuis 1888, elle est couverte en ardoises ; elle est étaublie dans d'excellentes conditions d'aisaunce et de salubrité.
L'atmosphère pénétrée d'acides et de graisses, dans laquelle vit l'étameur, n'est pas aussi pernicieuse à la santé qu'on se l'imagine tout d'abord. Plusieurs ouvriers travaillent aux étameries de Commentry, depuis trente ans, et jouissent encore d'une bonne santé ; un grand nombre ont plus de vingt ans de service ; les maladies de poitrine ou autres n'y sont pas plus nombreuses que dans les autres ateliers. Il n'en est pas de même pour les femmes employées à polir les fers-blancs étamés ; vivant dans une atmosphère saturéede poussières fines, impalpables, qu'elles absorbent par la respiration, elles sont très sujettes aux bronchites, laryngites irritatives, etc. La plupart sont chlorotiques.
Pour finir par une actualité, il ne semble pas que les émanations dee étameries aient en rien protégé les ouvriers contre le microbe de l'influenza : bien au contraire, ils ont payé un large tribut à l'épidémie.
Le service médical est largement assuré par cinq médecins, résidant sur place, et ici encore les Compagnies métallurgique èt minière viennent généreusement en aide à leur personnel. Chacun des établissements paie un médecin dont les consultations sont gratuites ; la Compagnie des mines, dont le service est infiniment moins concentré, en paie deux ; les médicaments, distribués gratuitement, sur ordonnance des docteurs des Compagnies, sont délivrés par des Sœurs attachées spécialement au service de la pharmacie. L'intelligente charité des Surs s'exerce encore dans la visite des malades, et leurs services sont d'autant plus précieux que les chefs de famille manifestent habituellement peu d'aptitude à administrer eux-mêmes les médicaments. La Caisse de secours organisée dans les usines de Commentry depuis 1857 y rend de très grands services (§ 20).
Il existe dans la région quelques empiriques (rebouteux), qui inspirent plus de confiance que les médecins ; il est à remarquer que leur industrie se transforme depuis quelque temps et revêt un caractère un peu moins réfractaire à tout rapprochement scientifique : l'opération du massage, qui est toute leur raison d'être, produit souvent de bons résultats.
§ 5. Rang de la famille.
[450] L'ouvrier, chef de chantier, est propriétaire d'une maison. Le huitième d'une famille composée de neuf enfants, il débutait, dès l'âge de treize ans, et, montant les échelons de la difficile profession d'étameur, il devint un habile ouvrier, puis un chef de chantier estimé de l'ouvrier, apprécié de ses supérieurs. La permanence d'un service qui, durant trente-huitannées, n'a subi d'autre interruption que vingt-cinq jours de maladie et le passage aux étameries d'Imphy (Nièvre), durant les années 1857 et 1858 où les étameries de Commentry furent fermées, les remarquables qualités de prévoyance, d'ordre et d'économie du menage P* lui ont assuré une juste considération. Sa situation range Eugène au nombre des ouvriers d'élite de l'etablissement ; la régularité de vie de la famille observée, sa qualité de propriétaire, la mettent en évidence, tout en la maintenant dans la classe ouvrière.
La mère de famille, qui a su rester dans la modestie de sa condition, vaque aux soins du ménage, oû elle est assistée par sa fille cadette. La fille aînée, Philomène, mariée à un négociant intelligent de la ville, auquel elle a donné une petite fille, s'occupe avec activité de son intérieur et de son commerce. Germaine et Louise conservent les saines traditions de la famille, dont les rapports sont satisfaisants avec les autres familles ouvrières de la localité. La famille observée n'a eu aucune occasion d'entretenir des rapports avec les étrangers.
En résumé, l'ouvrier qui fait l'objet de cette monographie appartient à la classe des ouvriers journaliers attachés à un seul patron, par un engagement momentané facilement révocable de part et d'autre ; mais, par la coutume locale, il jouit en partie des avantages du système des engagements permanents. Il se classe, de plus, parmi les propriétaires (§ 6)
Moyens d'existence de la famille
§ 6. Propriétés.
[451](Mobilier et vêtements non compris)
Combien honorable est devenue, au point de vue des propriétés, du patrimoine, la situation de cette famille, qui avait pour tout avoir, lors de sa fondation, 83f (§ 12) !
De 1861 a 1889, voyons ce que peuvent obtenir vingt-huit ans de travail régulier, de vie rangée et de patientes économies.
Voici la situation de la famille P*** en 1889-1890.
Immeubles acquis avec les épargnes de la famille, faites sur le saulaire de l'ouvrier (§ 18) et placées à la Compagnie des forges de Chatillon et Commentry............ 5,012f 00
1° Maison d'habitation, composée d'un rez-de-chaussée, de deux étages, dont le second, mansardé, est surmonté d'un grenier, avec une cour y attenant et trois caves (achetée en 1888 à la barre du tribunal de Montluçon, frais compris), 5,000f 00.
2° Poulailler et cabine à lapins, surmontant le poulailler, 12f 00.
ARGENT ET VALEURS MOBILIÈRES............ 5,200f 00
1° Somme déposée à la Caisse de la Compagnie des Forges, 3,200f 00.
2° Vingt actions de jouissance à la Société coopérative des forgerons de Commentry (§ 19), sans désignation de valeur (pour mémoire).
3° Trois obligations de Panama à 6 e., achetées à 150f 00 pièce au moment de leur émission, en mars 188, quand la Société coopérative a fait un remboursement de capital (pour mémoire).
4° Dot de la fille aînée, s'élevant à 2,000f 00, dont il devra être fait rapport plus tard à la succession.
ANIMAUX DOMESTIQUES entretenus une partie de l'année............ 16f50
14 lapins, 10f50 ; — 4 poules, 6f 00 ; — 1 chaton (mémoire).
Matériel spécial des travaux et industries............ 143f 50
1° Travaux de couture. — Machine à coudre à pédale, 80f 00 ; — mannequin en osier, 2f 50 ; — caisse pour resserre, 1f50; — 2 paires de ciseaux, 2f 00 ; — 6 dés à coudre, 0f 40; — 2 étuis, 0f20. — Total, 86f 60.
2° Blanchissage et entretien du linge et des vêtements. — 1 chaudière en fonte, 3f 00 ; — 3 baquets à laver, 3f 00: — 1 cuvier, 2f 00 ; — 1 boite à laver, 1f 00 ; — 1 planche à laver, 0f50 ; — 50 épingles en bois pour ixer le linge, 3f 00 ; — 1 bat[452]toir, 0f15 ; — 4 fers à repasser et 1 support, 2f 25 ; — 12 appareils à gaufrer, 3f 00 ; — 1 planche à repasser, 3f 85. — Total, 21f 75.
3e Entretien de la maison et du mobilier. — 8 sacs en toile, 5f 00 ; — 2 scies à main, 3f 00 ; — 1 hache, 2f 00 ; — 1 varlope, 4f 00 ; — 1 rabot, 2f 00; — 1 plane, 1f 25 ; — 1 paire de tenailles, 1f 00; — 1 ciseau, 0f50; — 2 marteaux, 0f 40. — Total, 19f 15.
4° Exploitation du jardin (appartenant au gendre). — 1 bêche, 2f50 ; — 3 pelles, 2f 00; — 1 pioche, 1f 50; — 1 râteau, 1f 00 ; — 8 sacs en toile, 5f 00 ; — 1 hache, 2f 00 ; — 2 tarières, 2f 00. — Total, 16f 00.
Valeur totale des propriétés............ 11,372f 00
§ 7. Subventions.
Les subventions jouent un rôle âssez important dans le budget de la famille.
Celle-ci a obtenu de la Compagnie des forges la double indemnité de loyer et de chauffage qu'elle alloue à ses ouvriers les plus méritants. Pour l'année 1890, ces indemnités ont été respectivement de 6f et de 5f par mois.
Le service médical et la pharmacie, gratuitement assurés à une famille de quatre personnes, paraissent pouvoir être évalués, au bas mot, à 50f par an. C'est à titre exceptionnel, en effet, que la famille a payé le médecin et les médicaments dans l'année 1889 (§ 15, sen IV).
On pourrait aussi compter comme subvention la part de bénéfices, proportionnelle aux acquisitions faites par la famille à la Société coopérative des forgerons (§ 19). Nous avons calculé que, de 1878 a 1888, la moyenne de ces acquisitions n'atteignit pas 100f ; ainsi, les avantages concédés aux acheteurs étaient moins sensibles pour le ménage P* que pour beaucoup d'autres ménages ouvriers : la raison en est que la fomme s'approvisionnait, naturellement, pour la plus grande partie, à l'épicerie de son gendre.
Pour être complet, on peut rappeler l'allocation de 46f 80, versée en 1881-1882 par la Caisse de secours de la Compagnie des forges pendant une interruption de travail occasionnée à l'ouvrier par l'excès de travail
8
Tous les biens communaux1de Commentry sont vendus depuis bien[453]des années ; la plus grande partie en a été partagée ou aliénée de 1850 a 1875. Observons que le grand communal, appelé la Bouige, a servi d'eomplacement pour la construction de la halle et de l'église et a formé la grand'place.
§ 8. Travaux et industries.
Travaux de l'ouvrier. — L'ouvrier attaché au service de la Compagnie des forges de Chàtillon et Commentry depuis trente-huit ans, si l'on veut bien faire abstraction des interruptions provoquées par deux circonstances de force majeure, exerce, depuis vingt-quatre ans, l'emploi de chef étameur ; il est rémunéré directement2: 1° par un saulaire à la tàche ; 2° par primes sur l'économie d'étain employé dans son industrie (§ 18) ; 3° par subvention pour son logement (§ 7). La journée est de dix heures de travail effectif. L'ouvrier s'occupe seul, et par manière de récréaution, de l'entretien du petit jardin appartenant à son gendre, empêché par les nécessités de son commerce de le cultiver lui-même.
Travaux de la femme. — C'est elle qui fait le marché, prépare les repas, soigne le mobilier, entretient et blanchit le linge, procêde à la lessive, soigne la petite basse-cour, confectionne et entretient tous les effets de femme. Lingère de sa profession, elle s'occupe aussi d'approvi[454]sionner la malson de linge neuf. Elle élève des lapins, pour la consommation du ménage. Elle achète au marché des petits poulets qu'elle conserve quelque temps, avant de les consommer. La consommation en poulets dépend du bénéfice résultant de l'écart entre le prix de la volaille et celui de la viande de boucherie. La mére a tenu pendant plusieurs années un café abandonne depuis quatre ans.
Travaux des jeunes filles. — Germaine et Louise aident leur mère dans la confection de tous les vêtements et effets de lingerie de la famille, ̀l'exception des effets de toilette du chef de famille, achetés, confectionnés, dans le commerce local.
Germaine, employée pendant vingt mois, comme institutrice privée, dans une maison bourgeoise du voisinage, a dû la quitter quand les jeunes garçons dont elle avait commencé l'éducation furent mis au collège ; depuis, elle rencontra bien des difficultés pour utiliser son brevet, et attendit vainement un poste dans l'enseignement public, peondant deux ans : elle passa cette période à aider sa sœur caudette dans les travaux de couture. Des démarches pressantes lui ont obtenu, l'hiver dernier, d'être affectée comme auxiliaire à l'école libre des filles de Saint-Maurice (Seine), dirigée par les Sœurs de Saint-Vincent de Paul, et c'est à leur satisfaction qu'elle s'est acquittée de ses fonctions, durant cette année scolaire (§ 14).
Louise a fini depuis dix-huit mois son apprentissage de couturière : elle travaille habituellement à domicile pour une clientèle qui se forme d'ailleurs lentement, mais elle va parfois à la journée, à raison d'un franc, quand elle est nourrie, et d'un franc cinquante, quand elle ne l'est pas. La mère a toujours surveillé avec prudence ses jeunes filles, et judicieusement elle ne laisse aller en journée sa fille caudette que dans les ménages qui lui inspirent pleine confiance. De 1879 a 1885, la mère et la fille ailnée ont tenu un café ; de guerre lasse, elles abandonnèrent ce commerce qui n'a pas réussi (§ 11).
Quelques travaux de femme, spéciaux au pays (confection de flchus, passementeries et broderies) appellent une mention sommaire. Beaucoup d'ouvrières sont appliquées à la confection de fichus de laine et peuvent gagner de 0f 40 a 1f ; encore n'atteignent-elles ce dernier chiffre que lorsqu'elles sont à la journée. Cinquante personnes environ s'occupent de passementeries ; le prix de la journée ordinaire est de 1f 25. Un nombre encore plus restreint d'ouvrières font quelques broderies ; leur journée ne va pas au delà de 1f 25. Les ouvroirs, confies aux soins des Religieuses enseignantes, occupent aux ouvrages de lingerie près de[455]deux cents jeunes filles des familles d'ouvriers forgerons ou mineurs ; le montant de la journée est de 0f50à 1f.
Mode d'existence de la famille
§ 9. Aliments et repas.
Le régime alimentaire de la famille P, sain et substantlel, se distingue par une abondance que l'entente et l'économie de la ménagère ont toujours empêché de dégenérer en prodigalité : aussi, son alimentation est-elle sensiblement supérieure a celle de beaucoup d'autres ménages ouvriers de la localité ; il est juste d'attribuer cet avantage à l'esprit d'ordre qui a toujours animé les deux époux.
La base de l'alimentation consiste en viande de boucherie, pommes de terre, choux, haricots, poissons salés, pàtes, fromage de lait caillé et salades : hiver, la famille observée consomme deux à trois livres de salé par semaine. Les alilments chauds sont préparés, l'hiver, à un fourneau de cuisine convenablement établi, l'été, à un fourneau potager que lon installe sur le paller du premier étage de la maison. La faumilla re prend son pain, sa viande, son vin et son épicerie dans le commerce de Commentry et fournit ainsi la preuve de la grande liberté laissée à l'ouvrler qui n'est nullement tenu de s'approvisionner à la boucherie, à la boulangerie, aux caves et à l'épicerie de la Société coopérative (§ 19).
L'habitude du pays, régulièrement suivie dans le ménage observé, est de faire trols repas par jour. Le premier est porté à l'ouvrier, dans une petite marmite en fer battu, par la ménagère ou l'une des jeunes lles qui entre aux étameries, à sept heures, au son de la cloche de l'établissement, en compagnie de plusieurs centuines de femmes : ce repas consiste, le plus souvent, en soupe ou café au lait ; l'ouvrier arrose volontiers, l'été, d'un verre de vin, ce repas pris au pied levé. La mère et ses filles font leur premier déjeuner aussi sommairement, entre sept heures et demie et huit heoures, dès qu'elles sont réunies. — L'ouvrier sort de l'usine à onze heures, et, dès son arrivée, on prend en[456]famille, et assis, le principal repas, appelé déjeuner. Ce repas, dont la base habituelle est la soupe, souvent plantureusement accommodée aux choux, comporte, en outre, la viande avec légumes ou un autre plat à part, ou encore de la salade ; malgré son importance, le déjeuner doit être lestement enlevé par l'ouvrier qui est tenu de regagner l'atelier à midi. — Quand il rentre de son travail à six heures, il se nettoie et l'on se met à table pour le dîner entre six heures et demie et sept heures, autour d'une soupe aux légumes à laquelle viennent s'ajouter les restes du déjeuner ou quelque morceau de fromage, ce dernier surtout en été. En évitant une nouvelle cuisson, la mère et sa fille cadette peuvont appliquer l'après-midi entière aux soins du ménage et aux travaux de couture qui jouent un rôle important dans l'organisation de leur vie. La famille, sans exception, prend du vin au déjeuner et au dîner qui, respectivement, seraient plus justement qualiiés de dîner et de souper : cette consommation a son intérêt, puisque la famille, composée de quatre personnes, consomme en moyenne sept hectolitres de vin par an ; les fatigues mêmes de sa profession contraignent, d'ailleurs, le chef de famille à absorber sensiblement plus de liquide que sa femme et ses filles.
Les ouvriers des diférents services des usines de Commentry sont normalement répartis en deux grandes équipes alternativement de semaine, le jour et la nuit : le travail de nuit est beauucoup plus exceptionnel aux étameries. Les repas de l'ouvrier P* sont nécessairement modifiés, quand il « est de nuit . Il emporte, à six heures du soir, ce qu'il lui faut pour son repas, qui a lieu de onze heures à minuit et qui se compose généralement de pain, de ragoût de pommes de terre en haricot de mouton, ou de veau, de salade ou fromage, de soixante à soixantedix centilitres de vin. Il va sans dire qu'il prend un repas avant de se rendre au travail et un autre en rentrant chez lui, avant de se coucher. Les ouvriers des houillères ne font, pour ainsi dire, qu'un seul reopaes par jour, chez eux, à leur retour du travail. La plupart n'ont pas d'heure fixe pour le repas qu'ils font dans la mine et pour lequel ils se contentent le plus généralement de pain et de fromage, poussant la sobriété jusqu'à se passer de vin.
La famille P* observe le maigre du vendredi et des quatre-temps : c'est, croyons-nous, un usage peu habituellement suivi. Les jeûnes et abstinences sont négligés par cette population ouvrière à laquelle l'autorité ecclésiaustique ne marchande pourtant pas les dispenses : Mgr l'évêque de Moulins a obtenu du Saint-Siège un indult l'exemptant, en caurême,[457]du maigre du samedi. Il ne se trouve pourtant pas d'hommes qui prendraient des aliments gras, le vendredi saint.
Ouvriers des forges et des houillères célèbrent, avec une touchante unanimité, la fête patronale de Commentry qui a lieu les dimanche et lundi suivant le 15 août, la fête nationale du 14 juillet, et aussi les fêtes de corporations de saint Eloi et de saint Thibaud (§ 11). Ces fêtes se solennisant tout naturellement à table.... La famille observée celèbre l'anniversaire de la naissance du père et de la mère : le jour de la Saint-Eugène et de la Sainte-nne, la ménagère fait la galette et Eugène e verse des rasades de vin plus abondantes.
§ 10. HABITTATION, MOBILIER ET VÊTEMENTS.
La maison, solidement bâtie en pierres et briques, a ses murs recouverts d'un enduit en mortier de chaux, elle est couverte en ardoises ; eile est très saine, bien située dans le voisinage des forges, à proximité des deux grandes places et du jeune ménage établi sur l'une d'elles, la place Martenot, et à l'alignement dans la rue Saint-Quirin, l'une des rues les plus fréquentées de la populeuse cité, qui s'ouvre sur la grande place dite place du 14 Juillet et aboutit au passage à niveau du chemin de fer privé des forges, sur la route qui conduit au vieux Commentry (bourg). Elle est exposée au midi ; quelques pots de feurs placés à la fenêtre de la chambre des jeunes filles qui donne sur la cour forment le jardin suspendu de la famille. Un plancher en très bon état forme le sol de l'habitation, auquel on accède par un escalier droit, en bois, qui dessert également, jusqu'au premier étage, la maison de gauche.
La maison se compose d'un rez-de-chaussée, d'un premier et d'un second étages, surmontés d'un très petit grenier. Au re-de-chaussée, trois pièces : la boutique, affectée au commerce d'un quincaillier chaudronnier, la cuisine et la chambre à la disposition du gendre, laquelle n'a été occupée qu'un mois par ses employés : le loyer de cette chambre n'a pas eté payé, l'ouvrier l'ayant pretée par complaisance ; un atelier rudimentaire, éalement a l'usage du locataire, est établi dans la cour, sous un fort modeste appentis. Le quincaillier paye un loyer de 250f par an au ménage P***, qui occupe le reste de la maison. Ne quittons pas la cour sans signaler les latrines, fort convenables, à l'usage exclusif de[458]la famille observée, faisant suite à l'atelier du locataire, et la cabine à lapins, surmontée du poulailler. Le premier et le second étage ont, chacun, trois pièces claires, aérées, bien tenues : au premier, la cuisine et deux chambres meublées d'une façon bourgeoise, celle des époux donnant sur la rue, celle des jeunes filles prenant jour sur la cour ; au second étage, l'atelier de la couturière et deux chambres de secours, l'une, recevant pour la nuit deux tout jeunes apprentis de la maison d'épicerie G***, l'autre, attendant vraisemblablement le second gendre. Le grenier, auquel on accède par un escaulier faisant suite à celui conduisant aux mansardes, sert de débarras.
Meubles. : tous achetés dans le commerce, en bon état et très bien tenus............ 1,312f 00
1° Lits. — 1 lit pour les époux : 1 bois de lit noyer plein, 30f 00 ; — 1 lit de plume, 50f 00 ; — 1 paillasse en maïs, 15f 00; — 1 matelas laine et crin, 70f 00 ; — 1 couverture, 17f 00 ; — 1 édredon, 17f00 ; — 1 traversin, 10f 00 ; — 2 oreillers, 6f 00 ; — 2 courtepointes, 6f 00 ; — 1 paire de rideaux de lit, 25f 00 ; — 1 ciel de lit, 8f 00 ; — 1 descente de lit, 3f 00 ; — 1 dessus de lit, 9f 00 ; — 1 lit pour les jeunes filles, plaqué noyer, 40f 00 ; — 1 lit de plume, 50f 00 ; — 1 paillasse en maïs, 15f 00 ; — 1 matelas laine et crin, 70f 00 ; — 1 traversin, 10f00 ; — 2 oreillers, 6f 00 ; — 1 couverture, 17f 00 ; — 1 édredon, 17f 00; — 2 courtepointes, 6f 00 ; — 1 paire de rideaux de lit, 25f 00 ; — 1 ciel de lit, 8f 00; — 1 descente de lit, 3f 00 ; 1 dessus de lit, 9f 00; — 1 lit pour la chambre mansardée : 1 lit de fer, 15f 00 ; — 1 lit de plume, 50f 00 ; — 1 paillasse en maïs, 10f 00; — 1 matelas laine et crin, 40f 00 ; — 1 traversin, 10f 00 ; — 1 couverture, 14f 00 ; — 1 édredon, 14f 00; — 1 courtepointe, 3f 00 ; — 1 descente de lit, 2f 00; — 1 dessus de lit, 7f 00. — Total, 707f 00.
2° Meubles de la cuisine servant de salle à manger. — 1 table rectangulaire, recouverte de toile cirée, 10f 00; — 1 buffet de cuisine, 8f 00; — 1 armoire servant de garde-rohe, 10f 00 ; — 4 chaises en bon état, 12f 00; — 1 horloge en bois, 30f00; — 1 miroir, 0f 50. — Total, 100f 50.
3° Meubles de la chambre à coucher des parents. — 1 buffot-étagère avec vitrine, 40f 00; — 1 table ronde en noyer, 12f 00; — 1 tapis de table, 5f 00; — 1 table de nuit avec marbre, 15f 00; — 4 chaises en bon état, 12f 00 ; 1 glace, 10f 00 ; — 1 crucifix en ébène, 1f 75 ; — 1 bénitier en porcelaine, 1f50 ; — 6 grands tableaux, 15f 00 ; — 4 cadres divers, 4f 00 ; — 1 vase de nuit, 0f50. — Total, 116f 75.
4° Meubles de la chambre à coucher des jeunes filles. — 1 armoire en noyer, 100f 00 ; — 1 commode noyer plaqué avec marbre, 70f 00 ; — 1 table ronde en noyer, 20f 00; — 1 tapis de table, 5f 00 ; — 2 fauteuils, 50f 00 ; — 2 chaises en bon etat, 6f 00; — 1 pendule, 35f 00 ; — 1 glace, 30f 00; — 4 grands tableaux, 10f 00; — 4 cadres contenant des certificats de première commnunion et un brevet d'enseignement, 5f 00 ; — 1 crucifix en ivoire, 1f 75 ; — 1 bénitier en porcelaine, 1f50; — 1 vase de nuit, 0f50. — Tota, 334f 75.
5° Mobilier de la mansarde affectée à la chambre à coucher des domestiques du gendre, épicier. — 1 guéridon en fer, 3f 00; — 1 tapis de table, 5f00 ; — 1 chaise en bon état, 3f 00 ; — 2 placards en bois blanc, réservés au linge usager, 5f 00; — 1 vierge en marbre, souvenir de famille (mémoire) ; — objets divers faisant garniture a ladite statue, 3f 00. — Total, 19f 00.
[459] 6° Mobilier des deux mansardes affectées à l'atelier de couture. — 1 table rectangulaire, recouverte de toile cirée, 15f 00 ; — 3 chaises en bon état, 9f 00. — Total, 24f 00.
7° Livres et fournitures de bureau. — Dictionnaire, géographie, arithmétique et plusieurs livres d'instruction élémentaire, 5f 00 ; — 3 livres de messe, 2f50 ; — encrier, plumes, crayons, papier et enveloppes pour lettres, 2f50. — Total, 10f 00.
Linge de ménage : en bon état, entretenu et raccommodé avec soin............ 504f 00
24 paires de draps, 380f 00; — 6 douzaines de serviettes, 40f 00; — 2 nappes. 12f 00 ; — 6 douzaines de torchons, 25f 00 ; — 8 taies d'oreiller, 15f 00 ; — 5 paires de rideaux de fenêtres, 12f 00; — 20 mètres de calicot blanc, en provision pour les besoins du ménage, 20f 00. — Total, 504f 00.
Ustensiles : généralement en bon état, ils comprennent tous les articles de cuisine et de table nécessaires pour recevoir honorablement plusieurs amis............ 244f 15
1° Dépendant de la cheminée. — 1 fourneau de fonte, 50f00; — 1 fourneau potager en tôle, 10f 00 ; — 1 jusqu'à t et 1 paire de pincettes, 0f 75. — Total, 60f75.
2° employés pour la cuisson et la consommation des aliments. — 1 pot-au-feu émaillé, 5f 00 ; — 1 marmite en fonte, 1f 50; — 6 casseroles en far battu, 8f 00 ; — 5 casseroles en terre, 2f 00; — 2 bouilloires et 2 passoires, 3f 00 ; — 1 cafetière et 2 iltres, 4f 00 ; — 2 bassines en fer battu, 2f50 ; — 4 plats en fer battu, 5f 00; — 50 bouteilles en verre, 6f 00 ; — divers petits ustensiles en fer-blanc, 5 00 ; — 4 douzaines de cuillers et de fourchettes en fer étamé, 6f 00 ; — 4 douzaines de verres à boire, 10f 00 ; — 18 couteaux de table, 3f00 ; — 4 douzaines d'assiettes en faïence, 8f00 ; — 10 plats de faïence, 6f 00; — 10 bols en porcelaine, 3f 00 ; — 1 soupière, 1f50; — 6 carafes, 1f 00; — 1 huilier, 3f 00; — 2 saladiers, 1f 50 ; — 12 cuillers à café en métal, 5f 00 ; — 2 seaux en fer, 2f50 ; — 1 bac à charbon, 1f00; — 1 poêle en fonte, 1f 00 ; — 1 panier à salade, 0f50 ; — 1 cuiller à pot, 0f 40. — Total, 98f 10.
3° Employés pour l'éclairage. — 1 lampe à pétrole, 5f00 ; — 2 chandeliers en cuivre, 4f 00 ; — 1 porte-mouchettes en cuivre, 1f 00 ; — 1 lanterne de poche, 0f50. — Total, 10f50.
4° Employés pour les soins de propreté. — 1 cuvette en porcelaine, 3f 00 ; — 1 cuvette en fer, 4f00 ; — 1 balai en crins, 3f 50 ; — 1 brosse pour parquets, 1f50 ; — 5 brosses pour souliers et habits, 2f 50. — Total, 14f 50.
5° Employés pour la cave. — 2 tonneaux, d'une contenance de 200 litres, 8f00; — 3 tonneaux, d'une contenance de 50 litres, 9f 00. — Total, 17f 00.
6° Employés pour usages divers. — 6 saloirs en grès, 6f 00 ; — 1 banc de bois avec pieds en fonte, 5f 00 ; — 2 paniers en jonc, 4f 00 ; — 1 garde-manger, 3f00 ; — 12 pots à confitures, 3f 00; — 2 bocaux, 1f 50 ; — 1 service à thé, 10f 00; — 1 service à café, 8f 00 ; — 1 arrosoir, 2f 50. — Total, 43f00.
VÊTEMENTS3: en bon état, soigneusement raccommodés ; les jeunes filles sont mises avec un certain luxe. Les vêtements de la famille indiquent une aisance qui dépasse la moyenne............ 2,040f25
[460]Vêtements de l'ouvrier (voir le détail au § 16, Son I), 600f 00.
VÊTEMENTS DE LA FBMME (§ 16, I), 561f25.
VÊTEMENTS DES JEUNEs FILLES (§ 16, I), 879f 00.
Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 4,100f40
§ 11. Récréations.
L'esprit de famille est très développé dans le ménage P*** et les jeunes filles de la maison sont pénétrées de ses saines trauditions. Très laborieux, observateurs scrupuleux du repos dominical assuré à l'ouvrier par la Compagnie qui l'emploie, les membres de la famille ne prennent de repos que le dimanche. Le gendre ou un frere de la femme eee vient, ce jour-là, passer un moment a la maison, il vient plus rarement en semaine. Le dimanche est également le jour où la femme P va de préférence voir ses père et mère qui résident dans la localité ; l'ouvrier va voir, de son côté, ses nombreux frères et sœurs, fixés dans le pays. La promenade à pied, en famille, est la grande distrauction du dimanche ; en revenaunt, les jeunes filles vont chercher leur nièce, une enfant de quatre ans, qu'elles ramènent à la maison, quand leur sur le permet, et avec laquelle elles prennent beaucoup de plaisir : on devine si la petite Germaine GT est choyée.
Le jeunes filles de Commentry sont passionnées pour les danses qui, là comme dans tous les centres populaires, présentent les plus graves inconvénients. Notre ménagère, ignorant la danse, n'a pu l'enseigner à ses filles et n'a pas voulu qu'elles fussent plus instruites qu'elle dans cette branche dangereuse de connaissances. Quelques jeux de boules et de quilles, dont les mises en argent sont des plus modestes, permettent aux hommes de la contrée de manifester souvent une véritable adresse. Une société de gymnastique fonctionne depuis tantôt deux ans à Commentry et recrute, lù comme ailleurs, une jeunesse bruyante, plus disposée à parader qu'à développer son agilité.
La famille Pee n'a pas l'habitude de prendre des spiritueux. Le chef de famille, seul, consomme par mois, et à domicile, un litre environ d'eau-de-vie. La famille prend, en moyenne, deux litres de vin par jour. L'ouvrier n'use pas de narcotiques, ne prisant pas, ne fumant pas[461]un cigare par an, risquant aè peine, et de loin en loin, une cigarette de complaisance en compagnie d son gendre ou d'un ami.
La mère et ses filles, habituellement privées de la société du chef de famille, à la veillée, parce que, si celui-ci n'est employé au service de nuit des étameries, il est pressé de se reposer des fatigues de son travail du jour, consacrent aux travaux de couture leurs soirées de semaine : parfois, l'une des jeunes filles lit à haute voix quelque livre de lecture prêté par la bibliothèque des Surs ou les nouvelles les plus saillantes du Petit Journa : c'est lù la lecture favorite de notre ouvrier, dans ses rares moments de loisir. Les fêtes de la famille se résument dans la célébration des anniversaires de naissance de l'ouvrier et de sa femme (§ 3) : les parents sont invités à sa table, lors de la fête patronale dont les réjouissances publiques la fatiguent, plus qu'elles ne l'amusent. En résumé, par raison d'économie, on se reçoit fort peu dans la famille ee
Le Compagnies des forges et des houillères célèbrent solennellement, la première, la fête de saint EEloi, le premier dimanche de décembre, la seconde, la fête de saint Thibaud au commencement de juillet : contrairement aux autres sociétés minières de France, la mine de Commentry a pour patron, au lieu de sainte Barbe, également patronne des artilleurs, saint Thibaud4, parce que ses principaux fondateurs, imbus des dangereux principes du carbonarisme, donnaient ce saint comme leur patron, à l'instar des carbonari italiens qui avaient conservé quelques pratiques du christianisme. La cérémonie a d'ailleurs, dans les deux étaublissements, un caractère religieux bien marqué : aux forges, le personnel, conduit par le directeur, les ingénieurs et les chefs de service, la fanfare de l'établissement en tête, se rend processionnellement à l'église paroissiale, rangé sous les bannières des différents services : un prédicateur de renom dans la contrée porte la parole et rappelle le plus habituellement à son nombreux auditoire ses devoirs professionnels,; un superbe pain bénit est distribué.
Les métallurgistes et les mineurs fêtent solennellement leurs patrons, avec le concours de leurs fanfares. La fête patronale de la ville a lieu le dimanche qui suit l'Assomption.
Les foires de Commentry et de quelques villages environnants atti[462]raient, quand elles étaient moins nombreuses, une plus grande partie de la population des campagnes, et déterminaient plus de transactions. On les a trop multipliées, au détriment des principaux intéressés, dont les occasions de dépenses sont augmentées sans autre raison que l'intérêt des cabaretiers.
Les cafés et auberges, au nombre de quatre-vingt-dix pour une population agglomérée qui ne dépasse guère neui mille habitaunts, sont, à fort peu d'exceptions près, de véritables clubs où sont ouvertement prônées la guerre au capital et les pires théories socialistes : il s'y fait beaucoup de mal et l'on peut dire, sans exagération, qu'ils provoquent de grands ravages dans les esprits. Notre ouvrier, dont le débit était le cent seizième, quand il demanda l'autorisation de police en 1879 — tous les genres de commerce sont compris dans ce chiffre — est un mauvais client pour les cafés : il n'y met pas les pieds dix fois par an. Les cafésconcerts augmentent et accentuent l'œuvre de démoralisation dont il vient d'ètre parlé ; ce genre de récréation, malsain et habituellement stupide, fait de constants progrès dans la localité.
Les spectacles publics sont assez rares ; il n'y a guère que quelques comédies, pauvrement interprétées par des troupes de passage, auxquelles la foule, avide de distractions, se porte toujours. L'engouement de cette population est tel, principalement à l'annonce d'un cirque, que l'on a vu des femmes, des mères de famille vendre à un prix dérisoire le pain et le sucre du lendemain, pour avoir les 50 ou 75 centimes qui leur permettront d'y passer la soirèe. — Les jeux de hasard, loteries, etc., ne fonctionnent guère qu'au moment de la fête patronale et à l'époque du nouvel an. La même passion de plaisirs provoque, ici encore, les fàcheux errements que nous venons de relever. On joue avec entrain aux cartes duns les cafés, aux cabarets : par bonheur, les enjeux sont peu élevés. On n'entend parler ni de dés ni de paris.
Nous avons dit que la famille de l'ouvrier avait tenu, durant plusieurs années, un café qui, comme tant d'autres de Commentry, n'avait pu prospérer. Nous rappelons que l'ouvrier cultive, par manière de récréation, le très modeste jardin de son gendre (§ 8). — Comme dans la plupart des centres ouvriers, le braconnage est extrêmement répandu à Commentry : le lacet est manié dextrement par un grand nombre d'habitants et les lapins y regcoivet bien des cravates, pour reprendre l'expression imagée, familière aux braconniers. Eugène n'a jamais pratiqué le braconnage.
La musique est en honneur dans le pays. On compte, à Commentry.[463]jusqu'ù trois sociétés musicaules : une société philharmonique, spécialement composée d'ouvriers forgerons, la plus ancienne ; elle reçoit une subvention annuelle de 500f de la Compagnie des forges, qui lui accorde, en outre, gratuitement, un local éclairé et chauffé pour ses répétitions ; la fanfare, et une symphonie, formée de tous éléments pris à la ville et indépendants. Ces trois corps de musique, qui disposent d'une centaine d'exécutants, vont jouer à l'église, à l'occasion des grandes solennités. La symphonie y joue à l'occasion de la Sainte-Cécile.
Histoire de la famille
§ 12. Phases principales de l'existence.
La famille P, appelée par M. Bouchaud, entrepreneur des étameries de Commentry, il y a unejquarantaine d'années (§ 17), vint s'installer dans la localité en octobre 1852. Dês le commencement de 1853, Eugene P*, âgé de treie ans, travailla, en compagnie de ses frères aînés et de plusieurs de ses parents, aux étameries où il gagnait vingt sous par jour. Son service ininterrompu, pour ainsi dire, aux étameries de Commentry où il s'est élevé aux fonctions de chef de chantier qu'il remplit depuis vingt-quatre ans, l'exercice de la profession d'étameur par sa famille comme par la famille de sa femme, l'élévation progressive du ménage au rang de propriétaire, par la régularité du travail et l'esprit d'ordre des époux, les judicieuses qualités de la ménagère, l'assiette ainsi conquise dans le pays, nous ont déterminé à prendre la famille pe pour sujet de cette monographie.
L'ouvrier est né au Clerjus (Vosges) en 1840. Le père, Jean-BaptistePe ouvrier de carrière à la Chaudeau, situé dans la laute-Saone à quelques kilomètres du Clerjus, a été prématurément enlevé par la fièvre typhoide, dans son pays natal, à l'age de quarante-quatre ans ; il avait été occupé aux forges de Commentry, les trois dernières années de son existence (184547). Eugène, le huitieme d'une famille de neuf enfants, cinq filles et quatre garçons, étauit dans sa sixième année, quand il[464]perdit son père ; depuis, ila perdu trois sœurs et un frère. Auguste, Nicolas, Joséphine et Adélaide, respectivement âgés de soixante-deux, cinquantesept, cinquante-deux et quarante-six ans, vivent encore, les trois premiers mariés, la dernière, veuve depuis six ans, tous établis dans la localité. — La femme Pree, dont le père fut ouvrier aux mêmes forges de Commentry, à la fonderie, puis aux hauts-fourneaux (depuis 1887, il est retraité de son service), a trois frères et surs vivants : Pierre, âgé de cinquante-deux ans, mouleur à l'atelier de construction de la Ville-Gozet dépendant de l'usine Saint-Jacques, de Montlucon, qui appartient aussi à la Compagnie de Chatillon et Commentry ; Élise, âgée de quarante ans, femme de chambre et non mariée ; Joseph, âgé de trente-sept ans, marié et, comme son beau-frère, chef de chantier aux étameries de Commentry. — La mère de l'ouvrier avait huit frères et œurs, une de ses sœurs a huit enfants vivants.
Eugène ne quitta les forges que durant les années 1857 et 1858 qui correspondent à l'arrêt du service des étameries dans la localité : les frères et sœurs de l'ouvrier résidèrent pendant ces deux années à lmphy (Nièvre), où Eugène exercauit la même profession que ses frères. Il venait de tirer au sort quand il épousa, en janvier 1861, Anne B, originaire de Decize (Nièvre), qui avait vingt ans et exercait la profession de lingère. Notre future ménagère résidait à Commentry depuis 1843 avec sa famille ; et la jeune lingère, elle aussi, travailla de bonne heure, puisqu'elle allait en journée dès l'âge de quatore ans. Les braves jeunes gens n'avaient pas encore réalisé de bien sérieuses économies, leurs porte-monnaie réunis accusaient, le jour de leurs noces, un avoir de 83f 001 Mais on n'avait pas de dettes et puis, ne s'était-on pas assuré de profondes réserves de régularité, de travail, d'ordre, d'économie, toutes qualités maîtresses autant que fécondes Dans de telles conditions pécuniaires, l'entrée en ménage n'était pas précisément brillante ; toutefois, chacun des époux avait une profession sérieuse, de la moralité, ses dix doigts et bonne envie de réussir. Tous deux se mirent en état d'élever convenablement leurs trois filles, Philomène, Germaine et Louise : les dépenses de leur éducation peuvent être évaluées à 250f 00. Ils ont marié l'aînée de leurs filles, Philomène, à un intelligent épicier de Commentry, M. G°, qui est en voie de réussir, et ils lui ont donné 2,000f 00 pour son établissement. Aidés par les Sœurs de l'école libre des forges, ils ont assuré un brevet d'institutrice à Germaine, leur seconde fille, et n'ont pas reculé devant une dépense de 150f 00 pour la conduire chercher à Guéret un brevet ardemment ambitionné. Ils ont[465]mis aux mains de Louise, leur fille cadette, l'état de couturière ; son apprentissage, qui leur a coûté 60f 00, met cette jeune personne à même de se sufire, dans un délai que l'on peut dès aujourd'hui prevoir.
§ 13. MŒURS ET INSTITUTIONS ASSURANT LE BIEN-ÈTRE PHYSIQUE ET MORAL DE LA FAMILLE.
L'avenir, rassurant, de la famille lui présage des jours vraiment prospères. Capable, laborieux et encore dans la force de l'âge, l'ouvrier exerce une profession très spéciale qui lui assure, avec un travail rémunérateur, un salaire régulier (§ 18). ÉEconome, prévoyante et ordonnée en toutes choses, la ménagère a saugement conduit son intérieur et surveillé la bonne éducation de ses filles ; tous deux jouissent de cette santé satisfaisante qui est habituellement le prix d'une vie régulière et ils ont rapidement fauit des épargnes qui leur ont permis d'acheter, dès 1888, une maison de5,000f 00, et leur laissent un actif de pres de 6,000f 00. C'est ainsi que nous sommes amené à relever, pour le budget qui nous occupe, une épargne de155f80. La bonne entente, la concorde, l'harmonie du ménage ont directement coopéré à ces résultats. Les principes sûrs, les sentimentsreligieux qu'ils ont reçus de leurs familles et soigneusement transmis à leurs enfants, constituent le meilleur de leur patrimoine et la plus solide garantie de leur bonheur. Que le ménage vienne à traverser des circonstances dificiles, l'estime et la considération dont l'entourent les familles de patrons et d'ouvriers de la locaulité lui assuraraient cet appui qui fait rarement défaut aux honnêtes gens. Voilà certes de sérieux éléments de sécurité1
Pour nous conformer à l'exactitude requise dans ce travail, il convient de mentionner deux griefs, malheureusement imputables à la classe ouvrière prise dans sa généralité ; les habitudes de ce milieu, sans excuser la famille observée, seront d'ailleurs justement invoquées ici, à titre de circonstances atténuantes ; les classes populaires, en effet, se laissent souvent séduire par le double mirage des gros dividendes dans leurs spéculations financières et des professions libérales pour leurs enfants. Ainsi, la famille P*e°, aséduite par un remboursement de capitaul que la Société du canal interocéanique de Panama faisait bruyamment sonner en mars 1888, acheta trois obligations à 6 % qui, vraisemblable[466]ment, n'auront qu'une valeur etive pour elle (§ 6) comme pour plus de cent partles prenuntes parmi les forgerons de Commentry ; alnsi èncore; elle a conduit sa seoohde ille Germalhne au brevet, sans prendre garde qu'en la faisant sortir de sa condition, elle s'exposait à la déclasser, tout au moins, à la laisser désarmée dans cette lutte pour la vie, qui est le trait caractéristique de notre soclèté surchaufée ; les parents, ermaine elle-même, malgré les fonctions auxiliaires obtenues par l'intéressée dans l'enseignement libre en 188990, ne peuvent se défendre de préoccupations justifiées sur les conséquénces du parti que l'on prenait naguère avec tant d'enthousiasme et une arrière-pensée de vanité indiscutable.
Un dernler témoignage doit être eite a l'appui des qualltés sérieuses des époux, de leurs habltudes d'epargne et de sege prévoyunce. Lae discussibon de leurs ntérets, l'exposé même de leur budget, leur spirèrent l alutaire pensée de prendre le présent travail comme point de depart potur l'etablissemènt de leurs comptes, et 1ls se sont pontanément déterminés a arrèter désormais leur budget annuel. Voilà ne déclsion qui. du même coup, démontre péremptolrèment l'ntére pratique des études de la oeiete d'eeoie socile, et nous nou réjôuissons de cette résolution : elle est n encouragenment pour les travaux de notre Soeiete, elle contient, ans phrases, le meilleur éloge de la famille observée.
La famille * a jàmals eu à recourlr à la charite privée. Lae Caisse de secours de la Compagnie des forges lui est venue en aide dan dee circonstances mentionnées au paragraphe 7. (Voir aussi le §20.)
Nous avons eu l'occalon d'observer (§ 3) qu'1l 'y avait pes préeiément de pauvres dau la localité. Les deux assoelatlons de dames dè charité en exerciee sôtulaent done des inirmités aecidentêlles et légères qui frauppent les personnes appartenant à la ville. La premlere, dlte Assoeiatton des dae8 de ehurite, se procure les moyens de secourir les pauvres et les assiste à domicile ; les Sure de Saint-Vincent de Paul ont les élèves insplratrlces et sotuvent les agehnts de eette pletuse ssoclation. — a seconde, dlte Association des dates d oestiaére, è cmpose de damè qul coniectionnent des vèlements pôur les pauvres ; les Seurs de la Chrité de Bourges s'occupent principalement de cette œuvre.
NOTE SUR L'ÉTAT DE LA FAMILLE EN 1905
[467] Seize ans après, au moment où l'auteur met la dernière main à une monographie interrompue par la retraite et le décès de son regretté père et par des travaux personnels pressants, des changements considérables sont survenus dans l'état de la famille observée.
Les voici condensés en quelques lignes.
Eugène Pee* est mort le 13 août 1894, de congestion pulmonaire. Sa femme succombait, à son tour, le 14 août 1895.
Louise, la dornière de leurs lles, mariée en 1896 M. Jullen R°° menuisier ébéniste à Paris, tenait un débit de vins, elle est morte le 16 fevrier 1902.
La situaution des deux filles issues du marlauge, qui ont survécu, marque une amélioration ssnsible sur celle des parent, et justfie amplement les pronostics de 1889.
L'ainée, Philomène, dovenue Me e, a effectivement vu prospérer son commerce d'épicerie ; elle a trois enfants, Germaine, Robert et Simone, respectivement âgés de dix-neuf, doue et dix ans. I1 est intéressant d'observer que le ménage G** tient un etablissement qui a fait une formidable concurrence ̀ la Société coopèratlve des forgerons de Commentry, d'ailleurs complètement translormée depuis 1902 (§ 19).
Germaine, la seconde fille, après avoir définitivomont renoncé à l'enseignement à la fin de l'année 1890 ( 13), avait installe au re-de-ohaussée de la maison de ses parents une suocuraale de l'épicerie de **°, on beau-frère. Cette tentative ne pouvait réussir, quatre magasins similaires étant étaublis dans un espace très restreint. Employée dans un magasin de mororie dae Vlerson, depuis 1896, elle s'est mariée dans la contrée, à Gannat, en 1903, avec M. D, cafetier, et n'a pas d'enfants.
ÉLÉMENTS DIVERS SUR LA CONSTITUTION SOCIALE.
FAITS MPORTANTS D'ORGANISATION SOCIALE;:
PARTICULARITÉS REMARQUABLES,
APPRÉCIATONS GÉNÉRALES; CONCLUSIONS5.
§ 17. SUR LES ORIGINES DE COMMENTRY, LA FORMATION DE LA CITÉ INDUSTRIELLE ET LA POPULTION.
[478] Etymologie. — Chazaud, en son dictionnaire des noms de lieux habités du département de l'Allier, désigne Commentry — qui s est aussi écrit Commentri — du nom latin de ˉCommentriaceus, trouvé dans des archives qui remontent à 1097.
Certains auteurs lui donnent une origine celtique (Iombant-Regez) : ombaut ou oumbaut (vallée, vallon), Regez (braise, charbon), ce qui tendrait à faire supposer que le charbon a été connu de très bonne heure à Commentry où il se trouvait presque à fleur de terre ; de plus, le bourg primitif de Commentry se trouve dans une vallée. Sans être certaine, cette étymologie offre quelque probabilité.
Origines. — Commentry, ˉCommentriacus, dans la langue romaine, d'après des documents se rapportant au x siecle, avait quatre-vingtdix-huit feux en 1569. Si nous nous référons au témoignage du sire de Nicolai, chargé, en qualité de géographe du roi Charles IX, de relever les revenus des paroisses edu Bourbonnais, cette localité, qui était une paroisse de la chàtellenie de Murat et du siège de Malicorne, comptait alors une population de 400 habitants environ, groupée sur les bords de
[479] Ell, au pled de la cité actuelle qui ne compte pas plus d'un dami
Au point de vue de la circonsoription eocclésiastique Commèntry paralt avoir appartenu primitivement au territoire des Bituriges. Jusqu'à la Révolution, ctte paroisse fut enclavée dans le diooêse de Bourges, dont les limites ne diféraient pas sensiblement de celles de la trlbu gauuloise des Bituriges. En efet, le Bourbonnais était formé, en partie, de l'ancien tarritoire des Arvernes, en partie de l'ancien territoire des Blturiges et de quelques portione du territoire des Edues; auss se partaugeait-ll jusqu'alors entre les trois diocèes de Boure, de Clermont et d'Autun. Commentry, situé ̀ l'extrémié sud du premier de ces diocèses, était peu éloigné des confins de celui de Clermont.
Avant la Révolution, la paroisse de Commentry ressortissauilt au diocèse de Bourges, à l'rchidiacohné de Narzeonne (Néris), à l'archiprêtré de Notre Dame de Montlucon. Elle était du nombre des soixante-trois paroisses bourbonnaises qui relevaient de l'important prieuré de 8ouvign : une lettre du pape Eugène III, en date du 30 evrer 112, à Pierre, prieur dudlt monastère, atteste ce fait. Les curés de Colombier, dépendant aussi de Souvigny, se diaaient curés primitifs de Commentry.
Le silence du sire de Nicolai, dont le manuscrit ne fu imprimé qu'en 1874, et qui signalait les lndustries ou exploitations de l'époque, donne lieu de croire que la houille, qui devait mettre en valeur toute cette contrée, n'avait point enoore éte déuouverte. Quol qu'il en soit, la houille afleurait au jour à Commentry, uinsi que l'ttestent des photographies, récemment prises. Depuis fort longtemps, les habitants du peye s'en servaient pour les usages locaux, sotus le nom de crb de pierre, qu'on donnait êneore à la hotuille, il y a clnquante ans, e yon et dans le centre de la Fnoe. Lee acien fbricahnts de charboh de bois provenant des forês qui couvraient alors le basin de Commentry en faisâient plus ou moins le oommerce.
Des renseignements rigoureussment précls manquent ur l'origine de l'exploitation ; cependaunt, des restes, fort anciena, de mahnêges, ont été trouvés dans certalne galaries abandonnées depuis de longues anéè8 : les plus anciens des mlneurs que nous avons consultés déclarent avoir piqué le charbon à raison de 1f 50 la journée, et ces ouvriers aont devenus, à peu d'exceptions près, propriétaires d'une petite maison entourée de quelques ares d'un terrain qu'lls cultivent (§ 3). Nous tenons d'un témoin oculaire de nos ami qu'll a vu, en 185, deux pu1s dont les [480] noms sont encore présents a sa mémoire : Sainte-Marguerite et TUion, dont on extrayait le charbon, à l'aide de chevaux : le gros charbon était conduit par voitures au canal de Montlucon ; quelques hectolitres de fin étauient vendus aux forgerons et aux maréchaux ferrants des environs, et « le reste servait à arranger les chemins. En 1840, le feu se déclara dans la houillere, avec une intensité qui ne diminua pas avant 1853 ; il fallut, pour éteindre cet épouvantable incendie, détourner à grands frais une rivière, la Baunie : les premières machines à vapeur que l'on vit dans le pays furent établies pour épuiser l'immense amas d'eaux accumulées dans les galeries. La réverbération de l'incendie a été' observée du pont de Moulins, distant de vingt lieues : le feu grondait, comme une lave bouillante, dans les profondeurs d'immenses crevasses, des gerbes de flammes s'élevaient à une vingtaine de mètres au-dessus du sol ; les curieux accouraient de très loin et les baigneurs de Néris sont actuellement encore exploités par les loueurs de voitures de la station thermale qui leur font payer bien cher le plaisir de contempler la place....
La mine de Commentry a commencé à prendre du développement lors de la création du petit chemin de fer à voie étroite qui la relia au port de Montluçon, canal du Berry. Mais sa prospérité remonte à l'époque oû la réunion s'est faite, en une seule Société, des houillères de Commentry à l'usine Guérin, de Montlucon, devenue plus tard l'usine Forey, et aux établissementrs métallurgiques de rFourchambault, de Torteron, d'Imphy, les deux premiers aujourd'hui abandonnés.
Les tranchées de la mine sont une intéressante curiosité locale. Le charbon y fut longtemps exploité, à ciel ouvert, dans des tranchées longues de plusieurs kilomètres.
Formation de la cite industrielle. — En 1812, MPe la comtesse de Chazeron, d'une des plus anciennes familles du Bourbonnais, vendit la concession de Commentry, d'une superficie de 2,075 hectares, à M. Nicolas Rambourg et à M. le comte de Brancas, pour le prix total de 30,000f 00.
De 1820 a 1825, une verrerie et une manufacture de glaces s'établirent sur l'emplacementdes forges et hauts-fourneaux actuels. La Compagnie de Saint-Gobain racheta ces établissements, qui ;ne fabriquaient que de mauvais verres et de mauvaises glaces, pour les mettre en chômage, et elle les revendit à un notaire du pays, Me Burjaud, sous condition de ne plus fabriquer.
C'est sur les entrefaites que lesdits bâtiments furent cédés, en 1843, à MM. Martenot frères, Palotte et C°, qui les transformèrent en un établis[481]sement métallurgique destiné, dans la pensée des fondateurs, à la fabrication des fers laminés et des rails.
Les matières premières qu'ils avaient à leur disposition étaient les minerais du Berry et les houilles de Commentry, puis celles de Bézenet et de Doyet.
Les voies de transport étauient absolument primitives. Les combustibles de Commentry se trouvaient très voisins de la forge, mais ceux de Bézenet étaient à qulnze kilomètres, ceux de Doyet à dix kilomètres ; les minorais et les castines arrivaient, par eau, à Montlucon ; il fallait faire tous les charrois par chevaux et voitures. Les transports par voies d'eaux et par véhicules sur essieux se sont améliorés, au fur et à mesure du développement des chemins de fer ; la situation est devenue tout à fait satisfaisante depuis le fonctionnement du chemin de fer de Montluçon à Moulins, qui remonte à novembre 1859.
L'usine s'est alors reliée avec le chemin de fer, et une grande voie de 3,500 mètres, partant de la gare de Commentry et se poursuivant aux points extrêmes de l'usine, dessert les principaux services d'approvisionnement et d'expédition. Des petites voies nombreuses, représentant un parcours de 6,500 mètres, sillonnent l'étaublissement et en desservent toutes les sections.
L'usine devait produire, a l'origine, 15,000 tonnes, dont les deux tiers en laminés marchands et un tiers en rails. Elle commença a fonctionner en t845 ; mais on s'aperçut bientôt que les conditions économiques de Commentry ne permettaient pas de fabriquer des rails en fer. On y avait substitué, dès 1847-1848, des trains à tôles ; puis on entreprit l'installation des trains de fer noir destinés à produire les petites tôles appliquées aux étameries ; cet ensemble nouveau commenca à marcher, dans des conditions assez modestes, dès 1853.
La concession de Commentry appartient à la Compagnie de Commentry-Fourchambault, qui a d'autres concessions à Montvicq (Allier), Brassac (Puy-de-Dôme) et Decauzeville (Aveyron).
Quant aux houillères de Commentry, leur production touche à sa fin. L'unique puits d'extraction actuel a été fait pour exploiter les anciens massifs de protection, réservés autrefois pour maintenir la solidité des terrains autour des anciens puits d'extraction abandonnés.— Il y avait six puits d'extraction en 1890 ; il n'y en a qu'un en 1904. — Les houilleres occupaient, en 1890, 1,30 employés et ouvriers ; elles en occupaient 1,000 en 1904.
ˉPopulation. — La population, de 600 habitants en 1790, resta long[482]temps stationnaire : elle n'était que de 604 en 1823. L'installation des houillères et des usines lui valait, en 1851, 5,465 habitants ; en 1881, 12,416 habitants, dont 9,394 de population glomérée ; en 1891, 12,5296; en 1897, 12,682 habitants ; elle a décru depuis, et alle est tombée, en 1901, à 11,163 habitants. L'extraction de la houille avait provoqué la recrudesceonce de la population ; la diminution progressive marche naturellement de pair avec la diminution de rendement des houillères.
Cette population provient : 1° des environs, communes voisines de l'Allier, du Puy-de-Dôme et même de la Creuse ; 2e du Berry, pays de mines de fer et de forges au bois ; 3° de la Bourgogne, de la Champagne, du Nivernais et surtout de la Lorraine.
La rue Saint-Quirin, une des principales de Commentry, porte le nom d'un village de Lorraine aujourd'hui annexé. Elle fut ainsi nommée par les forgerons, ses premiers habitants, qui étaient tous de Saint-Quirin ou des aenvirons ; les noms suivants tèmoignent de cette origine lorraine : Acaermann, Auer, Bath, Christaler, Daussmann, Deutsch, Doppelmann, Echer, Emann, Engeldinger, Eriirth, Fenteheim, Gall, Ganz, Gartiser, Geuler, Gross, Grinn, auselstein, einrich, eisel, eppl5. Herrhouardt, inderschild, Huard, unler, ampf, arle, aufmann, essler, Ilipfel, ulmann, Layr, Lehn, Leutinger, Lœvinstein, Meingott. Mesr, Metager, Muiller, Reichstadt, Reiser, Ricl, Ristori, Runacl, Ruminger, Schmidt, Sehes, Schiller, Schveitaer, Scherisch. Speis, Stalter, Steinmeyer, Striclroth, ale, g, immarmann. Vol4, etc., etc.
La rue Saint-Nicolas, suite de la rue Saint-Quirin, égalament peuplée de Lorrains, était ainsi dénommée en mémoire du paron de la Lorraine. Beaucoup d'habitants parlaient le français, un certain nombre ne connaissaient que le patois allemand de leur pays. L'administration des forges appela à Commentry, il y a une cinquantaine d'années, pour cette excellente partie de sa population ouvrière, une Fille de la Charité, originaire de Lorraine, qui fit le catéchisme aux petits Lorrains.
La populatiou se partage en deux grandes eatégories : les mineurs et les forgerons.
Le mineur est habituellament économe. — Le forgeron dépanse au jour le jour.
[483] Les mineurs des autres centres industriels ne sont pas plas economes que les forgerons. Il convient d'attribuer l'aprlt d'epargne des mineur8 du pays à ce fait que la population minière est indigène, tandis que les forgerons forment une population moins lxe (§ 1ᵉʳ). D'autre prt, le forgeron est condamné, par son travail même, à boire beaucoup, tandis que le mineur, qui habite la campagne, mêne naturellement une vie plus sobre.
La divergence entre les deux catégories d'ouvriers s'acctse ehncore par les traits suivants : le forgeron est braillard, démonstratif et, à tout predre, assez franc. — Le mineur parle pe, mais est sournols.
Le forgeron rangé a des économies en srgent, réaulisées sr son salaire et sur les bonis de la Société coopérative. — Le mineur est souvent propriétaire de sa maison, de son jardln et des quelques petits champs qui l'avolslnent.
Le forgeron achète la plus grande partie de ses légumes, et sa femme n'hésitera guère à acheter ce qu'il y a de plus cher sur le marché. — Le ineur, qui dispose de quelques heures pendant le jour, parce quil va au travail de grand matin et qu'il a fni sa journée à clnq heure de 'apres-midi au plus tard, cultive, à temps perdu, sa petite propriété, sur laquelle il a le bon sens de vivre.
Plus indépendant, le forgeron vote plus librement. — Presque tous les mineurs syndiqués votent pour le candidat a lmposé. n
L'n et l'autre comprennent la solidarité, et viennent au secours de leurs caarades dans la misere. — Mais le plus généreux des detx est, sans contredit, le forgeron, pourtant moins aisé.
§ 18. SUR L'INDUTRIE DU FER-BLANC LT LE AMLAIRES
La tôle fer réduit n feuilles - est très propre, en ralso de son bas prix et de sa très grande ténacité, à la confection d'un grand nonmbre d'ustenslles ; nals la faciité avec laquele elle s'oxyde, au contact de air humide, en eût restreint beucoup l'empoi, si l'on n'était parven, par l'étmage, à empêcher cstte altération.
Voici, succinctement, coœment se fabique le fer-blanc. On désigne ous ce nom des plaques minces en fer o en acer doxt, recouvertes dune légère couche d'étain. Pour fabriquer la tôle a fer-blanc, on se ert, en général, de fer préparé au charbon de bois.
[484] Cette fabrication comprend deux opérations bien distinctes. La première consiste à transformer en plaques minces des barres de fer ou d'acier doux. C'est le laminage. Depuis que le fer-blanc n'est plus fabriqué avec du fer, mais avec de l'acier doux, la quantité d'ouvriers qui sont employés à cette fabrication a sensiblement diminué, par suite de la suppression de l'opération du « puddlage . La seconde a pour objet de recouvrir les plaques d'une couche d'étain. C'est l'etamage.
ˉLaminage. — Autrefois, les plaques minces destinées à l'étamage étaient obtenues avec des blocs de fer étirés en barres plates. Ces barres étaient sectionnées en fragments appelés largets ou oidons, lesquels, préalablement réchauffés dans des fours spéciaux, étaient laminés jusqu'à ce que leur épaisseur fût réduite au calibre voulu.
Depuis une vingtaine d'années, l'acier doux s'est complètement substitué au fer dans la fabrication des plaques minces pour fer-blanc. Les lingots d'acier doux, de même que les blocs de fer, sont transformés en barres plates, lesquelles sont, comme il vient d'etre dit pour le fer, laminées à leur tour en plaques minces. Une fois laminées, les plaques minces sont cisaillées aux dimensions commerciales et conduites aux chantiers d'étamage.
Etamage. — Avant d'être immergées dans le bain d'étain, les plaques minces subissent diférentes préparations intermédiaires. Elles sont d'abord décapées dans un bain acidulé à l'acide sulfurique, puis empilées dans des caisses en fonte ; ainsi encaissées, elles sont introduites dans des fours où elles subissent un recuit à température élevée, dont la durée est de douze heures. Les cauisses sorties du four ne sont ouvertes et les plaques retirées de ces caisses qu'après complet refroidissement. Les plaques sont alors passées entre des cylindres à surface très polie qui leur donnent un glacé aussi parfait que possible. Après cette opération, les plaques subissent un nouveau décapage dans des bains acidulés soit par l'acide sulfurique, soit par l'acide chlorhydrique. C'est après leur sortie de ce dernier bain qu'elles sont plongées dans le creuset à étain.
Jadis, pour étamer les plaques, on les faisait passer successivement dans plusieurs creusets, dont le premier contenait de la graisse, et les autres de l'étain à diférents degrés de température. Aujourd'hui, le procédé est bien simplifié. Il n'y a plus qu'un seul creuset, divisé en deux compartiments par une cloison qui n'atteint pans le fond du creuset : dans l'un des compartiments ainsi formés, règne au-dessus de l'étain une couche de chlorure de zinc. Trois paires de cylindres sont disposées dans[485]l'intérieur du creuset : une sous la couche de chlorure dans le premier compartiment, une dans la partie inférieure et médiane du creuset, et la troisième dans le second compartiment. Par ce procédé, l'étamage se fait instantanément. La plaque, saisie par la première paire de cylindres, est poussée jusqu'à ce qu'elle soit prise par la seconde, laquelle la jette sur la troisième, d'où la feuille sort complètement étamée.
A la sortie du bain d'étain, les plaques sont passées mécaniquement dans des bacs contenant de la farine, de la sciure de bois mélangées à des terres capillaires qui absorbent la graisse dont elles sont plus ou moins recouvertes. Après cette dernière opération, elles sont frottées avec soin, tantôt avec des chiffons par des mains de femmes, tantôt mécaniquement en passant entre des cylindres recouverts de peaux de mouton. Enfin les feuilles, soigneusement examinées une à une, sont classées suivant leur aspect et la perfection de leur étamage : celles qui présentent des défauts sont mises au rebut ou repassées au bain d'étain ; les autres sont livrées au commerce dans des caisses contenant 225 feuilles de 352 x 257 m/m, et pesant 53 kilos (marque IC).
La fabrication des fers-blancs s'est établie non sans grandes difficultés dans les usines de Commentry. C'est ce qui ressort du relevé suivant :
Ce chiffre est celui de la production normale depuis 1879 ; il peut atteindre facilement 4,000 tonnes.
C'est en cette même année 1879 que les usines de Commentry montèrent une imprimerie pour fers-blancs. Cette imprimerie a paru surtout nécessaire pour les fournitures de fer-blanc en blanc, par les usines mêmes, à ceux de leurs clients qui employaient de leurs fers-blancs imprimés. De 1879 a 1889, 800 tonnes dev fer-blanc imprimé ont été ainsi[486]livrées à des fabrieants de conserves, qui ont consommé, en blanc,
4,000 tonnes de fer-blanc.
Pendant la guerre de 1870, les usines de Commentry fabriquèrent une grande quantité d'affets de petit équipement nécessaires à l'armée : ustensiles, gamelles et bidons. Cette fabrication orit un double avantage, singulièrement appréciable en ees temps difieiles : un débouché important pour la fabrieation, et l'exonération du serviee milltauire pour un grand nombre d'ouvriers des usines, alors classées comme établissement militaire.
Les principaux centres de fabricaution du fer-blane en F'rance sont : Hennebont, en Morbihan, Montataire, dans l'Oise, et Commentry.
La France elle-même ne vient qu'en troisiême ligne pour cette fabrication. Les États- Unis viennent en ête avec une production de
500,000 tonnes. Le pays de Galles vient ensuite avec une production de
350,000 a 400,000 tonnes. On s'accorde généralement à évaluer à 100,000 ou 120,000 tonnes la quantité de fer-blanc fabriqué en France. —
8,000 tonnes de fer-blanc ont été importées en France en 1903.
La fabrication du fer battu ne remonte guère, dans notre pays, au delà de 1825 ; c'est une industrie nouvelle dont l'importance augmente chaque jour. Le fer-blanc sert d'abord à la confection des ustensiles dits de quincaillerie, qui proviennent, en grande partie, des usines de FrancheComté, et rentre alors pour les deux tiers de la totalité de la production ; le reste est employé à la fabrication de boites de conserves de toutes sortes, et beaucoup de ces boîtes sont confectionnées dans des usines établies à Hennebont et sur les bords mêmes de l'Océan. Cette produetion augmente d'une facon très sensible tous les ans.
Rien ne se perd dans cette fabrication, puisque les rognures de ferblanc, qui n'ont pour ainsi dire aucune valeur, sont utilisées. Certains industriels ont pris des brevets pour extraire l'étain de ces déchets par les moyens chimiques. Ces rognures servent également à la confection de ces jouets à bon marché, qui pullulent dans les bazars et font la joie des enfants.
o0bservation de 1905. — La fabrication du fer-blanc a progressé très sensiblement pendant ces dernières années, comme tous les arts mécaniques et métallurgiques. L'étameur n'est plus maintenant une sorte de maître ès arts, recevant de ses aieux les secrets de la fabrication et les transmettant à ses enfants. En quelques journées, l'on peut faire maintenant un bon étameur avec un ouvrier quelconque. Le chantier d'étamage est devenu, aujourd'hui, un appareil mécanique, dans lequel l'ou[487]vrier introduit la feuille, qul est saisie par les rouleaux et entrainée mécaniquement dans le bain. La feuille est conduite, ensuite, dans une machine qui remplace les farinières d'autrefois, et d'où elle sort prête à ̂tre livrée au commerce.
L'organisation des usines de Commentry a subi des transformations profondes en ces dernières années. Pour ne parler que des plus récentes, le puddlage a été supprimé à la fin de 1904. Le dernier haut-fourneau et les fours à cole système Appolt ont été éteints en janvier 1905. On tend à supprimer complètement le laminage du fer pour ne laminer que de l'acier. Les lingots d'acier sont fournis par les usines de la Compgnie, Montlucon-Saint-Jacques et Neuves-Maisons, le grand établissement que la Compagnie s'est annexe il y a plus de dix ans.
La production totale des forges de Commentry s'est considérablement augmentée, et il est permis de prévoir que ces usines conserveront le tonnage (30,000 tonnes environ) qui leur revient actuellement.
Les changements survenus dans le matériel et l'outillage ont parmis une réduction très sensible du personnel, qui est présentement ramené à 1,200 unités environ.
Salaires. — Le tableau suivant (page 488) donne, année par année, d'après les relevés mêmes etablis dans l'usine de Commentry, les totaux des salaires touchés par notre ouvrier, avec leur décomposition, de 1857 a 1889, soit durant une période de trente-trois ans.
En 1890, une grève a été fomentée et soutenue par un nommé F., allié de Guesde. Secrétaire de la mairie de Commentry, il sut exploiter le nécontentement qui régnait dans la population ouvriere, à la suite de diférentes retenues sur les salaires. Cette grève, qui dura vint et un jours, prit fin au moment même de l'arrestation du sieur .
IH est permis de conclure qu'avec de l'énergie, le pouvoir est suffisamment armé pour empêcher ces mouvements ouvriers, très souvent factices, de prendre une gravité, par-dessus tout préjudiciable aux intérets des classes populaires.
§ 19. SUR LA SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE DES FORGERONS DE COMMENTRY
[488] L'une des plus banales causes de soufrance, dans les ménages ouvriers, est la facilité des achats à crédit. On commence par céder à la tentation ; on se met dans l'impuissance de payer l'arriéré, surtout porsque les frais de poursuite viennent doubler la dette. Dès lors, l'ouvrier est à la merci du petit commerçant, obligé de subir, pour tout ce qu'il achète, le prix surfait et la qualité inférieure que le détaillant lui [489] impose, parce que sa solvabilité est douteuse et qu'il ne peut refuser, puisque, pour se fournir ailleurs, il faudrait au préalable éteindre sa dette.
A Commentry, ce mal sévissait avec une acuité extrême. « Au mois de fevrier 1863, quand je suis arrivé aux forges, écrivait en 1887 M. A. Gibon7, les ouvriers se fournissaient de tout chez les marchands de la ville ; j'ai trouvé dans nos bureaux plus de cinq cents oppositions contre eux, c'est-à-dire que plus de la moitié de notre personnel, car alors il y avait environ mille ouvriers dans l'établissement, se trouvait sous le coup de poursuites judiciaires, et, pour beaucoup, les frais dépassaient le principal.
« Le directeur des usines, à qui nous empruntons ces lignes caractéristiques, se chargea personnellement, pour arrêter ce fléau, de liquider le passif souvent considérable des pauvres ménages envers les petits commercants ; puis, avec le sympathique appui du Conseil d'administration de sa Compagnie, il parvint a persuader les uns, à entrainer les autres, et à constituer enfin, en février 1867, la Societe cooperatie de consommation desforgerons de Commentr.
Fondée sous la forme de Société à responsabilité limitée, avec 300 actions de 100f, elle s'est transformée, en 1872, en Société anonyme, et le fonds social a été successivement porté à 120,000f par les bénéfices attribues aux actions. L'article 2 des statuts en déinit nettement le but : La Société a pour but l'achat, aux meilleures conditions de prix et de qualité, des substances, denrées ou marchandises de consommation, pour les revendre ensuite aux membres de la Société, aux autres ouvriers de l'usine et à leurs familles, considérés comme membres coopérateur, du jour où ils se serviront au magasin social, de façon à faire participer les actionnaires et les consommateurs au bénéfice pouvant résulter de l'achat de ces objets. n
Derrière ce premier résultat, déjà enviable, la réduction de la dépense quotidienne du ménage ouvrier, les organisateurs de la Société coopérative en appelaient un autre, plus haut, qui demande une grande vertu : la constitution de l'épargne . Ce but, plus élevé, de l'afranchissement de l'ouvrier par la prévoyance et par l'épargne, a été atteint. La Societé cooperative des forgerons de Commentry est devenue classique à ce point que l'on ne manque jamais de la citer, quand on touche à l'histoire de la coopération.
[490] « Le bilans successifs de la Société coopérative attestent son développement progressif sous la présidence de son fondateur (1869 1889), la Mibre adhésion du personnel, les profits pour les actionnaires et les acheteurs, la constitution des épargnes durant cette période de prospérité qui n'embrassae pas moins de vingt-deux années.
« Les 127 actionnaires de la fondation sont devenus, en 1887, plus de 500, et, avec leurs enfants, ils représentaient alors plus de la moitié du personnel des forgés.
Plus des trois quarts des actions (78 e,) appaurtiennent aux ouvriers ; 15 a 17°, sont aux contremaîtres, et seulement 6 à 8e/, aux chefs de service. — Les bénéfices sont ainsi répartis : 5 e/, à la réserve ; 6e, à 'intérêt des actions ; le surplus est partagé : un huitième aux actions comme dividende, et sept huitièmes aux acheteurs, au prorata de leurs acquisitions. Plus de la moitié des bénéfices ainsi rendus aux consommateurs sont restés en dépôt sur des carnets d'épargne, auxquels la Sociéte concède un intéret de 4 1,2% ; épargne considérable, qu'ilent été difficile de commencer par l'effort de chacun, mais qui se forme presque automatiquement par le fonctionnement d'une Société coopérative, et qui exerce alors une attraction naturelle, un encouragement puissant à la prévoyance. La preuve en est fournie avec éclat, car les 369,000f provenaunt des bénéfces ainsi épargnés ont été presque triplés par les dépôts volontaires. Sur les 5 (, versés à la réserve, 90,000f sont revenus aux actionnaires sous forme d'accroissement du caupital, porté de 30,000 à 120,000f. De 1867 a 1886, le ehire total des affaires de la Sociéte s'est élevé à 13,436,727f, et celui des bénéces distribués aux adhérents a été de 1,254,119f, ou de 9,2e..
« Cette somme de 1,254,119f, répandue àtitre de bonis inespérés dans la population ouvrière de Commentry, a assuré la bonne tenue des ménages et la progresslon continue des épargnes. Entre le personnel obéré de 1862 et celui de 1889, il y a tout le contraste que marquent l'acquisition, la possession du bien-être, l'éducation économique de l'ouvrier, enfin la constitution d'un patrimoine, premier degré de l'indépendance pour les familles qui vivent du salaire quotidien.
Cet éloge de la prospérité introduite par la Soeiete cooperative desforgerons de Commentrg a une grande valeur dans la bouche de M. Delaire, alors secrétaire général de notre chère Société d'économle sociale.
Nous le trouvons éloquemment confirmé par le fait de la résolutlon que votait l'assemblée générale extraordinaire de la Société coopérative[491]a la date du 26 février 1888. Le texte est d'autant plus à sa place ici que c'est par application de ses dispositions que notre ouvrier touchait, en 1889, précisément dans l'année qui est celle de notre budget, les diverses allocations portées au § 14.
ART. 4. — ˉonds social. ˉemboursement des actions de capital. Attribution d'actions de ;iouissance. — L'état financier de la Société, comportant un actif net de plu de 200,000 fr., permet, tout en conservant un capital largement suffisant pour assurer le fonetionnement des opérations sociales, de rambourser aux actionnaires l'intégralité de leurs apports, soit 120,000 fr., capital nominal de la Société.
Ce remboursement s'effectuera à la date du 3l mars l888.
Il sera attribue à chaque titulaire des actions de capital ainsi amorties un nombre égal d'actions de jouissance qui conserveront les mêmes droits que les premières sur le fonds social.
Toutefois, ces actions de jouissance n'auront plus droit à l'itérêt à 6 e. qui était destiné à rémunérer leur capital, mais elles continueront à participer, à titre de dividende, à la répartition des bénéfices, selon la quotité déterminée par l'artiele 24 des statuts (1/8e aux actionnaires, 2 fr. par action ; 7/8e aux coopérateurs sur le chiffre total des ventes, le pain excepté).
Par application de ces règles, l'ouvrier a donc touché pour ses vingt actions de jouissance, comme dividende pour l'année 1889, la somme de 40f, plus 8 e. sur ses achats (le pain excepté), recette que l'on peut évaluer à 6f. Ses achats n'atteignaient pas 100f (§ 7).
ˉEpilogue. — Le succès de la Société coopérative ne aisait pas l'affaire des prêteurs à la petite semaine, des vendeurs à crédit, des cabaretiers, etc. Tous ces exploiteurs ne pouvaient se résigner ̀ l'interruption de leurs opérations contre des ouvriers qu'ils avaient si longtemps tenus dans leurs serres. La Chambre des députés (séance du 21 juin 1888) retentit de leurs clameurs ; un député-commerçaunt de Commentry, leur porte-parole, accusa le directeur des forges d' « exploiter ses ouvriers D, cria au complot clérical ». C'est une manœuvre qui réussit à merveille, des ces temps pourtant reculés. Le directeur dut, l'année suivante, résigner ses fonctlons patronales et, par suite, la présidence de la Société coopérative.
Les ventes dans les diférents magasins atteignaient encore, en l'année 1889, 600,000f. Depuis la grève survenue en avri1 1890, elles sont deseendues à 200,000f.
Le fonctionnement, lui aussi, subit des « transformations . Autrefois, le dilrecteur de l'usine étauit le président de la Societé. Désormais, lae Compagnie des forges laisse la Société a elle-même. Les commerçants de la ville, qui avaient une revanche à prendre, lui font une concurrence acharnée ; ils ont relevé la tête, sans doute, mais non la qualité de leurs[492]marchandises. Les Sœurs de Saint-Vincent de Paul, préposées dès 1867 au magasin de nouveautés de la Société coopérative, en furent retirées en 1890. Désormais, la Société coopérative vend ses produits aux prix de la ville. Elle compte présentement 420 à 430 actionnauires, et 250 à 300 adhérents. Après chaque inventaire semestriel, elle distribue ses acheteurs, actionnaires ou non, à titre de ristourne, 5 a 5,50e/, sur la totalité des achats atteignant au minimum 50f par semestre. Au renouvellement de la Société, le 17 juin 1902, elle a été amenée à rembourser à ses actionnaires ses bonis et réserves, soit 20f par action da 50f.
Il serait délicat d'insister ici sur la décroissaunce de cette Société coopérative, institution qui tenait une si grande place dans les sollicitudes patronales de M. A. Gibon, qui fut son fondateur, et qui la présida durant vingt-deux ans. La décroissance d'une institution qui, en fait, fut un bienfait pour le personnel des forges de Commentry, nous parait démontrer la nécessité d'asseoir sur les plus larges bases ces sortes de Sociétés. La faculté en fut-elle laissée au fondateur 2 C'est ce que nous ne saurions préciser. appelons, toutefois, que le directeur des forges avait dû soumettre les statuts de la Société coopérative à l'approbation du Conseil d'administration de la Société anonyme des forges (§ 20).
§ 20. SUR LES INSTITUIIONS AYANT POUR OBIET D'ASSURER LE BIEN-ÈTRE MORAL ET MATÉRIEL DES OUVRIERS
En dehors de ses six écoles communales, réunissant une population scolaire moyenne de mille élèves, Commentry a compté cinq écoles chrétiennes, deux tenues par les Fréres des écoles chrétiennes, une par les Sœurs de Saint-Vincent de Paul, deux par les Surs de la Charité de Bourges, et deux ouvroirs comptant chacun cent ouvrières environ.
L'établissement des Frères fut ouvert le 10 octobre 1850. MM. Mony, gérant des houillères, Virloy, gérant des forges, et Paul Rambourg, maire de Commentry, appelèrent les Frères des écoles chrétiennes pour remplacer l'instituteur communal.
En janvier 1851, une des classes fut choisie pour servir de chapelle, en attendant que l'église du Sacré-Cœur fût construite.
L'école, qui n'avait que deux classes au début, prospéra rapidement. En novembre 1856, elle comptait déjà 530 élèves, répartis en six classes.
[493] Jusqu'u la fin de l'année scolaire 1872, l'école recevait les enfants fils de mineurs et fils de forgerons. Aux vacances de cette même année, M. Gibon, directeur des usines, fit construire, dans la rue Saint-Quirin, une école de quatre classes qu'il confia également aux Frères des écoles chrétiennes. Lorsque la Compagnie des forges, cédant à la pression politique, crut devoir supprimer cette école des garçons, une Société fut créée. La Compagnie consentit à lui concéder l'usage gratuit des locaux, et l'école fut ainsi continuée jusqu'en 1894. A cette époque, les Frères furent remplacés par des instituteurs libres qui la dirigèrent jusqu'au la fermeture (avril 1806). La plupart des élèves durent aller à l'école communale. Depuis l'ouverture de l'école des forges, et jusqu'au mois d'oetobre 1903, l'école de la rue de la Mine, dirigée par les Frères, s'appelait 1 «école de la Mine », et ne pouvait recevoir, en dehors des fils de mineurs, qu'un nombre limité d'élèves. La Compagnie de CommentryPTourchambault supportait exclusivement toutes les charges de l'école. En 1899, l'administration, jugeant que le nombre des élèves fils de mineurs n'était plus en rapport avec les sacrifices qu'elle s'imposait, et voulant ménager à Commentry l'avantage d'une école chrétienne de garçons, consentit à l'admission, dans son école, des enfants étrangers à la mine, mais à la condition que la Compagnie de Chatillon-Commentry et que le Comité formé dans la ville supporteraient une partie des
Depuis le mois d'octobre 1899, l'école fonctionne sous ce régime. Elle compte actuellement 330 élèves, repartis en sept classes. Les quatre dernières donnent l'enseignement élémentaire ; les élèves des trois premières recoivent un enseignement complémentaire qui les prépare directoment soit à l'admission aux écoles d'arts etmétiers de Cluny8ou de Douai9, soit à la profession de comptables, de dessinateurs ou d'ouvriers industriels (ajusteurs, forgerons, etc.). Les succès de l'enseignement de cette école, notamment pour le dessin industriel, ont été plus d'une fois constatés dans de brillants concours.
En 1899, la direction de l'école, estimant qu'il serait avantageux pour les plus grands élèves de recevoir des leçons pratiques d'ajustage et de forge, projeta la création d'un atelier. Les administrations des houillères et des usines, et quelques bienfaiteurs fournirent le matériel nécessaire[494]à cette installation. Cinquante-deunx élèves de treie à seie ans suivent actuellement les cours d'ajustage. Les leçons se donnent les mardis et les vendredi, de midi à quatre heures et demie. Les élèves sont répartis en trois groupes ; chaque groupe travaille, pendant une heure et demie, sous la direction d'un professeur d'ajustage et d'un professeur de forge. En 1902, on a créé un cours d'apprentissage pour lau fabrlcation des chailnes.
La Compagnie des forges avait également doté les enfant de ses ouvriers d'une école de filles, placée sous la direction des Surs de Saint-Vincent de Paul. Cette école, qui reçut jusqu'à 562 élèves réparties en plusieurs classes, avait pour pépiniére un asile qui ne recevait pas moins de 300 enfants, et pour couronnement un ouvroir de couture suivi par 100 jeunes filles. Un dispensaire pour la distrlbution des seeours médlcaux, confié également aux Filles de le Charité, complétait cet harmonieux ensemble de dilspositions patronales que les amis de la religlon et de la liberté ont vu disparaître avec douleur (janvier 1904).
Au moment de leur fermeture, les écoles de filles des forges et des houillères comptauient, à elles deux, sept à huit cents enfants.
Une caisse de secours mutuels, inspirée par un ancien député orlginaire de Commentry, M. A., fut fondée pour les personnes de la ville ne relevant pas des deux Compagnies industrielles.
Un hospice, appelé aussi a Maison Saint-Louis, a été fondé vers 1866 par M. Louls Rambourg ; ses dépenses de construction s'élsvèrent à 30,000f. Depuis 1892, i1 fut augmenté d'un asile de vieillards comportant vigt-huit lits. Il ne recevait, avant cette date, que les blessés des forges et des mines, et le personnel des Sœurs de la Charité de Bourges qui le desservent fut augmenté de deux. Doté par son fondateur qui lui légua, en 1893, une terre d'un revenu de 50,000f, il 1ut agrandi, et iI est e même de recevoir présentement un plus grand nombre d'hospitalisés — eize vieillards en plus, — au total quarante-quatre.
Il ne subslste à Commentry, en failt d'institutions patronales, — ous ne parlons que de la Compagnie des forges de Chatillon, Commentry et Neuves-Maisons, — que le service médical, la pharmacie et les logeents ovriers.
Un médecin, rémunéré par la Compagnie, et demeurant dans les bâtiments de l'administration, à côté de la direction, est à la disposition du personnel de la Compagnie, et prescrit des médicaments délivrés à titre gratuit.
[495] La Compagnie dispose de deux cent vingt logements d'ouvriers, qu'elle céde tantôt gratuitement, tantôt moyennant une redevance de 6f par mois. Ces logements, qui se composent de plusieurs pièces et auxquels est annexé habituellement un petit jardin, sont accordés aux ouvriers qui se recommaundent par leurs capacités et leur bonne conduite. Parfois, pour récompenser les plus méritants, la Compagnie leur alloue des indemnités, quand elle ne peut leur fournir ce logement. Elle accorde aussi, à titre de récompense, des indemnités de chauffage.
La Caisse de secours, alimentée exclusivement par les retenues faites sur les salaires des ouvriers, ne peut être considérée comme institution patronale. D'ailleurs, cette Caisse n'existe plus depuis 1899. Elle a été remplacée par un fonds d'assistance administré par les ouvriers, à l'exclusion de tout élément représentant l'influence patronale, et alimenté par une reotenue de 1/2e, sur les salaires. La Compagnie des forges prenant entièrement à sa charge les médicaments, les honoraires du docteur et toutes les indemnités dues pour accidents contractés pendant le travail, le fonds d'assistance doit servir les indemnités pour chômages résultant de maladies ou d'infirmités ; il doit aussi venir en aide aux invalides.
La population ouvrière de Commentry est, en général, sédentaire. Mais cette sédentarité doit être attribuée à l'attachement de l'autochtone pour son clocher plutôt qu'aux avantages qu'il trouve dans son pays, car l'on peut affirmer que présentement il est fait mieux et plus pour l'ouvrier dans beaucoup d'autres centres industriels.
Le gérant : A. VILLECHÉNOUX.
Notes
1. Cette vente des communaux, si fâcheusement générale, comporte une excep
tion remarquable dans une commune du canton, la commune de Malicorne, posesseur, actuellement encore, de 6l hectares de terrains, qui lui donnent un ravenu annuel de 5,489f 00. Aussi Malicorne penut-il entreprendre sagement la constrnuction d'un clocher, d'une école de filles et d'un pont, en recourant a un emprunt d 33,300f 00, amortissable en trente ans au moyen d'un prélèvement sur les revenus ci-dessus. Deux familles étrangères au pays et fixées à Malicorne, depnis peu de temps seulement, sont réduites à la mendicité.
2. Il y a lieu d'observer que le salaire de notre ouvrier et surtout les primes y afférontes subissent des fuctuations extrêmement sensibles. C'est ainsi que les années 1870 et 187l, qui furent exceptionnellement favorables à l'étameoie, en raion d'importantes commandes d'effats de petit équipement de guerre - gamelles et bidons, — obtenues de la délégation de Tours et de Bordeaux, par les usines de Commentry, procurèrent à l'ouvrier des primes fort élevées. D'autre part on voit parfois le salaire atteindre de très hautus chiffres : tel celui de 1,870f aen 1884.
La fabrication du fer-blanc, subissant le contre-coup immédiat des commandes du commerce, explique les grandes variations de salaire, qui ressortent du tableau reproduit plus loin (§ 18).
3. Il n'a pu être dressé d'autre relevé que celui du § 16, S I, qui donne donc la valeur de vêtements neufs.
4. Saint Thibaud, ermite, né à Provins, se réfugia dans les forêts ; il gagnait sa vie en exercant la profession de manœuvre et en faisant du charbon de bois pour les forges. Commentry est la seule usine de France qui fête saint Thibaud : une mine allemande a ce saint pour patron.
5. Voir aussi dans la Réforme socialeˉ, livraison du le juin l906, sous le titre : ˉLe canton de Coentrg ses aeurs et sages ilieu du dernier siècle, les notes publiées par l'auteur sur les vieilles coutumes et les mœurs du pays, les pratiques religieuses locales, les costumes du pays, quelques traits du langage et les foires d'autrefois.
6. Les chiffres du recensement de 1891 se décomposent ainsi : sexe masculin, de 0 à 17 ans, 2,20 ; de I8 et au-dessus, 3,948 6,I52. — Sexe feminin, de 0 à 1I5 ans, 1,866 ; de 16 et au-dsssus.,5ll 6,377.
7. A. GIBON, La Société coopérative de consommation des forgerons de Commentry ; ˉReforme sociale, 1887.
8. Le numéro 1 d'entrée et de sortie, en 1903, venait de l'école de Commentry.
9. Les numéros de sortie l et, en l903, venaient également de l'école de Commentry.