N° 38.
FERMIERS
A COMMUNAUTÉ TAISIBLE1
DU NIVERNAIS
(SAONE-ET-LOIRE — FRANCE)
(Ovriers-tenanciers dans le système des engagements volontaires pemanents)
D'APRÈS LES
RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN OCTOBRE 1860
PAR
M. VICTOR DE CHEVERRY , AVOCAT.
Sommaire
Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.
I. Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1ᵉʳ. — État du sol, de l'industrie et de la population.
[1] Le domaine de Pervy (commune de Cuzy) qu'exploite la famille, contient, d'après le cadastre, 114 hectares 70 ares ; il se compose de bâtiments d'habitation et d'exploitation, de prés, pacages et terres labourables, d'une petite vigne de 75 ares, et d'un jardin de 15 ares. Le tout est d'un seul tenant ; le fermage annuel est de 2,400 f.
La commune de Cuzy est située aux confins sud du Morvan et[2]appartient aux formations granitiques ; elle est distante d'Issy-l'Evêque, son chef-lieu de canton, de 10 kilomètres, et de Luy (Nièvre) de 5 kilomètres. Toute la contrée est mamelonnée, et c'est dans les plis formés par ces nombreux mamelons que semblent s'être cachées des communautés agricoles qui, par leur constitution, leurs mœurs, leurs idées, représentent d'intéressantes épaves du temps passé (A).
C'est là que finissent les montagnes du Morvan et que le Charolais commence.
La température, quoique peu élevée, comporte la culture de la vigne : mais les gelées de printemps, plus sensibles qu'ailleurs, ne permettent pas de la cultiver en grand. Chaque communauté se restreint à sa propre consommation.
Les productions principales sont les bestiaux et les céréales ; le seigle, surtout celui de qualité supérieure, est exporté en Bourgogne.
La population de la commune est de 389 habitants groupés en 32 ménages distincts, indiqués dans le tableau suivant :
La localité n'offre aucune ressource industrielle ; les forges de iueugnon sont à18 kilomètres et les usinesduCreusot à28 ; le travail des champs est la seule et constante occupation des habitants de la commune ; rien n'y attire les étrangers, et c'est ce qui explique. peut-être, combien les idées nouvelles et même la loi civile actuelle ont exercé peu d'influence sur les mœurs traditionnelles de ces communautés (A).
[3] Une route départementale, établie depuis une vingtaine d'années, passe sur une des limites de la commune et n'effleure qu'un domaine, celui cultivé par métayage qui est désigné ci-dessus sous le n° 11.
Le pays est salubre ; on y compte beaucoup de vieillards ; les maladies les plus fréquentes sont occasionnées par des refroidissements ; on n'y meurt guère que de fluxions de poitrine.
La commune ne possède pas de biens communaux.
§ 2. — État civil de la famille.
Depuis plus de trois siècles, la famille occupe le même domaine (§12) ; elle a été la souche de plusieurs communautés, et c'est en raison de son ancienneté qu'on l'a prise pour type de la présente monographie.
En 1830, une révolution se fit dans son sein : quatre branches, ayant chacune à sa tête un fils du maître défunt, se séparèrent ; la cinquième, sous la maîtrise d'un gendre, resta ; elle n'était alors composée que du maître, de sa femme et de 7 enfants. Le maître mourut en 1847, son fils aîné lui succéda, et mourut luimême en 1856.
A cette époque, le personnel s'élevait à 23 individus, mais ne formait que 4 têtes (§ 12) ou parties copartageantes. Le frère puîné, quoique plus jeune, et peut-être moins intelligent que les beaux-frères, fut élu maître (A). Voici quelle est aujourd'hui la composition de la communauté :
1.LÉONARD C***, maître de communauté............ 42 ans
2.CLAUDINE B***, femme du maître............ 36
3.Jacques C***, 1er fils du maître............ 18
4.Jean-Marie G***, 2e fils du maître............ 9
5.Claude G***, 3e fils du maître............ 4
6.Antoinette R***, maîtresse de communauté, veuve d'Antoine C***, maître précédent, et belle-sœur du maître actuel............ 44
7.Claudine C***, femme d'Emiland R*** et 1re fille de la maîtresse............ 24
8.Françoise C***, 2e fille de la maîtresse............ 20
9.Claude C***, fils de la maîtresse............ 9
10.Emiland R***, époux de Claudine C*** et gendre de la maîtresse................ 30
11.Léonie R***, fille d'Emiland R***............ 8
12.Antoine R***, fils d'Emiland R***............ 2
13.Bernard S***, beau-frère du maître............ 53
14.Louise C***, femme de Bernard S*** et sœur du maître............ 44
15.Jean D***, veuf d'une sœur du maître et époux, en secondes noces, de Marie P***, également veuve............ 47
16.Marie P***, épouse du précédent............ 39
17.Jacques D***, 1er fils de Jean D***............ 20
18.Françoise D***, 1er fille de Jean D***............ 17
[4] 19. Jean D***, 2e fils de Jean D***............ 9
20.Jeanne D***, 2e fille de Jean D***............ 7
21.Françoise B***, veuve, mère de la femme du maître (elle est reposante)(A)............ 65
22.Jean P***, fils du premier lit de Marie P***............ 20
En ajoutant deux domestiques mâles et une servante, on a tout le personnel de la communauté, qui s'élève à 25 individus.
Les domestiques exceptés, les membres sont tous parents entre eux ; l'association ne forme que 4 têtes, y compris la tête dormeuse (§ 13).
Le maître et la maîtresse ne sont pas mari et femme (A).
§ 3. — Religion et habitudes morales.
La communauté professe la religion catholique romaine ; la ferveur religieuse est aussi grande chez les hommes que chez les femmes. Chaque dimanche la moitié de la communauté assiste à la messe et l'autre moitié à vêpres ; le dimanche suivant, la moitié qui était à vêpres le dimanche précédent assiste à la messe et l'autre à vêpres, et ainsi de suite pour toute l'année ; dans les cas evceptionnels, le maître désigne. Les communions sont fréquentes ; la communauté n'exige de chaque parsonnier que quatre communions par année, mais ils peuvent remplir leurs devoirs religieux aussi souvent qu'ils le veulent.
Les mœurs sont d'une pureté remarquable ; il n'existe pas d'exemple qu'une fille ou une femme ait manqué à ses devoirs ; la susceptibilité, à cet égard, est même très-grande. Il y a quelques années, deux jeunes filles de la communauté devaient se marier ; l'une d'elles n'avait pas l'âge légal, et le maître, par économie, voulait que le double mariage fût célébré le même jour, afin de n'avoir à faire que les frais d'une seule noce. Comme le prétendu de la plus âgée était un excellent sujet, qu'on tenait à lui, et que, de son côté, ilredoutait des compétiteurs, on transigea. Il fut convenu qu'on le marierait sans bruit, dcvant le aire seudement, et qu'aussitôt après la cérémonie il quitterait la localité pour ne reparaitre que lorsque la plus jeune fille aurait quinze ans révolus. Trois mois après il revint et la bénédiction nuptiale fut donnée le même jour aux deux couples. Pour les membres de cette communauté, le véritable mariage se contracte devant le prêtre.
L'été, la prière se fait isolément, à l'intérieur de la maison, dans les cours, dans le jardin, dans les champs, là où chacun se[5]trouve lorsque la journée est finie. Mais l'hiver, elle se fait en commun : c'est le maître qui larécite ; àson défaut, c'est un ancien. Voici d'ailleurs comment se passe la veillée d'hiver.
Les membres de la communauté ne sont jamais oisifs : les uns sont occupés à tiller le chanvre, les autres à casser des noix pour faire de l'huile ; d'autres à fabriquer des paniers et des corbeilles; d'autres encore, les femmes, à préparer les pailles servant à confectionner les chapeaux de la famille. Plusieurs maisons ont la cheminée placée au milieu de la chambre principale, le chauffoir, de telle sorte que trente-deux personnes se chauffent aisément devant un énorme feu, alimenté par des genêts dont la lamme s'éleve à la hauteur du plafond. Les enfants et les vieillards sont assis en avant, les enfants sur de petits bancs et les vieillards dans de grands fauteuils en bois mal raboté, semblables à des chaises curules ; on dirait les dieux propices de ce foyer rustique. Soit par déférence des autres membres de la famille, soit que l'âge les rende plus causeurs, les anciens ont le monopole de la parole ; ils racontent les légendes. les grandes actions et les grands crimes qu'ils savent par tradition ; ils disent, avec fierté, depuis combien de siècles ils appartienent a telle famille, et exposent en détail, comme modèle à suivre, l'histoire de leurs ancêtres, toujours intimement liée à celle des divers propriétaires de leur tènement. Cela dure jusqu'à neuf heures. A ce moment, le plus silencieux de tous se lève et dit : « Enfants, la prière!... » C'est le maître qui a parlé... Gens de la tribu et mendiants-vagabonds se mettent à genoux par terre, les coudes appuyés sur les bancs et la tête dans les mains ; le maître, recueilli, récite lentement les oraisons ; puis, la jeunesse se retire. Toutes les filles vont coucher d'un côté, dans une même chambre ; tous les garçons d'un autre côté, dans la pièce qui leur est destinée ; les gens mariés et les enfants en bas âge restent dans le chauffoir. Chaque pièce contient cinq à six lits, disposés en cercle de telle sorte que, enfermés dans d'épais rideaux de serge jaune, la tête de l'un touche les pieds de l'autre.
Le matin, la prière se fait isolément, en raison des heures diff́rentes du lever.
Nous avons, tout à l'heure, signalé la présence de mendiantsvagabonds dans la communauté ; c'est le cas de dire comment ils sont traités et aussi comment sont traités les pauvres résidant dans la commune.
Les mendiants-vagabonds ont leur place au foyer et à la table commune ; ils restent le temps qu'ils veulent ; la communauté pour eux est l'hospitium du moyen âge, c'est-à-dire le lieu où le voyageur reçoit l'hospitalité. La treizième tourte d'une fournée de[6]pain est dite ourte des pauvres ; c'est la dîme de Dieu. Non pas qu'on les réduise à cette quantité, on leur donne davantage ; mais c'est que la pensée du pauvre doit planer sur tous les bienfaits que Dieu envoie à la communauté. Les mendiants-vagabonds sont traités comme les membres de la famille, à une seule différence près : ils ne couchent pas dans la maison, mais dans l'étable à bœufs, où un compartiment leur est réservé. Ils sont très-nombreux, surtout depuis que la mendicité a été interdite dans la Nièvre ; aujourd'hui les mendiants de ce département refluent sur les territoires voisins. Cuzy (aône-et-Loire), qui est limitrophe, en est inondé, si bien que la communauté dont nous nous occupons qui, en temps ordinaire, faisait une cuisson de pain tous les doue jours, en fait une maintenant tous les huit à neu jours ; soit par esprit de charité, soit par crainte de vengeance, la communauté ne refuse jamais.
Nous avons vu (§ 1ᵉʳ) qu'il n'y avait à Cuy que trois indigents infirmes. Deux sont abondamment pourvus : les communautés de la commune se concertent, et leur portent à domicile tout ce qui leur est nécessaire. Quant au troisième, qui est une vieille fille aveugle, méchante, couverte d'ulcères et d'infirmités, résultat d'une vie de désordre à Châlons-sur-Saône, elle refuse ces secours et préfère se fixer, pour le temps qui lui plaît, dans une communauté ; là, elle commande, elle exige, se fait bien servir jusqu'à ce que. fatiguée de ce séjour, elle demande qu'on la conduise ailleurs ; alors, tant elle est répugnante, un enfant saisit un bâton par une extrémité, l'aveugle s'empare de l'autre, et l'enfant la conduit au domaine qu'elle a désigné. Lorsqu'elle a fait le tour de la commune, elle revient au point de départ, et il en sera ainsi jusqu'à sa mort
On a proposé à la maîtresse de Pervy de faire entrer cette fille Aà l'hospice de Mâcon et d'en débarrasser la commune : Non, a-t-elle répondu, si elle venaità mourir loin d'ici, nous en serions peut-être la cause ; et puis, le bon Dieu qui nous l'envoie veut montrer à nos enifants jusqu'où peut mener la mauvaise conduite, et nous-mêmes, si nous ne la voyions plus, nous oublierions vite qu'il y a sur cette terre des gens bien fligés. »
Ces communautés ne refusent jamais un charroi de bœufs à qui le demande, et, entre elles, elles se prêtent un mutuel appui. Ainsi, par exemple, les propriétaires sont dans l'usage de faire insérer dans les baux une clause ainsi conçue : Le preneur (maître de communauté) fera tous les charrois écessaires auc réarations des bâtiments et ée les construtions et raconstructdons que de bailleur agera convenables, et ce sans rétribution.
Assurément, une clause de ce genre dans certains cas et à cer[7]taines époques de l'année serait fort onéreuse pour le preneur; mais le maître de communauté s'en soucie peu; il fait avertir les communautés voisines, et, à jour dit, 80 à 100 beufs et plus, s'il le faut, sont avec voitures et bouviers à sa disposition. ne telle force a vite amené les matériaux nécessaires ; cela ne coute au maître que la nourriture des bouviers.
Tels sont les exemples que les enfants ont sous les yeux, tel est le milieu presque exclusif dans lequel ils s'élèvent, et là, assurément, est une des causes de la vitalité de ces communautés.
§ 4. — Hygiène et service de santé.
La famille se nourrit relativement bien, mais il n'en est pas de même de toutes les communautés, surtout de celles qui commencent à s'organiser et qui sont nécessairement gênées.
Les hommes sont de taille moyenne (1 65 environ), trapus et robustes ; leur développement corporel est lent : souvent la conscription arrive avant qu'ils aient atteint la taille voulue (B).
Les indispositions et les maladies proviennent presque toutes de la suppression rapide de la transpiration ; la fièvre et la fluxion de poitrine sont à peu près les seules maladies qu'ils connaissent. Ils portent en toute saison un large chapeau de paille fabriqué par les femmes, qui leur sert tout à la fois d'ombrelle et de parapluie ; seulement, quand il pleut, ils mettent dessous un bonnet de coton bleu. Ils conservent presque toute l'année leurs vêtements de laine de fabrication domestique. Dans les grandes chaleurs, ils portent des habits de fil fabriqués à la maison, et par-dessus la vesteils ont toujours la blouse bleue.
Les femmes, de taille ordinaire, sont aussi très-robustes ; mais elles sont sujettes à un genre de maladie qui est le résultat de leur imprudence. Elles sont généralement très-fécondes et à peine sont-elles accouchées qu'elles se lèvent pour vaquer à leurs travaux.
Elles sont simplement et proprement vêtues ; leurs vêtements sont, suivant les saisons, de laine ou de toile. Elles proscrivent, comme objets de luxe, les rubans à leurs bonnets. Pendant l'hiver, elles portent un manteau de drap de couleur sombre.
C'est la maîtresse de communauté qui soigne les malades ; elle emploie toujours comme sudorifiques le sureau et le tilleul, et, pour les rhumes, des infusions de fleurs de guimauve. Pour l'usage externe, elle emploie des cataplasmes de mie de pain détrempée dans du lait de chevreˉ.
[8] Rarement on appelle le médecin ; les communautés ont plus de confiance dans les petits soins de la famille, dans une neuvaine, dans un pèlerinage, que dans la science médicale, et, si quelqu'un les presse de demander l'homme de l'art, elles font cette réponse fataliste : (Quand la ort g est, clle y es. Toutefois, lorsque la maladie est sans espoir, on fait, pour l'acquit de sa conscience, venir le médecin ; aussi, quand on dit que l'on est allé au edecin, cela signifie que le malade est perdu.
Les enfants sortent, quelque temps qu'il fasse, pieds et tête nus, ce qui ne les empêche pas de se bien porter.
§ 5. — Rang de la famille.
L'ancienneté de la famille (§ 12), sa fortune, sa probité et sa moralité irréprochables, tant dans les générations passées que dans la génération actuelle, attirent sur la communauté, non pas seulement dans la localité, mais même dans les pays voisins, un grand crédit et une grande considération. Les membres le savent et ils en sont fiers. On a toujours vu le maître lfaire partie du conseil municipal de la commune, et un parsonnier du conseil de fabrique. La communauté n'a jamais plaidé ; aucun des membres n'a jamais su lire ni écrire, et pourtant, avant 1830, le maître était aire de la commune ; le curé faisait les écritures, et le maire apposait quelques signes hiéroglyphiques que l'on appelait sa signature et qu'on lui avait mécaniquement appris pour l'exercice de ses foncions (§ 12).
II. Moyens d'existence de la famille
§ 6. — Propriétés.
[9](Mobilier et vêtements non compris.)
Immeubles. — La famille, en tant que communauté, n'a pas de propriétés immobilières ; seulement, elle est fermière d'un domaine valant 80,000f et dont la valeur peut se décomposer ainsi :
Mais la famille possède des valeurs mobilières qui forment trois catégories de biens :
1° Les capitaux occultes, accumulés et grossis par leurs intérêts légaux et les épargnes annuelles ; ils sont placés au nom du maître seul.
2° Les biens de communauté, possédés ut uirersi, qui sont apparents et qui constituent le matériel d'exploitation.
3° Les biens propres, non -seulement aux parsonniers, mais encore à chacun des membres de l'association, et qui sont possédés ut singuli c'est le pécule (C).
Nous ne nous occuperons, quant à présent, que des deux premières catégories de biens qui appartiennent à la communauté.
Argent............ 10,000f 00
Les fonds anciens ou capitaux latents ayant été partagés en 1856 (§ 12) et étant devenus pécule (C), la communauté s'est trouvée réduite à son matériel d'exploitation et à son fonds de roulement.
Mais, depuis cinq ans, de nouvelles économies ont été réalisées ; à combien s'élèvent-elles c'est ce qu'il est impossible de préciser d'une manière certaine ; le maître seul le sait, c'est un secret qui ne se révèle jamais (C et D).
Toutefois, en admettant une épargne, même sans intérêts composés, de 2,000f par année, — et elle est plus élevée, — le capital latent serait aujourd'hui de la somme fixée ci-dessus (10,000f).
[10] FONDS DE ROULEMENT............ 600f 00
ANIMAUX DOMESTIQUES ENTRETENUS TOUTE L'ANNÉE............ 10,921f 25
1° Bêtes à cornes. — 18 beufs de trait, à 600f la paire, 5,400f; — 8 vaches garnies et non garnies, à 10f chaque, 1,200f; — 6 chatrons, à 150, 900f; — 2 génisses, a 120f, 240f; — 6 veaux sevrés, à 100f, 600f. — Total, 8,340 f.
2° Bêtes à laine. — 140 moutons, brebis, agneaux, en moyenne à 6f00, 840f00.
3° Animaux divers. — 60 porcs de tout age, à 15f00 l'un, 900f00 ; — 2 chèvres, à 2f00, 50f00 : 2 auesses (pour conduire les femmes aux marchés), 140f00; — 2 chiens de garde, à 25f00 chaque, 50f00. — Total, 1,140f00.
4° Basse-cour. — Poules, poulets, chapons, 70 pièces, 105f00; — canes et canards, 12 pièces, 18f 00; — oies, 15 pièees, 56f25 ; —4 porcs à l'engrais (1 pour saler), 350f 00. — Total, 529f95.
5° Hucher. — 6 ruches en paille, à 12f00, 72f 00.
Tous ces animaux sont entretenus toute l'année, car, lorsqu'il y a vente ou consommation, ils sont naturellement remplacés par les reproductions.
MATÉRIEL SPÉCIAL des travaux et industries............ 1,397f 75
1° Exploitation des champs, des prairies et de la oiqne. — 3 charrues, dont une en fer, 75f 00; — 3 chars, 20f00 ; — 2 tombereaux, 90f00; — 2 charrettes, 80f00 ; — 9 jougs, 36f 00 ; — 9 lanières en cuir pour attacher les bufs sous le joug, avec leurs cordes, 21f 50 ; — 2 herses, dont une à dents de fer, 30,f 00 ; — 2 brouettes, 10f00 ; — 5 tridents en fer, 6f 00; — 8 pioches, 1sf00 ; — 6 pelles, 9f 00; — 20 rateaux, 10f 00;— 6 serpes voues, ouards) pour tailler les haies, 13f 50 ; — 15 fourches, 5f00; — 7 faux pour foin et regain, avec la pierre à aiguiser, le marteau et la petite enclume, 49f00 ; — 15 faucilles pour moissonner, 60f00 ; — 6 vans en osier, avec peau de mouton, pour vanner les grains, 24f 00; — 5 cognées, 30f 00; — fléaux pour attre, 192f 00; — un grand crible, 20f 00 ; — 10 sacs de grosse toile, 15f0n; — 20 paniers d'osier pour ramasser les pommes de terre, 12 tonneaux et 6 feuillettes, 84f 00 (la cuve appartient au propriétaire) ; — 4 serpes de vigneron, 6f 00 ; — 6 hottes de vendange, 15f 00;— 1 blutoir, 4 petits tamis, 12f 00. — Total, 971If 00.
2° Exploitation des bêtes à cornes et des ânes et des ânesses. — 40 attaches en fer et en corde pour le gros bétail, 60f 00 ; — 4 échelles de différentes grandeurs. 15f 00; — 4 pots en fer battu pour traire les vaches, 4f 00; — 8 pots de grès pour laitage, 8f 00 ; — 15 égouttoirs pour fromages, 2f 25 ; — 1 séchoir à fromages, 2f 50 ; — 1 haratte à beurre, 3f 00; — 2 voitures d'ânesses avec les harnais, 80f 00. — Total 174f 73.
3° Exploitation du jardin potaaer. — 4 beches, 2f 00; — 2 pelles, 3 rateaux en fer, boites à graines, cordeaux, 7f 00; — 2 arrosoirs, 4f 00. — Total, 13f00.
4° Exploitation de la basse-cour. —2 grandes auges en pierre pour les porcs, 30f00; — 2 marmites n° 60, à 0f25 le numéro, pour la cuisson des pommes de terre destinées aux cochons, 30f 00; — juchoirs et nids pour le service du poulailler, 5f00. — Total, 6sf 00.
5° Exploitation des abeilles. — 3 ruches de rechange, 2f 00 ; — tamis pour le miel 2f 00 ; — vases et ustensiles pour la conservation des produits, 1f 00. — Total, 5f 00.
6° Fabrication des étoffes de l et de laine. — Quenouilles, fuseaux, bobines,gande roue, 6f 00; — métier à tisser, 50f 00. — Total, 56f 00.
7° Fabrication diverses. — Un membre de la famille est tonnelier, charron, menuisier et tisserand; il a, en conséquence, tous les outils nécessaires à ces divers états (§ 8 ) ]. — Un établi, 20f00; — 4 scies, 16f 00; — 4 varlopes et rabots, 12f 06; — [11] 3 haches, 8 ciseaux, 2 outils à planer, 6 tarières, 1 vilebrequin et 4 mêches, 25f 00; — 1 grande scie dite passe-nartout, 10f 00 ; — 1 grande pince à tonneau, des maillets, 3 esseaux et autres ustensiles, 30f 00. — Total, 11f 00.
Valeur totale des propriétés............ 22,919f 00
§ 7. — Subventions.
La famille ne jouit d'aucune subvention. Fermière d'un domaine aggloméré qui n'est pas traversé par des chemins publics, les produits des 114 hectares 70 ares lui appartiennent, même l'herbe des chemins de service, les fougères et les genêts qui poussent spontanément. Elle trouve, sur la propriété, le bois de chauffage nécessaire à sa consommation ; ce bois provient des haies sèches remplacées, des haies vives trop fournies, de l'élagage des vieux pieds d'arbres conservés comme ̂trds et de l'extirpation des genêts, qui abondent dans les champs non cultivés pendant trois ou quatre ans. Ces objets sont à elle par représentation partielle du prix de ferme.
§ 8. — Travaux et industries.
Au frontispice de ce paragraphe, on doit inscrire ceci :
Tout argent entré dans la communauté n'en doit plus sortir.
Conséquemment, l'association fabrique, autant que possible, tout ce qui lui est nécessaire. A cet effet, elle a un de ses membres qui est spécial pour divers états ; il est tout à la fois vigneron, tonnelier, charron, menuisier, perruquier, boucher, tisserand, dentiste, voire même chirurgien ; avec son rasoir, il fait l'ablation des tumeurs et perce les abcès ; il est assisté d'un jeune garçon, à qui il enseigune la pratique de ces divers états, de telle sorte que. au besoin, l'apprenti puisse remplacer le maître. C'est lui aussi qui greffe les arbres, chauffe le four au degré voulu, enfourne et retire le pain, et, en cas d'empêchement des femmes, c'est lui qui le fabrique. Lorsqu'il n'est pas retenu à la maison, il travaille dans les champs avec les autres hommes.
Et, si la communauté n'a pas d'ouvrier assez habile, elle s'abonne et paye en denrées : ainsi, le taillandier, le sabotier, l'a/fpfranchisseur, et même le marguillier reçoivent, par année, qu'ils aient peu ou beaucoup de besogne, un nombre fixe de doubles décalitres de blé, mais jamais d'argent.
De cette façon, les prévisions des budgets, surtout de celui des[12]fonds latents (C), ne sont, quant aux dépenses, jamais dépassées. On connait exactement ces dépenses au commencement de l'année ; il ne s'agit plus, pour les parsonniers, que de les couvrir par leur travail, et tout le surplus est bénéfice.
TRAVAUX SPÉCIAUX AUX HOMMES. — Les hommes s'occupent spécialement du labourage des champs et de l'blavaison, du fauchage des foins, de l'irrigation des prés, de la culture de la vigne, de la construction des clôtures, du battage des grains, de la conduite des fumiers et de la nourriture du gros bétail. Le maître de communauté, soumis aux mêmes travaux que les autres membres de l'association, doit s'occuper, en outre, des achats et des ventes : il va aux foires et aux marchés, il fait les affaires de l'extérieur. maintient la discipline dans l'intérieur, ordonne les travaux ; c'est Sur Sa tête que reposent toutes les valeurs de la communauté, et c'est lui qui, par honneur, conduit les bœufs.
TRAVAUX SPÉCIAUX AUX FEMMES. — Les femmes s'occupent spécialement du jardin potager, des troupeaux de moutons, de brebis et de porcs, aussi bien pour la nourriture que pour la garde dans les champs ; elles écartent, à la main, le fumier dans les labourages. Les lessives, la fabrication des étofles et des vêtements, la fabrication du pain sont, sous la direction de la maîtresse de communauté, leurs occupations principales. La maîtresse, indépendamment de cette direction générale, a dans ses attributions le soin des malades, la préparation des repas, la laiterie, la bassecour, le ménage et tous les approvisionnements de l'intérieur ; mais, comme elle ne peut suflire à des travaux aussi multiples, elle se fait assister d'une femme qu'elle désigne et qu'elle prend ordinairement à tour de rôle parmi les femmes de la communauté. C'est elle qui a soin de tous les en/fts de la communauté, car les mères sont occupées au dehors. Aussi a-t-on pour elle autant d'affection que de respect. Une bonne maîtresse est un des grands éléments de prospérité ; elle tient tout à la fois de la sœur de charité et de la mère de famille. Les enfants n'appartiennent point à telle ou telle mère, ils appartiennent à la communauté et la maîtresse est la mère de tous (C).
TRAVAUX COMMUNS AUX HOMMES ET AUX FEMMES. — Les femmes, armées de faucilles, moissonnent les blés aussi vite et aussi bien que les hommes ; avec eux, elles fanent les foins, tillent le chanvre, vendangent, récoltent les fruits, ramassent les pommes de terre.
[13]Travaux des enfants. — ant que les enfants n'ont pas fait leur première communion (de 12 à 14 ans), on ne leur demande qu'un travail très-modéré et volontaire ; ce sera, par exemple, d'aller, le matin, ramasser sous les arbres les fruis tombés pendant la nuit, d'apporter une brassée d'herbe fauchée la veille, de conduire les veaux dans un pré ou de les ramener à la maison. Leur occupation est d'apprendre le catéchisme, ce qui leur est d'autant plus difficile qu'on ne leur a pas enseigné à lire. La communauté n'alloue rien pour l'instruction primaire, mais elle n'empêche pas qu'un parsonnier, sur son péude, envoie son fils à lécole.
Les enfants vont au catéchisme pendant deux ans, et, précisément parce qu'ils ont eu beaucoup de peine à l'apprendre, ils l'inculquent si bien dans leur mémoire qu'ils pourraient, de longues années après, en réciter des pages entières. Oublier son catéchisme et manquer à ses devoirs est le dernier échelon de la dégradation et attire sur le coupable l'épithète de ugucuot.
INDUSTRIES ENTREPRISES PAR LA FAMILLE. — Tous les travau, sans exception, sont entrepris au compte particulier de l'association.
A partir du mois d'octobre jusqu'à Noel, les hommes se lèvent à 2 heures du matin pour les battages, qui s'opèrent au fléau ; à 7 heures, le battage cesse et le travail ordinaire commence.
De Noel à la fauchaison (mois de juin), ils se lèvent à 4 heures 1/2; du mois de juin au mois d'octobre, ils se lèvent à 3 heures 1/2.
Les femmes ne se lèvent, en tout temps, qu'entre 5 et 6 heures.
Tant est grand l'esprit d'ordre et d'économie, que personne ne rentre à la maison sans apporter quelque chose Un brin de bois sec trouvé le long d'une haie, une poignée de foin accrochée aux branches d'un arbre, un fruit tombé, un flocon de laine retenu dans un buisson, même les cendres du feu que fait la bergère dans les champs pendant les jours froids, tout est rapporté par cet essaim d'abeilles à la ruche commune.
III. Mode d'existence de la famille
§ 9. — Aliments et repas.
[14] La nourriture est bonne et substantielle ; le pain seul laisse à désirer : il est de seigle pur, et même, pendant la moisson, en raison du plus grand nombre d'ouvriers, la farine n'est pas tamisée ( B).
La famille fait ordinairement trois repas ; à l'époque des urres (la moisson), elle en fait quatre.
Déjeuner, à 7 heures : soupe composée de pain, de légumes, de sel, au lard ou au lait ; après, un morceau de pain avec des pommes de terres cuites à l'eau, sans assaisonnement, ou bien des fruits, ou encore du fromage.
ˉDiner, à midi : c'est le principal repas ; il est composé de 2 plats : pommes de terre et choux-raves, au lard ou au lait : ou bien haricots et crêpes (tourtiu) à la larine de froment; ou bien encore légumes au gras et salade, tantôt à l'huile de noix, tantôt au lard ; pour dessert, du fromage sec de chèvre (le laitage des chèvres est réservé aux petits enfants et l'excédant est converti en fromages, qui sont fort recherchés): pour boisson, du cidre, et. tous les dimanches, du vin.
Souper, à 7 heures : composé comme le deiuner.
Pendant la moisson, on fait un repas supplémentaire, le goûtcr, qui a lieu à heures ; mais alors, toutes les heures de repas sont changées : deieunr à 6 heures du matin ; dîner à 11 heures ; goûter à 4 heures, et souper à 9 heures.
A cette époque, bien que le pain ne soit pas tamisé, la nourriture est plus fortifiante ; on tue des veaux et des moutons et on boit du vin, mais à deux repas seulement.
Les jours de cuisson de pain et lorsqu'il est retiré, la maîtresse profite de la chaleur du four pour faire cuire des tartes de toutes sortes, aux pommes de terre, aux pruneaux, aux cerises, aux poireaux, etc., et, à dîner, chaque convive a sa tarte.
Ils ne boivent jamais de liqueurs fortes, qu'ils considèrent comme nuisibles à la santé.
Autrefois, l'usage était que le maître et la maîtresse de conauté, bien que n'étant pas mari et femme, mangeassent ensemble sur une table distincte ; depuis une quinzaine d'années, cet usage[15]est tombé en désuétude, et, aujourd'hui, ils mangent à la table commune. Tous les hommes prennent leurs repas ensemble, et, quand ils sont partis, les femmes leur succèdent.
§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.
La maison et les bâtiments d'exploitation peuvent être considérés comme le type des constructions agricoles du x siècle. L'habitation est exposée au midi, construite sur caves et couverte, partie en tuiles, partie en bordeaux (pièces de bois). La chambre principale, ou chauffoir, est au centre ; à droite et à gauche, sont deux autres chambres ; plus loin, sous la même toiture, se trouvent une chambre de domestique, le fournil, et, en appentis, l'atelier de charronnage et de menuiserie. Le chauffoir n'est pas carrelé ; le sol est en terre glaise corroyée : cette pièce ne rȩoit la lumière que par deux petites fenêtres carrées de 0 66 et 035 de côté, l'une au midi, l'autre au nord ; elle est très-spacieuse ; il n'y ferait pas clair en plein midi, si l'on ne laissait la porte ouverte.
Au-dessous, formant d'un côté rez-de-chaussée, en raison de la déclivité du sol, se trouvent trois caves ; dans l'une on emmagasine le vin, dans l'autre, les légumes pour l'hiver ; la troisième contient le métier de tisserand.
Au delà des cours et faisant face à la maison, s'étend le long bâtiment d'exploitation ; du seuil du chauffoir, on surveille les cours, la grange et les écuries ; le bâtiment est couvert en chaume. La toiture descend très-bas et dépasse tellement le nu du mur qu'elle sert à abriter des harnais, et qu'en temps de pluie plusieurs personnes de front peuvent faire le tour des bâtiments sans se mouiller.
Derrière les écuries sont les dépôts de fumier ; le grand bàtiment en cache la vue à la maison et la préserve des émanations.
Des cinq pièces qui composent l'habitation, c'est le chaufoir qui donne aux communauités une physionomie particulière ; c'est là qu'on fait la cuisine, qu'on mange, qu'on reçoit, que se concluent les marchés, que se passe la veillée, que l'on prie ; c'est, en un mot, la salle de communauté, mais c'est aussi la chambre du maître, c'est là qu'il couche avec les anciens et les petits enfants. Nous avons dit que la pièce était spacieuse, elle contient : 1° 4 lits enfermés dans d'épais rideaux de serge jaune, la tête d'un lit touchant les pieds de l'autre ; 2° 4 armoires rangées sur une seule file ; la communauté a les siennes, les branchées ont les leurs, où elles placent ce qu'elles possèdent à titre individuel ; 3° la grande table[16]de communauté, avec bancs des deux côtés, où trente personnes peuvent s'asseoir. Cette table est creuse et à compartiments ; en tirant des coulisses à chaque extrémité, on trouve dans l'intérieur des aliments, du dessert, des restes du repas précédent ; 4° une armoire à vaisselle, une horloge, un pétrin, une grande auge en pierre pour broyer avec un pilon les pommes de terre cuites. Au plancher, qui est bas et enfumé, sont suspendus : la huche à pain (porte-pain), les fleurs de tilleul et de sureau, les graines de jardinage, des bouquets de fruits, et, dans la vaste cheminée, des jambons, du lard et de longues brochettes de pièces de salé.
Tout cela est agencé avec tant d'ordre et de symétrie, que vingt-cinq à trente personnes circulent sans encombrement.
Les autres pièces ne contiennent que des lits et des armoires placés comme nous l'avons dit plus haut.
Maintenant, quelle est la valeur du mobilier de la communauté ?
Ici, il y a nécessité de faire deux catégories ; car la communauté ne possède qu'en petite quantité des meubles et du linge, la plus grande partie appartient, à titre individuel, aux divers membres de l'association.
La première catégorie comprendra donc le mobilier de la communauté.
La deuxième catégorie comprendra le mobilier possédé u singuli. On y joindra les vêtements qui sont toujours possédés à titre individuel.
Mobilier de la communauté.
Meubles............. 771f 75
1° Lits. — 3 lits de domestiques et 1 lit à donner, comprenant chacun 1 bois de lit, cn chène ou cerisier, 1 paillasse, 1 couette (lit de plume). 2 couvertures en laine, rideaux de serge jaune, 1 couvre-pied et 1 traversin rempli de plumes de poules. — Total pour un lit, 100f00; pour les quatre lits, 400f 00.
2° Mobilier des chambres à coucher. — 2 armoires en cerisier,120f 00; 1 coffre, 5f 00; 12 chaises, 18f00. — Total, 143f 00.
3° Mobilier du chauffoir. — Grande table de communauté, en chène. avec bancs, 60f 00 ; — vaisselier, 40f 00 ; — 1 horloge, 50f 00; — 1 pétrin, 30f 00 ; — 1 grande auge pour pétrir les pommes de terre, 2f 00; — 2 vieux fauteuils de bois, 8 00; — 5 peties chaises d'entants et 4 grandes, 7f 00 ; — la huche à pain, 3f 00 ; — 1 coffre à sel, 4f 00 ; — 1 lape, 0f 75 ; — 2 chandeliers, 1f 00. — Total, 22sf 75.
Ustensiles............ 246f 75
1° Dépendant du fouer du chauffoir. —1 forte crémaillère en fer, 10f 00; — 2 gros chenets de fer forgé, dont l'un a 1 mètre de haut ; il forme cuvette dans sa partie supérieure et est destiné à tenir chaud un vase quelconque, 25f00 ; — 1 pelle, 1 pincette et 1 grande pince de fer, 10f 00; — 1 jusqu'à t de cuir et bois, 3f 00. — Total, 48f 00.
[17] 2° Dépendant du fournil. —1 pétrin, 20f 00; — 4 pelles, 1 chaudière à braise, 5f 00. — 12 corbeilles en paille, 6f 00. — Total, 3If 00.
3° Employés pour la cuisson et la consommation des aliments. — 5 marmites defonte avec couvercles, dont 2 du numéro 60, et 3 du numéro 25, à 0f 25 le numére,. 48f 75; — 3 tourtières, 2 marmites à queue, 4 poélons, 30f 00; — 2 grils en fer, 1 poêle a frire, 5f 00 ; — 4 timhales, 4f 00;— 30 écuelles en terre de poterie, 8 plats, 4 douzaines d'assiettes en faïence et 2 douzaines en porcelaine, 1Sf 00 ; — 1 petit fût pour l'huile et 2 cruches (toules), 6f00 ; — 3 seaux, 1 bassin en cuivre, 7f 00 ; — 30 verres, 160 bouteilles, 9f 00;—2 égrugeoirs en bois et grès, uu saloir, 3f00. — Total, 1I30f75.
4° Servant àl'eiclairage. — 2 lampes à huile et 1 lanterne, 5f00; — 2 chanleliers,. 1 burette a huile, 2f 00. — Total, 7f 00.
5° Servant au blanchissage du lingeˉ. — 2 cuviers, 1 gran l et 1 petit, pour lessive, 1 baquet de sapin, 7 bancs, dont 3 rayès pour le gros linge, 7 battoirs a linge, 2 grosses toiles (charrie) pour recevoir les cendres, 1 trépied en bois poar placer le cuvier à lessive, 6 fers à repasser, 30f 00.
LINGE DE MENAGE............ 227f 00
12 paires de draps pour lits de domestiques, 120f 00; — 12 serviettes. 6 nappes. en toile, 72f 00; — 20 torchons et 12 tabliers de cuisine en grosse toile, 35f 00.— Total, 227f 00.
Valeur totale du mobilier de la communauté............ 1,245f 50
Mobilier et vêtements possedés à titre individuel.
Il serait superflu de donner l'énumération du mobilier et des vêtements appartenant à tous les membres de l'association; il suffira de l'énumération, avec état estimatif, du mobilier et des vêtements d'un hoe mrié, d'une fe et d'un enfant. Cela connu, il sera facile d'obtenir la valeur totale du mobilier et des vêtements pour l'ensemble de l'association. Prenons le maître pour exemple ; sa position ne diffère en rien de celle des autres.
Meubles............. 160f 00
1 lit, comprenant le bois fait de cerisier, 1 paillasse, 1 couette (matelas rempli deplume de poule), 1 traversin à étui de toile, rempli de plume, 2 couvertures en. laine, 1 couvre-pied d'étoffe à couleurs vives, des rideaux de serge, 100f 00; — 1 armoire de noyer. 60f00. — Total, 160f00.
LINGE D'UN MENAGE............ 58f 00
4 paires de draps en toile de fil, 6 serviettes (ils ne s'en servent que pour les convives ou pour porter des cadeaux), 58f 00.
VÊTEMENTS D'UN HOMME............ 138f 00
1° Vêtements du dimanche. —1 veste de laine, teinte en bleu, de fabrication domestique, 1 pantalon et 1 gilet de même étoffe, 45f 00; — 1 chemise de toile, 3f 00; — 1 cravate de coton, 0f 60 ; — 1 chapeau de feutre noir à larges bords, 8f 00; — 1 paire de bas de coton ou fil, 1f 50; — 1 paire de souliers, 10f 00; — 1 mouchoir de poche, 1f 00; — 1 blouse bleue, 3f 00. — Total, 72f 10.
2° Vêtements de travail. — Les vêtements du dimanche, après de longues annéesde service, passent aux jurs de travail ; mis, indépendanment de ces objets, il faut[18]ajouter 1 hahillement complet : veste. pauntlon et gilet, 1f 00 ; —1 bonnet bleu, 1 chapeau de paille, 1 paire de sabots, 1 paire de chaussons de laine, 3f 00. — Total, 18f00.
3° 20 vêtements de rechange. — 9 chemises, 27f 00 ; —4 paires de bas, 6f 00 ; — 5 mouchoirs de poche, 5f 00; — 2 cravates, 1f20; —1 brosse à habits, 1 brosse à chaussures, 1 rasoir, 4f50; — 6 paires de sabots ferres, à 0f70 la paire, 4f20. — Total, 47f 90.
VÊTEMENTS D'UNE FEMME............ 261f 15
1° Vêtements du dimanche. — 2 robes de laine, 40f00; — 2 jupons de laine rayés. 19f00 ;— 1 tablier de soie noire, 6f00 ; — 1 mouchoir de cou de laine, 6f 00; — 1 coie mousseline brodée. sans rubans, 3f00 ; — 1 paire de bas blancs de coton, 1f20 ;— eise de oile, f 00 ; — 1 mouchoir de poche blanc de il, 1f00 ; — 1 paire de souers, 6f00 ; — 1 manteau de drap, donné en cadeau de noces, 60f00. —Total, 138f20.
2° Vêtements de travail. — Les vêtements du dimanche défraichis passent aux yours de ravai,et i fut aiouter : rbes didliee. f e: iys vean de srohes, 3f 00; —- paire de bas de ltaine, 1f 20; — 1 alier d'indienne, 2f 00 ; — cnirde cou en laine, 2f 0 : — 1 paire de sabots non ferrés, 0f 50 ;— 1 coife en eine unie, sans rubans. 2f 00 ; — grand chaneau de palle (fabrication domestique), 1f 5; — 1drap en srvosse tile (carrjé, pl ea deu. 'o met surle ds e gse de manteau, les jours de pluie ou de froid, 3f 00; — 1 paire de chaussons, 0f 75. — Total, 30 95.
3° Vêtements de rechange. — 10 coiffes de mousseline, 20f00; — 10 chemises de toile ine, 30f 00; — 6 mouchoirs de cou, 12f 00 ; — 12 paires de sabots non ferrés, 6f00; — 6 mouchoirs de poche, 6f 00; — 4 paires de chaussons de laine, 3f 00; — 1 petite glace, 1f 00; — 1 petite croix d'or, qu'o porte suspendue au cou par une ganse de oie, 7f 00; — 1 bague d'alliance en or, 7f 00. — Total, 92 00.
Meubles et vêtements d'un enfant............ 79f 00
1° Lit. — 1 lit sert pour 2 garçons ou pour 2 fillcs ; il comprend, comme celui des grandes personnes, 1 bois de lit, 1 paillasse, 1 couette eu plume, 1 traversin, couertures de laine, 1 couvre-pied et des rideux de serge ; valeur totaule, 100f 00, dont moitié pour un enfant, 50f,00.
2° Vêtements de travail. — Pour fille ou grcon, ces vêtements se composent des vieux vêtements des père et mère, ajustés à leur taille ; leur valeur n'excède pas 12f 00.
Vêtements d'un garçon pour le dimancheˉ. — 1 veste de laine, teinte en bleu, 1 pantalon, 1 gilet de même étoffe de fabrication domestique, 10f 00 ; — 1 casquette de drap, 4 g.1peuite cravute dte laine tcinte en rouge, 1f 0e; — 1 paire de as. 1f 00; 1 paire de saubots, 0f 40 (les enfants ne portent des souliers que lorsqu'ils sont asse grands pour aller aux foires et marchés):-1 chemise, 1f 50;-par provision. paires de sabots, a 0f a0, 1f60. — Total, 17f 00.
Vêtements d'une fille pour le dimanche. — 1 robe de laine, 1 jupon rayé de laine, 10f00; — 1 petit talier de coton, 0f50 ; — 1 mouchoir de cou, 1f 00 ; — 1 coife de mousseline, 1f 00; — 1 paire de bas de laine, 1f00; — t paire de sabts, 0f40; eise, 1f 50 ; -— ppar provision, 4 paires de sabots, à 0f 40 la paire. 1fs0. — Total, 7f 00.
Calcul pour tous les individus de la comumuté.
D'après ce qui précède, on voit que le mobilier et les vetements d'un homme marié ont une valeur de 356f, dont 218f de mobilier et 138f de vêtements.
Les vêtements d'une femme valent 261f15 et ceu d'un enfant 29f.
[19] Il est donc facile de connaître, pour l'ensemble de l'association, la valeur totale du mobilier et des vêtements possédés à titre individuel. Il y a à Pervy ( § 2) :
1° 4 hommes mariés, dont le mobilier et les vêtements valent 4 fois 356f 00 ou............ 1,424f 00
2° 6 femmes (4 mariées, 2 veuves), dont les vêtements valent 6 fois 261f 15 ou............ 1,566 90
3° 7 enfants (filles ou garçons), dont les vêtements valent 7 fois 29f 00 ou............ 203 00
4° 3 garçons âgés de plus de 16 ans, dont les vêtements valent ceux d'un homme marié ou 3 fois 138f 00............ 414 00
5° 2 filles âgées de plus de 16 ans, dont les vêtements valent ceux d'une femme mariée (déduction faite de la croix d'or, de la bague d'alliance et du manteau, 74f 00), ou 2 fois 187f 15............ 374 30
A quoi il faut ajouter : 3 lits pour 2 veuves et 4 filles, couchant deux à deux, et 4 lits pour 8 garçons, couchant également deux à deux, a 100f 00 par lit............ 700 00
Total............ 4,682 20
Valeur totale du mobilier de la communauté............ 1,245f 50
Valeur totale du mobilier et des vêtements possédés à titre indiviuel............ 4,682 20
Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 5,927f 70
§ 11. — Récréations.
Les dimanches et fêtes, entre les offices, les hommes jouent aux quilles ou à la pièce piquée. L'enjeu est une bouteille de vin que le perdant devra payer au premier jour de foire ou de marché où les partners se trouveront ensemble.
Pendant ce temps, les femmes rendent visite à leurs parents des communautés voisines.
Aux fêtes de l'Ascension, de Pâques, de la Pentecôte et de Noel, la communauté donne un grand repas à tous ses membres.
Mais, c'est surtout pour lafête patronale, pour la polée (achèvement des moissons) et pour les vendanges que la communauté se met en frais ; elle traite non-seulement ses membres, mais encore ses parents et ses amis. Le curé est toujours convié. On n'y consomme que des productions du domaine. Il y a une telle profusion de mets et de pâtisseries que, huit jours après, il y a encore des restes. Le mets dont ils sont particulièrement friands est un rôti de veau, soudré de sucre. A ces réunions, on ne danse jamais.
lndépendamment de ces distractions, qui sont invariables, il y a les foires, les marchés, les noces des parents et les fêtes patro[20]nales des communes voisines ; le maître désigne les hommes et la maîtresse les femmes qui doivent s'y rendre. Jamais plus de quatre personnes ne s'éloignent à la fois de la communauté.
Le tabac à fumer est prohibé, mais le tabac à priser est toléré. Les récits des veillées d'hiver (§ 3) sont une récréaion trèsappréciée : ils ont pour thème habituel l'histoire des ancêtres. les légendes, les campagnes militaires et les merveilles d'un Paris fantastique.
IV. Histoire de la famille
§ 12. — Phases principales de l'existence.
Il y a, d'après la tradition et les registres ecclésiastiques, environ trois cet qurante s que, de génération en génération, la communauté de Pervy occupe le même domaine.
Elle a cssaie bien des fois ; on trouve dans les communes voisines plusieurs communautés, déjà anciennes, qui en sont sorties et qui, elles-memes, ont produit d'autres essaims.
Aucun de ses membres n'a appris à lire et à écrire, si ce n'est le fils aîné.du maître actuel, jeune garçon de 17 ans, que le père, sur son pécule, a envoyé trois ans chez l'instituteur du village ; car la communauté n'alloue rien pour l'instruction primaire (§ 5).
Tous les bau, avec les propriétaires successis du domaine, sont sous signatures privées, écrits par le propriétaire ; le maître de communauté y figure comme scul preneur et y appose une croi: c'est sa signature.
La communauté a rendu, à diverses époques, des services signalés à ses propriétaires, notamment en 1789. On conserve encore à Pervy, sous un plancher, la cachette, en forme de croix grecque ou, pendant longtemps, elle donna refuge au curé de la paroisse, qui put ainsi échapper aux poursuites dont il était l'objet.
En 1830, il y eut un partage volontaire des valeurs de l'association, s'élevant à environ cinquante ille francs. Le partage s'opéra en cinq portions (§ 2). Sur les cinq branches, deux allèrent, en communauté, se fixer à Forsse, commune d'Issy-l'Evêque. Elles ont réussi, sont devenues riches et leur personnel s'élève à plus de 40 individus.
[21] Deux autres, cédant à un aveugle besoin d'indépendance, achetèrent du bien, le cultivèrent séparément, firent des dettes et devinrent malheureuses : hommes, femmes, enfants, moururent dans la misère sans laisser de postérité [Les Our. uropˉ. ( B).
La cinquième branche, ayant à sa tête un gendre du maître défunt, demeura à Pervy. Elle n'était composée que du maître, de sa femme et de sept enfants ; mais, par des mariages, la famille augmenta. Les affaires fuctifièrent et elles étaient en grande prospérité lorsque le maître mourut en 1847. Son fils aîné fut élu à sa place ; initié par le père au affaires de la communauté et aux secrets de la situation pécuniaire, il administra sagement et fructueusement jusqu'à sa mort (1856). Vers cette époque, sentant sa fin prochaine, il réunit tous ses parsonniers et leur révéla ce qu'ils ignoraient... le chiffire de leur fortune.
La communauté se composait alors de 25 individus, ne formant que 4 têtes ou parties copartageantes.
Le frère puîné du maîure défunt fut élu maître.
Soit par l'initiative du maître nouveau, soit sur la demande des intéressés, il fut décidé qu'on partagerait le capital ancien oufods ˉltent. dont l'existence et le quntu avaient été révélés par le maître défunt.
Aucun acte ne constata ce partage, nul étraner ne fut admis au secret des arrangements de famille, mais voici ce que tout le monde put remarquer :
C'est donc un capital de près de 80,000f qui a été gagné de 1830 à 1856, c'est-à-dire pendant vingt-six ans, le matériel d'exploitation restant intact (§ 10).
Devenus propriétaires d'immeubles, les quatre copartageants ne se quittèrent pas ; ils affermèrent, chacun de son ĉté et à son gré, les biens acquis à titre privé, soit par bailà ferme, soit par bail à métairie, à des communautés naissantes ou à de petits proppriétaires et restèrent à Pervy.
[22] Leurs revenus annuels, soigneusement placés, appartiennent aux pécules respectifs et sont étrangers à la communauté, qui est, elle, la source la plus féconde de fortune.
§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.
Les dispositions du Code civil, et notamment le titre N, sur le contrat de société, ne reçoivent aucune application dans la communauté. Ainsi, la mort naturelle, la mort civile, la volonté d'un ou de plusieurs ne dissolvent pas l'association ; un ou plusieurs membres peuvent disparaître, le corps subsiste toujours. Si un parsonnier désire quitter, il est libre ; la communauté lui paye ses droits dans les deux catégories de biens sociaux (C) et tout est dit ; s'il meurt laissant des enfants, rien n'est changé, mais il y a une ̂e doruse ; s'il meurt sans enfants, il ne rnsmet vin d persoune, la communauté a une ête de moins. Elle conserve le tout par droit de non-décroissement, ure non decrcscendi (D).
A Pervy, bien que le personnel soit de 25 individus, dont 3 domestiques gagés, le fonds social n'appartient en réalité qu'à 4 têtes, dont une doreuse et trois rives de iles, car les femmes ne font jamais ête ; et tête (put) signifie prt.
C'es ici le cas d'expliquer ce que l'on entend par ête vive et ête dormuse.
La têe vive est la part d'un parsonnier effectif, vivant dans la communauté. Ce parsonnier est-il malade ses intérêts n'en souffrent pas, on travaille pour lui ; de plus, la communauté paye le médecin et les médicaments. Meurt-il elle paye les obsèques, deux services et un nombre limité de messes ; mais, si les plus proches parents veulent commander plus de prières, ils payent sur leur pécule.
La tête dorcuse est la part d'un parsonnier effectif décédé, laissant des enfants dans la communauté.
La tête dort tant que les enfants restent dans la communauté ; par fiction, le défunt n'est pas mort, il est seulement endormi, et sa part dans les bénéfices est égale à celle des communs qui vivent et qui travaillent (A).
Mais la tête meurt du moment que les enfants quittent la communauté, c'est-à-dire que la part devient improductive et, si les enfants quittent à des époques différentes, la tête est endormie pour les uns et morte pour les autres.
D'après ce qui précède, on voit combien la communauté tienà[23]éviter les partages, et combien aussi elle est tutélaire et protectrice à l'égard des orphelins. La même organisation se retrouve dans les mariages.
Lorsqu'une fille est devenue furiuse, c'est-à-dire nubile, on la marie ; si les deux conjoints font partie de la même communauté, ils y restent, et leurs droits sont fixés comme nous le verrons plus loin (C) ; si l'époux est étranger et fait partie d'une autre communauté, la fille quitte et la communauté la dote en argent ; elle n'a plus rien à espérer, — et c'est là une stipulation sur succession future contraire à l'article 791 du Code MNapoléon, — dans l'hoirie de ses père et mère restés parsonniers, si ce n'est un simple droit dans les grains récoltés l'année de leur décès. Si l'épouse est étrangère, pour ameublir dans la communauté où elle vient, elle doit verser une somme variable de 60 à 200f, qui lui est rendue si elle quitte.
Les noces se font sans laste, elles ne durent qu'unjour. Le soir, la jeune mariée est accompagnée par son père ou sa mère, ou le maître de la communauté, jusqu'à moitié chemin de sa future demeure ; là, on se quitte, et la nouvelle Pénélope n'a pas besoin de se couvrir de son voile pour montrer que son cœur lui dit de suivre son époux. Des deux côtés on connaît le devoir, mais elle sait de plus que, pendant quinze jours, elle ne doit plus revoir les parents qu'elle abandonne, — c'est le temps voulu pour greffer l'affection nouvelle ; — elle sait, en outre, que la communauté lui est à jamais fermée comme /femme ariée, et qu'elle ne peut se rouvrir pour elle que devant la veuve et ses orphelins (A).
Quinze jours après, un dimanche, des délégués de la communauté délaissée vont visiter la jeune mariée; on festoie, on célèbre le beau dimnche ; de ce jour commence, entre les deux communautés, un traité d'alliance moins éphémère qu'une alliance politique.
Autant qu'elles peuvent, ces communautés font des mariages entre elles (B), et, ce qu'elles désirent le plus, des mariages par echange, c'est-à-dire que, par une double union, elles donnent une fille, on leur rend un garçon, et réciproquement ; il y a substitution de personnes et de droits.
Ainsi, éviter les partages, assurer le bien-être de la famille, donner la sécurité dans les positions acquises et dans toutes les circonstances de la vie, depuis l'orphelin jusqu'au vieillard (A). telles sont les mœurs et les institutions traditionnelles de ces communautés.
Notes
FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION. SOCIALE : PARTICULARITÉS REMARQUABLES: APPRÉCIATIONS GÉNÉRALES CONCLUSIONS.
(A) HISTORIQUE DES COMMUNAUTÉS TAISIBLES.
[38] M. Dupin aîné, a publié, il y a quelques années, un livre intitulé le Morvan, dans lequel on lit une lettre adressée, par lui, à M. Étienne, de l'Académie française, sur la communauté des Jault, dernier vestige, dit M. Dupin, des anciennes communautés nivernaises, introduites par la coutume et maintenues par les mœurs de la province jusqu'à l'époque actuelle.
En tant que cultivant son propre fonds, la communauté des Jault peut bien être le dernier vestige, mais en tant que communauté régie par la coutume, avec une constitution sui generis, et ayant des mœurs dissemblables aux murs agricoles contemporaines, l'association des Jault n'est pas la dernière.
Il en existe un grand nombre sur les confins sud du Morvan ; le canton de Luzy (Nièvre) en possède une vingtaine ; elles sont beaucoup plus nombreuses dans les cantons d'lssy-l'Éêque, Mesvres, Goulon-sur-rroux et autres limitrophes (Saône-et-Loire) ; la seule petite commune de Cuzy, canton d'Issy-l'Evêque, dont 14 domaines composent le territoire, en compte ciq fonctionnant régulièrement, sans autre vinculum juris que la charte traditionnelle de la coutume.
Il est important de connaître l'origine et la constitution ancienne des communautés taisibles pour apprécier sainement l'étendue de leur fidélité à la coutume, la cause et la puissance de leur vitalité, et aussi pour en retirer des enseignements profitables à l'́poque actuelle.
Leur origine se trouve dans les Bordelages, particulièrement usités dans le Nivernais. La coutume de la contrée, quoique de franc-alleu, admettait néanmoins des mainmortes, et, lorsqu'un seigneur concédait des terres à des laboureurs, quelques améliorations qu'ils y fissent, elles retournaient au seigneur, en cas de mort du concessionnaire, s'il ne laissait pas d'hoirs vivant en com[39]unauté, et cela aux termes de l'art. 7, chapitre VIII, des servitudes personnelles, qui disposent que : « Les hommes et les femmes serfs, taillables à volonté, abosmés, questables ou corvéables, sont mainmortables, et, au moyen du droit de mainmorte, s'ils décèdent sans hoirs communs, leur succession compète à leur seigneur. »
De cet état de choses il résultait que le seigneur, désireux de s'attacher des serfs, acceptait, de grand cœur, la condition des hoirs vivant en commun, et que ceux-ci avaient intérêt à vivre en communauté bordelière pour se préserver de la réversibilité au seigneur.
Ces communautés, nommées aussi taisibles, parce qu'elles n'avaient pas besoin d'être contractées par écrit, s'établissaient par le seul fait de la cohabitation en commun, pendant un an et un jour, des membres d'une même famille, vivant au même pot, sel et chanteau de pain.
Guy Coquille, dans les 52e et 58e questions sur les coutumes, les décrit ainsi :
« Bordedage est dit de borde qui, en ancien langage français, signifie un domaine ou tènement ès champs, que les Latins disent fdus ; et le mot borde, originairement en diction tudesque et germaine, signifie une terre ou domaine chargé de revenu de fruicts. Ainsi, d'ancienneté, bordelage se disait quand aucun seigneur avait un domaine ès champs, et le baillait à un laboureur pour luy et les siens, à la charge d'en payer tous les ans une certaine prestation de redevance qui, à cette raison, a été appelée bordelage, aussi, nous voyons que dans la coustume, au chapitre des bordelages, art. 3, il est dit que cette redevance consiste en trois choses : deniers, grain et plume, c'est-a-dire, poule ou oie, ou des trois les deux ; qui montre que cette redevance se paye à cause du mesnagement, qui se fait ès champs, à labourer et à semer terres et à nourriture de volailles.
« Selon l'ancien establissement du mesnage des champs dans ce pais de Nivernais, lequel mesnage des champs est le vray siège et origine des bordelages, plusieurs personnes doivent être assemblées en une famille, pour deméner ce mesnage, qui est fort laborieux et consiste en plusieurs fonctions en ce pais, qui de soy est de culture malaisée ; les uns servent pour labourer et pour tou«cher les bœufs, animaux tardifs, et communément faut que les charrues soient tirées de six bœufs ; les autres, pour mener les vaches, les iuments en champ ; les autres, pour mener les brebis et les moutons ; les autres, pour conduire les porcs. Ces familles, ainsi composées de plusieurs personnes, qui toutes sont employées chacune selon son aage, sexe et moyens, sont régies par un seul [40] qui se nomme maistre de communauté, esleu (élu) à cette charge par les autres, lequel commande à tous les autres, va aux affaires qui se présentent ès villes, ou ès foyres (foires) et ailleurs, a pouvoir d'obliger ses personnes en choses mobilières, qui con«cernent le fait de la communauté, et lui seul est nommé ès roolles des tailles et autres subsides. — Par ces arguments se peut connoistre que ces communautez sont vrayes familles et colleges qui, par considération de l'intellect, sont ceme un corps composé de plusieurs membres ; combien que les membres soient séparez l'un de l'autre, mais par fraternité, amitié et liaison economique, sont un seul corps. »
Et plus loin, sur l'art. 18 des bordelages, Guy Coquille ajoute : « Il m'a toujours semblé que mal à propos on applique les règles du droit romain (titre pro socio) aux communautez des villages de ce pais. — Car les sociétez dont est parlé au droit romain sont de négociation en laquelle la foy, l'industrie et les moyens de chacun sont considérez essentiellement, pourquoi lesdites sociétez Sont très-personnelles ; mais les communautez dont parle cet «article sont vrayes familles qui font corps et université, et s'entretiennent par subrogation de personnes qui naissent en icelles, ou y sont appelées d'ailleurs, et, comme le dit ès troupeaux de brebis, moutons, juments, bœufs et vaches, qu'ils l'entretiennent par de nouveau croist, ou par bestes qu'on y adioute d'ailleurs, et se disent estre toujours les mêmes troupeau, ainsi, en ces familles et communautez, les enfants quiy naissent pour l'espérance de l'advenir et ceux qui sont en aage de vigueur, pour ce qu'ils «s'emploient aux affaires de la famille présentement, et les vieux pour la souvenance et récompense du passé, tous sont censez estre utiles, voire nécessaires pour la manutention de ces communautez et pour estre membres des corps d'icelles, et pour succéder en hérédité les uns aux autres, comme communs, tant qu'ils «demeurent dans une même famille, qui de soy-même s'entretient et conserve jusques à ce qu'il y ait partage par effet ou dissolution expresse ; j'entends partage par efet, quand ils tiennent chacun mesnage à part, et ont leur pain et leur sel à part par an et jour. »
Et en ce qui touche la dévolution des successions, l'auteur que nous citons conclut ainsi :
« Si donc le détenteur bordelier décède sans enfants, ayant son frère qui soit séparé, et demeure en autre communauté, et ayant son cousin germain qui soit son commun, ledit cousin sera héritier du bordelage, pour ce qu'il est le plus prochain habile à «succéder en bordelage. »
L'origine, le but, la constitution et sommairement l'administra[41]tion de ces communautés, dans les temps passés, sont maintenant connus : que sont-elles aujourd'hui
Elles ont peu varié ; leur existence si vivace, leurs mœurs si patriarcales, qui font un contraste étrange avec la vie agricole qui les entoure, sont dignes de fier l'attention du jurisconsulte, autant que celle du moraliste, de l'économiste et même de l'homme politique.
Le personnel de toute communauté est variable suivant l'importance du domaine exploité ; dans un domaine de 100 à 140 hectares, le personnel est de vingt à trente individus des deux sexes et de tout âge.
A chaque vacance du aitre et de la aitresse, le remplacement se fait à l'lecuion.
La maîtrise ne confère aucun avantage pécuniaire.
Le maître et la maîtresse ne peuvent jamais être mari et femme, c'est la règle ; cette prohibition ne résulte pas du droit coutumier, mais d'un usage traditionel ; toutefois, lorsqu'une communauté est devenue trop nombreuse et qu'elle cssie, un père et une mère ayant des enfants forts se détachent de la communauté principale et ils deviennent, dans ce cas, itvc et ircsse de droit du nouvel essaim qu'ils conduisent dans un autre cndroit, où ils forment souche à leur tour.
Une fois l'élection faite, le nouvel élu demande l'investiture au propriétaire du domaine (jadis seigneur bordelier) qui a son rat ; s'il le prononce, l'élection recommence ; s'il ratifie, ce qui a lieu toujours, il donne l'accolade, c'est l'acceptation.
A moins d'incapacité notoire ou de minorité, les sufiirages appellent à la maîtrise, par ordre de primogéniture, les fils du maître décédé, et même, tant est grand le respect pour l'aînesse, la minorité n'est pas toujours un obstacle à la maîtrise Ainsi, il y a quelques années, un jeune garçon de 18 ans fut, dans la commune de Millay (canton de Luzy), élu chef de la communauté ; il la gouverna et la gouverne encore avec tant d'intelligence que les affaires, mauvaises lors de son entrée en fonctions, sont aujourd'hui dans un état prospère. — La maîtrise ainsi dévolue a la double consécration de la primogéniture et de l'élection ; la primogéniture ne donne pas un droit absolu, elle n'est qu'une désignation traditionnelle et spéciale qui peut être ou ne pas être ratifiée par l'élection.
Le maître élu commande à tous, lui seul est connu à l'extérieur, c'est avec lui qu'on traite, et il oblige ses communs ; dans les cas graves, il demande leur avis ; il est entouré d'un grand respect. nul ne le contredit et, pourtant, ils sont tous égaux, tous soumis aux mêmes travaux, au même costume, au même régime et ont[42]même bénéfice. — Un étranger vient-il à la communauté traiter d'une affaire nul ne parle que le maître, et, lors même qu'il ferait une opération onéreuse, aucune observation ne lui serait adressée... il est le maître... Une soumission pareille semble d'autant plus étrange — de nos jours — que le maître, pour faire respecter son autorité, n'a, comme sanction, aucune pénalité à imposer.
Cette classe de paysans est infiniment stable, laborieuse, morale et humble, quoique généralement aisée ; on peut considérer, dans un domaine, comme imuble par desination, la famille réunie en communauté taisible.
La vie de cette classe est intimement liée à la constitution du sol et aux conditions primordiales de la vie matérielle ; défiante à l'endroit des idées nouvelles, elle a conservé fidèlement les traditions nationales, religieuses et de famille ; la communauté a sa racine dans le droit coutumier, elle a traversé trois révolutions qui ont profondément modifié l'état social ; par ces commotions ont été emportées presque partout les communautés agricoles, mais, dans ce coin de la France, elles n'ont presque pas été efleurées ; à quoi tient une telle longévité
A notre avis, elle tient à trois causes.
La première, à leur situation topographique ; placées au milieu des montagnes, loin des routes et des centres industriels, elles ont été fort peu en contact avec les idées nouvelles.
La seconde, à l'excellence de l'association pour les travaux agricoles.
La troisième, à la sagesse et à la moralité de certains usages coutumiers parfaitement appropriés a la vie des champs.
En effet, tant au point de vue matériel qu'au point de vue moral, la communauté offre, par le travail, à ses membres, dans les divers âges et les diverses circonstances de la vie, toutes les garanties de bonheur et de sécurité désirables ici-bas, ainsi :
L'homme valide y trouve, en tout temps, un travail approprié à ses forces ; s'il est malade, on lui prodigue des soins affectueux et désintéressés, et, de plus, on travaille pour lui : sa part dans les bénéfices prospère avec celle des autres travailleurs (§ 13). E s'il meurt, il meurt sans inquiétude sur l'avenir de sa femme et de ses enfants ; sa veuve a le choix, ou de rentrer dans la communauté qu'elle a quittée, c'est-à-dire, chez ses propres parents — ce qui ne lui serait pas permis comme femme mariée (§ 13 ) — ou de rester dans la communauté dont son mari était parsonnier ; et là, elle est partagée et respectée ; elle y forme, en travaillant, son pécule personnel ( C) ; et, lorsque l'âge et les infirmités la rendent impropre[43]au travail, elle devient rposante ; elle est nourrie, soignée gratuitement, mais elle n'a plus droit au pécule.
Les orphelins, eux, sont les enfants de la communauté, leur père n'est pas mort, il est, par une bienveillante fiction, simplement endormi (§ 13), ils continuent la t̂e de leur père ; leur carrière est toute tracée, ils s'initient au travail, ils ont sous les yeux — parlant à leur esprit, plus vivement que par parole — des exemples pratiques d'ordre, d'économie, d'honnêteté, de bienfaisance et d'amour de Dieu.
Le vieillard y rencontre le repos qu'il a gagné, et les vieilles années sont entourées de déférence et de respect (§ 3). — De cette façon, en temps prospère, la communauté est une source de bonheur et, dans l'adversité, elle devient un asile.
Toutes ces communautés sont très-jalouses de transmettre intacte à la génération qui vient la réputation de probité qu'elles ont reçue de leurs ancêtres ; les membres s'en tiennent tous solidaires, et leur oi individuel s'efface devant le moi collectif de la communauté.
Lorsqu'on considère l'eistence si calme, si bien abritée, si heureuse, et pourtant si laborieuse, de ces utiles associations, on regrette qu'elles ne soient pas plus nombreuses. Cependant des hommes éminents pensent que le régime de communauté comprime l'essor des supériorités naturelles et gêne le libre développement des aptitudes personnelles ; que, de la, découle une iniquité en ce que les fruits du travail et de l'intelligence sont inégalement répartis.
Théoriquement, cela est vrai, mais, dans la pratique des communautés agricoles, il n'en est pas ainsi :
D'abord, un Newton ne naît pas tous les jours dans une ferme ; y naîtrait-il, que son génie saurait bien sortir de l'enveloppe de la communauté.
Et puis, la communauté n'a rien de coercitif à l'égard de ses membres ; chacun est libre de rester ou de quitter ; les jeunes gens qui quittent forment deux catégories : les uns apprennent un état, font leur tour de France, et, après mille déceptions, découragés, finissent par revenir au chef-lieu de canton voisin, où ils ouvrent boutique ou magasin.
Les autres se livrent au commerce des comestibles (rocatier) pour l'approvisionnement du Creusot ; lorsqu'ils ont amassé une somme suffisante, ils se font bliers, mais le commerce des blés est soumis à une grande fluctuation, et souvent, après deux ans de travail, le blatier est ruiné.
Alors, il sollicite l'ouverture d'un cabaret au chef-lieu de canton.
[44] C'est là que se retrouvent, après des vicissitudes diverses, mais aigris et envieux, le fruit sec de l'industrie et le fuit sec du commerce.
Tous deux, comme deux braconniers, tiennent en joue les communautés d'où ils sont sortis ; aussitôt qu'un membre, dont ils sont .présomptifs héritiers, vient à mourir, ie coup part, et la balle atteint au cœur la communauté ; car la demande en liquidation et partage est le signal de la dispersion (D).
Conséquemment, le régime de la communauté ne comprime pas les membres ; au contraire, la liberté qu'elle leur laisse amène fréquemment sa ruine.
Mais elles ont un autre défaut que ne peut leur pardonner l'esprit progressif de notre époque ; leur fidélité aux traditins anciennes les rend routnieres, et même rétives aux nouvelles méthodes de culture ; satisfaites des bénéfices qu'elles réalisent, elles ne veulent rien exposer aux risques de l'expérimentation; elles fuient les comices agricoles ; comme leurs meurs et leurs idées, leurmode de culture est resté stationnaire.
Néanmoins, si l'absentéisme n'était pas, dans cette contrée, aussi considérable, le propriétaire, qui a toujours une fort grande inluence sur leur esprit, pourrait les amener insensiblement à entrer dans la voie du progrès.
(B) SUR LE DÉVELOPPEMENT CORPOREL DE LA POPULATION.
Lorsque, il y a quelques années, le gouvernement appelait sous les drapeaux 140,000 hommes, les cantons dont nous avons parlé ne pouvaient compléter leur contingent, en raison des nombreuses réformes par défaut de taille ou par faiblesse de constitution.
Des médecins militaires ont prétendu qu'il fallait en chercher la cause dans la mauvaise alimentation ; l'un d'eux disait : Quad on vut donner de la aille a un cheral, on lui fit anger de l'avoinc qund on vut doner de la taille à un hoe, on ui fait mager du /froent et boire du vin (§ 9).
D'autres ont pensé que les mariages entre parents en étaient la seule cause (§ 13).
D'autres, enfin, l'ont attribuée aux mariages trop précoces ;[45]selon eu, une fille à peine nubile et un jeune homme de 21 à 22 ans, réformé, ne peuvent donner de bons produits.
En désaccord sur la cause, les médecins s'entendaient parfaitement sur un point, à savoir : c'est que leurs conscrits réformés ne frait ais des hoes.
En présence d'opinions différentes, émanées d'hommes compétents, il ne nous appartient pas de décider quelle est la véritable cause ; seulement, nous constaterons un fait qui met en défaut leur prophétie.
C'est que les conscrits réformés par défaut de taille la dépassaient dans l'année, et que les réformés par faiblesse de constitution devenaient, en peu de temps, des hommes vigoureux et forts ; en outre, l'ensemble de la population est de stature moyenne : généralement les hommes sont trapus, nerveu et robustes, il y a beaucoup de vieillards; de là, on doit inférer, ce semble, que les rélormes ne viennent pas de vices natifs de conformation ou d'organisation, mais ne sont dues uniquement qu'à de tardfs développements.
(C) SUR L'EMPLOI DES BIENS DE LA COMMUNAUT.
Afin de nous conformer au cadre prescrit pour la rédaction des monographies, nous avons du — sans rien changer aux chiffres définitifs de recettes et de dépenses — modifier la forme des budgets de la communauté ; mais nous pouvons la rétablir ici :
Il y a trois sortes de budgets, tous trois très-rudimentaires :
1° Budget des fods latents.
2° Budget de la comunuté.
3° Budget des pécules.
1° Budget des fonds latents.
Ce budget-là est spécialement confié à la sollicitude du maître seul, il ne doit jamais être en déficit. — Il se forme, en recettes : 1e de l'épargne, capital ancien ; 2e des intérêts de ce capital ; 3e des ventes de gros bétail; 4e d'un prélèvement sur les récoltes en blé, variable suivant l'abondance de l'année ; il peut êre évalué, en moyenne, au tiers de la récolte.
[46] En dépenses, il ne peut être grevé que du prix de ferme dû au propriétaire et des gages des domestiques.
Le reliquat, qui est toujours un bénéfice, devient un capital sacré qui va rejoindre les fonds anciens, placés au nom du maître et à son gré ; c'est ce que, de nos jours, nous appelons : fonds de réseruve; il y a plus de trois siècles que les communautés agricoles pratiquent, par intuition, ce système qui a donné, non-seulement de beaux dividendes, mais encore de grands avantages de moralité à leurs sociétaires.
Une fois le prélèvement opéré au profit des fonds latents, fasse la communauté ce qu'elle pourra ; avec le surplus de ses ressources (voir ci-après 2e budget), elle doit subvenir à ses besoins, et, si elle n'a pas asse, elle se privera, elle se fera pauvre ; ainsi :
Toute l'année la farine ne sera pas tamisée.
Au lieu de boire le vin récolté on vendra le tout.
Au lieu de tuer quatre porcs on n'en tuera que deux ; on vendra toute la volaille et on mangera davantage de pommes de terre, etc.
Ce mode d'opérer est primiti, sans doute, mais il faut avouer qu'il a l'incontestable mérite de forcer à l'économie et de tenir le maître et la maîtresse en constante observation sur les dépenses journalières ; et ils s'y tiennent si bien que non-seulement le personnel est bien nourri, mais encore qu'il reçoit des pécudes.
2° Budget dit de la communauté.
En recettes, il se forme des 2/3, environ, de la récolte en blé que veut bien lui laisser le budget des fonds latents ; et, en outre, pommes de terre, laitage, basse-cour, fruits, vin, toile, laine, en un not, tous les produits que ne prennent pas les fonds latents, lui appartiennent, en valeur de 6,500f environ.
Mais, en revanche, il doit faire face à toutes les charges de la communauté — les fermages dus au propriétaire et les gages de domestiques exceptés. — Semence, nourriture et habillement du personnel, achats divers, ouvriers, bienfaisance, distribution aux pécules, etc., forment son passif. En retranchant de 6,500f la dépense de nourriture 3,350f 91 e (D. 1ᵉ Sᵉ), soit 134 f 04 par personne, reste la somme de 3,149 f 09 pour les autres dépenses ; ce budget est tellement bien combiné et surveillé par le maître et[47]la maîtresse de communauté que ses excédants sont toujours en recettes. C'est là le boni des pécules, variable dans son quantun annuel.
3ᵉ Budget dit des pécules.
Admettons que la communauté ait économisé, en fin d'année, des produits en valeur de 1,200 f, elle les réalise en argent, mais comment diviser cette somme le voici ; c'est encore la coutume qui fait loi :
A 2 ans révolus, fille, femme ou homme retire un droit entier.
A 18 ans, moitié.
A 15 ans, un tiers.
A 12 ans, un quart.
Au-dessous de 12 ans, les enfants ne reçoivent rien, car ils ne sont pas susceptibles d'un travail utile ; seulement, comme ils ne sont pas les enfants de tel père ou de telle mère, mais bien les enfants de la communauté, ils sont logés, nourris, vêtus et soignés, tant en santé que maladie, pour l'espérance de l'vcnir, comme dia Guy Coquille.
Or, la communauté de Pervy se compose de 25 individus, dont trois domestiques gagés, un vieillard rposat et 7 enfants âgés de moins de 12 ans, total 1 individus qui ne retirent rien.
Les parties prenantes sont :
Le pécule, dont chacun a la libre disposition, s'accroît des dots des femmes, des dons, des legs, enfin de toute cause étrangère à la communauté.
En résumé, le 1e budget, dit des fonds latens, s'applique au fonds social, à la réserve ; il appartient à 4 tôtes de mâles dont une dormeuse le maître seul en a l'administration.
Le 2e budget, dit de counute, est concerté entre le maître et la maîtresse ; il s'applique plus spécialement à la consommation et au besoins divers de l'association ; ses excédants appartiennent au budget ci-après.
[48] Le 3e budget, dit des pécules, est formé de toute l'épargne du 2e budget. Il est variable dans sa quotité annuelle, comme les parts : les bénéfices, pour cette année, se divisent, en portions inégales, entre 14 parties prenantes ; mais ultérieurement, les co-partageants seront plus nombreux, au fur et à mesure que les enfants atteindront l'âge prescrit ( § 2) ; le père de l'enfant mineur reçoit le pécule ; à vingt-et-un ans, chaque membre de l'association le touche directement et peut en disposer à son gré.
(D) SUR LA DÉVOLUTION DES SUCCESSIONS.
La dévolution des successions se ferait — et il le faudrait bien — conformément à la loi actuelle, si elle était invoquée,; mais elle l'est rarement, et voici pourquoi :
Ou les héritiers du de cujus sont en ligne directe, majeurs, et font partie de l'association, cas auquel rien n'est changé ; ils continuent la tête du père ; s'ils sont mineurs, leur intérêt est, à plus forte raison, de rester dans l'association, puisqu'il y a une tête dormeuse qui fructiie par le travail de tous les autres membres (§ 13). Ou la ligne héritière est collatèrale : si elle fait partie de l'association, et le plus souvent il en est ainsi, tout demeure dans le même état ; mais, si elle est étrangère à l'association, le maître ne conteste pas les droits héréditaires et il paie la part dans les biens apparents et le droit de grins, c'est-à-dire, le pécule de l'année du décès : la communauté subsiste toujours. — Seulement, si l'héritier processif n'accepte pas l'offre du maître et assigne en liquidation et partage (art. 815 C. Nap.), il s'expose à ne rien retirer ou tout au moins lort peu de chose.
D'abord, les fonds latents sont placés au nom du maître, sur billets non enregistrés, ou sur parole, et lui seul a le secret du placement ; or, aux termes de la loi, tout demandeur est tenu de justifier sa demande ; que fera donc le demandeur comment établira-t-il la consistance des capitaux Il ne le pourra pas, et le maître, si honnête qu'il soit, ne dira rien, car il doit défendre la communauté, arche sainte, rostro et ngubus.
Il n'aura même pas la ressource d'un commencement de preuve par écrit, pour arriver à une enquête ; nul ne sait écrire, et il n'y[49]a amais ni scellés, ni inventaires ; la justice n'entre pas dans les communautés, elle coûte trop cher.
Il n'y aura donc que le matériel d'exploitation qui sera soumis au partage, et, comme les frais se paient en proportion des droits des parties, il en résultera que le plaideur, ses frais payés, ne recueillera qu'une bien faible somme.
On sait cela, et, aussi, presque toujours on s'en rapporte à la parole du maître ; on n'y perd pas ; si surtout l'héritier est un brave homme, il reçoit son droit dans les fonds latents, mais, si le maître soupconne un procès, il n'accuse rien et il fait le pauvre. — le plus sage parti est donc de traiter à l'amiable, et, en cas d'impossibilité, de soumettre le débat a l'arbitrage de plusieurs maîtres de communauté ; l'expérience a prouvé que le recours aux tribunaux amenait, d'un côté, la ruine du demandeur, et, de l'aure, la dispersion de la communauté.
L'administration de l'enregistrement elle-même est obligée de venir à composition ; ainsi, lorsqu'un parsonnier meurt, l'enregistrement réclame les droits de mutation, le maître se présente et déclare que le défunt n'a rien laissé ; toutefois il offe une some modique. Que fera le receveur ? recherchera-t-il sur ses registres des actes enregistrés ? il n'en existe pas, il ne se fait ni contrats de mariage, ni inventaires, ni actes de société, et le bail, non enregistré, est au nom du maître seul. — S'il fallait des actes écrits, il n'aurait pas de maison de village qui, une fois en dix ans, ne fait renversée et ruinée, dit Coquille.
Le maître lui-même vient-il à mourir ? aussitôt les capitaux placés sur billets ou sur parole (le plus souvent à de naissantes communautés pour la formation des cheptels), passent au nom et sur la tête du maître nouvellement élu.
Il faut bien que la vérité soit fort difficile à découvrir, puisque l'enregistrement ne peut sortir du labyrinthe et qu'il finit par transiger.
Et puis, les tribunaux voient très-favorablement ces communautés agricoles ; la cour de Bourges, par arrêt du 6 mars 1832, a rejeté une demande en partage de la communauté des Jaul.
De cette façon, la loi du 7 mars 1793 et le code civil sont éludés, mais cela ne préjudicie à personne — sous la condition toutefois que l'héritier sera brave hoeet ne suscitera pas de procès : — Si le partage était effectué à chaque décès, la ruine des communautés serait consommée depuis longtemps ; ce qui fait la force et la richesse de ces associations, c'est qu'elles ne sont pas soumises à des partages pèriodiques, comme chez les paysans petits propriétaires de la contrée, où les enfants d'échelons en échelons des[50]cendent l'échelle de la misère ; lorsque l'un d'eux, péniblement, après une longue vie, est arrivé — et il n'y arrive pas toujours — à reconstituer un patrimoine pareil à celui de son père, il meurt, et ses trois ou quatre enfants divisent l'héritage, et chacun, isolément, passe sa vie à remonter le rocher de Sisyphe qui retombera après lui...
Notes
1. Communauté fondée, non sur un contrat écrit, mais sur une ancienne coutume. [Voir note (A ) ]