No 37.
PÈCHEUR-CÔTIER
MAITRE DE BARQUES
DE L'ILE DE MAREN
(HOLLANDE SEPTENTRIONALE — PAYS-BAS)
(Ouvrier chef de métier, dans le système du travail sans engagements)
D'APRÈS LES
RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN 1862
PAR
MM. S. CORONEL
docteur-médecin à Amsterdam, et
F. ALLAN
instituteur de la commune de Marken.
Sommaire
- Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.
- Notes
- (A) Sur la végétation et l'agriculture dans l'île de Marken et sur les animaux qu'on y trouve.
- (B) Sur la pêche dans le Zuyderzée, et la part que les Marois y prennent
- (C) Sur l'histoire de la population de Marken.
- (D) Sur le développement intellectuel et moral de la population de Marken
- (E) Sur les récréations et les fêtes publiques ou privées des Markois.
- (F) Sur l'état sanitaire de la population de Marken.
- (G) Sur quelques faits de statistique relatifs a la population de Marken.
- (H) Sur l'administration de la commune de Marken.
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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.
Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1ᵉʳ. — État du sol, de l'industrie et de la population.
[405] La famille décrite dans cette monographie habite l'île de Marken, située par 52o 27' 7'' de latitude nord, et 22o 4' 39'' de longitude ouest, au nerd de la Hollande, dont la sépare un bras de mer appelé Goudzée. Cette île, dont la plus grande longueur est de 8.800 mètres, présente une superficie de 295 hectares; le sol est à 0m 20 [406] au-dessous du niveau de la mer: aussi est-elle entourée d'une digue puissante dont les talus de pierre, protégés en quelques endroits par des pilotis de chêne, la défendent contre l'envahissement des flots du Zuyderzée. Cette digue a sa crête à 1m20 au-dessus du niveau de comparaison d'Amsterdam; elle est pourvue de deux petites écluses pour la décharge des eaux de l'île.
Marken est traversée dans toute sa longueur par un grand canal. auquel aboutissent des canaux plus petits creusés dans tous les sens; elle est entourée d'un large fossé qui suit la digue de circonvallation.
Tout rappelle dans l'île le danger d'inondation, qui est sans cesse menaçant et qu'on se tient toujours prêt à combattre (C). Les maisons sont bâties sur de petits terres élevés par la main de l'homme. Ces tertres, nommés terpen, forment autant d'îlots que de bourgs: ils communiquent entre eux par des chemins de planches que l'autorité communale cherche en ce moment à remplacer par des routes pavées.
Ces bourgs ou quartiers sont au nombre de douze, dont le principal est celui de l'église, appelé Kerkbuurt. Il contient 109 maisons, 110 familles et 666 âmes. On y voit, en outre de l'élise, la maison communale, la maison de charité, le presbytère et la maison de l'instituteur. Ces édifices publics datent de vingt ans au plus; ils sont construits en pierre et forment un heureux contraste avec l'aspect misérable des maisons particulières.
Le port, situé à 1km environ du bourg de Kerkbuurt, a été agrandi en 1860; il est certainement un des meilleurs des Pays-bas. Le phare, établi sur la pointe nord-est de l'île, en 1839, est un fanal lenticulaire de quatrième grandeur.
Les maisons des pêcheurs sont presque toutes semblables; elles sont construites en planches goudronnées extérieurement ou peintes de couleurs foncées: un toit pointu, couvert de jonc ou de tuiles, les surmonte. Sur 223 maisons, 40 seulement ont des cheminées: dans les autres., un trou pratiqué dans le toit donne passage à la fumée. Elles sont toutes composées d'un rez-de-chaussée et d'un grenier; à l'intérieur, elles sont bigarrées de couleurs vives qui contrastent singulièrement avec leur extérieur sévère. La valeur des maisons du quartier principal s'élève à 3.000f, tandis que celles du quartier de Maeniswerf, qui est le plus éloigné du port, ne valent guère que 2.000f. Cette valeur augmente tous les jours par suite de l'accroissement de la population.
Le sol de Marken est un terrain d'alluvion; il ne produit que des joncs et du foin. Les inondations fréquentes empêchent les habitants d'entretenir beaucoup de bestiaux et de se livrer à l'agriculture [407] (A). Il n'y a, dans toute l'île, que 10 vaches laitières et 300 brebis; c'est à peine si on y rencontre quelques arbres.
L'eau potable est fort coûteuse et difficile à se procurer. On recueille celle de la pluie dans des citernes; mais, après une longue sécheresse, elle manque souvent; les puits, remplis d'eau salée par les inondations de l'hiver, ne fournissent qu'un liquide impropre même au lavage. L'eau est importée dans l'île par un batelier qui la puise dans une rivière voisine.
La pêche est le principal moyen d'existence du Markois (B). Celui-ci fait le plus souvent lui-même ses filets, ainsi que tous ses instruments de pêche, à l'exception des cerceaux de nasses qui sont fabriqués par des ouvriers spéciaux. L'enfant, trop jeune pour se livrer à la pêche, et le vieillard, après avoir fourni une longue carrière, s'occupent aussi de la confection de ces engins, dont le chanvre est filé par les femmes et les filles pendant les soirées d'hiver.
Les barques dont se sert le Markois sont:
1o Le Botter, bateau à voile pour la pêche du hareng. Sa contenance est de 24 tonnes; il est bon marcheur et peut durer de 25 à 30 ans. Il a 12m de long, 4m de large et 1m50 de profondeur.
2o Le Kubboot, petit bateau plat à rames et à proue élevée, pour la pêche aux anguilles ou aux anchois. Il es fait de bois de chêne et dure environ 16 ans. Sa longueur est de 5m sur 1m50 de largeur et 0m65 de profondeur.
3o Le Hinnenschuit, bateau construit aussi de bois de chêne et qui ne se trouve que dans l'île de Marken. Il est exclusivement employé au transport du foin, des engins de pêche et des objets de consommation. Sa durée est de 18 ans environ. Il a 6m de long, 1m50 de large et 0m75 de profondeur.
La pêche dure toute l'année et se divise en trois périodes: 1o la pêche des harengs (Clupea Harengus, Clupea Sprattus) de novembre à mai; 2o celle des anchois (Clupea encrasicholus) de mai à juillet; 3o celle des carrelets (Pleuronectes platessa) de juillet à novembre.
Un certain nombre de Markois vont à la pêche des harengs dans la mer du Nord, pour le compte de douze armateurs d'Enkuizen, de Ryp et d'Amsterdam. Ils se servent alors de Botters plus grands, spécialement employés à cette pêche et qui appartiennent à ces armateurs.
Quand il travaille pour son propre compte, le pêcheur porte lui-même au marché, principalement à celui de Monnickendam, le poisson qu'il a pris et le vend à l'enchère. Quelquefois, cependant, il le vend en mer à des marchands ambulants, qui achètent particulièrement [408] les anchois pour les marchés de Monnichendam et d'Amsterdam.
Les bateliers prennent régulièrement la mer le lundi, vers une heure du matin, et rentrent au port le samedi suivant.
Il y a à Marken 120 barques pour la pêche côtière, montées par deux hommes chacune: on y compte, en outre, 20 à 25 grands Botters pour la pêche des harengs dans la mer du Nord, et 20 bateaux de rivière pour le transport du foin, des joncs, des tourbes et d'autres objets dans l'intérieur de l'île.
La récolte des foins est une source de profits qui s'ajoutent à ceux de la pêche. Le travail de la fenaison est le partage des femmes; les hommes, peu occupés dans le milieu du mois de juin. se bornent à les porter sur les marchés de la Hollande aussitôt après qu'ils sont coupés.
Les joncs, de très-bonne qualité, se vendent généralement assez cher aux marchands de la Gueldre et de la Hollande septentrionale.
La terre vaut, à Marken, 4,000f l'hectare et rapporte en moyenne 12 pour 100.
On ne trouve dans l'île que quatre familles qui vivent uniquement du produit de leurs troupeaux. Quant à la petite industrie, elle n'est représentée que par 1 fabricant de voiles., 2 charpentiers, qui exercent aussi la profession de maçons et de fabricants de cerceaux pour les files, 2 boulangers et 9 épiciers.
Privés de presque toutes les matières premières et des produits manufacturés, les habitants de Marken sont obligés d'aller les acheter sur le continent. Les familles aisées se rendent, une fois par an, à Amsterdam ou à Monnickendam. pour y faire provision de beurre, de fromage, d'œufs, de céréales, de pommes de terre, de viande salée, etc. Marken reçoit chaque semaine de ces deux villes une quantité de ces objets. La plus grande partie du pain qui s'y consomme est importée de Monnickendam et de Nikerk; le bois à brûler vient de la Gueldre.
Le commerce est fort peu développé dans l'île; les épiciers ne se soutiennent qu'en ajoutant aux articles ordinaires de leur négoce la vente de souliers, de bottes, de tabliers de cuir, etc. Les objets achetés par les Markois sont en général d'une telle solidité et d'une durée si grande que les marchands d'habits eux-mêmes ne trouveraient pas une consommation suffisante; d'autant plus que l'usage est d'acheter toujours, depuis plusieurs générations, les mêmes articles chez les mêmes fabricants.
La population de Marken s'élève à 1,016 habitants. Son type physique est celui d'une race pure; doué d'un tempérament vigoureux, le Markois vit heureux au sein de l'existence rude qu'il s'est [409] faite, et ne recule devant aucun travail honnête qui produit un salaire, même modéré.
Le paupérisme est presque inconnu à Marken. Le bureau de bienfaisance ne soutient que chefs de famille en été et 9 en hiver. Sur ce nombre, 2 seulement touchent des secours en argent, les autres les reçoivent en nature. Au moment où est écrite cette monographie, l'hospice municipal est vide; il n'y a que 10 pauvres à l'hospice du diaconat et 5 dans la maison de travail de l'église. (§ 13.)
Ce petit nombre d'indigents doit paraître un fait très-remarquable, quand on songe qu'une famille voit quelquefois, en une nuit, la mer détruire tout ce qu'elle possède, et son chef périr dans les flots. Dans ce cas, les Markois ne s'adressent pas ordinairement à la charité publique; leur prévoyance les prépare à subir ces malheurs et leur amour du travail leur permet de les surmonter.
§ 2. — État civil de la famille.
La famille comprend les deux époux et cinq enfants, savoir:
1. Jean X***, chef de famille, marié depuis 26 ans, né à Marken............ 50 ans.
2. Marie X***, sa femme, née à Marken............ 48 [ans].
3. Guillaume X***, leur fils aîné, né à Marken............ 23 [ans].
4. Thierry X***, leur 2me fils, né à Marken............ 21 [ans].
5. Margot X***, leur fille aînée, née à Marken............ 20 [ans].
6. Nicolas X***leur 3e fils, né à Marken............ 15 [ans].
7. Lisette X***, leur 2e fille, née à Marken............ 12 [ans].
Cette fécondité est pour le ménage une source de bien-être; en effet, sur une somme de 2,775f31, total des salaires gagnés par la famille, 1,918f18 ou 69 pour 100 sont apportés par les enfants dans la communauté (R., 3e Son).
Deux enfants sont morts en bas âge. Les époux ont perdu leurs parents.
§ 3. — Religion et habitudes morales.
Les habitudes religieuses et morales de la famille décrite dans cette monographie sont celles de tous les Markois en général. Vivant dans une île, ayant conservé avec les anciennes meurs le respect de la tradition, les habitants de Marken offrent surtout au moraliste des traits de ressemblance (D).
Les Marhois professent généralement la religion réformée; ils [410] ont gardé dans toute leur pureté les principes du synode de Dordrecht (1618), dont ils suivent strictement la doctrine. Ils lisent journellement la Bible et s'appliquent à en observer ponctuellement les préceptes, sans s'occuper des différentes interprétations que la théologie moderne a pu leur donner. Ils vont fréquemment au temple et suivent exactement les pratiques du culte; même en mer, les Markois ne mangent jamais sans faire une prière avant et après le repas.
L'attachement entre les époux est un des traits principaux de la vie domestique des Markois. C'est l'affection qui détermine les alliances, pour lesquelles on regarde plus à la moralité qu'à la fortune. Une personne qui aurait rompu un premier engagement ne trouverait plus à se marier dans l'île, tant est grande la valeur qu'on attache à la sincérité et aux promesses d'honneur.
L'usage est de se marier vers l'âge de 25 ans; le mari et la femme sont généralement du même âge, ou à peu près. Il naît à Marken fort peu d'enfants naturels et ils sont toujours légitimés par le mariage.
Une nombreuse progéniture est regardée comme une bénédiction du ciel: il n'est pas rare de voir une femme de 32 à 35 ans ayant 10 enfants. n jeune homme ne se marie jamais avant d'avoir amassé des ressources suffisantes pour subvenir aux premiers besoins du ménage. Aussi, les enfants qui naissent ne sont-ils jamais une charge et deviennent-ils au contraire en grandissant des auxiliaires utiles, dont le travail augmente le bien-être et facilite l'épargne de la famille.
Le divorce, autorisé par la loi religieuse et par la loi civile, n'offre aucun exemple à Marken. La viduité est considérée comme une forme de la fidélité conjugale; il est rare de voir un veuf ou une veuve convoler en secondes noces.
Le respect de l'autorité paternelle est encore un trait saillant des meurs des Markois. Il n'existe dans toute l'1le qu'une seule famille dans laquelle les parents aient à se plaindre de leurs enfants: ceux-ci sont l'objet du mépris public, et chacun leur refuse le moindre service.
Les femmes ne se livrent à aucun travail extérieur. Elles cherchent dans les occupations ordinaires du ménage et dans les industries domestiques les moyens d'employer leur temps d'une manière profitable aux intérêts de la famille. C'est à elles qu'est dévolue l'éducation des enfants, et elles s'acquittent de cette tâche avec le profond sentiment de leur mission et une tendre sollicitude.
Les enfants sont élevés très-religieusement; ils lisent chaque jour chez eux l'Histoire sainte; ils apprennent même par cœur, [411] chaque semaine, un ou plusieurs versets de leurs cantiques. Ils vont régulièrement à l'école et au catéchisme (D).
Il règne chez les Markois une grande harmonie d'opinions et de sentiments. À l'occasion des naissances, des mariages, des décès et des événements importants de la vie, ils se témoignent entre eux la plus cordiale et la plus touchante sympathie. Un convoi funèbre est suivi par la plus grande partie de la population de l'Île, qui assiste également à la célébration de chaque mariage (E).
Les habitants de Marken aiment à pratiquer la charité, non seulement dans leur île, mais encore envers leurs voisins, ainsi qu'ils l'ont prouvé. lors des inondations qui. en 1855 et 1861, couvrirent une partie des Pays-Bas. À l'occasion du dernier de ces désastres, ils donnèrent une somme de 650f environ. Les enfants de l'école communale réunirent parmi eux une somme de 48f; un pêcheur seul remit au maître d'école un billet de banque de 200f. Certains habitants, ne voulant pas mettre leur nom sur les listes, le remplacèrent par une initiale. Les Markois répandent également leurs bienfaits sur les veuves et sur les indigents de l'île, ainsi que sur les pauvres étrangers qu'ils appellent, dans leur langage bedelvrienden (amis mendiants). Leur humanité s'étend à toutes les infortunes; ils sauvent souvent des naufragés, au péril même de leur propre vie. Différentes sociétés décernent des médailles pour ces actes de dévouement, et ceux qui en sont honorés les conservent et les font soigneusement encadrer pour orner leur demeure.
Les Markois sont d'un caractère fier et indépendant. Tous les actes de leur vie le prouvent aussi bien que leur histoire. La liberté, c'est la vie, disent-ils; aussi ne consentiraient-ils pour rien au monde à l'aliéner. Il y a quelque temps, le prince Henri des Pays-Bas fit proposer successivement à plusieurs pêcheurs de Marken la place de batelier sur son yacht de plaisir avec des appointements assez élevés. Tous refusèrent et plusieurs répondirent: Je suis roi sur mon botter; mieux vaut petit et maître que rand et serviteur; grand merci, je reste batelier de Marken.
Une fois seulement, en 1855, à la suite d'une inondation qui détruisit une vingtaine de maisons, la direction municipale implora le secours des habitants du continent; les Markois voulurent s'y opposer, tant leur amour propre en était offensé.
Malgré cet esprit d'indépendance, le Markois obéit fidèlement à la loi et aux magistrats (H). Il a le plus profond respect pour les supériorités sociales. Très-patriote, il donnerait volontiers sa vie pour le salut ou l'honneur de son pays; mais il a pour la conscription l'aversion la plus prononcée.
[412] Le Markois, ne voulant relever que de lui-même, cherche naturellement dans l'épargne le moyen d'assurer son indépendance. Son ambition est de devenir propriétaire de sa barque et d'avoir, par suite, le titre de bourgeois. Il ne recule devant aucun effort de travail pour arriver à cette position et pour la conserver, malgré les éventualités les plus funestes. Il écoute tous les conseils d'une sage prévoyance; il règle toujours ses dépenses sur ses revenus; la sobriété est une règle invariable de sa conduite: aussi l'usage des boissons alcooliques est-il peu répandu dans l'île; la consommation annuelle d'eau-de-vie ou de genièvre ne dépasse pas 1,500 litres, dont les deux tiers sont consommés à l'époque de la fenaison par des faucheurs venus des pays voisins. On ne trouve à Marken que trois marchands de liqueurs: l'un d'eux est boulanger et les deux autres sont paysans; ceux-ci ne considèrent pas comme un revenu les produits de ce commerce et les abandonnent à leurs femmes pour leurs menus plaisirs. Il n'y a dans l'île ni auberge, ni cabaret; les débits doivent fermer au coucher du soleil.
Les Markois montrent une grande franchise et une grande loyauté dans leurs transactions commerciales. Comme la plupart des paysans, ils dissimulent leurs affaires personnelles; ils font un mystère de ce qu'ils ont pêché ou gagné. Vivant sur un étroit territoire, ils ne s'occupent que de ce qui se passe dans l'intérieur de leur île. Ils aiment à causer de la vie intime, des vertus et des vices, des pertes ou des bénéfices de leurs concitoyens, et ils ne peuvent se défendre de la jalousie et de la médisance.
§ 4. — Hygiène et service de santé.
L'île de Marken est, par sa position, exposée à de fréquents changements de température; mais ses habitants, accoutumés à son climat dès l'enfance, n'en souffrent aucunement. En été, la chaleur est très-grande; le froid est très-vif en hiver; malgré cela, on fait généralement peu de feu dans les maisons, dont les vastes pièces sont cependant ouvertes au plafond pour le passage de la fumée. Pendant les grands froids, les femmes ajoutent quelque chose à leur vêtement et prennent une chaufferette.
Les habitations, élevées sur des tertres, sont à l'abri de l'humidité et bien aérées. À cette première condition d'hygiène, les Markois joignent une manière de vivre sobre et régulière, une nourriture solide, l'abstention de liqueurs fortes, un travail continuel mais non excessif; aussi sont-ils robustes et bien portants (F).
[413] Tous les membres de la famille X*** jouissent d'une excellente santé. L'ouvrier, bien constitué quoique de petite taille (G), n'a jamais été malade au point d'interrompre ses travaux. Étant jeune homme il a été retenu, non pas au lit, mais à terre par une attaque de fièvre bilieuse, pendant quatorze jours.
La femme a parcouru sans accident toutes les périodes de son existence: sa ligure colorée, dont les traits sont plutôt forts que délicats, indique un robuste tempérament.
Les enfants sont rarement indisposés; dans ce cas, on a recours à un médecin et on les soigne avec une tendre sollicitude.
§ 5. — Rang de la famille.
Propriétaire de trois barques, de quelques terres et d'une maison non grevées d'hypothèques, père de fils devenus pour lui de puissants auxiliaires, Jean X*** passe parmi ses concitoyens pour un homme aisé et indépendant. Il est à la fois notable de l'île, trésorier de l’église et diacre (H). Il tire une certaine vanité de ces fonctions, tout en disant qu'elles lui donnent plus d'embarras que de plaisir. Malgré cela, le titre qu'il préfère à tous les aures est celui de batelier, car c'est celui qui lui donne le plus conscience de son indépendance.
Jean X*** paraît fier de la considération dont il jouit, et qu'il doit à son travail et à sa moralité. S'il entre à l'église, c'est avec une certaine dignité, et il prend de préférence une place dans le chœur, qui est réservé aux personnes les plus importantes de l'île. Les notables sont assez fréquemment consultés sur les affaires de la commune. Jean, dont l'avis est souvent demandé en cette circonstance, voit généralement ses conseils suivis.
Tout homme doué des mêmes qualités que le chef de la famille ici décrite peut arriver à la même position. L'égalité des conditions sociales donne à tous des droits et des devoirs égaux; on ne connaît à Marken aucun des privilèges que la naissance confère en d'autres pays. La vertu, le travail et l'épargne sont pour chacun les seuls moyens de s'élever.
II. Moyens d'existence de la famille
§ 6. — Propriétés.
[414] (Mobilier et vêtements non compris.)
Immeubles............ 6,808f51
1o Habitation: — Une maison construite en bois avec ses dépendances, 2,553f19.
2o Immeubles ruraux: — 1h de prairies naturelles, 4,255f32.
Argent............ 5,319f15
3o Somme prêtée à des pêcheurs au taux de 4 pour 100, avec hypothèque sur les barques, que l'argent a servi à acheter, 3,191f49.
4o Somme placée à 5 pour 100 en obligations de la dette nationale, 2,127f66.
Sur cette somme, 1,808f51 ont été reçus en héritage; le surplus provient de quelques économies.
Matériel spécial des travaux et industries............ 6,575f51
1o Barques de pêche et leurs apparaux. — 1 barque de pêche aux harengs, avec 2 jeux de voiles (se composant chacun d'un foc, un foc de beaupré et une voile d'artimon), 2 gaffes, 4 crocs, 2 racambeaux, 2 époutilles, 2 vadrouilles, 2 ancres et leurs câbles, 2 escopes, 2 seaux, 1 boussole, 1 pavillon, 1 lanterne, 3,191f49; — 1 petite barque ouverte, pour la pêche aux anguilles, 170f21; — 1 bateau pour le transport du foin, des ustensiles de pêche et des provisions de ménage, 319f15. — Total, 3,680f85.
2o Objets divers à bord de la grande barque. — 1 paillasse, 2 oreillers, 4 couvertures, 63f82; — 2 grandes corbeilles à provisions, 2f13; — 1 tonneau à eau, 2f13; — batterie de cuisine, 10f63. — Total, 78f71.
3o Instruments de pêche. — 2 grandes tirasses, 212f76; — 30 nasses pour le hareng 638f30; — 3 assortiments de cerceaux de nasses, 6f38; — 12 tirasses, 510f63; — 12 réts à plies, 510f63; — 12 rafles de liège, 63f82; — 4 filets de soie, 127f66; — 4 filets à éperlans, 63f82; — 4 nasses à anguilles, 63f82; — 80 sacs de nasses à anguilles, 68f09; — 150 bâtons de nasse de chêne, 106f38; — 150 bâtons de nasses de frêne, 79f57; — 24 grandes pierres, 24f68; — 12 fortes cordes neuves, 21f28; — 6 glines, 6f38; — 2 manivelles, 4f26; — 20 ancres avec leurs câbles, 85f11; — 1 fouenne, 10f63; — 2 jeux de voiles, 106f38. — Total, 2,710f58.
4o Outils pour filer le chanvre et le lin, servant à la fabrication des engins de pêche. — 2 rouets, 31f78.
5o Outils pour la fenaison. — 2 gaffes, 7f66; — 2 faux, 6f38; — 6 fourches, 12f76; cordes et grappins, 21f28; — 4 paires de tinets, 8f51. — Total, 56f59.
[415] 6o Ustensiles pour le blanchissage. — 2 grands cuviers, 10f00; — 2 petits cuviers, 6f00; — 1 boîte à savon, 1f00. — Total, 17f00.
Valeur totale des propriétés............ 18,703f17
§ 7. — Subventions.
La famille ne reçoit aucune subvention.
Les Markois, sinon pauvres, du moins peu aisés, profitent de la faculté d'employer le médecin de la commune sans lui payer d'honoraires et d'envoyer gratuitement leurs enfants à l'école municipale.
§ 8. — Travaux et industries.
Travaux de l'ouvrier. — L'ouvrier exerce, pour son propre compte, la profession de pêcheur-côtier. Il entretient et répare lui-même tout ce qui lui est nécessaire pour la pêche, ainsi que le gréement de ses barques. Il jette ses filets avec l'aide de son fils aîné, qui l’accompagne toujours, et il les surveille de temps en temps pendant qu'ils suivent à la traîne. Tous les deux jours, il interrompt la pêche pour aller vendre le poisson pris au marché le plus voisin. En temps de calme ou d'orage, et tant que le Zuyderzée est couvert de glace, l'ouvrier reste à la maison et s'occupe, soit à réparer les vieux filets ou à en faire de neufs, soit à lire la Bible ou des livres d'histoire et de géographie.
L'ouvrier emploie quelques journées au transport d’outils de pécheurs étrangers, et, dans le temps de la fenaison, il travaille à la prairie.
Travaux de la femme. — La femme consacre la plus grande partie de son temps aux soins du ménage. Elle prépare les repas, tient la maison avec une extrême propreté, blanchit et répare le linge de la famille, confectionne et entretient les effets d'habillement. Elle travaille à la fenaison, file le chanvre pour faire les files, et aide deux fois par an au nettoyage des barques.
Travaux du fils aîné. — Le fils aîné aide son père à bord des barques de pêche, et fait exactement le même travail que lui. À l'époque de la fenaison, il transporte les foins avec le bateau destiné à ce service.
[416] Travaux du deuxième fils. — Le deuxième fils, qui donne ses salaires à son père, sert en qualité de matelot, sur un Botter (§ 1er), pour la pêche du hareng, depuis le mois de juin jusqu'au mois de novembre. Pendant deux autres mois environ, il est employé sur une barque de pêcheur-côtier en qualité de domestique ou d'aide. Le reste de l'année, il travaille dans sa famille à la confection et à l'entretien des engins de pêche.
Travaux du troisième fils. — Le troisième fils, qui donne aussi ses salaires à son père, sert en qualité de mousse ou de marmiton sur un Botter, depuis le mois de juin jusqu'au mois de novembre. Il travaille environ deux mois comme domestique à bord d'une barque, et, comme son frère, il passe le reste de l'année dans sa famille à s'occuper de la confection et de l'entretien des engins de pêche.
Travaux de la fille aînée. — La fille aînée sert de domestique à sa mère, et l'aide dans les travaux du ménage, dont elle fait les plus pénibles: elle s'occupe du blanchissage et de la réparation du linge, de la confection et de l'entretien des vêtements, du filage du chanvre pour les filets de pêche, du nettoyage des barques et des travaux de la fenaison. Quelquefois elle est appelée comme garde d'accouchée (F) hors de chez elle, et la mère fait alors l'ouvrage de la maison avec l'aide de la fille cadette, bien que celle-ci aille encore à l'école.
Industries entreprises par la famille. — Les industries entreprises par le chef de famille et par ses fils consistent. en outre de la pêche, dans le transport des foins, des provisions de ménage, et des outils de pêche de la famille et des pêcheurs étrangers. Les femmes fauchent les foins, filent le chanvre pour les filets, confectionnent et entretiennent les vêtements et blanchissent le linge.
III. Mode d'existence de la famille
§ 9. — Aliments et repas.
La nourriture de la famille est assez abondante, quoique réglée avec une sage économie, et présente une grande régularité. Cependant, [417] quand la pêche a été mauvaise, on mange plus de pain de seigle que de pain de froment; au contraire, quand la pêche a été bonne, on prend le dimanche, en famille, une tasse de thé avec du sucre et du lait, ou bien un petit pot de bière avec du pain; c'est un régal qui ne revient pas à plus de 2f.
Les membres de la famille qui vont à la pêche ne sont à la maison que le dimanche; les autres jours, le père et le fils aîné mangent à bord de leur barque.
Là, ils ne consomment d'aliments chauds que deux fois par jour: mais, chaque fois qu'ils lèvent les filets, ils prennent du café avec du pain de seigle et du beurre ou du fromage. Les deux autres fils sont nourris par les patrons qui les emploient.
Les membres de la famille qui restent à la maison font par jour six repas:
1o Vers six heures et demie, le café, préparé par la fille aînée, et que la mère prend dans son lit.
2o À huit heures, le déjeuner café avec du pain de seigle ou de froment, et du fromage.
Après ce repas, on lit quelques passages de la Bible, et chacun se rend à son travail.
3o À midi, le deuxième café, avec du pain, du poisson salé ou fumé, du beurre ou du fromage.
4o À quatre heures, le dîner: poisson, viande ou lard, avec des pommes de terre, des pois, ou des fèves. Le dimanche, on a généralement deux plats de légumes, très-rarement de la soupe.
5o À sept heures, le goûter: pain de seigle avec du beurre ou du fromage, et du café.
6o À dix heures, le souper: pain de seigle ou de froment, ou biscuits, poisson sec ou fumé, avec du café.
Si, entre les repas, les enfants demandent un morceau de pain, on ne le leur refuse jamais.
Les dimanches et les jours de fête, on modifie les heures des repas, de manière à pouvoir assister aux offices; le dîner se sert alors à une heure, et l'on goûte avec du thé sucré en revenant du temple.
Si le Markois ne se porte jamais à l'excès des liqueurs fortes, en revanche, l'usage du café est très-répandu parmi la population de l'île. Avez-vous pris votre café? se dit-on en s'abordant. C'est la première politesse que l'on se fait, la première demande que l'on 'adresse quand on se rencontre ou quand on fait une visite.
§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.
[418] La maison se compose d'un rez-de-chaussée formé de deux pièces principales; l'une est la chambre commune, et l'autre le
Dans la première, qui est précédée à l'entrée d'un petit vestibule, on couche, on fait la cuisine et l'on se tient continuellement. Cette chambre n'a pas de plafond, et on place sur la charpente du toit les instruments de pêche et les cordages dont on ne se sert pas, et que conserve la fumée qui se répand dans la chambre. Le foyer se compose d'une plaque de fer d'un mètre carré, placée sur un petit massif de 20 centimètres, construit en brique non loin de la fenêtre.
Malgré la fumée qui règne assez souvent dans cette chambre, par suite de l'usage de la tourbe ou du bois vert, les murailles, en partie cachées par différents objets, et particulièrement par de la vaisselle, sont d'une assez grande blancheur, grâce aux soins de la mère de famille et de sa fille aînée, qui les lavent et les blanchissent à l'eau de chaux trois fois par an. Deux rangs de planches, en forme d'étagères, règnent autour de la chambre. Sur le premier sont de petits barils où se tiennent les provisions en grains, farines et légumes secs, et diverses boites de fer-blanc contenant les épices, le thé, le café, etc.; sur le second rang se trouve la vaisselle.
Dans le mur, faisant face à la fenêtre principale, sont pratiquées deux alcôves entre lesquelles est accrochée l'horloge. Elles sont fermées par des rideaux soigneusement drapés et relevés par de grandes rosettes, et contiennent deux lits dont un de parade; celui-ci, qui ne sert qu'en cas de nécessité absolue, est couvert d'une grande quantité de coussins enfermés dans des taies de toile fine brodée de soie noire.
Les lits sont si élevés qu'il faut un marchepied pour y monter. Ils sont disposés en hauteur, de manière à former deux étages; les enfants couchent dans les deux lits de l'étage inférieur, et les parents dans l'un de ceux de l'étage supérieur.
Au contraire, les chaises et les tables sont très-basses, et les Markois disent qu'elles sont ainsi construites pour leur permettre de mieux se chauffer.
La seconde pièce est le salon, où l'on ne se réunit presque jamais; elle est plafonnée, et renferme les plus beaux meubles. La femme de l'ouvrier y tient une sorte d'exposition permanente de tout ce qui ne sert pas journellement. On y remarque des armoires de vieux [419] chêne dont les panneaux sont rehaussés de moulures ou représentent des sujets religieux, une armoire à portes virées, un buffet-dressoir de chêne travaillé avec art, des chaises et autres meubles sculptés; des chaufferettes, dont une qui date de 1760 est marquée des initiales de la famille, des porte-montre, des sabots, etc., puis certains objets d'argent servant pour la parure ou pour le service de la able. Plusieurs petits coffrets de différentes grandeurs sont placés sur le buffet les uns au-dessus des autres, et séparés par de petites serviettes blanches brodées de soie noire aux quatre coins. Dans cette pièce, on voit aussi une assez grande quantité de vaisselle de luxe qui est tenue, comme tout le reste. avec la plus grande propreté.
Les meurs et les coutumes des habitants de l'île de Marken offrent, au sujet du mobilier et des vêtements, quelques particularités remarquables qu'il est intéressant de signaler.
Les meubles principaux que l'on trouve dans les maisons des pêcheurs aisés se distinguent par leur cachet d'antiquité, et sont entretenus par eux avec un soin religieux. La plus grande partie de ces meubles date du xviie siècle; ils sont, pour la plupart, faits de bois de chêne et très-solidement construits; leur couleur foncée atteste leur ancienne origine. Ils sont ordinairement chargés de sculptures d'un travail quelquefois très-habile, et représentant presque toujours des sujets de l'Histoire sainte, sujets de prédilection pour les Markois, et qui donnent aux meubles une valeur plus considérable que tout autre travail.
Les Markois ont aussi de petits objets de bois de chêne ou de bois peint dont la valeur augmente à mesure qu'ils vieillissent, et que l'on conserve soigneusement de génération en génération.
Parmi la vaisselle, on voit souvent des plats de cuivre ciselés, très-rares, qui, par leur dimension, leur antiquité et leurs sujets religieux, ont aussi une grande valeur.
Les objets de toilette sont très-variés; ceux des femmes rappellent les anciens costumes hollandais du xviiie siècle. À quelques exceptions près, on peut dire que les caprices de la mode n'ont rien changé à la nationalité du costume. Indépendamment des vêtements de travail d'été et d'hiver, il y a des habits spéciaux pour les foires, les noces, les baptêmes et les funérailles.
En outre, il y a un vêtement de noces qui ne se met que le jour du mariage, et qui se compose pour le fiancé: d'un court pourpoint et d'une culotte de drap noir, de bas de soie noire et de hauts souliers à boucle d'argent; et pour la jeune fille: d'un bonnet de toile de Cambrai, en forme de pyramide, d'un surtout étroit de drap noir, d'un tablier noir, de bas de soie noire et de souliers à boucle [420] d'argent. Ces habits sont très-rares, et aujourd'hui on n'en compte que six de complets dans l'île. Ils datent du xvr siècle, et sont d'origine espagnole. On en trouve encore aujourd'hui de semblables dans les environs de Cordoue. Les pêcheurs qui les possèdent les conservent très-soigneusement et les prêtent aux jeunes mariés.
Les Markois sont très-attachés aux choses surannées; ainsi, sans qu'on puisse trop s'en rendre compte, leurs habits augmentent de valeur en vieillissant, ce qui doit être un vrai stimulant pour les conserver. Les auteurs de cette monographie ont vu, dans une vente publique, un petit mouchoir de cou de 25 centimètres carrés se vendre 8f; un pantalon de drap, vieux, mais bien conservé, 70f; une paire de fausses manches de drap bleu, 1f; une petite jupe d'écarlate, 64f.
En ce qui concerne les bijoux, les Markois préfèrent l'argent à l'or. Les femmes ne mettent ni colliers ni boucles d'oreilles, mais les jeunes enfants des deux sexes ont une pièce d'argent ou une médaille suspendue autour du cou par un ruban ou une chaîne d'argent, et portent des bracelets de corail ou d'argent. Cet usage. de la plus haute antiquité, se retrouve chez divers peuples sous la forme d'amulettes destinées à préserver de maladies ou du mauvais œil.
La valeur du mobilier et des vêtements de la famille peut être établie de la manière suivante:
Meubles.: simples, solides et très-bien entretenus............ 1,751f00
1o Lits. — 4 bois de lit, 4 paillasses, 8 oreillers de plume, 8 couvertures de laine et 4 de coton ouatées, 600f00.
2o Meubles de la chambre commune. — 1 armoire antique de bois de chêne, ornée de sculptures, 100f00; — 1 armoire avec peintures représentant des sujets de l'Histoire sainte, 60f00; — 1 table de bois de chêne, 15f00; — 8 chaises, 16f0; — 2 miroirs, 8f00; — 1 horloge, 24f00; — 1 caisse de bois de chêne, 20f00; — 8 tonneaux de bois de chêne, 16f00; — 8 boîtes de fer-blanc, 28f00. — Total, 287f00.
3o Mobilier du salon. — 1 armoire antique de bois de chêne, ornée de sculptures, 400f00; — 1 armoire avec peintures représentant des sujets de l'Histoire sainte, 110f00; — 1 armoire à portes vitrées, 10f00; — 1 buffet de bois de chêne, orné de sculptures, 50f00; — 1 table de bois de chêne, 20f00; — 6 chaises, 12f00; — 20 tableaux, 40f00; — 2 miroirs, 10f00; — vaisselle de cuivre et de porcelaine, étalée dans cette pièce, 200f00. — Total, 852f00.
4o Objets relatifs au culte domestique. — 12 tableaux représentant des sujets religieux, 12f00; — 4 bibles avec garnitures d'argent (mémoire). — Total, 12f00.
Linge de ménage: tissé avec du fil, ou avec du coton, ou [421] avec un mélange des deux, entretenu proprement et avec soin............ 279f00
24 draps de lit, 168f00; — 4 nappes, 16f00; — 18 serviettes de toile, 18f00; — petites serviettes de toile, 12f00; — torchons et autre linge, 35f00; — rideaux de lits et de fenêtres, 30f00. — Total, 279f00.
Ustensiles............ 168f00
1o Dépendant du foyer. — 4 crémaillères, 2f00; — chenets, 4f00; — 1 pelle, 1f00; — 2 paires de pincettes, 6f00; — 2 jusqu'à ts, 2f00; — 1 trépied, f00; — 1 caisse à tourbes, 2f00. — Total, 19f00.
2o Employés pour la préparation et la consommation des aliments. — 1 pot de fer, 5f00; — 2 poêles à frire, 4f00; — 3 chaudrons de cuivre, 24f00; — 2 casseroles de cuivre, 10f00; — 18 assiettes de terre cuite, 6f00; — 6 écuelles de bois, 6f00; — 6 plats de terre cuite, 12f00; — 18 tasses à café avec soucoupes, 9f00; — 1 sucrier de porcelaine anglaise, 4f00; — 12 cuillers d'étain, 4f00; — 12 fourchettes de fer battu, 2f00; — 6 couteaux, 6f00; — 6 bouteilles, 1f00; — 10 verres, 4f00; — 4 seaux cerclés de fer, 16f00. — Total, 113f00.
3o Employés pour l'éclairage. — 2 lampes à huile, 6f00; — 2 chandeliers de cuivre, 10f00; — 1 martinet, 3f00; — 1 éteignoir, 1 binet, 1 boîte de cuivre pour les allumettes, 3f00; — 1 paire de mouchettes, 1f00. — Total, 23f00.
4o Employés pour les soins de propreté. — 2 houssoirs, 1 balai de jonc, 1 morceau de peau de chamois, 2 brosses, 7f00.
5o Employés pour usages divers. — 2 paniers d'osier, 2f00; — 4 paniers pour le transport des tourbes, 4f00. — Total, 6f00.
Vêtements, y compris les bijoux; ces derniers servent à plusieurs générations............ 5,556f00
Vêtements de l'ouvrier (1,084f00):
1o Vêtements des jours de fête, tels que la Pentecôte, Pâques, etc. — 1 surtout de drap noir, 40f00; — 2 paires de manches de drap bleu, 25f00; — 1 pourpoint de laine brune, 30f00; — 1 culotte de drap noir, 50f00; — 2 culottes brunes, 74f00; — camisoles écarlates, 50f00; — 2 camisoles de drap gris, 42f00; — 2 camisoles de toile blanche, 12f00; — 4 chemises de toile blanche à collets brodés, 32f00; — 4 cravates de toile rouge, 12f00; — 1 chapeau noir, 10f00; — 1 paire de souliers, 8f00; — 2 paires de sabots sculptés, 4f00. — Total, 389f00.
2o Vêtements de travail. Les plus neufs servent pour le dimanche. — 2 surtouts de peluche, 28f00; — 2 manteaux de toile imperméable, 15f00; — 2 culottes de toile imperméable, 14f00; — 4 culottes de laine, 48f00; — 2 culottes de toile grise, 6f00; — 4 paires de manches de cuir, 15f00; — 3 paires de manches de laine, 10f00; — 1 tablier de cuir, 14f00; — 4 camisoles de laine, 34f00; — 6 chemises de coton, 24 f00; — 6 chemises de toile, 30f00; — 6 chemises de laine, 48f00; — 4 chemises de toile grise, 12f00; — 12 paires de bas de laine, 36f00; — 4 caleçons de coton, 8f00; — 3 cravates de laine, 2f00; — 6 cravates de coton, 5f00; — 2 paires de gants de laine, 2f00; — 2 chapeaux, 5f00; — 2 capuchons, 5f00; — 2 bonnets de laine pour la nuit, 4f00; — 2 paires de pantoufles de cuir, 10f00; — 2 paires de souliers, 12f00; — 3 paires de sabots, 3f00; — 2 paires de bottes, 22f00. — Total, 412f00.
[422] 3o Bijoux. — 1 montre d'argent avec la chaîne de même métal, 60f00; — 2 boutons d'or pour chemise, 40f00; — 2 boutons d'argent pour chemise, 14f00; — 24 boutons d'argent pour camisole, 50f00; — 2 crochetons d'argent, avec chaîne de même métal, pour chemise, 12f00; — 2 crochetons d'or pour la cravate, 12f00; — 2 crochetons d'argent, 6f00; — 2 boucles d'oreilles, d'or, 8f00; — 2 anneaux d'argent pour mouchoir, 5f00; — 2 boucles d'argent pour souliers, 10f00; — 1 bible avec garniture d'argent, 30f00; — 1 pipe d'argent pour fumer le cigare, 3f00; — 1 pipe de porcelaine, 1f00; — 1 couvercle de pipe d'argent, 2f00; — 1 cure-pipe d'argent. 3f00; — 1 boîte de cuivre pour le tabac, 2f00; — 1 couteau à manche d'argent, 1 cuiller et 1 fourchette d'argent, dont on ne se sert que dans les grandes solennités, 25f00. — Total, 283f00.
Vêtements de la femme (1,010f00):
1o Vêtements des jours de fête, tels que la Pentecôte, Pâques, etc. — 2 corsages de soie brune et violette, brodés de soie, 66f00; — 2 vestes écarlates, avec dos de soie brune et ornées de velours noir, 52f00; — 2 pièces d'estomac, de couleur écarlate, ornées de rubans jaunes, 6f00; — 2 surtouts de mérinos noir, 24f00; — 2 jupes de laine bleue, 30f00; — 2 jupes de laine rouge, 24f00; — 18 camisoles de coton 56f00; — 1 tablier de soie noire, 10f00; — 2 tabliers de toile Manche, 8f00; — 6 caleçons de coton bleu, 18f00; — 6 chemises de toile à cols brodes, 36f00; — 6 mouchoirs de cou brodés, 12f00; — 6 mouchoirs de poche de coton rouge, 6f00; — 8 paires de bas de laine de couleur, 26f00; — 4 bonnets de toile fine de Cambai, ornés de dentelles, 20f00; — 6 bonnets de dessous, de toile, 6f00; — 2 paires de sabots sculptés, 2f00; — 1 paire de souliers, 6f00. — Total, 408f00.
2o Vêtements de travail. Les plus neufs servent le dimanche. — 3 surtouts de mérinos noir, 44f00; — 6 surtouts de laine rouge, 28f00; — 3 surtouts de toile grise 95f00; — 2 pourpoints de laine noie, 8f00; — 6 camisoles de coton de couleur, 18f00; — 2 camisoles de laine rouge, 20f00; — 6 pièces d'estomac, de laine ronge, 6f00; — 24 pièces d'estomac, de coton, 8f00; — 4 tabliers de toile grise, 12f00; — 4 tabliers de toile bleue, 12f00; — 2 tabliers de toile blanche, 8f00: — 2 tabliers de laine noire, 20f00; — 6 paires de bouts de manches, de laine bleue, 18f00; — 2 cravates de laine, 4f00; — 2 corsages brodés, 36f00: — 6 chemises de toile blanche, 24f00; — 6 caleçons de coton bleu, 18f00; — 6 mouchoirs de coton rouge, 8f00; — 6 mouchoirs de poche, de coton, 5f00; — 12 paires de bas de laine blanche, 30f00; — 12 paires de bas de laine de couleur, 32f00; — 4 paires de chaussons de laine bleue, 10f00; — 12 bonnets de toile de Cambrai, 12f00; — 18 bonnets de dessous, 6f00; — 3 paires de sabots, 3f00; — 2 paires de pantoufles, 8f00; — 1 paire de souliers, 6f00. — Total, 429f00.
3o Bijoux. — 1 Bible avec ornements d'argent, 40f00; — 2 crochets d'or pour le bonnet, 10f00; — 2 crochets d'argent, 6f00; — 2 crochets d'or pour le mouchoir de cou, 10f00; — 4 crochets d'argent, 16f00; — 6 bagues d'argent, 18f00; — 1 aiguillier d'argent, 4f00; — 1 flacon d'argent, 8f00; — 1 paire de ciseaux et chaîne d'argent, 12f00; — 1 chaîne d'argent, 6f00; — 1 fermoir de bourse, d'argent, 6f00; — 1 couteau d'argent, 10f00; — 1 dé d'argent, 2f00; — 1 couteau à manche d'argent, 1 cuiller et 1 fourchette d'argent, 25f00. — Total, 173f00.
Vêtements du fils aîné (1,084f00). Exactement semblables à ceux de l'ouvrier, et par conséquent de même valeur:
1o Vêtements de fêtes. — 389f00.
2o Vêtements de travail. — 412f00.
3o Bijoux. — 283f00.
[423] Vêtements du deuxième fils (1,084f00). Exactement semblables à ceux de l'ouvrier, et par conséquent de même valeur:
1o Vêtements de fêtes. — 389f00.
2o Vêtements de travail. — 412f00.
3o Bijoux. — 283f00.
Vêtements du troisième fils (148f00). Les plus neufs servent pour les dimanches:
1o Vêtements de travail. — 1 surtout de peluche, 12f00; — 2 pourpoints de laine, 10f00; — 2 culottes de laine, 9f00; — 1 manteau de toile imperméable, 5f00; — 1 culotte de toile imperméable, 3f00; — 4 chemises de toile blanche, 12f00; — 3 camisoles de coton bleu, 6f00; — 3 mouchoirs de poche, 3f00; — 3 caleçons de coton bleu, 6f00;— 3 caleçons de laine, 10f00; — 6 paires de bas de laine, 10f00; — 2 cravates de laine, 2f00; — 3 cravates de coton rouge, 3f00; — 2 paires de gants, 2f00; — 2 bonnets, 2f00; — 1 capuchon, 2f00; — 2 bonnets de laine pour la nuit, 3f00; — 2 paires de souliers, 9f00; — 2 paires de sabots, 2f00. — Total, 111f00.
2o Bijoux. — 2 boutons d'argent pour la chemise, 12f00; — 1 bague d'argent pour la cravate, 2f00; — 1 paire de boucles d'oreilles d'or, 9f00; — 1 crochet d'argent, 3f00; — 2 boucles de souliers d'agent, 8f00; — 1 pipe pour fumer des cigares, 8f00. — Total, 37f00.
Vêtements de la fille aînée (1,010f00). Exactement semblables à ceux de la mère de famille, et par conséquent de même valeur:
1o Vêtements de fêtes. — 408f00.
2o Vêtements de travail. — 429f00.
3o Bijoux. — 173f00.
Vêtements de la seconde fille (136f00). Les plus neufs servent pour les dimanches:
1o Vêtements de travail. — 2 surtouts de mérinos noir, 8f00; — 2 corsages de laine de couleur, 10f00; — 2 pourpoints de laine noire, 6f00; — 6 pièces d'estomac, 3f00; — 1 jupe de laine rouge, 6f00; — 2 jupons de laine bleue, 14f00; — 2 tabliers de laine, 8f00; — 3 tabliers de toile grise, 6f00; — 6 camisoles de coton, 12f00; — 6 caleçons de coton, 6f00; — 4 mouchoirs de coton rouge pour le cou, 3f00; — 4 mouchoirs de poche, de coton roue, 3f00; — 4 paires de bas de laine bleue, 8f00; — 4 paires de bas de laine blanche, 5f00; — 2 cravates de laine, 2f00; — 1 paire de gants, 1f00; — 4 bonnets de toile de Cambrai, 2f00; — 2 paires de chaussons, 3f00; — 2 paires de pantoufles, 4f00; — 2 paires de sabots, 1f00; — 1 paire de souliers, 4f00. — Total, 115f00.
2o Bijoux. — 1 crocheton d'argent pour le bonnet, 3f00; — 2 crochetons d'argent pour la cravate, 5f00; — 2 crochetons d'argent pour le mouchoir de cou, 3f00; — 1 bague d'agent, 2f00,; — 2 boucles de souliers, d'argent, 8f00. — Total, 21f00.
Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 7,754f00
§ 11. — Récréations.
Quoique ce ne soit pas réellement une récréation, on peut citer comme telle la joie qui règne dans la famille de l'ouvrier, le samedi [424] soir, quand il revient au port. On va à sa rencontre, et tout le monde lui fait bon accueil; on l'accompagne au logis, en emportant les objets qui ne doivent pas rester à bord de la barque. La femme prépare le café, et, si la pêche a été bonne, elle offre aux pêcheurs du pain de froment et de la bière. On cause, ou bien on va faire visite à un parent ou à un voisin.
Le dimanche, toute la famille se promène autour de l'île. Elle va voir, à la Pentecôte, la foire qui se tient dans un des quartiers de l'île, et, à d'autres époques fixes, celles d'Amsterdam et de Monniclendam. Quelquefois le pêcheur, accompagné de sa famille, assiste aux courses de bateaux sur l'Y d'Amsterdam. Suivant une propension commune dans le pays (E), il prend habituellement des billets de loteries.
Les Markois sont en général très-sobres, et leurs récréations diffèrent peu de celles que nous venons de décrire. Tous fument ou chiquent. Le tabac à priser est inconnu dans l'île, mais le tabac à fumer y est tellement répandu que les enfants même en font usage.
IV. Histoire de la famille.
§ 12. — Phases principales de l'existence.
L'ouvrier et sa femme sont nés dans l'île de Marken; leurs parents étaient pêcheurs. Jean X***, après avoir quitté l'école à 12 ans, aida son père jusqu'à l'âge de 25 ans. À cette époque, il avait déjà fait la connaissance de Marie, et leur mariage avait été arrêté entre eux. Tous deux économes, ils avaient su épargner et avaient les moyens de se mettre en ménage. De part et d'autre, les parents s'occupèrent de procurer au jeune homme une barque et des instruments de pêche. La moitié de ces objets lui fut donnée, et il obtint l'autre moitié à crédit. Jean se mit à travailler avec ardeur; il réussit, et au bout de sept ans il avait éteint sa dette. Une partie de la maison habitée par la famille fut acquise à l'ouvrier par héritage: le reste fut payé avec le fuit de ses épargnes.
Tant que les enfants ont été jeunes, la famille n'a pas été dans l'aisance; mais lorsqu'ils ont été assez grands pour aider leur père, [425] le bien-être a été en croissant, et il augmente aujourd'hui par le gain qui est apporté à l'ouvrier par ses trois fils.
§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.
Jean X***, par son activité, sa bonne conduite et son goût pour l'épargne, acquérir une position indépendante. De son côté, sa femme a contribué à la prospérité de la famille; elle a donné aux enfants une éducation convenable et des principes d'économie auxquels elle a joint l'exemple d'une vie active et laborieuse.
Jusqu'à ce jour, aucune société de secours mutuels ne s'est organisée dans l'île de Marken; mais une société de ce genre, dont le siège est à Ryp, a réussi à faire entrer dans son sein quatre chefs de famille.
Tout semble présager que la famille X*** deviendra une des plus aisées de la classe à laquelle elle appartient; ses économies déjà réalisées en sont un sûr garant, et son bien-être est assuré par les habitudes morales et religieuses de tous ses membres.
Budget des recettes de l'année
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Budget des recettes de l'année
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Notes
Faits importants d'organisation sociale; particularités remarquables; appréciations générales; conclusions.
(A) Sur la végétation et l'agriculture dans l'île de Marken et sur les animaux qu'on y trouve.
[440] En considérant la situation de l'île de Marken, exposée à tous les vents, sa faible étendue et la composition uniforme de son terrain, on n'est pas étonné que la végétation y soit peu développée et surtout peu variée. À peine compterait-on une dizaine d'arbres ou d'arbustes qui croissent à l'abri de quelques maisons, dont ils ne dépassent jamais le faite.
Les légumes et les fleurs viennent bien, quand on sait les abriter du vent froid de la mer, ainsi que le prouvent les essais faits depuis quelques années dans le jardin du médecin de Marken. Mais les digues qui entourent l'île n'étant pas assez hautes pour la défendre contre les inondations du Luyderzée, on ne peut y cultiver les végétaux alimentaires.
Ce même cause empêche les Markois de se livrer à l'agriculture. Sur 225 hectares de terre arable, on n'en cultive que 25; les foins fauchés dans le reste du terrain produisent environ 20,000f par an. Si on n'avait pas à craindre les irruptions de la mer, on pourrait entretenir plus de 3,000 brebis sur ces 200 hectares. En comptant chaque brebis à 20f, on créerait ainsi un excédant de revenu de 40,000f.
Il est regrettable que le Gouvernement n'élève pas la digue de manière à mettre à jamais l'île à l'abri des inondations, et à procurer à ses habitants une nouvelle source de produits; en même temps, ces travaux assureraient la conservation d'une race vigoureuse et de mœurs exemplaires. Il est toujours à craindre que, sans cette mesure, les Markois subissent le sort des habitants de Scholland, qui ont été obligés récemment d'abandonner leur île, et qui, ruinés complètement pour la plupart, sont tombés à la charge de l'État et de la charité privée.
Voici la liste des végétaux qui croissent dans l'île de Marken, et [441] celle des animaux qui vivent sur son sol et dans le bras de mer (le Goudée) qui la sépare du continent: [442]



(B) Sur la pêche dans le Zuyderzée, et la part que les Marois y prennent
[443] Douze communes se livrent avec 660 bateaux à la pêche sur le Zuyderzée. Il est très-difficile d'évaluer la quantité totale des poissons fournis par cette pêche, et encore plus de déterminer la part que les Markois y prennent. D'une part, en effet, une partie de ce poisson est vendue par les pêcheurs avant leur retour dans l'île, soit en mer, soit à l'enchère sur les marchés du continent. D'un [444] autre côté, le Markois est toujours très-réservé sur la valeur de sa pêche. On ne peut faire aucun calcul basé sur la quantité qu'il vend à Monnickendam, son principal marché, car il n'y porte que le panharing1. Il vend les carrelets et les anguilles à de petits pêcheurs de Volendam qui les portent, pour la plupart, à Amsterdam.
La statistique trouve encore une grande difficulté dans l'irrégularité de la pêche des anchois. On ne prend quelquefois, dans une saison, de juin à août, que 300 ou 400 ancres2, tandis qu'en 1860 on en a pris 25,000. L'anchois porté à Monnickendam est pris dans le Zuyderzée, et quelquefois dans le Goudzée. Ce poisson n'est pas vendu à l'enchère. Les marchands qui en font le commerce engagent un certain nombre de pêcheurs pour la saison et envoient des embarcations spéciales prendre le poisson à bord du bateau, afin que le pêcheur ne soit pas forcé de quitter les eaux où il pêche. Il y a aussi des pêcheurs qui travaillent pour leur compte et qui vendent leurs anchois, soit à Monnickendam, soit en mer, à quelque vrachtvaarder3.
La quantité de panharings qui arrive à l'enchère à Monnickendam, et qui est presque exclusivement importée par les pêcheurs de Marken et de Bunschoten, est indiquée par le tableau suivant:

4. Un test contient 10,000 poissons.
Voici la comparaison du nombre de panharings importés à Monnichendam et dans d'autres communes:

[445] Le prix des harengs varie beaucoup; il est toujours plus élevé au commencement qu'à la fin de la pêche. Les premiers de la saison se vendent jusqu'à 0f40 et même 0f80 la pièce; quand la pêche est abondante comme en 1858, on en a 200 pour 0f04.
Voici maintenant les nombres d'anchois salés dans les diverses communes qui bordent le Zuyderzée, exprimés en ancres pesant 50ᶥ et contenant de 3,000 à 1,000 poissons:

Les chiffres les plus élevés sont, comme on le voit, ceux de Monnickendam et de Marken; mais les poissons salés à Monnichendam ne sont pas tous fournis par les pêcheurs de Marken, tandis que ceux-ci vendent une partie de leurs anchois dans d'autres endroits.
Les prix des anchois sont sujets à de nombreuses variations, en raison de la qualité de ce poisson, de la quantité offerte sur le marché et de celle qui reste en entrepôt:

[446] La pêche du Zuyderzée a beaucoup augmenté depuis qu'elle est délivrée des entraves du monopole. Plusieurs causes cependant tendent à en diminuer les produits. Sans parler du chien de mer, qui détruit une quantité considérable de panharings, on a pensé que la disparition partielle du hareng et de l'anchois depuis quelques années pouvait être attribuée à l'agitation produite par les bateaux à vapeur qui sillonnent le Zuyderzée, et nuisent à la reproduction. On a remarqué, en outre, que le hareng se montre beaucoup plus tard qu'autrefois. Les mois les plus productifs, qui étaient ceux de novembre et de décembre, sont aujourd'hui ceux de mars et d'avril, et à cette époque on a perdu le débouché si important occasionné par le carême. Enfin, les droits d'entrée fort élevés qui pèsent sur le poisson dans les pays étrangers en restreignent le commerce à l'extérieur.
Les Markois ont une large part dans la pêche du Zuyderzée, non seulement parce qu'ils sont les plus actifs des pêcheurs de ces côtes, mais encore parce qu'ils améliorent toujours leur industrie. Autrefois, chacun d'eux pêchait seul avec ses filets à la traîne; aujourd'hui, ils se réunissent par groupes de deux et jettent leurs filets attachés aux deux barques qu'ils maintiennent à une distance de 20 à 25 mètres, de sorte que tout le poisson qui passe entre les deux embarcations se prend infailliblement.
(C) Sur l'histoire de la population de Marken.
Les archéologues ont beaucoup discuté sur l'origine du nom de Marken. Les uns le font dériver du mot Marsch, et alors les premiers habitants auraient été les descendants d'un peuple appelé par Pline et par Tacite les Marsatiens, et qui habitait jadis sur le bord du lac Flevo. D'autres pensent que le nom de Marken vient du vieux mot frison Merschen, qui signifie marque ou limite, parce qu'au ixe siècle cette île servait de limite entre les empires de Lothaire et de son frère Louis.
Les traits de la physionomie des Markois, plusieurs de leurs usages et quelques expressions de leur langage familier font penser qu'ils appartiennent à l'ancienne race frisonne. Les armes de Marken, composées d'une tête de nègre sur champ d'azur, témoignent encore en faveur de cette origine, puisque les Frisons ont assisté [447] à la conquête de Damiette et à la défaite des Maures en Portugal.
Marken faisait autrefois partie du continent, et ses habitants se livraient à l'agriculture et à l'élève des bestiaux. Là où passe aujourd'hui un bras du Zuyderzée existaient avant le xiie siècle, excepté à la place occupée par le lac Flevo, de vastes forêts et des prairies immenses.
La marée de la Saint-Julien en 1164, et celle de Toussaint en 1170, engloutirent une grande partie des côtes de la Hollande et de la Frise, et Marken fut à jamais séparée du continent.
Les historiens modernes ne s'accordent pas cependant sur la date de cet événement. Les paroles suivantes: « La moitié de l'île de Marken est donnée, etc., » qu'on trouve dans l'acte de dotation de 1232, confirme l'hypothèse qui le place en 1170. Dans la Frise, le dommage causé par cette terrible marée fut tel que beaucoup de propriétaires, au lieu de réparer les digues, préférèrent abanbonner leurs terres aux monastères de Ledlum et de Ludigagerk .
Ce ut pour la même raison sans doute qu'en 1252 quelques pieux Hollandais firent don de la moitié de l'île de Marken aux moines de Mariengaarde. Trois ans plus tard, Sybrandus, troisième supérieur de cet ordre, acheta l'autre moitié des chevaliers Nicolas et Jean Persyn. Ce abbé fit immédiatement achever l'église, et envoya des moines pour améliorer la culture de l'île. Ces hommes industrieux réussirent, par la construction de canaux et de fortes digues, à donner à cette terre d'alluvion une fertilité remarquable, et à en faire une source de revenus considérables pour leur ordre, qui y fonda un nouveau monastère nommé Marienkof.
Mais ces moines ne devaient pas tarder à perdre ce qu'ils avaient conquis par leur travail sur les flots du Zuyderzée. Marguerite, femme de l'empereur Louis et sœur de Florent IV, les dépouilla violemment de ce sol qu'ils avaient fécondé. Par des actes que l'on voit encore à La Haye, et qui furent signés le 23 juillet 1346, elle en vendit une moitié à des habitants de l'île et l'autre moitié à des bourgeois d'Amsterdam. Marguerite et sa sœur avaient préalablement fait mettre le feu au monastère et jeter à l'eau tous les moines pour venger la mort de leur père et mari le comte de Hollande, Guillaume IV. Le 13 novembre de la même année, Guillaume de Bavière, en sa qualité de futur gouverneur et de comte de Hollande et de Zélande, ratifiait la vente faite par sa mère, promettait aux acheteurs de les protéger, et leur donnait des lois propres à augmenter leur bien-être et leur prospérité.
En 1420, les habitants de Kampen, profitant de l'absence des Markois qui étaient à la pêche de la baleine, envahirent l'île, ravagèrent [448] les terres, pillèrent et incendièrent les maisons. Les femmes de Marken donnèrent dans cette circonstance un éclatant exemple de courage et de patriotisme. Elles s'armèrent, se réunirent, attaquèrent les envahisseurs, en tuèrent un certain nombre, firent quelques prisonniers et chassèrent les autres après les avoir forcés à rendre ce qu'ils avaient volé. Plus tard, les Frisons de l'ouest vinrent encore troubler les habitants de Marken dans la paisible jouissance de leurs terres. Ceux-ci se voyant ainsi inquiétés et exposés chaque jour à perdre, avec la vie, les fruits de leur travail, renoncèrent à l'agriculture pour se vouer à la pêche. L'avenir qui semblait alors, dans les Pays-Bas, réservé à la pêche de la baleine, poussait vers cette carrière les hommes qui joignaient une constitution robuste à un courage éprouvé. En même temps, la quantité de terre arable diminuait, par suite de l'infiltration dans le sol de l'eau des canaux, ainsi que par les inondations de la mer contre lesquelles les digues n'étaient pas des obstacles suffisants.
Les Markois, devenus pêcheurs, n'occupèrent d'abord que des postes secondaires à bord des navires qui faisaient la pêche de la baleine dans le Groenland et le détroit de Davis; car il ne suffisait pas d'être robuste et honnête, il fallait certaines connaissances spéciales qui leur étaient étrangères. Ils les acquirent peu à peu, et on cite sept habitants de Marken qui devinrent capitaines de baleiniers. Vers la même époque, on établit dans l'île des ateliers pour la préparation de l'huile de baleine.
La mer continuait à enlever le sol partie par partie, et les gains de la pêche compensaient les pertes de l'agriculture. Le nombre des cultivateurs diminuant à mesure que celui des pêcheurs augmentait, il en résulta un changement complet dans le caractère et les habitudes des Markois.
Enfin, les marins de l'île s'aperçurent que, sans aller dans les régions où se trouve la baleine, ils pourraient trouver des moyens d'existence dans la pêche côtière et dans le cabotage et se créer une source de profits, sans exposer autant leur vie et leur fortune. Ils apprirent à connaître et à employer de nouveaux engins. Au xve siècle, plus de 90 Markois commandaient des Botters pour la pêche du hareng dans la mer du Nord. II n'y en avait plus que 38 en 1793, et il n'y en a aujourd'hui que 12. À mesure que décroissait cette pêche, la pêche dans le Zuyderzée augmentait d'importance. Elle ne comptait que 16 barques en 1790; elle en compte aujourd'hui 120.
Cependant, la culture était négligée; les terres perdirent tellement de leur valeur que les propriétaires les abandonnèrent plutôt [449] que de payer les contributions, qui étaient cependant fort modiques. Les circonstances politiques qui, au début de ce siècle, entravèrent la pêche du hareng, ramenèrent quelques bras à l'agriculture. Tous les Markois qui avaient quelque argent achetèrent de la terre pour y faire du foin ou pour y faire paître des brebis: c'est ainsi que chaque famille possède encore aujourd'hui un petit champ.
Les Markois n'ont pas oublié dans leur nouveau métier leur goût pour l'agriculture. La fenaison est pour eux une véritable fête à laquelle tout le monde assiste, même les femmes les plus âgées.
Par malheur pour les Marbois, ils sont toujours exposés aux irruptions de la mer, dont les digues sont impuissantes à les garantir. En 1665, une marée très-forte, poussée par un vent furieux, détruisit un grand nombre de maisons et entraîna de vastes portions de terrain. En 1700, quatre quartiers furent emportés; en 1756, une violente tempête inonda l'île: les prairies furent entièrement submergées, et les maisons bâties sur des tertres semblaient nager en pleine mer. En 1775, 1776, 1791, des marées très-fortes forcèrent encore les habitants de certains quartiers de quitter leurs maisons. Les digues furent quelque peu réparées et améliorées, mais en 1825, dans la nuit du 4 au 5 février, une tempête affreuse venant du sud-ouest fit monter l'eau à la hauteur de 3 mètres au-dessus du niveau de comparaison d'Amsterdam; les vagues furieuses passaient au-dessus des maisons. Sur 190 habitations que l'île contenait alors, 50 s'écroulèrent et 20 furent emportées par les flots; 300 personnes perdirent tout leur avoir et se trouvèrent réduites à la plus alreuse misère; la digue fut détruite entièrement.
Le feu a fait aussi, à diverses époques, de grands ravages à Marken. En 1667, out un quartier fut réduit en cendres; en 1706, 1731, 1810 et 1819, de terribles incendies ravagèrent plusieurs parties de l'île.
Sans se décourager après de pareils malheurs, les Markois travaillaient à en effacer les traces et semblaient puiser de nouvelles forces dans l'adversité. Accablés par tant de maux, ils refusaient toujours les secours de la charité privée, mais ils faisaient appel au gouvernement pour qu'il les aidât à réparer leurs digues. En 1756, ils furent dispensés pendant plusieurs années de certaines contributions et reçurent une subvention de 48,000f.
Aujourd'hui, grâce à leur énergie et à leurs habitudes d'épargne, les Markois ont atteint un degré de prospérité qui leur était inconnu depuis longtemps.
(D) Sur le développement intellectuel et moral de la population de Marken
[450] Les Markois sont généralement, sous le rapport du développement intellectuel, supérieurs au reste des pêcheurs des Pays-Bas et même à la plupart des habitants des villes.
Sur 200 enfants en âge d'aller à l'école, 180 environ la suivent régulièrement; ainsi, les 13 centièmes de la population de l'île reçoivent l'instruction primaire de 5 à 14 ans. Cette proportion n'était en 1850 que de 12 p. 100: il y a donc eu en une dizaine d'années accroissement de 6 p. 100.
Conformément aux prescriptions de la loi du 13 août 1857, l'enseignement de l'école comprend la lecture, l'écriture, la grammaire, le chant, la géographie, l'histoire nationale et l'histoire sainte, l'arithmétique. la géométrie et le dessin linéaire, la physique. Les enfants montrent en général une grande assiduité; on remarque chez eux un goût prononcé pour la géographie et pour l'histoire de leur pays. Leur profession, étroitement liée à la connaissance des lieux, explique le premier de ces penchants; quant au second, il a probablement sa cause dans l'esprit de patriotisme des Markois. Les classes, au nombre de 10 par semaine, ont lieu de 9 heures à midi, et de 2 à 4 heures. En outre, de 5 à 7 heures, il y a une classe du soir pour les adultes. On y enseigne le français, l'allemand, les mathématiques et l'art de la navigation. Elle est fréquentée en été par 40 à 50 élèves, et en hiver par 80 à 90.
L'instituteur est logé aux frais de la commune et en reçoit 1,600f d'honoraires; il a, de plus, le produit de la classe du soir. l a deux assistants rétribués également par la commune.
Une famille paye annuellement pour l'instruction primaire, y compris les fournitures de papier et autres accessoires, 5f, 8f, 12f ou 15f, suivant qu'elle envoie à l'école 1, 2, 3 ou 4 enfants et au-dessus. Les familles peu aisées peuvent faire instruire gratuitement leurs enfants.
Le total des revenus de l'école s'élève par an à 700f et celui des dépenses à 3,000f il reste donc, à la charge de la commune, une somme de 2.300f. En 1840, l'instruction primaire reçut une vive impulsion du zèle d'un jeune maître: parmi les élèves, ayant l'âge de 14 ans en 1856, 3 sont devenus instituteurs et autres assistants.
On ne compte à Marken que 9 personnes au-dessus de 14 ans [451] qui ne sachent pas lire, écrire et calculer, et la plupart d'entre elles sont âgées de 70 ans. Les Markois excellent dans l'écriture, à laquelle ils s'appliquent beaucoup; ils se conservent la main en tenant eux-mêmes leurs livres d'affaires. La femme, de son côté, tient tous les comptes relatifs aux dépenses du ménage.
Depuis un assez grand nombre d'années, les hommes mariés de l'île ont fondé une société pour la civilisation et l'amusement mutuels: on se réunit le soir de 6 à 9 heures; on s'exerce à la déclamation en récitant les productions des meilleurs auteurs hollandais; on chante en chœur des morceaux sérieux sur des sujets historiques. Les Markois sont très-portés vers la poésie; ce penchant résulte sans doute de la nature et des conditions de leur existence.
Cette société compte une vingtaine de membres qui payent une légère rétribution par semaine. Chaque membre se procure, à son propre compte, des ouvrages peu coûteux qu'il met à la disposition de la société. On a acheté à frais communs des livres d'une plus grande valeur, tels que: les Femmes de la Bible, édition de luxe, et la Case de l'oncle Tom.
Il existe pour les jeunes gens une société du même genre, ou l'on s'exerce au chant et à la déclamation.
Dans plusieurs familles on lit les meilleurs ouvrages de la presse périodique, en choisissant toujours ceux qui traitent des sujets sérieux et édifiants. Certains pêcheurs apprennent même les principes de la physique et de l'astronomie. D'autres souscrivent à des ouvrages de poésie ou d'histoire en cours de publication. Les Markois préfèrent deux livres à tous les autres: ce sont la Bible et les œuvres de Jacob Cats; c'est là qu'ils puisent leur philosophie; ils jurent par ces livres, dont les préceptes sont toujours présents à leur esprit. Quand ils veulent donner du poids à leur parole: « C'est ainsi, » s'écrient-ils, « que le Seigneur veut; c'est ainsi que le père Cats a dit. »
On retrouve dans toute la vie sociale des Markois les fruits de leur éducation. La piété, la bonne foi, les vertus domestiques, la réserve et la modération, l'activité au travail et l'économie, l'esprit d'indépendance et la confiance en soi -même, sont pour eux le résultat des leçons de la jeunesse et des exemples de tous les jours.
Le Markois parle peu, mais à propos; il a une manière saine de raisonner; il dit son opinion franchement et sans détour. Dans les rues, son aspect est un peu rude difléant en cela des paysans ordinaires, il ne salue pas un bourgeois qu'il rencontre et qu'il ne regarde pas comme son supérieur parce qu'il est mieux mis que [452] lui. Sous son toit, au contraire, le Markois reçoit avec une cordiale bienveillance ceux qui savent s'attirer ses sympathies.
(E) Sur les récréations et les fêtes publiques ou privées des Markois.
Les aptitudes de l'homme se révèlent dès l'enfance et se ressentent du milieu dans lequel il vit. Ainsi, le petit Markois s'amuse à faire de petits bateaux avec de vieux sabots, en y attachant un chiffon qui tient lieu de voile; et son plus grand plaisir est de le faire voguer sur l'eau du fossé ou du ruisseau voisin. Il écoute attentivement ce qu'il entend dire sur la navigation et étudie avec plaisir tout ce qui s'y rapporte. Son plus vif désir est de mettre en pratique les notions ainsi acquises, et on le voit, dès l'âge de 12 ou 14 ans, aider son père et hisser les voiles aussi adroitement qu'un matelot expérimenté.
Devenu jeune homme, ses distractions favorites sont les réunions sur la glace. Le patinage est presque une fête nationale chez les Hollandais. Tout le monde y assiste; les jeunes gens des deux sexes s'y donnent rendez-vous; et, lorsque l'âge et la raison lui permettent de songer au mariage, le jeune Markois profite de cette occasion pour faire ses premiers aveu.
De pareils engagements se font aussi le jour de l'an et le lendemain des êtes religieuses de Noël et de Pâques. Le jeune pêcheur invite la jeune fille de son choix à célébrer la fête sur sa barque ou sur celle de son père, en compagnie de leurs amis. La soirée et une partie de la nuit se passent à prendre quelques rafraîchissements, à jouer aux dés et a d'autres jeux. Après cette entrevue, le jeune homme et ses amis reconduisent la jeune fille chez son père; à la porte, elle reçoit de lui le baiser d'adieu et la promesse de demander sous peu le consentement de ses parents, qui ne s opposent jamais à l'union que leur enfant désire.
La soirée du samedi est ordinairement consacrée aux récréations de famille, probablement à cause de la rentrée des pêcheurs. Le jeune homme en profite pour avoir avec sa fiancée de nouvelles entrevues sur la barque. À une heure avancée de la nuit, les amis les quittent et les laissent seuls. Tout le monde connaît, trop souvent par expérience, les dangers d'un pareil usage, qui donne lieu à bien des mariages forcés.
La première cérémonie du mariage a toujours lieu un samedi.
[453] Les fiancés se rendent, vers trois heures de l'après-midi, avec les parents et les invités, chez le magistrat, pour se faire inscrire sur les registres de l'état civil. Le cortège, précédé de l'agent de police communal, est salué des acclamations de la foule qui se presse sur son passage. C'est ce jour-là que les fiancés portent le costume expressément réservé pour cette cérémonie (§ 10.)
Au retour, le jeune couple reçoit les félicitations des invités; il se dépouille ensuite du vêtement traditionnel; on consomme de l'eau-de-vie, du sucre et des raisins secs; et les vieilles chansons populaires, ainsi que les danses, se prolongent jusqu'à cinq heures. Alors on sert le thé et, a huit heures, le café avec du pain de froment, du beurre, du fromage et du bœuf fumé. Vers minuit on se Sépare, et le jeune homme reste avec sa fiancée pour l'aider à couper des tranches de pain qui, avec du beurre et du lait, servent à faire le sop, gâteau pour le lendemain.
Le dimanche matin, en effet, de 9 à 10 heures, la fiancée invite ses parents et ceux de son futur. Vers 4 heures de l'après-midi, après le service divin, on se met à table, la prière se fait en commun et on mange d'abord des pois gris et des raisins secs assaisonnés de beurre, ensuite le plat national, le sop, que l'on mange avec du beurre et du sucre. Le repas se termine avec du pain, du biscuit, du fromage, du bœuf fumé et du jambon. Pour boisson on sert du vin, et les moins aisés se contentent de bière.
Après ce repas, les hommes allument leur pipe et, accompagnés des femmes, font trois fois en procession le tour du quartier où a lieu la noce. Le fiancé est en tête, portant une longue pipe ornée de fleurs et de rubans bleus, rouges et verts; derrière lui vient la fiancée, ensuite la plus jeune fille invitée et enfin les parents du jeune couple. En rentrant de cette promenade, les convives prennent une tasse de thé, les hommes fument et, vers 6 ou 7 heures du soir, chacun rentre chez soi.
Le dimanche suivant, le fiancé fait une pareille invitation che lui, et cette journée se passe comme celle du dimanche précédent.
Enfin, le troisième dimanche est le jour du mariage. À midi, les fiancés se rendent à la maison communale, précédés de l'agent de police et suivis des parents et des témoins. C'est après l'accomplissement des formalités civiles que les époux se rendent à l'église, au service divin de l'après-midi, pour contracter le mariage religieux. La cérémonie terminée, la fête se continue comme les deux autres dimanches.
En général, les parents du jeune homme lui donnent la moitié d'un Botter, ainsi que les engins de pêche nécessaires, à la charge [454] par lui de payer l'autre moitié avec ses économies. La jeune fille apporte en dot la garniture d'un lit et sa garde-robe. Ses parents lui font cadeau d'une maison. Si leur fortune ne leur permet pas d'en faire l'acquisition, ce sont les parents du jeune homme qui s'en chargent, ou bien, si leurs moyens ne suffisent pas, les deux familles y contribuent ensemble. Ce n'est que dans le cas où il y a pour eux impossibilité absolue d'acheter à leurs enfants une maison particulière, que les parents du jeune homme ou de la jeune fille prennent chez eux les nouveaux mariés et leur donnent une chambre ayant une porte de sortie spéciale.
Les commencements de la grossesse sont aussi pour la jeune épouse l'objet des félicitations de ses amis et de ses voisins; mais la cérémonie du baptême ne donne lieu à aucune fête de famille. Les plus proches parents seulement se réunissent dans la maison du nouveau-né et y passent la soirée en prenant une tasse de thé.
Les jours de fête et de joie de la famille ne sont pas les seuls pour lesquels les Markois se donnent mutuellement des preuves d'intérêt. Dès que la mort vient frapper une de leurs connaissances, ils s'empressent de rendre les derniers devoirs au défunt (§ 3). Une demi-heure avant l'enterrement, les invités se réunissent dans la maison mortuaire, auprès des parents qui sont assis et courbés autour du cercueil. Quand le cortège funèbre se met en marche, il s'accroît en chemin d'une grande parie de la population qui, vêtue d'habits de deuil, accompagne le défunt jusqu'à sa dernière demeure.
Parmi les fêtes et cérémonies en usage dans l'île de Marken, on peut considérer comme une des plus importantes la fête nationale du lundi de Pâques, dont l'origine remonte au xive siècle, et qui consiste en une promenade des jeunes gens autour de l'île, en commémoration de l'invasion des habitants de la Gueldre.
Le retour des Botters, après la pêche du hareng, donne lieu, en octobre ou novembre, à une fête qui se célèbre par quelques repas pris en famille. l en est de même à la in de la fenaison et à l'époque où on tue le bétail.
La Saint-Nicolas est aussi une fête de famille. La femme fait pour ce jour-là une omelette aux raisins de Corinthe. Des friandises sont préparées, mais elles appartiennent à celui qui les gagne au jeu de dés. C'est encore le jour o les petits enfants reçoivent leurs cadeaux: aussi n'oublient -ils pas de porter leur sabot ou leur soulier chez leur grand-père ou chez leur parrain.
Les Markois manquent rarement de se rendre aux courses de bateaux à voiles d'Amsterdam et de Rotterdam, où les premiers prix sont souvent remportés par eux.
[455] Ils ont une foire dans l'île et vont régulièrement avec leurs familles à celles de Monnickendam et d'Amsterdam. Leur plaisir consiste à se promener, à pénétrer dans l'intérieur de quelque théâtre ambulant ou à regarder la parade devant la porte. Le plus souvent ils jouent aux dés, non pas de l'argent comme chez eux, mais du gâteau dont on fait ample provision, au point d'en avoir quelquefois pour toute une année. Le Markois n'attache aucune importance au gâteau qu'il achète, mais seulement à celui qu'il gagne. Dans ces occasions, il n'abuse jamais des liqueurs alcooliques. Tout, dans ces plaisirs, est tranquille, grave, presque sérieux, et la plus grande gaieté ne donne jamais lieu à aucune discussion.
Comme on le voit, dans toutes ses récréations, dans toutes ses fêtes, le Markois manifeste la plus grande prédilection pour le jeu et surtout pour le jeu de dés: il aime aussi à prendre des billets de toutes les loteries. Cette passion, qui était aussi celle des anciens Frisons, n'a rien de bien surprenant chez des gens qui, par leur profession comme par leur position sur une île exposée à bien des dangers, se fient, en beaucoup de circonstances, aux chances de la fortune.
(F) Sur l'état sanitaire de la population de Marken.
Les Markois sont doués d'une constitution robuste, et l'état de leur santé est généralement satisfaisant. Cependant des épidémies naissent ou se propagent quelquefois au sein de cette population et y font de grands ravages.
Les maladies cutanées aiguës, telles que la rougeole, la petite vérole, la scarlatine, sont celles qui sévissent le plus souvent. En 1858, la petite vérole causa une moralité considérable due en partie aux scrupules religieux, qui empêchaient beaucoup de parents de faire vacciner leurs enfants. L'exiguïté des maisons, exposées à l'influence du vent de tous côtés, contribue, ainsi que certaines préventions contre les notions modernes d'hygiène, à la rapide propagation de ces maladies.
Le typhus et les fièvres intermittentes enlèvent aussi bien des victimes. Il n'en faut pas chercher bien loin la cause: l'île se couvre, par les fréquents débordements des canaux, d'une couche d'argile grasse et d'eau limoneuse qui séjourne sur le sol; en outre, au moment de la fenaison, c'est-à-dire à l'époque des plus fortes [456] chaleurs, la plupart des petits canaux sont à sec et remplis de vase; pour les rendre propres au transport des foins au canal principal, on les nettoie, en rejetant sur les côtés des talus de boue que viennent frapper les brûlants rayons du soleil. Sous leur action, il se dégage des miasmes fétides, d'autant plus délétères que l'atmosphère est plus calme. Ainsi, en 1846, les vents d'automne ne soufflèrent pas et les cas de typhus furent nombreux; en 1847, au contraire, grâce à des vents impétueux, l'île fut préservée du typhus qui sévissait sur le continent.
En ce moment (avril 1862), règne une angine dyphthéritique qui emporte les deux tiers des malades. Les affections rhumatismales sont assez fréquentes, et ce fait s'explique aisément par la nature du sol et l'industrie des habitants.
Les maladies d'estomac ne sont pas rares; les hernies sont nombreuses chez les hommes, mais il en résulte rarement des inconvénients graves; beaucoup de vieillards sont atteints de la gravelle. Les enfants résistent, en général, aux maladies scrofuleuses et scorbutiques dont ils sont souvent attaqués.
Les accouchements sont généralement heureux et se pratiquent d'une façon assez inusitée. L'accouchée reste des heures et même des jours entiers sur le plancher ou sur la terre dont elle n'est séparée que par un mince matelas; les lits sont trop hauts pour qu'on puisse s'en servir en cette occasion. On n'emploie pas pour gardes, comme on le fait d'ordinaire sur le continent, des femmes mariées ou d'un certain âge, mais bien des jeunes filles de dix-sept à vingt-quatre ans, qu'on initie de la sorte aux devoirs de la ma
(G) Sur quelques faits de statistique relatifs a la population de Marken.
Les Markois ne sont pas seulement d'un tempérament vigoureux; ils sont remarquables encore par une taille élevée qui les fait appeler génts dans le pays.
Les chiffres suivants, représentant une moyenne prise sur un assez grand nombre d'individus, mettent en évidence non -seulement la taille élevée acquise à l'age adulte, mais encore la permanence de l'accroissement qui se continue encore à un âge relativement avancé.
[457] Voici les résultats de mesures prises sur 300 individus des deux sexes:

La taille moyenne de près de 300 conscrits de la milice nationale, âgés de 19 ans, est de 1 667. L'influence de la profession sur le développement physique de la race résulte du tableau suivant, qui donne la taille des enfants de Marken, et celle des enfants du même âge, nés et élevés dans la ville manufacturière d'Hilversum (Hollande septentrionale), dont l'industrie principale est la fabrication des tapis.

Les différences, comme on le voit, sont assez considérables, surtout à l'âge où les enfants de Marken vivent en plein air, souvent en mer, tandis que ceux de la ville manufacturière sont enfermés toute la journée dans des ateliers, où ils travaillent le dos courbé.
Le mouvement de la population de Marken offre quelques particularités [458] assez intéressantes. Les statistiques donnent pour différentes époques les nombres suivants:

La diminution qu'on remarque en 1793 provient d'une petite vérole qui sévit dans l'île avec intensité. Celle relative à l'année 1810, qui fit descendre la population au-dessous de ce qu'elle était à des époques reculées, peut être attribuée à plusieurs causes: l'émigration d'un certain nombre de familles; l'incorporation dans l'armée gallo-batave de beaucoup d'hommes valides qui ne revinrent plus; enfin de nouvelles atteintes de la petite vérole et les terribles ravages du typhus. Depuis cette époque, un accroissement progressif s'est continué jusqu'à nos jours, comme on le voit par le tableau ci-dessous:

Il résulte des nombres ci-dessus que la première dizaine d'années a été la moins favorable, et la dernière la plus favorable à la population.
Le nombre total des naissances surpasse de 528 celui des décès: la population a donc doublé en cinquante ans.
Voici maintenant un tableau des décès par age, durant la période décennale comprise entre 1852 et 1861;

(H) Sur l'administration de la commune de Marken.
[459] Les deux quartiers de l'île de Marken (§ 1) forment une seule commune, administrée par six officiers municipaux: un aire, deux adjoints et quatre conseillers. Aucun de ces magistrats ne remplit d'autre fonction publique. Le maire et les adjoints sont nommés par le roi, les conseillers par les électeurs de la commune. Leurs mandats durent six années, et ils peuvent, après ce temps, être appelés de nouveau aux mêmes dignités. Le maire reçoit des honoraires, les adjoints une indemnité; quant aux conseillers, ils n'ont aucune rétribution.
Les officiers municipaux se réunissent en conseil, à des époques qui ne sont pas déterminées et qui varient selon l'urgence et la multiplicité des affaires de la commune. La compétence de ces assemblées est fixée par la loi communale; leurs séances sont annoncées d'avance et ouvertes au public.
Les différents impôts levés sur les habitants de Marken sont les suivants:
1o Taxe de répartition pour l'entretien de l'église;
2o Impôts indirects sur les combustibles, sur le vin et les distilleries, sur le pain importé dans l'île;
3o Contribution personnelle;
4o Contribution foncière;
5o Impôt sur les chiens.
L'assiette de ces impôts est faite en partie par la municipalité, en partie par le gouvernement. La portion destinée à subvenir aux besoins locaux est fixée, sous l'approbation de l'État, par le conseil assisté de deux répartiteurs jurés.
La police municipale est encore une des fonctions des officiers de la commune. Si un crime est commis, le maire met l'inculpé sous arrêt provisoire, et le fait ensuite transporter au chef-lieu cantonal, après avoir porté plainte au magistrat compétent, qui met l'affaire entre les mains du procureur du roi.
Le service du culte est ait par un ministre, assisté de quatre anciens et de deux diacres, qui forment, à eux six, le consistoire. Le ministre est nomme par cette assemblée, sans approbation du souverain: il est logé aux rais de l'État e en reçoit par an 2.40 fr. (1,000 florins) d'honoraires. L'église est entretenue à l'aide d'une taxe de répartition, dont l'emploi est confié aux soins d'un collège d'administrateurs, nommé par les habitants. Les diacres sont chargés [460] d'administrer les fonds des pauvres, formés par les dons de la charité privée, ainsi que par les intérêts de rentes sur l'État, appartenant au bureau des pauvres et au bureau de bienfaisance, et par les revenus de terres possédées également par ces bureaux et louées à des particuliers.
Notes
1. Hareng frais du Zuyderée.
2. Une ancre contient de 3,000 à 4,000 poissons.
3. Grande barque qui croise en mer pour acheter le poisson de différents pêcheurs.