No 36.

TISSERAND DES VOSGES

(HAUT-RHIN — FRANCE)

(Ouvrier tâcheron dans le système ds engagements momentanés)

D'APRES LES

RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN MAI 1862

PAR

M. L. GOGUEL

pasteur de l'église réformée.



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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.

I. Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

§ 1ᵉʳ. — État du sol, de l'industrie et de la population.

[363] La famille qui fait l'objet de cette monographie habite la ville de Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin). La commune de Sainte-Marie renferme 12,332 habitants; elle se compose de la ville du même nom, peuplée de 7,920 âmes, des villages d'Echery, Fertraupt, Saint-Blaise et de nombreuses fermes isolées. Les montagnes qui environnent la ville sont très-élevées; elles atteignent, près d'Echery, une hauteur de 1,250 mètres. Elles sont coupées par des vallées nombreuses, étroites et escarpées, et leurs pentes ne sont [364] interrompues, de la base au sommet, par aucun plateau. Les roches compactes dont le sous-sol est formé s'opposent à l'infiltration des eaux; celles-ci s'écoulent à travers une terre végétale de 0m50 à 1m50 d'épaisseur; elles entretiennent une fraîcheur constante sur les flancs de ces montagnes et fournissent une source jaillissante à chaque ferme du pays.

La ville de Saine-Marie s'étend sur une longueur d'environ 3 kilomètres; elle sera reliée avec Schelestadt et la plaine d'Alsace par un chemin de fer de 22 kilomètres, actuellement en construction. L'aspect général des maisons, dont quelques-unes sont très-vastes et qui sont généralement bien entretenues, indique un centre de population industrielle où règne l'aisance. Les marchés sont abondamment pourvus; mais les vivres, apportés de loin, sont plus chers que dans la plaine d'Alsace.

La principale industrie de Sainte-Marie est la fabrication des tissus de couleur, qui fait vivre une population d'environ 40,000 âmes, dans les arrondissements de Colmar, Schelestadt et Saint-Dié (A). Au commencement du xvie siècle, l'industrie des mines, déjà fort ancienne, occupait plus de trois mille ouvriers. Il y avait trente cinq galeries d'où l'on tirait des minerais d'argent, de plomb, de cobalt et d'arsenic. Ces exploitations, tantôt florissantes, tantôt peu productives, cessèrent en 1832. La draperie compta de nombreux métiers à Sainte-Marie: mais lors de l'introduction des moyens mécaniques, le capital trop faible des drapiers ne leur permit pas de renouveler leur matériel, et ils abandonnèrent cette fabrication. La bonneterie eut le même sort.

Outre les industries se rattachant à la fabrication des tissus de couleur, Sainte-Marie possède encore deux filatures de coton ayant ensemble 25,000 broches et quatre ateliers de tissage mécanique renfermant environ 800 métiers.

Sainte-Marie offre un remarquable mélange de cultes, de langues, de nationalités. Un ruisseau séparait jadis, au milieu même de la ville, l'Alsace de la Lorraine, l'Allemand du Français, le régime de la tolérance religieuse du système créé par la révocation de l'édit de Nantes. Les nuances que l'on aperçoit encore entre les déférentes parties de la population n'empêchent pas de constater une grande uniformité d'habitudes, de préoccupations et de jugements au sein même des classes ouvrières.

§ 2. — État civil de la famille.

[365] La famille comprend les deux époux et cinq enfants, savoir:

1. Constant M***, chef de famille, né à Sainte-Marie-aux-Mines............ 44 ans.

2. Madeline H***, sa femme, née à R***... (Bas-Rhin)............ 48 [ans].

— Joséphine M***, leur fille aînée, née à Sainte-Marie............ 20 [ans].

3. Consant M***, leur fils aîné, né à Sainte-Marie............ 19 [ans].

4. Adolphe M***, leur deuxième fils, né à Sainte-Marie............ 17 [ans].

5. Adêle M***, leur deuxième fille, née à Sainte-Marie............ 10 [ans].

6. Emma M***, leur troisième fille, née à Sainte-Marie............ 6 [ans].

Cette fécondité, unie à de bonnes mœurs, a été une source de prospérité pour la famille (§ 12). La fille aînée est placée comme domestique dans une maison du pays. Elle pourvoit elle-même avec ses gages à ses dépenses de vêtement et de récréation, et elle place ses épargnes, sous le contrôle de son père, au comptoir d'escompte. Les salaires des deux fils concourent au bien-être de la communauté (§ 8).

Les deux époux ont eu deux autres enfants: une fille morte à l'âge de 11 ans et un garçon qui n'a vécu que 6 mois.

Un ouvrier, pauvre et invalide, âgé de 65 ans, est reçu dans la famille, qui le loge moyennant une faible rétribution hebdomadaire, il se nourrit lui-même. Il n'est parent d'aucun des époux, mais il a travaillé autrefois dans le même atelier que Constant M***. Aujourd'hui il gagne à bobiner 1f60 par semaine et reçoit 2f par mois du bureau de bienfaisance.

§ 3. — Religion et habitudes morales.

La famille professe le culte protestant réformé. Il y règne des habitudes religieuses et morales. Les pratiques du culte sont régulièrement suivies par les parents et par les filles; les fils, au contraire, se ressentent plus ou moins, à cet égard, des influences diverses qui les entourent.

Tous les enfants ont exactement fréquenté l'école jusqu'à l'age de quatorze ans révolus, époque de leur première communion, et possèdent une instruction primaire satisfaisante; ils ont également suivi, et les plus jeunes suivront de même, l'instruction religieuse donnée, trois fois par semaine, par le pasteur de la paroisse.

La vie purement industrielle, la vie de fabrique, dèveloppe à l'excès les tendances matérielles aux dépens des sentiments moraux. [366] Cédant à ces tendances, l'ouvrier de Sainte-Marie-aux-Mines a fréquemment recours au crédit pour les satisfaire, et la dette devient pour lui une source de souffrances, presque toujours une nouvelle cause de vices. Il aliène souvent son avenir au profit des jouissances du présent, en contractant la dette sous toutes ses formes: avances sur le travail fait ou sur celui qu'il espère entreprendre (C); dettes chez le boulanger, les fournisseurs et le cabaretier. Ce dernier défaut est très-fréquent parmi les tisserands de Sainte-Marie; ils s’entraînent mutuellement au cabaret ou à la brasserie, et s'y laissent aller facilement à l'abus de la boisson et à la passion du jeu.

La femme administre ordinairement le foyer domestique; elle dépense sans contrôle le salaire de son mari. Dans beaucoup de cas sa direction est providentielle pour le ménage en refrénant la faiblesse et les mauvais penchants de l'ouvrier; mais, par malheur, elle emploie souvent les ressources de la communauté à satisfaire sa vanité ou sa gourmandise, vices assez répandus parmi les ouvrières de Sainte-Marie. Elle devient alors impérieuse, égoïste, exigeante même à l'égard de son mari. De là naissent de fréquentes querelles dans le ménage. L'éducation des enfants souffre beaucoup de ces désordres; ils n'ont plus pour leurs parents le même respect et se laissent plus facilement entraîner par leurs passions et par les mauvais conseils. L'autorité paternelle est encore affaiblie par la délivrance de livrets personnels aux ouvriers encore mineurs (B).

Les ateliers les plus corrompus sont les ateliers de bobinage mécanique, entièrement composés de femmes, dont la vertu s'oublie vite au milieu de conversations légères et souvent obscènes. La corruption des ouvrières provient surtout de leur goût pour le luxe, de la fréquentation des salles de danse et aussi de la liberté d'esprit et de parole que leur laissent un travail peu astreignant et une surveillance mal établie.

Le concubinage, appelé par l'ouvrier vie à la parisienne, a diminué; il y a cependant encore beaucoup d'enfants naturels, souvent légitimés par un mariage postérieur. On peut considérer comme principales causes de ces naissances: la présence des soldats de la réserve ou en congé temporaire, les trop grands rapports des sexes dans les ateliers (D) et leur cohabitation dans des logements trop étroits. On voit assez fréquemment une famille entière entassée dans une seule pièce qui sert à la fois de cuisine et de chambre.

La famille qui fait l'objet de cette monographie possède l'esprit et les habitudes de la classe ouvrière: mais les tendances propres à cette dernière y sont contre-balancées par des sentiments moraux et religieux.

§ 4. — Hygiène et service de santé.

[367] Le chef de famille, bien constitué et de taille moyenne, supporte sans peine le travail fatigant d'un métier à tisser à la Jacquart. Sa santé est généralement bonne; membre d'une caisse de secours mutuels depuis 17 ans, il n'en a reçu qu'une subvention de 15f(E). La femme et les enfants ont été, pendant assez longtemps, souffrants ou malades. Actuellement, la santé de la famille ne laisse rien à désirer. La vie réglée qu'elle mène, la bonne nourriture qu'elle peut se donner, y contribuent sans aucun doute.

En cas de maladie, l'ouvrier, sa femme et les deux filles recevraient les secours des sociétés d'assurance mutuelle, auxquelles ils sont affiliés; quant aux deux fils, ils seraient soignés aux frais de la famille ou iraient à l'hôpital de l'église réformée (§ 7).

Certains logements humides, d'autres trop étroits pour le nombre des personnes qui les habitent, peuvent être considérés comme contraires à l'hygiène des ouvriers de Sainte-Marie. D'un autre côté, les boissons prises au cabaret occupent une place trop importante dans l'alimentation; celle-ci souffre souvent des grandes dépenses faites pour ces boissons et de la négligence de la mère de famille pour la préparation convenable des aliments; au lieu de choisir les plus nourrissants, elle prend ceux qui flattent le plus son goût; souvent aussi, pour s'éviter de la peine, elle choisit de préférence des aliments froids, tels que le fromage, le pain pris avec le vin et même avec de l'eau-de-vie.

L'auteur de la monographie pense cependant que la santé des classes ouvrières de Sainte-Marie s'est considérablement améliorée, sous l'influence d'une nourriture plus substantielle, de soins médicaux plus étendus, de logements plus salubres, de vêtements meilleurs, de soins plus grands donnés à l'enfance dans les salles d'asile, de la fréquentation des écoles par les enfants adonnés autrefois aux travaux de bobinage, qui se font actuellement en partie à la mécanique. Il y a aujourd'hui dans la classe ouvrière un excédant notable des naissances sur les décès.

§ 5. — Rang de la famille.

Constant M*** appartient depuis l'âge de quine ans à la classe des ouvriers tisserands. Il a toujours travaillé en atelier et est attaché depuis vingt-cinq années au même patron.

[368] Il occupe un rang honorable parmi ses camarades, et n'est point sans rapports avec des personnes d'une classe plus aisée. Un esprit religieux et des habitudes morales, l'union qui règne dans le ménage, l'absence de dettes, l'ordre et la régularité dans le travail, assurent à la famille une certaine considération.

II. Moyens d'existence de la famille

§ 6. — Propriétés

(Mobilier et vêtements non compris).

Immeubles............ 0f00

La famille ne possède aucune propriété immobilière.

Argent............ 100f00

Somme placée à la caisse d'épargnes à 3 1/2 p. 100.

Animaux domestiques............ 0f00

La famille n'en possède aucun.

Matériel spécial des travaux et des industries.... 59f75

1o Pour le façonnage du bois de chauffage. — 2 hachettes, 6f50; — 2 scies, 7f00; — 1 chevalet, 1f05; — 1 banc et 1 couteau à deux manches, 4f00. — Total, 18f55.

2o Pour le blanchissage du linge et des vêtements. — 2 baquets, 2f20; — 1 cuvier, 3f00; — 1 tonneau, 3f00; — 2 lavoirs et 1 cruche, 2f10; — 3 corbeilles, 3f70; — 1 sac, 2f00; — 3 fers à repasser, 24f00; — autres ustensiles, 1f20. — Total, 41f20.

Valeur totale des propriétés............ 159f75

§ 7. — Subventions.

L'ouvrier et sa famille ont droit à quelques subventions. Il faut citer, en premier lieu, l'instruction gratuite qui est donnée dans les écoles communales, et qui peut être évaluée à une somme annuelle [369] de 13f pour chacun des deux enfants; en second lieu, le droit d'admission à l'hôpital de l'église réformée, auquel la famille aurait recours pour ceux de ses membres qui ne font partie d'aucune société d'assurance mutuelle.

La famille n'a use de la faculté de ramasser du bois mort dans les forêts communales que lorsque les enfants étaient plus jeunes. Ne possédant pas d'animaux domestiques, elle n'a pu faire usage du droit d'envoyer les vaches et les chèvres sur les pâturages communaux, très-éloignés d'ailleurs de son habitation. Le droit d'affouage. qui était peu productif à Sainte-Marie, est supprimé depuis quelques années, et cette suppression a permis à la commune de vendre comme bois de construction les sapins qui étaient autrefois façonnés en bois de chauffage.

Les soins du médecin cantonal ne sont point réclamés par la famille. Elle a renoncé aux secours de la société des dames patronnesses, depuis que le gain a augmenté par le travail productif des enfants. Elle n'a pas davantage recours à d'autres subventions de charité qui existent dans le pays, telles que distributions du bureau de bienfaisance et aumônes du diaconat.

§ 8. — Travaux et industries.

Travaux de l'ouvrier. — Le chef de famille, très-bon ouvrier, tisse, au moyen du métier Jacquart, les étoffes dites nouveauté (A). Ce travail, pénible et difficile, est aussi très-productif. L'ouvrier fournit son éclairage, qui lui revient à 25f par année; son chef d'atelier le pourvoit du bobinage moyennant une retenue de 0f20 par jour, et il a encore à payer, pour l'usure du harnais, 0f05 par 7 mètres d'étoffe tissée. Il travaille aux pièces: déduction faite des dépenses qui précèdent, son salaire moyen peut être évalué à 2f50 par jour.

L'ouvrier se rend a l'atelier de 5 heures du matin à midi et de 1 heure à 7 heures du soir. Dans ses moments de loisir, il s'occupe à façonner le bois de chauffage de la famille.

Travaux de la femme. — Les travaux de ménage constituent l'occupation principale de la femme: ils comprennent l'achat et la préparation des aliments, les soins donnés aux enfants, les soins de propreté concernant l'habitation et le mobilier. Elle confectionne et entretient les vêtements de la famille, et elle blanchit le linge.

[370] Travaux des fils. — Les deux ils travaillent dans le même atelier que leur père et aux mêmes conditions. Leur salaire peut être évalué en moyenne à 1f50 par jour; leur père en dispose, mais il leur abandonne, sous forme de gratification, une petite somme proportionnée à la vitesse avec laquelle ils ont exécuté leur travail. Cette somme peut être évaluée à 0f70 par semaine; les fils l'emploient pour leurs récréations et pour l'achat de quelques vêtements.

Les deux plus jeunes filles vont à l'école; à leur retour, elles étudient, cousent ou tricotent.

Industries entreprises par la famille. — Le façonnage du bois de chauffage exécuté par l'ouvrier peut être considéré comme une industrie; mais la confection et l'entretien des vêtements, et le blanchissage du linge sont les industries les plus importantes de la famille.

La femme et les enfants ont longtemps bobiné du coton de chaîne; ils avaient alors cinq rouets à dévider, et chaque instant laissé libre par les soins du ménage, pour la mère, et pas l'école, pour les enfants, était employé au bobinage, qui augmentait les ressources de la famille d'environ 2f par semaine. Depuis quatre ans, cette petite industrie a été abandonnée, par suite de l'augmentation du salaire des deux fils.

III. Modes d'existence de la famille

§ 9. — Aliments et repas.

L'alimentation de l'ouvrier dépend généralement beaucoup de ses ressources, mais aussi du savoir-faire de sa femme et de son habileté à diriger le ménage. Les heures de repas se règlent sur les heures de travail de l'atelier. La nourriture de la famille M***, analogue à celle des autres familles de la même catégorie, se compose surtout de pain de seigle, de beurre, de lait de vache, de viande de bœuf ou de vache, de pommes de terre et de vin; elle est meilleure [371] que celle des ouvriers adonnés à un travail moins fatigant.

Dans le ménage M*** on fait par jour quatre repas:

1o À 8 heures du matin, le déjeuner, cuit à la maison, est porté à la fabrique pour le père et les deux fils. Il se compose invariablement de café au lait avec un petit pain blanc de 0f05.

2o À midi, le dîner, servi quand les ouvriers reviennent de l'atelier. Il se compose ordinairement d'une soupe grasse, d'un demi-kilogramme de bœuf bouilli et d'un plat de pommes de terre, de choux ou de carottes. Le père boit à chaque dîner un verre de vin vieux; les fils en consomment autant tous les deux

3o À 4 heures, le goûter. L'ouvrier se repose un instant, mange un morceau de pain et boit un verre de vin.

4o À 7 heures, le souper, qui se compose d'une soupe de pommes de terre, ou de pommes de terre cuites à l'eau et d'une salade.

§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.

La famille occupe entièrement depuis deux ans une petite maison située dans un faubourg de la ville; le prix de la location est de 100f par an, payable par trimestre. Elle avait demeuré pendant sept années dans une autre maison dont l'habitation ne lui revenait qu'à 80f, parce qu'elle en avait sous-loué trois logements.

Le logement actuel de la famille est à très-bon marché, si on tient compte du prix ordinaire des loyers. Il se compose, en effet, d'une grande chambre ayant 19 mètres carrés, éclairée par trois fenêtres; d'une chambre plus petite de 12 mètres carrés; d'une cuisine ayant aussi 12 mètres carrés, et de deux portions de grenier arrangées en chambres.

Meubles: achetés successivement............ 511f15

1o Lits. — 1 lit pour les époux: 1 bois de lit, 25f00; — 1 sommier élastique, 32f00; — 1 matelas de varech, 15f00; — 1 lit de plume servant de couverture, 59f00; 1 traversin, 12f00; — 1 oreiller, 4f00. — Total, 147f00.

1 lit pour les deux fils aînés: — 1 bois de lit, 15f00; — 1 paillasse, 7f00,; — 1 lit de plume pour couverture, 52f00; — 2 oreilles, 4f00. — Total, 78f00.

1 lit pour les deux filles cadettes: — 1 bois de lit, 16f00; — 1 paillasse, 7f00; — 1 lit de plume pour couverture, 45f00; — 1 oreiller, 2f00. — Total, 70f00.

[372] 2o Meubles des différentes chambres et de la cuisine: — 1 commode achetée d'occasion, 20f00; — 2 armoires, 27f00; — 1 armoire-buffet, 15f00; — 2 tables, 34f50; — 6 chaises, 24f00; — 1 étagère pour les livres, 0f40; — 2 miroirs, 6f00; — 1 horloge, 28f00; — 1 poêle de fonte, 16f00; — 5 rideaux de croisée, 5f10; — autres objets, 3f00. — Total, 179f00.

3o Livres et objets relatifs au culte domestique. — 1 bible, 5f00; — 2 livres de cantiques, 3f00; — 2 livres de prières, 3f65; — Méditations et prières de Gossner, 4f70; — Semons divers, 2f40; — Livres d'école à l'usage des enfants, 4f00; — autres livres, 3f90; — Tableaux, 10f50. — Total, 37f15.

Ustensiles: réduits au strict nécessaire............ 50f65

Pour la préparation et la consommation des aliments. — 3 marmites achetées d'occasion, 8f00; — 3 poêlons, 6f00; — 1 pot à graisse, 0f60; — 3 pots à beurre, 2f25; — 6 assiettes d'étain, 3f60; — 3 plats, 1f50; — 2 saladiers, 1f50; — 6 écuelles à café, 0f90; — 15 bouteilles, 3f75; — 8 verres, 1f20; — 2 cuillers à pot, 0f75; — 1 passoire, 1f50; — 12 cuillers, 1f50; — 12 fourchettes et 12 couteaux reçus en cadeau de noces, 6f00; — 2 moulins à café, 6f00; — 2 tables, 5f00; — petits ustensiles, 0f60. — Total, 50f65.

Linge de ménage............ 142f00

9 draps, 54f00; — 6 taies d'oreiller, 18f00; — 6 taies de lits de plume, 54f00; — 4 nappes, 10f00; — 6 serviettes, 6f00. — Total, 142f00.

Vêtements............ 580f00

Vêtements de l'ouvrier (170f70):

1o Vêtements du dimanche. — 1 paletot, 30f00; — 1 gilet, 8f00; — 1 pantalon de drap, 18f00; — 1 cravate, 2f00; — 1 chapeau, 12f00; — 1 paire de bottes, 20f00; — 1 paire de souliers, 8f00. — Total, 98f00.

2o Vêtements de travail. — 2 blouses, 6f00; — 2 gilets, 6f00; — 1 pantalon de drap, 12f00; — 2 pantalons d'été, 10f00; — 6 chemises, 15f00; — 2 caleçons, 4f00; — 6 mouchoirs de poche, 3f00; — 6 paires de bas, 9f00; — 2 cravates, 2f00; — 1 casquette, 3f00; — 1 paire de chaussons, 1f20; — 2 paires de sabots, 1f50. — Total, 72f70.

Vêtements de la femme (73f40):

1o Vêtements du dimanche. — 1 robe, 12f00; — 1 châle, 6f00; — 1 bonnet, 3f00; — 4 paire de souliers, 7f00. — Total, 28f00.

2o Vêtements de travail. — 2 robes, 10f00; — 1 mouchoir de cou, 3f00; — 2 jupons, 4f00; — 6 chemises, 12f00; — 6 mouchoirs de poche, 3f00; — 6 paires de bas, 9f00; — 2 bonnets, 2f00; — 1 paire de chaussons, 1f20; — 2 paires de sabots, 1f20. — Total, 45f40.

[373] Vêtements des deux fils (261f60):

1o Vêtements du dimanche. — 2 paletots, 60f00; — 2 gilets, 10f00; — 2 pantalons, 30f00; — 2 cravates, 2f00; — 2 chapeaux, 12f00; — 2 paires de souliers, 24f00. — Total, 138f00.

2o Vêtements de travail. — 4 blouses, 12f00; — 4 gilets, 12f00; — 4 pantalons, 30f00; — 12 chemises, 30f00; — 12 mouchoirs de poche, 6f00; — 12 paires de bas, 18f00; — 4 cravates, 2f00; — 2 casquettes, 6f00; — 2 paires de chaussons, 2f40; — 4 paires de sabots, 5f20. — Total, 123f60.

Vêtements de la deuxième et de la troisième fille (83f40):

1o Vêtements du dimanche. — 2 robes, 12f00; — 2 fichus, 2f00; — 2 bonnets, 2f00; — 2 paires de souliers, 12f00. — Total, 28f00.

2o Vêtements de travail. — 2 robes, 6f00; — 4 jupons, 12f00; — 10 chemises, 17f00; — 6 mouchoirs de poche, 1f80; — 10 paires de bas, 15f00; — 2 bonnets, 1f50; — 2 paires de chaussons, 0f50; — 4 paires de sabots, 1f60. — Total, 55f40.

Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 1292f90

§ 11. — Récréations.

Les récréations du chef de famille, de sa femme et de ses deux filles sont simples et peu coûteuses. Ils font, le dimanche, des visites, quelques promenades, et prennent rarement un léger rafraîchissement. Les deux fils aînés se joignent le plus souvent à quelques camarades de leur âge. La modicité de leurs ressources, et l'autorité que le père a conservée sur eux, les empêchent de faire de la dépense. M t ses fils ne fréquentent pas le cabaret, qui est presque la seule récréation et sans contredit la plus funeste de la classe ouvrière de Sainte-Marie; l'ouvrier seulement fait usage de tabac à priser.

IV. Histoire de la famille

§ 12. — Phases principales de l'existence.

[374] Constant M** est né à Sainte-Marie-aux-Mines et y a toujours résidé. Il avait un an lorsque son père mourut. Celui-ci était maçon; les faibles économies qu'il laissa furent bientôt épuisées, et sa mère se remaria à un tisserand. Constant entra en apprentissage dans un atelier à l'âge de 15 ans. Il tira à la conscription un numéro qu'il exempta, et se maria en 1841, à l'âge de 24 ans.

Sa femme, plus âgée que lui de quatre ans, est fille d'un petit cultivateur de la plaine. Elle avait servi comme domestique pendant plusieurs années. Orpheline dès son enfance, elle avait consacré une somme de 200f qu'elle avait recueillie de la succession de son père et les économies qu'elle avait réalisées étant au service, à l'entretien de sa vieille mère, dépourvue de toutes ressources.

Doué d'une bonne santé, l'ouvrier travailla avec ardeur. L'état souvent maladif de la mère et des enfants et la mort d'une fille de 10 ans furent à tous égards de dures épreuves. Mais lorsque les fils aînés commencèrent à gagner de l'argent, l'aisance arriva et avec elle l'épargne, qui pourra s'accroître régulièrement, si les enfants conservent la bonne direction qu'ils ont prise et si la famille reste unie.

§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.

L'ouvrier est, depuis dix-sept ans, membre d'une caisse de secours mutuels libre, connue sous le nom de Société des tisserands, dont les séances se tiennent chez un cabaretier de la ville. Il a droit, moyennant une cotisation mensuelle de 0f80, à une indemnité de 6f par semaine de maladie, ainsi qu'aux visites du médecin et aux médicaments. Le fonds de secours de la Société est encore alimenté par le produit d'une amende de 0f25 que paye tout sociétaire [375] qui néglige de se rendre à l’enterrement d'un confrère. L'ouvrier fait aussi partie d'une société dite Caisse supplémentaire, qui se tient chez le même cabaretier; il verse 0f30 par mois et il recevrait 4f par semaine en cas de maladie (E): indemnité supérieure, relativement à la cotisation, à celle que donnent ordinairement les sociétés de secours mutuels (F).

La femme et les deux plus jeunes filles sont membres de la Société mixte d'assurance et de charité. Moyennant une cotisation annuelle de 4f80 pour la mère, et de 1f50 pour chacun des deux enfants, cette société assure les visites du médecin, les médicaments gratuits et, si on le réclame, le droit de se faire soigner pendant deux mois dans un hôpital.

Le mobilier de la famille est assuré contre l'incendie, moyennant une prime annuelle de 2f60.

Constant M*** et sa femme ont des habitudes d'ordre et d'économie; mais leur faible capital et les petites épargnes qu'ils peuvent réaliser ne permettent pas de supposer qu'ils seront toujours à l'abri du besoin. Heureusement que l'industrie du tissage offre à l'ouvrier un travail productif, en rapport avec ses forces, presque jusqu'à la fin de sa vie. En outre, les fils aînés, soumis et élevés convenablement pour leur condition, suivront sans doute les bons exemples de leurs parents et. plus tard, pourront leur venir en

La famille n'a pas recours à l'assistance publique (§ 7); mais si le malheur venait à la frapper, les secours de la Société des dames patronesses, du bureau de bienfaisance et du diaconat ne lui feraient pas défaut.

§ 14. — Budget des recettes de l'année.

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§ 15. — Budget des dépenses de l'année.

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Comptes annexés aux budgets.

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Notes.

Faits importants d'organisation sociale; particularités remarquables; appréciations générales; conclusions.

Par M. L. Donnat, secrétaire de la Société d'économie sociale, d'après les documents fournis par M. le pasteur L. Goguel et les discussions de la Société.

(A) Sur l'organisation de la fabrique des tissus de couleur de Sainte-Marie-aux-Mines.

[385] L'industrie des tissus de couleur a successivement remplacé toutes les autres à Sainte-Marie-aux-Mines. Elle y fut établie en 1754 par J. G. Réber de Mulhouse, qui était venu chercher à Sainte-Marie la liberté du travail, chaque fabricant de Mulhouse étant alors oblige de limiter sa production à la quantité désignée par l’administration. Tout était alors à créer: filature, teinture et tissage. Grâce à l'intelligence de son fondateur et au concours d'habiles ouvriers venus du dehors, l'industrie de Réber prospéra, et d'autres fabricants vinrent s'établir dans la vallée. Les perfectionnements, réalisés par la filature mécanique et par la teinture, donnèrent un grand essor à la fabrique de Sain(e-Marie.

L'industrie des tissus de couleur est exercée actuellement par 30 maisons occupant environ 14,500 ouvriers tisseurs et 7,250 bobineuses. A cette industrie se rattachent: 9 commissionnaires en matières premières; 15 teintureries, dont 6 sont annexées à des fabriques; 5 établissements d'apprêt et de blanchissage; 6 fabricants de peignes et de harnais.

Les ouvriers de Sainte-Marie se répartissent dans les catégories suivantes, rangées dans l'ordre des phases successives du travail:

1o Les ouvriers teinturiers, travaillant tous en ville, au nombre de 190 environ. Ils gagnent de 10f à 12f par semaine; les heures de travail supplémentaire se payent à raison de 0f15 l'heure.

2o Les bobineuses de chaîne, qui comprennent les bobineuses à la machine, au nombre d'environ 350, gagnant de 6f à 8f par semaine ou 0f45 par kilogramme dévidé; et les bobineuses au rouet, dont le gain hebdomadaire ne peut dépasser 3f50.

3o Les ourdisseurs de chaîne, tous en ville, et au nombre de 185 environ. Ils font peu d'apprentis pour ne pas abaisser le salaire [386] par la concurrence. Ils gagnent de 16ᶥ à 20f par semaine. Ils occupent la première place, dans la classe ouvrière, par leur instruction, leur bonne conduite et leur goùt pour l'épargne.

4o Les bobineuses de trame.

5o Les tisserands échantillonneurs, qui sont payés par semaine de 14f à 10f, et dont le nombre varie selon la saison.

6o Les tisserands à façon, au nombre d'environ 14,500, habitant la ville, les villages et les fermes, jusqu'à une distance de 50 kilomètres de Sainte-Marie. On peut les diviser en trois catégories:

Les ouvriers tissant les étoles de mode ou la nouveauté. Leur gain ne descend guère au-dessous de 2f50 par jour et s'élève parfois jusqu'à 4f ou 5f. Un certain nombre emploient le métier Jacquard. Ils sont environ 3,000 et travaillent pour la plupart en atelier.

Les ouvriers tissant les étoffes ordinaires, formées le plus souvent de coton et de laine. On en compte 11,000 et leur salaire varie de 1f50 à 1f80 par jour.

Les ouvriers tissant les étoles grossières et communes. Ils sont environ 1,500 et gagnent en moyenne de 1f à 1f25 par jour. Ils souffrent de la concurrence qui résulte de la fabrication mécanique des tissus.

7o Les tricoteuses de harnais, qui gagnent un peu plus que les bobineuses au rouet, et qui sont au nombre de 1,000 environ.

8o Les contre-maîtres et les commis contre-maîtres, qui sont, dans chaque établissement, placés à la tète des diverses parties de la fabrication, et qui exercent une grande influence, tant sur la production que sur la condition morale des ouvriers. Leur traitement, y compris les gratifications, s'élève à 900f ou 1,000f par an.

La fabrication des tissus de couleur présente de grandes difficultés, tant à cause des détails techniques qu'elle comporte que par suite des modifications qu'elle reçoit tous les jours. Les oscillations commerciales et les frais de vente, qui s'élèvent en moyenne à 3 pour 100, diminuent encore les bénéfices de cette industrie. Le gain annuel du fabricant peut être évalué à peu près à pour 100 de la valeur des produits confectionnés, ou à 50f par ouvrier employé.

La valeur des tissus fabriqués à Sainte-Marie doit s'élever à 18 ou 20 millions de francs par an, et la somme des salaires payés de 1,500,000f à 5,500,000f.

(B) Sur les inconvénients que pressente la délivrance de livrets personnels aux ouvriers encore mineurs.

[387] Les résultats pratiques d'une loi ne dépendent pas seulement de l'intention du législateur, mais aussi de l'interprétation que lui donne l'opinion publique et de l'usage qui est fait de ses prescriptions. Ce principe se vérifie à propos de la loi qui accorde des livrets aux ouvriers encore mineurs, ayant terminé leur apprentissage. Ces livrets sont délivrés à ces derniers dans la même forme et de la même manière que ceux des ouvriers majeurs, auxquels ils ont été, par suite, complètement assimilés dans la pratique habituelle des centres industriels et dont ils ont eu toutes les prérogatives.

Pourvu de son livret, l'ouvrier mineur peut à volonté changer de maître, de fabrique ou de locaiité; quitter la maison paternelle et aller loger partout où le conduiront ses caprices, son désir d'indépendance ou ses mauvaises passions; s'endetter et trouver dans ses dettes un aliment à sa débauche.

Aux termes de l'article 6 de la loi du 22 mai 1841, le livret de l'enfant, âgé de moins de 16 ans, doit être délivré à son père; mais la délivrance, même à cet âge, est le signe extérieur d'une véritable émancipation, qui devance de cinq ans le terme ixé par le Code Napoléon. Généralement, l'enfant de 16 ans, nanti du livret personnel, traie d'égal à égal avec ses parents, et ne s'assied à leur table que moyennant une pension, dont il abaisse le prix autant que possible, afin de consacrer plus d'argent à ses plaisirs. À Sainte-Marie, on n'évalue pas à moins de 150f ou 200f la somme qu'un jeune ouvrier pourrait épargner annuellement, s'il ne se soustrayait pas à l'autorité paternelle pour s'adonner à la dissipation.

La délivrance de livrets aux ouvriers mineurs est une des causes les plus puissantes de l'affaiblissement des liens de famille et de la corruption des classes ouvrières. C'est ordinairement de seize à dix-huit ans que les ouvriers se perdent moralement. À cet âge, ils se laissent facilement entraîner au cabaret et se livrent Sans réserve à l'usage immodéré des liqueurs alcooliques.

Un retard apporté à la délivrance des livrets aux jeunes ouvriers donnerait une force matérielle incontestable à l'autorité des parents. L'enfant, n'ayant pas la jouissance de son salaire, ne pourrait céder aux entraînements auxquels il succombe, quand il en a la libre disposition. Ce serait une mesure morale qui imprimerait à l'opinion publique une impulsion salutaire, et il est opportun de ne [388] pas négliger d'inscrire une fois de plus dans notre législation la dépendance de l'enfant envers son père. L'espèce d'émancipation que le livret confère peut être considérée comme un droit par les jeunes ouvriers, alors même qu'ils n'en réclament pas l'usage; elle ne tarderait pas à être justement flétrie par l'opinion, le jour où la loi la condamnerait. Dans les prescriptions réglementaires, il faut rechercher les conséquences morales encore plus que les résultats matériels. On en trouve une preuve frappante en regardant ce qui se passe en général dans les campagnes, où le livret n'est pas en usage, puisqu'il n'est pas exigé des ouvriers agriculteurs. Là, les enfants remettent la totalité ou la plus grande portion de leur salaire à leurs parents, qui les entretiennent jusqu'à l'époque de leur mariage. Ce gain contribue à former la majeure partie des épargnes de la famille; accumulé pendant plusieurs années, il sert à doter, quand ils entrent en ménage, les filles et les garçons.

Le livret, délivré à seize ans, est une prime d'encouragement donnée à l'émigration des habitants des campagnes vers les usines et vers les villes. Au moindre déplaisir ou au premier mirage, l'adolescent quitte le foyer paternel, et le voilà enrôlé pour toujours sous la bannière industrielle et dans la vie citadine. Jusqu'à seize ans, il manifeste en général des sentiments honorables, et c'est à cet âge qu'il prend un parti et une profession. Si l'enfant, qui entre alors dans la vie active de la société, n'était détourné des champs par aucune facilité spéciale d'émigration, il y resterait, et son sort serait fixé pour toujours: il accroîtrait les rangs des cultivateurs. Entraîné vers les centres de population par un coup de tête, retenu par mille séductions, il trouve dans la possession immédiate d'un livret un encouragement qui décide de toute sa carrière, effet très fâcheux d'un affranchissement prématuré.

En reportant à dix-huit ans, au moins, l'obtention d'un livret personnel, on aurait, à Paris, dans les grandes villes, dans les manufactures, moins de jeunes ouvriers déserteurs de la vie rurale. Moins les populations s'agglomèrent artificiellement, plus elles se distribuent sur la surface entière du sol et plus il y a profit pour la production économique et l'aisance générale, pour la santé et la moralité publiques, pour le respect des lois et l'autorité du pouvoir.

La délivrance du livret personnel à seize ans paraît donc être une fâcheuse institution. A côté d'une majorité légale fixée à vingt et un ans, à côté d'une majorité facultative fixée à dix-huit ans par l'émancipation, convient-il d'introduire une majorité industrielle fixée à seize ans par le livret L'auteur de cette note ne le pense pas. La mesure proposée n'ajoute rien au pouvoir donné au père par la loi civile, quant à l'administration des biens du mineur, et [389] il importe de produire un effet moral, de relever le drapeau de la puissance paternelle, d'agir sur l'opinion des classes ouvrières. L'âge de dix-huit ans est celui où la loi de 1832 permet au mineur de s'engager; celui où cesse pour le père la jouissance légale du salaire de son enfant; celui, enfin, où l'émancipation de l'orphelin peut être prononcée par le conseil de famille.

(C) Sur l'utilité de supprimer la garantie établie par la loi pour les avances faites aux ouvriers par les patrons.

Les livrets ont été créés par des lettres patentes de 1749 qui imposaient aux garçons et compagnons l'obligation de prendre de leurs maîtres un congé par écrit justifiant l'achèvement du travail promis et le remboursement des avances reçues1. D'autres lettres patentes de 1781 réunirent ces certificats sous forme de livre ou cahier. La loi du 17 mars 1791 abolit le régime des corporations, des jurandes et des maîtrises, et rétablit le droit commun dans les relations entre maîtres et ouvriers. Mais la loi du 22 germinal an x revint aux anciens errements. Depuis cette époque, l'arrêté du 9 frimaire an xii, les lois des 14 mai 1851 et 22 juin 1854, et le décret du 30 avril 1855, ont réglementé la matière.

L'arrêté consulaire du 9 frimaire an xii (art. 7, 8 et 9) ne permettait à l'ouvrier de réclamer son livret qu'après avoir acquitté sa dette envers son patron. Si l'ouvrier était obligé de se retirer, le créancier pouvait mentionner la dette sur le livret, et le nouveau patron devait retenir, pour le lui remettre, un cinquième sur le salaire de l'ouvrier: de là des inconvénients graves, reconnus par M. Villermé dans son Tableau physique et moral de l'état des ouvriers, par le conseil général des manufactures (session de 1841-1842), enfin par M. Beugnot, rapporteur à la chambre des pairs en 1845.

Ces avances étaient souvent tout à fait disproportionnées au salaire: l'ouvrier était amené à les dissiper dans l'inconduite, et dès lors il se trouvait dans l'impossibilité de changer d'atelier. Réduit à un état de dépendance à l'égard de son patron, il devait subir les [390] diminutions de salaires qu'imposait celui-ci. Bientôt, perdant son individualité, il s'abandonnait au découragement ou recourait à la fuite. Le patron parfois spéculait sur cet état de choses, et ne faisait des avances à ses ouvriers que pour se les inféoder en quelque sorte; dans ce but il prêtait 300f, 500f et même 1,000f à de simples ouvriers pour abaisser ensuite les salaires, et rendre toute concurrence impossible. On arrivait ainsi, comme le disait M. Randoing en 1851, à démoraliser l'ouvrier d'une part, de l'autre, à l'anéantir physiquement.

Pour remédier à ces abus, la chambre des pairs avait voté, en 1846, la réduction du privilège des avances à 30f. En 1850, MM. Lanjuinais et Seydoux en proposèrent à l'Assemblée législative l'abrogation complète, et la commission pénétrée des dangers signalés plus haut et que son rapporteur, M. Salmon, fit ressortir énergiquement, adopta leur avis. l fallait, disait-elle, décourager les avances intéressées; quant aux avances charitables, qui d'ailleurs ne s'inscrivent pas généralement sur les livrets, il était bon que la prudence les rendit moins faciles, dans l'intérêt même de l'ouvrier. Cependant, le 8 juin 1850, le gouvernement proposa la réduction du privilège des avances à la somme de 30f, et ce tempérament fut adopté le 14 mai 1851, sur un nouveau rapport de M. Salmon, constatant qu'il avait été approuvé par un grand nombre de chambres de commerce, de chambres consultatives des arts et manufactures, et de conseils de prud'hommes consultés à cet effet.

D'après les articles 2 à 5 de la loi nouvelle, l'ouvrier qui a accompli les engagements relatifs à son travail peut réclamer son livret, même quand il n'a pas acquitté les avances qu'on lui a faites: seulement ces avances sont inscrites sur son livret jusqu'à concurrence de 30f, et le nouveau patron doit prélever pour les éteindre un dixième du salaire de l'ouvrier.

En 1854, la commission du Corps législatif, saisie d'un nouveau projet de loi, demandait que les avances pussent être mentionnées en totalité sur le livret, bien que la retenue sur le salaire ne pût être exercée que jusqu'à concurrence de 30f. Mais le conseil d'́at, loin d'adopter cette idée, décida au contraire, par un sentiment de respect pour la dignité de l'ouvrier, et fit décider par la Chambre, que le livret, après avoir reçu les mentions relatives au contrat ou à l'acquit des engagements, devait dans tous les cas être remis à l'ouvrier et rester entre ses mains. (Loi du 22 juin 1856, art. 6.)

Ainsi le livret n'est plus retenu par le fabricant, qui peut y inscrire ses avances, jusqu'à concurrence de 30f.

Malheureusement les conséquences pratiques de cette loi ne [391] paraissent pas avoir beaucoup modifié l'ancien état de choses. Dans le rayon de Sainte-Marie-aux-Mines, la dette pesant sur les ouvriers indique encore un chiffre analogue à celui qui figure dans le travail de M. Villermé. Il semble que beaucoup de prêts ne servent qu'à la débauche, et que quelques-uns sont inspirés par des vues intéressées. En effet, il paraît que les fabricants répugnent à opérer sur les salaires des ouvriers la retenue que nécessite l'inscription d'une avance faite par un précédent patron, et que, à cet égard, leur refus de recevoir l'ouvrier endetté produit à peu près les mêmes effets que la retenue du livret pouvait amener autrefois.

Dès lors, on comprend que le fabricant puisse encore avoir intérêt à faire des avances qui seront bien difficilement remboursées, même si elles ne dépassent pas 30f, et qu'il lui sera bien facile de maintenir à ce chiffre.

D'ailleurs, en réalité, l'inscription même d'une faible somme peut servir à garantir une créance bien supérieure, et, à moins d'imputer les payements spécialement sur la somme inscrite, l'inscription ne devra disparaître que lorsque l'avance tout entière aura été remboursée.

Peut-être y aurai-il lieu, en conséquence, de revenir au système proposé en 1850 par la commission de l'Assemblée législative, c'est-à-dire de supprimer tout à fait la garantie résultant de l'inscription des avances et de rentrer dans le droit commun. On éviterait ainsi une inégalité qui peut exciter des haines de classe à 1 classe. La pratique de cette innovation ne serait nullement fâcheuse. Le rapporteur de la commission de 1850 disait que, dans le cas où les avances avaient été exceptionnellement nécessaires, elles avaient été recouvrées sans inscription sur le livret, et que la meilleure garantie du patron était la probité et les habitudes d'ordre et de travail de l'ouvrier.

(D) Sur les principaux moyens de moraliser les classes ouvrières de Sainte-Marie-aux-Mines.

La moralisation des classes ouvrières de Sainte-Marie devrait être provoquée par les hommes intelligents et éclairés des classes supérieures, basant leur intervention sur le respect de la religion, s'aidant du secours de la loi et donnant par leur conduite l'exemple de la probité et du dévouement social.

[392] L'existence de croyances religieuses chez un peuple n'est pas moins nécessaire à sa prospérité matérielle qu'à son développement moral. Aussitôt qu'il se soustrait à leur influence bienfaisante, il ne tarde pas à être travaillé par l'antagonisme social, et ce désordre expose les classes industrielles à tous les dangers qui naissent de l’instabilité des rapports entre les patrons et les ouvriers.

Parmi les lois relatives à l'industrie, plusieurs ont un rapport direct avec la moralité de ces classes. Telles sont: 1o la loi sur le travail des enfants dans les manufactures; 2o la loi sur l'apprentissage; 3o la loi sur la limitation des heures de travail; 4o la loi qui règle et diminue les avances sur le travail, etc. Toutes les lois qui tendront à fortifier l'autorité paternelle rendront plus facile aux patrons la moralisation de leurs travailleurs; c'est à ce titre qu'il serait bon de n'accorder de livrets personnels aux jeunes ouvriers qu'à l'âge de vingt et un ans ou de dix-huit ans au plus tôt (B).

Quant à la pratique des bonnes mœurs, elle ne doit pas être montrée seulement par les chefs et par leurs principaux employés, mais surtout par les contre-maîtres qui représentent le patron auprès des ouvriers et ont avec eux les contacts les plus intimes. Des faits nombreux prouvent combien grande est leur influence sur l'atelier, et quels dangers elle peut offrir. Il est surtout une catégorie de contre-maîtres dont le choix doit attirer d'une façon toute particulière l'attention des fabricants: ce sont les entrepreneurs à façon, placés dans les villages qui environnent Saine-Marie. Éloignés des patrons et presque sans contrôle, ils ne peuvent qu'avoir une grande autorité sur des ouvriers qui dépendent d'eux, non-seulement pour la distribution du travail, mais encore a raison des avances qu'ils en ont reçues.

Le mélange des sexes dans les ateliers est encore une grande cause d'immoralité. La femme perd facilement la pudeur et la retenue au milieu des bouffonneries et des plaisanteries malséantes auxquelles excite sa présence. On a pensé qu'il y avait à faire une exception pour la femme qui travaille auprès de son mari. Mais n'y a-t-il pas incompatibilité entre le travail de fabrique et les devoirs d'épouse et de mère? Une femme laborieuse sait toujours se créer au foyer domestique des occupations qui profitent à la fois au bien être physique et oral de sa famille. C'est au jeunes filles seulement que peut convenir le travail d'atelier, et encore à la condition qu'elles soient séparées des hommes et soumises à une bonne direction morale, comme il arrive dans la fabrique de Lowell aux États-Unis2, ainsi que dans plusieurs établissements créés dans [393] le midi de la France pour la manutention mécanique de la soie.

Une institution analogue a été organisée à Sainte-Marie-aux-Mines et paraît donner de bons résultats. Une dizaine de jeunes filles de 14 à 17 ans sont réunies dans une maison d'apprentissage. où un contre-maître marié vient leur apprendre le tissage. ne directrice intelligente, qui mange avec elles et couche dans une chambre placée à côté de leur dortoir, leur enseigne tout ce qui peut leur être utile comme futures mères de famille, et continue leur instruction primaire. Chacune d'elles est chargée alternativement de la cuisine; chacune coud également à son tour pendant une semaine. Toutes sont réunies pour le repas et la récréation qui le suit, et le soir, après le travail, elles cousent, tricotent, lisent. s'amusent ou causent avec leur maîtresse. Le dimanche, elles vont se promener ensemble. Un comité de dames dirige cet établissement qui est soutenu par des contributions particulières et par le produit du tissage des apprenties. L'expérience en a été assez longue pour être convaincante. Les jeunes apprenties ont vu leur santé s'améliorer depuis leur entrée dans la maison. Elles supportent très-bien le travail et acquièrent une grande habileté dans le tissage, ainsi que dans les travaux de leur sexe. Leur intelligence se développe et leur moralité est sauvegardée, sans qu'on ait besoin de les séquestrer et de les séparer de leurs familles. Il est [394] vivement à désirer que cet établissement puisse se maintenir et s'étendre, et que de semblables maisons s'organisent pour les garçons.

Les écoles du dimanche, avec l'emploi des adultes comme instructeurs, de même que les écoles du dimanche pour les adultes, seraient un moyen efficace de se tenir en rapport direct avec les jeunes gens dans l'époque la plus critique de leur vie et de les éloigner ainsi des mauvaises sociétés. Ces écoles ont déjà fait un bien immense; mais elles sont loin d'avoir pris le développement qu'elles ont en Angleterre, où l'on en compte 33,000 fréquentées par 2,500,000 élèves. On est étonné de voir, dans ce pays, l'empressement avec lequel des membres de la bourgeoisie, de petits marchands, des filles ou fils de fermiers, et aussi quelques jeunes gens de bonne famille, accourent consacrer les seuls moments que la plupart d'entre eux ont de libres à l'enseignement gratuit des enfants pauvres.

En France, cette institution trouve de sérieux obstacles dans le travail du dimanche. Ce travail est tellement nuisible sous le rapport matériel et sous le rapport moral, qu'on a demandé l'intervention de la loi pour le faire cesser. Mais, dans un régime de liberté, c'est auprès de l'opinion publique que l'on doit réclamer cette réforme, au triple point de vue de la liberté de conscience que ce travail viole pour ceux qui ont des principes religieux: de la santé de l'ouvrier qu'il compromet en abusant de ses forces: enfin du développement intellectuel qu'il entrave en ne laissant pas à l'ouvrier le temps qui lui serait nécessaire pour cultiver son esprit. Le travail du dimanche produit d'ailleurs le chômage si démoralisant du lundi.

Les sociétés de secours mutuels et les caisses d'épargne sont aussi d'excellents moyens de moralisation. La multiplication rapide de ces sociétés, de même que l'état prospère de ces caisses et le nombre croissant des dépôts qui y sont versés, montrent que ces utiles institutions sont appréciées de plus en plus.

On ne saurait trop recommander la création de cités ouvrières, dont les industriels de Mulhouse ont pris l'initiative et qui a tant contribué à inspirer à leurs ouvriers des habitudes de prévoyance.

C'est en 1853 que fut fondée à Mulhouse, sous l'inspiration de M. Jean Dollfus, la société des cités ouvrières3. Son capital était de 600,000f, dont le gouvernement avait fourni la moitié, et elle s'était interdit tout profit, ne demandant qu'un intérêt de 4 pour 100 pour les actionnaires.

[395] Les maisons de la cité ouvrière ont deux étages, une cave et un grenier; elles se composent de six pièces, trois à chaque étage. Chaque logement a une entrée séparée et un jardin distinct, d'une surface à peu près quadruple de celle de l'habitation. Il y a des maisons construites, par groupes de quatre, sous un toit commun, mais séparées par deux murs mitoyens en forme de croix, et d'autres formant des bâtiments allongés contenant chacun dix habitations juxtaposées par série de cinq de chaque côté.

La cité ouvrière comprend aujourd'hui 560 maisons, dont 448 étaient vendues au 31 mars 1862; un grand bâtiment, à 17 chambres garnies, pour ouvriers célibataires; une vaste salle d'asile; un local où l'on donne gratuitement des consultations et des soins aux ouvriers malades; un établissement de bains et un lavoir (le bain à 0f25 avec linge, et le lavage à 0f05 pour deux heures); une boulangerie où l'on vend du pain au-dessous de la taxe, et un restaurant où l'on débite à très-bas prix des aliments substantiels et bien préparés.

La vente des maisons se fait contre un premier versement de 300f à 400f (selon la valeur de la maison), auxquels doivent venir s'ajouter des versements réguliers de 18 à 25f par mois pendant 13 à 14 ans. Ainsi, pour un payement mensuel qui ne dépasse pas le prix ordinaire des loyers d'ouvriers à Mulhouse, on peut devenir en quelques années propriétaire d'une maison valant de 2,650 à 3,300f.

Les résultats d'une institution si utile ne se sont pas fait attendre. En huit années, 488 chefs de famille sont devenus propriétaires. Au 31 mars 1862, ils avaient acheté des maisons pour 1,340,225f; et sur 1,519,950f qui composaient à cette époque le montant de leur dette (en y ajoutant les contributions, les intérêts, les frais de contrat, etc.), ils avaient déjà payé 653,124f, c'est-à-dire 43 pour 100, et il ne restait dû que 866,826f.

C'est une somme de 653,12f enlevée au cabaret ou à d'autres dépenses infructueuses, et constituant l'épargne des familles. On a vu des militaires consacrer le prix de leur engagement à acheter une maison à leur famille: en 1861, 20 d'entre eux avaient acheté dans ces conditions. D'autres fois, ce sont de pauvres ouvriers n'ayant pas de quoi payer l'avance de 300f qui viennent supplier qu'on leur fasse crédit, en promettant de faire des versements mensuels plus forts et qui parviennent, à force d'économies et de privations, à être, eux aussi, propriétaires. Ils sont même souvent plus réguliers dans leurs payements que des ouvriers mieux salariés; car, malheureusement, un salaire élevé n'est pas toujours une cause de moralité; il faut avant tout le goût e l'habitude de l'économie. [396] Cette habitude s'acquiert promptement, quand on poursuit avec ardeur un but déterminé: il n'est pas rare de voir des maisons entièrement payées au bout de peu d'années, tant le désir de se libérer devient de plus en plus fort.

Ainsi, la passion de la propriété a fait ce que n'avaient pu faire ni la raison, ni les bons conseils; elle a réellement constitué le plus puissant encouragement à l'épargne, et par suite, le plus vigoureux obstacle à l'imprévoyance et à l'inconduite qu'on ait encore trouvé. En outre, les ouvriers, devenus propriétaires, comprennent le danger des agitations politiques; ils ne songent qu'à élever paisiblement leurs familles, et quelques-uns parviennent par leur travail et leur économie à entrer dans les rangs de la bourgeoisie.

(E) Sur les sociétés de secours mutuels de Sainte-Marie-aux-Mines.

Les anciennes sociétés de Sainte-Marie remontent au siècle dernier, où fut fondée la caisse des mineurs, qui existe encore et reçoit des ouvriers de toute profession. Ces sociétés sont au nombre de 26, sans compter quelques associations qui se bornent à donner des secours aux familles, en cas de décès d'un de leurs membres. Sur ce nombre, 5 seulement sont approuvées, en vertu du décret du 26 mars 1852, et ont leur président nommé par l'Empereur. Les autres sont libres et sont dirigées par un conseil d'administration, composé ordinairement de six membres qui s'adjoignent un secrétaire. Ce conseil est nommé chaque année par les sociétaires en assemblée générale, ainsi que le médecin ou les deux médecins avec lesquels la société prend un abonnement.

Les sociétés d'assistance de Sainte-Marie-aux-Mines se divisent en plusieurs catégories:

1o Les sociétés de secours mutuels proprement dites qui donnent droit aux soins du médecin et aux médicaments, et accordent une indemnité pendant la maladie;

2o Les sociétés dites caisses supplémentaires qui ne donnent qu'une indemnité;

3o Les sociétés ne donnant des secours qu'en cas de décès.

Les sociétés de secours mutuels proprement dites sont au nombre de seize. Onze de ces sociétés sont libres et ont été créées antérieurement au décret du 26 mars 1852; elles ont leur siège dans des auberges. Les cinq autres sont approuvées en vertu de ce [397] décret et ont établi leur siège dans des endroits moins dangereux pour leurs ressources financières. Ces sociétés sont les suivantes: la Caisse générale; la Société mixte d'assurance et de charité, annexe de la précédente, qui fait soigner ses membres malades dans un hôpital, en payant pour eux 0f90 par jour, et qui reçoit de la ville une subvention de 500f; la Société de Prévoyance; la Prévoyante; la Bienfaisante.

Dans quelques-unes de ces sociétés, le malade choisit lui-même le médecin par lequel il désire être traité. Dans d'autres, les soins sont donnés par un médecin désigné, chaque année, par les sociétaires, à la majorité des voix. Les médicaments sont fournis à des prix réduits.

Parmi les 16 sociétés, 14 n'admettent que des hommes. La Caisse générale reçoit des hommes et des femmes, et la Société mixte d'assurance et de charité reçoit des hommes, des femmes et des enfants de sociétaires.

Le nombre des membres est très-variable pour chaque société4. Ainsi, la Société des tisserands renferme 203 hommes, tandis que la Prévoyante n'en a que 40; la Société mixte d'assurance et de charité compte 137 hommes, 475 femmes et 331 enfants, en tout 943 affiliés.

Le nombre total des membres est de 3,248, ainsi répartis: hommes 1,947; femmes 970; enfants 331.

Le nombre moyen des membres par société est de 203; le nombre moyen des hommes 121.

Les cotisations mensuelles sont de 0f50 à 1f pour les hommes; de 0f40 pour les femmes et de 0f12 pour les enfants. Le produit mensuel total des cotisations des hommes est de 1,389f93, ce qui donne 0f71 pour la cotisation mensuelle moyenne de chacun

Les sociétés donnent, en cas de maladie, un secours en argent de 0f71 à 1f par jour pour les hommes et de 0f40 pour les femmes; les enfants d'une famille abonnée n'ont droit qu'aux remèdes et aux soins du médecin. Le nombre total des jours de maladie a été en 1862 de 13,323; et la somme des secours en argent accordée aux sociétaires a été de 11,713f; l'indemnité moyenne a donc été de 0f88 par jour. Cette indemnité a été, pour les hommes seulement, de 0f84.

Les sociétés de Sainte-Marie possèdent une réserve totale de 16,674f. Cependant elles sont loin d'être en général dans une situation prospère, soit parce que leurs charges augmentent avec l'age [398] des sociétaires plus rapidement que leurs ressources, soit, parce que, contrairement au principe généralement adopté en France, elles accordent une indemnité quotidienne plus forte que la cotisation mensuelle.

Voici pour l'exercice 1862, les recettes et les dépenses des 16 sociétés de secours mutuels de Sainte-Marie:

Recettes et dépenses des 16 sociétés de secours mutuels de Sainte-Marie (exercice 1862) (notes annexes)
Recettes et dépenses des 16 sociétés de secours mutuels de Sainte-Marie (exercice 1862) (notes annexes).

Les sociétés dites Caisses supplémentaires sont au nombre de 10. Ce sont des associations libres, sans contrôle, qui ne reçoivent que des personnes déjà membres de sociétés ordinaires. Elles ne donnent droit ni aux médicaments ni aux soins du médecin; mais elles accordent un supplément d'indemnité aux malades. Elles ont en tout de 600 à 700 membres. Neuf de ces sociétés se réunissent dans des auberges ou dans des cafés, et une d'elles a son siège à la mairie: c'est celle des anciens soldats, dont la création a été provoquée par l'administration, et qui compte 100 membres. Toutes ces sociétés exigent une cotisation de 0f30 à 0f40 par mois et donnent aux malades un supplément de 0f57i par jour.

Les sociétés donnent des secours aux familles de leurs membres décédés sont de création récente et comptent de 1,000 à 1,200 participants. La plus nombreuse a 315 affiliés: hommes ou femmes, célibataires, mariés ou veufs, adultes ou enfants. A chaque décès, on perçoit sur les sociétaires une cotisation de 0f20, dont 0f05 pour le collecteur qui a par là intérêt à recruter de nouveaux membres. La société donne 0f à la famille pour le décès d'un adulte, et 20f pour le décès d'un enfant.

Après 1848, plusieurs associations se sont formées à Sainte-Marie pour donner aux ouvriers des vivres et d'autres objets à prix réduits; elles n'ont pu se maintenir.

Les indemnités en argent des sociétés de secours mutuels jointes [399] à celles des caisses supplémentaires, approchent trop du salaire de l'ouvrier. Des secours aussi avantageux affaiblissent l'énergie de celui qui reçoit et le portent, malgré la surveillance réciproque des sociétaires, à feindre des maladies ou à prolonger la convalescence.

A ce sujet, tout en accordant un juste tribut d'éloges aux sociétés de secours mutuels, il faut reconnaître qu'elles ne sont qu'un palliatif aux maux de l'imprévoyance. Il est même à craindre quand elles sont trop développées, comme à Sainte-Marie-aux-Mines, qu'elles nuisent aux habitudes d'épargne, qui peuvent le plus sûrement conduire les ouvriers à l'indépendance et au bien-être. On ne doit donc pas fonder toute la sécurité des classes ouvrières sur la mutualité, et on doit chercher à rétablir en même temps ces meurs sévères qui donnent à certaines populations tant d'initiative et d'énergie. (Nos 17 et 34.)

(F) Sur l'organisation de la mutualité en France.

Par M. le vicomte de Melin, membre de la commission supérieure d'accompagnement et de surveillance des sociétés de secours mutuels.

Au commencement du xixe siècle, après l'abolition complète de l'ancienne organisation du travail et des institutions par lesquelles les diverses industries cherchaient à se défendre de la concurrence, les ouvriers, trop souvent abandonnés à tous les dangers de l'isolement par l'affaiblissement du patronage, sentirent le besoin de demander à l'association libre des forces et des ressources pour lutter contre les principales difficultés de leur vie.

Les sociétés de secours mutuels, qui existaient déjà en germe sous le régime ancien, se développèrent. Quelques-unes eurent pour but de venir en aide aux ouvriers pendant la maladie, e chômage et aux jours de la vieillesse, le plus grand nombre ne proirent de secours qu'au malades et aux vieillards; presque toutes se composèrent d'ouvriers de même profession, rapprochés les uns des autres par la communauté de l'atelier et du travail, et l'égalité des chances d'accidents et de maladies.

Les statuts de la plupart des sociétés se ressemblent. Le sociétaire s'engage à payer, chaque mois, une cotisation ordinairement un peu inférieure au salaire d'un jour; il reçoit, quand il tombe malade, les secours d'un médecin, les médicaments et une indemnité quotidienne égale à la cotisation mensuelle. Arrivé à l'âge où [400] il ne peut plus travailler, et après un certain nombre d'années passées dans la société, il a droit à une pension de retraite; à sa mort, les devoirs funèbres lui sont rendus par ses associés, et une somme est allouée pour les frais de son convoi.

Les sociétés de secours mutuels administrées par des membres élus furent soumises à la loi qui régit toutes les associations; elles ne purent se former et se réunir qu'avec l'autorisation toujours révocable de l'administration publique.

Sous ce régime, la mutualité s'organisa dans les grands centres de population, mais resta presque inconnue à tout le reste de la France, les petites villes ne fournissant pas un assez grand nombre d'ouvriers de même état, et les habitants des campagnes appliquant exclusivement leur prévoyance à acheter des terres au moyen de leurs économies.

Le plus grand nombre des sociétés dirigées avec probité et avec intelligence commencèrent à prospérer après quelques années d'existence. Elles avaient chacune une réserve qui pouvait faire croire à la solidité de leur constitution, mais elles portaient toutes dans leurs statuts un article qui devait tôt ou tard amener leur ruine: celui qui donnait droit à la pension de retraite. A mesure qu'elle vieillissait, chaque société voyait un plus grand nombre de ses membres se changer en pensionnaires et exiger d'elle des sacrifices qui excédaient les ressources des associations les plus riches. Celles dont la réserve était la plus considérable furent obligées. pour ne pas se mettre en liquidation, de diminuer de beaucoup les pensions promises, en manquant aux engagements de leurs statuts.

Un calcul bien simple établit l'impossibilité de tirer à la fois de la cotisation l'indemnité du malade et la pension du vieillard.

D'après une statistique sérieuse et souvent vérifiée, les sociétés de secours mutuels ont, par an, une moyenne de six jours de maladie par sociétaire. Elles accordent généralement aux malades une indemnité quotidienne égale à la contribution mensuelle. Lorsqu'elles demandent une cotisation de 1f50 par mois ou de 18f par an (taux moyen des cotisations), elles dépensent:

Dépenses des sociétés de secours mutuels selon le taux moyen des cotisations (notes annexes)
Dépenses des sociétés de secours mutuels selon le taux moyen des cotisations (notes annexes).

Il ne reste donc en réserve, à la fin de l'année, que 3f50 par [401] sociétaire, c'est-à-dire 350f ou 700f, si la société compte 100 ou 200 membres. Les droits d'entrée et les amendes sont absorbés par les fais accessoires, tels que la location d'une salle, l'achat du mobilier, etc., sans compter les dépenses extraordinaires qui peuvent résulter d'une épidémie, ou de ces catastrophes industrielles qui rendent très-difficiles, pendant quelque temps, la rentrée des cotisations.

Le taux des pensions étant de 100f au moins, on voit qu'il n'est pas possible aux sociétés de se former, même par l'accumulation de toutes leurs économies, un capital suffisant pour servir une pension annuelle aux sociétaires qui, au bout de quelques années, viennent en grand nombre réclamer l'exécution des promesses faites par les statuts.

D'un autre côté, les sociétés qui assuraient un secours contre le chômage donnaient lieu aux réclamations de l'autorité chargée de la police: on leur reprochait d'appliquer leurs ressources à favoriser des coalitions et à entretenir les grèves. Aussi la loi de 1850, qui donna aux sociétés de secours mutuels la faculté de se faire reconnaître comme institutions d'utilité publique et d'acquérir les avantages de la personnalité civile, eut-elle soin de stipuler qu'elles s'appliqueraient exclusivement aux cas de maladie, et ne promettraient pas de pension de retraite.

Soit en raison de l'agitation de l'époque où la loi fut promulguée, soit à cause des formalités exigées et de l'interdiction d'accorder aux vieillards des secours auxquels les ouvriers attachaient un grand prix, la loi de 1850 n'eut aucune influence sur le développement de la mutualité. Les sociétés ne demandèrent pas à profiter des avantages qu'elle leur ofrait.

Il n'en fut pas de même du décret du 26 mars 1852. Ce décret, en laissant aux sociétés existantes la liberté de conserver leurs anciens statuts et de vivre sous le régime de la simple autorisation, créa pour celles qui voudraient se soumettre à ses prescriptions une situation nouvelle, dite de l'approbation.

Pour obtenir l'approbation, les sociétés durent faire homologuer leurs statuts par l'administration, s'interdire toute promesse de secours en cas de chômage, admettre des membres honoraires payant la cotisation et n'ayant aucun droit aux secours, et faire nommer leur président par le chef de l'État.

Elles purent accorder à leurs membres des pensions de retraite, mais seulement sur les ressources provenant des souscriptions des membres honoraires, des dons, des legs et des subventions.

Les sociétés approuvées, sortant du régime de l'autorisation qui n'accorde aucun droit civil, purent posséder, recevoir et agir dans [402] de certaines limites, et jouirent dans des proportions restreintes des avantages de la personnalité légale. Elles reçurent de l'État une dotation de dix millions.

Le décret prescrivit aux autorités municipales de provoquer et d'encourager la fondation de sociétés approuvées composées, non plus d'ouvriers de même profession, mais d'habitants de la même commune ou du même quartier.

Le décret de 1852 donna une vive impulsion au développement de la mutualité. Les administrations des départements et des communes se mirent à l'œuvre et provoquèrent la fondation de sociétés nouvelles; un grand nombre de sociétés anciennes demandèrent à jouir des bénéfices de l'approbation, et le dernier rapport de la Société supérieure d'encouragement et de surveillance constate que, pendant les dix années qui se sont écoulées depuis la promulgation du décret, le nombre des sociétés a doublé.

2,237 sociétés existaient au 1er janvier 1852; elles sont, au 1er janvier 1862, au nombre de 4,410. Elles comptent 605,316 membres au lieu de 255,472. La réserve s'est élevée de 7,649,660f à 27,905,537f. Une caisse de retraite, fondée en 1857, et destinée à mettre à la disposition des sociétés des pensions viagères qu'elles peuvent appliquer aux plus anciens et aux plus âgés de leurs membres, a reçu la somme de 5,313,845f.

Malgré de tels résultats, les conditions imposées par le décret ont soulevé plusieurs objections de la part des ouvriers et des personnes qui regardent la liberté comme la première et la plus essentielle des conditions d'une association de secours mutuels. La nomination du président par le chef de l'État leur a paru une intervention regrettable du gouvernement dans une institution qui, se soutenant par l'adhésion et les sacrifices volontaires de ses membres, devait être régulièrement dirigée et administrée par eux. Le président, nommé par l'Empereur, n'est plus l'homme de la société, mais celui de l'État; l'autorité même qu'il puise dans l'origine de son pouvoir enlève à la société sa liberté d'action et entrave son droit à se gouverner elle-même.

L'admission forcée des membres honoraires tend à introduire un principe d'inégalité, un système de tutelle et de patronage, et une forme d'aumône inconciliables avec le caractère des sociétés de secours mutuels. Celles-ci doivent vivre uniquement des contributions de leurs membres, admis tous aux mêmes titres, ayant les mêmes droits et les mêmes obligations; elles n'ont pas besoin de ces dons gratuits, de cette intervention charitable qui les assimilent aux bureaux de bienfaisance et aux œuvres de charité.

La substitution des sociétés communales ou d'arrondissement [403] aux sociétés corporatives est peu en laveur auprès des ouvriers, auxquels leurs voisins les plus proches sont souvent inconnus, et qui sont souvent appelés, par la nécessité de leur travail, à changer de quartier, tandis que la société corporative réunit naturellement des hommes déjà liés entre eux par l'habitude du travail en commun et l'identité de la profession.

Enfin la richesse de la dotation elle-même a été signalée comme un danger. N'a-t-elle pas pour résultat de mettre le secours du gouvernement à la place de la cotisation des sociétaires et d'habituer l'ouvrier à compter moins sur sa prévoyance que sur la générosité de l'État

A ce luxe de dépendance, de protection et de secours, on a opposé l'exemple de la mutualité anglaise, bien plus populaire, bien plus répandue que la nôtre, et qui marche et progresse sans appui, sans tutelle et sans subvention.

La meilleure réponse à ces objections, dont on ne saurait méconnaître la valeur, est dans la disposition, et, nous ne craignons pas de le dire, dans le caractère du pays pour lequel a été fait le décret, et dans la manière large et libérale dont il a été appliqué. Jusqu'à sa promulgation, les sociétés de secours mutuels étaient renfermées dans les grands centres industriels. Sans l'initiative, sans l'impulsion du gouvernement, jamais la mutualité n'aurait pénétré dans les villes de second ordre et dans les campagnes; sans ses secours et sa direction, les premières dépenses n'auraient pas été couvertes, et les statuts, comme ne l'a que trop prouvé l'expérience du passé, n'auraient trop souvent renfermé que des promesses illusoires et des espérances chimériques et ruineuses. Sans les membres honoraires et la dotation, les secours pour la vieillesse, si chers aux ouvriers, étaient impossibles.

Le choix de l'Empereur est toujours tombé sur l'homme que la Société désirait pour son président et qu'elle aurait élu elle-même, et partout l'administration a été conférée à un conseil nommé par tous les sociétaires.

L'admission des membres honoraires a dû être inscrite dans les statuts: mais aucune société n'a été forcée d'en chercher: un grand nombre n'en comptent qu'un ou deux; plusieurs n'en possèdent pas un seul, et jouissent cependant de tous les privilèges de l'approbation. Là ou ils sont nombreux, leur expérience des affaires et leur zèle ont rendu de grands services à l'administration des sociétés, et leurs cotisations ont contribué à l'établissement des secours pour la vieillesse.

En prescrivant aux municipalités de former des associations communales, le décret n'exclut de l'approbation ni les sociétés corporatives [404] anciennes, ni même celles que forment aujourd'hui les ouvriers de même profession; l'approbation n'a jamais été refusée qu'a celles dont les éléments paraissaient de nature à faire dévier l'institution de son véritable but et à compromettre l'ordre et la sécurité.

Quant à la dotation, la manière dont ses revenus sont distribués prévient les abus que l'on redoute: une somme très-minime est déployée chaque année à faciliter la formation de sociétés nouvelles, en pourvoyant aux dépenses de premier établissement, et à venir en aide aux sociétés anciennes en cas de calamités imprévues comme les épidémies, ou comme, dans ces derniers temps, la crise cotonnière; tout le reste est appliqué à la caisse des retraites, c'est-à-dire à un service auquel les cotisations des sociétaires participants n'ont jamais pu pourvoir.

Il est juste cependant de reconnaître que, malgré ses avantages, ses résultats et le libéralisme de son application, le régime du décret de 1852 n'est pas l'état normal des sociétés de secours mutuels. Il a rendu de grands services, il a donné une impulsion puissante; au moment de son application, il a épargné beaucoup d'erreurs, et sauvé de beaucoup de ruines. Aujourd'hui même encore, si son action était suspendue ou supprimée, le développement des sociétés de secours mutuels en recevrait une grave atteinte. Il a fait, sous le point de vue de la mutualité, l'éducation de notre pays, et cette éducation n'est pas encore achevée chez un peuple qui, pour l'administration de ses affaires les plus personnelles, a l'habitude d'attendre l'initiative de l'État et de réclamer Ses secours.

Mais cette impulsion, cette initiative et ces secours ne sont nécessaires que pour soutenir une faiblesse, guérir une infirmité, et faire faire à une population inexpérimentée l'apprentissage de la prévoyance. Espérons donc qu'en cette matière, comme en toute autre, avec le temps et la pratique, les enfants deviendront des hommes, les apprentis des ouvriers, et que, dans les sociétés de secours mutuels, comme dans toutes les autres institutions, le véritable progrès sera la liberté!

Notes

1. La plupart des observations contenues dans cette note ont été communiquées à la Société d'économie sociale, dans la séance du 3 février 1863, par M. Lecoq de Bois-baudran, avocat à la Cour impériale de Paris.

2. La population de Lowell comprend environ 15,000 ouvriers, dont 5,000 hommes et 10,000 jeunes filles. Douze compagnies industrielles y font valoir un capital d'environ 80 millions de francs, employé à la filature, au tissage, à l'impression des étoffes et à la construction des machines. Chaque manufacture est pour ainsi dire isolée des autres, et comprend, outre les ateliers, des bâtiments servant de logement aux ouvriers de l'établissement. Les jeunes filles sont reçues par compagnies de 24 dans des logis distincts, sous la direction d'une femme respectable, généralement une veuve, qui tient le ménage et fait observer la discipline de la maison. Chacune d'elles a sa chambre à part, et toutes se réunissent, quand elles le veulent, au salon, où elles trouvent des livres de lecture et une bibliothèque. On exige d'elle une conduite parfaitement régulière et l'assiduité an service religieux de l'une des 30 églises de différentes sectes qui se partagent la ville; une ouvrière, dont la moralité serait suspecte, ne trouverait accès ni dans les pensions, ni même dans les ateliers. Il est naturel que, dans de pareilles conditions, le travail des manufactures soit honoré; aussi les jeunes ouvrières de Lovell appartiennent-elles généralement à de respectables familles de fermiers ou de propriétaires peu aisés des différents États de l'Union. Elles quittent le toit paternel pendant quatre ou cinq ans, tantôt pour venir au secours de leurs parents, tantôt pour amasser une dot qui serve à les établir. Elles gagnent 20f à 25f par semaine, et, en quatre ans, elles peuvent épargner de 2,000f à 3,000f. Comme elles ont reçu dans la maison paternelle une certaine éducation, elles conservent pendant leur séjour à Lowell le goût de la lecture et des choses sérieuses: elles souscrivent à des bibliothèques circulantes, assistent à des cours, se réunissent en clubs ou cercles littéraires, et exercent à la fois leur imagination ainsi que leur jugement. Quelquefois elles s'associent pour prendre des leçons d'un professeur de langues étrangères ou de musique, ou se cotisent pour louer un piano. Quelques-unes même rédigent et publient, sous le titre de Lowell offerings (offrandes de Lowell), un recueil périodique où elles exposent, sous la forme de nouvelles et dans un langage aussi simple que correct, les impressions de la vie industrielle. (Faits communiqués à la Société d'économie sociale, dans sa séance du 25 mars 1868, par M. Ch. Thierry-Mieg.)

3. Les détails qui suivent ont été donnés à la Société d'économie sociale, dans sa séance du 25 mars 1863, par M. Ch. Thierry-Mieg.

4. Les nombres qui suivent se rapportent à l'exercice 1862.