N° 75.

MÉTAYER DE L'OUEST

DU TEXAS,

CULTIVATEUR-PROPRIÉTAIRE ET CHEF D'INDUSTRIE-TENANCIER,

DANS LE SYSTÈME DES ENGAGEMENTS MOMENTANÉS,

d'après

LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX, EN AOUT ET SEPTEMBRE 1891,

PAR

CLAUDIO JANNET ,

Professeur à la faculté libre de droit de Paris.



Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.

Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

§ 1ᵉʳ. État du sol, de l'industrie et de la population.

[101] La famille qui fait l'objet de cette étude habite momentanément le domaine d'Annadale, dans le comté de Callahan (Texas), à 10 milles1à l'est du petit town de Baird (850 habitants)2, chef-lieu du comté, et à 195 milles environ de Dallas, dans la même direction. Dallas (37,806habitants) est la plus grande ville du Texas. C'est la métropole de ce vaste Etat (688.342 kilomètres carrés), le plus grand de l'Union américaine. La superficié du Texas est en effet de plus d'un cinquième supérieure à celle de la France entiêre. Il est traversé de l'Est à l'Ouest par l'une des grandes lignes transcontinentales, le Texas and Pacific[102]Railroad. En allant à l'Ouest, à environ 18 milles, on trouve la cité d'Abilène (3.194 habitants), chef-lieu du comté de Taylor, qui a été fondée il y a huit ans et qui est, au point de vue climatérique et économique, le centre de la région où se trouve le domaine d'Annadale. On l'appelle couramment l'Abilene country, quoique ce nom ne corresponde à aucune division administrative.

L'Abilene country occupe une aire d'environ 150 milles de long sur 90 milles de large, entre les 31° et 33° 1/2 de latitude Nord et 99° et 100° 1/2 de longitude Ouest du méridien de Greenwich. Son altitude, qui est en moyenne de 1.800 pieds3au-dessus du niveau de la mer, soit 548 mêtres environ, atteint 2.000 pieds (609 environ) à Annadale. Cette région est formée de plaines ondulées. coupées par de petites dépressions, dans lesquelles serpentent, au milieu des hautes herbes, de petits cours d'eau, qui se dessèchent pendant l'été, saufdans quelques creux de terrain (crees) où des sources viennent affleurer. Il s'y forme des étangs, ayant de 100 à 300 pieds de long, soit 30 à 90 mètres, sur 40 à 50 pieds de large, ou 12 à 15 mètres, avec une profonde 3 à 12 pieds (0m,914 à 3m,657). Certaines espèces de poissons, des tortues d'eau douce, la grenouille géante (bulfrog) et aussi un serpent très venimeux, appelé mocassin par les habitants du pays, y abondent.

Le sol appartient exclusivement à la formation calcaire. Au-dessous d'une couche épaisse d'humus noir (loam), variant de 2 à 6 pieds de profondeur (0m,60) a) 1m.828), se trouve fréquemment une couche d'argile imperméable, qui assure à la végétation l'humidité nécessaire pendant les chaleurs de l'été, pourvu que la couche superficielle soit convenablement cultivée. Les puits qu'on y creuse donnent une eau ex cellente, à des profondeurs variables, mais qui à Annadale ne dépassent pas 15 pieds. Les roches calcaires qui affleurent sur les coteaux fournissent des matériaux de construction de premier ordre.

Le pays d'Abilène est un steppe ou, comme on dit en Amérique, une prairie, ainsi que presque tout l'Ouest du Texas. La prairie est coupée cependant, à l'Est, entre la petite ville Weather-Fordet Baird, par des collines boisées ou dominent plusieurs espèces de chêne et qui courent du Sud au Nord, sorte de prolongement du plateau mexicain appelé crossed timber. Le sol sablonneux de ces collines est très favorable à la végétation arborescente, quoique le peu d'humidité du sol empêche les[103]arbres d'y prendre un grand développement : de là le nom local de rus, broussailles, donné à ces forêts. La culture y est très précaire et les plus pauvres habitants y tentent seuls quelques défrichements sur lesquels le coton, grâce à sa racine pivotante, peut donner de bonnes récoltes dans les années favorisées par des pluies suffisantes. La mise en culture des prairies, où le bois est fort rare, assurera avec le temps une valeur à ces terrains, comme annexe des exploitations rurales.

Le domaine d'Annadale est à 2 milles environ de ces collines, soit un peu plus de 3 kilomètres. Il esten pleine région de prairie. La prairie est ecaractérisée par l'abondance et la variété des herbes, des graminées surtout, au milieu desquelles poussent quelques cactus et des roseaux sur les bords des crees. Dans cette partie du pays, cependant, la prairie est parsemée d'un arbuste appelé le mesquite (Mimosa niloltica, qui s'élêve à 2 ou 4 mêtres au plus ; son feuillage très grêle ne nuit pas à la pousse de l'herbe, et le bétail est avide des cosses où sa graine est renfermée. Sur les bords des crees, on trouve l'ormeau, le pécan, les saules et la vigne sauvage. Çà et là dans la prairie s'élèvent quelques vieux chênes appartenant à une espèce dite live oa (uercus robur). Ces essences ne viennent pas facilement dans ce terrain, et, depuis qu'au lieu d'être pàturée par quelques bisons la prairie l'est par des bœufs et des chevaux nombreux, leurs jeunes plants sont détruits. Dans quelques années, quand les Mesquites auront été tous coupés, les habitants manqueront de bois. La grande douceur du climat fait qu'ils se préoccupent peu de cette éventualité; mais, dès à présent, le bois de construction est fort cher.

La pression atmosphérique normale est égale à environ 28,2 pouces de la colonne de mercure ou 7 41PP67, soit une pression de 1 lilog. par centimètre carré. Les vents du Sud sont prédominants. Presque jamais l'atmosphère n'est absolument calme, ce qui empêche la température d'être trop élevée. Les insolations, si fréquentes dans le Nord des Etats-Unis, sont fort rares. Le pays est d'une salubrité parfaite. Les fièvres intermittentes n'atteignent que les individus qui en ont rapporté le germe de la partie Est du Texas où elles sont endémiques.

La température s'abaisse rarement au-dessous de 20 degrés Fahrenheit ou 6°,67 centigrades, et ne s'élève guère au-dessus de 100e, ou 37°,78 centigrades. En hiver, il règne parfois pendant dix à quine jours des vents du Nord (Morthers) qui sont le prolongement des Bliaards qui désolent le Nord-Ouest des Etats-Unis. La température[104]descend alors brusquement jusqu'au zéro du thermomêtre Fahrenheit ; mais c'est très momentané. Ces vents sont fort pénibles pour les bestiaux. L'hiver commence à la fin de novembre et finit en mars ; il est caractérisé surtout par des pluies et un ciel nuageux. Il est très rare que le bord des étangs soit pris par la glace.

D'après les rapports du Signal-Seruice des ́tats-Unis pendant la période de 1880-1890, la quantité de pluie a été en moyenne de 29,20 pouces ou 741m,68 par an. Elle est suffisante, non seulement pour les herbages, mais pour les cultures, quand elle se produit régulièrement. En 1886 et en 1887, deux grandes sécheresses, pendant le printemps et l'été, causèrent de véritables désastres agricoles. IHeureusement la one des pluies s'étend constamment de l'Est à Ouest, au fur et à mesure que le sol est en partie défriché. Nous constatons le fait, avec tous les habitants du pays, sans prétendre l'expliquer : les environs de Dallas, à 200 milles plus à l'Est, qui, il y a vingt ans, étaient très secs, recoivent aujourd'hui des pluies plutôt trop abondantes pour la réussite du coton.

Malgré ces chances de sécheresse, le pays d'Abilène est considéré comme une des plus riches régions agricoles des Etats-Unis. Le bléfroment (uheat), de l'espèce dite mediterranean, se sème en octobrenovembre et se récolte en juin ; il produit de 1.300 à 3.000 litres par hectare (15 à 35 bushels par acre). L'avoine oats se sème en févriermars et se récolte en juin; elle rend de 3.500 à 5.700 litres par hectare (40 à 65 bushels à l'acre). Le mais (corn) se sème en mars et se récolte en septembre ; il rend de 2. 700 à 5.400 litres par hectare (30 à 60 bushels à l'acre). Le coton se plante en avril-mai et se recueille jusqu'à la fin de novembre ; il peut rendre jusqu'à une balle et même une balle et demie, 250 à 300 lilog. par hectare (1/2 ou 2/f3 de balle par acre). Sur la terre qui a porté du blé ou de l'avoine, on fait quelquefois un semis de sorgho que l'on utilise en novembre comme fourrage artificiel ; on peut planter aussi des patates douces qu'on recueille à la même époque. Les pommes de terre de printemps se conservent difficilement pendant les chaleurs de l'été. Aussi, quoique originaire de ce pays où on la trouve dans les champs en abondance à l'état sauvage, la pomme de terre est loin de tenir dans l'alimentation la place qu'elle occupe en urope et dans le Nord des lats-Unis. Quelques plantations de vigne témoigncnt par leur belle réussite de l'avenir de la viticulture dans ce pays.

Les rendements qu'on vient d'indiquer sont obtenus sans fumure.

[105] C'est à peine si, après dix récoltes ininterrompues de blé, une diminution de rendement se produit. Les cultivateurs avisés recourent alors aux fumiers de leurs écuries, négligés jusque-là, ou bien labourent un peu plus profondément ; mais il est encore plus simple pour eux de planter du coton. Sa racine va chercher une couche d'humus plus profonde, et les cultures multipliées dont il est l'objet permettent au sol de reconstituer sa fertilité par les actions atmosphériques.

A l'Ouest d'Abilêne la quantité de pluie diminue ; la prairie n'est jusqu'à présent propre qu'au pâturage : c'est le pays des ranchs, où chevaux, bœufs et moutons sont élevés en liberté sur de vastes parcours.

C'est à 100 milles (161 kilomètres environ) à l'Ouest de cette ville que se trouvent ces grands ranchs de bestiaux et de chevaux dont la vie, avec ses violences, ses meurtres, ses vols d'animaux, ses vendettas, ses guerres privées, est devenue légendaire aux ́tats-Unis. L'extrême Ouest du Texas présente sous ce rapport un contraste avec le NordOuest, dû à la manière dont s'est formée la population de ce pays et au voisinage du Mexique. Mais cet état de choses disparait au fur et à mesure que les populations agricoles s'établissent, et dans les environs d'bilêne le plus grand respect de la loi règne parmi les farmers et les petits ranchmen qui vivent entremêlés.

Il y a douze ans seulement que quelques défricheurs ont pénétré dans le comté de Callahan. Aujourd'hui il est complètement occupé. Le gouvernement du Texas vient de vendre les dernières terres publiques qu'il y possédait4et dont le produit est affecté à constituer le school fund. Celles qu'il avait concédées au Veas and Paeifie Rrd., par sections alternées avec celles de l'Etat, ont été toutes vendues. Il n'y a donc plus aujourd'hui dans ce comté de terres publiques sur lesquelles le droit de préemption de l'occupant (settler) puisse s'exercer.

L'Eat du Texas a adopté pour ses terres publiques le système pratiqué aux États-Unis. Des opérations cadastrales (surueg) partagent les territoires non occupés en comtés, en tovnships, en sections de 640 acres (256 hectares), demi-sections de 320 acres (128 hectares) et quarts de sections de 160 acres (64 hectares).

Des routes de différentes largeurs sont réservées entre les sections à des distances déterminées, en sorte qu'elles se coupent à[106]angle droit. Le voyageur se rend ainsi toujours compte d'une manière exacte de la distance qu'il a parcourue. Des bornes en pierre fixent ces limites. Toutes ces sections sont orientées et représentent des caurrés parfaits. Les ventes faites, soit par l'État, soit par les chemins de fer et autres entreprises d'utilité publique subventionnées au moyen de terres domaniales, sont toujours faites en se référant au cadastre. Les transactions postérieures qui s'opèrent entre les acquéreurs successifs, quoique amenant souvent la division d'une section, la prennent toujours pour base.

La constitution agricole repose donc essentiellement sur le domaine aggdoméré. A la différence des Canadiens, qui établissent habituellement leur maison sur le bord de leur domaine, les Américains la construisent de préférence au centre. Néanmoins, cette habitude n'est pas sans exception; et la famille, objet de cette monographie, a au contraire placé son habitation presque sur la ligne de séparation de la propriété voisine.

Presque toutes les propriétés sont clôturées avec des fils de fer garnis de piquants qu'on appelle ronces artificielles. Le bois est trop rare pour qu'on l'emploie à cet usage.

La majeure partie du territoire est encore laissée au pâturage. Le domaine d'Annadale par exemple, sur une étendue de 1.840 acres (736 hectares) en a seulement 200 (80 hectares) en culture, quoique le reste soit pour la plus grande partie formé de terres d'excellente qualité. La proportion des pâtures s'élêve encore davantage sur d'autres domaines. Mais ces pâturages, soigneusement clôturés, sont occupés par des animaux d'espèce choisie, et surveillés avec grand soin par le propriétaire qui leur donne du fourrage pendant l'hiver. Il y dresse des chevaux de demi-sang et engraisse des bœufs qui ont une valeur bien supérieure aux animaux à demi-sauvages des ranchs proprement dits. C'est ce qu'on appelle une stoc farm. Actuellement, c'est le mode d'élevage qui paraît le plus rémunérateur. Le temps des grands ranchs est passé, au moins dans cette partie des Etats-Unis.

Le ˉCensus de 1890 indique, pour le comté de Callahan, une population totale de 5.457 habitants. n 1880 elle était seulement de 3.453. Sauf les 850 habitants de Baird, cette population est exclusivement agricole.

A Baird on ne trouve, avec les fonctionnaires résidant au cheflieu du comté, que quelques marchands et saooneeers. Un commerçant qui a un petit eleuator sur la ligne du chemin de fer y achète[107]tous les produits agricoles qui lui sont oferts. Il agit comme commissionnaire pour les grands commerçants de Saint-Louis et de Dallas. ne autre petite agglomération, Clde, est beaucoup moins importante : elle a seulement un bureau de poste et une station de chemin de fer ; elle sert de centre de réunion aux catholiques dispersés dans le comté. Une petite colonie d'environ quinze familles portugaises, qui était allée en Californie et n'y avait pas réussi, s'y est arrêtée en revenant sur ses pas, quelques familles irlandaises et une famille canadienne se sont établies dans levoisinage par affinité religieuse. Un prêtre résidant à Eorthvorth, à 150 milles de distance, vient y célébrer lamesse et instruire les enfants une fois par mois5. Abilène elle-même, malgré ses espérances d'avenir, malgré la spéculation qui s'est produite sur ses lots et ses vastes boulevards tracés aumilieu de champs où s'ébattentdes chiens de prairie, Abilène ne compte qu'une population de 3.194 habitants, composée de petits commerçants, de saloonbeepers, de real estate agenfs (courtiers en terrains) et complétée par quelques médecins et dauvgers. L'industrie n'y est représentée que par un moulin à farine qui produit sa vapeur avec du bois ; dans ces conditions, il ne travaille que d'une manière intermittente. Les farmers du comté de Callahan vendent leur blé à des marchands de Baird et leur achètent de la farine que ceux-ci font venir des grandes minoteries de Saint-Louis, dans le Missouri, à une distance de 850 milles.

La population du comté de Callahan se compose de quatre caté gories d'habitants :

1° Quelques ranchmen ou plutôt propriétaires-éleveurs, selon la méthode indiquée plus haut, qui cherchent à élever autant d'animaux que possible, au besoin en louant des pàtures attenant à leur propriété. Les progrès du défrichement tendent peu à peu à les éliminer, d'autant plus que tous sont prêts à vendre enréalisant la plus-value acquise par leurs terres.

2° Les farmers ou cultivateurs, qui cherchent à étendre chaque jour leur culture sur les terres dont ils disposent. Le minimum d'étendue de ces domaines est un quart de section, 160 acres (64 hectares). C'est l'étendue qui parait nécessaire, étant donné le climat, pour entretenir quelques bestiaux et occuper par la culture l'activité d'un homme. Les farmers qui ont une demi-section, 320 acres (128 hectares), une sec[108]tion entière, 640 acres (256 hectares), plusieurs sections même, ne sont pas rares. Des degrés de richesse assez élevés se trouvent dans cette partie de la population, quoique la manière de vivre soit à peu près la même pour toutes les familles. Ils forment la partie la plus nombreuse et en même temps la plus solide de la population. C'est à elle qu'appartient la famille objet de cette monographie, quoique momentanément, et pour réaliser un bénéfice supérieur à celui qu'elle tirerait de sa propriété, elle cultive comme renter (métayer) la farm d'un propriétaire voisin.

3° Le nom de renter désigne, non pas un fermier à rente fixe, — il n'en existe pas un seul dans le comté ni dans les comtés voisins, — mais un colon partiaire. Deux sortes de contrat sont usités. Quand le propriétaire fournit la semence, le matériel d'exploitation, les chevaux et l'habitation, les récoltes, blé, avoine, mais, se partagent par moitié, le renter fournissant toute la main-d'euvre ; la batteuse est payée par moitié, les loueurs de batteuse prélevant le douzième de l'avoine ou du blé battu ; mais le renter doit payer les hommes et le bois nécessaire pour faire marcher la machine. Le coton exigeant beaucoup plus de main-d'œuvre, le propriétaire n'a dans cette combinaison qu'un tiers de la récolte. — Si, au contraire, le renter fournit la semence, le matériel d'exploitation et les chevaux de labour, le propriétaire n'a droit qu'à un tiers du mais ou de l'avoine et à un quart du coton. Cette combinaison n'est pas usitée pour le blé. Si une quantité de terre assez grande pour occuper une famille est louée dans ces conditions, le propriétaire fournit une maison fort simple et sans aucun mobilier. Des parcelles de quelques acres sont cependant assez souvent louées sans maison, à colonat partiaire, à de petits propriétaires qui vivent sur leur domaine, mais qui n'ont pas de terres suffisantes ou propres à la culture du coton ou du mais.

Le partage des récoltes a lieu en nature pour les céréales, après le battage. Pour le coton, le renter le porte d'abord au moulin (gin) où l'on sépare la graine d'avec la soie puis il le porte au marché voisin ou il est classé et acheté, suivant sa qualité, au prix courant déterminé par les marchés régulateurs de la Nouvelle-Orléans et de Saint-Louis. Le renter remet au propriétaire le tiers du prix obtenu ainsi, déduction faite du tiers des frais de transport. Ces contrats, étant réglés par l'usage local, ne sont pas habituellement constatés par écrit. Ils n'en sont pas moins exécutés avec une grande bonne foi. ln principe, ils ne sont amais conclus que pour une année, et il n'y a rien dans les coutumes[109]du pays d'analogue à ce qu'on appelle en France la tacite reconduction. Le rentage d'une terre peut se prolonger et se prolonge quelquefois ; mais les conditions économiques de ce pays, en voie de formation, font de la mobilité des personnes et de la brièveté des engagements de travail une nécessité absolue. L'époque usuelle d'entrée en jouissance des renters est le 1e janvier, qui correspond à la culture du coton : c'est en effet celle en vue de laquelle les contrats de métayage sont le plus usuellement pratiqués.

Les renters sont assez nombreux dans le comté de Callahan. Des cultivateurs qui n'ont pas de matériel d'exploitation, trouvent dans ce contrat le moyen de se constituer des capitaux par des profits de culture dépassant de beaucoup les salaires qu'ils gagneraient comme journaliers, ou les produits qu'ils retireraient de l'exploitation d'un petit domaine leur appartenant : on le verra par les comptes annexés à la présente monographie. Cette classe de renters tend à s'accroître, non seulement parce qu'il n'y a plus comme autrefois de terre au prix de 2 $6l'aere (10f 36 les 40 ares), ni d'homestead a prendre dans ce comté et les comtés voisins ; mais aussi parce que des cultivateurs dépourvus de capitaux s'épuiseraient de travail sans résultats, même sur une terre leur appartenant. La constitution préalable d'un capital d'exploitation d'environ 1.000 $ (5.180 francs), et son application à une étendue d'une demi-section, 320 acres (128 hectares), sont les conditions indispensables de succès pour une famille de /farmers. Ere renter pendant un certain temps est le moyen le plus sûr pour les réaliser.

4° Un nombre encore assez considérable d'individus sont des ouvriers domestiques loués au mois, ou des journaliers. On les appelle hired hands. Le supplément de main-d'œuvre nécessité à l'époque des moissons, de la récolte de coton, des semailles, leur assure des occasions d'emploi fréquentes. Les hiredhands sont généralement des jeunes gens non encore mariés, parfois de jeunes ménages qui n'ont pas les moyens nécessaires pour être renters.

La main-d'œuvre est abondante dans le comté, et les propriétaires ou les renters en trouvent facilement : une sélection légitime s'opère parmi les ouvriers ; les paresseux sont éliminés.

Les relations entre les emplopeurs et les hired hands sont fort bonnes. Les hommes loués à gages travaillent généralement avec régularité et conscience. Le contrat de louage d'ouvrage comprend, dans les idées[110]courantes, l'obligation de prendre au mieux les intérêts de l'employeur, et il est exécuté ainsi ; quelquefois même ce sentiment est poussé trop loin, et l'on voit dans l'extrême Ouest du Texas les couvbos prendre les intérêts de leur ranchman jusqu'à se battre entre eux, parfois même à commettre des actions délictueuses. Il n'est heureusement pas question de cela dans la paisible région où habite F***.

Le prix d'un ouvrier agricole au mois est de 15 à 20 $ (77f 70 à 103f 60), plus la nourriture : on peut louer un couple marié pour le même prix, la femme ne s'occupant que des soins du ménage. Le prix de la journée est de 1 $ (5f 18) en été, de 50 à 75 cents (2f 59 à 3f 89) en hiver. Pour un charpentier ou un maçon, ces prix sont majorés de 50 %.

Il y a bien peu de servantes, hired girls, dans le pays. Des lrlandaises, des Allemandes ou des Scandinaves émigrées acceptent seules cette condition : ce sont elles qui forment le personnel des dining girls de certains restaurants et buffets de chemins de fer. Une cuisinière, qui ferait en même temps le blanchissage et soignerait les poules, pourrait être louée pour 10 à 12 $ (51f80 à 62f 76) par mois.

La nourriture est comprise dans ce prix. Elle est toujours prise à la table de l'employeur. n propriétaire d'origine anglaise qui a voulu se soustraire à cet usage, est très mal vu dans le pays ; les meilleurs ouvriers refusent de travailler pour lui. Ils sont au contraire fort peu exigeants sous le rapport de lanourriture, pourvu que l'emplopeur n'en ait pas unemeilleure. D'une manière générale, la population rurale du Texas est très sobre et se contente de peu, comme quantité et comme qualité.

Les ouvriers domestiques, les journaliers, possèdent tous au moins un cheval et une selle, qui représentent un capital de 75 (388f 50) environ. Le propriétaire du domaine d'Annadale a en ce moment à son service un jeune homme de vingt-cinq ans qui possède 3 chevaux et paie d'ailleurs leur nourriture, 40 cents (2f 07) par tête et par mois, sur sa pàture. La possession de ce cheval est pour un journalier la condition indispensable pour aller chercher de l'ouvrage. C'est en même temps une garantie morale pour l'employeur. On prendrait ditficilement un individu ne possédant même pas un cheval. On craindrait d'introduire chez soi un vagabond (tramp).

Les tramps, qui voyagent à pied ou se glissent la nuit sur les vagons des trains de marchandises, et qui sont la plaie de beaucoup de campagnes américaines, sont heureusement presque inconnus dans les en[111]virons d'Annadale. Ils ne s'éloignent pas autant de la ligne du chemin de fer.

Les Indiens chasseurs de la tribu des Comanches, qui occupaient ce pays depuis un temps immémorial, ont complètement disparu. Il n'y a pas un seul nègre dans les campagnes. Quelques noirs des anciens États du Sud vont à Baird ou à Abilene comme servants d'hôtel, barbiers ou autres métiers inférieurs, mais ils n'y amènent pas leur famille. D'après le Census de 1890, il n'y avait que 31 noirs dans le comté de Callahan et 189 dans celui de Taylor. Cette partie du Texas était absolument inexplorée à l'époque de l'esclavage, et la race noire tend plutôt à se concentrer sur son ancien domaine qu'à s'étendre. C'est une condition heureuse pour le pays ; car la présence de noirs est toujours une cause de démoralisation pour les blancs.

Le pays est assez peuplé pour que les relations de voisinage jouent un grand rôle dans la vie desfarmers. Ils les recherchent et s'établissent de préférence à proximité les uns des autres, en sorte que le défrichement du pays se fait comme par ones. Les cultivateurs voisins s'entr'aident les uns les autres, à l'époque des moissons ou des cultures du coton, par des échanges de journées.

L'argent est rare : beaucoup de transactions sont conclues sous la forme de trocs en nature. Les farmers quelque peu riches et les ranchmen ont tous un compte de dépôts dans la banque nationale de Baird ou dans lestrois banques nationales d'Abilène ;ils règlent leurs transactions au moyen de chèques à vue ou, en cas de vente à crédit, avec des billets portant intérêt (notes). On ne garde pas d'argent chez soi. Le service de caisse rendu par les banques est regardé comme si importan t qu'elles n'allouent pas d'intérêts aux dépôts à vue qui leur sont faits. Elles se bornent, pour attirer ces dépôts, à faire gratuitement les recouvrements pour le compte de leurs clients et à leur faire plus ou moins facilement, à l'occasion, des avances à découvert à raison de 12 % l'an, intérêt en dedans et se capitalisant tous les quatre mois7.

§ 2. État civil de la famille.

[112] La famille comprend sept personnes :

1.W. B. F***, chef de famille, né dans le Tennessee............ 3 ans.

2.L. B***, sa femme, née dans la Géorgie............ 30 —

3.LAURA F***, leur fille aînée, née dans le comté d'Ellis (Texas)............ 10 —

4.SUZY F***, leur 2e fille, née dans le comté de Callahan............ 8 —

5.ROBERT (BOB) F***, leur fils aîné, né dans le comté de Callahan............ 5 —

6.JOHN F***, leur 2e fils............ 3 —

7.HENRY F***, leur 3e fils............ 15 mois.

Les époux n'ont pas perdu d'enfants.

Leur mariage a eu lieu en 1880; F*** avait alors vingt et un ans et sa femme dix-neuf. Ce sont des âges normaux, eu égard aux habitudes du pays et spécialement de la classe des farmers.

La famille se trouve fréquemment complétée par la mère de la femme, mistress B***, âgée de soixante-deux ans. Restée veuve, elle partage son temps entre ses filles. Outre celle qui fait l'objet de la monographie, elle a une autre fille mariée dans le même comté, à 5 milles de distance, et une troisième fille mariée dans le comté d'Ellis. Pendant ces séjours, elle prend une grande part aux travaux du ménage et aux soins des enfants. Elle les prolonge quand quelqu'une de ses filles se trouve souffrante. Ses gendres voient de bon œil sa présence, en raison des services qu'elle rend à leur ménage et de son caractère éminemment respectable.

§ 3. Religion et habitudes morales.

Les deux époux sont protestants et ont des sentiments chrétiens très prononcés. La femme ainsi que ses parents appartient à l'église baptiste, qui est fort populaire parmi lesfrmers de cette région. Les éleveurs et les gens plus riches, qui descendent de Sudistes ruinés par la guerre de la Sécession, appartiennent généralement à l'Eglise épiscopalienne.

C'est grâce à l'intervention de la femme que les membres de l'Eglise baptiste ont obtenu du propriétaire d'Annadale l'autorisation, — accordée de très bonne grâce quoiqu'il soit catholique, — de procéder dans l'un de ses étangs au baptême par immersion des adultes qui se[113]joignent à l'Eglise. Une cérémonie de ce genre, qui a eu lieu au mois d'aout 1891, avait attiré, indépendamment des membres de l'Eglise, de nombreux curieux. L'immersion de deux adultes, un jeune homme et une jeune femme, accomplie après des chants et des prières, célébrés sur le bord de l'étang avec une grande ferveur et beaucoup d'émotion, parut vivement intéresser les assistants. Même pour un indifférent, la simplicité de la cérémonie ne laissait pas d'avoir un caractère de grandeur. A cette occasion, la famille F*** a invité à sa table, au dîner et au souper, les principaux voisins présents.

L'Élise baptiste n'a pas dans ce comté de lieu de culte lui appartenant en propre, où des services réguliers soient célébrés. Elle est autorisée seulement à se servir des bâtiments d'école, en se concertant avec les autres confessions qui en demanderaient l'usage le dimanche. Une sorte de roulement s'établit alors entre elles pour en user8.

Le dimanche, la famille se borne à observer le repos suivant un usage absolument universel en Amérique, et qui au besoin serait sanctionné par la loi. F*** 1ait quelquefois une lecture dans la Bible et la femme chante parfois des cantiques avec les voisines qui sont venues la visiter. Des ministres itinérants viennent de temps à autre visiter la communauté baptiste, dont le zèle est en temps ordinaire entretenu par les elders ou notables.

Des eetings ont alors lieu plusieurs jours de suite dans les maisons d'école. Les chants, la prédication, les prières improvisées, les récits que les membres de l'Eglise, hommes et femmes, font de leurs expériences religieuses, alternent et occupent plusieurs heures. Outre les membres de l'Eglise, beaucoup defarmers du voisinage accourent à ces réunions qui ont lieu durant les nuits d'été et qui sont une occasion de se voir. lien n'est pittoresque, par un beau clair de lune, comme les chevaux attachés aux barrières voisines de la maison d'école, les vagons dans lesquels les familles sont venues de plusieurs milles à la ronde et où dorment sur un matelas les jeunes enfants qu'elles ont amenés pour ne pas les laisser seuls, les chiens qui ont accompagné leurs maîtres, les poulains qui ont suivi leur mère. Les prédications des ministres, surtout les témoignages rendus par les membres de l'llglise de leur état d'âme, avec une grande surexcitation qui se traduit souvent par des pleurs et des crises nerveuses, déterminent généralement chez quelqu'un des assistants la persuasion[114]que l'lEsprit opère en lui. Il se déclare touché, affirme qu'il veut se convertir et va s'asseoir sur le banc d'anxiété. L'Église redouble de prières pour sa conversion ; ses amis, ses parents lui adressent les plus pressantes exhortations, et généralement, au bout d'une ou de plusieurs séances, le pécheur, touché par l'lEsprit-Saint, se proclame converti et se sent lui-même sanctifié. On le félicite, on l'adjoint à l'Eglise et on procède assez promptement à son baptême.

F*** a été précisément, au mois d'août 1891, le héros d'une de ces scènes. Il fréquentait depuis longtemps les meetings de l'Église baptiste et aussi les cmp-meetings qui ont lieu à intervalles irréguliers dans le voisinage. Les influences du milieu, ses sentiments religieux intimes. la grande honnêteté de sa vie devaient un jour ou l'autre amener ce dénouement.

Il mène ses filles aînées à ces meetings, et elles ont été témoins de la conversion de leur père. Plus tard elles seront disposées à se joindre à l'Eglise baptiste ; mais c'est seulement quand elles seront adultes qu'elles feront cette démarche et recevront le bapteme par immersion. Cette confession ne le donne, en effet, pas aux enfants.

Le rôle que chaque membre de l'Eglise peut jouer dans les meetings. en prenant la parole, s'il a la faculté d'improvisation, pour prier à haute voix, ou pour raconter ses impressions intimes, est évidemment une des causes qui rendent très populaire la confession baptiste dans la classe des farmers.

Si les protracted meetings que nous venons de décrire et qui sont tenus dans les locaux scolaires, malgré les crises nerveuses qui s'y produisent parfois, sont vus d'un il favorable par toutes les personnes qui attachent du prix au maintien des sentiments religieux, il n'en est pas de même des camp-mecetings organisés par des prédicants baptistes ou méthodistes. Comme l'indique leur nom, ils ont lieu dans des bois, où les assistants campent pendant plusieurs jours dans une promiscuité très grande. La mangerie et la beuuerie y tiennent une grande place. Les prédications violentes des ministres déterminent chez les femmes des crises d'hystérie. Des hypocrites se glissent dans ces réunions auxquelles la curiosité attire une grande foule, et, la nuit ainsi que l'épaisseur des bois aidant, de graves désordres moraux s'y produisent.

La famille F*** est remarquable par sa moralité, par le dévouement du mari aux siens, par les vertus domestiques de la femme et par la bonne éducation donnée aux enfants. Les parents ne craignent pas[115]de donner aux plus jeunes quelques légères corrections manuelles appropriées à leur âge.

Les familles de farmers sont généralement très morales. L'absence complète de maisons de prostitution (une seule d'un ordre très infime est tolérée à Baird), et l'économie qu'un jeune homme réalise en ayant un ménage au lieu de vivre en pension font dumariage la grande ambition de toutjeune Américain. Recherchées par les jeunes gens avec une liberté d'entretien et de promenades qui est générale dans toutes les classes de la société, les jeunes filles font leur choix librement ; les jeunes gens paresseux ou mal doués sont éliminés. Les parents, au moins dans la classe des farmers, ne se désintéressent pas complètement du mariage de leurs filles. Mais, quand celles-ci ont atteint l'âge de dix-huit ans, leur consentement n'est pas nécessaire pour l'obtention de la licence ou pièce délivrée par le recorder du comté qui autorise tout ministre d'un culte à procéder à la célébration du mariage. Si les parents refusent leur consentement, le couple n'en obtient pas moins sa licence et va se marier. On appelle cela dans le pays : to steal a girl. Les unions de ce genre ne sont pas mal vues par l'opinion.

La séduction est considérée comme un délit, et, dans sa session de 1891, la législature du Texas a voté une loi qui amende la procédure en pareille matière, de maniêre à rendre encore plus avantageuse la position juridique de la fille qui actionne en justice son séducteur.

Une fois mariées, les filles sont presque toujours des femmes très dévouées. Elles ont pour leur personne des soins de propreté et une certaine recherche dans leur mise, d'ailleurs simple et de bon goût, qui les met bien au-dessus des paysannes européennes et contribue évidemment à l'attachement des Américains pour leur foyer. Cette recherche contraste avec l'état inculte des hommes, voire avec leur déguenillage.

Néanmoins, ce tableau n'est pas sans quelques ombres. Les libres fréquentations des jeunes gens et des jeunes filles à la campagne. durant les nuits d'été, dans les camp-meetings surtout, amènent parfois des désordres que le mariage ne répare pas toujours. Quoique, par suite de certaines précautions, il ne s'ensuive jamais de naissances naturelles, il est plus d'une épouse qui n'apporte pas sa virginité à son mari, soit que des fraudes aient empêché la génération, soit même que l'on ait eu recours à des maneuvres abortives. Quelques pères de famille, plus vigilants que la généralité, s'opposent aux libres promenades de leurs filles ; et ils ont leurs raisons pour cela.

[116] Il y a aussi un certain nombre de femmes divorcées dans le pays On les appelle, par courtoisie, des veuves : en fait, leur considération est quelque peu atteinte.

Les familles de /farmers sont très fécondes. Dans le voisinage, plusieurs farmers ont jusqu'à dix-huit et vingt-quatre enfants, issus, il est vrai, de mariages successifs. Les veufs, dans cette classe, convolent avec une grande rapidité. Dans les familles plus riches, surtout parmi les habitants des petites villes de la contrée, les enfants sont au contraire peu nombreux : la généralité de ce fait témoigne d'une stérilité systématique.

F*** comme tous les farmers du pays, attache un grand prix à ce que dès à présent ses deux filles, et plus tard ses garçons, recoivent de l'instruction dans les common schools. Elles fréquentent, pendant les mois d'hiver, une école construite en bis, distante de 2 milles de la maison (3m218e,62). Quelquefois leur pêre leur confie une petite voiture légère avec un vieux cheval très sûr.

En septembre 1891, F***, profitant de l'aisance qu'une belle récolte a amenée dans son méuage, a suivi un cours de doue leçons d'écriture qu'un voisin a organisé le soir dans l'école voisine. Sa fille aînée l'a suivi en même temps que lui. La dépense qu'il a volontiers faite pour cela. — le prix du cours était de 2 $ (10f 36) par élève, — indique le grand intérêt que F** atache à l'instruction. lIl croit que c'est par son défaut d'instruction première qu'il n'occupe pas une position plus élevée dans la société. Dans ses projets d'avenir, il se propose de faire donner le plus d'instruction possible à ses fils et ne craindra pas de s'imposer des dépenses importantes dans ce but.

L'instruction n'est pas obligatoire dans le Texas ; mais le gouvernement, soutenu en cela par l'opinion, fait les plus grands efforts pour la propager. Il affecte à ce service : 1° le produit intégral de la vente ou de la location des terres publiques (§ 1), ; 2° une taxe scolaire, Sate schoolt tax, de 12 1/2 cents (0f 65) par 100 dollars (518 francs) de valeur assessée sur toutes les propriétés. Le montant des appropriations faites sur le school fund est monté, en 1890-1891, a 4 $ 50 (23f 31) par tête d'enfant fréquentant l'école. Graice à cette libéralité, beaucoup de comtés, et celui de Callahan est du nombre, ont pu se dispenser de recourir à une taxe scolaire spéciale9. Il serait[117]nécessaire d'y recourir, si, comme le demandent les fonctionnaires spéciaux de l'instruction publique, répondant en cela aux vœux des pères de famille peu fortunés, notamment de F***, la législature portait à huit mois le temps pendant lequel l'école serait ouverte, au lieu de six mois, terme actuel, et attribuait gratuitement à tous les élèves les livres de classe.

D'après l'organisation actuelle, le territoire des comtés est partagé en school districts et en school communities, là où la population est moins dense. C'est à ce dernier type qu'appartient le comté de Callahan. Les schoolcommunities doivent entretenir une école tous les 4 milles carrés.

En 1889-90,il existait dans le comté 33 school communities, qui entretenaient 29 écoles dont une seule, celle de Baird, était graded10, c'està-dire partagée en plusieurs classes. En moyenne, elles avaient été ouvertes 4 mois et 14 jours. La population d'âge scolaire était de 1.158 enfants, et, en y comprenant les enfants au-dessus et au-dessous de l'âge légal qui avaient voulu suivre l'école, elle montait à 1.309 enfants de l'un et de l'autre sexe, sur lesquels 728 avaient été présents chaque jour en moyenne.

Jusqu'à présent, chaque bureau scolaire choisissait les livres de classe pour ses écoles ; mais, dans la session de 1891, la législature du Texas, cédant à des tendances centralisatrices et bureaucratiques qui se font jour dans beaucoup d'Etats de l'Union, a voté une loi aux termes de laquelle le State board of Education de l'État devra arrêter une liste de livres scolaires obligatoires uniformément dans toutes les écoles publiques de l'EEtat et passer des marchés avec des éditeurs pour qu'ils soient vendus à des prix fixes dans chaque comté. Les électeurs de chaque school commaunil nomment un oard of trustees composé de trois personnes dont les fonctions sont jusqu'à présent gratuites. Ces trustees choisissent librement le teacher, pourvu qu'il remplisse certaines conditions et produise un certificat d'examen prévu par la loi. Les enfants des deux sexes sont élevés en commun ; ils vont depuis l'âge de sept ans dans les common schools et peuvent les fréquenter[118]jusqu'à seize. Tout enseignement confessionnel, sectarian, est exclu des common schools, et la constitution du Texas défend à la législature de subventionner aucune école ayant le caractère confessionnel ; néanmoins on chante des hymnes religieux et on fait des lectures de la Bible dans l'école que fréquentent les filles de F***. Le dimanche, des personnes zélées appartenant aux diverses confessions réunissent les enfants dans le local de l'école pour leur donner un enseignement religieux. En ce qui touche les catholiques, toutes les fois que le prêtre vient dire la messe à Clyde, il remplit ce devoir avec grand zèle dans l'après-midi.

Le teacher de l'école publique est un jeune homme du Missouri : son salaire est de 54 $ (233f10) par mois pendant les mois où l'école est effectivement ouverte11. Il a à se pourvoir d'un logement. Une fois le temps d'école fini, il se livre à la profession agricole ; il loue une terre pour faire du coton.

Le maître d'école a, au mois de septembre, résigné ses fonctions pour s'établir définitivement dans le pays comme agriculteur. Il a obtenu d'être remplacé par sa sœur.

Les livres de classe changent chaque année, les enfants passant d'un degré à un autre : la plus jeune fille hérite des livres de son aînée. La dépense des livres et fournitures de classe s'élève pour la famille à environ3 $ (15f54) par an.

Il y a encore au Texas un certain nombre de blancs absolument illettrés ; mais les grands efforts faits parlegouvernement de l'Étatet les comtés, quien 1888-89 n'ontpas dépensémoins de 3.350.000$ (17.353.000fr.) pour l'instruction publique, et surtout le courant très vif de l'opinion publique, feront dans le cours d'une génération cesser cet état de choses regrettable. F***et sa femme, qui, on l'a vu, sont nés l'un en Tennessee, l'autre en Géorgie, savent lire et écrire ; mais ils usent rarement de ces talents. F*** ne reçoit pas de journaux et ne lit presque jamais. La correspondance de la famille ne dépasse pas cinq lettres par an ; mais F*** sait à l'occasion faire un compte comportant les opérations élémentaires de l'arithmétique.

F*** connait fort bien le mécanisme du gouvernement local et s'y intéresse avec sagacité. Le comté est administré sagement et honnê[119]tement. Il avait en 1880 une dette de 9300 dollars ; en 1890, elle était réduite à 8.000 dollars. F*** s'est engagé dans la Farmer's Alliance. C'est une organisation qui a pour objet de défendre les soi-disant intérêts économiques particuliers desfarmers. Elle a pris la forme d'une société secrète, suivant une habitude fréquente aux tats-Unis. Cette circonstance ajoute à l'intérêt que F*** prend aux réunions de la loge dont il fait partie (§ 18).

§ 4. Hygiène et service de santé.

Le climat est extrêmement salubre ; la seule affectionmorbide particulière au pays produit des furoncles qui tendent à se répéter d'une manière pénible. L'eau des puits qu'on creuse dans le domaine d'Annadale et aux environs est excellente. Depuis que les époux F*** sont établis dans cette localité, ils jouissent d'une santé parfaite. F*** a environ 1m77 ; il est maigre et élancé ; les exiens natifs sont généralement plus grands. Sa femme a environ 165 et est bien proportionnée. Les deux époux ont des cheveux châtains ; les enfants, dans les premiêres années, ont les cheveux blond chanvre ; ils brunissent ensuite un peu. Le type blond est très répandu dans cette partie du Texas. F*** a eu autrefois les fièvres, quand il habitait, plus à l'Est, le comté d'Ellis ; il n'en a conservé aucune infirmité ; mais il paraît âgé de quelques années de plus qu'il ne l'est réellement.

Sa femme se porte fort bien. Quand elle accouehe, elle recourt à l'assistance d'une sage-femme qui habite dans le voisinage.

Tous les membres de la famille ont eu récemment la rougeole ; ils ont gardé le lit pendant dix jours. Ils n'ont pas fait appeler le médecin, qui ne serait pas venu les voir à moins de 5 $ (25f90). Les médecins sont nombreux à Baird et à Abilène ; le prix de la consultation chez eux est de 1 dollar (5f18) ; mais les époux n'y recourent jamais.

Les enfants vont nu-pieds, été et hiver, jusqu'àtreie ou quatorzeans. Cette habitude, qui est générale dans les campagnes du Texas et qu'on retrouve même chez des familles riches, parait exercer une influence fortifiante sur la santé des enfants.

F*** ne recourt jamais aux vétérinaires et n'emploie aucune drogue pour ses animaux, si ce n'est un onguent pour faire périr les vers qui se développent parfois dans les plaies des vaches ou des chevaux.

§ 5. Rang de la famille.

[120] F*** appartient à la classe des petits farmers ; ilne possêde qu'un quart de section, 160 acres (64 hectares). Il a trouvé avantage à louer sa terre en colonat partiaire, pour être lui-même renter sur une farm beaucoup plus vaste et mieux outillée (§ 12). Il a réalisé d'importants bénéfices, et, à l'expiration de l'année, il a repris la culture de sa propre farm avec des ressources plus considérables.

Entre temps, il a, disons-nous, loué la majeure partie des terres en culture de safarm pour un an à un nommé G***, son ami, qui ne possède pas de terre, mais a un assez bon matériel d'exploitation, et qui s'est installé dans la maison de F***, Suivant les usages propres à ce genre de colonat, G*** cultive 40 acres (16 hectares) en coton, moyennant le quart abandonné à F***, et 10 acres (24 hectares) en mais, moyennant le tiers abandonné à F***; il a fourni la semence et y emploie son capital d'exploitation (§ 1).

Pendant ce temps, F*** garde en réserve son matérielagricole ou l'emploie pour une petite exploitation personnelle de culture de coton sur sa farm.

D'après le contrat intervenu entre lui et le propriétaire du domaine d'Annadale, contrat qui, par exception, a été constaté par un écrit sous seing privé, à cause de quelques clauses particulières, F*** a dû cultiver, à la condition de partager la récolte par moitié, 120 acres (48 hectares) en blé froment, 0 acres (20 hectares) en avoine, et 10 acres (4 hectares) en mais. Le propriétaire a fourni les chevaux, tout le matériel d'exploitation et la semence, F*** fournissant seulement son travail. Il a obtenu en outre, en dehors des usages locaux, le droit de faire pàturer sur les pâturages du propriétaire ses chevaux et sa vache, ce qui constitue pour lui une subvention importante.

Le genre de vie de la famille Fe* est celui de tous les petitsfarmers. Elle s'élève au milieu d'eux, seulement par la considération justement acquise aux époux, en raison de leur honneteté, de leurs habitudes laborieuses, des bons rapports qu'ils entretiennent avec tout leur voisinage.

L'habileté de F*** comme cultivateur, les talents de sa femme comme ménag̀re, leur permettront d'augmenter leurs propriétés ; mais leur ins[121]truction bornée les empêchera d'être jamais autre chose que des farmers.

La liberté la plus absolue de tester et de disposer de ses biens par donation entre vifs est reconnue par les lois du Texas au père de famille. A défaunt de testament, les biens meubles et immeubles se partagent par égales parts entre les enfants, sans distinction de sexe. En fait, les pères de famille qui ont des terres étendues en abandonnent à leurs fils certaines parties pour les établir. Quant à leurs filles, ils leur font en les mariant des cadeaux mobiliers, ou leur donnent même une dot proportionnée à leur fortune, mais généralement inférieure à la part de leurs fils. Dans les familles pauvres, et c'était le cas de la femme de F*** elles ne reçoivent à peu près rien.

Les pères de famille n'hésitent pas à démembrer leurs domaines pour établir leurs enfants autour d'eux, et c'est, avec le flot continu d'immigrants venant de l'Est, le moyen par lequel le comté de Callahan se peuple rapidement. Toutefois, grâce à un intelligent usage du testament, les domaines ne se morcellent pas au-dessous du point où ils ne fourniraient plus un emploi suffisant à l'activité d'une famille et où une juste proportion entre la pâture et la culture, selon les conditions climatériques du pays, serait rompue. En fait,il n'y a pas dans le comté de farm inférieure à un quartde section, 160 acres (64 hectares. Dans le Texas, comme dans tous les Etats voisins qui sont au même degré d'avancement économique, on établit la valeur de la terre en multipliant par 10 le revenu net que l'on en pourrait obtenir, année moyenne, en la louant à un renter. Dans ces conditions, celui des héritiers qui se charge d'un domaine moyennant des soultes à payer à ses cohéritiers, au taux légal de 8 (aujourd'hui de 6 ), peut toujours facilement s'acquitter de ces charges.

La famille F***, étant très laborieuse et constituant régulièrement des épargnes, ne se préoccupe pas du bénéfice qu'elle pourrait éventuellement tirer des homestead exemption duvs. Mais cette garantie est très appréciée par d'autres familles de même condition, moins laborieuses ou moins favorisées par les circonstances (§ 19).

Moyens d'existence de la famille

§ 6. Propriétés.

[122](Mobilier et vêtements non compris.)

Immeubles : formant un quart de section, soit 160 acres (64 hectares), sis à 2 milles (3.218m) à l'ouest du domaine d'Annadale sur lequel réside momentanément la famille............ 2.400$ (12.432f 00).

1° Habitation. — Maison en bois comprenant deux pièces, 75$ (388f 50) ; — étables et grenier, 50$ (2f00). — Total, 125$ (647f50).

Immeubles ruraux. — 60 acres (24 hectares) de terres défrichées, 1.250$ (6.175f00); — 100 acres en pâture, 800$ (4.144f090) : — clôtures en fil de fer avec pointes reposant sur des piquets de chêne, 225$ (1.165f50). — Total, 2.275$ (11.784f50).

ARGENT : la famille n'a pas de compte en banque et son fonds de roulement ne dépasse pas............ 22$ (113f 96).

ANIMAUX DOMESTIQUES entretenus toute l'année............ 345 $ (1.787f10).

1 paire de poulinieres, 120$ (621f60) ; — 1 poulinière forte, 100$ (518f00): — 1 paire de jeunes mules de 18 mois, 100$ (518f00) ; — 1 vache laitière, 15$ (77f70) ; — 20 poules à 50 cents (2f59), 10$ (51f80). — Total, 345$ (1.77f10.)

Matériel spécial des travaux et industries............ 91$, 55 (474f23).

1° Pour l'exploitation du domaine propre de la famille (actuellement réservé à des enreprises spéciales). — 1 wagon monté sur 4 roues, 30$ (155f40); — 1 charrue, 30$ (55f40) ; — harnais, en très mauvais état, 2$ (10f36); — 1 petite voiture a roues (jardinière), 15$ (77f7y) ; — 1 houe, 5 cents (3f89) ; — 1 hache, 75 cents (3f88). — Total, 78$, 50 (406f 63).

2° Outils de charpentier. — Équerre, marteau, scie, etc... 3 (15f53).

3° Pour l'exploitation de la vache laitière. — 1 seau à traire, en fer-blan, 10 cents 2f0) : — 1 baratte à faire le beurre, 1$, 50 (7f77). — Total, 1$, 90 (9f84).

4° Pour le blanchissage du linge et la confection des vêtements. — 1 machine à coudre achetée d'occasion dans la présente année, 7$ (36f26); — 1 petit baquet en bois, 50 cents (2f59); — 1 vase en fer-blanc pour cauffer l'eau sur le poêle, 25 cents (1f30); — fers à repasser, 40 cents (2f0). — Total. 8$, 15 (4f22).

Valeur totale des propriétés............ 2.858 $, 55 (14.8O7f 29).

§ 7. Subventions.

Les conditions économiques, dans lesquelles s'accomplit l'occupation des territoires nouveaux à l'Ouest, ne comportent pas la constitution[123]de hiens communaux, forêts et pâturages, réservés pour l'usage collectif des habitants. Les commons, qui existaient dans quelques colonies de l'Est, ont, dês la seconde moitié du dix-huitième siècle ou au plus tard au commencement de celui-ci, été partagés entre les ayants-droit ou vendus à leur profit12. L'accès à la propriété foncière a été et reste encore si largement ouvert à tout homme laborieux ; les lois sur les exemptions de saisie du foyer et de la terre nécessaire à l'entretien de la famille assurent si bien le maintien desfarmers sur le sol, que toute espèce de bien communal ne serait, dans l'état actuel des choses, qu'une excitation à la paresse. Etant données les mœurs publiques, il serait gaspillé. Les Américains apprécient hautement un régime qui fait que chaque propriétaire est maître absolu sur sa terre, ainsi que les avantages du domaine aggloméré, et notamment l'absence de toutes les servitudes de terre à terre, qui constituent dans les campagnes européennes des rapports souvent si compliqués.

Les seules subventions réelles existant dans le pays sont celles résultant de la gratuité de l'instruction publique. L'État du Texas a dépensé, en 1890-91, 4 $, 50 (23f 31) par tête d'enfant fréquentant l'école (§ 3). Cela constitue une subvention considérable pour les familles pauvres et nombreuses. F*** ne paye en fait que 1 $, 50 (777) pour la taxe d'Eat. Ses deux filles reçoivent une instruction qui coûte à l'Etat 9 $ (46f62). A un certain moment, il aura quatre enfants à l'école en même temps : il recevra alors 18 $ (93f24) de l'État, auquel il paiera seulement 1 $, 50 (7f77), peut-être 2 $ (10f 36) de taxe scolaire. On s'explique donc que les farmers de la catégorie de F*** poussent systématiquement au développement dusysteme de l'instruction publique par l'État : extension du terme scolaire, allocations gratuites de livres, ftt-ce au prix de l'établissement d'une taxe spéciale de comté. La résistance viendrait plutôt des grands propriétaires et de la population de couvbogs, généralementcélibataire, qui vit sur les ranchs elle s'oppose autant que possible à l'élévation des taxes et à la complication des rouages du gouvernement local. C'est là le fonds des petites luttes électorales locales, luttes d'ailleurs exemptes de passion dans le comté de Callahan. Cette opposition de vues chez les divers membres de la communauté reste à l'état latent et ne se manifeste pas ostensible

Il n'y a pas dans le comté de système de publiec charities. Le poor[124]house qui doit exister au chef-lieu (§ 19) n'a qu'une existence nominale. Il n'y a point de pauvres proprement dits. L'aide des voisins en cas de maladie soulage les calamités exceptionnelles et imméritées. Une veuve s'étant trouvée sans ressources après la mort de son mari, ses voisins ont, pendant deux ans, cultivé sa terre. F*** a pris sa part de cette charitable assistance.

Les mœurs générales assurent aux membres les moins fortunés de la communauté des avantages qui peuvent être rapprochés des subventions ; telle est l'hospitalité fort large que lesfarmers donnent à leurs voisins : les gens embarrassés et en quête de travail y trouvent une ressource momentanée ; telle est encore la pâture allouée gratui Vêtement au cheval de l'ouvrier agricole loué. L'usage autorise à faire pâturer librement sur les terres non encloses, ainsi qu'à couper du bois sur les terres à bois qui sont dans la même condition. C'est le cas des terres détenues par des personnes qui spéculent uniquement sur la plus-value que les progrès du peuplement doivent nécessairement leur donner. Toutefois cet état de choses disparait rapidement, et déjà, depuis que les faits de cette monographie ont été observés, tous les bois existant dans le comté ont été clôturés.

Certains avantages attribués à F*** par le propriétaire du domaine dont il a cultivé les terres cette année, et qui sont portés dans le budget des recettes au chapitre des subventions (droit de pâture et de pêche, bois de chauffage, semences, laitage, etc.), n'ont pas en réalité ce caractêre : ils sont pour lui le résultat de stipulations avantageuses dans un contrat, et non le fait d'une libéralité du propriétaire ni de coutumes locales de patronage.

Le paltronage est, non seulement étranger aux mœurs des Américains, mais il serait absolument antipathique à leurs idées, si quelqu'un s'avisait de le préconiser.

§ 8. Travaux et industries.

Les travaux et industries de la famille ont pour objet : 1° la culture des 180 acres (72 hectares) de terre louées en métayage par le propriétaire du domaine d'Annadale, et du jardin qui y est annexé ; 2° l'élevage de veaux et poulains fournis par 1 vache et 3 poulinières, et la fabrication du beurre ; 3° et 4° l'exploitation de 20 poules et de[125]4 porcs ; 5° l'exploitation, sur la terre du propriétaire, en vertu d'un contrat spécial, de 3 acres (1 hectare, 20 ares) en millet fourrager 6e l'exploitation sur son propre domaine de acres (2 hectares, 80 ares) en coton; 7° la confection des vêtements et le blanchissage du linge ; 8° enfin, la famille F*** g'est chargée à forfait, moyennant 8 $ (41f44) par mois, de la nourriture et du blanchissage du propriétaire d'Annadale qui est célibataire, ainsi que des hôtes qu'il a reçus et des journaliers qu'il a employés.

Il n'y a dans le pays aucune industrie domestique de filage, de tissage. ni de fabrication d'instruments. Même dans l'Est des Etats-Unis, depuis quarante ans, toutes ces industries domestiques ont disparu. La mère de famille fabrique seulement un savon grossier avec la graisse des porcs élevés sur l'exploitation.

Travaux du chef de famille. — Ils ont cette année pour principal objet la culture des terres que lui a louées le propriétaire du domaine d'Annadale, et l'exploitation du jardin et de la basse-cour. On compte de ce chefun total de 229 journées. La culture de coton entreprise à son compte a pris 26 journées ; une culture de fourrage entreprise à moitié fruits sur la terre du propriétaire, en vertu d'un contrat postérieur, a pris 3 journées ; la vente des produits de la chasse a enfin absorbé 1 journée. Quant à la chasse et à la pêche elles-mêmes, elles ont eu lieu à temps perdu et doivent être considérées comme des récréations. La recette portée de ce chef au budget des recettes n'est vraisemblablement pas de nature à se renouveler. Les soins donnés à l'élevage des poulains figurent dans le compte des salaires pour 18 journées. Mais, en fait, ces soins se répartissent sur un très grand nombre d'heures prélevées sur d'autres travaux, et tous les éleveurs savent que ce travail a des charmes qui ne permettent pas de le comparer aux labeurs de la culture ou des arts mécaniques. F*** trouvé une source de profits en faisant un certain nombre de journées (15) pour le compte du propriétaire ; 3 journées ont été consacrées à l'acquittement des charges locales (entretien des chemins), une autre à l'assistance d'une voisine veuve. On arrive ainsi à un total de 296 journées de travail. Ce chiffre élevé est possible grâce à la beauté du climat qui permet de travailler toute l'année.

Aux époques des grands travaux, F*** n'a pas pu y suffire seul. Il a dû se procurer 250 journées de travail supplémentaires, soit en les payant, soit en rendant des journées en nature. Ces journaliers ont été nourris à la table de famille.

[126] Travaux de la femme. — Le soin de ses enfants et de son ménage, la préparation journaliêre des repas, qui comprend, deux fois par jour, la cuisson du pain, absorbenttous ses instants. Elle ne quitte jamais sa maison. Le blanchissage, eu égard à la petite quantité de linge possédée par la famille, n'est pas une occupation considérable. L'usage est de repasser soigneusement tout le linge, surtout les robes de toile de coton de la femme et de ses filles ; cette seconde opération entraine plus de travail que la première. Dans ses moments perdus, elle confectionne avec beaucoup d'habileté ses vêtements, ceux de ses enfants et une partie de ceux de son mari.

Cette industrie n'est exercée que sur une petite échelle ; car, en étudiant les détails de la monographie, on sera frappé de l'absence presque complète de linge de maison et de la très petite quantité de linge de corps.

L'ordre parfait de la femme F*** son application à ses devoirs et sa bonne entente du ménage, sont la principale cause de l'élévation graduelle de cette famille par l'épargne. La femme F*** ne s'occupe jamais des travaux agricoles, si ce n'est pendant quelques jours pour aider à ramasser la récolte de coton. Elle soigne cependant la volaille, et son travail est ainsi exclusivement la source d'un des articles du budget des recettes.

Les femmes ne se louant pas à la journée en Amérique, leur travail n'est guère susceptible d'une évaluation monétaire. Néanmoins, en prenant pour base les prix alloués couramment pour le blanchissage ou la confection des vêtements, quand ces travaux sont exécutés à l'entreprise, on a pu fixer à 50 cents (2f 50) la valeur de la journée de la femme : ce chiffre est la moitié de celui de la journée d'un homme.

Travaux des deux jeunes filles et de l'aîné des garçons. — L'ainée des filles, Laura, aide sa mère dans les soins du ménage et dans vl'élevage de la volaille. Elle garde presque constamment son plus jeune frêre, le petit lenry. Les autres enfants sont encore trop jeunes pour se livrer à aucun travail. Néanmoins, ils ont aidé leurs parents à recueillir la récolte de coton faite sur leur domaine à leur compte exclusif.

Les gousses de coton se recueillent au fur et à mesure qu'elles mûrissent, depuis le commencement de septembre jusqu'à la fin d'octobre. C'est un travail minutieux mais non fatigant, uquel les femmes et les enfants sont éminemment propres. On le donne à prix fait à raison de 75 cents (3f89) les 100 livres, ce qui est une très lourde charge pour le propriétaire qui ne travaille pas de ses mains. Dans presque[127]toute l'Union américaine, le coton est aujourd'hui cultivé par les diverses combinaisons du colonat partiaire, de manière à rejeter cette charge sur le cultivateur qui y emploie ses jeunes enfants. Le propriétaire n'a que le tiers ou le quart de la récolte.

Ce résultat ressort très bien du compte de l'exploitation de coton faite par F*** sur les 7 acres (2 hectares) qu'il a cultivés ainsi. Le ramassage de coton est évalué, conformément au prix courant, à 33 $, 75 (174f 83). Il y a employé personnellement 10 journées à diriger ses jeunes enfants. Il reste donc à l'actif de ceux-ci un gain de 23 $, 75 (123f03).

C'est une dépense purement fictive, puisqu'ils n'auraient pu s'occuper à rien d'autre : au lieu de porter cette somme au chapitre des recettes provenant du travail des enfants, on eût pu l'ajouter au bénéfice résultant de cette culture. Le bénéfice, au lieu d'être de 26 $, 95 (139f60), serait porté à 50 $, 70 (262f 63). Ce serait plus conforme à la réalité des choses et montrerait comment la culture du coton est, dans cette région, le moyen par lequel des familles pauvres peuvent le plus rapidement se constituer une épargne.

Mode d'existence de la famille

§ 9. Aliments et repas.

Eté comme hiver, la famille fait trois repas par jour : le breabfast une demi-heure après le lever du soleil, le dinner à midi, le supper après le coucher du soleil. La composition de ces trois repas est la même et leur importance est égale.

Chaque repas se compose : 1° de pain, sous la forme de biscuits chauds, c'est-à-dire de farine pétrie dans de la graisse et cuite légêrement sans levain, quelquefois cette préparation est remplacée par une autre qu'on appelle light bread, pain levé avec du ferment qui se rapproche davantage du pain français, ou même par des biscuits sucrés; ces sortes de pains sont faits avec de la farine depremière qualité ; —2° de lard frit dans sa graisse. Il est remplacé, pendant trois ou quatre mois[128]d'hiver, par de la viande fraiche de porc, de veau ou de beuf. La familleélève quatre porcs par an, qui sont abattus successivement pendant l'hiver et sont consommés comme viande fraîche ou salée. Elle abat aussi quelques veaux. Pendant les mois d'hiver, la viande se conserve facilement moyennant des précautions. Néanmoins, on ne pourrait conserver gelés pendant plusieurs mois des animaux comme on le fait dans le Canada ou les ́tats du Nord. Quand une personne abat un bœuf, elle avertit ses voisins et on se le partage par quartiers. Ceux qui en prennent un ne le payent pas en argent, mais, lorsqu'eux-mêmes tuent un bœuf, ils rendent en nature l'équivalent de ce quartier. — 3Au lard frit ou à la viande s'ajoutent, soit du riz bouilli, soit des pommes de terre ou des légumes, pois, haricots, suivant la saison. — 4° Environ quarante fois par an, quand la famille reçoit des parents, ou bien le dimanche, elle tue un poulet. — 5° Assez fréquemment la femme fait un gâteau (pie) avec de la farine et des raisins secs. Il y a généralement sur la table du beurre légèrement salé et de la mélasse, quelque fois des confitures, ou des conserves de concombres dans du vinaigre, préparées par la femme.

Le lait écrémé et le café sucré forment la boisson habituelle ; rarement on a recours au thé. La famille ne consomme de boissons spiritueuses ni chez elle, ni au dehors.

Le bas prix du sucre engage la famille à en consommer sous des formes diverses une assez grande quantité.

Il n'y a jamais de dîners de famille ou de voisins proprement dits ; mais voisins et parents, quand ils se trouvent à l'heure des repas, sont toujours engagés à y prendre part, et l'ordinaire est, si le temps ne fait pas défaut, complété par quelques mets ajoutés. Les repas du dimanche sont aussi un peu plus succulents.

La nourriture est saine et bien préparée. Chaque membre de la famille mange largement à son appétit ; les l'exiens sont d'ailleurs fort sobres et ne sont pas de gros mangeurs.

La femme ainsi que les enfants prennent leur repas assis avec les hommes ; mais, comme, l plupart du temps, elle est occupée à les servir, la mère achève seule.

Aucun aliment n'est consommé en dehors de la famille. Quand F*** va travailler à une certaine distance, il emporte sa nourriture préparée à l'avance.

§ 10. Habitation, mobilier et vêtements.

[129] Les habitations du pays sont precsque toutes en bois, et notamment celle que possède F*** sur son domaine. Par exception, la maison d'Annadale est en pierres, ce qui assure plus de fraicheur en été et plus de chaleur en hiver ; les trois pièces dont la jouissance est abandonnée à la famille, en vertu de son bail de métayage. sont vastes, élevées de plafond et largement aérées. L'une est la chambre à coucher du père et de la mère et des plus jeunes enfants ; il s'y trouve une cheminée, mais l'on a rarement besoin d'y faire du feu. Dans la seconde, qui sert de salle à manger, se trouvent deux grands lits et un petit lit d'enfant. C'est là que couchent l'aïeule et les jeunes filles. La troisième pièce sert exclusivement de cuisiue ; le poêle est alimenté avec du bois fourni par le domaine. Il n'y a qu'un rez-dechaussée que des vérandas protègent contre l'ardeur du soleil en été. La maison est régulièrement orientée, conformément à l'usage du pays, en sorte que l'ombre indique toujours au moins l'heure de

Meubles. : le mobilier, ainsi que le linge de ménage et les vêtements, est extrêmement simple. C'est un trait général du pays : la population, par suite des conditions climatériques analogues, se rapproche, sous ce rapport, de celles du midi de l'Espagne et de l'Ialie. La famille F*** met d'ailleurs sa principale ambition à achever les versements qu'elle doit opérer sur le prix d'acquisition de sa terre, à en acheter une seconde et à se constituer un capital d'exploitation............ 45$, 65 (236f 47)

1° Lits de la famille. — 2 lits montés, bois de lit, matelas et oreillers, 3$ (15f54) ; — 1 lit d'enfant, 1$ (5f18) ; — 1 bois de lit, 1$ (5f18) ; — 1 berceau de bois, 1$ (5f18) ; — 6 couvertures en coton piqué, faites par la femme, à 1$, 50 (7f 77), ensemble, 9$ (46f 62). — Total, 15$ (77f70).

2° Mobilier des chambre et de la cuisine. — 2 malles chapelières, 8$ (41f 44) ; — 1 table à manger, 50 cents (2f59) ; — 2 petites tables, 50 cents (2f59) ; — 1 pendule, 16$ (82f88) ; — 5 chaises, 1$, 25 (6f48). — Total, 26$, 25 (135f98).

3° Livres, gravures et objets de piété. — 1 bible, 1$ (5f 18) ; — livres scolaires des enfants, 3$ (15f54); — 4 images encadrées, 40 cents (2f07). — Total, 4$,40 (22f 79).

UTENSILES : réduits, comme le mobilier, au strict nécessaire............ 11$, 25 (58f28)

[130] 1° Servant à la préparation ou a la consommation des aliments. — 4 pots en fer blanc 2$ (10f36); — 6 assiettes en faïence, 4 verres, 6 tasses en faïence, 6 couteaux en fer, 6 fourchettes en fer, 5$ (25f 90); — 1 sucrier et 1 pot à lard, 25 cents (1f30). — Total, 7$, 25 (37f56).

2° Employés au chauffage, a l'éclairage et au nettoyage. — 1 vieux poêle, 2$ (10f36) ; 2 lampes à pétrole, 1$ (5f18). — 1 balai, 25 cents (1f 30). — Total, 3$, 25 (16f84).

3° Objets de toilette. — 2 brosses, 2 peignes et 1 cuvette pour la femme, 75 cents (3f883).

ARMES : pour l'usage personnel du chef de famille............ 8$ (41f44)

1 revolver, 8 (41f14).

Linge de ménage : peu abondant et composé exclusivement d'objets en coton............ 6$ (31f0§8)

4 paires de draps de coton, 3 $ (15f54); — 2 nappes et 4 serviettes neuves, 2$ (10f36) ; — nappes et 4 vieilles serviettes, 1$ (5f18). — Total, 6$ (31f08).

Vêtements : réduits au strict nécessaire........ 54$, 95 (284f64)

VÊTEMENTS DU CHEF DE FAMILLE [19$, 85 (102f82)].

1° Pour le dimanche. — 1 veste en drap usée, 1$ (5f18) ; — 1 veste d'alpaga, 50 cents (2f59) ; — 1 gilet, 1$ (5f18) ; — 1 pantalon qui dure 2 ans, 3$ (15f51) ; - 2 chemises de cotonnade confectionnées par la femme, 1$ (5f18) ; — 2 mouchoirs de couleur, 20 cents (1f03) ; — 1 chapeau de feutre, 3$ (15f54) ; — 1 paire de bottes qui ne dure qu'un an, 3$ (15f54). — Total, 12$, 70 (65f78).

2° Pour le travail. — Vieux effets du dimanche, vestes, gilets et pantalons (mémoire); — 2 chemises de cotonnade faites par la femme et usées, 50 cents (2f59) ; — 1 caleçons, 1 $, 20 (6f24) ; — 6 paires de chaussettes, 60 cents (3f11) ; — 1 vieux chapeau de feutre, 50 cents (2f59) ; — 2 echapeaux de paille, 35 cents (1f82) ; — 1 paire de bottes, 3$ (15f51) ; — 1 parapluie, 1$ (5f 18). — Total, 7$, 15 (37f04).

Vêtements de la femme [23$, 10 (119f66)].

4 robes d'indienne, à 1$, 50 (7f77) chacune, 6$ (31f 08) ; — 4 chemises, 1$ (5f18) ; — 4 pantalons, 2$ (0f36) ; — 6 paires de bas, 60 cents (3f11) ; — 1 chapeau, 4$ (20f72) ; — 1 chapeau défraîchi, 1$ (5f18) ; — 1 capeline de toile, 50 cents (2f59) ; — 2 paires de bottines à boutons, 4$ (20f72) ; — 1 broche, 3$ (15f54) ; — 1 bague, 1$ (5f18). — Total, 23$, 10 (119f66).

VÊTEMENTS DE LA FILLE AINÉE [6 $ (31f08)].

1 robe faite par la mère, 1$, 50 (7f77); — 1 vieille robe, 50 cents (2f58) ; — 2 chemises faites par la mère, 1$ (5f18) ; — 1 chapeau, 50 cents (2f59) ; — 1 capeline, 25 cents (1f30); — 1 paire de bottines, 2$ (10f36) ; — 1 collier de verroterie, 25 cents (1f30). — Total, 6$ (31f 08).

VÊTEMENTS DE LA DEUXIEME FILLE [6$ (31f08)].

Ils sont absolument pareils à ceux de la fille aînée, 6$ (31f08).

VÊTEMENTS DES GARÇONS (arrangés par la mère dans les vieux vêtements de la famille ; sans valeur).

Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 125 $,85 (651f91)

§ 11. Récréations.

[131] Les farmers du comté de Callahan n'ont aucune réjouissance publique, civile ou religieuse. La fête du4 juillet, anniversaire de l'ndépendance américaine, et le Thanksgiving dag, en octobre, ne sont célébrés que dans les villes. Ces fêtes ne semblent d'ailleurs pas offrir le même intérêt pour les habitants du Texas que pour ceux des vieux Etats de l'Est.

Les exercices du culte ne sont pour la famille qu'une distraction intermittente, car il n'y a pas de service régulier le dimanche. Ce jour-là, le repos le plus absolu est observé ; on reçoit ou l'on fait seulement quelques visites de voisinage.

La principale distraction de F*** est la fréquentation des religious meetings et des camp-meetings ainsi que de la loge de la armer's Alliance. l chique en travaillant, ce qui est pour lui la cause d'une dépense relativement assez forte ; mais il ne fume pas. Sans faire partie d'une société de tempérance, ni être opposé d'une manière absolue à l'usage modéré des boissons alcooliques, il n'en use jamais pour son compte. Pendant son travail, il aime à être entouré de ses jeunes enfants, qui prennent ainsi peu à peu le goût des travaux agricoles. Le chien que la famille possède peut aussi être considéré comme une récréation.

Le compte de ses journées de travail ressort à 296 par an. Indépendamment des dimanches, il reste 17 jours occupés par la pluie ou que F*** consacre à des courses dans le voisinage, à l'exercice de ses droits de citoyen, au soin de ses intérêts, notamment à la préparation de certains travaux dans sa propriété, dont il recueillera le profit l'année prochaine13.

La femme F***, contrairement à l'usage des campagnardes d'origine[132]texienne, ne chique pas. Le soin de son ménage et de ses enfants lui permet très rarement d'assister à des meetings religieux, malgré le plaisir qu'elle y éprouverait. Sa seule distraction consiste à recevoir les visites de sa mère ou de ses parents, très rarement à aller voir sa sur établie dans le voisinage. Ainsi qu'on l'a dit, la célébration dans l'étang voisin des baptèmes baptistes est pour la famille l'occasion d'une sorte de réception, qui se renouvelle une ou deux fois tout au plus par an.

Les frères et sœurs sont généralement affectionnés les uns aux autres ; les relations de parenté sont entretenues autant que le permettent la dispersion et la mobilité des familles américaines.

Un plaisir très apprécié par les familles de farmers provient des réunions dansantes qui ont lieu dans les soirées d'hiver. Une famille fait connaître qu'on dansera chez elle tel soir, sans d'ailleurs faire d'invita tions formelles. Vient qui veut ; la réunion est toujours nombreuse et est composée principalement de jeunes gens et de jeunes filles ; les femmes mariées et les mêres de famille n'y vont pas. On danse des valses dans une chambre, au son de violons loués dans le pays ; on commence à huit heures et l'on se sépare asse tard dans la nuit. Ces réunions sont, avec les religious meetings, l'occasion de se rencontrer et préparent ainsi la conclusion des mariages ; car ce sont les intéressés eux-mêmes et non leurs parents qui, dans les campagnes du Texas comme dans le reste des Etats-Unis, ont toute l'initiative en pareille matière. Malheureusement des querelles sérieuses se produisent quelquefois dans ces réunions sous l'intluence du whisky que les jeunes gens ont apporté en cachette, à la suite de quelques allusions indiscrètes à des relations intimes, qui existent, on l'a dit plus haut (§ 3), malgré le grand soin avec lequel on les cache et la moralité extérieure générale du pays.

La famille F*** ne prend pas part, en ce moment, à ces réunions, les femmes mariées ne s'y rendant jamais, et le mari étant trop occupé pour y aller comme simple spectateur, ainsi que le font beaucoup de pères de famille de son age. Mais, quand la fille aînée aura atteint quinze ans, la famille est disposée à avoir chez elle des réunions de ce genre. Aucun rafraîchissement n'étant offert, ces réunions sont très peu coûteuses pour la famille qui en prend l'initiative.

Histoire de la famille

§ 12. Phases principales de l'existence.

[133] F*** est né dans le 'ennessee d'une famille de petits cultivateurs, de ceux qu'on appelait autrefois les petits blancs. Son père était un émigré écossais. Ses parents sont morts l'un et l'autre. A dix-huit ans, il alla dans le comté d'Ellis, au sudde Dallas, à 200 milles (325,862) de la localitéou il est établi actuellement. C'était alors le point extrême atteint à l'Ouest par la colonisation. Il travailla comme journalier che un de ses oncles qui l'avait précédé dans ce pays. Au bout de deux ans, il ft àmême d'acheer un buitième de section. 0 acres. 32 hectares), à raison de 2 $ (10f 36) l'acre (40 ares), et entreprit de le détfricher. Ils'y construisit lui-même une maison de bois ; car il est habile charpentier en même temps que cultivateur. Il se maria l'an d'après avec une jeune fille de dix-neufans, L.B'**, dont les parents, originaires de la Géorgie, étaient venus, eux aussi. s'établir dans le comté d'Ellis. C'est là qu'habitent encore sa belle-mère, restée veuve, et plusieurs de ses frères et sœurs. Sa femme ne lui apportait en dot que sa vertu et ses remarquables qualités de ménagère.

Les jeunes époux travaillèrent courageusement et seraient arrivés dès lors dans le comté d'Ellis à une situation semblable à celle qu'ils ont aujourd'hui ; malheureusement ils furent saisis par des fièvres intermittentes. Les frais de médecin les écrasèrent . ils eurent une fois à payer une note de docteur de 100 $ (518f) ; en même temps ils étaient obligés de faire cultiver leurs champs de coton par des noirs, en sorte que leurs ressources s'épuisèrent rapidement.

Ils se résolurent alors à quitter ce pays malsain et à aller plus à l'Ouest où le climat est beaucoup plus salubre. Le comté d'Ellis s'était rapidement peuplé pendant les cinq ans que F*** y avait passés. Il put revendre sa terre à raison de 5 $ (25f90) l'acre, et, avec le bénéfice ainsi réalisé, payer honnêtement toutes ses dettes.

F*** mit sa femme et sa fille Laura, le seul enfant qu'ils eussent alors, sur un vagon couvert d'une tente en toile et attelé de deux chevaux. Avec quelques ustensiles et quelques dollars, c'était toute sa fortune. Il s'achemina à l'Ouest, voyageant à petites journées, s'arrètant[134]pour faire cuire ses repas et paitre ses chevaux sur es terres non encloses, et examinant le pays qu'il traversait. Il s'arrêta dans le comté de Callahan, qui n'était pas encore desservi par le Texas and Pacific ail oad, et acheta un quart de section, 160 acres (64 hectares) de terre de bonne qualité, sans défrichement ni clôture, à raison de 3 $ (15f54) l'acre. L'tat ou les chemins de fer qui vendent les terres le font moyennant un premier paiement d'un dixième comptant et neuf autres paiements d'un dixiême échelonnés en neufannées et portant intérêt à10 . 'ne année de retard est tolérée ; après ce délai, l'expropriation a lieu et, dans ce cas naturellement, le privilège de l'homestead ne s'applique pas. F*** eut donc à faire, sur une somme totale de 480$ (2.486f 40), un premier paiement de 48 $ (248f 64) porté à 50 $ (259f par les frais d'acte : la seconde année, il eut à payer 48 $ 248f64) de principal, plus 43 $, 20 (223f 78) d'intérêts ; la troisième, 48 $ (248f64 de principal et 38 8, 40 (198f91) d'intérêts, et ainsi de suite. L'acquéreur peut toujours payer par anticipation, mais F*** n'en était pas là. Pour faire face au premier paiement, il dut vendre ses chevaux, et, comme il n'avait pas lesmoyens de défricher sa terre, il s'engagea comme ouvrier agricole, hired And. I travailla dans ces conditions. à raison de 25 $ (129f50) par mois, chiffre obtenu parce qu'il n'était pas nourri, la femme préférant le nourrir avec sa famille.

raîce à son économie, à sa sobriété et à l'aide dévouée de sa femme dans les soins du ménage, il put, il y a quatre ans, racheter 2 juments qui lui ont depuis lors donné 5 poulains. Il construisit lui-même sur sa terre une petitemaison en bois de deux pièces avec une étable, et la clôtura, ce qui représenta une dépense totale de 350 $ (1.813f), et il se mit à défricher peu à peu. Toutes les ressources du ménage ont passé à cette acquisition et à la consolidation de leur propriété par le paiement des annuités sur le prix de la terre.

Ainsi s'explique la grande pauvreté du mobilier et des vêtements : encore faut-il tenir compte de ce que, dans le cours de cette année, les bénéices ex ceptionnels réalisés par la famille lui ont permis de les améliorer un peu.

Le manque d'un capital sufisant d'exploitation a fait trouver à F*** plus avantageux de louer la partie de sa terre défrichée et sa maison a un voisin pour y faire du coton et du mais, moyennant une part de 1/4 et de 13, et d'aller lui-même s'établir à 2 milles de là comme renter sur la farm du domaine d'Annadale. Ayant la disposition d'un capital d'exploitation très complet et étendant son travail sur une[135]surface plus étendue, il a réalisé dans le cours d'une année des bénéfices bien supérieurs à ceux qu'il aurait retirés de sa propre farm. Le matériel d'exploitation dont F*** a eu la jouissance consistait en 6 chevaux de labour valant ensemble 500 (2.590f), en 2 charrues de 40 $ (207f20) chacune, soit 80 $ (414f40), en une herse à disque de 50 $ (259f), en un semoir de 60 $ (310f80), en une moissonneuse de 150 $ (777), en un extirpateur de 40 $ (207f20), soit au total un capital de 880 $ (4.558f 40) d'instruments aratoires. Ces instruments sont trop coûteux pour qu'un petit pjarmer puisse se les procurer. bLa moissonneuse particuliêrement dépasse ses moyens. Ceux qui n'en possêdent pas sont obligés de faire moissonner le blé et l'avoine à raison de 1 $ (5f18) l'acre, l'entrepreneur fournissant la machine, l'huile pour la graisser, les quatre chevaux qui la mettent enmouvement, un homme pour la diriger et un conducteur pour les chevaux. Celui qui la loue nourrit les hommes et les chevaux et fournit la ficelle pour attacher les gerbes.

Au taux de 12, intérêt usité pour les prêts gagés sur des objets mobiliers chattel mortgage), la jouissance de ce capital aurait coûté a F*e* une somme de 105 $, 60 cents (547f) par an ; mais jamais il n'aurait pu obtenir, ni d'une banque ni d'un voisin, le prêt d'une somme aussi considérable relativement.

La récolte de 189l a été fort bonne, surtout pour le blé et le coton. Les prix de vente du blé, de l'avoine, du mais, tels qu'on les trouvera dans les comptes annexés, ont été suffisamment rémunérateurs. Quoique le prix du coton ait été bas, l'abondance de la récolte a laissé encore un large bénéfice au producteur. Il faut ajouter que le propriétaire d'Annadale, récemment établi dans le pays, lui a fait des avantages exceptionnels que l'on verra figurer dans les comptes annexés comme bénéices résultant de diverses industries.

A l'expiration de l'année pour laquelle ce contrat a été fait, F°* est rentré sur sa propre farm, disposant d'une épargne totale de 692 dollars (3.583f, représentée par de l'argent, par la plus-value des animaux domestiques, par un mobilier complété et des approvisionnements abondants (V. Comptes années, L), qui contrastent avec la pénurie dans laquelle il était au début de l'année.

Ilne faudrait pas croire que toute famille de métayers dans cette partie du Texas puisse faire chaque année une épargne aussi considérable. La famille F*** n'en fera vraisemblablement pas souvent de pareille, le propriétaire du domaine d'Annadale préférant désormais exploiter[136]lui-même sa terre ; mais c'est un exemple de ce que l'esprit d'entreprise permet à une famille de travailleurs laborieux et économes de réaliser à un moment donné de leur existence, et des circonstances pareilles se rencontrent dans un pays neuf comme l'Ouest du Texas.

La famille F*** a profité de cette prospérité pour améliorer son mobilier dans une certaine mesure (achat d'une machine à coudre, de 2 nappes et de 4 serviettes), pour se donner le luxe de quelques lecons d'écriture, pour payer les dettes qu'elle avait dû contracter comme prix d'achat à crédit de son petit matériel agricole, pour solder les annuités dues sur sa terre. n outre, F*** ient d'acheter, à raison de 5 8 (25f 90) l'acre (40 ares), 50 acres (20 hectares) de terre boisée dans le voisinage, de manière à obvier à la pénurie de bois dont souffrent déjà les propriétaires qui ne disposent pas de grandes étendues. Il se prépare en outre à agrandir sa maison ainsi que les étables et les greniers en dépendant, et à creuser un puits sur son domaine.

L'avenir de cette famille est désormais assuré. Son histoire montre comment, sur un sol neuf, aux productions abondantes, un ménage uni, laborieux, économe et ayant l'esprit d'entreprise, peut, en partant de rien, s'élever sûrement à l'aisance.

§ 13. MOEURS ET INSTITUTIONS ASSURANT LE BIEN-ETRE PHYSIQUE ET MORAL DE LA FAMILLE.

La famille F*** a toujours pu envisager l'avenir avec confiance. du jour ou la santé lui a été rendue.

Cette confiance repose principalement sur l'abondance des richesses naturelles au milieu desquelles elle vit, sur le prix élevé de la maind'œuvre, comparativement aux objets de consommation (alimentation, mobilier, vêtement, dont une famille frugale peut se contenter ; — le luxe seul est cher aux Etats-Unis, et, au premier rang du luxe, il faut, en ce pays, placer les boissons alcooliques, — enfin dans la plusvalue rapide que prennent les terres.

Cette plus-value l'a sauvée de la pénible situation ou la maladie l'avait jetée lors de son premier établissement dans le comté d'Ellis. Actuellement, cette plus-value sutirait à élever graduellement le ran de la famille. F*** a refusé cette année de vendre, à raison de 10 $ (51f80) l'acre (40 ares), les 160 acres (64 hectares qu'il avait[137]achetés à 3 $ (15f 54). Il estime que sa terre vaut, améliorations comprises, 15 $ (77f70), et il est certain qu'elle atteindra ce prix avant peu. La plus-value moyenne de la terre est depuis plusieurs années d'un dollar (5f18) ou 1 dollar 1/2 (7f 77) par acre chaque année.

Quant à ses enfants, quelque nombreux qu'ils puissent être dans la suite des années, leur établissement n'inspire aucune sollicitude à la famille. Dès l'âge de dix-sept à dix-huit ans, ses fils pourront, non seulement gagner leur vie, mais se constituer des épargnes :ils se trouveront dans des conditions au moins aussi favorables que leurs parents, et, si la terre est devenue trop chère dans le comté de Callahan, ils iront plus à l'Ouest, ou plus au Sud, ou plus au Nord, dans les comtés occupés aujourd'hui seulement par le pâturage et dont Abilène est la capitale. Aucune obligation de service militaire ne viendra gêner la disposition des plus fécondes années de leur vie, ni les empêcher de faire des économies à l'âge où elles sont le plus faciles.

Quant aux filles, étant donné l'empressement des jeunes gens à se marier, pourvu qu'elles soient bien douées physiquement et moralement, ce qui est leur cas, elles sont sûres, aux environs de vingt ans, de pouvoir choisir un bon mari.

Ce sont ces conditions économiques qui avant tout assurent le bienêtre physique et moral de cette famille.

Comme mœurs et institutions, il faut signaler : 1e la moralité remarquable du pays, due à la composition homogène de la population et aux bons éléments qui l'ont formée (§ 17) ; 2e la sécurité absolue qui règne dans la campagne : les vols de bestiaux sont à peu près inconnus, et, comme à l'âge d'or, on ne prend pas la peine de fermer les portes des habitations quand ons'absente momentanément ; 3° le développement de la poste, du télégraphe, des chemins de fer, des banques. qui rend les affaires faciles et sûres et facilite les relations de famille malgré les distances.

Les lois du Texas se sont proposé depuis longtemps d'assurer la stabilité de la classe des farmers. C'est cet Etat qui, en 1839, quand il était encore une république indépendante, a le premier introduit les homestead evemptions. Elles ont été développées depuis et sont inscrites dans la Constitution, en sorte que les législatures ordinaires ne pourraient pas les modifier ; il faudrait un vote populaire. En voici le résumé :

L'homestead evemption est un bénéfice attribué, sur la terre ou la maison où est établie l'habitation, à la femme pendant le mariage et durant tout son veuvage, ainsi qu'aux enfants mineurs. L'homestead[138]exemplion résulte du fait même de la loi ; elle n'est subordonnée à aucune déclaration des époux et ne peut par conséquent être l'objet d'aucune renonciation comme dans plusieurs autres Etats de l'Union américaine. A la campagne, l'homestead eremption embrasse 200 acres (80 hectares) deterre, sans limitation de valeur, et toutes les constructions, clôtures, améliorations, qui ont pu y être faites. Il peut être d'un seul tenant ou en plusieurs pièces de terres. Dans les villes et bourgs, un lot, c'est-à-dire tout un terrain affecté à l'habitation ou à l'exercice de l'industrie du propriétaire, est exempt de saisie, jusqu'à concurrence d'une valeur de 5.000 $ (25.900f, plus 500 $ (2.590f) d'exemption pour les autres biens mobiliers.

En vertu du privilège de l'homestead, le bien de famille ne peut être vendu à l'amiable que du consentement de la femme, et ce consentement doit être donné dans certaines formes déterminées par la loi. Aucune hypothèque ne peut être opposable à la femme et aux enfants mineurs, quand même elle aurait été consentie par la femme. Le bien de famille ne peut être saisi pour dettes, si ce n'est pour l'acquit des taxes publiques, du prix d'acquisition ou des matériaux pour l'améliorer ; mais, dans ce dernier cas, le contrat d'ou résulte la créance doit avoir été signé par la femme pour lui être opposabhle.

En cas de mort de l'un des époux, le survivant et les enfants peuvent continuer à l'occuper, et il n'est pas partagé pendant tout le temps de sa vie ou jusqu'à la majorité des enfants. En cas de mort du mari, la veuve et ses enfants ont droit à être entretenus pendant un an sur les biens du mari, et, s'il n'eistait pas d'homestead spécial, on peut vendre au comptant les biens laissés par le mari, jusqu'à concurrence d'une somme de 5.500 $ (28.490f), pour pourvoir à leur entretien préférablement aux créanciers.

En outre de ces privilèges de la femme et des enfants mineurs, les objets suivants sont exempts de saisie : tous les outils agricoles, les meubles et ustensiles de cuisine, les livres, outils et instruments servant à l'exercice d'une profession libérale ou d'un métier, 2 jougs de bufs, 5 vaches et leurs veaux, 1 vagon, 2 chevaux, 1 voiture (buggg ou carriage), 20 moutons, 20 porcs, tout le fourrage et les approvisionnements destinés à la nourriture de ces animaux, etc.

Les femmes mariées peuvent posséder en leur nom propre, comme propiété séparée, tous les biens qu'elles avaient avant leur mariage, ainsi que ous ceux qui pendant le mariage leur échoient par succession, les ou donation. La femne n'est pas tenue sur ses biens au puie

[139] ment des dettes de son mari, ni de celles qu'elle pourrait avoir contractées elle-même, à moins qu'elle ne les ait contractées pour des dépenses faites sur ses biens, ou pour ses besoins personnels ou ceux de ses enfants. Elle n'est pas responsable sur son patrimoine de l'endossement qu'elle aurait fait de titres négociables.

En dehors de ces lois, dont du reste F*** n'a jamais eu à invoquer le bénéfice, on doit signaler, comme institutions assurant le bienêtre de la famille, le faible poids des impôts de l'Etat et du comté. La taxe totale de l'Etat ne s'élève pas à plus de 22 cents 1,2 (1f30) par 100 $ (518f) de la valeur assessée des propriétés mobilières et immobilières, et l'assessement est généralement de la moitié de la valeur réelle, les assesseurs prenant pour base de leur évaluation ce qu'une vente forcée produirait14. Les farmers se trouvent, sous ce rapport. dans une meilleure situation que les habitants des cités incorporées, dont les common councils électifs se lancent dans des dépenses d'embellissement dont la ville n'a aucun besoin actuel, sous prétexte d'attirer les étrangers et de donner de la plus-value aux lots bâtis ou à bàtir. Dans ces cités en formation, la valeur des propriétés passe régulièrement, sous l'influence de la spéculation, par des alternatives de hausse et de dépression (boom et rach) également ex âgérées.

L'absence absolue de droits de mutation proportionnels est particulièrement favorable à la classe des farmers, à qui elle permet de réaliser facilement les plus-values obtenues sur leurs terres.

Les taxes de l'État et du comté portent également sur toutes les propriétés mobilieres et immobilières. La Constitution pose des maxima à toutes les taxes d'Etat, de comté, de school district, de Road district (§ 19) ; ces maxima jusqu'à présent ne sont pas atteints. De plus, la Constitution exempte de toute taxe les meubles et ustensiles de cuisine jusqu'à concurrence de 250 $ (1.295f).

Ainsi qu'il a été dit plus haut, sur le total de latase d'Éat, 12cents 1 2 sont attribués aux écoles locales. L'tat du Texas avait pourvu largement jusqu'ici à toutes ses autres dépenses avec une taxe de 10 cents (0f52) par 100 8 (518f) de la valeur assessée15.

Éléments divers de la constitution sociale

FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION SOCIALE ;

PARTICULARITES REMARQUABLES ;

APPRÉCIATIONS GÉNÉRALES ; CONCLUSIONS.

§ 17. SUR LA COLONISATION DE L OUEST DU TEXAS.

[154] Le Texas a une superficie de 274.356milles carrés, soit 175.587.840 acres (70 millions d'hectares en chiffres ronds).

Il est de beaucoup le plus étendu des Etats de l'Union, et on l'appelle parfois l'E'pire State. Sous la domination espagnole, quelques points seulement avaient été peuplés. Ce sont les Américains du ud des tats-tnis qui, à partir de 1800, ont peu à peu colonisé ce pays. Leur influence amcna en 1837 sa séparaion d'avec le Mexique et son érection en république indépendante, puis en 1845 son annexion aux États-Unis. La population d'origine espagnole est restée cantonnée dans la partie lEst du pays. La guerre de la Sécession, dans laquelle le Texas s'engagea, retarda la colonisation de l'immense région qui s'étend a l'Ouest du 97 degré de longitude. Toutefois le Texas ne fut pas ruiné à fond par la guerre, parce que les esclaves y étaient peu nombreux, et, après les quelques années d'agitation et d'oppression qui suivirent la défaite de la Confédération, il se lança résolument dans le développement des voies ferrées qui, en Amérique, sont la condition préalable de la colonisation. En 1873, le Texas and Pacific attei;nit Dallas, en 1874 le ouston and great Vorthern fut poussé jusqu'à Colombia, et le ltio Grande . . jusqu'à Brovnsville au Sud. En éme temps des mesures étaient prises, de concert avec le gouvernement des tats-Unis, pour refouler sur le territoire indien les tribus de Comanches qui chssaient le bison dans les plaines de l'Ouest.

[155] C'est donc en moins de vingt années que s'est accompli le peuplement du Nord-Ouest du Texas. Il s'est opéré avec une rapidité dont les chiffres des différents recensements peuvent seuls donner une idée : en 1850, la population de l'Eat était de 212.592 âmes ; en 1860, de 604.215 ; en 1870, de 848.579 ; en 1880, de 1.591.749 ; en 1890, de 2.235.523 àmes. Quoique forcément, plus la population initiale est élevée, moins l'accroissement soit rapide, néanmoins dans la dernière période décennale l'accroissement a été encore de 40,44 pour cent.

Le Texas figure actuellement au septiême rang parmi les Etats de l'Union classés d'après leur population.

Le pays est loin d'être peuplé complètement. La région entre Dallas et Abilène, par exemple, n'a encorc qu'une densité très faible. A l'Ouest d'Abilène, au Sud et au Nord, le pays est presque exclusivement livré à la pàture. Des millions de cultivateurs peuvent encore s'établir dans cette région.

Le gouvernement du Texas, qui a conservé la propriété de ses terres publiques, a pris diverses mesures pour activer l'occupation de cet immense territoire.

En 1873, l'Etat du Texas, voulant imiter ce que le gouvernement des Etats-Unis faisait depuis 1862, a accordé un homestead de 160 acres à tout chef de famille qui n'avait pas encore de terres et de 80 acres à tout individu isolé. Une quantité considérable de terres ont fait l'objet de donations de ce genre, et, dans les parties les plus éloignées à l'Ouest, des omesteads sont encore accordés chaque année. De même les occupants sans titre peuvent toujours acheter par precmption les terres qu'ils ont défrichées, si d'ailleurs elles n'avaient pas fait l'objet d'une vente antérieure.

Mais c'est surtout par les ventes de terres attribuées au school fund ou à ˉl'niversity fund ou données à titre de subventions aux chemins de fer dans les comtés qu'ils traversent que l'occupation du TexasOuest s'est opérée. Le gouvernement a jugé avec raison : 1 que la construction des chemins de fer devait précéder la colonisation ; 2 que le meilleur moyen de l'activer était de donner aux Compagnies un intérêt puissant à peupler le territoire. Les Compagnies multiplient les notices, les publications, les agences, pour arriver à vendre le plus tôt possible les terres qui leur sont ainsi attribuées.

En aon̂t 1891, la seule Compagnie du Missouri, Aansas and Ieas R. . offrait plusieurs millions d'acres à vendre dans quine comtés à des prix variant de 1 $ à 50 $, selon que ces terres sont situées[156]dans des régions déjà plus ou moins peuplées, et payables en dix annuités moyennant un intérêt de 10 % l'an. Le Veras and Pacific . . en offrait autant à la même date.

La colonisation commence toujours par l'élevage en liberté des bestiaux et des chevaux. C'est l'industrie des ranchmen. Jadis ils faisaient pâturer leurs animaux purement et simplement sur les terres publiques ; maintenant qu'elles sont toutes cadastrées, l'Etat les leur loue, mais en se réservant toujours le droit de vendre celles qui sont classées comme propres à l'agriculture. Le locataire, qui a fait des améliorations jusqu'à concurrence de 100 $, peut toujours en devenir propriétaire par préférence ; 500.000 acres de terres sont actuellement louées dans ces conditions. Au bout d'un certain temps, les ranchmen profitent de ces conditions pour devenir propriétaires, au fur et à mesure que les défrichements se multiplient, et restreignent leur pàture ; l'évolution du ranc à la stoc farm que nous avons indiquée (§ 1), s'opère ainsi peu à peu. Ce sont les agriculteurs qui donnent véritablement la plus-value aux terres, et, parmi eux, les plus actifs sont ceux qui achètent seulement un quart ou une moitié de section, les petits farmers en un mot.

Le peuplement de l'Ouest du Texas s'est opéré par deux éléments. Des hommes des anciens Etats du Sud, des Anglais, des Ecossais, quelques rares Francais, ont formé des ranchs et apporté dans le pays les premiers capitaux nécessaires à son ouverture à la civilisation. D'anciens planteurs du 'ennessee et du Mississipi, ruinés par la guerre de la Sécession, ont envoyé leurs fils faire de l'élevage dans ce pays alors désert, et cette nouvelle génération a réussi, à force detravail personnel, à se faire une position avantageuse, mais bien plus semblable à celle des Américains du Nord qu'à la vie que leurs parents avaient menée autrefois. Quant aux petits farmers, ils viennent tous des anciens États du Sud, et plus particulièrement de l'Est du Texas. Presque aucun immigrant irlandais, hollandais, allemand, scandinave, ne va directement dans le Sud-Ouest. Ils s'établissent plutôt dans les anciens Etats du Sud et achètent des terres que leurs propriétaires leur vendent pour aller eux-mêmes plus à l'Ouest. On rencontre journellement sur les routes de ces farmers allant plus à l'Duest avec les vagons sur lesquels ils ont leur famille et leur mince mobilier. L'exode que F** a accompli il y a douze ans et huit ans, quand il quitta le I'ennessee pour aller dans l'Ellis County, puis quand il quitta l'Ellis County pour venir dans le Callahan County, se répète journellement dans des proportions considéra[157]bles. D'aprés le ˉCensus de 1891, dans le comté de Callahan, sur 5. 457 habitants, il y en avait seulement 183 nés à l'étranger et 210 nés de parents étrangers. Dans le comté de 'aylor, sur 6.957 habitants, 227 seulement sont d'origine étrangère et 273 sont nés de parents étrangers. L'homogénéité de la population qui s'établit ainsi dans l'Ouest du Texas est un trait fort heureux pour l'avenir de cette région16. Elle sera habitée par la meilleure classe des farmers américains. Comme les immigrants viennent presque tous des Etats du Sud où le catholicisme compte fort peu d'adhérents, cette confession est très faiblement représentée dans ces nouveaux territoires17.

La plupart des occupants actuels du Texas-Ouest ont vendu le home qu'ils avaient autrefois à l'Est; il n'en est pas un seul qui, pour un bénéfice de quelques dollars par acre au-dessus du prix courant, ne soit prêt à vendre sa farm pour aller s'établir plus loin. C'est le trait caractéristique de l'Américain, et c'est par là qu'il pousse sa fortune toujours en avant. Ces ventes et reventes successives ne sont possibles que parce qu'il n'y a pas de droit proportionnel de mutation sur les transactions. On peut vendre et acheter pour 100.000 $ et plus d'immeubles en n'ayant d'autres frais à payer que 4 ou 5 dollars pour le lauvper qui rédige l'acte et 2 dollars pour le recorder du comté qui l'enregistre sur les records publics et le rend par là opposable aux tiers. Il en est de même pour la conservation du privilège du vendeur (endors ien) ou la concession d'hypothèque (mortgage).

[158] Une facilité très grande est ainsi donnée aux transactions. Même dans les Etats où la taxation directe est élevée (ce qui n'est pas le cas du Texas), on n'aurait pas l'idée de gêner les transactions par un impôt proportionnel à leur importance.

Un certain nombre de spéculateurs, prévoyant la plus-value des terres par la colonisation, ont, il y a quelques années, acheté soit de l'État, soit des Compagnies de chemins de fer, des quantités assez considérables de terres qu'ils détiennent sans les cultiver ni les utiliser, même pour le pâturage, en attendant la plus-value que le peuplement des terres voisines leur donnera. insi, sur la limite Ouest du comté de Callahan, dans le comté de Taylor, dont Abilène est le chef-lieu, un syndicat de spéculateurs californiens détient un espace de six milles carrés qu'il n'a pas même fait enclore et sur lequel les éleveurs voisins font paître librement leurs bestiaux. Ils paient les taxes annuelles de l'État et du comté, et se refusent à vendre jusqu'à présent, estimant que la plus-value future de ces terres sera supérieure à l'intérêt composé de la somme qu'ils retireraient de leur vente au taux actuel. Dans d'autres parties des Etats-Unis, cette spéculation s'est faite sur des proportions plus considérables.

Le développement agricole de l'Ouest du Texas est une affaire de temps. Avec certaines parties de l'lndian T'erritory et de l'Arlansas, il est appelé à devenir la bacb countrg des grands centres industriels qui se forment dans les Etats du Sud, notamment dans l'Alabama et le Mississipi. Les filatures et tissages de coton d'une part, de l'autre les industries sidérurgiques alimentées par le champ immense de charbon qui existe dans l'Alabama, ont pris un développement tel que cette section de l'Union est celle dont la richesse, dans la dernière période décennale, s'est accrue dans la plus forte propor

Certains centres commerciaux sont nécessaires pour servir d'intermédiaires entre les régions agricoles et les régions manufacturières. Actuellement, il n'y a pas d'autres centres que Saint-Louis dans le Missouri et la Nouvelle-tbrléans dans la Louisiane. Les villes de Dallas et de l'aris, dans le Texas, semblent par leur position être appclées à r emplir un rôle semblable.

Sans jamais avoir l'importance du Nord-Ouest, parce que son étendue est ort inférieure, et qu'il est limité par les régions sans cau qui occupent une partie considérable du centre du continent améri[159]cain18, le Sud-Ouest des États-Unis est appelé à être un facteur économique très important.

§ 18. SUR LE CARACTÈRE ET LES ASPIRATIONS SOCIALES DES FARMERS DE L'OUEST.

Le Texas est un Etat purement agricole et le sera vraisemblablement pendant un temps très long. D'autre part, sa partie Ouest ayant été peuplée par des cultivateurs presque tous d'origine américaine, on peut se rendre compte, là mieux qu'ailleurs, du caractere et de l'importance de la classe des farmers dans la société américaine contemporaine.

La famille décrite dans cette monographie représente bien le niveau élevé de moralité, les bonnes coutumes domestiques, le sentiment religieux, qui sont généraux chez les farmers. La propriété acquise ou l'espérance d'y parvenir promptement, la participation au gouvernement local leur donnent une dignité et un sentiment de satisfaction de leur sort qui les élèvent de beaucoup au-dessus des populations rurales de l'Europe. Les farmers seront toujours la base la plus solide de la constitution des Etats-Unis.

Quoique estimant beaucoup l'instruction pour leurs enfants, les farmers du Texas en ont peu eux-mêmes. En eussent-ils davantage qu'ils n'en ont dans cette partie de l'Union, les lumiêres qu'ils retireraient de la lecture seraient toujours fort bornées. Dans les comtés où les farmers composent presque exclusivement la population, ils sont peu éclairés sur les choses qui depassent le cercle de leurs intérêts immédiats et journaliers. Ils administrent sagement leurs écoles et leurs routes ; ils maintiennent dans d'étroites limites les depenses auxquelles les fonctionnaires élus sont tentés d'entraîner le comté ; dans l'État, ils font, par leur vote, prévaloir l'économie et la moralité. Toute mesure qui se recommande d'une pensée d'économie — à moins qu'il ne s'agisse de dépenses comme celles des common schoods, qui constituent pour eux des subventions déguisées, — est très populaire parmi les farmers. On peut donc attribuer à leur in[160]fluence la bonne administration et particulièrement l'excellente situation financière du lexas. Mais, dans les tats où la population est exclusivement rurale et oi, par conséquent, ils forment la majorité des votants, leur vote tranche des questions qui dépassent leurs connaissances et sur lesquelles ils ont des préjugés qu'exploitent habilement les politiciens de profession.

Le farmer américain a certaines préventions analogues à celles des paysans européens et qui tiennent évidemment à ses conditions de vie. Il se défie des capitalistes et du pouvoir de l'argent, tout en désirant obtenir largement du crédit : il croit que l'Etat peut à sa volonté satisfaire tous ses besoins et qu'il n'y a pas de limites à la puissance de la législation. Quoiqu'il proclame bien haut qu'il n'y a point de classes dans la société américaine, il a une secrète jalousie pour les riches ranchmen qui sont disséminés dans le pays. Il est exempt d'antagonisme social, parce que les conditions économiques, et surtout les circonstances historiques qui ont malheureusement développé ce sentiment en lEurope, n'existent pas en Amérique ; mais un observateur attentif peut en apercevoir le germe à l'état d'embryon et encore inconscient19.

Un certain nombre de mesures législatives, votées depuis quelques années dans les États où les farmers forment la majorité, en sont la preuve. Pour nous en tenir seulement à l'État du Texas, les législatures successives ont peu à peu étendu les exemptions de saisie et le privilège de l'homestead au delà des justes bornes. Le principe de ces lois est très juste : la famille, la veuve, les enfants mineurs sont les premiers créanciers du débiteur en déconfiture, créanciers du minimum d'existence. La communauté tout entière est intéressée à ce que le nombre des familles tombant dans la pauvreté ne se multiplie pas. Mais les chiffres élevés cités ci-dessus (§ 13) et auxquels arrivent ces exemptions : 200 acres de terre et toutes les améliorations ; 5.500 dollars pour une habitation urbaine, sont exagérés et permettent à des débiteurs de mauvaise foi de frustrer leurs créanciers. Ils propagent l'habitude de ne pas payer ses dettes. Les faillites frauduleuses et les incendies volontaires des bâtiments assurés sont aussi beanucoup trop fréquents dans le pays.

[161] Sous l'impulsion des plaintes qu'ont soulevées certains accaparements de terre par des compagnies de spéculateurs, la législature du l'eas avait voté, au mois d'avril 1891, une loi, l'Alien land lau bill, qui défendait à tout particulier, et à toute corporation (société anonyme) comptant parmi ses membres un étranger, de devenir propriétaire d'une terre au Texas, même au cas de vente forcée pour la garantie d'une créance hypothécaire à son profit. Les étrangers, propriétaires actuellement, avaient cinq ans pour vendre leurs terres ; ceux qui viendraient à hériter de terres, par succession testamentaire ou ao intestat, devaient vendre dans les cinq ans. Toute terre acquise ou possédée contrairement aux prescriptions de cette loi devait être confisquée au profit de l'État.

Cet acte fut proposé à l'improviste à la fin de la session et voté sans discussion, grâce à la suspension des règles ordinaires. Il mena̧ait d'être désastreux pour le pays, qui travaille principalement avec des capitaux anglais et écossais. Quand ils se seront retirés, le taux de l'intéret, déjà si élevé, haussera encore ; le prix de la terre. quand les étrangers ne pourront plus l'acquérir, baissera, et lefamer ne verra plus se réaliser la plus-value sur laquelle il compte. C'est lui qui sera la victime, en derniêre analyse, de cette loi ; mais il est impressionné par ce qu'il a entendu dire des grands spéculateurs étrangers, et il ne réfléchit pas que les spéculateurs étrangers font concurrence aux spéculateurs nationaux. Ceux-ci sont bien plus dangereux pour lui en réalité. L'opération d'accaparement de terres signalée précélemment (§ 1), quoique faite sur une petite échelle, en est un exemple.

Dans la même session, la législature a voté un acte qui institue une commission des chemins de fer et lui donne le pouvoir de fixer arbitrairement les tarifs de transport des voyageurs et des marchandises. On a beaucoup discuté sur la validité des lois de ce genre : car, aux tats-Unis, les Compagnies sont des entreprises privées qui ont un droit acquis à exploiter leur industrie au mieux de leurs intérêts commerciaux. lndépendamment de cette question de droit, la commission a immédiatement fixé des tarifs absolument ruineux pour les Compagnies. Celles-ci, tout en attaquant la constitutionnalité de la loi, ont usé de représailles, en combinant leurs correspondances et leurs tarifs communs de manière à diriger le trafic du centre des Etats-Unis sur la Nouvelle-Orléans au lieu de Galveston, le principal port du Texas. L'imprudence de la législature aura en réalité grandement nui aux intérêts du pays.

[162] Les préjugés des farmers ont permis, il y a cinq ans, à d'habiles politiciens de créer une organisation, la Farmer's-Alliance, destinée dans leur pensée à introduire de nouveaux facteurs dans la lutte politique qui atteint son apogée tous les quatre ans pour l'élection présidentielle. La Farmer's Alliance est un ordre sur le modele de la franc-maçonnerie, composé exclusivement de farmers ou de leurs femmes. La Farmer's Alliance n'admet que des agriculteurs ou des preachers, des médecins, et des maîtres d'école exercant à la campagne. Les augers sont exclus par-dessus tout. Leurs membres s'appellent frères et surs ; ils prêtent sur la Bible le serment de garder un secret qu'on ne leur révêle d'ailleurs jamais ; ils ont des signes de reconnaissance et un mot de passe pour pénétrer dans les loges de l'0rdre. Cette organisation plait, par son caractère mystérieux, aux farmers, très amoureux des ordres secrets, comme tous les Américains, et, de plus, elle répond au préjugé qu'ils ont que leurs intérêts sont différents de ceux des autres classes. Une Colored Alliance a été formée pour les nègres qui prennent toujours grand plaisir à ce genre d'organisation. Les deux Alliances réunies affirmaient en 1891 avoir de 4 à 5 millions de membres, en comptant les Grangers du Nord-Ouest qui se sont fédérés avec elles.

La Farmer's Alliance s'est répandue surtout dans les Etats du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Elle a une certaine importance au Texas. La armers Alliance, à l'origine, prétendait, en imitant la phraséologie de la franc-maçonnerie, être «un foyer sacré d'éducation pour les farmers et les classes industrielles ». Elle affirmait vouloir se borner à élever la classe des farmers par l'éducation, la coopération, les progrès techniques, et vouloir seulement repousser toute législation de classe qui ne prendrait pas pour base l'intérêt du plus grand nombre et la volonté du peuple. La armer's lliance affirmait ne devoir être hostile à aucune croyance religieuse ni à aucun parti politique.

L'lliance ne s'est montrée hostile à aucune confession religieuse ; mais il lui a été impossible de ne pas entrer sur le terrain des luttes politiques, et c'est évidemment en vertu d'un mot d'ordre émané de la direction que ses loges ont adopté un certain nombre de revendications qui ont servi de pdatorm à nn nouveau parti politique aspirant à se faire une place entre les democrales et les républicains.

En 189)1, la campagne présidentielle approchant, les meneurs du mouvement se sont servis des loges de la Farmer's Aldiance pour[163]constituer un tiers parti qu'ils ont appelé le People's partg. Il tien des conventions dans la plupart des Etats, et sa prétention est d'avoir un candidat propre aux éections présidentielles de 1892. Sur son programme, il inscrit la guerre aux monopoles, la prise de possession par l'Union de tous les chemins de fer, le suffrage des femmes, l'élection directe des sénateurs des Eats-nis par le peuple, le monopole de la fabrication et de la vente de l'alcool par l'Union, le monnayage de l'argent en quantité illimitée, la prohibition absolue de tous marchés à terme, on futures, et l'obligation pour le gouvernement des Etats-Unis de faire des prèts à long terme, à raison de 2 %, à tous les propriétaires embarrassés, ou des prêts à court terme sur les produits agricoles20. Pour assurer des appuis dans d'autres organisations du même genre, le People's partg réclame la journée de huit heures, l'instruction obligatoire et la fourniture gratuite des livres scolaires, la contiscation immédiate de toutes les terres possédées par des particuliers ou des syndicats étrangers.

Les bons farmers votent d'enthousiasme ces billevesées qui flattent leurs aspirations secrètes. Malgré cela, le ˉPeoples partg ne pouvait être qu'une manœuvre des politiciens. La Farmer's Alliance est en voie de perdre de son prestige, et son sort sera sans doute le même que celui des Chevaliers du travai avec qui elle a noué une alliance solennelle. Au moment de la récolte du blé, en 1891, ses directeurs ont imaginé d'adresser une circulaire à tous leurs membres pour qu'ils ne portassent pas leur blé sur le marché et en fissent, par une coalition générale, hausser le prix à leur profit. On a justement fait remarquer que la Farmer's Alliance ferait en cela une opération du genre de celle qu'elle reproche aux trusts. Bien entendu, cette maneuvre a échoué absolument. Chaque farmer a porté le blé au marché selon ses convenances et ses besoins d'argent son obéis[164]sance à l'Alliance va bien jusqu'à voter les yeux fermés les programmes qu'on lui présente, mais non jusqu'à sacrifier son intérêt particulier dans les cas pratiques qui se posent pour lui.

Il y a vingt ans, un mouvement semblable s'était produit à peu près sous la même forme dans l'Ouest. La armer's Alliance s'appelait alors le most hol order of patrons opf husbandr et le Peoples partg était le granger morement. Les ganges réclamaient alors des émissions abondantes de papier-monnaie (so/f money) comme les farmers demandent aujourd'hui le monnayage illimité de l'argent, ce qui reviendrait au même. Dans l'ensemble, le granger mooement a échoué ; mais il est resté cependant, des plaintes des farmers, la fixation par les Etats des tarifs maxima pour les chemins de fer et la surveillance des tarifs différentiels par l'Union, en vertu de l'terstate ˉCommerce Act de 1887. Quelque chose d'utile sortira-t-il du mouvement actuel2 'rouvera-t-on des moyens pratiques d'empêcher l'accaparement des terres publiques, le gaspillage du domaine national2 L'avenir le montrera ; mais les programmes du People's partg et les discours prononcés dans ses réunions indiquent certaines tendances socialistes et centralisatrices dans la classe des farmers. Le développement de l'idée démocratique ne semble pas plus favorable à la liberté en Amérique qu'en Europe. Toutefois, la classe des farmers, étant propriétaire, est mieux que toute autre à même de comprendre les leçons de l'expérience ; et, quand ses erreurs lui occasionneront des pertes matérielles, elle s'en dégagera sans y mettre l'entetement et le fanatisme propres aux Européens21.

[165] Il a été beaucoup question, dans ces derniêres années, de la détresse de la classe des famers aux Etats-Unis et de son endettement excessif. On parait avoir généralisé la situation fàcheuse dans laquelle quelques Etats du Nord-Ouest, le ansas, le Nébrasla, les deux Dalotas, se sont trouvés à la suite des mauvaises récoltes de 1889 et de 1890. On avait escompté trop haut le développement de ces pays ; la plus-value des terres et le recours au crédit avaient été poussés trop loin : de là une liquidation pénible. Quoi qu'il en soit, les farmers du Texas ont été beaucoup moins éprouvés par ces vicissitudes, gràce à la beauté de leur climat et aux ressources qu'y offre l'élevage.

Les belles récoltes de l'année 1891 leur ont apporté de larges revenus et leur ont donné confiance. Les acquisitions de terre à des prix croissants se multiplient dans cette région. La crise de tassement, de contraction du crédit, qui doit de temps à autre s'opérer dans ces pays où l'on va toujours de l'avant, ne parait pas devoir être bien dure.

Ce qui a ruiné dans bien des régions les farmers, c'est le luxe relatif qu'ils ont introduit dans leur intérieur. Il y a cinquante ans, dans toutes les maisons de farmers, on filait la laine et le chanvre, les femmes fabriquaient les vêtements de la famille ; on tâchait d'acheter le moins possible ; surtout l'on ne cherchait pas à égaler les citadins, et les enfants ne visaient pas à quitter les champs sous l'influence de l'over-education donnée à l'école. Cet état de choses est de l'histoire ancienne. Le progrès des voies de comnmunication et l'abaissement relatif du prix des produits manufacturés ont partout fait disparaitre les industries domestiques ; elles n'existent pas plus dans l'Ouest que dans la Nouvelle-Angleterre. La conséquence en est que le farmer, qui ne vend pas toujours bien ses produits, est obligé quand même d'acheter des objets manufacturés pour satisfaire les besoins plus ou moins factices des siens. n journal de l'Ouest décrivait ré cemment cette situation en termes humoristiques

« Il faut une charrette de pommes de terre pour acheter une paire de botte. Un beau beu gras achète à peine un vêtement complet ordinaire, et il faut une vache pour acheter un paletot assorti. Pour [166] le chapeau et les mitaines, il faut une charrette de blé ; pour les vêtements de dessous, encore une charrette d'avoine. En sorte que lefarmer, pour économe qu'il soit, porte sur son dos la valeur d'un taureau, d'une vache, de trente boisseaux de blé, d'autant d'avoine et de pommes de terre. Quand il calcule combien de travail cela lui a couté et d'autre part que tous ces vêtements représentent seulement la toison de trois ou quatre moutons, il se prend à regretter le rouet et le métier à tisser de ses ancêtres.

Les farers du Texas échappent à ces conditions défavorables par leur grande simplicité d'existence. Le luxe des vêtements est inconnu chez eux ; leur sobriété est très grande. Le climat évidemment exerce une action favorable en ce sens. Les objets grossiers dont ils se contentent ne sont pas renchéris sensiblement par l'effet du système protecteur, sauf quelques articles tels que les objets en cuir ou les machines agricoles. Enfin l'organisation encore rudimentaire de l'instruction publique empêche les funestes effets du déclassement de se produire parmi eux. Les enfants, filles et garçons, suivent volontiers la carrière agricole, où ils ont vu leurs parents arriver à l'aisance dans une vie de travail. Au Texas, de longtemps le déclassement social et l'abandon de la culture par l'effetde l'ouer-education ne se produiront pas comme dans l'Est, et même déjà dans quelques-uns des Etats de l'Ouest le plus anciennement peuplés et dotés largement de moyens d'instruction.

§ 19. SUR L'ADMINISTRATION DES COMTÉS DANS L'ÉTAT DU TEXAS.

Le comté est dans le Texas la base du gouvernement local. Il n'y a point aurdessous du comté, comme dans les tats du Nord, de townships, c'est-à-dire de communes formant une unité complète pour tous les buts du gouvernement local. Le comté est seulement partagé en circonscriptions judiciaires, en circonscriptions scolaires, en circonscriplions de routes, répondant à chacun de ces buts particuliers.

Les agglomérations urbaines peuvent s'ériger en cités ou en tovns, en se conformant aux precscriptions de la loi. lles peuvent de plus, si elles ont une population supérieure à 10.000 habitants, obtenir une charte spéciule de la législature. Les comtés et les cités, ou tovns incorporés, forment des corporations municipales ayant une existence civile distincte de la personne des habitants, par conséquent, les pro[167]priétés publiques ne peuvent être saisies, si ce n'est par le privilège du vendeur ou des ouvriers constructeurs.

Les comtés se sont organisés dans l'buest du Texas, au fur et à mesure que l'arpentage (surveg) a été achevé et que la population prend quelque consistance.

D'après la Constitution, un comté ne doit pas avoir moins de 900 milles carrés, autant que possible en forme de carré ; cependant, il peut être réduit à 700 milles carrés, quand on partage en deux un comté déjà existant.

A chaque session, la législature partage les comtés trop étendus, et elle en multiplie ainsi le nombre. La division d'anciens comtés doit toujours être précédée du vote des populations intéressées.

A la fin de 1890, il y avait au Texas 224 comtés. Ils se divisent en comtés organisés et comtés non organisés, selon qu'ils sont divisés en precincts et pourvus d'une administration complète, ou bien qu'ils ont seulement un shériff, un attorney et quelques justices of the peace.

Le comté de Callahan, quoique sa population soit peu considérable (5. 457 habitants), est déjà un comté organisé.

Les comtés organisés sont partagés, au point de vue judiciaire, en precincts, dans chacun desquels doit se trouver au moins un ustice of ˉthe pneace et un constable.

Le comté de Callahan est partagé en huit ustice precincts.

Dans les comtés où la population n'est pas considérable, chaque precinet forme une school commanit dont les électeurs nomment le maître d'école.

L'organisation en school districts distincts suppose une population plus dense ; elle est établie seulement après un vote des payants taxes intéressés. On voit par là que le régime administratif n'est pas absolument le même dans tout le pays. n tient compte du degré d'avancement de chacune de ses parties. Souvent même la législature statue sur la juridiction des cours de justice inférieures pour un certain nombre de comtés qui sont énumérés spécialement.

Les cités et les towns incorporés forment un school district, et, ainsi qu'il a été dit dans la monographie, les écoles y sont partagées en classes (graded) ; la durée du terme scolaire est de dix mois. La taxe scolaire spéciale pour le district school, qui peut alors être votée, doit être acceptée dans une votation spéciale, à la majorité des deux tiers des électeurs.

Les comtés doivent ériger une court-house, une prison, des routes.[168]highuoays, et des ponts. Quand ils sont organisés, ils doivent, de plus, entretenir une poor-house et une farm pour le travail des conuicts et des indigents.

Les autorités du comté sont trois countg commissioners, un sheri un marshall, un cuntg adge, un assessor des taxes, un count attorne, un recorder chargé d'enregistrer tous les actes relatifs aux mutations de propriété immobilière, et des piustices of the peace. bLe coun udge fait en même temps fonction de superintendant des écoles du comté. Le shériff est le personnage le plus important de l'administration locale, et il a, dans la convocation du grand jury, une influence très grande. Dans le comté de Callahan, les émoluments directs ou indirects de sa place ne montent pas à moins de 4.000 § (20.640 f). l a sous ses ordres un marshall qui opère les arrestations. Dans les comtés qui n'ont pas plus de l0.000 habitants, il fait en outre fonction de colˉlector des axes pour l'Etat. 'T'ous ces fonctionnaires sont élus pour deux ans, à l'exception du countg iudge qui l'est pour six. Le grand et le petit jury se réunissent au chef-lieu du comté.

Il existe un constable dans chaque precinct, il est rémunéré, comme l'attorney et le shériff, par des émoluments, /fees, perçus à l'occasion des actes de son ministère.

Il est pourvu aux dépenses générales du comté par une taxe spéciale qui ne peut, d'après la Constitution, excéder 25 cents par 100 § de valeur imposée sur toutes les propriétés mobiliêres et immobilières.

La construction et l'entretien des routes sont un des objets les plus importants du gouvernement local. Il y est pourvu d'une manière différente encore, selon l'état d'avancement des comtés.

Il appartient aux countg commissioners de décider s'il y aura pour tout le comté un road superintendent, ou bien s'il y en aura un pour chaque precint. Ces fonctionnaires sont nommmés par les countg commisioners, mais ils doivent être électeurs du comté ou du precinct. Leur salaire est fixé par les countg commissioners, mais le maximum en est limité par la loi à 1.000 $ pour les count road superintendents et à 300 % pour les precinct road superintendents, quand le comté n'a pas plus de 15.000 habitants. Il peut être respectivement élevé à 1.400 $ et à 1.200 $ dans les comtés ayant plus de 15.000 habitants. La fonction desroad superintendents consiste à pourvoir dans le comté oudans le precinct à l'entretien des routes et ponts existants, et à provoquer la création de ceu qui seraient nécessaires. Ils doivent veiller à l'entretien du matériel, appliquer aux routes le travail des prisonniers (convits),et sur[169]tout y employer soit les journées de corvées dues par tous les citoyens, soit le produit de la taxe spéciale qui peut être levée dans le comté.

En effet, la Constitution du Texas établit que tout citoyen, entre dihuit et cinquante-cinq ans, doit faire, sur les routes de son district, un nombre de journées qui ne peut excéder cinq. ln fait, dans le comté de Callahan, le nombre des journées est de trois. Là où les corvées sont en vigueur, le refus de les accomplir entraine une amende de 1 dollar par jour. n réalité, c'est une conversin facultative de la corvée pour chaque contribuable. Comme ces corvées ne donnent pas de meilleurs résultats qu'en Europe, la loi cherche à substituer une taxe spéciale de 15 cents par 100 de la valeur imposée sur toutes les propriétés. Cette conversion des journées des corvée en une axe spéciale s'opère quand 200 électeurs provoquent dans le comté une votation sur la question, non pas de tous les électeurs, mais de tous les tax payers.

La cour des commissaires du comté reste toujours chargée de passer les contrats nécessaires pour l'exécution des routes, comme d'accepter les contributions volontaires des propriétaires riverains.

La Constitution du Texas pose au pouvoirs des comtés, des villes et tovns, des limitations analogues à celles qui sont apportées aux pouvoirs de la législature. Elle leur défend formellement de voter des subventions sous une forme quelconque en faveur de pruate corporations, c'est-à-dire d'entreprises de chemins de fer ou de travaux publics. L'Etat a seul ce droit. Les comtés et les cités ne peuvent pas davantage contracter des emprunts ; ils peuvent seulement, et doivent, payer les intérêts des cmprunts contractés avant la Constitution de 1876, et les rembourser. ne exception est faitetoutefois pour les comtés bordant le golfe du Mexique. Ils sont autorisés à contracter des emprunts pour la création de levées, de ponts, de digues, pourvu : le que les électeurs du comté ou de la ville, à une majorité des deux tiers, votent l'emprunt ; 2° qu'ils établissent en même temps une taxe spéciale pour assurer le paiement des intérêts de l'emprunt et un fonds d'amortissement d'au moins 2 par an.

On remarquera que, sur un très grand nombre de questions : organisation scolaire, substitution d'une taxe spéciale pour les routes aux corvées et bien d'autres encore22, les électeurs du comté doivent être[170]consultés spécialement. Par là, le régime du comté tend à se rapprocher peu à peu de celui du tonship, ou l'assemblée des électeurs administre directement les intérêts locaux23.

La Constitution du Texas, comme la plupart des Constitutions modernes des Etats, statuant sur une multitude d'objets de détail24, les amendements constitutionnels sont très fréquents. Presque à chacune de ses sessions, qui heureusement sont seulement biennales, la législature propose un certain nombre d'amendements à la Constitution, qui doivent être soumis aux électeurs. Le peuple est donc de plus en plus fréquemment appelé à légiférer dans le cercle du gouvernement d'Etat, à administrer directement dans le cercle du gouvernement local.

§ 20. SUR LES AVANTAGES RESPECTIFS QU'OFFRENT AUN IMMIGRANTS EUROPÉENS, DANS L'AMÉRIQUE DU NORD, LES CLIMATS FROIDS ET LES CLIMATS TEM

Le climat de la région d'Abilène est analogue à celui des plaines de la Provence et du bas anguedoc, ou mieux encore à celui de l'Al gérie. Il doit être rangé dans la catégorie des climats tempérés ; car 'hiver y est pendant trois mois assez marqué (§ 1) pour redonner au corps la force de réaction et partant la vigueur que la chaleur continue des terres chaudes ou des climats tropicaux supprime, ce qui entraine l'anémie pour les hommes des races supérieures. Le Texas est donc éminemment propre à attirer les immigrants de l'Espane, de l'ltalie et du midi de la France. Si les Espagnols et les taliens ne s'y sont pas déjà portés, c'est qu'ils sont généralement trop pauvres pour pouvoir s'y établir avec avantage comme propriétaires et même comme métayers. Ils préfèrent s'arrèter comme manouvriers à la Nouvelle-Orléans et à Gialveston, au s'employer dans les riches plantations de cette partie du pays. Mais la réussite du groupe de Portugais qui s'est fixé à Clyde, dans le voisinage du domaine d'Annadale, indique la convenance de cette réuion pour les agriculteurs dumidi de l'Europe.

Les Scandinaves, les Ccossais, les rlandais, les Allemands sont naturellement attirés par un climat plus semblable au leur, par des cul[171]tures analogues à celle de leur patrie, dans les tats du Nord-Ouest, dans le Manitoba et le Nord-Ouest canadien. La transplantation d'une race septentrionale dans un pays relativement chaud lui occasionnerait des souffrances, au moins à la première génération.

Le choix entre les deux régions se pose au contraire pour les immigrants français habitués à un climat auprès duquel celui du Nebrasla, du Canada, des deux Dalotas, du ansas même, parait bien rigoureux ; car, aussi chaud pendant l'été que sur les plateaux du Texas, il comporte en hiver cinq à six mois de neige et l'interruption complête des travaux agricoles.

Laissant de côté les sympathies qui attirent les Francais dans le Nord-Ouest canadien, la satisfaction qu'ils éprouvent à y trouver des groupes de colons parlant leur langue et un clergé admirable tout à fait semblable au leur, tandis qu'au Texas ils sont absolument noyés dans une population parlant exclusivement l'anglais, voici comment s'établit le bilan respectif des avantages des deux régions.

Dans le Nord-Ouest canadien, dans les Dalotas, dans le Nebrasla, la régularité des neiges hivernales assure aux récoltes, et particulièrement aux prairies, l'humidité qui leur est nécessaire, tandis que l'irrégularité des pluies est souvent un inconvénient pour le Texas, comme elle l'est pour l'Algérie et la 'unisie. La longueur de l'hiver facilite les relations sociales : on a du loisir pour visiter ses voisins, et la neige durcie est pour le voyageur en traineau la plus belle des routes. De là, la sociabilité plus grande, l'instruction plus développée surtout, des peuples du Nord. La viande et les provisions de toute sorte se conservent facilement pendant l'hiver dans le Nord, ce qui est un grand avantage pour les populations dispersées où le commerce de la boucherie ne peut pas exister.

Mais, dans les climats tempérés comme la région d'Abilène, l'éleVage du bétail en liberté sous clôture est bien moins coûteux, puisqu'on n'a pas besoin de le rentrer pendant l'hiver et d'amasser les provisions considérables de foin qui lui sont nécessaires dans le Nord. Au point de vue du mouton, la comparaison n'est même pas possible. ILes essais pour l'acclimater dans le Nord aboutissent à des désastres dans les années de grand froid.

Au Texas, les défrichements, l'ensemencement même, peuvent s'exécuter durant un temps plus long, on n'est pas obligé de tout faire en quelques semaines comme dans le Nord-Ouest. Aussi la main-d'œuvre n'est-elle pas aussi rare et elle est à meilleur marché.

[172] La douceur du climat rend la dépense du combustible insignifiante, elle permet d'avoir des constructions plus légères et moins considérables. Cela constitue ue grande supériorité sur les régions de prairie du Nord où le bois est fort rare et le charbon très cher. On peut dire la même chose de la dépense des vêtements.

Enfin, le climat du Texas comporte une variété de productions qui lui assurera de plus en plus une supériorité. Le coton, la vigne, l'olivier, presque tous les fruits et tous les légumes de l'Europe, y viennent en même temps que le blé, l'orge, l'avoine, le mais. Ces cultures seront dans un certain temps plus rémunératrices que celle des céréales, parce que l'aire capable de produire celles-ci est presqueindéfinie, tandis que les terrains propres à la vigne et au coton sont beaucoup plus limités. Les produits accessoires, légumes, fruits, élevage du lapin et de la volaille, sont une ressource accessoire qui deviendra très précieuse pour les petits cultivateurs du Texas, quand le développement des agglomérations leur ouvrira un marché.

Telles sont les raisons qui doiventappeler l'attention des immigrants européens vers le Sud-Ouest des tats Unis. La présence de la race noire n'y étant plus un obstacle à l'immigration, et ces Etats étant arrivés, au point de vue du progrès matériel, au même degré que les Etats du Nord, les capitalistes anglais s'y sont déjà portés, comme on l'a vu dans le cours de la monographie.

Notes

1. Le mille vaut 1.609m,31.

2. Les chiffres de population indiqués dans cette monographie sont ceux du recensement de 1890.

3. Le pied vaut 304mm,8, et le pouce 25mm,4.

4. La république du Texas, en s'annexant aux États-Unis en 1847, se réserva la propriété de ses terres publiques. Celle-ci appartient au gouvernement fédéral dans les autres parties de lUnion.

5. Le Census de 1891 attribue a cette congrégation de catholiques un effectif de 65membres en âge de communier. Sa chapelle, qui peut contenir 100 sléges, est évaluée à 1.000 dollars.

6. Le dollar vaut 5 fr. 18 e.

7. D'après les lois du Texas en vigueur lors de la rédaction de la monographie, le taux légal de l'intérêt était de 8 %, et le taux maximum au-delà duquel il y a usure est 12 %. Un amendement constitntionnel voté le 12 aout 189 a abaissé a 6 % le tauv légal, et à 10 % le taux maximum ; mais il a eu pour tout résultat de resserrer beaucoup les crédits faits aux agriculteurs, et les banques continuent à percevoir le taux de 12 % en faisant signer à l'emprunteur des notes pour une somme supérieure à celle qu'il reçoit réellement.

Dans tous les calculs de la présente monographie, on a calculé l'intèrét des capitaux au taux de 8 %, qui correspond aux faits tels qu'ils se sont produits pendant la periode ou les éléments du budget ont été recueillis.

8. Dans le town de Baird, il y a trois églises proepres à des confessions différcntes.

9. Vingt citoyens pay ant des taves peuvent provoquer dans le comté une votation populaire sur l question de savoir si une taxe scolaire sera levee ; mais cette tavxe ne purrait pas dcpasser 20 cents (1f 04) par 100 dollars de la valeur de la propriéte telle

qu'elle a été fixée par l'assessment du comté. Dans les cités, la taxe peut s'élever à 25 cents (1f30).

10. Dans les écoles gradées, on apprend, outre Thistoire des États-Unis, l'histoire du Texas dans uun livre fort bien fait et qui est rédigé de maniére à développer l'amour de 'État natal et de ses lois particuliéres. sans préjudicier en rien à la loyaute pour l'Union et au sentiment national. Le Texas, a cause de son développement historique particulier et de sa vaste étendue, est un des États de l'Union ou ces sentiments d'autonomie subordonnée et d'attachement à l'État natal sont peut-étre le plus heureusement conservés.

11. A Abiléne, le principal des écoles a 15 (67f50) de traitement annuel et le terme estde dix mois ; les écoles sont gradées, c'est-à-dire partagées en classes. l.es classes son faites presque evclusivement par des jeunes tilles appartenant à des familles aisees qui y cherchent une certaine rémunération et surtout l'cmploi de leur temps.

12. V. notre étude sur 'Histoire de la propriétè fonciére dans les colonies anglaises d'Amerique, dans la Réforme sociale des 1er janvier 1887 et 1er janvier 1888.

13. Il n'a pas été tenu compte de ces travaux dans le relevé des journées de Feee, parce qu'on s'est, dans cette monographie, attaché exclusivement aux entreprises de l'année agricole 1890-189, dont le dernier terme est la récolte du coton faite en septembre et octobre.

Les jours dont dispose librement F*** sont en fait plus nombreux: car le temps attribué aux soins donnés aux animaux (en tout 18 journées) est en grande partie prélevé sur des journées consacrées à d'autres travaux. D'autre part, on n'a pas releve les journées qu'il a faites pour rendre à des voisins, à titre d'échange, queclques-unes des journées que ceuxci avaient faites sur sa fcrme à l'époque des grands travaux.

14. La situation financiére du Texas est evcellente : au 1er septembre 1890, sa dette ne montait qu'à 4.237.730 $ (21.951.441f 40). sur lesquels 1.220.630 s (G6.322.863f 40) seulement étaient entre les mains des particuliers. Le reste était dans les caisses de l'Etat. comme dotation d'un certain nombre d'institutions publiques, telles que l'Université, les asiles pour les orphelins, les aveugles, les sourds et muets, les vétérans.

15. Dans la session de 1891, la législature issue du mouvement de la F'rmer's ldiance (§ 18) a porté la taxe pour les dépenses générales de 1'Éat a 16 cents 2,3 par 100 g de valeur de la proprieté pour l'année 1891, et à 15 cents pour les années suivantes.

16. Le Census de 1890 indique par les chitfres suivants cette homogénéité relative de la population du Texas : sur 535.942 màles de 21 ans et au-dessus, 460.69 sont nés aux ́tatsUnis et seulement 75.248 sont nés à l'étranger, ce qui fait une proportion de 85.96 § pour les natifs, et de 14,04 pour les hommes nés à l'étranger. Pour l'ensemble des ÉtatsUnis, ces chiffres sont respectivement de 74,33 et de 25,672§. Dans les États où le tlot de Timmigration européenne se porte, les proportions sont toutes différentes. Ainsi. dans le North Dabota, sur 100 abitants. 64,89 sont nés à l'étranger et 35,11 dans le pays dans le Minnesota, sur 100 habitants, 58,85 sont nés ja l'étranger et 41,15 dans le pays ; dans le Massachusets, sur 100 habitants, 38,66 sont nés a l'étranger et 61,34 dans le pays.

Les trois cinquiemes des étrangers qui viennent au Texas sontdes taliens, des Espagnols, qui restent dans la partie méridionale du pays et le long des côtes. Quelques Me xicains s'établissent sur la rive droite du Rio-Grande. Depuis 1880, la proportion des étrangers a diminué dans le Tevxas, quoique leur nombre total ait augmenté. La population tend à se recruter par elle-méme. Ainsi, au lieu de s'attacher seulement aux mâles âgés de 1 ans, si on prend l'ensemble de la population, on trouve que 2.082.567 sont nés dans le pays et seulement 15.356 à l'etranger, ce qui fait 1,35 seulement pour l'élément étranger et 92,65 pour l'élément natif. Dans l'ensemble des États-Unis, les proportions sont 17.33 et 82,67. L'écart entre le nombre des hommes et des femmes satténue au Texas d'un recensement à l'autre. Il est actuellement seulement de 9,35 pour cent au profit des premiers. En d'autres termes, pour 100.000 homnmes, il y a 0.654 femmes.

17. Un siège épiscopal a été érigé à Dallas en 1891 ; mais le diocese a bea ucoup de dif1ficultés à s'organiser.

18. V. notre ouvrage les États-Unis contemporains ou les institutions, les mœurs et les idees depuis la guerre de la Sécession, précédés d'une lettre de Le Play. 4° édit. (librairie Plon). t. 1. p. 275 et suiv.

19. En octobre 1891, la section de la 'urmer's-A4 lliance de Long-lsland, aux portes de Ne vYor, a grav ement formulé des résoldutions llétrissant les heritiéres americaines qui cpousent des étrangers titres, et invitant le Congrés à prendre les mesures nécessaires pour faire cesser cet abus.

20. Ce projet qu'on appelle le Subtreasurp bill, consiste en ceci : Le gouvernement de Tnion devrait établir dans chaque comté une agence du Trésor complétee par un magasin général dont le mger serait elu pour deu ans par le peuple du comté et aurait un salaire de 1.00 dollars par an. Le famers pourraient y porter leur blé, leur tabav, leur coton, leur mais (le sucre a été oublié par les politiciens, auteurs de ce programme, Sans doute parce qu'il est produit presque evxclusivement sur de grandes propriétés. .e mmger de chaque Subtreasur devrait emmagasiner et soigner toutes ces denrées et préter aux déposants, à 1 d'interét par an, 80 ( de leur valeur, sau a les vendre aux enchéres, Si la somme n'était pas remboursée à l'échéance. Il devrait en outre préter aux farmers sur hypothéque a 2 § d'interét, des sommes égales a la valeur de leurs terres. Pour faire lace à ces demandes, le gouvernement de l'Union émettrait du papier-monnaie pour le montant des billets souscrits par les emprunteurs.

21. Depuis que la monographie ci-dessus a été rédigée, deux faits importants sont venus témoigner de l'heureuse inluence qu'exerçaient sur l'opinion la libre discussion et le sentiment des intéréts mieux compris.

Les cours de justice de l'État ayant déclaré inconstitutionnelles plusieurs dispositions de l'alien land lu, une session spéciale de la legislature, convoquée par le gouverneur de 1TÉtat en mars 1892, l'a modifiée profondément.

D'apres le nouveau texte, il est permis de devenir propriétaire de terres dans le Texas, non seulement aux citoyens des ́tats-nis, mais encore aux étrangers qui sont résidents bona fide dans l'État du Texas. Les lots et parcelles de lots urbains peuvent étre acquis 1ibrement par des étrangers. out étranger peut d'ailleurs acquérir des terres à la suite d'une hypotheque, s'il en reste adjudicataire sur saisie. L'étranger non résident, qui est devenu proprietaire d'une terre par testament, succession ou par tout autre titre, a dix ans pour la vendre avant que des poursuites puissent étre intentées contre lui. Enfin, tout effet rétroactf est enleve a la loi, et, en cas de poursuite, l'étranger peut encore vendre sa lerre pour echapper à la contiscation. Ainsi amendée, l'dien lamd lau ne fat ;uere obstacle qu'aunx sociétés étrangeres de specculation foncière.

Peu aprés, l'uruvre arbitraire tentée par la législature pour ruiner la Texas and Pacific RR. Company, en donnant aux Railroad commissioners le pouvoir de fixer les tarifs, était renversée. En aoùt 1892, des porteurs d'obligations de cette Compagnie, residant dans des États autres que le Texas, ont assigné les RR commissionners devant la cour de circuit des ÉIats-Unis pour leur faire défense d'imposer à la Compagnie des tarifs qui détruiraient leur gage pratiqueent. La cour a rendu un jugement conforme à leur demande. Un pré cedent semblable s'etait deja produit dans le Minnesota.

22. A mois d'aoùt 1891, le peuple du Texas avait à stauer sur un amendement constitutionnel qui aurait donné à la majorité des électeurs dechaque comté, pevif, town ou city. le droit d'intcrdire la vente des boissons alcooliques. Mais l'amendement n'a pas éte adopté. L'opinien publique dans l'État n'est pas favorable aux evagérations du Parti de la Tempérance

23. Sur le gouvernement local aux Etats-Unis, V. l'ouvrage magistral de A. Carlier, Ld lepnuliue Americine (Guillaumin, 1890), t. II, p. 325 à 443.

24. Voir notre ouvrage Les Etats-Unis contemporains, t. II. p. 22-23.