N° 65.

MÉTAYERS EN COMMUNAUTÉ

DU CONFOLENTAIS

(CHARENTE. — FRANCE).

PROPRIÉTAIRES-OUVRIERS,

DANS LE SYSTÈME DES ENGAGEMENTS MOMENTANÉS,

D'APRÈS LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN 1888.

PAR

M. P. DU MAROUSSEM ,

Docteur en droit.



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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.

Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

§ 1ᵉʳ. État du sol, de l'industrie et de la population.

[001] Chabanais, le chef-lieu du canton et de la commune, où habite la famille, est situé par 50° 98' de latitude nord et 1° 80' de longitude ouest, c'est-à-dire au centre du Confolentais. Le Confolentais (ou Confolennais, selon É. Reclus) ne doit pas être confondu avec l'arrondissement de Confolens, dont il forme une partie bien tranchée. L'arrondissement de Confolens (141.508 hect. 72 ares) s'oppose fortement aux autres arrondissements du département de la Charente par les mœurs et la langue de ses habitants. Il est couvert presque en entier par la race de langue d'oc qui descend du plateau central. C'est à sa limite occidentale que cette race se mêle aux populations poitevines, avant-garde des migrations du Nord. Mais, dans cet arrondissement d'un caractère si particulier, il est une région qui porte [002] une marque d'originalité encore plus franche : c'est la partie granitique de l'est, un peu plus étendue que la partie calcaire de l'ouest, et dont les cĥtaigniers, les seigles et les prairies, qui s'étagent sur des mamelons ininterrompus, offrent le tableau d'un coin de terre limousine enfoncé dans la province d'Angoumois1. C'est cette région que nous appelons le Confolentais. Le canton de Chabanais (24.244 h1. 8 ares) y est à peu près entièrement compris et en occupe la partie centrale. C'est sur lui, et sur lui seul, que vont porter nos observations.

Le sol du canton de Chabanais est formé de petites hauteurs arrondies d'une altitude variant entre 282 m. (commune de Saulgond) et 207 m. (commune d'Exideuil), qui vont s'abaissant sans cesse de l'est à l'ouest, depuis les montagnes du Limousin auxquelles elles 'adossent, jusqu'aux collines et aux plateaux de la basse Charente. Entre elles coulent de nombreux cours d'eau, aux débordements brusques. La Vienne d'abord, déjà grande rivière (large de 105 m. à Chabanais), partage le canton en deux parties égales. Sa vallée, dont les sites pittoresques sont mentionnés par tous les guides, est fermée au nord et au sud par deux lignes de hauteurs, d'où l'on descend au nord vers le Gioire, qui rejoint la Vienne à Confolens ; au sud vers la Charente, qui prend sa source dans la Haute-Vienne, tout auprès de la ligne séparative des deux départements. Que l'on se figure tout un système de ruisseaux aboutissant à ces trois artêres, fort courts pour la plupart, quelquefois assez importants, comme la raine, qui se jette dans la Vienne à Chabanais : et l'on aura un relevé exact de l'hydrographie qu'impose à cette contrée une succession continuelle de sommets adoucis et de petites vallées en pentes souvent assez raides.

L'ensemble de ces coteaux et de ces vallons est souvent désigné sous le nom de terresfroides, par opposition aux terres chaudes du reste du département. Le sol est argileux comme tout le sol du plateau central. Son imperméabilité le rend exceptionnellement humide. Après de longs mois de sécheresse, il suffit de quelques jours de pluie pour restituer tout leur éclat à ses prairies. Sa fertilité d'ailleurs est moyenne et le rend propre à des cultures fort variées. Le sous-sol est un terrain de cristallisation ayvant pour base prédomi[003]nante les granites schistoides, les micaschistes et les argiloschistes. auxquels sont subordonnés des granites disposés ordinairement suivant la direction de bancs2. » Aumilieu de ces schistes cristallins se sont insinués des soulèvements de granite massii, qui apparaissent en masse compacte en dehors du canton, vers le N.E., et qui aflleurent à sa surface aux environs du bour; d'Etagnat. Seule, dans sa partie ouest, la commune de Roumazières appartient à l'étage du lias et aux terrains tertiaires. Çà et là quelques dépôts d'argiles à gaaettes, des carrières de cailloux de quartz pour les routes, des carrières de granite et de porphyre à tagnat, une mine d'antimoine près de Lussac (exploitée en 1825-28), des mines de fer à oumazières, le tout à peu près abandonné3, voilà ce qui constitue les richesses minérales des douze communes que nous étudions.

Nos renseignements météréologiques seraient beaucoup plus conxplets, si la commission locale instituée vers 1881 à Chabanais pour observer quotidiennement les hauteurs barométriques, avait jugé à propos de fonctionner. Malheureusement le cadre placé à la porte de la mairie ne contient même plus, à côté de son baromètre, l'instruction nécessaire pour en comprendre les indications, et lestélégrammes adressés par la commission météréologique départementale n'y sont plus affichés. Cette organisation, dont on se promettait merveilles, n'a pu réussir, malgré les avantages qu'elle offrait aux agriculteurs. La température de l'air est sensiblement plus basse qu'à Angoulême. Pendant l'été de 188, année réputée assez chaude, le thermomètre dépassait fréquemment 30 centigrades. Quant à la température minima. elle ne se maintient que peu de temps au-dessous de 0. Ainsi, pendant l'biver 1886-87, la Vienne a charrié des glaçons sans geler entièrement. Le phénomène météorologique le plus frappant de la region est le brouillard. Dês le mois de septembre, la grande rivière comme les petits ruisseaux, les étangs ou serves et même les prairies basses, laissent lentement échapper des masses de vapeurs qui en dessinent de loin l'emplacement. ncore une fois, le caractère distinctif de ce sol, c'est l'humidité.

C'est un sol qui, laissé à lui-même, redeviendrait une immense forèt :[004]les chênes et les chataigniers s'y rassemblent en groupes assez étendus sur les sommets ; les cours d'eau sont ombragés d'une double haie d'aunes et de peupliers : toutes les parcelles de terrain sont hermétiquement entourées de clôtures épaisses où les chênes forment des rideaux ininterrompus ; les prairies qui se succèdent au creux de toutes les vallées disparaîtraient elles-mêmes ; quelques clairières subsisteraient seules, et la vallée de la Vienne reprendrait l'aspect qu'elle ofrait au temps où l'ermite saint Junien osa le premier construire sa cabane dans cette forêt vierge peuplée de bêtes féroces4. Actuellement, le terrain pourrait être divisé en trois zones5: 1° la zone des pâturages et des prairies fauchées, au niveau inférieur ; 2° au-dessus, quelques vignes et les terres labourées produisant, dans leurs parties les plus fertiles, froment, seigle, orge d'une part, et de l'autre mais, sarrasin, pommes de terre, etc., soumises d'ailleurs à l'assolement biennal (une année de jachère et une année de culture) ; 3° enfin, çà et là, et principalement sur les lignes de partage des eaux, la zone des landes ou brandes, terres argileuses mêlées de cailloux de quartz, où croissent le chêne, le châtaignier et l'ajonc (lex europœus).

Nous sommes en pleine terre d'élevage, du moins pour les bovidés et les ovidés. La race des vaches limousines, à robe fauve, qui tend de plus en plus à prendre le premier rang dans l'estime des connaisseurs. s'y trouve dans son milieu naturel. Cependant, comme elle est médiocre laitière, les bettes ou vaches laitiêres sont parfois empruntées à d'autres races. Les moutons de petite taille sont d'origine indigène,croisés souvent de southdovns ou de mérinos. Ils sont réunis en petits troupeaux de trente à soixante. Quant aux porcs, ou, plus scientifiquement, aux suidés, c'est à leur engraissement que le métayer demande le plus souvent un profit parfois très rémunérateur.

La pêche et la chasse, qu'en général une tolérance traditionnelle laisse s'exercer librement, ne fournissent pas aux habitants des ressources très appréciables. Il est vrai que si le gibier est peu nombreux, les animaux sauvages ne le sont guère davantage. Quelques loups apparaissent detemps à autre, pour justifier l'existence des louvetiers.

Dans cette contrée, surtout agricole, l'industrie manufacturière ne[005]tient pas une très grande place. De tout temps un assez grand nombre de moulins se sont élevés sur tous les points où une cause quelconque permettait de barrer les cours d'eau avec une écluse. Deux de ces écluses même, établies sur la Vienne, distribuent leur force motrice aux meules d'une minoterie, actuellement fermée, et aux machines d'une fabrique de papier de paille, toujours en pleine activité. Il convient d'y joindre une chapellerie et une tuilerie marchant à la vapeur. Enfin, pour terminer par l'industrie du transport, deux lignes de chemin de fer, appartenant à la compagnie d'Orléans, traversent le canton, l'une de l'ouest à l'est avec trois stations, l'autre par l'extrême partie ouest. Chabanais est ainsi relié au chef-lieu du département (65kilom.) et au chef-lieu de l'arrondissement (29 kil.), ce qui ne l'empêche pas de rester dans le rayon d'influence des deux villes limousines Saint-Junien et Limoges.

Reste l'industrie maîtresse, l'industrie agricole. On retrouve, en étudiant la répartition actuelle de la propriété dans le canton de Chabanais, les vestiges d'une constitution sociale extrêmement simple, qui peut se résumer ainsi. Le sol appartenait à une classe supérieure, à une classe de patrons. L'étendue où chacun de ces patrons, vassaux du seigneur (Chabanais était une principauté), régnait en petit souverain, s'appelait terre. Chaque terre comprenait le château ou foyer du maître, avec sa réserve exploitée en régie : tout autour les domaines, unités économiques, occupés par les familles de métayers : entremêlés de borderies où demeuraient les ouvriers auxiliaires indispensables aux différents domaines. Le foyer du maître était le pivot de toute l'organisation sociale. Sa transmission régulière dans la même famille devait assurer la stabilité de toutes les familles paysannes qui en dépendaient. Or, ces foyers appartenaient à la classe noble, régie par le droit d'ainesse. Quelques famillessouches maintenaient donc la paix sociale dans tout un ensemble de communautés patriarcales.

Les maisons-souches ébranlées avant la évolution, ont été déracinées par elle. La terre n'est plus qu'une unité mobile qui se reforme et se détruit avec une égale facilité. Les domaines, en majorité, sont restés fixes. Beaucoup cependant ont été démembrés en borderies appartenant à des p aysans propriétaires, qui les transmettent d'après la vieille règle de l'égalité parfaite, traditionnelle dans toutes les communautés patriarcales, et non pas imposée par la loi révolutionnaire, comme on pourrait se l'imaginer.

[006] Nous allons étudier la constitution du domaine et le rapport qui existe actuellement entre le domaine et le foyer du maître.

Les domaines ont de 20 à 55 hectares. On en trouve de supérieurs ; nous pourrions en citer de plus de 60 hectares ; mais ce sont des exceptions. On est frappé souvent de ce fait que, parmi ces domaines, la plupart sont enchevêtrés les uns dans les autres et divisés en troncons parfois assez éloignés. Nul doute cependant que tous n'aient été au début des domaines parfaitement agglomérés. L'explication de cet état de choses doit être cherchée dans des dédoublements de domaine, exigés par l'augmentation de la population, permis par le progrès de la culture et la suppression de la jachère, mais trop rigoureusementexécutés. Nous en avons un exemple dans le domaine étudié. Primitivement il formait avec le domaine voisin un seul corps d'eploitation, un ensemble compact de 75 hectares. On voulut créer deux domaines distincts et l'on partagea en deux parties égales chacune des différentes catégories de terres et de prairies. D'où la conusion et l'éparpillement des parcelles, qui font du plan cadastra un guide peu sûr pour l'étude du domaine, mais ne paraissent qu'un faible inconvénient à côté de l'intérêt supérieur de l'équité. Cette observation est très importante. Elle explique tout le groupement des habitations dans la contrée. On y rencontre successivement de grands villages, des hameaux, des fermes isolées (peu aujourd'hui . Le grand village est au centre de la commune, c'est le chef-lieu. Les hameaux composés de deux fermes, rois, quatre, ou davantage, comprennent l'immense majorité des habitations. On peut affirmer que presque toujours ces hameaux sont le résultat du dédoublement ou du détriplement d'un domaine primitif aggloméré, domaine de 70 a 80 hectares, et aussi de l'achat en détail par de petits propriétaires des débris de ce domaine. Ce qui le prouve, c'est le nombre incalculable de domaines geminés, construits dos à dos à une époque récente et formant bloc. L'inconnu peut s'induire de ce fait qui est signalé par tous les cultivateurs.

Le domaine sur lequel se trouve la famille étudiée. l'atelier ou elle travaille. se décompose ainsi :

Répartition des terres cultivées et des pâturages sur le domaine familial (§1)
Répartition des terres cultivées et des pâturages sur le domaine familial (§1).

[007] Le cheptel qui appartient au propriétaire. comprend : 8 vaches (le domaine est, suivant l'expression locale. un s domaine de 8 vaces -). quelquefois 9, avec leurs suites, de 5 ou 6veaux ; un troupeau de 0 moutons, deux charrettes ; il a été estimé. lors de l'entrée en jouissance du colon, 5.850f00. Dmaine et cheptel v alent environ 45.000f au cours ac

Nous passons à notre second point : les relations entre le foyer du maître et le domaine cultivé par le paysan ; sans insister sur la borderieˉ, que l'on se figure sans peine : une petite maison entourée de quelques pièces de terre et d'un pré. Voici les cinq combinaisons différentes que la pratique a suggérées aux propriétaires et aux paysans : —1° Le propriétaire a en face de lui, sans intermédiaire, le paysan métayer. — 2° Le propriétaire administre lui-même son domaine comme précédemment, mais un maître-valet ou un homme d'affaires exerce pour lui lasurveillance fatigante des partages. — 3° Le propriétaire confie le domaine à un régisseur, qui l'administre pour une somme fixe. Parfois ce régisseur relève d'un seulpropriétairetrès riche: c'est alors un intendant, comme sous l'ancien régime. Le plus souvent il dépend d'un certain nombre de propriétaires possédant un. deux ou trois domaines, et il reconstitue ainsi, au point de vue de l'administration, la terre de jadis, détruite par la division des fortunes. — 4° Le régisseur devient fermier. Il administre à ses risques et périls. La crise agricole actuelle a diminué le nombre de ces entreprises. — 5° Le propriétaire traite avecc un paysan fermier (cas exceptionnel).

L'ordre précédent est l'ordre d'aggravation de l'absentéisme. Les propriétaires n°s 1 et 2 résident et pratiquent, parfois complètement, leurs devoirs de patronage. Les propriétaires n°r 3, 4 et 5 résident l'été ou ne résident pas. En même temps, l'ordre suivi est l'ordre décroissant de la stabilité. Dans les trois premiers cas, les risques pèsent sur l'ouvrier et sur la classe supérieure ; dans le quatrième, sur l'ouvrier et une classe intermédiaire três restreinte, qui s'élêve par son travail et aussi par son habileté ; dans le cinquième. sur l'ouvrier seul. Les propriétaires, ou classe supérieure, se subdivisent. d'ailleurs. Les uns vivent « noblement, suivant l'expression ancienne. Les autres ont conservé le genre de vie de la population ru

La population du canton est de 13.363 habitants d'après le dernier recensement (1886. En 1862, elle était de 13.229, soit une augmentation de 134 h. Si l'on tient compte des erreurs qui se glissent dans les statistiques les mieux faites, on peut négliger cette[008]faible différence et dire hardiment que depuis un quart de siècle la population est restée stationnaire. Voici le détail des communes :

Nombre d'habitants des communes du canton d'après les recencements de 1862, 1881 et 1887 (§1)
Nombre d'habitants des communes du canton d'après les recencements de 1862, 1881 et 1887 (§1).

Deux communes ont seules augmenté d'une façon sensible : Chabanais et oumazières ; cette dernière devient une commune industrielle. Une tendance à l'agglomération se manifeste de plus en plus : population agglomérée : 1.247 h. a Chabanais, 224 à Pressignac, 205 à Chirat, 267 a Etagnat, 318 a Chassenon, 193 à Saulgond, 188 à Exideuil, ce qui dans une population stationnaire indique une légère dépopulation des campagnes. Dans tous ces petits bourgs le commerce de détail se développe avec une très grande rapidité. Partout des aubergistes : çà et là des boulangers, et, ce qui était jadis inconnu, des bouchers, des épiciers et même des magasins de mercerie et de rouennerie.

D'après la feuille du dénombrement de 1886, sur les erreurs duquel nous ne voulons pas insister, les 1.937 hab. de la commune se divisent de la manière suivante, au point de vue de l'âge et de l'état civil :

Répartition des habitants de la commune de Chabanais selon leur âge, leur sexe et leur situation matrimoniale (§1)
Répartition des habitants de la commune de Chabanais selon leur âge, leur sexe et leur situation matrimoniale (§1).

Répartition de la population entre les diverses professions [§1]
Répartition de la population entre les diverses professions [§1].

Mouvement de la population, d'apres les registres de l'état civil [§1]
Mouvement de la population, d'apres les registres de l'état civil [§1].

[009] Une remarque doit dominer le présent travail. Les observations que nous allons faire sur la famille prise comme type peuvent être étendues à la population rurale de la commune. Quant au groupe restant, il y aurait lieu à le diviser en nombreuses catégories. n ce qui concerne les ouvriers notamment, il conviendrait de distinguer : 1° ceux qui ont conservé les mœurs et le costume des habitants de la campagne (vieux ménages) ; 2° ceux qui par suite de circonstances diverses se rapprochent des ouvriers des grands centres (ménages nouveaux).

La première catégorie sera connue en partie de ceux qui auront étudié une famille rurale. La seconde catégorie, ainsi que celle des commercants, employés des chemins de fer, etc., tend à devenir uniforme en France. Il est inutile d'y insister.

§ 2. État civil de la famille.

La famille constitue une communauté. Quelle espéce de communauté ? car il en est de plusieurs sortes, où le lien des membres est[010]plus ou moins étroit ? Ici la communauté est relativement forte. Le chef de maison, assumant tous les risques, réunit dans sa main tous les bénéfices de l'exploitation. Il se charge de l'entretien des jeunes ménages placés sous ses ordres, et leur assure à chacun une somme annuelle de 30 francs, indépendante de gratifications légères accordées de loin en loin. Cette forme de communauté est la plus antique. L'unité dans la famille et dans l'atelier est presque complète. La communauté se relâche, en effet, lorsque les bénéfices et les pertes se partagent chaque année par têtée, c'est-à-dire également entre tous les hommes et toutes les femmes travaillant sous le chef, qui ont atteint une majorité fixée par l'usage et variable suivant les contrées. La vie commune existe encore, et l'unité d'atelier aussi, mais l'autorité du chef de famille est déchue (§ 21).

Maintenant, sous quelle influence s'est conservée, dans le Confolentais et le Limousin, cette forme de famille disparue sur tant de points en France ? Certains sociologues ont voulu y voir un effet de la flore locale, un résultat du châtaignier. Certes, nous ne nions pas l'action du lieu sur la constitution sociale : c'est là un principe indiscutable. Nous nous bornons à être sceptique à l'égard de cette application hypothétique du principe. Le châtaignier, à l'encontre de la vigne, laisse subsister la communauté ; mais on ne peut pas dire qu'il la conserve ; seulement, il n'est pas un obstacle à sa désagrégation. L'obstacle existe cependant : c'est la constitution du domaine rural. C'est cette étendue de terre, déterminée jadis par l'importance moyenne de la famille patriarcale, qui retient actuellement les membres désunis de la famille à tendance instable, et lui imprime la forme de la famille ancienne, en réalité extrêmement ébranlée. En voici d'ailleurs une preuve assez frappante. Si l'on se reporte à notre tableau du morcellement de la propriété dans le canton (§ 18), on verra que la commune de Pressignac est celle où il y a le plus de petites propriétés de 1 a 10 hectares : or le morcellement de la propriété correspond au morcellement de la culture, et celle-ci à la désagrégation des communautés. Le châtaignier aurait dû s'y opposer ; nulle part il ne croit en masses plus étendues que sur le territoire de cette commune. Il n'a cependant rien empèché. Beaucoup de domaines se sont vendus : voilà le mot de l'énigme ; et les familles paysannes, rendues à elles-mêmes, se sont éparpillées sur le sol qui avait cessé d'être divisé en unités rigides et immuables.

[011] Les dix personnes qui constituent la communauté sont les suivantes :

1.MARTIAL (MARCIAILÉ) D***, dit S.-M***, père de la maîtresse de maison, incapable de tout travail, habite avec son gendre et sa fille depuis la mort de sa seconde femme, c'est-à-dire depuis 3 ans............ 81 ans.

2.PIERRE (PIAIRRÉ) V***, dit P***, maître de maison, marié depuis 31 ans............ 55 —

3.ANNE (NANOUN) D***, maîtresse de maison............ 51

4.MARTIAL D***, 1er gendre, marié depuis 12 ans, cousin issu de germain de la maîtresse de maison............ 35

5.JEANNE (JEAINNO) V***, 1er fille des maîtres de maison, femme du précédent............ 28 —

6.PIERRE D***, fils des deux précédents............ 11 —

7.PIERRE D***, 2e gendre, marié depuis 3 ans............ 28 —

8.ANNE D***, 3e fiIle des maîtres de maison, femme du précédent............ 24

9.MARIE D***, fille des deux précédents............ 21 mois

10.ANNE V***, 5e fille des maîtres de maison, célibataire............ 17 ans.

Deux autres filles sont établies en dehors de la communauté : l'une (Marie V***, 26 ans) est mariée avec un paysan propriétaire ; l'autre (Marie V***, 21 ans), avec un paysan métayer. La maîtresse de maison a eu en outre une fille morte à un mois, et une fille morte à dix ans : la famille est encore en deuil de cette dernière.

L'usage des surnoms est très fréquent dans le pays. Les uns sont empruntés aux localités oû la famille a résidé longtemps, d'autres ont trait à certaines particularités de race. Leur formation est intéressante, elle nous renseigne sur l'origine des noms propres. Le maître de maison n'a pas échappé à cette coutume, que l'usage de plus en plus fréquent des noms exacts, à l'école et au régiment, tend à faire disparaitre. Les deux gendres n'ont pas de surnom.

§ 3. Religion et habitudes morales.

Le paysan confolentais (§ 19) est assez attentif aux petites pratiques de la religion catholique. Il a beaucoup de goût notamment pour les pèlerinages et les processions ; mais il éprouveramoins de scrupule à perdre la messe ou à oublier ses pàques. De tout temps la confession lui a paru pénible, ainsi que le prouve une vieille chanson paar toise traduite par Babaud-Laribière (Études historiques et administratives sur ˉl'arondissement de ˉConfolens, p. 255). Ce trait le rapprochait du protestantisme, dont le culte des saints l'a toujours éloigné. Craintive et superstitieuse, cette race a toujours été frappée de la peur de [012] la divinité, bcaucoup plus que touchée de son amour. Elle suit de loin les exhortations de son clergé, et se contente d'une dévotion molle et toute en surface. Le nombre des hommes qui accomplissent leur devoir pascal est, relativement au reste de la France, assez élevé. Dans la familleétudiée, lemaître de maison et ses gendres ne se trouvent pas toujours parmi les plus élés. Un d'entre eux représente cependant toujours la maison à la messe paroissiale. Leniveau religieux est plus élevé chez les femmes. Femmes et hommes, d'ailleurs, s'inquiètent surtout du culte des morts et des prières pour les bestiaux et les récoltes. La prière du soir se fait en commun depuis que le petit garçon sait la lire. C'est une conséquence imprévue de l'école obligatoire et laique.

Le rôle de la femme est prépondérant dans la famille Vee Pluns intelligente que son mari, la maîtresse de maison est le véritable chef. Elle achève par ses filles de diriger tous les hommes de la communauté. Le mari a conservé d'ailleurs les apparences du pouvoir. Sauf les difficultés passagères qui se rencontrent dans toutes les classes sociales, la bonne harmonie existe dans le ménage. Cependant, comme il est dit que le rôle de belle-mère doit être pénible sous tous les régimes familiaux, la maîtresse de maison a eu à lutter successive ment contre ses deux gendres : l'un, par intérêt, se plaignait de ses fréquentes grossesses ; l'autre, actif et énergique, voulait prendre la direction de l'exploitation.

Il faut signaler, comme un trait de mœurs de moins en moins fréuent dans les campagnes, la déférence et les soins accordés au vieillard, père de la femme. Il est véritablement choyé et son genre de vie serait envié par tous les paysans confolentais. Il consomme en vin, café et tabac, une grande partie de ses revenus personnels, environ 280 francs. On nele tutoie point, tandis qu'on tutoie le chef de famille. L'autorité paternelle diminue dans la communauté comme partout ailleurs.

Les enfants sont traités avec douceur. Le caractère de la race est paisible. Dans une statistique de l'arrondissement de Confolens, écrite en 1808 (manuscrite), M. Memineau, qui était le vénérable de la loge maconnique de la contrée et qui joua un rôle fort important sous la Révolution, s'exprime d'une façon assez dure sur le compte des paysans confolentais : si ignorants, irascibles, ingrats, menteurs, enclins à la friponnerie du bois, du fer et du cuir, curieux et jaloux, et ne se dénoņant que rarement ». bLe jugement est faux, surtout en ce qui[013]touchel'irascibilité : les ries sont fort rares, et les audiences de simple police sont peu remplies. M. Rougier-Châtenet, dans sa Statistique de la Haute-Vienne, disait aussi inexactement : « Dans les maisons, on cause, on discute, on débite, on apprend des nouvelles. L'on n'entend pas d'injures, on ne voit point de querelles comme dans beaucoup d'autres contrées. » (P. 96.) — La vérité n'est ni si terrible ni si riante.

Quant à la moralité, elle parait assez élevée. Les jeunes gens et les jeunes filles qui oublient de respecter le neuvième commandement du Décalogue sont sévèrement blâmés par l'opinion publique. La fille séduite est méprisée, et le séducteur lui-même trouve difficilement à se marier. Aussi le nombre des enfants naturels est-il peu élevé : 1 sur 58 en 1885, 0 sur 57 en 1886 (§ 1). Une fois mariées, les femmes conserventelles cet attachement pour la loi morale, au milieu de la promiscuité des chambres communes Un prêtre de campagne nous a avoué que, malgré la confession, il n'avait jamais pu se faire à cette question une réponse nette. La méthode monographique elle-même est done impuissante à nous renseigner.

On croit généralement dans les écoles de philosophie qu'il n'y a qu'une morale. Les paysans confolentais semblent en avoir découvert deux. Entre eux, ils ont la parole loyale et l'affirmation de bonne foi. Ils dénient rarement une dette. Ils s'entr'aideront volontiers. La charité n'est point à leurs yeux une vertu haissable. Ils donneront au pauvre un morceau de leur pain, une place dans leur grange. Mais mettez-les en face de la classe élevée, du maître, sous les mains duquel ils se disent, conservant ainsi une expression romaine, esse in au, in ancipio la fausseté et le mensonge apparaissent. La fourberie est le vice d'une population timide et craignant naturellement les étrangers, ceux qui ne sont pas habillés comme eux6 ». Le respect pour le maître n'est pas détruit. L'attachement peut même naitre :il ne faut pas espérer qu'il soit poussé jusqu'au dévouement. La politesse et les usages de bienséance sont une conséquence de la civilisation, et nous avons affaire à unpeuple encore primitif. La méfiance est portée aussi loin que chez n'importe quel peuple civilisé. Tous ces traits de caractère sont généraux, et cependant ils sont pris dans la famille étudiée.

La race est malpropre ; la famille n'a point perdu cette tradition.

[014] Les meubles et les appartements n'ont pas l'éclat des fermes flamandes. Les enfants n'ont pas l'air de se douter qu'ils vivent en un pays ou l'eau claire est à discrétion. Le dimanche cependant, la mise des membres de la famille est très convenable ; le linge est fort blanc, et les blouses irréprochables. Sauf pour le grand-père, qui jouit à ce sujet de larges immunités, cette belle tenue ne se compromet point dans les caharets. Les deux gendres ne se laissent pas tenter par le 37 déhits de vin de la commune (131 pour le canton); ce chiffre prouve que tous leurs concitoyens ne les imitent pas (1 débit par 50 habitants.) Le maître de maison ne donne que très rarement lemauvais exemple.

Si la propreté est en progrès dans le canton de Chabanais, l'instruction ne la suit que de loin. Il ne faut pas croire, en effet, que les résultats de la loi du 28 mars 1882 soient bien rapides : la loi n'est pas appliquée. Come on le voit au budget, l'enfant, bien qu'âgé de moins de treize ans, est employé aux travaux des champs pendant une grande partie de l'année. L'instruction primaire a d'ailleurs un autre ennemi que l'agriculture : e'est la langue romane, universellement parlée encore, la langue de Bernard de Ventadour et de Bertrand de Born7, presque celle de Mistral, puisque l'on sait que la langue de la Provence et celle duLimousin sont unies par les plus grandes afinités. Le travail est double pour l'enfant, pénible traduction d'abord, assimilation d'idées nouvelles ensuite : voilà les deux opérations intellectuelles qu'il est obligé d'effectuer. Aussi, jusqu'à ce jour, la grande nmajorité des paysans était-elle restée illettrée. Il a fallules efforts des vingt dernières années pour faire comprendre le français à tous ces habitants du centre de la France, et pour le faire parler par un grand nombre. Aujourd'hui les enfants savent tous lire ; ce sont les seuls parfois de toute la famille, comme cela se trouve dans celle-ci. Les partisans dévoués des langues devenues patois seraient fort attristés s'ils avaient quelques représentants dans les campagnes confolentaises. La littérature créée par le génie des troubadours est entièrement ignorée de leurs ingrats petits-fils. L'instruction ne la ressuscitera pas. Tout paysan qui sait lire ne comprend plus sa langue à la lecture.

Ce défaut de sentiment littéraire est compensé jusqu'à un certain point par un bon sens pratique três rassis. La race est intelligente.

[015] Elle est attachée à ses traditions de travail, excellentes en ce qui concerne l'élève du bétail, moins bonnes pour la culture du blé. Mais les progrès scientifiques ne lui répugnent point. Elle entend seulement les laisser s'affirmer pour en user à coup sûr. On a fait un grand usage de la chaux en ces dernières années, et les batteuses à vapeur ne sont as inconnues. Il faut avouer que c'est depuis peu.

§ 4. Hygiène et service de santé.

Au point de vue physique, moins cependant qu'au point de vue moral, les membres de la famille représentent bien le type moyen de la contrée, qui s'améliore sensiblement. Nous sommes en présence de Celtes noirs, d'Aquitains, pas absolument purs, de taille moyenne. parfois grêles, à teint blême et à cheveux noirs. Les homes de la communauté ont de 1m,55 à 1P,65. Les femmes ont une taille proportionnée à celle-ci. Sans être vigoureuse, la population ne compte pas un très grand nombre de réformés. Voici la situation pour la com

Part des jeunes gens déclarés aptes au service militaire sur la totalité des appelés de l'année (1883-1886) (§1)
Part des jeunes gens déclarés aptes au service militaire sur la totalité des appelés de l'année (1883-1886) (§1).

Le second gendre de la famille est incorporé dans la réserve des chasseurs à pied, où il vient de faire ses vingt-huit jours : le premier gendre, fils aîné de veuve, et dispensé jadis du service actif, est astreint au service territorial ; le père de famille a été exempté par un frère sous les drapeau ; et le grand-père, réformé pour sa mauvaise dentition, qui l'empêchait de déchirer la cartouche. Sauf ce dernier, fort âgé et perclus de rhumatismes qui le forcent à se traîner sur deux bâtons, la santé de tous les hommes est bonne. Il en est de même des femmes, sauf de la maîtresse de maison, souvent souffrante et asse délicate : un de ses frères est mort de phtisie. Les maladies causées par l'humidité, depuis la pleurésie jusqu'aux maux de dents. sont fréquentes sous ce climat imprégné de vapeur d'eau. Les dentitions complètes et saines sont extrêmement rares même chez les jeunes filles.

[016] Le goitre s'observait jadis sur certains points de la région. Les fiêvres périodiques étaient fréquentes et tenaces. Elles ont disparu peu à peu. Cependant on signale cette année (1888) un léger retour de ces maladies. dont le meilleur remède est un régime alimentaire lus substantiel. On verraplus loin (§ 19) comment les paysans traitentles différents maux, lièvres ou fraicheurs (rhumatismes) qui les atteignent. Cependant le service de santé n'appartient pas exclusivement aux agents surnaturels. Il y a dans le canton trois docteurs en médecine de facultés diverses, qui prennent de 2 à 5 francs par visite, suivant la position sociale du malade8.

Il est fort extraordinaire qu'en un pays d'élevage il ne se trouve pas de vétérinaire. Le fait est cependant exact. La conséquence est que l'assurance des bestiaux y est impossible. Les paysans ont recours à des praticiens, moitié sorciers moitié charlatans, dont les remèdes guérissent contrairement à toutes les règles de l'école. Les épizooties sont très rares sur le gros bétail ; il n'en est pas de même pour les porcs, sujets à la phlogose abdominale.

§ 5. Rang de la famille.

Si l'on voulait dresser l'échelle sociale des ruraux confolentais, il faudrait mettre au premier échelon le paysan-propriétaire ; au deuxième le métayer ; au troisiême le bordier-journalier. La famille étudiée se trouve donc au point intermédiaire entre le premier et le deuxième rang. Elle cultive un domaine en métayage, mais elle est propriétaire, et a au-dessous d'elle un fermier, combinaison que les partisans du fermage contre le métayage n'ont pas prévue. Ce type curieux fait voir comment s'opère l'évolution de la propriété patronale : propriété féodale transformée en propriété ouvrière. Le chef de la communauté pourrait certainement « vivre sur son bien en toute liberté et indépendance, comme le fait un frère de sa femme ou encore un de ses gendres. Mais il y perdrait les avantages de la vie commune, qu'il apprécie aussi bien au point de vue moral qu'au point de vue économique. Le lien qui l'unit au propriétaire du domaine est admirablement réglé par la coutume et ne lui pese pas, malgré les[017]conseils d'indiscipline qu'il ne peut manquer de recevoir dans le voisinage d'une localité presque urbaine et au contact de familles commercantes assez désorganisées.

L'esprit général de la famille s inspire d'un attachement instinctif pour le métier agricole. Si elle cherche à s'élever, comme toutes les familles françaises. c'est uniquement au premier rang des situations rurales. Malheureusement, ce sentiment ne se retrouverait pas chez tous les paysans de la contrée. Les jeunes gens intelligents, surtout au retour du service militaire, qui est le plus grand ennemi de l'agriculture, rêvent au séjour des villes, et finissent souvent par y émigrer. Les plus distingués d'entre eux recherchent les places inférieures des diverses administrations, surtout de l'enseignement. Leur émigration se fait à l'intérieur de la rFrance. On les étonnerait fort en leur proposant un établissement à l'étranger9.

Quel est le rang de la famille parmi celles de sa catégorie l est relativement élevé. Le père de famille est réputé excellent gouverneur » de bestiaux ; il a l'amour du travail et de l'épargne. Son honnêteté est incontestée, et, comme il passe pour riche, la considération lui vient par surcroit.

Moyens d'existence de la famille

§ 6. Propriétés.

(Mobilier et vêtements non compris.)

La communauté, n'étant pas reconnue par la loi française, ne peut être propriétaire. La propriété des immeubles, de l'argent et des animaux domestiques, du matériel des travaux et industries repose sur les individus et non sur la collectivité. Cette idée juridique a parfaitement pénétré dans l'esprit des paysans. Même dans les communautés les plus solides, les ménages distinguent leur fortune particulière et n'en mêlent pas les revenus avec ceux d'autrui. Aussi, tout en réunissant dans la comptabilité les propriétés de tous[018]les associés, il faut distinguer ici autant de groupcs que de ménages (§ 21).

1er groupe. — Propriétés de Martial D***, père de la maîtresse de maison............ 7900f00

Immeubles. — Une partie de maison et un jardin situé à Chabanais, loués 80f00, valeur 1.200f00. — Usufruit d'une partie de maison et d'un jardin hors de la commune (legs de la seconde femme), loués 60f00, valeur, 500f00. — Total, 1.700f00.

Argent. 4.300f00 prétés sur billets ou verbalement, à diverses personnes : — 1.200f00. à son fils aîné ; — 700f00 à son gendre, chef de la famille (cette somme ne produit pas ineréts ; il y a compensation avec les dépenses du vieillard). — Total, 6.200f 00.

2e groupe. — Propriétés du chef de famille, Pierre V***, et de sa femme Anne D***............ 6.402f65

Immeubles. — 1 petite métairie de deux vaches, garnie de son cheptel (1 charrette), provenant de la succession des père et mère du chef de famille et d'un partage verbal avec un frère (ce qui ne vaut pas aux yeux de la loi), ainsi que d'acquisitions faites avec l'argent de la feme ou de la communauté ; métairie comprenant : terrain bàti, 1 are ; prairies, 1 hectare et 30 ares ; terre arable, 1 hectare ; valeur totale, 6.000f00.

Argent. — Fonds de roulement d'environ 100f00 ; — droit éventuel au partage de la plus-value du cheptel au jour de la sortie, sur l'estimation au jour de l'entrée du métayer. estimation 1fixée à : foin, 58.172 kilg 5 ; paille, 52.372 kilg 5 ; bestiaux avec charrettes, 5.400f 00 ; brebis, 450f00. En raison des pertes de cette année la valeur du cheptel est restee stationnaire ; ce droit doit donc être évalué à 0f00. — Total, 100f00.

ANIMAUX DOMESTIQUES : entretenus toute l'année (indépendamment du cheptel de la peite métairie). — Lapins (1 couple), 4f00 ; — pigeons (1 couple), 1f 00; — 2 chiens 6f00; —chats (pour mémoire). — Total, 1I1f00.

Matériel spécial des travaux et industries.

1° Exploitation des champs, des prairies et des arbres épars. (Un certain nombre d'instruments aratoires relvèent du domaine : un moulin à vanner, une herse courbe etc., etc.). — 3 charrues à deux versors (reoailo), 45f00; — 3 charrues à un versoir encrétadou), 21f00: — 5 jougs pour atteler les vaches, avec leurs cuirs, 20f00; — 4 grandes bèches, 10f00; — 6 petites bêches, 6f00; — 1 taille-pré (pour les rigoles), 2f00; — 5 pelles à labourer, 12f50 : — 4 fourches à deu dents, pour le foin, 4f00 ; — 1 pelle en bois pour le blé, 1f50 ; — 6 râteaux à foin, 6f00; — 1 volant (giau) pour tailler les haies. 2f00 ; — 1 corbeille, 2f00; — 1 civière, 3f00 ; — 1 brouete, 8f00; — 4 faux, 20f00 — 1 enclume et 1 marteau, 3f00; — 4 pierres à aiguiser, 8f00; — 8 faucilles, 18f00; — 1 râteau eu fer, 1f00 ; — 3 tours (instruments pour charger le foin) avec leurs cordes. 18f 00; — 6 féaux, 6f00 ; — 2 tridents pour le fumier, 2f00 ; — 2 cribles, 2f50; — 2 haches, 8f00; — menus outils divers, 3f50. — Total, 233f00.

2° Exploitation des bêtes a cornes et a laine. (Les cloisons, créches, attaches, ete., dépendent du domaine.) — 2 échelles, 4f00 ; — 2 seaux, 5f00 ; — auges, vases, etc., 4f00 — 1 carde pour peigner le bétail, 1f 00 ; — outils divers, 2f00. — Total, 16f00.

3° ¯Exploitation de la asse-cour. — Auges, vases et ustensiles pour le service des cochons, poules. pigeons et lapins, 5f00.

4° Exploitation du jardin potager (même matériel que pour l'exploitation des champs). cordeaux, etc., 1f00.

5° Exploitation des abeilldes. — (Les ruches appartiennent au domaine.) Vases et usten

6° Fabrication des fils et étoffes de chanure. — Broye pour séparer la chénevotte de la 1ilasse (machadou), 3f00; — broye à dents plus rapprochées (oarguo), 3f00; — 1 serang mauvais état), 0f00. — Total, 6f90.

7° Fabrication des fils de laine. — Quenouilles, fuseaux, bobines, 1f50; — peignes à carder (encore quelquefois en usage), 2f 00; — 1 dévidoir, 0f75. — Total, 4f25.

[019] 8° Fabrications domestique. — 1 bane de charpentier, 10f00; — 1 petite hache, 2f50: 1 herminette. 2f50; — 2 couteaux à manche. 3f00; — 2 tarières, 2f00; — 1 moule à cuiller (oublié par un marchand ambulant), 1f00; — 1 lime. 1f50; — marteau, tenailles. ciseau, ete., 2f50. — Total, 25f00.

NOTA. — Les maîtres de maison sont mariés sous le régime de communauté réduite aux acquèts, suivant l'usage géneral du pays : les plus pauvres croient l'intervention du notaire nécessaire auu mariage. (Les reprises de la femme s'élevent à 720f00 : 320f00 eonstitués en dot: 400f00. part d'héritage maternel.)

3° groupe. — Propriétés de Martial D***, premier gendre, et de sa femme Jeanne V***,............ 3.501f00

Immeubles. — Parcelles de terre provenant de la succession de ses parents et situées sur une commune du canton, valeur totale, 1.200f00.

Argent. — Sommes placées sur billets ou devant témoins, formant un total de 2.300f00.

ANIMAUN DOMESTIQUES. — Pigeons (1 couple). 1f00.

NOTA. —— Même régime de communauté. (eprises de la femme :320f00, montant de sa

4° groupe. — Propriété de Pierre D*. second gendre et de sa femme Anne Vee,............ 1. 151f 00

Immeubles. — Part indivise d'une maison et de parcelles de terre provenant de la succession de son père, valeur totale, 450f00.

Argent. — Sommes prétées comme ci-dessus, 400f00; et créance de la dot de la femme sur le beau-père 300f00, valeur totale, 700f00.

ANIMAUX DOMESTIQUES. — Pigeons (1 couple). 1f00.

NOTA. — Même régime. (Reprises de la femme : 320f00.)

VALEUR TOTALE DES Propriétés de la communauté............ 18.954f65

§ 7. Subventions.

Comme on le voit par le budget des recettes, les subventions n'exercent pas une action aussi forte qu'en certaines contrées sur le bienêtre de la communauté paysanne. Les biens communaux n'ont plus aucune importance dans cette commune. Ils son disséminés en parcelles souvent très réduites, et se décomposent ainsi :

Superficie des biens communaux
Superficie des biens communaux.

le tout, même les terres, à l'état de terrains abandonnés, ouverts sans règlement d'aucune sorte au premier occupant. Les autres communes du canton ont parfois des communaux assez importants, dont elles[020]se défont peu à peu, et qui sont cependant d'une utilité réelle aux habitants. Une étude historique nous permettrait peut-être de montrer que le passé des biens communaux ne répond point à leur déchéance actunelle. Quoi qu'il en soit, le partage des terres en domaines, opéré vraisemblablement par la noblesse, a été aussi général et aussi complet que possible. A la Révolution, comme l'indique la Statistique de ˉla Haute-Vienne, il ne restait guère en dehors des terres appropriées que les paturages à moutons, les seules terres qui ne réclament aucun travail et par suite aucune appropriation. Les pâturages ont été partagés et les troupeaux de brebis se sont répandus sur les domaines mêmes. Le droit de vaine pâture n'existe point : le fait existe jusqu'à un certain point. On ne le voit pas signalé dans nos budgets parce que les quantités d'herbe consommées sur le domaine par les troupeaux étrangers et celles consommées par le troupeau du domaine sur les terres étrangères se compensent. En dehors des présents et menus cadeaux qui proviennent des relations de parenté ou de voisinage, la famille reçoit un certain nombre de subventions du propriétaire, qui réside toute l'année dans le hameau même habité par elle : subventions concernant l'habillement et le chauffage, prêts de menus objets et d'outils qui évitent l'acquisition d'outils similaires, prêt même d'un àne qui aide aux ouvrages pressés, et enfin service de banque, car ces fournitures ou avances que nous voyons au compte de colonage, évitent en certains cas au métayer des emprunts dont il devrait payer l'intérêt.

§ 8. Travaux et industries.

Tous les membres de la communauté sont capables de travail, sauf deux : l'aïeul, qui se borne à donner son concours à la préparation de certains aliments, et la petite fille de vingt et un mois (§ 2). On connaît la constitution du domaine (§ 1) et sa composition en prairies, pâturages, terres labourables, vignes et châtaigneraie. Il convient d'examiner le rôle des différents membres de la famille dans l'ensemble des travaux de la communauté.

Travaux de l'ouvrier chef de maison. — C'est les gouverneur, c'est-à-dire qu'il a soin particulièrement de l'étable. L'usage réserve toujours cette occupation au chef de famille. Comme conséquence, c'est lui qui guide ses animaux dans les besognes difficiles et qui les[021]conduit à la foire. Outre cette tâche fort délicate qui réclame de l'expérience, il prend part avec ses gendres aux différents travaux de force mentionnés ci-après.

Travaux de la maîtresse de maison. — La maîtresse de maison est souveraine dans sa basse-cour, et cet emploi lui donne une grande importance, car les profits résultant de l'engraissement des porcs sont parfois considérables. Il est vrai qu'il absorbe une grande partie de son temps, parce que la plupart des aliments servis aux porcs sont cuits. A ce travail se joint naturellement le soin du ménage, un peu de filage, de tricotage, des soins au jardin. Elle vend au marché les animaux qu'elle a engraissés ou élevés. Tout cela est conforme aux usages généraux.

Travaux de la jeune fille. — C'est la bergère ; elle touche aussi parfois les vaches ou les suites. Ses autres travaux sont identiques à ceux de ses sœurs.

Travaux des deux gendres. — Bien que prêtant assistance au père dans les travaux indiqués plus haut, ils s'occupent surtout des travaux agricoles.

L'assolement du pays était jadis l'assolement biennal (1 année : jachère, — 2e année : blé) ; c'est l'assolement des eorgiues. Pour les mauvais terrains, on se contentait de « lever le sol » tous les trois, quatre,... sept ans. Pour les terres fertiles, on pratiquait au contraire la culture alterne (1 année : pommes de terre, introduites par Turgot ; mais, haricots, sarrazin ; — 2' année : froment, seigle, baillarge, qui est une variété d'orge très productive). Ce procédé s'est généralisé au point de devenir le procédé habituel. Aux plantes sarclées se sont ajoutés le topinambour et la betterave. Parmi les céréales, le méteil et le seigle reculent, le froment est en progrès. Enfin on obtient des récoltes dérobées de raves et aussi de jarosse ou gesse chiche.

Les instruments sont antiques, quelques bonnes charrues. Le battage se fait au fléau. Cette année (1888), on s'est servi d'une batteuse à vapeur. Peu de prairies artificielles, car les prairies naturelles sont fort bonnes. L'art de l'irrigation est suffisamment entendu par les cultivateurs. Toutes les méthodes de travail sont traditionnelles et enseignées par les anciens.

Les hommes se réservent exclusivement l'émondage des bois et la préparation du combustible ; le fauchage, le rigolage des prairies et la réparation des haies ; la taille des vignes ; la fabrication et la réparation des instruments aratoires.[022]raaauax des deu filles mariées. — Quant aux femmes, elles moissonnent comme les hommes, parce que la faucille est nécessitée par la culture en hillons, conséquence de l'humidité du sol. Elles manœuvrent le fléau, labourent parfois, mais pas dans la famille étudiée. lles aident la maîtresse de maison. en exécutant sous sa surveillance les travaux de blanchissage du linge, de fabrication des fils de chanvre et de laine, de confection des vêtements et du linge de ménage, et en s'acquittant des autres soins domestiques.

Travaux de l'enfant. — L'école, la garde des bestiaux, menus trar vaux agricoles.

Industries entreprises par la /famile. — Les industries entreprises par la famille sont tantôt de compte à demi avec le patron, tantôt entiêrement à son compte particulier (§ 16, Son).

Mode d'existence de la famille

§ 9. Aliments et repas.

Le régime alimentaire de la famille, économiquement réglé, est conforme à une tradition ancienne, au moins dans son ensemble. La cuisine limousine a un certain nombre de plats particuliers, en quelque sorte nationaux.

En ce qui concerne les céréales, la préparation revêt plusieurs formes : 1° le pain de nénageˉ, fabriqué par les femmes, et comprenant un tiers de seigle et deux tiers de froment; 2° le pilas, blé d'Espagne écrasé plutôt que moulu par un petit moulin spécial et cuit avec de l'eau et du sel; 3° les crées de froment et surtout de blé noir (blé noir, huile, eau et sel). La brégeaudo n'est autre chose qu'une soupe de choux, raves, haricots, carottes et lard, accommodée à l'huile, le jeudi et le vendredi saints. La soupe blanchie est une soupe maigre. faite avec de l'huile de colza, de l'eau et du sel, et colorée par un jaune d'œuf. C'est le salé qui représente dans cette alimentation l'élément animal. Toute la viande du porc est à cet effet déposée dans des charniers en grès, pleins de sel. Le salé cuit dans la soupe est[023]servi avec le farci. hachis d'oseille, mélanggé parfois de sang. lˉa préparation des châtaignes dites blanchies a été décrite bien souvent. Aussi n'insisterons-nous pas. Nous rappellerons en fait de pâtisseries la toutiêre limousine et le clafoutis, gàteau de cerises cuit au four. La nourriture de la famille se compose donc principalement de céréales, de viande de porc et de légumes, accommodés au lard ou à

La boisson était jadis le vin gris du pays. que le domaine fournissait en abondance et de très bonne qualité. Aujourd'hui il faut se contenter de vin acheté, de piquette et d'eau claire.

La famille fait chaque jour trois repas, sans compter le morceau de pain du matin avant le travail. 1e° à 9 heures, le dîner (la dinai do) : la soupe avec le salé les dimanches, des châtaignes l'hiver, des crêpes au printemps. Le vendredi est assez respecté. — 2° à 4 heures, la colˉlation parfois de la soupe, des ragoûts de légumes, des crêpes et de la salade. — 3° a 7 heures, le souper quelquefois de la soupe, les restes du repas précédent. — Les hommes s'asseoient, les femmes mangent en les servant.

Certains plats reviennent à jour fixe : un canard à la Saint-Roch ; un coq aux semailles. A l'occasion des grands travaux, la viande de boucherie intervient, des poulets sont tués ; on achète du vin. Enfin, les noces sontl'occasion de festins véritables à cinquante, quatre-vingts cent convives. Au mariage de la deuxième fille, on but deux barriques de vin, on tua un cochon et un veau. La dépense s'éleva à plus de 200 francs. Comme tous les paysans de la contrée, la famille professe pour la viande de mouton une répugnance invincible.

§ 10. Habitation, mobilier et vêtements.

La maison, contigu à celle du maître, a ses deux facades exposées à l'est et au midi, l'une du côté de la grange, l'autre du côté de la vallée de la Vienne, sur un paysage limousin verdoyant et mouvementé. Reconstruite récemment, elle attire l'attention par le crépi neuf de ses murs en moellons, et sa couverture de tuiles rouges dites de Roumaières. Deux traits caractéristiques la distinguent des autres habitations de métayers : d'abord cette couverture, qui montre que les produits de la tuilerie mécanique chassent peu à peu, quoique[024]très lentement, les vieilles tuiles du pays, fabriquées par des ouvriers ruraux ; en second lieu sa disposition. Elle comprend, ce qui est absolument exceptionnel, deux pièces d'habitation, l'une au rez-dechaussée, l'autre au premier. Ordinairement les métayers du Confolentais, ces communautés de huit à douze membres, sont entassés dans une pièce unique. où les lits se touchent et où l'air ne peut souvent pas se renouveler. ei la pièce du rez-de-chaussée (50 mètres carrés), éclairée par la porte et par une fenêtre, sert de cuisine et en même temps de chambre à coucher au père de la maîtresse de maison, à celle-ci et à son mari. Deux lits a guenouilles, le traditionnel buffet-vaisselier, la pendule, la table en cerisier devant la large cheminée; voilà l'ameublement. Ni plancher, ni carrelage, d'ailleurs ; la terre battue avec ses crevasses et son humidité. Derriêre cette première pièce d'habitation est un cellier ; à gauche, un second ccllier plus grand ; au-dessus de celui-ci est située la pièce d'habitation du premier étage (36 mètres carrés). Elle est planchéiée et éclairée par une seule fenêtre. Elle contient, outre l'armoire et les coffres qui renferment le linge et les vêtements de la famille, le blutoir, et la mée ou pétrin, quatre lits dont deux dits d l'ange, un pour le premier des jeunes ménages ; un autre pour le second ; le troisième pour la fille non mariée ; enfin celui dujeune garçon. n observateur prévenu remarque qu'aucun des lits n'est en travers de la direction des chevrons. Une superstition bizarre, dont l'origine est inconnue, persuade aux populations limousines que toute autre position amènerait les plus grands malheurs. A côté de cette chambre commune, deux greniers et un troisième en soupente au-dessus ; ces trois greniers sont três suffisants pour serrer les récoltes des meilleures années.

La valeur du mobilier et des vêtements peut être déterminée de la manière suivante.

Meubles. : ils ont ceci de particulier qu'ils forment un ensemble qui se retrouve dans toutes les fermes de la contrée. Leur nombre et leurs formes sont déterminés par la tradition. Ils sont suffisants pour les besoins de la famille, sans confort. Tous les lits, saui un, sont adquenouilles (avec dais soutenu par quatre piliers) ou à l'ange (c'est-àdire munis d'un baldaquin qui s'appuie sur un cadre en bois rivé luimême au chevet ; le baldaquin est recouvert d'étoffe d'indienne ou de coton ; le couvre-pieds du lit est de même couleur)............ 508f 90

1° Lits. — 2 lits a d'ange, 3 à quenouilles et 1 sans rideau, comprenant chacun : 1 bois de lit en cerisier, vieux ; — 1 paillasse à étui de toile étoupe (mais) ;— 1 lit de plume[025]de poulet. à étui de coutil; — 1 couverte de laine ; — 1 courte-pointe pareille aux rideaux ; — 1 traversin (plume de poulet). — Les deux lits à l'ange ont des rideaux d'indienne à raies blanches et rouges ; ils valent ensemble, 120f00 ; — les trois lits a quenouidles (dont 1 appartient au grand-pere) ont des rideaux d'indienne bleue. passée ; ils valent ensemble, 135f00. — Le lit. sans rideaux, du petit garçon, vaut 30f 00. — Total, 285f00.

2° Mobilier de la pièce du rez-de-chaussée. — 1 buffet-vaisselier, 35f00; — 1 armoire, 30f00; — 1 pendule, 35f00; — 1 table en cerisier massif. extrémement ancienne. 6f00; — 1 billot de bois, servant aux préparations culinaires, 1f00 ; — 2 bancs (dont un au grandpére), 2f00: — 8 chaises en cerisier et en peuplier (dont deuv au grand-père). 5f00; — 1 fauteuil (au grand-pére), 2f00 ; — 1 saloir (ces deuv meubles étaient jadis réunis dans les fermes confolentaises sous le nom de fauteuil-saloir, 2f00; — 1 coffre (au grand-pére), 2f00; — 1 huche, 6f00; — 1 chaise pour la petite, 1f00 ; — 2 vases de nuit (exception), 0f50. — Total, 127f50.

3° Mobilier de la chambore du premier étage. — 1 blutoir, 40f00; — 1 mée (pétrin), 30f00; — 1 armoire (au premier gendre). 20f00 ; — 1 coffre, 2f 00. — Total, 92f 00.

4° Objets religieux et livres. — 1 crucifix. 1f00; — 1 Sainte-Vierge, 0f30: — livres de l'enfant, 0f30. — Total, 1f60.

5° Objets de toiletteˉ. — 1 peigne, 0f50;— 2 rasoirs, 2f 00; — 1 iroir, 0f30. — Total., 2f80.

Ustensiles : solides, réduits au nécessaire............ 80f :30

1° Dépendant du foyer de la cuisine. (La crémaillère dépend de la maison.) — 2 chenéts en fer, 3f00 ; — 1 porte-poêle, 1f 00; — 1 pelle et des pincettes. 1f00; — 1 soufet, 1f00. — Total, 6f00.

2° Dépendant du four à pain. (Le four est en dehors de l'habitation.) — 1 rable pour éparpiller la braise, 1f 00 ; — 1 pelle pour enfourner le pain, 1f00. — Total, 2f00.

3° Employés pour la cuisson et la préparation des aliments. — 2 trés grandes marmites en fonte, 10f00 ; — 3 petites marmites, 5f50; — 1 grande poéle à longue queue, en fer battu, 3f00 ; — 1 braisière, 1f50; — 1 petit pot en terre vernissée, 0f 25 ; — 12 euillers en étain, 2f 00; — 12 fourchettes en fer, 1f 50; — 2 cuillers en fer, 0f20 ; — 1 petite cuiller en fer, 0f05; — 10 couteaux 5f00; — 1 soupière, 0f30; — 1 grand plat pour la soupe, 1f25 — 12 assiettes a soupe en terre blanche, 2f00; — 12 assiettes plates, 1f50; — 8 verres à boire, 0f80 ; — 2 tasses eun terre noire, 0f20; — soupiéres, bols, etc., gagnés à la loterie, 1f00; — 1 grande cuiller à longue queue, 0f50; — 1 salière, 1f00; — 1 égrugeoir à sel, eu bois, 0f50 ; — 1 pot à eau, 0f30; — 2 seaux en bois, 4f50; — 1 grand vase en terre pour contenir de l'eau, 0f90; — 1 autre plus petit.0f30 ; —5bouteilles, 0f50 ; — 3 barriques,9f00 ; — 1 saladier en terre jaune, 0f75; — 1 racloir pour nettoyer le pétrin, 0f25 ; — 1 pelladou, instrument en forme de grattoir pour peler les châtaignes, 0f10; — 1 crochet (balance), 0f50. — Total, 55f15.

4° Servant à l'éclairage. — 1 lampe à essence, 1f50: — 2 chandeliers en fer battu, 1f00; — 1 lanterne, 1f25 ; — 1 lampe à ga pour la lanterne, 0f75. — Total, 4f50.

5° Servant au blanchissage du linge. — 1 petit cuvier 6f00; — 3 battoirs, 0f45 ;— 2 selles en bois, 5f00; — 2 fers à repasser, 1f20. —. Tota. 12f65.

Linge de ménage : en toile solide, relativement abondant............ 377f20

1° Appartenant au grand-pére. — 7 paires de draps (étoupe), 42f00; — 3 essuiemains (étoupe), 3f0; — 1 nappe, 2f00. — Total, 47f 00.

2° Appartenant au chef de famille. — 25 paires de draps, 200f 00; — 24 essuie-mains, 24f00; — 12 nappes, 24f 00 ; — 12 sacs, 15f00; — 5 torchons, faits de vieux linges. 0f50. — 1 tablier de cuisine, 1f00 ; — 1 pièce de toile (étoupe) en provision, 32 aunes ou 3840, 43f 20; — 15 sacs, 2f50. — Total, 330f20.

Vêtements : l'usage, fondé sur la nature du climat et l'identité de situation sociale, avait complètement uniformisé le costume des paysans confolentais : certains traits restent encore fixes, parce que le sol et la température l'exigent; mais d'autres varient suivant la fan[026]taisie des individus et l'inégalité des bourses. Cette évolution est facilement saisissable dans la famille : l'aïeul a conservé le costume presque à l'état antique ; le père et les gendres l'ont abandonné. Le même mouvement s'observe dans la toilette des femmes............ 1.140f,35

VÊTEMENTS DES HOMMES (Selon le détail ci-dessous), 610f45.

1° Vêtements du grand-pére pour dmanches et fêtes. — 1 veste (gilleroun) en drap leu, dit cadi. 25f 00; — 1 gilet d'étoffe analogue. 4f00; — 1 pantalon (idem), 10f00; — 1 gilet de laine. 4f50: — 1 paire de bas de laine, 3f 00; — 2 paires de chaussettes de laine, 2f 0: — 1 paire de sahots en noyer. 2f 00 ; — 1 chapeau en feutre noir à grands bords, 3f50: — 1 chapeau de paille. 11f 00 ; — 1 chemise en toile, 3f 00. — 1 mouchoir de poche, 0f 45: — 1 cravae, 0f15. — Total. 58f60.

Vêtements du grand-père pour tous les jours. — 1 veste à la française (frisou), 7f00; — 1 gilet de drap bleu. 1f50 ; — 1 pantalon (ide), 4f00: — 1 gilet de laine (vieux), 1f50 ; .— 1 bonnet de laine marron. 3f00; — 1 vieille paire de bas de [laine, 1f25 ; — 1 paire de vieilles chaussettes de laine. 0f 7; — 1 chemise en toile, 2f00; — 1 mouchoir de poche. 0f40 ; — 1 paire de sabots, 1f25 ; — 1 cravate, 0f05. — Total. 22f 70.

3° Vêtements du grand-père, en provision et en double. — 1 gilet de drap bleu, 1f50; — 1 pantalon (idem), 4f 00 ; — 1 vieille paire de bas de laine, 1f25 : — 1 paire de chaussettes, 0f75 ; — 10 chemises. 1I9f00; — 4 mouchoirs de poche, 1f 65. — Total, 28f15.

4° Vêtements de noces des deux gendres (ils ne voient le jour qu'aux grandes occasions), pour chacun : — 1 gilleroun de drap brun, 25f00; — 1. gilet de velours à fleurs bleues, 8f 00; — 1 pantalon à raies, de drap brun. 12f 00; — 1 cravate de foulard d'une couleur voyante. 2f50 ; — 1 paire de souliers. 14f 00. — Total pour les deuv, 123f00.

5° Vêtements ordinaires de l'ouvrier maître de maison et de ses deux gendres (neufs, ils se porteunt le dimanche ; vieux, ils deviennent habits de travail) ; pour chacun : —1 veste en drap bleu,20f50 ;— 1 gilet (idem). 7f00; — 1 pantalon de drap d'hiver, 12f50 ; — 1 gilet de laine, 4f50 ; — 1 paire de bas de laine, 3f 00 ; — 1 paire de chaussettes, 1f90; — 1 paire de sabots en noyer, 2f50 ; — 1 chapeau en feutre noir, 3f50; — 1 cravate, 0f15 ; — 1 paire de mitaines, 1f50: — 1 patalon d'éte. de basin. 7f75; — 1 blouse, 5f00; — 1 chapeau de paille, 1f00: — 1 bonnet de laine marron, 3f00; — 1 chemise de toile, 4f50; — 1 chemise de coton, 3f50; — 1 mouchoir, 0f45. — Total pour les trois, 246f75.

6° Vêtements de l'ouvrier et de ses gendres, en provision et en douole, pour chacun — 14 chemises bonnes et mauvaises. 26f00; — 7 mouchoirs de poche, 2f75. — Total pour

On suppose que la valeur des vieux vêtements balance la diminution à faire sur les prix précédents qui sont ceux de fabrication ou d'acquisition. (A noter le parti que l'on tire des vieux gilets, auxquels on coud des bas de laine en guise de manches et qui composent un habit de travail très économique.)

7° Vêtements du petit gaçron. — Même garde-robe et de même forme que pour son pére (même observation que plus haut pour les vieux vêtements). — Valeur totale, 45f00.

VÊTEMENTS DES FEMMES (Selon le détail ci-dessous), 529f90.

1° Vêtements de noces des deux illes ariées,; pour chacune : 1 robe avec corsage, de drap brun. 30f 00; — 1 chale de cachemire très voyant et trés court. 9f00; — 1 paire de souliers, 12f 00 ; — 1 coiffe de tulle. 6f00; — 1 anneau d'argent, 1f00. — Total pour les deux, 116f00.

2° Vêtements du dimanche de la mére de famille (vieux ils deviennent habits de travail). — 1 robe d'hiver, étoffe brune. 18f50 ; — 1 robe d'été en droguet, 10f50 ; — 1 jiupon en molleton, 8f60 ; — 1 tablier en droguet. 2f70; — 1 brassière tenant lieu de corset, 1f50 — 1 gilet de laine, 3f50 ; — 1 mouchoir de ête, 0f75; — 1 mouchoir de cou, 1f00; —1 ecoiffe en nansoub, recouvrant une triple coiffure. 1f 00 ; — 1 béguinette de dessous, 0f20 ; — 1 bonnette en toile. 1f50; — 1 béguinette en soie, 2f 50; — 1 chale, 4f00 ; — 1 paire de bas, 2f 40; — 1 paire de chaussettes. 1f50 ; — 1 paire de sabots, 1f70; — 1 mouchoir, 0f45; — 1 chemise. 4f25. — Total. 66f55.

[027] Même observation que plus haut pour les vieux vêtements.

3° Vêtemenets des trois filles ; pour chacune : — même garde-robe que pour la précédente, moins : le gilet de laine. lacoiffe de nansou, le châle, remplacés par : — 1 caraco de droguet, 4f00; — 1 caraco de mérinos à garuiture de velours. 6f00 ; — 1 coiffe de tulle, 2f50; — 1 caraco de coutil pour travailler. 1f50; — 1 chapeau de paille. 0f0; — 1 ruban cravate. 0f50. — Total pour les trois, 220f35.

Même observation que plus haut pour les vieux vêtements.

4° Vêtements commums à la mere et aux illes. en double et en prouision. — 12 mouchoirs, 3f00; — 48 chemises., 50f00 ; — 4 capes en drap noir avec capuchon doublé de soie, 48f00; — 2 mauvaises capes pour la bergère, 10f00. — Total, 111f 00.

5° Vêtements de la petite fille. — 1 robe, 4f75; — 1 bonnet noir., 1f 00; — 1 chemise. 1f35, ete. —Total. 110f00.

6° Parapluies communs aux membres de la famille. — 3. à 2f00 en moyenne. 6f00.

VALEUR TOTALE DU MOBILIER ET DES VÊTEMENTS............ 2.106f 75

§ 11. Récréations.

Les grandes distractions des paysans confolentais sont les pèlerinages et les foires. La famille n'oublie pas d'envoyer un de ses membres, le chef ordinairement, « faire la dévotion » pour les bestiaux à la Saint-loch et à la Saint-Pardoux (§ 20). Après la cérémonie religieuse, filles et garçons se dirigent en troupe vers les baraques foraines. et aussi vers les bals, jadis vraiment champêtres et en plein air, mais qui s'étouffent aujourd'hui dans des salles d'auberge. C'est encore le chef de famille qui se rend aux foires, et il en est trois surtout auxquelles il se garde hien de manquer, même sil n'a rien à vendre. Ces récréations sont, les premières, exceptionnelles, et les secondes, réservées à quelquesuns. Il en est d'autres plus fréquentes et auxquelles tous peuvent prendre part. Elles ne consistent point en délassements artistiques. La musique n'a jamais produit en ce pays que quelques mélopées de bergère, et le goût de la couleur ne se manifeste que dans le choix des châles de femme, tous d'un orangc plus ou moins éclatant. Elles ne consistent pas davantage en exercices de force, comme en certaines contrées. La race craint naturellement la fatigue. Le rampeau, sorte de jeu de quilles, où les enjeux sont parfois élevés, est le jeu préféré des hommes. Il exige de l'adresse et du coup d'œil. Le cabaret et les vulgaires jeux de cartes appris au régiment exercent de plus en plus d'attraits sur les jeunes gens, qui dépensent ainsi chaque dimanche la plus grande partie de leurs économies. Certains fils de métayer, qui travaillaient chez leur père aux [028] mêmes conditions que les deux g endres de la famille étudiée, vont même jusqu'à se louer ailleurs comme domestiques pour disposer de sommes d'argent plus considérables. C'est la conséquence d'un mouvement général qui est très activé par le service militaire et le séjour des villes qui l'accompagne. Enfin nous citerons les veillées d'hiver, semblables à toutes les veillées d'hiver campagnardes, où l'on joue à des jeux qui ont à peine moins d'esprit que les jeux de société. C'est là que se concluent les mariages. Les « veilleurs, c'est-à-dire les épouseurs, offrent du vin et l'achètent à leurs hôtes. Le chef de famille a réalisé ainsi cette année même quelques petits bénéfices.

Histoire de la famille

§ 12. Phases principales de l'existence.

Le maître de maison ainsi que sa femme sont issus de familles rigoureusement semblables à celle qu'ils dirigent aujourd'hui. Leurs parents à l'un et à l'autre se fai saient gloire d'être restés de longues années sur les mêmes domaines et de n'avoir jamais servi que les meilleurs maîtres du pays. Quant à eux, ils ne sont entrés sur le bien qu'en 1880; mais leur humeur n'est pas vagabonde et ils y resteront probablement longtemps encore. Certains exemples de permanence extraordinaire d'en gagements entre patrons et ouvriers sont signalés avec éloges dans la contrée. Sur une métairie peu éloignée, une famille est établie depuis plus de trois cents ans.

Elevés encore le plus souvent avec le goût des choses rurales, les enfants apprennent peu à peu du chef de la communauté et de ses membres les traditions du métier. Les mariages sont précoces ; la mêre de famille s'est mariée à 20 ans ; ses filles, à 18 et 21 ans. Les jeunes gens qui échappent au service militaire songent aussi de bonne heure à choisir une femme. Outre leur intéret personnel, l'intérêt de leur communauté les y pousse. S'ils doivent rester avec leur père, ils lui procurent une ouvrière intéressée à la bonne gestion des affaires familiales. S'ils doivent le quitter par suite du nombre des frères[029]et sœurs, ils se ménagent ainsi à pe u de frais chez leur beau-père un avenir avantageux.

Les cérémonies du mariage, qui interviennent après des cours parfois fort longues et des attentes d'une antique fidélité, ont certains rites particuliers. D'abord le treiain. souvenir de l'achat de la femme, est conservé dans sa force primitive. Treize pièces de 2 fr., de 1 fr. ou de 0 fr., 50, suivant la fortune du couple, sont bénites par le prêtre en même temps que l'anneau nuptial. Le même usage existait aussi jusqu'au commencement du siècle dans la classe supérieure : mais les treize pièces d'argent devenaient treize pièces d'or. Ces treize pièces se sont transformées maintenant en une pièce unique, consacrant un souvenir : la pièce de mariage. Cet argent n'est point remis au prêtre. comme en certai nes parties de la France, mais à la femme elle-même. Il forme le fond d'une bourse particulière qui est toujours à sa disposition, alimentée par certains revenus désignés d'avance et consacrée à certaines dépenses également déterminées. Le cortège est attendu à la porte de l'habitation par une femme qui tient une soupière et fait boire une cuillerée de potage à chaque invité. La nouvelle mariée doit relever un balai mis en travers de l'entrée et prendre possession de sa nouvelle demeure par cet acte de nettoyage et de bonne administration. Les superstitions qui exigent en ce jour certains actes et certaines abstentions sont innombrables. Passer la nuit précédant le mariage sous la mée tuilée que son futur mari ou sa future épouse entraînerait des catastrophes irréparables. En revanche, si l'on casse beaucoup de vaisselle, c'est un gage infaillible d'union et de bonheur.

A partir de ce moment la vie s'écoule très uniforme dans le labeur quotidien. Les exercices de vingt-huit et de treize jours exigés par la loi militaire la viennent rompre de la façon la plus désastreuse pour le repos de la famille. Tous les jeunes gens de la communauté, parfois le chef, sont enlevés pendant de longues journées que les travaux agricoles rempliraient avec avantage. Au regiment, les économies s'engouffrent; le dégoût de la campagne se prend. Nous avons entendu exprimer par les gendres V*ee le regret du service de sept ans, dont la fin exonérait de tout nouveau service et de toute inquiétude. Cependant on sent la nécessité et l'on obéit.

Une phase importante des communautés, c'est le changement de domaine. Les causes des changements sont variables. La plus fréquente est le manque de proportion entre la terre à cultiver et le[030]nombre des bras disponibles. Quand des enfants lui surviennent, le métayer « devenu trop fort passe sur une exploitation plus vaste. S'il en perd ou n'en pas en nombre sufisant, déplacement inverse. Le métaer a donc intérêt à avoir une nombreuse postérité. Il le comprend encore, uand il n'a pas quelque coin de terre qu'il espère agrandir et laisser à un seul ou à deux enfants. Ici l'amour de la terre détruit la race.

Le choix du chef de communauté n'est pas à faire en général. Il est désigné par le sang c'est le père. Mais dans les communautés de frères, qui d'ailleurs sont rares aujourd'hui, la supériorité intellectuelle donne la première place. Le plus souvent le frère aîné commande. On se rend compte, en présence de ce fait, du rôle de ˉl'oncle (patruus de pater), dans les familles patriarcales. Le chef a souvent un second, un suppléant. Il n'en existe pas dans la famille étudiée.

Les héritages tiennent une large place dans la vie du paysan. Disputés aver âpreté, divisés avec l'égalité la plus rigoureuse, garantis par les formes judiciaires les plus coûteuses, ils éparpillent le sol en des mains multiples, et créent l'instabilité de la petite propriété foncière. La coutume successorale est aussi ancienne que la population elle-même ; elle était jadis corrigée par l'imitation du droit de succession noble ; actuellement elle a tant d'inconvénients que cerr tains grands propriétaires conseillent à leurs métayers les placements en valeurs d'Etat, toujours facilement divisibles en parts égales. Une classe forte de paysans propriétaires devient de plus en plus difficile à fonder.

§ 13. Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.

L'organisation du métayage et celle de la communauté patriarcale jointes à l'esprit de travail et d'économie, voilà les véritables causes de la prospérité de la famille étudiée et des familles similaires. Le lien qui relie l'ouvrier au patron, en partageant les risques, supprime les causes de lutte : l'un ne s'enrichit pas aux dépens de l'autre : ils s'enrichissent ou s'appauvrissent de concert. Le lien qui réunit les différents membres de la famille, outre ses avantages économiques,[031]diminution des frais d'entretien, groupement d'ouvriers intéressés aux bénéfices, offre les plus grands avantages sociaux. Les enfants. surveillés par la ménagère, qui reste toujours à la maison, ne connaissent pas l'état d'abandon si fréquent dans les familles instables. Sous l'eil de leurs oncles et tantes, ils n'ont pas à craindre ces antipathies barbares qui naissent parfois dans les ménages isolés. Pour eux, la question de la protection de l'enfance n'existe pas. La hiérarchie nécessaire à toute agglomération d'hommes plie les esprits à l'obéissance et au respect. La présente monographie nos présente tous ces traits parfaitement accentués. Le patron réside et remplit ses devoirs sans intermédiaire, avec tact et dévouement. Le chef de la communauté a en quantité suffisante les facultés de direction et de commandement. Un pareil régime formerait des hommes capables du gouvernement rural si les institutions étaient sorties de la race même, au lieu de lui être imposées par une race supérieure qui a su la dominer et lui enlever toute force intellectuelle originale. Malheureusement, sous les influences ambiantes, la communauté se dissout de plus en plus ; avec elle s'en va le respect. Le métayage, plus solide, ne satisfait pas tous les esprits. Nous sommes en présence d'une population nonencore complètement désorganisée, mais en grande partie ébranlée.

REMARQUE GÉNÉRALE Sur les deux budgets qui suivent et les comptes qui y sont annexés. — En établissant tous les comptes des §§ 14,15 et 16, la coutume de F. Le Play, coutume que nos collaborateurs suivent naturellement, a été de balancer toute dépense en nature par une recette d'objets en nature, et toute dépense en argent par une recette en argent. De cette façon, on arrive à une alance exacte. non seudement entre les totaua généraux des deux oudgets, mais encore entre les totaux partiels des deux colonnes dont chaque oudget se compose. l'n coup d'œil sunr les totaux partiels de ces deux colonnes dans les budgets et les comptes de la présente monographie, avertit le lecteur que l'auteur ne s'est pas astreint à suivre cette coutume. C'est là un second système que F. Le Play a indiqué, discutè (Ouvriers européens. 1e édition, 1855. page 31 ; 2e edition 1879, t., page 286 à 288) et rejeté détfinitivement. Néanmoins, en faisant un choix, il n'a pas condamné ce second systéme. Il était surtout préoccupé, non sans raison, des garanties d'exactitude, et de la simplicité des moyens de vérification des calculs, dans le premier systéme: mais il reconnait aur second le mérite, moindre à ses yeux, d'enregistrer les faits tels qu'ils se présentent d'abord à l'observation. C'est justement ce mérite qui a déterminé la préférence accordée au second systéme par l'auteur de la présente monographie.

§ 14. Budget des recettes de l'année.

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§ 15. Budget des dépenses de l'année.

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§ 16. COMPTES ANNEXÉS AUX BUDGETS.

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Éléments divers de la constitution sociale

FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION SOCIALE ; PARTICULARITÉS REMARQUABLES ; APPRÉCIATIONS GÉNÉRALES ; CONCLUSIONS.

§ 17. SUR LES ÉCHANGES ET LE RÉGIME ÉCONOMIQUE DANS LE CANTON DE CHABANAIS.

[050] La production agricole du canton de Chabanais porte principalement sur deux objets : 1° les céréales, 2 les bestiaux.

D'aprés l'enquête de 1882, document administratif, le territoire agricole du canton est de 24.024 15 15e, dont 23.135 76 livrés à la culture ; 88R 39e 15 à la production naturelle spontanée : 2.,081 75e sont en terrains bàtis ou non bàtis (routes, chemins de fer,

Superficie cultivée. — 1 Terres labourables, 15.108 53, réparties en : grains alimentaires (cèréales, etc.). tubercules et racines, 11.617 2e; prairies artificielles, fourrages et prés temporaires, 400 25m ; cultures industrielles, 334ᶥ 18e; vignes, 696 83e ; jachères, 2.09k 7Se. — 2° Prairies naturelles et herbages paturés permanents, 6.457 84e°. — 3° Bois et foréts, 1.389°51e. — 4° Jardins maraichers et potagers, 23 82e ; jardins de particuliers 15406°; jardins de plaisance, parcs, 2.

Superficie non cultivée. — 1e Landes, patis, bruyères, ete., 81I9 84° ; terrains de roche et de montaggne, incultes, 14 80m ; terrains marécageux, 53k 75° 15e.

1° CÉRÉALES. — La même enquête de 1882 nous apprend que sur les 11.617e52 consacrés aux grains alimentaires, 2.010k 46sont ensemencés en froment, 3.600 en seigle et 845 70 enméteil. En admettant que ces chiffres soient exacts (la proportion du seigle nous parait trop forte), et en prenant les moyennes de M. Coquand10, 10 43 pour le froment, 9 26 pour le seigle, 11 86 pour le méteil, nous arrivons à une production totale en chiffres ronds : 64.322 hectolitres (20.964ᶥ 30 de froment, 33.336ᶥ de seigle et 10.021 70 de méteil), dont on déduira pour semences 8.47ᶥetil restera 55.849 hectolitres.

[051] En face de la production (que nous n'avons garde de garantir, les moyennes de M. Coquand nous paraissent un peu élevées) plaçons la consommation locale. Le budget des dépenses de la famille nous apprend qu'elle consomme 4 hectolitres de blé (froment ou seigle) par personne. Multiplions ce chiffre par les 13.363 habitants du canton, nous arrivons au chiffre de 53.452 hectolitres.

Il reste donc pour la vente extérieure 3.397. (en fait, tout froment), qui, à 15f47 l'hectolitre, donnent une valeur de 52.551 francs. 2PBESTIAUX. — La statistique des bestiaux du canton est la suivante :

Espèce cheualie. —230 bètes : —1e 55 chevaux entiers, dont 11 étalons employés exclusivement à la reproduction ; 44, au travail et peu ou pas à lareproduction. — 2m 10 chevaux hongres, de 3 ans et au-dessus ;— 3161 juments de 3 ans et au-dessus, dont 2 poulinieres employées exclusivementà la reproduction et 134 juments de travail. — 4° 24 poulains et pouliches, dont 16 de 1 à 3 ans et 8 de l'année.

Mulets et mules. — 56 bêtes : — 1°47 de 3 ans et au-dessus; — 2° 9 de l'année.

Espèce asine. — 157 bêtes : — 1e8 anes de 3 ans et au-dessus ; — 2P 62 anesses de 3 ans et au-dessus; —3° 10 anes ou anesses de 1 an à 3 ans; — 4° 2 ânons de l'année.

Espèce oouime. — 9.018 bêtes : — 1e 2 taureaux ; — 2° 204 bœufs, dont 20 de travail et 184 d'engrais ; — 3° 5.210 vaches ; —4° 1.277élèves de 1 an et au-dessus, dont 64 bouvillons et 635 génisses ; — 5° 1.156 élèves de 6 mois à 1 an, — 1.169 veaux (au-dessous de 6 mois). ˉEspéce ouineˉ. — 26.381 bètes : — 1e 346 béliers ; —2P5.210 moutons ; — 3° 13.40 brebis — 4° 2.885 agneaux et agnelles de 2 ans ; — 5°,2.140 idem, de 1 an ; — 6° 2. 330 agneaux de l'année.

Espèces porcines. — 6.039 bêtes : —1° 10verrats;—- 2° 412truies; — 3P 2. 480 pores à l'engrais; — 4° 3.137I éléves de moins de 1 an.

Espèces caprine. — 341 êtes : — 1° 5 boucs ; — 2P 195 chévres;— 3° 141 chevreaux. A1nimaux de bsse-cour. — 62.289 bêtes : — 1e 43.881 poules; — 2° 603 oies : — 3° 1.740 canards;— 4° 38 dindons et dindes ; — 5°8 pintades ; — 6 9.787I pigeons ; — 7° 5.992 lapins

— 8° 40 léporides.

1° Remarque. — Le canton étudié élevait jadis des chevaux et engraissait des bufs. Mais la race de chevaux dite « limousine D a été détruite par la suppression des haras (décret de l'Assemblée constituante) et les réquisitions pour la guerre de Vendée, ainsi que nous l'apprend la Statistique de la Haute-Venne, citée plus haut. Jusqu'au milieu de ce siècle nous trouvons la production des mulets asse répandue. Elle a disparu aujourd'hui. Quant à l'engraissement des bœufs, il remontait très haut dans l'histoire de l'agriculture confolentaise. Achetés à 4 ou ans, les bœus, après avoir exécuté quelques labours, étaient engraissés pour la boucherie. n livre de comptes que nous avons entre les mains nous indique que ce retour des beufs, vendus à l'état de bouvillons aux cultivateurs de la basse Charente, a été abandonné vers 1860.

2e Remarque. — Le canton de Chabanais est une terre d'élevage où la population bovine se compose des mères, du jeune bétail, des[052]taureaux. Cette one en commande une autre située dans le BasAngoumois où les bouvillons sont soumis au joug et donnent de la force motrice. Enin, toujours plus bas, se trouve la zone d'engraissement et les foires d'où partent vers Paris les convois de bœufs limousins ou charentais. Les génisses vont dans le Périgord et le Midi ; les vaches grasses à Limoges et à Paris. Pour nous rendre compte de l'importance du commerce des jeunes bestiaux, remarquons que la stautistique les évalue (de un j. à un an) à 3.600. O0r, comme on les vend à onze ou douze mois, nous pouvons évaluer à 3.600 le nombre de veaux et génisses vendus par an. A 200 francs, nous arrivons à 720.000 francs pour le seul canton (cours de 1888).

3° Remarque. — Le domaine confolentais était constitué de telle sorte que le paysan se nourrissait et s'habillait jadis entièrement sans recourir au dehrs. D'où un moins gran l nombre d'échanges, moins d'activité dans le commerce. Une foule d'usages réduisaient l'emploi de l'argent, par exemple, les combinaisons de la façon à moitié suppriment le recours au numéraire dans presque tous les cas où l'on se sert ailleurs du louage d'ouvrage. Le « troc » s'est maintenu sur une assez large échelle. Ce sont là des correctifs aux crises monétaires négligés des économistes.

4° Remarque. — Si l'on en excepte une notable partie des petits commerçants et des propriétaires indigents qui sont en même temps des propriétaires endettés, la population n'est pas amoureuse de nouveautés gouvernementales. Elle a conservé sa vieille notion traditionnelle du pouvoir personnel. Jadis elle a été gouvernée par le seigneur presque absolu, puis par le roi ; elle veut un maître. Sans maître. aucune maison ne peut prospérer, dit-elle ; mais il faut que le maître ne soit pas trop sévere. C'est le pouvoir, tel que doit le concevoir un ensemble de communautés qui se désagrègent. Il faut que ce pouvoir ne touche rien à l'ordre de choses nouveau établi en 1789, et surtout qu'il fasse aller le commerce ». Cette idée que le gouverment est en définitive responsable de la hausse ou de la baisse des cours n'admet pas de contradiction. Or deux cours intéressent surtout cette population : le cours des blés et le cours des veaux, porcs et moutons. Libre-échangiste, ou à peu près (sauf les grands propriétaires et les fermiers), en ce qui concerne les blés, elle est ardemment protectionniste pour le bétail. Le premier de ces deux sentiments s'explique : le métayer vend fort peu de blé, comme la monographie nous l'indique ; il est forcé d'en acheter dans les années mauvaises. Artisans,[053]journaliers, etc., tout le reste de la classe ouvrière en achète. Les électeurs du pays jugent leur gouvernement par un autre côté : le côté fiscal. Ne leur demandez pas de se rendre compte de leurs impôts, de ce qu'ils paient à l'Etat, au département, à la commune combien pour tel service, combien pour tel autre. Cela exige beaucoup de calculs et de droit administratif. Ils voient une seule feuille d'impôt, un seul percepteur. Si l'impôt augmente, le gouvernement est mauvais. La classe ouvrière n'apprécie donc les actes du pouvoir que par leurs conséquences sur sa vie matérielle. Washington a dit, il y a longtemps, que le peuple ne voit les fautes politiques que lorsqu'il les sent.

§ 18. SUR LE MORCELLEMENT DE LA PROPRIÉTÉ ET LA MOBILISATION DU SOL.

1° Morecellement de la propriéte. — La répartition du sol en terres cultivées par les paysans propriétaires et en terres cultivées par les ouvriers ruraux, fermiers ou métayers, est tellement importante que nous n'hésitons pas à publier, malgré sa longueur, le tableau statistique suivant, rédigé par les soins de l'administration des contributions directes. Ce tableau contient évidemment des erreurs. Le nombre des propriétaires est un peu moins considérable : il suffit qu'une personne possède une propriété dans la commune A et une autre dans la commune B pour qu'elle soit considérée comme formant deu articles, deux propriétés. De plus, la, classification par ordre d'importance des cotes donne une idée un peu inexacte parfois de la relation des fortunes. Un propriétaire qui possède deux domaines de 60 hectares en deux communes différentes devrait figurer à la dixième catégorie au lieu de figurer deux fois à la neuvième. Quoi qu'il en soit, ces travaux sont extrêmement curieux et les sociétés de statistique devraient s'efforcer de les faire connaître.

Disons de suite que le trait saillant du canton de Chabanais est d'être en grande partie un pays de propriété patronale. En supposant. ce qui fait la part trop belle à la propriété paysanne, que jusqu'à 20 hectares tous les domaines sont cultivés par leurs propriétaires, nous avons : 13.200 58e 53e de propriétés cultivées par des ouvriers ruraux non propriétaires, et 10.307 18e53e cultivés par des ouvriers ruraux propriétaires.

Classement des propriétés d'après leur étendue [§1]
Classement des propriétés d'après leur étendue [§1].

[055] 2° Mobilisation du sol. — Nous aurions désiré indiquer l'accélération du mouvement qui fait arriver insensiblement le paysan à la propriété du sol : mais il n'a point été fait de relevé des domaines morcelés depuis dix ans, par exemple. Les domaines se morcellent, en effet, et ne se reconstituent que rarement. A défaut de cette statistique, nous allons tâcher de déterminer la mobilisation du sol en général, qu'il soit acquis de paysan à paysan, ou de bourgeois à paysan. Les renseignements nous seront fournis par une administration financiêre : l'administration de l'enregistrement. Le chiffre des impôts perçus va nous faire connaître l'importance du capital aliéné.

Mobilisation du sol : nombre de ventes, d'échanges et d'échanges de parcelles contiguës (1877-1887) (§1)
Mobilisation du sol : nombre de ventes, d'échanges et d'échanges de parcelles contiguës (1877-1887) (§1).

(1) Ces chiffres n'étaient pas marqués en 1877 sur les sommiers de dépouillement.

(2) Une loi nouvelle, 1884, étend les catégories d'échange soumis à ce droit.

Puisque nous cherchons à connaître l'importance du mouvement qui fait passer la propriété foncière d'un patrimoine dans un autre, les ventes surtout nous intéressent. Or il est d'autres ventes d'immeubles situés dans le canton qui ne sont pas portées sur les registres du receveur. Ce sont les ventes constatées par des notaires étrangers au canton ou encore les ventes judiciaires faites au tribunal du cheflieu. Parmi ces ventes, il s'en trouve de fort importantes, car les riches propriétaires résident dans les grandes villes et emploient naturellement pour leurs acquisitions les notaires de leur résidence. Elles sont annoncées au moyend'une lettre missive, dite « renvoi n, au receveur de la situation de l'immeuble, par le receveur du lieu de l'enregistrement. Les renvois concernant les ventes peuvent être évalués à 60 en moyenne par an, soit 600 pour dix ans, et représentent environ 50.000 francs de droits. Nous arrivons donc à un total de 319.637fr 90, auquel il faudrait ajouter le quart (parce que les[056]droits d'enregistrement sont toujours augmentés de deux décimes et demi) si nous tenions à savoir le véritable chiffre de l'impôt perçu : 319.637fr 0 représentent 5,50 du capital aliéné. Celui-ci est donc de : 5.811.598 francs, soit : 581.160 francs par an.

Malheureusement, cette valeur de 5.811.98 francs par période décennale ne nous donne pas sur la question proposée une solution très nette. Nous cherchons à préciser la mobilisation de la propriété foncière rurale, et notre statistique vise tout en un seul bloc, propriété rurale et urbaine. Si l'on évalue à 1.000 franes l'hectare en moyenne les 23.507 hectares du canton, on voit qu'en dix ans il y a eu d'aliéné le quat de la valeur totale ou 23.507.000 francs. Mais ce sont surtout les petites propriétés qui se vendent : les grands domaines restent en majorité fixes.

Nota. — Remarquons l'affaissement des droits perçus depuis 1880. de 26.000 a16.000 francs. Cela signifie : baisse des propriétés et gêne considérable de ceux qui ont acheté à crédit pendant l'époque de prospérité.

§ 19. LA QUESTION RELIGIEUSE DANS LE CONFOLENTAIS.

La religion catholique est la seule pratiquée dans le pays. Le paysan confolentais est beaucoup plus superstitieux que religieu. Cependant la partie élevée de sa religion ne lui a pas complètement échappé. L'idée de Dieu, du boun Dié ou bon principe, lui paraît naturelle, tout en restant empreinte d'un anthropomorphisme décidé. Dieu est pour lui un maître juste au sens matériel du mot, un brave homme, nous disait une vieille paysanne. Le Christ est universellement vénéré, même des incrédules, et ses emblèmes se rencontrent un peu partout, à l'entrée des hameaux et au carrefour des chemins, très souvent surmontés d'un coq qui sert de girouette. La sainte Vierge, la bouno 'iario, est également três respectée. Le paysan confolentais, très souvent illettré, n'a que son chapelet pour livre d'heures. Il le dit très dévotement dans les processions des pèlerinages et aussi dans les promenades pieuses qu'il fait parfois, seul et recueilli, autour de ses terres ensemencées. Mais le culte le plus populaire est encore le culte des saints. Il s'agit, bien entendu, des saints nationaux, c'est-à-dire des saints limousins : saint Martial, l'apôtre de l'Aquitaine ; saint Eloi, l'orfèvre-éveque, conseiller des[057]rois mérovingiens ; saint Martin (de Brive) ; saint Junien, l'ermite de la forêt de Commodoliac ; saint Léonard et bien d'autres encore11. On les vénère dans les centres religieux du pays, Limoges et saint Junien, au moment des ostensions, c'est-à-dire des cérémonies solennelles où leurs reliques sont exposées en publie. Jadis c'était l'occasion de pompeuses processions, où les confréries de pénitents rappelaient aux étrangers le spectacle des villes italiennes et espagnoles. Dans la campagne limousine (et nous pouvons bien comprendre le canton étudié dans la campagne limousine, puisqu'il a fait partie du diocêse de Limoges depuis l'établissement du christianisme jusqu'en 1790), les saints sont adorés dans de petits sanctuaires locaux, auprès desquels il existe toujours une fontaine sacrée. Nous sommes bien en présence d'un culte de paysans pasteurs. Les saints sont surtout des protecteurs de bestiaux, et leur protection ne s'obtient qu'en se désaltérant aux sources qui fécondent les prairies. Cette idée est tellement dominante que le patron de l'église du chef-lieu de canton, saint Roch, que l'on invoque dans le pays depuis l'épidémie de peste noire de 1631, est devenu, lui aussi, un saint rural, et que les métayers et propriétaires confolentais l'invoquent surtout contre les épizooties. A peu de distance de Chabanais, à Etricor12, une chapelle, qui faisait autrefois partie d'un monastère, est remplie d'ex-voto champêtres, entre autres de jougs qui témoignent de la guérison miraculeuse de leur attelage. Le culte des saints donne lieu à des fêtes locales appelées votes. Un membre de chaque famille est toujours délégué pour accomplir les devoirs religieux imposés par l'usage, procession, baisement des reliques ou des pierres sacrées, etc. Autrefois il fallait passer en plein air la nuit qui précédait la vote. Il est probable que le paysan chargé de « faire la dévotion » emportait avec lui la nourriture qui lui était nécessaire. C'est de là que viendrait l'usage qui interdit au métayer d'accepter quoi que ce soit les jours de vote, même dans la maison de son maître. La vote a donc été à un certain moment une pratique religieuse beaucoup plus sévèrement réglementée que de nos jours. Aujourd'hui, la partie profane de la fête attire encore plus que la partie religieuse. La oote a été détrônée par la ballaido.

[058] Nous pouvons maintenant passer à l'étude du mauvais principe, ou de Satan. Le diable a été très redouté dans les campagnes limousines. Nulle part les terreurs du moyen âge, revenants, sorcieres et loups-garous, n'ont été plus intenses que dans cette contrée, où les chemins, détrempés par les pluies d'hiver, traversaient des bois profonds et des landes semées parfois de petites croix, qui réveillaient le souvenir d'assassinats anciens. Ceux de nos lecteurs qui pourront se procurer l'histoire de Rochechouart par M. l'abbé Dulery feront bien de lire la légende de la croix de Blancharaud. Elle leur donnera une juste idée de l'état d'esprit des campagnards limousins et confolentais jusqu'au milieu de ce siècle. Il ne faudrait pas croire cependant que sur ce point le progrès ait été considérable. Jusqu'ici, sauf quelques superstitions, plus ridicules que dangereuses, l'orthodoxie n'a pas été sérieusement attaquée. Mais voici qui est plus grave : ces mêmes saints que nous avons vus considérés comme puissances bienfaisantes, nous allons les voir considérés comme puissances malfaisantes. Ils servaient d'intermédiaires entre l'homme et Dieu ils vont maintenant empiéter sur le terrain de Satan, et poursuivre l'humanité d'une haine qui demande des sacrifices expiatoires. C'est du paganisme, encore mal déraciné. Lorsque le paysan se voit malade, il se pose dès l'abord la question suivante : « De quel saint me vient le mal qui m'a frappé2 Et, comme la question ne peut être résolue par les seules lumiêres humaines, il se trouve des spécialistes qui, moyennant une juste rétribution, soulèveront pour lui un coin du mystère. L'opération s'appelle recommandation. Elle est pratiquée de la manière suivante. La bonne femme s qui tire les saints » prend une baguette de noisetier cueillie la veille de la Saint-Jean, et dépose un charbon, toujours de noisetier, sur l'eau qu'elle a versée dans un verre. Puis, murmurant des prières inconnues aux profanes, et que se transmettent les générations de sorcières, elle prononce le nom d'un saint. Si le charbon reste immobile, le saint est innocent. et l'on passe à un autre. Mais le charbon vient-il à couler à pic, le saint malveillant est connu. Il ne s'agit plus que de l'apaiser, en allant chercher à un des nombreux sanctuaires des environs une fiole d'eau sainte, qui servira à laver le membre malade, trois matins de suite, au lever du soleil. Au besoin, i le respect humain vous embarrasse, la bonne femme se chargera du pèlerinage. Coût : 1 franc. Le nombre des guérisons ainsi obtenues est naturellement considérable. On comprend bien que, si les saints [059] ont le mauvais eil. les hommes ne l'ont pas moins. La peur des sorts, et des sorts jetés par représailles, se rencontre dans la campagne du Confolentais comme à Naples ou en Sicile.

Le protestantisme qui ensanglanta le pays, et qui était même prépondérant dans certaines parties des communes de Chassenon et de Pressignac, est complètement oublié. Seul le vieux château des princes de Chabanais a conservé le souvenir des sièges de l'armée huguenote. Notre confrère M. Louis Guibert a fort bien montré, dans l'ouvrage cité plus haut, que le calvinisme n'avait aucune chance de réussir auprès d'une population qui mettait au premier rang de ses préoccupations religieuses le culte des saints. Des inluences particulières, l'appui des vicomtes de Rochechouart, par exemple. le firent bien triompher sur quelques points ; mais dès que ce secours lui manqua, et que les seigneurs marchèrent d'accord avec le clergé, peu riche d'ailleurs et attaché à ses devoirs, les dévouements individuels ne se levêrent plus pour le soutenir. La religion nouvelle ne répondait à aucun besoin : elle choquait des instincts profondément enracinés. Elle devait disparaitre.

Le clergé lutte aujourd'hui contre une propagande bien plus dangereuse, la propagande qui se cache sous le nom d'anticléricale et qui est en réalité une propagande matérialiste, peut-être même davantage, une propagande paienne. Nous avons surpris certains indices qui tendraient à prouver que le culte des forces naturelles, du Soleil notamment. ne serait pas très diffieile à restaurer chez cette race superstitieuse, qui n'a jamais pu s'élever jusqu'au christianisme pur. Les philosophes parisiens, qui croient avoir découvert un ensemble de doctrines plus conformes au progrès que la doctrine chrétienne, nous sauront gré de leur signaler cette conséquence de leurs livres et des articles de leurs journaux13. Quoi qu'il en soit, le point où portent tous les efforts des associations et des feuilles athées est, dans le Confolentais, comme dans le reste de la France, le respect du clergé. Le prêtre n'est pas méprisé par le paysan. Il est plutôt craint. On le salue, quand on le rencontre. Il est savant, en effet, et partant sorcier. Les curés ne peuvent-ils pas faire pleuvoir Certaines personnes dans chaque village apprennent aux autres qu'elles ont été témoins[060]du fait, et qu'un curé qui attire la grêle sur les champs de ses ennemis est une chose fort naturelle. Le moyen s'use un peu plus chaque jour. Il n'en indique pas moins le ĉté faible du paysan à l'égard du clergé, c'est la méfiance. Parlez-lui des dimes, du gouvernement des curés, et autres lieux communs que la presse périodique a rendus familiers aux politiques de village, et vous éveillerez inévitablement chez lui un vague sentiment de terreur pour des oppressions imaginaires encore à redouter. Le clergé, il faut le dire, n'oppose pas à ses ennemis une résistance bien énergique ni bien habile. Les associations religieuses, qui comprennent un certain nombre de femmes, laissent complètement en dehors les hommes et les jeunes gens. La prédication est sans effet. Les prônes et sermons, le plus souvent prononcés en français, restent lettre morte pour les auditeurs. La langue leur est d'abord étrangère en partie ; et les sujets, empruntés à des manuels où la théologie transcendante tient trop de place, ne répondent pas aux préoccupations de simples cultivateurs. Restent l'exemple d'une vie morale. les relations personnelles, et surtout l'habitude. Ce sont trois forces très puissantes mais elle ne suffisent plus pour lutter contre une instruction primaire ostile aux traditions chrétiennes.

§ 20. DU MÉTAYAGE DANS LE CONFOLENTAIS.

Nous ne reprendrons point dans tous ses détails la description du lien social qui unit l'ouvrier au patron dans les domaines confolentais : le métayage. Le principe qui divise les produits par moitié entre le capital et le travail a pénétré les esprits depuis de longs siècles, et a créé peu à peu tout un ensemble de coutumes extrêmement favorables à la paix sociale, mais qu'il serait fort difficile de reconstituer dans les régions où ces traditions se sont perdues. Il nous suffira de dire quelques mots sur : 1° l'entrée en jouissance du métayer et sa sortie du domaine ; 2° l'action et la surveillance du maître.[061]l'acte tous les membres de la communauté. L'acte est rédigé par-devant notaire, car les paysans, nous le savons, sont pour la plupart illettrés. Autrefois, et cet usage s'est maintenu sur certains points du département de la Haute-Vienne, les conditions du contrat étaient simplement relatées sur le livre du maître. L'estimation du cheptel est faite par deux experts ; le métayer devra rendre à sa sortie un cheptei de même valeur ; s'il y a excédent, la moitié du gain (en valeur ou en nature, au choix du maître) lui appartiendra ; s'il y a perte, il en supportera la moitié.

Cette sortie s'effectuait jadis sans l'intervention des hommes de loi. Mais certaines résistances s'étant produites au moment de l'exécution amiable des conventions, les congés sont donnés par huissier.

Les frais du bail partiaire sont payés par le métayer, mais ils sont relativement minimes. Pour un domaine dont le revenu annuel est estimé à 700 francs, le détail des frais est lesuivant : timbre, 1 f20 ; honoraires de notaire, 7 francs ; droits d'enregistrement, 0f202 (le quart en sus), 1 f75. En réalité, vu la rédaction de l'acte, on ne fait payer que sur une année, soit 1 f 75 ; le bail vint-il à durer cent ans. Au contraire, pour un fermage évalué à la même somme, le droit s'élèverait à autant de fois 1 fr 75 qu'il y aurait d'années jusqu'à l'expiration du bail ; et ce serait à recommencer lors du bail nouveau. En outre, le bail partiaire verbal n'a pas besoin d'être déclaré ; le bail ordinaire doit toujours l'être. La loi fiscale fait donc un avantage notable au métayage.

2° Le maître qui veut perfectionner les procédés agricoles, s'il est moins obéi de ses métayers que de ses valets, l'est plus que de ses fermiers. Avec des précautions suffisantes et avec la garantie de certains risques au moment des expériences nouvelles, il peut exercer toute l'action désirable sur la culture de ses propriétés. Nous donnons ci-joint la copie du bail partiaire consenti par le chef de la famille étudiée. On y verra, en même temps que les conditions étroitement fixées auxquelles il s'est soumis, un grand nombre de traits de la vie quotidienne du paysan-métayer. Nous faisons grâce au lecteur de l'éternel préambule, et nous passons au charges et conditions.

5° Les preneurs tiendront les prés et pacages en bon état de fauche, bien clos, rigolés et balayés ; ils entretiendront en bon état les buissons et fossés, y élèv eront les arbres susceptibles de bien venir et n'en couperont aucun par pied ni par téte sous peine d'une amende de dix francs par chaque arbre ainsi coupé : ils auront droit seulcment pour leur chauffage au branchage ou bois de serpe, qui cependant nc pourra être coupe qu'à[062]l'age de trois ou quatre anms suivant l'usage des lieux ; ils soufriront que le propriétaire plante ou arrache tous les arbres qu'il croira utile ou agréable ; à leur sortie ils n'emporteront aucun bois.

6° Ils nourriront, hébergeront et soigneront les bestiaux dans les bâtiments du domaine, ils ne pourront faire de charrois ni labours de terres étrangères apeine de dix francs par chaque contravention, mais ils seront tenus de faire tous les charrois dont le propriétaire aura besoin pour le transport des produits du domaine, ainsi que pour les réparations et reconstructions du domaine du propriétaire et, pour ce, ce dernier leur fera compte d'un franc par homme pour chaque journée employée.

7° Ils ne pourront ensemencer dans les champs du domaine aucune récolte pour qui que ce soit sans la permission du propriétaire.

8° Ils donneront aux vignes les facons d'usage, les fumeront avec les feuilles provenant du balayage des prairies et les provigneront ou besoin sera.

9° Ils changeront leurs semences quand le propriétaire l'exigera.

10° Ils ne pourront faire éprimer ou épointer les prés de fauche, sous peine de payer au propriétaire une amende de trois francs par chaque tête de bétail; ils ne pourront uon plus conduire les cochons et les brebis dans lesdits prés ; ces animaux ne pourront aussi être eonduits dans les clos et pacages qu'à partir du premier novembre iusqu'au premier mars, sous peine de payer, dans ces deux deniers cas, ne anende de deux francs par chaque contravention.

11° Les preneurs sèmeront chaque année cinquante ares de terrain en tréfe sur froment ou guéret avec avoine, avec instruments perfectionnés et à plat ; ils sèmeront aussi septkilogrammes et demi de farouche et un demi-hectolitre de jarosse sur retoubles désignés par le propriétaire, trois hectolitres cinquante litres de topinambours. deux cent cinquante grammes de graines de betteraves ; à leur sortie, ils n'auront pas le droit de revenir chercher les topinambours.

12° Si le propriètaire juge convenable de chauler les terres, les preneurs seront tenus de la conduite de cet amendement et d'en payer le tiers du prix.

13° Toutes les semences, tant en blé d'hiver qu'en blé d'été, seront fournies pa les preneurs, excepté trois heetolitres de seigle qui seront fournis par le propriétaire.

14° La recouverture des bâtiments demeure à la charge du bailleur, qui sera dispensé de fournir ce qui en termes de colonage s'appelle le fer.

15° Pour tenir lieu des impôts, soit ordinaires, soit extraordinaires auxquels le domaine est ou sera tenu, ainsi que de leur part dans l'assurance, les preneurs paieront au bailleur une somme de deux cents francs par an, qui arrivera en ligne de compte tous les premiers novembre ; quant aux impôts mobiliers et personnels, même ceux qui frappent les chiens, ils seront payés par les preneurs, qui devront également la moitié des prestations, lorsque cette charge ne sera pas acquittée en nature.

16° Les preneurs recevront le jour de leur entrée en jouissance le cheptel du domaine au prix qu'il sera estimé. Le croit ou le décroît qui surviendra sera partagé ou supporté par moitié. Le renouvellement et la force de ce cheptel seront en tout temps à l'arbitrage particulier du propriétaire, qui seraaussi iuge souverain de l'opportunité de la vente comme de l'achat des jeunes bestiaux. Il percevra le prix des ventes des bestiaux et fera les avances des achats.

17° Chaque vente et sur le prix, les preneurs auront droit, à titre de pièce, à une somme de trois francs par chaque bœuf. vache, veau ou ǵnisse, à un franc cinquante centimes pour chaque cochon et à dix centimes pour chaque mouton ou brebis, sauf à lui payer les étrennes revenant à l'acheteur.

18° Les preneurs seront tenus d'enlever toutes les terres qui proviendront des fossés de leurs héritages et de les conduire dans la cour du domaine pour être mélangés avec fumier et chaux et du tout faire compote pour étre répandue sur les prés et pacages désignés par le propriétaire.

19° Tous les fruits tant naturels qu'industriels qui naitront ou croitront par branches ou racines sur la propriété seront partagés par moitié, excepté : 1 les marrons qui resteront au bailleur ; 2° et les châtaignes qui resteront aux preneurs en totalité pour en user selon leurs besoins personnels et le reste être livré à la consommation des bestiaux.

20° Les pommes de terre, raves. rutabagas, seront partagés par moitié à la sortic des preneurs. quamt aux topinambours ils proliteront en totalité au preneur.

[063] 21° Les foins et pailles seront pris à la mesure au prix de vingt francs les cinq cents kilogrammes ; à la sortie les preneurs paieront au bailleur ou recevront de lui le prix de la différence. Les charrues et autres instruments aratoires perfectionnés que le bailleur jugera convenable de livrer ou d'acquérir pendant le bail seront estimés et à la sortie des preneurs la plus ou la moins-value sera reçue ou payce par les preneurs qui supporteront la moitié de l'entretien.

22° Les preneurs ne pourront élever ni lapins ni pigcons sous peine d'une amende de dix francs par chaque contravention.

23° Les preneurs seront tenus de faire saillir leurs vaches par de bons taureaux qui seront désignés par le propriétaire, les frais supportés par moitié: dans le cas où celui-ci ne serait pas consulté à cet égard, les preneurs lui paieront une amende de dix francs.

24° Les engrais de commerce, tels que phosphates, noir animal, guano, seront payés par moitié entre les preneurs et le bailleur si celui-ci iuge convenable d'en employer.

25° Le bailleur se réserve la faculté de convertir en prés de fauche les clos ou pacages qu'il lui plaira ou des terres en prairies ou pacages la conversion de ces terres en prairies sera maintenue en cet état au gré dudit bailleur.

26° Indèpendamment de la sonme ci-dessus fixée pour impôts et assurance, les preneurs donneront au bailleur, en temps et lieu et à titre de redevance, huit poulets, six chapons, cent œufs de poule ainsi que la moitié de la grosse volaille, si on en élève dans le domaine.

27° L'indemnité revenant au maréchal sera payée et supportée par moitié.

28° Dans le cas où l'une des parties ne jugerait pas convenable de contnuer ledit bail à l'expiration de l'année, elle devra avertir l'autre six mois d'avance ; à défaut de cet avertissement ledit bail continuera par tacite reconduction aux mêmes charges, clauses et conditions que ci-dessus.

Revenu annuel évalué pour l'enregistrement à 700 franes.

On objecte souvent contre le métayage la difficulté de la surveillance et les fraudes du paysan qui finit toujours par renverser à son profit l'égalité du partage. En ce qui concerne les récoltes, il est bien certain que des fraudes peuvent s'exercer et qu'elles s 'exercent. Lorsque les gerbes de blé sont apportées à la métairie, par exemple, le métayer peut sans aucun doute, s'il n'a pas plus de témoins que d'honnêteté. en faire tomber le grain de qualité supérieure, et le faire enlever la nuit par le meunier voisin. C'est un vol classique, mais un peu moins fréquent qu'on ne le croit. La vente du foin ou de la paille est plus rare encore. Elle entraine des conséquences prejudiciables au métayer lui-même, car son bétail maigrit et lui amène une perte là où il attendait un profit. Les ventes de bétail, au contraire, ne peuvent entraîner d'erreurs. Il est facile de donner au moment du marché le coup d'eil du maître.

Les rapports du propriétaire et du métayer peuvent être plus ou moins étroits. Souvent il existe entre eux un compte qui va de la Toussaint à la oussaint (c'est le point de départ de l'année rurale). Le patron écrit sur son livre de colonage toutes les recettes qu'il encaisse sans exception, toutes les dépenses qu'il solde, et aussi les fournitures, c'est-à-dire les avances faites au métayer. La difference entre les ventes et achats forme le double de la part qui est due à ce der[064]nier. De cette part on déduit le montant des fournitures, et le règlement est terminé. Voici les résultats du compte de colonage du domaine oi habite la famille, depuis 1881, c'est-à-dire depuis le jour de l'entrée en jouissance. Ce compte ne comprend ni la vente du blé ni des autres récoltes.

Résutats des comptes de colonage du domaine [§1]
Résutats des comptes de colonage du domaine [§1].

L'avantage de ce compte est double. Il permet au propriétaire de faire des achats que le métayer écarterait s'il était obligé de tirer l'argent de sa bourse : il est donc favorable aux améliorations agricoles. D'un autre côté, il évite au métayer d'emprunter à intérêt dans certaines circonstances. C'est un véritable service de banque. Néanmoins, un très grand nombre de propriétaires partagent l'argent de chaque vente immédiatement et sans attendre la fin de l'année. Ils y gagnent une plus grande netteté de leur situation financière, et ne Sont pas tentés d'employer pour leurs besoins personnels des sommes parfois assez fortes qu'il faut ensuite payer en une seule échéance.

§ 21. SUR LA COMMUNAUTÉ CONFOLENTAISE.

Un très grand nombre de communautés sont encore répandues dans les domaines de la région, communautés patriarcales, où les ménages s'agglomèrent, par opposition aux communautés-souches (Paysans en communauté du ˉLavedan, Ouvriers europeens, t. IV, ch. I), où l'héritier se marie et reste seul en ménage sous le toit par ternel, au milieu de ceux de ses oncles et tantes, frères et sœurs i ont préféré le célibat.

Ces communautés patriarcales, inférieures aux communautés-su[065]ches pour la transmission intégrale de la propriété ouvrière, leur sont égales, sinon supérieures, sous un régime de propriété patronale bien organisé : elles offrent les mêmes avantages moraux et économiques. Dans un ménage constitué en famille instable, la femme de l'un d'eu meurt toute jeune de maladie ou d'accident. Quelle sera la situation des enfants qu'elle laisse2 Ils seront soumis à une servante ou à une marâtre. Peut-être les abandonnera-t-on à la famille de la mère, et le père se créera-t-il un nouvel intérieur auquel ils resteront étrangers. Avec la communauté leur sort est tout différent. Elevés par la maitresse de maison, qui se trouve la sœur de leur mère par suite des mariages par échange assez fréquents dans le pays, ils ne connaitront ni les rudesses des soins salariés, ni l'abandon souvent haineux de la seconde femme de leur père. Le fait s'est passésur un domaine appartenant à l'auteur de cette étude et il se renouvelle fréquemment. Comme elle abrite l'enfant, la communauté donne asile au vieillard. Il y trouve souvent une condition bien préférable à cet isolement du « vieux mis à la pension », si durement traité dans les campagnes désorganisées. En vérité, s'il est vrai de dire avec Herbert-Spencer (et personne ne le conteste) que la meilleure forme de famille est celle qui développe le plus « l'amour des parents pour les enfants, et celui des enfants pour les parents », est-il possible de mettre au-dessus de ces communautés, ou parents et enfants trouvent la protection d'une association hiérarchisée et forte, ces familles dites s modernes », réunions d'un homme. d'une femme et de rares enfants, exposés à l'isolement quotidien de travaux divers et éparpillés sans merci au premier malheur qui les frappe ?

Les communautés de famille ont cependant des avantages économiques réels, aussi sérieux que leurs avantages moraux. Au moment où 1es associations se multiplient et, en réunissant les forces industrielles isolées, arrivent à une production moins chère par suite de la diminution de frais généraux, comment méconnaîtrait-on les conditions d'économie de cette vie en commun, oi, pour préciser brutalement les faits, il suffit d'un feu et d'une chandelle2 On cherche ce résultat dans l'utopie, par les phalanstères ou autres conceptions aussi étranères que nouvelles. Ne le voit-on pas acquis de toute éternité dans ces ctites sociétés familiales, que l'on qualifie d'obstacles au progrès, j ement bien impertinent, pisque la France d'aujourd'hui en est sortie tout entière2

Nous savons parfaitement que les communauutés sont impossibles à[066]reconstituer, difficiles à maintenir. La cause destructrice est dans une des conséquences de leur efficacité sociale, dans l'augmentation de la richesse. La richesse acquise surexcite et appelle toutes les activités. Comment courir à sa conquête avec ce lien gènant de la communauté, qui sacriie le travailleur au paresseux, l'homme fort au débile2 Donc on le rompra. Chacun marchera seul, libre de ses mouvements, sous sa responsabilité propre. Les forts courront plus vite ; les faibles, n'étant plus soutenus, iront de chulte en chute. Il 'établira entre eux des distances lamentables et de désespérantes inégalités. Mais cette rupture ne se lfait pas en un jour. Elle est l'œuvre des années. Ainsi nous avons autour de nous, dans le voisinage de la famille étudiée, des types de communauté à presque toutes les étapes. Avec peu d'efforts. il est acile de reconstituer en les examinant toutes les phases de l'évoution qui enserre le monde entier : l'évolution de la communauté en famille instable.

Prenier tgpe. — A l'état complètement pur, ce ype est rare. Cependant la famille monographiée s'en rapproche au point de vue de l'organisation du pouvoir. L'indépendance résultant des propriétés personnelles l'en éloigne. Le père est maître incontesté. Il prend tous les bénéfices de l'association, se charge de l'entretien, pas de propriété immobilière ; rien qui vienne faire surgir des personnalités juridiques ayant des droits pécuniaires distincts. Quelques économies individuelles, presque des pécules, au sens romain du mot. La maîtresse de maison a sa bourse à elle. Ce fait que nous observons dans la famill V*** existe chez le métayer de Toscane (ˉOuvriers earopéens, tome IV, ch. III). Cette bourse est alimentée par la pièce touchée 1ors de la vente des porcs, par le produit de la basse-cour (ufs, poulets. etc. . Le fond en est constitué par le treiain du mariage. En revanche, toutes les menues dépenses de fils, d'aiguilles, de vêtements, etc., retombent sur elle. Cet usage, aussi ancien que la communauté, montre que la femme n'est pas dépourvue d'un certain carac. têre d'administrateur et que le mari n'absorbe pas tous les pouvoirs.

Voilà la physionomie de la vie quotidienne et ordinaire de la communauté (dépendance pécuniaire des enfants ; régime matrimonial assez libéral)14. Voyons les différentes phases qu'elle peut traverser.

A. D'abord, l'établissement des enfants au dehors. Ce peut être[067]par suite de mariage, ou simplement de brouille. L'enfant peut désirer se placer comme domestique. Le domestique n'est point regardé comme un inférieur dans les familles demétayer. L'homme peut gae gner 220 francs et au delà; la femme 120 francs et une livre de laine. Quoi qu'il en soit, ce départ entraine une sorte de partage de communauté. Les meubles, instruments aratoires, etc., sont la propriété du père. Ils sont en dehors du partage. Celui-ci ne porte que sur la récolte, ou plutôt sur une partie de la récolte que nous déterminerons. Sur cette partie, l'enfant a droit à sa tétée iritim), c'est-à-dire à une quote-part déterminée par le nombre d'individus mâles et femelles qui se trouvent dans la communauté et qui ont atteint un âgge déterminé par la coutume. Cette majorité paysanne est très variable. Sur le point du canton où le développement physique est le plus tardif, elle est voisine de la majorité légale 22 ans; ailleurs elle est moindre (15 ans). La part de récolte soumise au partage varie suivant les contrées :il peut yavoir partage de la verte tout simplement, ou partage de la verte et de la sèche. La « verte »», c'est la récolte sur pied, c'est-àdire le blé, étant donné l'époque de séparation qui est le plus souven la oussaint; l'enfant viendra moissonner avec la famille l'été suivant. La sèche », c'est toute espèce de récolte : blé, raves, colza, mais. Le partage se fait immédiatement. La tétée ne porte donc pas sur le

B. La seconde phase serait la mort du chef de famille. Si la communauté continue, rien à dire. Si elle se dissout, nous assistons à un partage de récoltes analogue à celui que nous venons de décrire et à une liquidation de succession d'aprés la loi française une coutume et une loi écrites sont superposées. Autrefois tout le patrimoine de la communauté devait être partagé d'après le système pratiqué pour les récoltes. Partage de communauté et succession, c'est même chose au début de l'histoire des communautés.

Deuième tgpe. — Quand l'argent affue dans la caisse de la communauté et dans les pécules des différents ménages, amenant à sa suite l'acquisition de la propriété foncière qui circule elle-même par hérédité, l'indépendance des membres de la communauté augmente. La richesse amène ce que l'on appelle la conscience du droit. Ces parages de produits que les enfants ne réclamaient qu'au moment de la séparation, ils vont les exiger tous les ans. Tous les ans, en effet, actuellement, dans la majeure partie des communautés, il y a une sorte de distribution de dividendes, indépendamment de celles nécessitées[068]par les départs et les mariages en dehors de la famille. On ne va pas plus loin dans les domaines où le propriétaire a maintenu l'antique règlement de comptes de la Toussaint ; mais là oùl'argent est partagé après chaque vente. la division des intérêts s'accentue encore : les répartitions sont de plus en plus fréquentes et l'esprit de communauté de plus en plus ébranlé. Nous touchons à la limite de la famille insable15.

§ 22. SUR UN USAGE PARTICULIER DISPENSANT LES PAYSANS DE RECOURIR A UN SALARIÉS.

Il ne s'agit pas ici des « échanges de travail, qui sont largement praiqués, mais d'une application nouvelle du partage par moitié : idée fondamentale du métayage. Le métayer concède aux journaliers, ouvriers, petits commercants du bourg voisin, une partie variable de la ole consacrée aux plantes sarclées. Cette surface est ensemencée en pommes de terre. L'ouvrier fournit la semence, et, en échange du temps employé par le métayer à certaines opérations de culture, il s'engage à lui fournir un certain nombre de journées de travail pour l'époque des gros ouvrages. La récolte se partage par moitié. Le transport est à la charge du métayer, à condition que l'ouvrier le recoive à sa table. On voit la combinaison : elle consiste à concentrer sur un moment de presse l'équivalent des journées de travail exécu. tées peu à peu et sans hâte, aux moments de loisir. Elle est moins avantageuse pour le maître. n effet, le bétail du domaine devrait consmmer la totalité de cette récolte qu'il ne consomme qu'à moitié. D'autre part, le métayer devrait fournir sans diminuer les récoltes tout le travail nécessaire à la mise en exploitation. Il est vrai que l'inconvénient est moindre qu'il ne le paraît. La surface des soles est fort vaste. Celle qui est cédée aux petits particuliers serait souvent laissée en jachère. Cet usage, à un autre point de vue, celui des concessionnaires, revêt le caractère de subvention et serait signalé comme tel dans la monographie d'un ouvrier.

Notes

1. Voir la carte géologique de la Charente, par H. Coquand, annexée au tome 1 de la Description pgique, etc., de la harente. Besançon, 1858.

2. Coquand. op. citat., t., page 125.

3. Une carrière importante de pavés de granite vient d'être remise en exploitation près de Chabanais (1889). Elle occupe ving t ouvriers, mineurs, ailleurs (étrangers). Mmaneuvres. etc.

4. Rêcits de l'hisloire du Limousin. édités par Marc Barbou. — Ermitages et monasteres, p. 47.

5. Pratiquement, la répartition du sol impose de fréquentes dérogations à cette regle générale.

6. Statistique de M. Memineau, manuscrit déjà cité.

7. Voir. dans les Récits de l'hisloire du Liousin, le chapitre sur la littérature provençale et les troubadours limousins (Antoine Thomas). p. 187.

8. Aujourd'hi (1890). il n'y a plus que 1 médecin pour 13.363 habitants.

9. En 1890, un léger courant d'émigration vers La Plata commence à se manifester chez les ouvriers et chez les bordiers-journaliers.

10. Description physique, etc., de la Charente; ouvrage cité.

11. Voir sur les sints du Limousin les articles de M. l'abbé llerbellot, de M. l'abbé Lecler, et de notre confrère Me Rougerie (ecits de t'Histoire du ˉLimousin, Limoges, éd. 1885).

12. Saint-Pardoux.

13. Imbécile, disait récemment un paysau à un autre, tu crois qu'il y a un Dieu qui fait mûrir les moissons. C'est le soleil qui les fait mûrir. Voilà une idée qui. transformée par l'anthropomorphisme et aidée par la passion des petites dévotions mystérieuses, pourrait nous ramener fort loin en arrière.

14. On voit le rapport du régime matrimonial du pays (communauté réduite aux acquêts) avec le régime familial de ces communautés.

15. Voir, sur les sociétés taisibles, Coutume d'Angoumois. art. XLI et suiv.