No 22
MINEUR DES PLACERS
DU COMTÉ DE MARIPOSA
(CALIFORNIE — ÉTATS-UNIS)
(Ouvrier chef de métier dans le système du travail sans engagements)
D'APRÈS LES
RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX DE JUIN À DÉCEMBRE 1859
PAR
M. L. SIMONIN
INGÉNIEUR CIVIL DES MINES
Sommaire
- Observations préliminaires définissant la condition de l'ouvrier.
- Notes
- (A) Sur l'organisation libérale de la propriété des mines et du travail industriel en Californie.
- (B) Sur l'état actuel des mœurs de la Californie.
- (C) Sur l'oppression exercée en Californie contre les races de couleur.
- (D) Sur les maux résultant en Californie de la rareté des femmes.
- (E) Sur les sociétés françaises de bienfaisance mutuelle et de secours.
- (F) Sur l'exploitation des gisements aurifères de Californie.
- (G) Sur la situation matérielle du mineur des placers, et sur une particularité relative à son salaire.
- (H) Sur les diverses races de mineurs de la Californie.
- (I) Sur l'essor rapide de la civilisation en Californie.
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Observations préliminaires définissant la condition de l'ouvrier.
I. Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de l'ouvrier.
§ 1er. — État du sol, de l'industrie et de la population.
[145] L'ouvrier qui fait l'objet de la présente monographie habite à deux kilomètres environ du village de Coulterville, situé dans le comté de Mariposa, par 37°40' de latitude nord, et à peu près 122° de longitude ouest (méridien de Paris).
Les placers aurifères1 sur lesquels travaille l'ouvrier s'étendent [146] sur le ruisseau de Maxwell (Maxwell's Creek), qui laisse le village de Coulterville sur sa rive droite, et qui vient se réunir, après un parcours total de 10 à 12 kilomètres, à la rivière de la Merced. Celle-ci se jette à son tour dans le San-Joaquin, et ce fleuve porte ses eaux dans la baie de Suisun, qui communique, par la baie de San-Pablo, avec celle de San-Francisco. La distance entre Coulterville et le port de San-Francisco est de 320 kilomètres.
L'aspect extérieur du pays, dans le district de Coulterville, se révèle par de hautes montagnes dont les faîtes principaux, atteignant jusqu'à 16 et 1800 mètres d'élévation, sont alignés dans une direction N.-O.-S.-E. Les chaînons secondaires prennent une direction transversale.
Le terres déposées sur les flancs de ces montagnes ne sont point encore défrichées ; toute culture est à naître dans le pays, et l'on n'y rencontre que quelques jardins potagers et fruitiers, aux abords de Coulterville, et quelques ranchos ou fermes dans les environs, où l'on récole un peu de blé.
Le sol vierge n'est partout couvert que d'épaisses bruyères, de marronniers sauvages et de manzanillos, arbustes ainsi nommés de l'espagnol manzana, pommier. La petite pomme qu'ils produisent sert aux Indiens à fabriquer une espèce de cidre. Cette végétation primitive rappelle à s'y tromper, surtout par l'abondance des bruyères, les macchie de la Corse et de la Toscane. Aux bruyères, aux mazanillos, aux marronniers nains, se mêlent çà et là diverses variétés de pins et de chênes, enfin ce dangereux arbuste qui a nom la yedra2. Sur les plus hautes cimes, à l'horizon, on voit apparaître les mélèzes, les cèdres et les sapins rouge et blanc.
Au-dessous du terreau végétal, la croûte solide du sol est surtout composée de schistes micacés et talqueux, que traversent, en différents endroits, des roches de formation ignée : serpentines, diorites et grünsteins. Ces roches éruptives ont fortement modifié et soulevé le terrain sédimentaire avoisinant, et aligné ses strates dans une direction parallèle aux lignes de faîte de la contrée. C'est encore à l'apparition de ces roches ignées qu'il faut attribuer la formation des fissures par lesquelles se sont fait jour, du dedans au dehors, les filons ou dykes de quartz aurifère de ce district. Ces filons suivent une direction générale N.-O.-S.-E, comme les [147] roches schisteuses dans lesquelles ils se trouvent encaissés. Leur affleurement est élevé de beaucoup au-dessus du niveau des vallées adjacentes, et c'est sans doute en partie à la dénudation du chapeau de fer de ces filons par les eaux torrentielles, qu'est due l'existence du dépôt de l'or dans les placers voisins, notamment celui du Maxwell's Creek.
Le règne animal, en ne considérant que les espèces indigènes, est principalement représenté, dans le district de Coulterville, par des êtres très-inoffensifs. Ils appartiennent, pour la classe des mammifères, surtout à l'ordre des rongeurs, tels que lièvres, écureuils, etc.; et, pour la classe des oiseaux, à l'ordre des passereaux, des grimpeurs, et aussi à celui des gallinacés : faisans dorés, coqs de bruyères, perdrix3, etc. La chasse de tout ce gibier sédentaire offre au mineur californien une de ses plus grandes distractions. Les seuls animaux dangereux du pays sont quelques crotales ou serpents à sonnettes, et aussi, dit-on, quelques tarentules. On se défie soigneusement des uns et des autres, car leur morsure est des plus venimeuses, et va, dans certains cas, jusqu'à occasionner la mort. Les ours, les renards argentés ne hantent plus ces parages ; ils ont du reste presque partout disparu en Californie avec l'approche de l'homme, et se sont dirigés plus à l'est, sur les versants de la Sierra-Nevada.
Le climat du comté de Mariposa est l'un des plus beaux de la Californie. Pendant plus de six ois de l'année, de la fin d'avril à la fin d'octobre, on jouit à Coulterville de la vue d'un ciel toujours pur qu'aucun nuage ne vient obscurcir. La transparence de l'air est des plus limpides, et les nuits sont d'une sérénité remarquable. Seulement, durant trois à quatre mois de l'été, de juin à septembre, la température s'élève très-haut, et il n'est pas rare, dans les jours caniculaires, de voir le thermomètre, à l'ombre et exposé au nord, monter dans la journée, surtout de midi à trois heures, jusqu'à 45° centigrades. Cette atmosphère brûlante est rafraîchie parles brises du matin ou du soir, et la nuit le thermomètre baisse beaucoup. Comme ces variations ne sont pas brusques, le corps ne souffre pas de ces changements de température, qui se font lentement dans la même journée, en quelque sorte comme les variations horaires du baromètre, dans les régions équatoriales. La douceur des nuits n'est troublée, du reste, par aucune formation de vapeurs, aucun dépôt de rosée, et les mineurs, pendant tout l'été, dorment sans danger au grand air.
Au commencement ou vers le milieu de novembre, viennent les pluies périodiques, qui durent à peu près cinq mois, c'est-à-dire jusqu'à [148] la fin d'avril. Ces pluies ne présentent pas la continuité de celles des tropiques, et après une ondée de plusieurs jours, souvent torrentielle, il n'est pas rare de voir une série de beaux temps, avec un ciel aussi pur qu'en été et une température très-douce. Tous les champs, dénudés par les fortes chaleurs, commencent alors à se couvrir de verdure. Dans le cœur de l'hiver, en décembre, janvier et février, il tombe aussi quelquefois de la neige, mais elle ne persiste pas. Enfin, au printemps, c'est-à-dire dans les mois de mars et d'avril, la terre se couvre de fleurs, et ces prairies naturelles, où l'herbe s'élève souvent presque à hauteur d'homme, parfument l'air et réjouissent l'œil. C'est alors la plus belle époque de l'année pour la Californie, car, vers la fin de mai, les tapis de verdure disparaissent tout à coup avec les premières chaleurs.
L'industrie de la localité que l'on vient de décrire a surtout pour objet l'exploitation de l'or, soit dans les mines de quartz, soit sur les placers.
Dans les mines de quartz, qui généralement appartiennent à des sociétés industrielles, le travail comprend deux opérations bien distinctes : 1o l'extraction du minerai ; 2o le broyage et l'amalgamation. La première de ces opérations s'exécute à la mine elle-même ; la seconde dans une usine spéciale, qui porte en Californie le nom de mill ou moulin, soit parce que le quartz y est broyé à un état de ténuité qui s'approche de celui de la farine, soit encore parce qu'une partie des appareils qu'on emploie, pour le broyage et l'amalgamation, rappellent, par leur forme et le mouvement dont ils sont animés, les meules des moulins à farine.
Dans les mines et les moulins à quartz, les ouvriers employés par les compagnies sont payés à la journée ou au mois, et souvent aussi à prix fait. Ils rentrent ainsi dans la classe des ouvriers journaliers ou tâcherons, dans le système du travail sans engagements, ou des engagements momentanés. Sur les placers, les ouvriers sont complètement libres et indépendants, travaillent seuls ou en société, mais toujours, à moins de cas très-rares, pour leur compte propre, et se rattachent ainsi à la classe des ouvriers chefs de métier, dans le système du travail sans engagements. Ils ne s'occupent d'ailleurs que de la fouille et du lavage sur place des terres aurifères. Ces terres, ou sables d'alluvion, sont généralement déposées dans le lit des ruisseaux et des ravins de la contrée, et souvent sur des plateaux ou des talus de peu d'étendue, voisins de ces cours d'eau. Le lit du Maxwell's Creek, sur lequel travaille l'ouvrier qui fait l'objet de cette étude, est à sec pendant la moitié de l'année. Ce sont les terres roulées par ce ruisseau, pendant la saison des pluies, c'est-à-dire de novembre à avril, que les laveurs [149] d'or traitent l'été sur une petite échelle, par un ou deux hommes, rarement plus sur chaque point. L'hiver, avec les pluies, viennent souvent de plus importants travaux, et de véritables sociétés de laveurs s'organisent alors sur un même claim (F). Le mot claim a différentes acceptions en anglais. Ici, il signifie droit de possession, et on l'applique, en Californie, à toute portion d'un gîte aurifère quelconque, dont un mineur a le droit de s'emparer, si elle est libre ou inexploitée (A).
Les mineurs des placers ou des mines de quartz vivent très-rarement dans les villages, à moins d'en être tout à fait à proximité. Les compagnies qui exploitent les mines donnent d'ordinaire gratuitement à leurs ouvriers le logement dans une grande maison de bois. Les lits y sont disposés par cabines latérales superposées, comme dans les chambres des bateaux à vapeur. La salle reste libre dans sa longueur. Elle est chauffée par un poêle en hiver. Une fenêtre et une porte, ménagées chacune à l'une des extrémités, maintiennent dans l'appartement une ventilation suffisante. À côté de ce logement des ouvriers ou dortoir, sleeping room, est le plus souvent la cantine, boarding room, où les ouvriers prennent leur pension. Les mineurs indépendants de placers vivent dans des cabanes isolées, généralement dans le voisinage immédiat de leur claim, et préparent eux-mêmes leurs repas.
La population établie à demeure dans le village de Coulterville se compose essentiellement : 1o de marchands et de boutiquiers, faisant le gros et le détail ; 2o d'hôteliers, aubergistes et logeurs en garni ; 3o de liquoristes, de bouchers et de boulangers ; 4o enfin d'individus exerçant une industrie se rattachant à un travail manuel quelconque, tels que charpentiers, menuisiers, forgerons, cordonniers ou autres. Un médecin et un pharmacien sont établis dans le village.
On peut dire que tous ces résidants, quels qu'ils soient, spéculent sur les besoins des mineurs, et que presque tout l'or recueilli par l'ouvrier des mines ou des placers fait vivre le camp ou village voisin.
Les individus de races et de professions diverses qui composaient, en 1859, la population du village et du district de Coulterville, pouvaient se grouper à peu près comme suit, en nombres ronds :
1o dans le village même : 200 Américains, tenant hôtels, buvettes (bar-rooms), magasins, etc., et exerçant les fonctions administratives communales : celles de juge de paix, de constable, et autres ; 60 Anglais et Irlandais, occupés à divers métiers ; 60 Italiens, dont beaucoup jardiniers ; 30 Français, blanchisseurs, bouchers, forgerons, etc ; 30 Mexicains et Chiliens, généralement très-peu occupés ; 40 juifs Allemands, tenant magasins d'habits confectionnés ou [150] autres ; enfin 30 individus de race de couleur : Nègres, Chinois et Indiens. Les Nègres, cordonniers ou barbiers ; les Chinois faisant du jardinage ou de la menuiserie, et les Indiens rien du tout ;
2o Dans le voisinage immédiat du village, 200 Chinois, jardiniers, laveurs d'or, etc., relégués comme des parias en un lieu spécial, à 500 êtres en amont de Coulterville (C) ; 100 Indiens demi-nomades, campant une partie de l'année à côté du village, y vivant de maraude, et se transportant ensuite ailleurs ;
3o Enfin, dans le district de Coulterville, 400 individus de diverses nations, disséminés le long du Maxwell's Creek, de la Merced, etc. Ces individus sont surtout des Américains, des Anglais ou des Irlandais, des Espagnols des colonies, des Français, des Chinois. Ils exercent principalement la profession de mineurs, et sont attachés aux mines de quartz voisines, ou lavent les terres aurifères des placers. Tous vivent au dehors de Coulterville, dans des cabanes près de leurs claims ou des mines dans lesquelles ils travaillent.
La plupart des centres miniers californiens sont peuplés à peu près de la même manière que celui de Coulterville. C'est toujours sensiblement la même proportion de races diverses et la même variété de professions. Il n'y a que le nombre des habitants qui varie. Dans le même centre d'ailleurs, la population, surtout celle des mineurs, se renouvelle et change à chaque instant, et il est peu d'ouvriers dans le monde auxquels l'habitude de la locomotion soit aussi familière qu'au mineur californien. En certains cas, il devient même un être insaisissable, par exemple pour la perception de l'impôt ; car bien des mineurs savent alors échapper aux actives recherches du collecteur de taxes, fût-il le plus habile. De là vient l'impossibilité d'établir une statistique exacte de la population d'un centre californien, et la nécessité où l'on est le plus souvent réduit de ne présenter, comme on l'a fait plus haut, que des évaluations approximatives.
Considérée à un autre point de vue, la population des mines californiennes présente un cas singulier, qui mérite d'être rapporté : c'est le chiffre relativement très-restreint du nombre des femmes, eu égard à celui des hommes. Si, par exemple, du nombre total de 1,150 habitants, qui forme l'ensemble de la population du centre minier de Coulterville, on défalque 100 Indiens demi-nomades, il reste 1,050 individus résidants. Ils sont tous dans la force de l'âge, c'est-à-dire de 28 à 45 ans, et parmi eux l'on compte au plus une cinquantaine de femmes, soit à peine 5 pour 100 du nombre des hommes ! Et encore les deux tiers de ces femmes ne sont-elles que des Chinoises, et, dans tous les cas, des prostituées de la plus basse classe. Il est facile de s'imaginer les conséquences sociales déplorables dues à ce fâcheux état de choses (D).
§ 2. — État civil de l'ouvrier.
[151] L'ouvrier, comme tous les mineurs californiens des placers, sans aucune exception, est célibataire. Il se nomme : Auguste P***, né à B** près Lons-le-Saulnier (Jura — France), âgé de 38 ans.
Depuis l'âge de 13 ans, P*** a perdu son père et sa mère. Il a émigré en Californie en 1850.
On peut considérer comme faisant partie de la famille un gros chien, Mastoc, que P*** a recueilli. Ce chien reconnaissant est resté fidèle à son nouveau maître, et garde soigneusement la nuit les abords de la cabane. Le jour, aux heures des repas, il va s'installer à la cantine des mineurs de quartz du voisinage, comme s'il avait compris que son maître n'avait pas les moyens de le nourrir suffisamment. Mais si le maître déménage, ce que le chien devine quand, avec les outils, il voit qu'on emporte aussi la marmite, dont il a goûté quelquefois le contenu, l'intelligent animal déménage aussi, s'attachant au pas de son maître, pour le suivre dans sa nouvelle demeure.
§ 3. — Religion et habitudes morales.
Auguste P*** appartient à la religion catholique romaine, mais il n'en observe les pratiques en aucune manière. Nul desservant de son culte n'est du reste établi à demeure à Coulterville ou dans les environs. P*** est de la classe de ces ouvriers indifférents qui n'ont sur Dieu et la religion que des idées fort incomplètes, idées auxquelles une éducation très-limitée n'a pu donner aucun développement. Cette classe d'ouvriers regarde les principes religieux comme nécessaires seulement à l'enfance et aux femmes. Le milieu dans lequel a vécu l'ouvrier n'a pu que le faire tomber sur ce point dans une complète indifférence. Il faut se hâter de reconnaître que P*** est d'un caractère très-doux, d'un naturel tranquille, de mœurs assez réglées, et qu'il évite les excès de boisson. Il ne porte sur lui aucune arme, et l'on ne voit à sa ceinture ni le revolver (pistolet tournant à six coups), ni le bow-knife (couteau-poignard), dont quelques mineurs californiens persistent encore à se parer. Les dehors de l'ouvrier sont favorables, et sa conduite extérieure n'a jamais été marquée par aucune action répréhensible. P*** ne s'occupe point, comme quelques-uns de ses compatriotes, émigrés en Californie, de la politique actuelle de son pays, qu'il a quitté peut-être pour toujours. [152] Il n'est affilié, dans la contrée, à aucune société de républicains ou socialistes français. Il apprécie seulement la grande liberté individuelle dont il jouit dans un État libre, essentiellement démocratique, et il sait se contenter de ces avantages, sans s'en préoccuper autrement. Son éducation s'est arrêtée aux premiers rudiments de l'instruction primaire. Il sait lire, écrire et calculer. En outre, il a appris par pratique un peu d'anglais en Californie. Enfin, son long voyage: par mer, du Havre à San-Francisco, en doublant le cap Horn, et ses nombreux déplacements dans le pays, lui ont donné une certaine maturité de jugement, et ont formé son caractère en développant chez lui l'esprit d'observation.
§ 4. — Hygiène et service de santé.
P*** est de taille au-dessus de la moyenne (1m70 cent. environ), d'un tempérament sec et nerveux. Il est très-fort et bien constitué ; et, depuis sa venue en Californie, il n'a jamais été qu'une seule fois malade, vers les premiers temps de son arrivée. Quelques douleurs rhumatismales, qu'il a contractées dans le lavage de l'or, en restant longtemps les pieds dans l'eau, sans prendre ensuite aucune précaution, n'apparaissent que par moments, et disparaissent d'elles-mêmes, grâce à la température du pays dont l'air en été est très chaud, et naturellement très-sec. On a pu d'ailleurs s'assurer (§ 1) que la beauté du climat, dans le district de Coulterville, est exceptionnelle. Ce district, par sa position en latitude, se rattache à la région sud de la Californie ; mais la plupart des centres miniers californiens, au sud comme au nord, jouissent généralement d'un aussi beau climat, et les maladies endémiques ou épidémiques d'une nature grave y ont été jusqu'à présent ignorées. Ce n'est donc que dans des occasions très-rares, pour des blessures par exemple, que les mineurs du pays se voient dans la nécessité de recourir aux soins d'un médecin. Dans le cas d'indispositions légères, les mineurs français se traitent volontiers par le système Raspail, dont ils disent le plus grand bien. Cette médecine, le plus souvent innocente et dont les applications sont généralement bonnes, il faut le reconnaître, vaut mieux dans tous les cas que le traitement de la plupart de ces empiriques qui, en Californie, ont usurpé le titre de docteur. Il y en a de tous les pays, et, sous ce rapport, l'État laisse une grande liberté d'exercice aux fruits secs de toutes les Facultés, et aux charlatans de la plus dangereuse espèce.
Une institution sérieuse et qui, en cas de maladie, pourrait rendre [153] aux mineurs de très-grands services est celle de la Société française de bienfaisance mutuelle à San-Francisco (E). La cotisation mensuelle est fixée à 5f; mais les mineurs ne souscrivent guère, soit par le fait de l'imprévoyance ou d'une économie mal entendue, soit que, suivant eux, en cas d'accident, on ait le temps de mourir en route, avant d'arriver à la maison de santé que la société possède a San-Francisco. La remarque est assez juste, si l'on considère que Coulterville par exemple, l'un des centres miniers les plus voisins de San-Francisco, en est éloignée de 320 kilomètres ou 80 lieues, dont près de la moitié par des routes fort peu confortables, bien que très-rapidement parcourues. L'ouvrier ne fait point partie, ainsi que la plupart de ses camarades, de la Société de bienfaisance mutuelle. Il compte comme eux, en cas d'accidents imprévus, sur la générosité de ses compatriotes, et même de.ses compagnons des placers, à quelque nationalité qu'ils appartiennent. Il faut le dire ici, à la louange des mineurs californiens en général et des émigrés français en particulier, cette générosité s'exerce toujours largement et spontanément, et n'a jamais fait défaut aux malheureux dans aucune occasion.
§ 5. — Rang de la famille.
L'ouvrier occupe en Californie une position encore très-commune ; il appartient à la classe des mineurs (miners) sans autre distinction, qu'ils travaillent sur les placers ou dans les mines de quartz.
Sous l'influence d'institutions républicaines, et surtout éminemment démocratiques, toutes les professions honnêtes se valent en Californie ; il n'y a pas de différences de rangs, de castes, pas d'esprit de corps enraciné, et, pour me servir d'une expression consacrée, un homme, dans ces pays si libres, en vaut toujours un autre. D'ailleurs le métier de mineur de placers a été quelquefois exercé, surtout dans les premiers temps, par des mains habituées à manier autre chose que le pic ou la pelle, et l'on retrouve encore aujourd'hui quelques- unes de ces existences déclassées, que l'habitude, le charme du métier, peut-être aussi l'espérance de refaire fortune et de sortir enfin vainqueur de la lutte, retiennent attachées à leurs claims. Il résulte de tous ces faits inconnus aux contrées européennes, et particuliers à l'Union américaine, et notamment à la Californie, qu'il est impossible d'assigner aucun rang à l'individu qui fait l'objet de la présente monographie (B). En France où les catégories de rangs sont si nettement marquées, ce serait [154] un ouvrier et rien de plus. En Californie, il en est autrement. Cet individu peut se faire recevoir citoyen de l'Union, car il réside dans la contrée depuis le temps voulu par la loi. Comme citoyen américain, il peut prétendre à toutes les places, dans un pays où l'élection populaire nomme tous les employés de l'État, même les juges. Mais l'ouvrier est sans ambition, et non-seulement il ne prétend pas aux charges publiques, mais il ne pense pas à faire abandon de sa nationalité première, et à sortir de la position qu'il occupe. Il ne lui manquerait qu'un peu d'activité pour s'élever au-dessus de ses camarades, et cette activité, il ne sait pas ou ne veut pas la déployer. Il est au courant du travail des placers sur une grande comme sur une petite échelle, et en raisonne avec beaucoup d'intelligence. Il connaît aussi le travail des mines et des usines à quartz. Il est mineur dans le sens technique du mot, blaster, et, sous ce rapport, ce qu'on pourrait appeler son éducation pratique est au-dessus de la moyenne dans le pays ; mais par cette espèce d'indifférence et de laisser-aller propre aux mineurs californiens, aux Français et aux Espagnols surtout, il ne cherche pas à sortir de son rang : il ne fait même plus aucune espèce d'épargne, et il a d'ailleurs successivement perdu toutes celles qu'il avait amassées (§ 12). Quoi qu'il en soit, l'instruction faible, il est vrai, qu'il a reçue ou qu'il s'est donnée ; sa connaissance particulière de l'industrie du pays, comme aussi la facilité qu'il a de se plier à divers métiers (§ 12), lui assurent ou semblent du moins lui assurer à tout jamais une situation convenable dans la classe des mineurs californiens.
II. Moyens d'existence de l'ouvrier.
§ 6. — Propriétés.
(Mobilier et vêtements on compris.)
Immeubles............ 0f00
L'ouvrier ne possède aucun immeuble.
Argent............ 0f00
Le seul argent que l'ouvrier ait en sa possession est celui qui représente la valeur de l'or qu'il recueille journellement sur les placers, et qui lui sert à subvenir à ses dépenses courantes.
[155] Matériel spécial des travaux et industries............ 226f25
1o Outils et matériel du métier de mineur. — 1 corne ou sébile pour reconnaître la richesse des sables aurifères, 5f00. — 1 pic à deux pointes, pour attaquer les terres et la roche, 10f00; — 1 barrette, ou pince en fer aciéré, servant au même usage, 20f00; — 1 berceau en bois, ou rocker, pour laver les terres aurifères, 25f00; — 1 pelle de terrassier, pour charger les terres sur le rocker ou dans les seaux, 7f50; — 2 seaux en bois ou baquets, pour porter les terres au rocker, 5f00; — 1 petite raclette en fer, pour nettoyer le rocker et rassembler les sables enrichis, 1f25; — 1 petite curette en fer, pour recueillir les sables riches dans les fissures de la roche, 5f00; — 1 vase en fer-blanc, ou dipper, pour verser l'eau sur le rocker, 2f50; — 1 battée4, ou plat en fer, pour laver les terres enrichies, 5f00; — 1 petite boite à mettre l'or recueilli (pour mémoire). — Total, 86f25.
2o Ustensiles pour la fabrication et la cuisson du pain. — 2 battées, 10f00.
3o Ustensiles pour le blanchissage d'une partie du linge. — 1 baquet, 1 planche, 5f00.
4o Matériel de chasse. — 1 fusil, 1 carnassière, poires à poudre et à plomb, 100f00.
5o Outils pour l'entretien de la cabane, la réparation et la confection du mobilier, la coupe du bois, etc. — 1 hache, 10f00; — 1 hachette avec marteau, 5 00; — 1 scie à main, 10f00. — Total, 25f00.
Valeur totale de propriétés....... 226f25
§ 7. — Subventions.
L'ouvrier participe à plusieurs subventions d'un ordre très-important.
En premier lieu, il faut compter le claim, cette propriété, d'une valeur souvent considérable, que tout mineur californien acquiert par droit de premier occupant. Cette subvention est d'un très-grand prix dans une contrée où l'organisation de la propriété des mines est des plus libérales, et ou le régime de liberté industrielle adopté par l'État contraste si singulièrement avec le régime réglementaire français, dans l'application et pour les effets produits (A).
Parmi les subventions dont jouit l'ouvrier, il faut aussi noter la cabane qu'il occupe, et dont un voisin aisé lui abandonne l'usage gratuit. Elle n'a coûté que 45f d'acquisition à son propriétaire actuel, mais elle eût certainement coûté le double au moins à l'ouvrier en journées de travail, s'il eût dû l'édifier lui-même. Il est vrai qu'il eût pu s'installer tout simplement, et à très-peu de frais, dans une cabane abandonnée.
L'ouvrier jouit enfin de trois genres de subventions accordées à tous indistinctement en Californie, et qui sont :
1o Le droit de couper du bois où bon lui semble, en quelque [156] quantité et de quelque qualité que ce soit, pour son chauffage, l'entretien de sa cabane, etc.
2o Un droit qu'on pourrait appeler d'épaves, et qui est celui de prendre, dans les cabanes voisines désertées par les mineurs, tout le matériel abandonné qui peut encore servir à quelque usage : tables de cuisine, bois de lit, ustensiles divers, etc. Le mineur californien s'empare volontiers de ces épaves d'un nouveau genre, et P*** s'est ainsi procuré une assez bonne table de cuisine et quelques bancs (§ 10).
3o Enfin le droit de chasse, dont tout le monde sans distinction peut profiter en Californie, et qui n'est soumis à aucune taxe. Il faut citer aussi le droit de pêche sur les rivières du pays.
Si jamais l'ouvrier tombait dans la misère, il aurait droit à des subventions d'une autre nature, de la part de la Société française de secours dont le siège, comme celui de la Société de bienfaisance mutuelle, est à San-Francisco (E).
§ 8. — Travaux et industries.
Le principal travail de l'ouvrier est celui de l'exploitation des terres aurifères sur le claim qu'il occupe. Les placers sont aujourd'hui très-appauvris en général, et les bénéfices fabuleux qu'on réalisait lors de la découverte de l'or ne se représentent plus, sauf de très-rares exceptions. La production de l'or, en Californie, est cependant restée toujours à peu près la même, par suite de l'attaque des mines de quartz, à mesure de l'appauvrissement des placers.
L'ouvrier exploite son claim à sa guise, libre et indépendant. N'obéissant à d'autre patron que lui-même, il choisit les heures et la place qui lui conviennent, et poursuit la fortune à son gré. Le métier d'ailleurs n'a rien de désagréable, et présente même un certain intérêt (F).
L'ouvrier a travaillé quelque temps en commun avec un de ses camarades, et vécu en très-bon accord avec lui. Ils étaient compatriotes et de la même localité. Tout se partageait également, les fatigues et les bénéfices, suivant la fraternelle coutume des mineurs californiens.
Parmi les travaux secondaires auxquels se livre l'ouvrier, il faut citer principalement la confection du pain, le blanchissage d'une partie du linge, l'abatage et la coupe du bois. La chasse est pour l'ouvrier une distraction plutôt qu'une industrie, car il n'en retire et ne veut d'ailleurs en retirer aucun profit pécuniaire.
III. Mode d'existence de l'ouvrier
§ 9. — Aliments et repas.
[157] Les principaux mets consommés par l'ouvrier sont d'abord le pot-au-feu de bœuf ou de mouton, et les soupes de légumes ou de pâtes; puis les viandes rôties à la poêle ou en ragoût, et la pomme de terre accommodée de diverses façons ; enfin différents plats de haricots, de pois ou d'autres légumes. La pomme sèche, bouillie et sucrée, entre aussi pour une large part dans l'alimentation de tout mineur californien. La pomme se mange aussi en Amérique comme les pruneaux en France.
L'ouvrier fait trois repas par jour, dans l'ordre suivant :
1o Le déjeuner, à 6 heures en hiver et de 4 à 5 heures en été. Ce repas se compose essentiellement de café noir, de beurre et de pain ; souvent aussi d'un peu de viande froide de la veille. Le tout arrosé d'un petit verre d'eau-de-vie.
En été, vers 9 heures, l'ouvrier interrompt parfois son travail pour aller faire dans sa cabane un second déjeuner. Il mange un morceau de pain, souvent avec quelques fruits, boit un second petit verre d'eau-de- vie, et, en même temps, donne un coup d'œil à son pot-au-feu.
2o Le dîner, qui a lieu à midi, en toutes saisons. Il se compose du bœuf et de la soupe, avec force légumes bouillis, surtout des pommes de terre. Le fromage, de la mélasse étendue sur du pain, quelques fruits en été, composent le dessert. L'eau est la seule boisson prise à ce repas. L'hiver on la remplace souvent par un peu de café.
3o Le souper, à 6 heures en hiver, et l'été entre 7 et 8 heures. Ce repas se compose principalement de viandes rôties à la poêle avec ou sans légumes, ou d'un ragoût. La salade y apparaît quelquefois. Le thé est la boisson habituelle. Le beurre, la pomme sèche bouillie et sucrée forment le dessert.
Il n'est pas besoin de faire remarquer combien cette alimentation est supérieure à celle de l'ouvrier des contrées européennes, même dans les pays où il semble le plus fortuné et le mieux nourri. Cet état de choses est dû à un concours particulier de circonstances heureuses, parmi lesquelles on peut ranger d'abord le bas prix relatif [158] et la variété des denrées alimentaires dans le pays, denrées que le plus souvent l'on apporte à l'ouvrier jusque dans sa cabane, sans qu'il ait aucunement besoin d'aller faire lui-même les provisions au village : puis les bénéfices que les mineurs libres des placers font encore en Californie, bien que ces bénéfices soient tombés au-dessous du salaire des ouvriers à gages (G). Enfin l'habitude d'un régime alimentaire essentiellement réparateur, introduite dans la contrée par la race anglo-américaine, et suivie par les mineurs de toute origine, qui n'ont pas tardé à comprendre la nécessité d'une abondante et solide alimentation, pour des travailleurs sans cesse exposés au grand air et au soleil.
§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.
L'ouvrier occupe une petite cabane de 12 mètres carrés de surface, à proximité de son claim. Cette cabane est construite en planches, et reçoit le jour par la porte et par une petite lucarne, percée sur l'un des côtés. Deux lits en bois remplissent l'appartement : c'est le lit du mineur et celui de son camarade de chambrée. ne cheminée latérale, grossièrement construite en pierres, sert à préparer la cuisine et à chauffer la cabane en hiver. Dans l'un des coins de cet étroit réduit sont quelques étagères, pour supporter les ustensiles de cuisine. Dans l'autre coin est la table qui sert aux repas. Elle est formée de quatre ais mal joints, portant deux planches juxtaposées. Çà et là des clous, sur les parois de la cabane, servent à pendre les vêtements. À terre, sur un sol non planchéié, des bottes qui se cherchent, des savates, quelques outils. Malgré ce désordre apparent, une assez grande propreté règne dans l'appartement, et rien ne vient en rendre le séjour malsain ni même désagréable. Sur le devant de la porte et à une faible distance de l'entrée, est la cabane du chien, Mastoc, le fidèle gardien de la maison.
L'inventaire du mobilier et des vêtements de l'ouvrier peut être établi ainsi qu'il suit :
Meubles. : Ce sont ceux de tout mineur californien, le plus souvent façonnés par lui ou provenant d'une cabane abandonnée, réduits, dans tous les cas, au plus strict nécessaire. On comprend que la tendance à un luxe quelconque serait ici hors de tout propos, si elle n'était d'ailleurs impossible............ 65f00
1o Lit. — Un lit en bois avec sangle, 10f00; — 2 couvertures de laine, 40f00; — [159] 1 matelas de paille de foin, 5f00; — 1 traversin de paille, sans nulle valeur ; la paille ayant été ramassée, et la toile provenant de vieux sacs, qui contenaient la farine à faire le pain. — Total, 55f00.
2o Mobilier de la cabane. — 1 escabeau; — 1 petit banc; — 1 table à manger; — quelques étagères et ustensiles, le tout provenant d'une cahute voisine abandonnée, et évalué dans l'ensemble à 10f00.
Ustensiles : Suffisant strictement aux besoins du mineur, tous en métal : fonte, fer-blanc ou fer battu, et présentant ainsi tout le degré de solidité qu'exige la vie changeante et aventureuse du Californien; entretenus d'ailleurs dans un état très-convenable de propreté............ 83f50
1o Préparation et consommation des aliments. — 1 marmite en fonte pour le pot-au-feu, 15f00; — 1 poêle à frire en fer battu, 7f50; — 1 moulin à café en fer, 5f00; — 2 cafetières en fer-blanc (café et thé), 7f50; — 1 soupière en fer-blanc, 2f50; — 1 cuiller à soupe en fer battu, 5f00; — 1 assiette en fer-blanc, 1f25; — 1 cuiller à manger en fer battu, 1f25; — 1 fourchette id., 1f25; — 1 couteau à manche de bois, 2f50; — 1 tasse en fer-blanc, à boire, 1f25; — 1 seau en bois pour la provision d'eau, 2f50; — 1 seau pour les eaux ménagères, 2f50. — Total, 55f00.
2o Éclairage, toilette, service de propreté, etc. — 1 chandelier ou bougeoir, 2f50; — 1 plat en fer-blanc pour la toilette, 2f50; — rasoirs et étui, 15f00; — peignes et glace, 7f50; — 1 balai pour l'appartement, 0f50; — fil et aiguilles, 0f50. — Total, 28f50.
Linge de ménage : Le mineur californien s'en remet sur ce point à ce que le hasard lui fournit, et ses dépenses sur ce chapitre sont nulles............0f00
Draps de lit, point ; — quelques serviettes et torchons faits avec la toile de vieux sacs à farine ou à pommes de terre (pour mémoire).
Vêtements : Ils n'offrent aucun caractère particulier; rappellent les vêtements de l'ouvrier anglais ou français en Europe, et proviennent des magasins d'habits confectionnés du village. On conçoit qu'un pareil genre de vêtements n'offre aucun degré de durée ni de solidité ; tout ouvrier, en Californie, en a du reste le moins possible, à cause de ses voyages et déplacements fréquents, où il cherche toujours à n'emporter avec lui que le plus léger bagage............ 236f25
1o Vêtements du dimanche. — 1 paletot en drap foncé (twine), 40f00; — 1 pantalon en drap noir, 25f00; — 1 pantalon de coutil pour l'été, 10f00; — 1 chemise blanche en toile de coton, 10f00; — 1 cravate de soie noire, 10f00; — 1 foulard, 5f00; — 1 chapeau de feutre gris, 10f00; — 1 paire de bottes fines, 30f00. — Total, 140f00.
2o Vêtements de travail. — 2 tricots en laine, 10f00; — 2 chemises de laine servant de blouse pour l'hiver, 15f00; — 1 blouse en coutil bleu pour l'été, 3f75; — 2 mouchoirs, 2f50; — 1 pantalon, 10f00; — 1 ceinture, 2f50; — 4 paires de bas de laine [160] pour l'hiver, 10f00; — 1 paire de souliers, 10f00; — 1 chapeau de feutre à larges bords, 7f50; — 1 paire de grosses bottes pour l'eau, 25f00. — Total, 96f25.
Valeur totale du mobilier et des vêtements.... 384f75
§ 11. — Récréations.
La récréation favorite de l'ouvrier est la chasse, à laquelle il se livre le dimanche et quelquefois dans la semaine, pendant la saison où abonde le gibier, c'est-à-dire de la fin du mois d'août au mois de mars. L'ouvrier est adroit tireur, mais il ne fait pas un métier de la chasse. Il donne très-souvent une partie de son gibier en cadeau à des voisins, et invite des camarades à venir manger le reste avec lui dans une auberge du village. Dans le cas où le gibier est consommé dans la cabane même, ce surcroît de vivres n'apporte aucune économie dans la nourriture habituelle, et ne dispense pas, suivant l'expression de l'ouvrier, le pot-au-eu ou la poêle à frire de faire leur service accoutumé.
L'ouvrier aime à se rendre à Coulterville, dans l'après-midi du dimanche, après que la cabane a été mise dans un état suffisant de propreté, et-qu'il a fait une toilette convenable. Au village, au camp, comme disent les Français en Californie, on trouve les amis, les camarades, les compatriotes surtout. On boit au cabaret, et les cabarets ne manquent pas, principalement ceux où l'on consomme debout, au comptoir, suivant l'usage américain. Ce mode particulier d'opérer permet de répéter tour à tour les libations, et de renouveler les visites d'un établissement à un autre. Le soir, on dîne dans une auberge tenue à la française, et bien souvent on va terminer la partie dans de mauvais lieux. Les établissements de cette espèce suivent malheureusement le mineur dans tous les camps californiens. Sans être le moins du monde porté à la débauche ou à l'ivrognerie, P*** se laisse assez aisément entraîner à ces faciles plaisirs, et il y consacre une notable partie de son argent.
L'ouvrier trouve chaque jour dans sa cabane, à la fin de son travail, un genre de distraction d'un ordre différent, plus tranquille, mais aussi plus sérieux. Ce sont d'abord de longues conversations avec son camarade de chambre, surtout quand le camarade est un Français. On cause alors du pays de France, des aventures californiennes, si émouvantes aux beaux jours de la découverte de l'or. On cite les fortunes faites aux premiers temps de l'immigration, et dévorées en dissipations ou en affaires malheureuses. C'est l'espoir toujours [161] nourri et toujours trompé de faire encore une fois fortune, et de rentrer pour jamais au pays ; c'est l'envie que l'on a sans cesse de changer la position actuelle pour une autre peut-être meilleure. Quand c'est un Anglais qui occupe la cabane en compagnie avec l'ouvrier, on s'apprend mutuellement les mots usuels et familiers de l'une et l'autre langue ; on s'interroge réciproquement sur les paroles apprises et bientôt oubliées ; on fume en silence quelques pipes.
En dehors de ces conversations et de ces passe-temps qui ont bien leur charme pour lui, l'ouvrier rencontre dans la lecture des journaux français une distraction agréable et une étude sérieuse à la fois. Ces journaux sont surtout l'Écho du Pacifique et le Phare qui s'impriment quotidiennement à San-Francisco, et que la poste apporte à Coulterville, sous forme d'éditions journalières ou hebdomadaires ; ces dernières spécialement tirées pour les mineurs. C'est encore le Courrier des États-Unis, journal d'un grand renom, même en Europe. Il s'imprime trois fois par semaine à New-York, et l'édition bimensuelle préparée surtout pour les pays du Pacifique, est apportée en Californie par les steamers qui font le service entre New-York et San-Francisco par l'isthme de Panama. On s'abonne à tous ces journaux plusieurs à la fois, ou de seconde main. On conçoit de quel intérêt ont été, pour les émigrés français de Californie, ces échos lointains de la patrie, a l'époque de la guerre d'Orient ou de la dernière guerre d'Italie. Le mineur français en Californie se livre aussi très-volontiers à la lecture des romans, qu'il fait venir des cabinets littéraires de San-Francisco. Mais P***, d'un caractère assez peu enthousiaste, ne paraît pas priser beaucoup ce genre d'amusement, et les aventures de héros imaginaires n'occupent guère ses loisirs.
Aux distractions déjà citées, il faut ajouter l'habitude du tabac que l'ouvrier fume, soit durant son travail, soit après ses repas, ou, comme on l'a vu, au milieu des causeries de la soirée. L'ouvrier n'a pas, comme tous les Américains, contracté la coutume de chiquer.
IV. Histoire de l'ouvrier.
§ 12. — Phases principales de l'existence.
[162] Le choix d'un Français, parmi les types divers que pouvait offrir l'étude du mineur californien, s'explique de lui-même, bien que les autres races eussent pu offrir aussi des types fort curieux et intéressants (H).
L'ouvrier est né en 1822, dans un village voisin de Lons-le-Saulnier (Jura — France). Élevé au milieu de ses parents, agriculteurs aisés, il est resté à l'école de son village jusque vers l'âge de 13 ans, et c'est là qu'il a puisé la plupart des éléments de l'instruction incomplète qu'il possède. À l'âge de 13 ans, ayant perdu son père et sa mère, il rejoignit à Lyon un de ses cousins, propriétaire d'un café, et servit quatre ans comme garçon dans cet établissement et divers autres. Retourné à 18 ans dans sa ville natale, et de là à Lyon, ou il demeura encore un an, il ne tarda pas à se rendre à Paris, sur le conseil de l'un de ses oncles. C'était en 1842, et P*** avait alors 21 ans. À Paris, il se mit d'abord, comme à Lyon, au service de différents cafetiers, en qualité de garçon de salle. Il quitta ce métier pour entrer successivement dans deux grands magasins de quincaillerie. Dans cette nouvelle position, il fut d'abord commis de vente, puis chargé de faire la place. Il était arrivé à gagner de la sorte, en appointements fixes et casuel, jusqu'à près de 2,000f par an, lorsque, en 1850, un de ses camarades, du même pays que lui, l'engagea à l'accompagner en Californie, à la recherche de l'or. Il partit, laissant le certain pour l'incertain, et sans trop se rendre compte de la nouvelle position après laquelle il courait. Une compagnie d'émigration, comme il y en avait alors pour la Californie, l'expédia vers le lointain Eldorado. Grande était alors l'illusion, et nul mineur, sur le navire qui le portait vers les rives heureuses du Pacifique, n'eût à cette époque cédé sa place pour rien au monde. Tous devaient revenir millionnaires, tous devaient rentrer chargés d'or, avant deux ans au plus. Combien, hélas sont ainsi partis pleins d'espérances, qui ne sont pas même revenus pauvres!
Arrivé à San-Francisco, notre mineur s'empressa de se rendre sur les placers, et choisit le comté de Tuolumne pour le théâtre de ses [163] recherches. Chaque mineur, à cette époque, récoltait en moyenne, en travaillant seulement quelques heures par jour, de 60 à 80f d'or, et souvent bien au delà, dans sa journée ; mais si l'or venait aisément, on le dépensait plus facilement encore, et les maisons de jeu, les plaisirs faciles, les tentations de toutes sortes accompagnaient partout le mineur, comme autant de pièges habilement tendus sous ses pas.
Comme tous ses confrères, P*** eut part à la curée, et, comme presque tous ses confrères, il ne fit d'abord aucune épargne. Il entreprit du reste quelques travaux, où il ne fut pas heureux. Plus tard, quelques circonstances favorables lui permirent de réaliser un petit capital, d'environ 4,000f. En 1854, après trois ans de cette vie aventureuse sur les placers, voyant diminuer son pécule, et fatigué du métier de mineur, il s'engagea pour quelques mois au service d'un ranchero ou fermier californien, à San-José, dans le comté de Santa-Clara. Son occupation consistait à fabriquer des selles. Il perdit bientôt presque toutes ses épargnes, en voulant entreprendre cette fabrication à prix fait. Il retourne alors aux lieu qu'il a d'abord habités, et installe dans la jolie ville de Colombia, née avec l'or, un hôtel avec buvette et billard. En quelques mois, il y réalise un bénéfice net de plus de 6,000f. Un incendie le ruine entièrement. Le feu dévorait alors à mesure qu'elles naissaient les villes californiennes ; mais, sur les cendres encore chaudes, on se hâtait de rebâtir, et dès le lendemain, comme par enchantement, une nouvelle cité s'élevait sur les ruines fumantes de la première. Aussi, sans perdre courage, P*** remonte son établissement et le revend, six mois après, avec un bénéfice d'environ 2,000f. C'était vers la fin de 1855. Il entreprend alors, avec plusieurs camarades, des travaux importants sur des rivières, pour le lavage des sables en grand. Après deux années passées en recherches malheureuses, sur le Stanislaus et le Tuolumne, lui et ses coassociés perdirent jusqu'à leur mise de fonds, ayant à peine gagné de quoi subvenir à leurs besoins journaliers. Redevenu simple laveur d'or, P*** se remet bravement à l'œuvre. Une série de circonstances diverses, offrant comme tous les travaux des placers en Californie des alternatives de fortunes subites et de pertes aussi promptes, conduit l'ouvrier tant bien que mal à l'année 1858. Il entre à cette époque à Coulterville dans un grand magasin, comme garçon de boutique chargé de la vente au loin (packter). Il fait ce métier quelque temps, et il y gagne sa nourriture et 10f par jour. Il prend alors, comme mineur à pic et à la poudre, l'entreprise du fonçage d'un puits, et il y perd ses économies. Mais la grande nouvelle, le grand excitement de Fraser River arrive jusqu'à Coulterville. L'or vient d'être découvert [164] en grande abondance dans la Colombie britannique. L'ouvrier se dirige alors, comme tant d'autres, vers ces mines lointaines. On disait merveille de ces nouveaux gisements, l'exaltation des mineurs californiens était à son comble. Chacun croyait voir renaître sur d'autres plages les jours heureux de la primitive Californie ; tout le monde se promettait d'en profiter, mettant en œuvre l'expérience des mauvais jours. Tout le monde partait ; à San-Francisco même, les commis désertaient les bureaux, les négociants fermaient leurs boutiques. Peu s'en fallut que la Californie ne fût entièrement dépeuplée5. La réaction ne tarda pas à se produire. Le climat de Fraser était mauvais, les mines pauvres et peu nombreuses, le pays impraticable en hiver. Les vivres étaient rares et à des prix excessifs. Ces mauvaises nouvelles arrêtèrent P*** à temps. Il ne dépassa pas la frontière de l'Orégon, et revint à pied du nord de la Californie, visitant avec attention les mines, les moulins à quartz et les placers sur son passage.
De retour à Coulterville, il a travaillé comme ouvrier à gages dans une usine à quartz ; et enfin revenant, comme ouvrier libre, à l'industrie de la recherche de l'or sur les placers, il s'est en dernier lieu établi sur le Maxwell's Creek, pour le lavage des sables aurifères de ce ruisseau. C'est dans cette situation que le dépeint la présente monographie. Moins avancé que lorsqu'il abandonnait la France, il retire au plus 2,000f par an de cette industrie devenue aujourd'hui peu productive. Presque tous les mineurs Français californiens en sont là. Tous regrettent d'être venus, aucun n'a fait d'épargne. Mais P*** ne parait aucunement découragé. S'il ne compte plus revoir la France, son pays, il ne songe pas non plus à s'établir pour jamais en Californie. Il aime à penser qu'un jour ou l'autre les Républiques espagnoles du Pacifique, ne fût-ce que le Mexique, voisin de la Californie, lui offriront un emploi avantageux, dans quelque ferme, par exemple. L'amour des champs le possède, et sa dernière ambition parait être de se mettre au service de quelque riche ranchero ou fermier espagnol, s'il ne peut arriver lui-même à être fermier sur ses terres.
§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de l'ouvrier.
[165] L'avenir de l'ouvrier parait garanti d'abord par un certain amour du travail, une certaine tempérance, surtout si on le compare à la plupart de ses confrères californiens. En cas de maladies inattendues, la Société de bienfaisance mutuelle de San-Francisco, à laquelle il est toujours à temps de s'abonner, peut venir largement à son aide. En cas de misère, misère impossible par le temps présent, et que les infirmités de la vieillesse pourraient seules apporter, il peut compter aussi sur la Société de secours (E). Mais ce qui le protège plus que tout, c'est la facilité d'un travail rémunérateur en Californie, c'est l'assurance qu'a tout mineur, avec un peu d'eau à sa disposition, de rencontrer de l'or dans presque toutes les terres ou les dépôts d'alluvion; c'est la certitude, en travaillant peu, quelques heures seulement par jour, de trouver assez d'or pour vivre, et même pour vivre bien. On en a la preuve par la présente monographie. Enfin les mœurs et institutions elles-mêmes du pays, marquées à un coin éminemment libéral, concourent largement à assurer le bien-être physique et moral de l'ouvrier (A et B). Sous ce rapport, comme sous tous les précédents, il serait difficile de trouver dans le monde une contrée aussi propice à la classe ouvrière que peut l'être la Californie (I).
§ 14. — Budget des recettes de l'année.
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§ 15. — Budget des dépenses de l'année.
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Comptes annexés aux budgets.
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Notes
Faits importants d'organisation sociale; particularités remarquables; appréciations générales; conclusions.
(A) Sur l'organisation libérale de la propriété des mines et du travail industriel en Californie.
[175] On a dit que le claim est la portion d'un gîte métallifère dont tout mineur a le droit de s'emparer en Californie, si elle est libre ou inexploitée. C'est la concession que l'État accorde au mineur, et le claim devient, par le simple fait de la prise de possession, une véritable propriété. Cette propriété est transmissible par location ou vente, comme tous les biens, et n'est sujette à aucune demande ni à aucune formalité administrative. Le premier individu venu, pourvu qu'il ne soit pas de race de couleur, c'est-à-dire qu'aucune goutte de sang indien, nègre ou chinois ne coule dans ses veines, a le droit de s'emparer d'une portion de placer, qui n'a pas encore été travaillée, ou qui ne l'est point depuis un délai voulu. On ne peut occuper cependant qu'une certaine étendue, qui varie suivant les comtés, car, dans chaque comté, la corporation des mineurs a le droit de faire des règlements, qui ont force de loi. Ce droit des corporations est d'ailleurs reconnu par la Constitution de l'État de Californie. Dans le comté de Mariposa, un mineur peut occuper sur un dépôt d'alluvion 150 pieds, soit 45 mètres (le pied américain est égal à 0m30); c'est par conséquent, 300 pieds ou 90 mètres pour deux mineurs travaillant ensemble. Comme aucun agent du comté n'est là pour vérifier les mesures, il va sans dire que, dans la plupart des cas, les mineurs, pour fixer les limites de leurs claims, se servent de pieds dont eux seuls possèdent l'étalon. Ce que l'on vient de dire pour les placers s'applique aussi aux mines proprement dites. Leur propriété s'obtient de la même façon, sans plus de formalités. Seulement, pour une veine aurifère, la longueur concédée est deux fois plus grande que sur les placers. Ainsi on accorde, dans le comté de Mariposa, sur un filon à exploiter, une longueur de 300 pieds par mineur, et cette longueur est mesurée sur la direction [176] du filon. Le double, ou 600 pieds, est accordé à celui qui le premier a découvert la mine.
La manière d'entrer en possession d'un gîte aurifère quelconque est des plus simples. On fixe sur un arbre ou sur un piquet en terre une notice écrite en anglais, où l'on annonce au public qu'à partir de ce point jusqu'à un point correspondant, à 150 ou 300 pieds, suivant qu'il s'agit d'un placer ou d'une veine, et à autant de fois 150 ou 300 pieds qu'il y a d'intéressés, tels et tels se proposent de commencer une exploitation. On attend deux à trois jours, et, si aucune réclamation ne se produit, le travail commence immédiatement. Cette exploitation doit marcher sans interruption, sous peine de déchéance. Le seul délai de chômage accordé par la loi est, dans le comté de Mariposa, d'un mois pour les mines de quartz, et de cinq jours pour les placers.
En France et dans presque tous les pays européens qui ont adopté notre code des mines, il n'est pas rare de voir une demande en concession durer plusieurs années, et quelquefois jusqu'à huit ou dix ans. Dans l'intervalle, le demandeur dépense souvent beaucoup d'argent, et perd un temps considérable en démarches sans nombre. De là naissent le dégoût et l'inaction de beaucoup de nos industriels, le juste effroi qui s'empare d'eux à l'idée d'une demande en concession de mines, et le peu d'empressement que l'on témoigne en France pur développer sérieusement cette importante industrie. Aussi, sur beaucoup de points, suivant l'aveu même des hommes les plus expérimentés, nos richesses minérales sont-elles à peine connues ; et des mines qui ont été, il y a des siècles, attaquées avec beaucoup d'ardeur, restent complètement abandonnées. Par un autre abus tout aussi grave, l'on voit des concessionnaires ne point exploiter leurs mines pour une raison ou pour une autre, et priver ainsi le public d'une richesse qui appartient au pays. De pareils faits forment un contraste fâcheux avec les principes d'équité naturelle qui distinguent la loi des mines en Californie.
Si l'on veut continuer le parallèle sur cet important sujet, entre le régime industriel libre des États américains et le régime industriel français, voyons ce qui se passe en Californie : là, le premier mineur venu a le droit d'établir une machine à vapeur, une roue hydraulique. Aucune demande, aucune autorisation préalables ne sont nécessaires. Cependant il y a en Californie beaucoup plus de roues hydrauliques qu'en aucun de nos départements de France, beaucoup plus de machines à vapeur dans les moulins à quartz, moulins à blé, scieries, etc., qu'il n'y en a dans plusieurs de nos départements réunis, si l'on en excepte deux ou trois tout à fait privilégiés, comme le Nord et la Seine. En Californie, les machines [177] ne sont pas visitées pai le corps des ingénieurs du gouvernement, et elles sont cependant tout aussi bien installées, tout aussi bien tenues qu'en aucun pays du monde. Les cas d'explosion, nous osons le dire, sont même plus rares qu'ailleurs.
Les roues hydrauliques, sur des rivières d'un débit souvent limité, sont installées dans toutes les règles de l'art. L'eau est prise et rendue de la façon la plus convenable ; et le mineur d'aval comme celui d'amont ainsi que le minotier riverain, qui lui aussi fait usage de l'eau pour la mouture de son blé, vivent en parfaite harmonie, sans qu'aucun corps des ponts et chaussées interpose ses règlements.
Il y a plus : la Californie est sillonnée de canaux (elle en a plus de 12,000 kilomètres) qui partout amènent l'eau nécessaire aux mines et aux placers secs. Ces canaux, d'une longueur qui atteint en moyenne jusqu'à 40 et 50kilomètres, et dont plusieurs dépassent 100, et atteignent 160 kilomètres, ont leur prise sur des rivières de la contrée. Souvent deux lignes rivales suivent une même direction, sans autres différences que la différence de niveau, qui est tout il est vrai. Les travaux les plus gigantesques : des ponts suspendus surprenants de hardiesse, des siphons en métal d'une grande portée, des aqueducs soutenus en l'air à des hauteurs de plus de 60 mètres, tout cela s'est fait en peu d'années, sans le concours de l'Administration, comme on dit en France, car le mot n'existe pas aux États-Unis. Les particuliers ont seuls tout entrepris. Le travail libre et indépendant des citoyens a seul tout créé. L'affranchissement entier de l'industrie vaut donc mieux que les demi-mesures, et la Californie, avec un gouvernement centralisateur, n'aurait certes pas atteint le degré de prospérité ou elle est arrivée aujourd'hui.
Les bois, dans toute la Californie, appartiennent encore à l'État, et les particuliers ont tous le droit de les exploiter librement. De là une activité surprenante, un mouvement inusité. Sur les plateaux boisés, même les plus élevés, au milieu des cèdres, des mélèzes et des sapins, on trouve des scieries en marche. Sur les points les plus éloignés, le mineur californien est sûr de rencontrer des bois tout débités d'avance, soit pour l'érection de sa cabane, soit pour la canalisation de ses eau, soit enfin, s'il y a lieu, pour l'installation des diverses constructions, appareils ou mécanismes nécessaires au travail du quartz : usines d'amalgamation, batteries de pilons, tables dormantes ou à secousses, etc.
Répétons-le : c'est la grande liberté laissée à l'industrie privée qui donne à la Californie son activité dévorante. Cette contrée ne compte encore que 600,000 habitants, et cependant elle est dotée de routes nombreuses où les transports journaliers, sur un point quelconque du pays, s'exécutent avec la plus grande facilité. Les [178] bateaux à vapeur remontent ses voies navigables jusqu'aux plus extrêmes limites, et la navigation fluviale y est d'une hardiesse qui dépasse toute conception. Des chemins de fer existent déjà, d'autres sont en voie d'achèvement. San-Francisco, outre son mouvement commercial, possède aussi des usines, des ateliers, des manufactures de toutes sortes. Son port, peut-être le plus beau du monde, reçoit à quai des clippers de 3,000 tonneaux. Ils arrivent souvent en moins de 100 jours de New-York par le cap Horn. Des bateaux à vapeur, partant plusieurs fois par mois, et pouvant porter jusqu'à 2,000 passagers et 2 à 3,000 tonnes, font en moins de 22 jours la traversée régulière entre Francisco et New-York, par l'isthme de Panama que l'on traverse en chemin de fer. Deux routes de terre, à travers la Sierra-Nevada et les montagnes Rocheuses, réunissent San-Francisco à Saint-Louis et à Memphis sur le Mississippi, et de là, par un immense réseau de chemins de fer, à toutes les villes de l'Union et à tous ses ports de l'Atlantique. Deux fois par semaine, des diligences régulières partent de San-Francisco pour Saint -Louis et Memphis. Elles ne mettent moyennement que 22 jours (terme légal 25 jours) pour accomplir ce long voyage de près de 900 lieues! C'est la plus longue distance peut- être qu'une voiture ait jamais parcourue. Dans tous les cas c'était, dans le principe, la plus difficile et la plus périlleuse, puisque la route venait d'être simplement explorée. Le premier de ces voyages, regardé en Californie et dans toute l'Union comme un événement, fut officiellement accueilli à San-Francisco par un salut de 101 coups de canon, et la joie populaire, ne connaissant plus de limites, acclama comme un véritable triomphateur l'heureux postillon qui le premier avait franchi ce trajet. Six chevaux frais et d'élite furent attelés à la diligence, et elle dut parcourir, tantôt au pas, tantôt au trot ou au galop, les diverses rues de la ville. Le service dont on vient de parler est celui de la « great overland mail » ou grande malle de terre. Mais ce n'est pas le seul de ce genre, car il y a aussi la « central overland mail », malle qui chaque semaine part de Placerville, dans le comté d'Eldorado. Elle se dirige d'abord vers le Lac Salé, où les Mormons polygames ont établi leur campement, et de là sur Saint-Joseph, au bord du Missouri. Le temps employé dans le voyage doit être de 3s jours, dont 16 de Placerville au Lac Salé, et 22 du Lac Salé à Saint-Joseph. Enfin, la « San-Antonio et San-Diego mail » part tous les quinze jours du sud de la Californie pour la Nouvelle-Orléans. Cette dernière route est très dangereuse, et les attaques des Indiens Apaches ont souvent mis les voyageurs en péril. Un quatrième service, qui doit être aujourd'hui organisé, est celui d'Independence (État de Missouri) à Santa-Fé, par [179] l'Arkansas et le Nouveau-Mexique, et de Santa-Fé par Albuquerque à Stockton (comté de San-Joaquin) en Californie. Il n'y a sans doute aucun pays au monde, pas même la Russie, qui puisse présenter un état aussi imposant et aussi régulier de messageries de terre.
Mais l'industrie et le commerce n'ont pas été les seuls en Californie à profiter de l'immense liberté d'entreprise laissée à l'initiative individuelle. Tout citoyen américain ou tout étranger nationalisé a droit à l'occupation d'un certain nombre d'acres de terres fixé par la loi. Aussi le défrichement du sol a-t-il pris, presque partout, un degré d'activité surprenant. Des comtés entiers ne vivent que de l'agriculture, et leurs produits, grâce au climat californien, sont des plus remarquables. Les fruits les plus beaux et les plus savoureux abondent, et le pays fournit déjà plus de blé et plus de vin qu'il ne saurait en consommer. Les vins français sont encore préférés à tous autres ; quant aux blés, ceux de Californie sont plus beaux, et produisent une farine plus blanche que ceux des autres contrées du Pacifique. Aussi l'excédant de la récolte est-il maintenant exporté au Pérou et au Chili, naguère les greniers de la Californie. Cette exportation s'étend même quelquefois jusqu'à New-York et en Europe.
Tant de progrès réalisés en si peu de temps ont été achetés sans doute au prix de quelques graves inconvénients. Sur les mines, par exemple, il y a eu, dans les premiers jours, des luttes sanglantes. Des partis ennemis se sont tour à tour disputé, les armes à la main, la possession de certains placers. La propriété des terrains et des champs a dû être aussi défendue, par les possesseurs légitimes, contre les attaques des squatters (envahisseurs). C'est là le mauvais côté de la liberté individuelle poussée à ses dernières limites ; mais les avantages ont été plus grands que le mal. Si l'on jette aujourd'hui les yeux sur la Californie, dont les enfantements ont été à la fois si tourmentés et si féconds, dont l'incendie a plusieurs fois dévoré entièrement les villes à mesure qu'elles se formaient, on n'y trouve plus qu'une contrée semée de routes, de canaux, de chemins de fer, de voies navigables, habitée jusque dans ses dernières limites, et d'où l'Indien sauvage a presque partout disparu. Tandis que les mines, par leur bonne exploitation, peuvent y servir d'exemple aux pays les plus classiques de l'Europe, les campagnes y présentent une culture avancée, due aux méthodes les plus récentes, aux procédés les plus perfectionnés. La Californie avec ses émigrés de toute origine, de races les plus disparates, animés de la fièvre de l'or et séparés par une distance incommensurable de tout pays civilisé, est devenue en peu d'années, et malgré tant [180] de conditions défavorables, une contrée très- tranquille, à l'abri désormais de commotions sérieuses, où la liberté individuelle jouit du plus grand respect, où la sécurité personnelle est assurée plus peut-être qu'en aucune autre partie du monde.
Nous avons à nos portes une colonie que nous essayons de faire naître depuis trente ans, qui a aussi des mines importantes, des champs immenses pour la culture, un climat exceptionnel, une position commerciale très-heureuse, et nous n'y avons encore presque rien fait. C'est que notre régime administratif, disons mieux, le régime militaire que nous prétendons importer dans nos colonies, n'est nullement propice au développement industriel. Les Américains ont au contraire le bon esprit de subordonner toujours le pouvoir militaire au pouvoir civil. L'activité humaine a besoin en effet d'avoir ses coudées franches pour marcher au progrès ; et les entraves, les demi-mesures, les moyens coercitifs ne profitent à personne, pas même à ceux qui les imposent.
(B) Sur l'état actuel des mœurs de la Californie.
En Californie, comme dans tous les États de l'Union américaine, tous les citoyens sont égaux en droits, ce qui forme l'égalité civile ; mais tous aussi sont égaux dans les relations ordinaires de la vie, ce qui constitue l'égalité sociale. En Californie, plus peut-être qu'en aucun autre État de l'Union, toutes les classes sont nivelées, et tous les immigrants, dès le principe, ont dû se plier à ces exigences. Des ils de famille, qui avaient brillé au milieu de la jeunesse dorée parisienne, ont travaillé sur les placers côte à côte avec des compatriotes de la plus humble origine ; tous les mineurs d'un même claim vivent à la même table, et tous, le plus souvent, couchent dans la même cabane.
Il n'y a dans les hôtels, les diligences, les chemins de fer, les bateaux à vapeur de la Californie, qu'une seule espèce de place pour tous les voyageurs de race blanche indistinctement, et tous payent le même prix.
La supériorité des institutions américaines se révèle dans cette égalité. La plupart des citoyens reçoivent en outre à peu près le même degré d'instruction : ils savent lire, écrire et calculer, et ce léger bagage intellectuel suffit, avec le suffrage populaire, pour aborder les emplois les plus élevés. L'on cite avec orgueil le gouverneur [181] de Californie Weller, qui a commencé, dit-on, par être charretier, et feu le sénateur Broderik, un ex-ouvrier maçon, envoyé au congrès de Washington par l'État de Californie.
L'égalité civile et l'égalité sociale ne sont pas les seuls droits qui soient garantis à tous en Californie; la liberté religieuse et la liberté de la presse y sont aussi pleinement exercées. Il s'en est suivi l'érection d'une foule d'églises de toutes les sectes possibles, de la secte même de Confucius, et la fondation d'une infinité de journaux politiques, scientifiques ou littéraires, dont le nombre, le format, les langues diverses dans lesquelles ils sont rédigés, le soin qu'on prend de n'y écrire que des articles sérieux, étonneraient vivement la presse parisienne, si elle pouvait porter ses regards jusque-là.
La Californie, comme tous les États de l'Union, n'a aucune armée permanente en temps de paix. Bien qu'éloignée de plus de 1,200 lieues par terre de la capitale des États-Unis, elle ne songe nullement à se séparer de la métropole, en vertu de cette heureuse combinaison politique, qui fait de chaque lat de l'Union un gouvernement particulier, absolument maître chez lui. Aucun d'eux en sent l'influence du gouvernement fédéral, que dans des cas d'intérêts généraux ou de défense nationale, c'est-à-dire lorsque, livré à lui seul, un État serait trop faible pour réussir ou pour résister. Cette situation nous paraît résumer tous les avantages des républiques confédérées, et permet d'apprécier l'avenir qui les attend.
Le peuple américain, par suite des institutions libérales qui le régissent, a acquis cette patience, ce sang-froid qui conviennent à un peuple libre. Le type de l'Anglo-saxon n'a pas non plus disparu chez lui, et la ténacité, la persistance dans les vues, la hardiesse dans les entreprises, l'esprit de religion et de famille, l'amour instinctif du foyer domestique ou du home, sont autant de traits distinctifs qui, parmi tant d'autres, font aisément reconnaître l'origine la plus commune du citoyen de l'Union. Il s'y mêle peut-être un grand fonds d'égoïsme et un orgueil exagéré, qui, pour être moins bruyant que l'orgueil traditionnel des fils de la Castille, n'en est que plus enraciné. Quoi qu'il en soit, on ne peut se dispenser d'accorder à l'Américain une très-grande supériorité de caractère. L'Européen, arrivant pour la première fois aux États-Unis, est étonné de n'y trouver, parmi les citoyens, aucun domestique sans exception, puisque tous ceux qui exercent cette profession sont étrangers ou pris parmi les nègres. L'ouvrier, en outre, se regarde comme l'égal de son patron, qu'il sert comme un client et jamais comme Un maître. Enfin l'Américain, dans un cas donné, en voyage par exemple, sait tout supporter sans se plaindre, et fait preuve d'une [182] patience et d'une résignation à toute épreuve6. Sans doute tout n'est point à louer chez les Yankees, et les peuples élégants et polis se plaignent des façons un peu rudes et grossières de ces modernes Spartiates. Leur sans-gêne, certaines habitudes qui leur sont particulières, le dédain qu'ils professent parfois pour les convenances, étonnent le voyageur étranger, surtout en Californie. Mais San-Francisco ne brigue pas l'honneur d'être appelée l'Athènes du Pacifique, et nous devons ici négliger les détails pour n'admirer que les institutions et les mœurs politiques, qu'on peut louer presque sans restriction. Le reste se fera plus tard, car un progrès en amène toujours un autre. N'oublions pas d'ailleurs qu'il ne s'agit encore que d'un peuple jeune et vigoureux, plein de sève et de vie. Il serait à désirer que l'Amérique espagnole eut en elle de pareils germes de prospérité, tandis qu'elle va tous les jours se décomposant, se perdant dans des révolutions inextricables. L'Anglo-Américain, au contraire, sans cesse calme et impassible, jamais pressé, marche lentement et par des voies presque toujours sûres à une conquête qui lui parait fatalement dévolue, celle de toute l'Amérique. L'aigle américaine, qui étend déjà ses serres sur tant de pays divers, doit les étendre encore davantage, et la devise : e pluribus unum, groupera encore bien des provinces sous la bannière des États-Unis. La doctrine de Monroe, si hautement proclamée par tous les présidents de la grande république dans leurs messages annuels, ne dit-elle pas nettement que l'Amérique appartient aux Américains, et qu'eux seuls ont voix dans leurs affaires? Et qu'appelle-t-on aujourd'hui du nom d'Américains si ce n'est les citoyens seuls de l'Union?
(C) Sur l'oppression exercée en Californie contre les races de couleur.
Bien que la Californie ne soit point un État à esclaves, les races de couleur y sont proscrites, ou tout au moins poursuivies du mépris [183] public, comme dans tous les États de l'Union. Tout individu de sang blanc et sans nul mélange a seul droit au titre de citoyen ; le reste, Nègres, Indiens ou Chinois, n'est pas considéré comme faisant partie de l'espèce humaine supérieure. La proscription s'étend plus loin, et une seule goutte du sang de ces races condamnées suffit pour faire d'un individu, dont les ancêtres étaient de race blanche, un véritable paria. Il est privé du droit de voter, de témoigner en justice, de rien posséder. Les emplois les plus vils lui sont seuls dévolus. Dans les États à esclaves, le Nègre ne peut voyager avec le blanc, et ne doit, en aucune occasion, se rencontrer auprès de lui, à table, au théâtre, à l'église. Des États libres, l'État de New-York par exemple, maintiennent ces distinctions honteuses pour l'humanité.
En Californie, c'est le Chinois auquel l'Américain s'attaque de préférence, par suite du petit nombre de Nègres. Le Chinois ne peut posséder un claim qu'en le louant ou l'achetant, souvent à des conditions exorbitantes. À lui seul on fait payer la licence ou patente de mineur, c'est-à- dire le droit de travailler sur les placers ; et cette patente, quelques comtés peu bienveillants l'ont maintenue au taux des premiers temps de l'exploitation de l'or, c'est-à-dire à 20f par mois. Le Chinois est partout mis de côté comme un pestiféré, indigne de se mêler aux blancs. On l'accuse volontiers de tous les malheurs publics, surtout d'incendies et de vols ; on le poursuit, on le violente, on le dépossède, et bien souvent les lois sont impuissantes, ou ne veulent point agir, pour défendre le faible contre les injustices du fort. Le Chinois donne cependant à tous un bel exemple de patience, de travail et d'inventive intelligence. Les meilleurs jardiniers, les plus habiles laveurs des placers sont des Chinois. Les Chinois ont même importé en Californie plus d'un mécanisme ingénieux et nouveau ; entre autres certaines roues hydrauliques et des pompes d'épuisement ou d'arrosage, dont on fait encore aujourd'hui le meilleur et le plus constant emploi. Seuls, les Chinois savent travailler sur les placers réputés maintenant trop pauvres, et en retirer encore assez d'or pour suffire à leurs besoins journaliers. Eux seuls suivent dans leurs travaux une méthode exacte et régulière, qui annonce un grand esprit d'ordre. Ils mettent les placers en coupe réglée, on peut le dire, et les endroits où ils ont passé ne tentent plus personne : on sait qu'après eux il n'y a plus rien à glaner. Ils donnent de plus aux divers émigrés en Californie un noble exemple de l'attachement au sol natal; car ils retournent tous dans leur pays, dès qu'ils ont fait une petite fortune. Si la mort les surprend avant le retour, leurs os sont renvoyés en Chine. On dirait qu'ils ne veulent [184] rien laisser d'eux-mêmes dans un pays qui les accueille si mal7.
Les Chinois sont au nombre d'environ 40 à 50,000 en Californie. Ils donnent lieu à un assez grand commerce entre San-Francisco et les divers ports de la Chine, notamment pour l'importation du riz et du thé, articles dont ils ne peuvent se passer. Ils ne sont pas seulement mineurs, mais ils exercent encore volontiers les métiers de blanchisseurs et de cuisiniers. Enfin, plusieurs négociants chinois de distinction sont établis à San-Francisco, et contribuent pour leur part à la prospérité commerciale de cette reine du Pacifique, comme l'appellent les Américains.
Malgré tant d'éléments divers, qui plaident en leur faveur, les Chinois n'en demeurent pas moins en Californie l'objet constant de la réprobation américaine. Cette réprobation est montée si haut qu'en 1852 d'abord, puis en 1858, la législature de Californie, c'est-à-dire la Chambre des députés et des sénateurs, fit une loi pou prévenir toute immigration ultérieure des races chinoises ou mongoliennes. Heureusement la loi fut la première fois rejetée par le gouverneur Bigler, qui y apposa son veto, et la seconde fois elle fut déclarée inconstitutionnelle par la cour suprême de la Californie, et dut être rapportée8.
Sur la fin de 1859, les malheureux Chinois subirent une nouvelle levée de boucliers, et un journal français de San-Francisco imprimait alors sous la rubrique : « Travail des Chinois en Californie — Industrie privée, — Fabrication de cigares, » les lignes suivantes qu'on va lire, et qui dispensent de tout commentaire, car elles montrent nettement l'état des esprits :
« Il a circulé pendant ces derniers jours, San-Francisco, une protestation contre l'admission des Chinois à un travail industriel en concurrence avec des individus de la race blanche. Cette protestation, qui est déjà couverte, assure-t-on, d'un grand nombre de signatures, a été mise au jour et propagée par des marchands ou des fabricants de cigares. Ils se plaignent de ce que l'abaissement de la main-d'œuvre chinoise permet à des confrères de produire des cigares dont le prix de revient est tellement réduit qu'eux-mêmes ne peuvent plus écouler leurs marchandises venues du dehors, sans subir une perte.
« Les signataires de la protestation invoquent à leur profit :
[185] « 1o L'inviolabilité des droits naturels du travailleur libre ; — la dignité de l'homme ; — la nécessité où il est de maintenir sa suprématie, et d'assurer à ses efforts une rémunération suffisante, pour faire face aux nécessités de la vie.
« 2o Ils soutiennent que le premier devoir du peuple est de faire respecter l'imprescriptibilité des droits énoncés ci-dessus. Ils ajoutent que la concurrence entre le travail libre et le travail forcé, ou déprécié par l'abaissement du salaire, constitue une infraction aux droits du travailleur libre, et contient le germe de l'anéantissement de ces droits.
« Enfin, en troisième lieu, ils représentent que le bien-être de tous dépend inévitablement de la situation prospère faite au travailleur libre, et qu'en conséquence il est de l'intérêt du peuple de prendre d'urgence telles mesures qui seront jugées nécessaires pour assurer la garantie de ses droits.
« Il ne faut pas se dissimuler que la pétition dont nous parlons, disait le journal en terminant, soulève une question d'économie sociale de l'ordre le plus élevé. »
Comme il parait prouvé que la plupart des Chinois, surtout ceux qu'on nomme les coolies, sont des esclaves attachés à un maître chinois, qui les loue ou les laisse libres de travailler ou ils veulent, moyennant une faible redevance journalière, les réclamations des ouvriers libres californiens avaient peut-être leur côté juste, au moins en apparence. Battus d'abord, les réclamants sont revenus depuis sur cette question, et il parait qu'aujourd'hui le travail des coolies a été prohibé par le peuple dans toutes les manufactures de cigares de San-Francisco.
La lutte entre l'ouvrier chinois et les autres ouvriers sera d'ailleurs toujours à recommencer en Californie. Les Chinois, qui se contentent du plus modeste salaire, sont des travailleurs patients et très-tenaces ; ils réussissent presque toujours là ou d'autres échouent. Il n'en faut certes pas tant pour exciter contre eux la jalousie des autres travailleurs. Enfin comme les Chinois sont de race jaune, ils ont dû être ou seront tôt ou tard sacrifiés à la race blanche, à laquelle reviennent seuls tous les droits d'après les principes américains.
Les Indiens n'ont pas été mieux traités que les Nègres et les Chinois dans l'État libre de Californie. L'injustice est ici plus flagrante encore, car les Indiens étaient les premiers maîtres du sol, et l'on sait avec quel pieux regret ils abandonnent les contrées où, suivant leur expression, reposent les os de leurs pères. Sans pitié pour la race rouge, les Américains l'ont ici presque entièrement anéantie comme ailleurs.
[186] Il en reste plus en Californie que 60,000 Indiens environ, et ces Indiens, resserrés dans les limites ou réserves (reservations) qu'on leur a fixées en divers comtés, y sont parqués comme un bétail. Non qu'ils y soient maltraités ; mais c'est un campement forcé qu'on leur impose, à eux les nomades du désert, à eux les anciens possesseurs du pays. L'Indien a répondu à l'envahissement des blancs par son apathie habituelle. Persuadé qu'il doit un jour fatalement succomber et disparaître, il a toujours et partout vécu en dehors de la civilisation. Il a conservé ses armes premières, l'arc, les flèches et la lance, ses premières coutumes, ses mœurs sauvages et ses danses guerrières. À peine vêtu, le nez et les oreilles chargés d'ornements divers, les cheveux longs, la tête haute et le regard fier, on le voit passer indifférent au milieu de ses maîtres actuels, et dans les transformations diverses qu'a subies son pays natal, rien ne l'arrête, rien ne le surprend. Il dédaigne les barbares qui le dominent et qui sont obligés de travailler pour vivre. Dans les mines et établissements qu'il rencontre en Californie, tous ces mécanismes variés qu'il voit se mouvoir ne sont pour lui qu'une nouvelle preuve de l'assujettissement de l'homme blanc à la matière. Bien autrement grand, à son point de vue, est celui qui n'a besoin d'aucune de ces superfluités. Les glands écrasés en farine avec une pierre sur un rocher, l'herbe fraîche même forment le plus souvent sa nourriture. Il couche toujours en plein air sous quelques branchages, et se montre ainsi, sans le vouloir, le fidèle disciple d'un philosophe bien connu. Il ne laisse pas toutefois de témoigner un goût assez prononcé pour la viande, le pain et l'eau-de-vie des hommes blancs. Chaque tribu obéit à un chef qui dans les courses marche en avant, la tète couronnée de plumes. Les lemmes, chargées des travaux les plus pénibles, portent les enfants et tout le bagage de la route. Tous les Indiens de l'Amérique ont les mêmes habitudes, les mêmes mœurs, et paraissent provenir d'une seule et même race.
Le type des Indiens de Californie n'est pas beau, et dénote une intelligence très-médiocre. La race nègre est certainement beaucoup plus avancée.
Quand on réfléchit à l'espèce de proscription que les Américains font peser su les races de couleur, on y voit une sorte de fatalité inexorable, qui semble vouer ces races à l'anéantissement, et armer contre elles la civilisation anglo-américaine. Il y a là comme le doigt de Dieu, et les colonies espagnoles, aujourd'hui si dégénérées, prouvent qu'on ne doit rien attendre de bon du mélange des races blanches avec les races de couleur. Il est déplorable toutefois qu'un pays libre comme l'Union, qu'une grande [187] république, si noblement et si fraternellement ouverte à tous les étrangers, opprime ainsi des hommes faibles et sans appuis.
En cela, les Américains croient obéir à une mission providentielle, et l'on ne saurait exercer avec plus de sang-froid et plus d'impassibilité qu'ils ne le font, l'asservissement ou l'anéantissement complet, suivant les cas, de toutes les races de couleur.
(D) Sur les maux résultant en Californie de la rareté des femmes.
La Californie renferme à peu près une population de 600,000 habitants. Si l'on enlève de ce nombre 100,000 Indiens et Chinois, il reste un chiffre de 500,000 individus, dont 400,000 environ sont Anglo-Américains, et le reste de races diverses : Français, Anglais et Irlandais, Allemands, Mexicains et Chiliens, Italiens et Espagnols, etc. Chacune de ces catégories représentant un chiffre approximatif d'environ 15,000 émigrés. Sur ce nombre total de 500,000 habitants, les femmes entrent pour moins d'un cinquième. C'est déjà une disproportion énorme; mais cette disproportion s'accroît encore quand on prend les pays de mines isolément. Il n'est pas rare alors de rencontrer des centres, comme Coulterville par exemple, où le nombre total des femmes ne s'élève pas à 10 et même 5 pour 100 de l'ensemble du nombre des hommes. Parmi ces femmes, plus de la moitié sont vouées à la prostitution. Les conséquences d'un fait si triste sont faciles à prévoir : Les mariages sont rendus à peu près impossibles, et l'isolement du mineur, auquel ne se prêtent déjà que trop la diversité des langues et l'éloignement des lieux, devient presque complet.
Privé de famille et de tout foyer domestique, manquant de distractions et d'épanchements honnêtes qu'il ne peut rencontrer autour de lui, le mineur californien cherche à s'étourdir, et l'habitude de la boisson devient chez lui une nécessité. Il boit jusqu'au plus complet enivrement, il boit tant qu'il a de l'or, et plus d'un mineur, se livrant à cette funeste habitude, travaille à peine un jour ou deux dans la semaine. Les querelles, les coups accompagnent ces scènes d'ivrognerie, rendues trop faciles par l'abondance des bars ou buvettes américaines9. Mais ce ne serait là qu'un faible mal [188] encore, si l'habitude constante de l'ivrognerie n'engendrait chez le mineur californien une maladie terrible, le delirium tremens, à laquelle il succombe quelquefois. Cette maladie le mène aussi très souvent à la folie, et les cas seraient faciles à citer.
Il est un vice plus honteux encore, que l'isolement complet et l'absence de toute distraction développent aussi chez le mineur, et ce vice, comme l'ivresse, le mène quelquefois à la folie. L'hospice des insensés à Stockton est toujours plein, et parmi les cas qui y amènent les aliénés, on cite en première ligne ceux dont nous venons de parler. Le contingent total fourni par l'ensemble de la population californienne dépasse d'ailleurs toutes les limites. En 1859, la ville de San-Francisco seule n'a pas envoyé moins de 90 victimes, c'est-a-dire plus d'un sur 1,000 habitants à l'asile de Stockton. La proportion n'est guère différente, bien qu'un peu moindre, pour toute la Californie.
La prostitution, en Californie, s'exerce sur une large échelle, et le mineur laisse dans les maisons de tolérance, comme dans les bars, la majeure partie de son salaire. Les mauvais lieux sont peuplés de femmes de toutes les contrées, surtout de Chinoises. Celles-ci occupent à San-Francisco des quartiers entiers, et se rencontrent aussi dans les mines. La liberté que les lois américaines laissent sur ce point tourne au détriment de la santé publique, et de celle du mineur en particulier10.
(E) Sur les sociétés françaises de bienfaisance mutuelle et de secours.
[189] Les Sociétés françaises de bienfaisance mutuelle et de secours sont deux Sociétés distinctes en Californie ; elles vont être successivement passées en revue.
La Société française de bienfaisance mutuelle, établie dans le but de venir en aide aux résidants californiens, en cas de maladie, a son siège et sa maison de santé à San-Francisco même ; on parlait, en 1859, d'établir aussi quelques maisons de santé dans l'intérieur de la Californie, pour venir plus facilement en aide aux mineurs.
La Société a d'ailleurs des membres correspondants dans toutes les villes de l'État californien.
Le comité d'administration se compose d'un président, de deux vice-présidents, d'un trésorier, de deux secrétaires et de neuf commissaires, tous choisis parmi les résidants les plus notables de San-Francisco. Un avocat de la Société s'occupe des affaires contentieuses. Le service médical est confié à deux médecins traitants qui, chaque matin, font une visite à la maison de santé, et qui, dans la journée, reçoivent aussi les sociétaires chez eux en consultations gratuites. Ils visitent à domicile les femmes et enfants sociétaires, résidant à San-Francisco.
La pharmacie de la Société est installée dans la maison de santé.
Enfin, un dentiste établi en ville peut être gratuitement consulté par les sociétaires.
L'extrait suivant des statuts dispense de tous autres commentaires :
La Société est instituée dans un but de bienfaisance mutuelle en cas de maladie. Elle est et doit toujours être étrangère à toute question politique ou religieuse.
Tout Français ou étranger, les dames et les enfants sont admis à en faire partie.
La souscription mensuelle de chaque sociétaire est fixée à 1 dollar (5f.) — Pour devenir sociétaire, il faut être en bonne santé, verser, en sus de la cotisation régulière, un don d'entrée d'au moins 1 dollar, et signer son bulletin de souscription.
Les droits des sociétaires s'acquièrent deux mois après la première souscription, faite en bonne santé, et ils se perdent en laissant s'écouler plus de deux mois sans payer. Les droits peuvent être exercés avant deux mois dans le cas de fracture ou autre accident malheureux et imprévu; le comité est juge de cette admission.
[190] Toute personne atteinte d'une maladie aiguë, chronique ou autre, à l'époque de sa première souscription, n'a pas droit à son admission à la maison de santé, et ne peut réclamer des soins pour ladite maladie.
Les sociétaires atteints de maladies syphilitiques sont tenus de payer à la maison de santé 1 dollar par jour, pendant tout le cours de leur traitement. En ville, ils ont droit au consultations gratuites, et les bons de médicaments sont à leur charge, à prix réduit.
Toutes ordonnances de médicaments des médecins de la Société sont délivrées gratuitement à la pharmacie de la Société, à l'exception du cas précédent.
Nul malade ne peut faire usage de ses droits de sociétaire, s'il n'est muni de son bulletin parfaitement en règle et signé par lui.
Les anciens sociétaires, déchus de leurs droits, sont admis à rentrer dans la Société aux mêmes conditions que les nouveau.
Un notaire, ou le ministre d'un culte quel qu'il soit, est appelé immédiatement sur le désir exprimé par tout sociétaire ou autre malade.
La Société reçoit des dons de bienfaisance et autres dons particuliers, de quelque nature qu'ils soient ; elle en fait l'application conformément aux vœux du donateur.
Tous malades non sociétaires, sans exception de nationalité, sont admis à la maison de santé à raison de 2 dollars 1/2 (soit 12f50) par jour. Ils y jouissent de tous les soins et égards possibles. Des chambres particulières sont disponibles, à raison de 1 dollar 1/2 (soit 7f50) par jour, en faveur des sociétaires ; de 2 dollars (soit 10f) si ces sociétaires sont atteints de maladies syphilitiques, et de 4 dollars (20f) pour les malades non sociétaires.
Il existe, sur le même pied que la Société française de bienfaisance mutuelle, des sociétés allemande, suisse, italienne. etc. Il est à remarquer que seuls les Américains n'ont jamais eu besoin en Californie d'aucune institution de ce genre. Il est vrai qu'ils ont leurs hôpitaux.
La Société française de secours a remplacé l'ancienne Société dite de rapatriement, et elle s'occupe aussi, comme cette dernière, de rapatrier dans leur pays ceux qui se trouvent en Californie sans moyens d'existence. Son siège est établi à San-Francisco, mais elle a des correspondants dans toutes les mines de Californie. Le comité d'administration gère les affaires de la Société. Il doit se réunir en séances régulières au moins deux fois par mois. Il se compose d'un président, qui est actuellement le consul général de France en Californie, de deux vice-présidents, d'un trésorier, d'un secrétaire et de quatre [191] commissaires, en tout neuf membres dont six au moins doivent être d'origine française.
Trois médecins sont attachés à la Société.
L'objet de la Société, d'après ses règlements mêmes, est :
1o De secourir les Français et étrangers pauvres en Californie ;
2o De procurer de l'emploi, autant qu'il est en son pouvoir, aux Français et étrangers sans travail ;
3o De faciliter le rapatriement à ceux qui se trouvent dans le pays sans moyens d'existence ;
4o D'assister les malades, infirmes et gens âgés ;
5o D'accorder à toute personne pauvre qui en fait la demande, en cas de maladie dùment constatée, les secours que le Comité trouve en rapport avec les ressources de la Société, tels que l'assistance d'un médecin, les médicaments, etc. ;
6o Enfin de venir en aide aux Français et étrangers pauvres, de telle sorte qu'ils ne soient pas un fardeau pour le pays qui les a
La Société s'étant constituée dans l'unique but de faire de la bienfaisance, toute mesure étrangère à ce but est exclue.
Il suffit pour être membre de la Société de verser 15 dollars (soit 75f) par an.
Tout souscripteur qui fait un premier versement de 100 dollars ou 500 francs est membre à vie de la Société.
Tout sociétaire, élu membre du comité d'administration, est tenu de souscrire pour 25 dollars (125f) la première année de son élection, c'est-à-dire pour 10 dollars ou 50f en sus de la cotisation ordinaire.
Nous ferons, pour la Société de secours, la même observation que pour la Société de bienfaisance mutuelle, c'est qu'il n'est pas à notre connaissance que les Américains, qui composent cependant les quatre cinquièmes de la population californienne, se soient jamais vus dans le cas de recourir en Californie à des institutions analogues. Il faut dire aussi qu'ils ont un très-grand nombre de loges maçonniques, et leur fameuse Société des Fils de la Tempérance (Sons of Temperance), dont les membres s'engagent à ne plus boire que de l'eau toute leur vie. Un retour du fidèle accomplissement de leur veu, les Tempérants ont droit à des secours, que la Société leur distribue en cas de nécessité. Les Fils de la Tempérance ont leur siège général à Sacramento, et des succursales dans les diverses villes de Californie.
(F) Sur l'exploitation des gisements aurifères de Californie.
[192] L'exploitation des gisements aurifères de Californie peut se diviser en deux classes : 1o L'exploitation des gîtes de transport ou dépôts d'alluvions aurifères; 2o l'exploitation des gîtes en place ou des mines de quartz. Nous donnerons d'abord quelques détails sur la première de ces exploitations :
La plus simple est celle qui n'est exécutée que par deux ou trois mineurs, sur un même claim ; c'est ce genre d'exploitation auquel se livre l'ouvrier décrit dans la présente monographie.
Voici, en prenant les choses ab ovo, comment on procède d'ordinaire à cette exploitation :
Le mineur, en recherche d'un claim, arrivé à un point inoccupé et qu'il croit favorable, fait ce qu'on appelle un prospect ou examen préalable. Il prend, en différents endroits, quelques portions de la terre ou du sable qu'il veut exploiter, et il en remplit une corne ou sébile à main. Il lave alors cette terre dans l'eau, en faisant exécuter à la corne, qu'il tient d'une main, un mouvement rapide de va-et-vient dans divers sens. Ce mouvement, qui ne saurait se décrire et qu'il faut avoir vu opérer, s'acquiert en peu de temps par l'habitude. Les mineurs espagnols, mexicains ou chiliens, sont les plus habiles dans ce genre d'opération. Si l'essai, répété plusieurs fois, donne une certaine quantité de paillettes d'or, visibles à l'œil nu, le lieu est réputé bon, et le miner marque son claim. Si l'essai est négatif, le mineur procède à une autre expérience, et il emploie cette fois la battée. La battée (appelée aussi pan par les Américains et plat par les Français, deux mots correspondant au mot espagnol batea) est un plat en tôle de fer ou en bois. En tôle, il a la forme d'un tronc de cône et très-évasé ; en bois, il est en forme de calotte sphérique, et fait d'une seule pièce.
Le mineur remplit sa battée de la terre ou du sable dont il veut reconnaître la richesse, et plonge le tout dans l'eau. Alors, il exécute rapidement, et tenant l'appareil des deux mains, une série de mouvements de va-et-vient à droite et à gauche, en avant et en arrière, et quelquefois fait tourner la battée sur elle-même, autour de son axe vertical. L'eau entraîne peu à peu toutes les matières légères, d'abord celles qui restent en suspension, terres, argiles, etc., puis celles un peu plus lourdes, comme des grains de quartz ou de roches désagrégés. Ceux-ci ne tardent pas à occuper seuls la partie supérieure du dépôt, au fond de la battée. En inclinant peu à peu [193] l'appareil, toutes ces matières s'échappent avec l'eau, et si l'on poursuit ainsi l'opération, il ne reste bientôt plus que les matières les plus lourdes, ainsi disposées de haut en bas : gros grains de quartz, oxyde de fer magnétique, paillettes d'or. On sépare avec la main les gros grains pierreux ; l'oxyde de fer, s'il est abondant, s'enlève avec le barreau aimanté, et bientôt les paillettes, plaquettes, aiguilles ou pepites11 d'or, apparaissent parfaitement isolées. Le mineur juge facilement, à vue d'œil, par leur nombre et leur grosseur, du plus ou moins de richesse du claim qu'il convoite, et se décide en conséquence.
Le lavage à la battée, comme celui à la corne, ne saurait se bien comprendre, et encore moins s'apprendre par une description, quelque détaillée, quelque juste qu'on pourrait la faire. Ce sont des choses qu'il faut voir de ses yeux, et auxquelles il faut s'exercer quelque temps, pour arriver à bien opérer. Tous les mineurs californiens sont de bons laveurs à la battée ; mais aucun même après une pratique de dix ans, n'a pu encore approcher des Mexicains et des Chiliens, qui, dans les colonies espagnoles, ont appris dès l'enfance le métier de laveurs d'or. Les Chiliens surtout manœuvrent la battée avec une habileté rare, et on peut dire qu'ils y mettent même une sorte d'élégance et de grâce qui leur est particulière.
Après ces premiers prospects, le mineur, ayant marqué son claim (A), procède à la fouille en grand du terrain. Il désagrège les terres et les sables agglomérés avec le pic à deux pointes, et quand il rencontre la roche dure au fond de la tranchée, il la fait éclater avec la pince. Il recueille soigneusement avec une curette en fer, de forme particulière, les sables généralement très-riches qui se sont arrêtés dans les fissures ou les lits de la roche, opposés au parcours de l'eau. Il fait aussi un tas de tous les sables et terres extraits de la tranchée, mettant à part les grosses pierres, les terres stériles. Il porte enfin les sables au rocker, après avoir au préalable avisé aux moyens de recueillir une certaine quantité d'eau, si l'eau ne coule pas naturellement à la surface.
Le rocker est appelé aussi en anglais cradle, et ces deux mots signifient berceau. Ce nom est venu au rocker de sa forme particulière, et du mouvement qu'on lui communique. L'une et l'autre rappellent en effet la forme que l'on donne et le mouvement qu'on imprime au berceau des enfants.
Le rocker se compose de trois parties distinctes et mobiles : la [194] grille ou crible (sieve), le tablier (apron) et le corps du berceau ou rocker-box. La grille forme la partie supérieure ; au-dessous vient le tablier. Celui-ci est superposé au fond du berceau qui forme le troisième plan, et qui, par son prolongement, dépasse d'une égale longueur la grille et le tablier. Les parois latérales du rocker maintiennent d'ailleurs dans une position invariable ces deux parties de l'appareil. La grille est une feuille de tôle, percée de trous. Elle est horizontale. Le tablier est formé d'une toile forte, clouée sur un châssis en bois et légèrement inclinée. Le corps et le fond du rocker sont en bois, le fond généralement un peu incliné en sens contraire du tablier.
Voici maintenant comment on opère : les terres et sables à laver, chargés à la pelle dans des seaux, sont portés jusque sur la grille du rocker. Quand il y en a une certaine quantité, l'ouvrier, assis sur un petit banc, et tenant d'une main le rocker et de l'autre le vase à prendre de l'eau ou dipper, arrose peu à peu les terres et les sables sur la grille, et imprime à son rocker le mouvement d'oscillation convenable. Ce qui reste sur la grille : cailloux roulés, débris de roches, etc., est rejeté après un certain temps et non sans examen, s'il y a lieu. L'or se trouve avec les matières lourdes : paillettes de platine, fer oxydulé, etc., sur le tablier et aussi sur le fond du rocker vers l'arrière. À l'avant sont les sables et terres stériles, que l'eau a d'ailleurs entraînés en partie. On enlève avec une raclette les sables et les terres enrichis, et on lave à la battée, pour séparer l'or.
La pratique du rocker, moins difficile que celle de la corne ou de la battée, exige néanmoins une certaine habitude. Les Chinois sont les plus habiles et les plus patients laveurs en ce genre.
On calcule, dans la plupart des cas, que deux mineurs, dont l'un fouille et pioche les terres, et l'autre manœuvre le rocker, peuvent laver 300 seau de terre par jour. Un seau cube environ 12 litres, et contient moyennement de 15,60 a 16k20 de terres, le poids moyen de ces terres désagrégées étant de 1300 à 1350 kil. le mètre cube. Or le minimum que doit donner un seau est 0f05 d'or, ce qui fait encore 7f50 pour la journée de chaque mineur, et 5f seulement s'ils sont trois. Cette teneur de 0,05 par seau porte la richesse minimum des terres à laver au rocker à 115/100000000 c'est-à-dire que sur 100,000,000 de grammes, ou si l'on veut 100,000 kil. de terres lavées, on doit recueillir 115 grammes d'or. Le prix moyen est de 2f70 le gramme.
On comprend que le lavage au rocker est essentiellement limité, et qu'il peut bien satisfaire deux à trois hommes, mais non des [195] compagnies entières de mineurs, a moins de gîtes exceptionnellement riches, ce qui ne se représente plus aujourd'hui.
On a donc suppléé de diverses manières au lavage lent du rocker, et les principaux appareils et systèmes employés pour un lavage rapide et une grande quantité de terres à la fois sont le long tom, le sluice, le flume et enfin la méthode hydraulique, hydraulic mining. On arrive de cette façon à laver des terres d'une excessive pauvreté, dont on ne pourrait autrement tirer parti ; car elles sont quelquefois 10 et 100 fois moins riches que celles dont nous avons déterminé la teneur minimum pour le rocker.
Le long tom se compose d'un canal en bois dans lequel arrive un courant d'eau, et d'un deuxième canal muni à son extrémité d'une grille, laissant passer l'eau et les sables. Des obstacles interposés sur leur parcours retiennent les matières les plus lourdes, et l'or avec elles. On charge à la pelle les terres à laver dans le premier canal.
Le long tom double le travail du rocker, c'est-à-dire que deux hommes peuvent facilement y passer de 9 à 10,000 kil. de terres par jour.
Après le long tom vient le sluice (canal). À la tête d'un long canal de bois, légèrement incliné, et dans lequel circule une eau courante, on jette les terres à laver. Elles sont entraînées par l'eau, et des obstacles interposés sur le parcours, comme pour le long tom, des doubles fonds, très-souvent des boîtes à mercure, retiennent la majeure partie de l'or. Le travail au sluice se fait quelquefois sur une très-grande échelle, et par compagnies de 10, 20, et même jusqu'à 30 ouvriers à la fois. Les uns préparent les terres, les autres les jettent dans les sluices, d'autres enfin les remuent et les lavent.
Le lavage au flume rappelle celui du sluice, et le flume n'est qu'un sluice de grandes dimensions, un véritable canal.
Enfin avec le lavage au flume se combine le plus souvent l'attaque des terres par la méthode hydraulique. Cette méthode consiste à saper une colline ou un plateau d'alluvions par sa base, au moyen de jets d'eau projetés par une lance (pipe), comme celle des pompes à incendie. Le jet a d'ordinaire une très-grande force, et désagrège la matière à abattre. Sous le porte-à-faux qui se produit ainsi, tout le terrain supérieur s'éboule avec fracas. Quand on a démoli de la sorte une portion du terrain, on lave les terres au flume, comme on fait pour le sluice. Le travail est souvent très-imposant, et on y compte jusqu'à 100 ouvriers et plus, agglomérés sur un même point. Les placers qu'on attaque de cette manière sont les placers secs ou dry diggins, sur lesquels on emploie aussi les seuls sluices. [196] Mais, dans les deux cas, l'eau nécessaire au lavage est amenée par des canaux construits ad hoc, et dont la prise, comme on l'a vu, est souvent à plus de 100 kilomètres du point d'arrivée. Ces canaux distribuent les eaux, sur leur parcours, à un grand nombre de compagnies de mineurs.
Dans les travaux de rivières, river mining, on lave toujours au sluice. On détourne le cours de la rivière à l'époque des basses eaux, pour laver les sables du fond. Une pompe chinoise, ou à chapelets, que fait marcher une roue pendante mue par le mouvement de l'eau, alimente les sluices. Les Chinois travaillent sur les rivières avec un ensemble merveilleux.
L'exploitation des gîtes de transport ne consiste pas seulement dans le lavage des terres, mais elle nécessite parfois des travaux préalables analogues aux véritables travaux de mines. Souvent, par exemple, on va rejoindre un dépôt aurifère à une très-grande profondeur sous le sol, par des puits verticaux ou shafts, ou bien on s'interne dans une montagne par des galeries intérieures ou tunnels. Par ces moyens, et dans les premiers temps, les mineurs ont bien souvent rencontré de très-riches dépôts sédimentaires.
Les travaux de placers sont ceux qui donnent encore le plus de vie à la Californie. D'un bout de cet l'État à l'autre, sur une surface qui égale deux fois celle de la Grande-Bretagne, on ne saurait rencontrer une rivière, un ruisseau, un ravin, dont le lit n'ait plusieurs fois été remué de fond en comble. L'aspect extérieur du sol emprunte à ces bouleversements quelque chose de triste et de pénible, surtout quand l'ouvrier a disparu. On dirait d'une avalanche, d'un torrent déchaîné qui a remué le sol jusque dans ses fondements, et laissé des monceaux de ruines sur son passage.
Les gîtes aurifères en place sont généralement quartzeux. Ils s'exploitent par les méthodes connues pour l'attaque des filons métallifères. Dans le fonçage des puits ou des galeries, l'installation de machines d'extraction et d'épuisement, l'établissement des chemins de fer intérieurs et extérieurs, toutes les règles de l'art des mines sont d'ordinaire strictement observées. Sur ce point, la Californie n'a rien à envier aux autres contrées minières du monde. Quant au traitement des minerais d'or quartzeux, la Californie est sans contredit le pays où ce travail est le plus avancé, où il a fait les plus grands et les plus sérieux progrès.
Le quartz, trié au sortir de la mine, est cassé au degré de grosseur voulu. Après un nouveau triage, on le transporte à l'atelier de broyage. Là, des pilons en fonte verticaux, de systèmes souvent particuliers, ou des meules horizontales de différentes sortes, mis en mouvement par des machines hydrauliques ou à vapeur, broient [197] le quartz à un degré de finesse tel qu'il devient presque impalpable. Ainsi broyé, le quartz passe aux appareils d'amalgamation (cuves hongroises, plaques amalgamées, moulins chiliens, etc.), ou il abandonne au mercure jusqu'au 2/3 de l'or qu'il renferme. Le restant est presque entièrement enlevé par des appareils de lavage particuliers, et d'autres appareils d'amalgamation de formes généralement nouvelles ou perfectionnées. L'amalgame d'or, obtenu dans les deux cas, est distillé dans une cornue, et l'or est fondu en lingots, que l'on titre et que l'on exporte.
Nous ne pouvons entrer ici dans plus de détails. Qu'il nous suffise de répéter que sous le point de vue du travail des mines en général, sous le point de vue de l'amalgamation, du lavage des terres aurifères, et enfin de l'économie spéciale des travaux industriels, l'ingénieur praticien d'Europe a beaucoup à apprendre en Californie ; il s'y trouve même dès l'abord comme émerveillé. Il a peine à concevoir comment de pareils individus, comme ceux qu'amenait dans le principe l'immigration, aient pu être à ce point doués de l'esprit d'invention et d'entreprise, et il s'incline malgré lui devant le caractère pratique de la race anglo-américaine, à laquelle de telles merveilles sont dues presque en entier.
La production totale de l'or, depuis la découverte de la Californie, a été moyennement de 300 millions de francs par année. Les deux tiers ou les trois quarts de cette somme sont exportés principalement à New-York, le reste demeure dans le pays. Il y a dix ans qu'une pareille production continue. Les mines de quartz, de plus en plus exploitées, sont venues maintenir l'équilibre à mesure de l'appauvrissement des placers, et la majeure partie de l'or exporté est due aujourd'hui à l'exploitation de ces mines. De son côté, l'Australie produit à peu près la même quantité d'or que la Californie, et, à mesure que cet or rentre en Europe, l'argent prend à son tour la route des Indes, pour n'en plus retourner. Quel effet une semblable production et une pareille évolution des métaux précieux pourront-elles produire sur les relations commerciales et industrielles des peuples de l'Europe occidentale? Ce n'est point le lieu de l'examiner. Disons seulement que les craintes que l'on a depuis longtemps témoignées nous paraissent exagérées. Pendant que les mines d'or sont ardemment exploitées, on découvre aussi de nouvelles mines d'argent très-riches, notamment dans le territoire de l'Utah, voisin de la Californie. Il se pourrait bien que ces mines, et toutes celles du nouveau monde jadis en activité, si elles étaient reprises aujourd'hui avec intelligence, ramenassent l'équilibre entre les valeurs relatives de l'or et de l'argent. Au reste, un changement [198] survenu dans le cours des métaux précieux est un de ces phénomènes économiques dont on a vu déjà de nombreux exemples dans l'histoire.
(G) Sur la situation matérielle du mineur des placers, et sur une particularité relative à son salaire.
Les conditions morales dans lesquelles est obligé de vivre le mineur californien laissent à désirer, mais sa situation matérielle est des plus favorables. Presque toujours à proximité d'un village, il y rencontre, comme dans une grande ville, tous les objets qui lui sont nécessaires. Quand il est éloigné de ce même village, non seulement il trouve près de lui des centres de dépôt (stores) où il peut se munir, mais d'où on lui porte même jusqu'à sa cabane tout ce dont il a besoin.
On a vu que le régime alimentaire du mineur était très-convenable ; on a pu se convaincre aussi que l'occupation à laquelle il se livrait était assez attrayante. Elle exige une certaine habileté, une certaine intelligence pratiques, et le coup d'il, l'esprit d'observation, y sont aussi nécessaires. Les mécanismes employés par le mineur sont ingénieux ; les études préalables qu'il doit faire pour l'exploitation de son claim l'habituent à l'exploration du sol et aux études géologiques générales. Enfin, le but auquel il doit arriver, celui de la récolte de l'or, l'excite et le soutient dans son travail par l'un des mobiles les plus puissants de nos actions, l'intérêt.
Ajoutons que le mineur est libre, indépendant, qu'il ne sent autour de lui aucun pouvoir qui le gène. La chasse dans les bois et les montagnes, la pêche sur les fleuves et les rivières du pays lui sont permises. Il peut couper du bois ou bon lui semble, planter, cultiver, récolter partout où il lui convient. En aucun pays, les droits naturels de l'homme ne sont ainsi respectés ; en aucun pays, l'homme ne se sent réellement le roi, le seul maître de la nature qui l'environne, comme dans les placers californiens.
Les institutions libérales de l'État et la situation indivise du sol ont 1ait au mineur tous ces avantages, et elles ont si bien égalisé les rangs, parmi la race blanche, que tous les citoyens, on propriétaires ni commerçants, y sont dans des conditions identiques au point de vue de l'impôt.
[199] Au milieu de tant d'indépendance, le mineur libre des placers hésite a devenir un ouvrier à gages, bien que dans le pays un ouvrier se considère toujours, d'après les murs américaines, non comme le serviteur, mais comme l'égal de son patron. Cette tendance de l'ouvrier à ne vouloir dépendre que de lui-même donne lieu à une circonstance singulière, que révèle la présente monographie. Le mineur des placers gagne aujourd'hui sur son claim 8 à 10f au plus par jour de travail. Quand il se propose à un patron comme ouvrier à gages, sur une mine ou un moulin à quartz, enfin dans un établissement quelconque, il demande invariablement 12f50 à 15f au moins pour le prix de sa journée. Il prétend qu'un supplément de salaire doit compenser l'abandon de sa liberté. En effet, au service d'un patron, l'ouvrier devra travailler à des heures fixes, se soumettre aux caprices d'un autre, subir même certains règlements et une discipline quelconque, en un mot, porter un frein d'autant plus pesant, qu'il aura joui plus longtemps de son entière indépendance. Et puis il faudra renoncer à l'espérance de faire fortune, à la recherche active de l'or, au travail bruyant sur le claim, à toutes les émotions enivrantes du métier, pour gagner par jour 3 dollars, 15f, ni plus ni moins. Aussi, bien souvent las de porter des chaînes si prosaïques, l'aventureux mineur retourne à son claim, laissant brusquement son patron. La facilité là-dessus est des plus grandes, et patron et ouvrier se remercient d'ordinaire du jour au lendemain, parfois même sur l'heure, sans que ni l'un ni l'autre en soient le moins du monde offensés.
(H) Sur les diverses races de mineurs de la Californie.
Les différents mineurs de Californie se rattachent principalement aux nationalités suivantes : Anglo-Américains, Chinois, Mexicains et Chiliens, Français, Anglais et Irlandais, Allemands, Italiens.
Les Anglo-Américains, ou habitants des États-Unis, ont été les premiers à affluer en Californie. Seuls possesseurs du pays qu'ils venaient de conquérir, ils s'y installèrent en maîtres, et furent les premiers à profiter de la richesse alors si fabuleuse des placers. Peu nombreux aujourd'hui sur les claims, qui ne produisent plus assez pour satisfaire à leur amour immodéré du gain, ils ont apporté dans la recherche de l'or les qualités et les défauts de leur race.
[200] Ardents au travail, infatigables, faisant abnégation de tout, pourvu qu'ils arrivent à réussir, on les a vus s'installer hardiment sur les plateaux les plus déserts, et porter leurs tentes vers les ravins les plus éloignés. Eux seuls ont fait la Californie ce qu'elle est aujourd'hui ; et presque toutes les grandes entreprises de mines, d'usines, de canaux, de routes, de chemins de fer, de bateaux à vapeur, qui placent ce pays parmi les plus avancés du monde, sont l'œuvre des Américains ; les autres races en Californie n'ont fait que suivre et imiter leur exemple.
Mais, avec ses qualités, l'Américain a ses défauts. Peu ami de l'étranger qu'il jalouse, surtout s'il le reconnaît supérieur ; Américain quand même, et voulant seul régner chez lui, il s'est livré aux premiers jours à des actes de honteuses poursuites. Des Français, des Mexicains et des Chiliens, des Chinois en grand nombre, ont été attaqués sur des claims productifs, et des lutes en règle ont eu lieu. Le Français s'est vaillamment défendu. L'Espagnol, cédant d'abord, s'est ensuite vengé dans l'ombre. Le Chinois, faible et débile, a porté à lui tout seul le poids de tant d'injustices.
Le calme persistant qui s'est maintenant établi a amené une tranquillité, une sécurité dont on ne saurait se faire une idée. Toutes les luttes ont cessé, et l'Américain, qui a presque partout déserté les claims, s'est livré à l'exploitation des bois, à l'entreprise des transports, à la culture, au défrichement des terres. Les fonctions publiques lui sont réservées, et parmi les autres occupations qu'il affectionne dans les centres miniers, la direction d'un hôtel ou d'un bar (buvette) paraît borner son ambition.
L'Américain se reconnaît aisément en Californie. Grand de taille, haut en couleur, chiqueur déterminé, portant la barbe d'une coupe particulière, il est là ce qu'il est partout. Son fidèle revolver le suit toujours, compagnon invisible dont les effets ne se révèlent que trop aisément dans les disputes.
L'Américain professe pour l'eau-de-vie une amitié sans bornes. Il prend des drinks (boissons alcooliques) du matin au soir, et bien souvent il s'enivre, malgré son fort tempérament (D).
Après l'Anglo-Américain, c'est le Chinois qui domine en Californie. On a déjà vu à quel mépris y est condamné ce peuple de race jaune. Il est loin de mériter une pareille proscription. Le Chinois est industrieux, patient, bon travailleur, gai et joyeux de caractère, plaisant diseur de bons mots, John, c'est le nom générique que tout Chinois porte en Californie, se montre envers les blancs d'une politesse, d'une gracieuseté à toute épreuve. Il est très-sobre, et le riz parait faire le fond de sa nourriture habituelle. Fidèle [201] aux coutumes de son pays, John conserve la longue queue, son chapeau et ses habits nationaux, et il se chasse à la mode chinoise, quand il n'a pas les bottes du mineur. Il fume de l'opium ou du tabac de Chine dans une pipe de bois, et s'abreuve de thé. Son penchant pour l'eau-de-vie est assez prononcé, et la viande, mais surtout la chair du poulet, paraît aussi lui plaire beaucoup. On ne rencontre pas une cabane de Chinois qui ne soit entourée d'une armée de poules, et quand toutes ont été mangées, John court en acheter d'autres au village voisin.
Le Chinois est rarement d'une taille au-dessus de la moyenne ; il est grêle, d'un teint jaune pâle. Ses yeux en amande, ses pommettes saillantes, son nez camard, rappellent, à s'y méprendre, les Chinois de nos paravents. Quelques types un peu bronzés, probablement des Malais, se mêlent aux Chinois en Californie.
John n'a pas l'affection de l'Américain, et on l'accuse volontiers de vol et d'incendie. Ses ennemis mêmes prétendent que la peur salutaire qu'on lui a inspirée l'empêche seule de faire le mal, et que c'est un vaurien de la pire espèce. Toujours est-il que d'autres que les Chinois volent encore en Californie ; et bien qu'on ait partout éloigné les Chinois de tous les centres miniers, ou qu'on les y ait au moins tenus à distance respectueuse, les villes n'en brûlent pas moins comme autrefois. Coulterville a payé son tribut comme tant d'autres en 1859. Une seule nuit du mois d'octobre, après la longue sécheresse de l'été, a vu les trois quarts du village dévorés par un incendie.
Après le mineur chinois, il faut citer, sur les placers, les Mexicains et les Chiliens.
De race espagnole, mêlée souvent de sang indien, les Mexicains et Chiliens portent sur leurs traits la trace de leur origine. Les cheveux sont noirs et abondants, le teint bronzé, l'œil vif, plein de feu. D'une sobriété à toute épreuve, rappelant celle du Castillan, le mineur espagnol des colonies n'apporte aucun luxe dans son alimentation journalière. Le Chilien surtout semble se souvenir que dans les mines de son pays, le charqui, ou chair presque tannée, et les ligues sèches, 1orment la nourriture ordinaire du mineur. Les Chiliens et les Mexicains professent pour la cigarette un véritable culte. Chaque lavage de battée sur le claim, chaque coup de fleuret dans la mine, sont interrompus souvent par l'œuvre bien autrement importante de la confection, l'ignition et l'aspiration d'une odorante cigarette. Le Mexicain ni le Chilien n'entendent mourir à la peine, et prennent leur temps à l'aise. Laveurs élégants sur les placers, ouvriers d'habileté moyenne dans le travail du quartz, et, dans tous les cas, chercheurs de mines infatigables, [202] reconnaissant l'or à distance et comme au flair, peu leur importe de travailler pour eux ou pour un patron. Ils ne sont point ambitieux, et pourvu qu'ils gagnent de quoi vivre, là s'arrêtent tous leurs désirs. Dès qu'ils ont quelque argent, ils se reposent invariablement, même par compagnies entières, pour se livrer aux douceurs d'une sieste indéfinie. Ils sont très-joueurs, mais beaux joueurs, et la perte ne les fâche pas. Quand ils sont de la même colonie, ils vivent entre eux en assez bonne intelligence. Ils portent volontiers, planté dans la tige de leurs bottes, un long couteau ou machete qui leur sert de défense, et dont ils jouent avec habileté. Ils ne dédaignent pas non plus au besoin d'orner leur ceinture rouge du revolver californien.
Le Mexicain et le Chilien ne s'aiment guère, et se poursuivent, sur le sol neutre de la république californienne, de cette même inimitié que les citoyens des républiques espagnoles se vouent d'une colonie a l'autre. S'il fallait se prononcer entre eux, on donnerait volontiers la préférence au Chilien. Il est réservé, peu parleur, fidèle a sa parole et plus traitable que le Mexicain. Ce dernier a été souvent accusé de vol par les Américains ; mais il est difficile de dire à quel point cette assertion peut être fondée.
Le Mexicain et le Chilien exercent en Californie une industrie assez curieuse, celle de rattraper au lasso, ou nœud coulant, les mules et les chevaux échappés. Ils sont là-dessus d'une habileté surprenante, et ont appris ce jeu dans leur pays, où ils en font quelquefois un usage terrible, en enlevant au grand galop un cavalier sur son cheval.
Quant aux Français de Californie, il n'est pas besoin de les décrire ici, puisque c'est un Français que représente cette monographie. Qu'il nous suffise d'ajouter que le Français est généralement bon mineur de placer, c'est-à-dire au pic et à la pelle ; qu'il apporte dans son travail cette gaîté, cet esprit, cet entrain que tous les peuples lui envient et auxquels ils ne pourront jamais atteindre. Mais le Français découvre aussi en Californie les défauts de sa race. Il est changeant, inquiet, regrette son pays ; il ne sait pas toujours non plus s'accommoder, même comme ouvrier, à la rudesse et au sans-façon des mœurs américaines.
Les Anglais et les Irlandais sont nombreux en Californie.
Les Anglais, presque tous mineurs de quartz (blasters), sont d'une force et d'une capacité rares. Il viennent pour la plupart des mines du Cornwall ou des autres comtés miniers d'Angleterre, et nul mieux qu'eux ne sait tirer un coup de mine, nul ne connaît mieux l'attaque de la roche. Les Irlandais sont plutôt frappeurs [203] (strikers) que mineurs12; ils s'emploient aussi comme trieurs de quartz, et, dans les centres miniers, ils exercent diverses industries. Ils sont soigneux, doux de caractère et assez bons travailleurs.
Le mineur anglais a conscience de sa force et de son habileté, et accepte rarement de travailler dans les mines, à la journée ou à prix fait, à moins de 4 dollars, soit 20f par jour.
Quelques Anglais sont mariés, mais beaucoup n'ont pas de famille, et consacrent aux plaisirs faciles du camp voisin, surtout à la boisson, les sommes considérables que leur procure un salaire élevé, sur lequel ils ne prélèvent aucune épargne.
Anglais et Irlandais paraissent établis à tout jamais en Californie, les premiers parce qu'ils sont très-bons ouvriers et gagnent de très hauts salaires, les seconds parce qu'ils y sont bien moins malheureux qu'en Irlande, sous tous rapports, puisque l'exercice de la religion catholique est pratiqué en Californie à l'égal de toutes les autres religions. Anglais comme Irlandais sont du reste chez eux en Californie. Ils parlent la même langue, et ils ont à peu près les mêmes mœurs, le même caractère, le même type que les Anglo-Américains.
Les Allemands ont apporté en Californie leur esprit d'ordre et de soumission. Unis invariablement entre eux, ils ont montré, dès les premiers jours, dans le travail en grand de placers, une harmonie, une discipline des plus heureuses, et ils ont pu ainsi réaliser en masse de très-grands bénéices. Dans quelques centres miniers, ils ont un journal à eux, une musique, et vivent tous dans l'entente la plus parfaite. Leur culte pour la pipe et leur amour de la boisson ne les a pas cependant abandonnés. De même race que les Anglo-Saxons, ils se fondent facilement avec eux, et arrivent à parler très-aisément leur langue, ce que n'a pu parvenir à faire en Californie presque aucun des émigrés de race latine : Français, Espagnols, Italiens. San-Francisco, le haut commerce s'honore de plusieurs noms allemands, et la majeure partie des bons commis des principales maisons de la ville appartiennent aussi à la grande famille germanique. Ces commis se montrent là comme partout de remarquables polyglottes, et ils parlent souvent l'anglais, le français et l'espagnol avec autant de facilité que leur langue maternelle. Les Allemands ont à San-Francisco un cercle qui prospère, et ils y donnent, comme sur les placers, un exemple louable de l'esprit d'union et de fraternité qui les anime.
[204] Les Italiens sont peu nombreux aujourd'hui sur les mines de Californie. Ils se livrent plus volontiers au jardinage, au commerce de détail, et exercent dans le Pacifique, le long de la cote californienne, le métier de marins ou de pêcheurs, pour lequel ils semblent avoir, comme chez eux, une propension décidée. La plus grande partie des émigrés italiens appartiennent à la nationalité piémontaise.
Pour passe en revue, comme types, toute la population californienne, il resterait à parler des Canadiens, des Nègres et des Indiens.
Les Canadiens, presque tous Français, c'est-à-dire descendants des anciens colons du Canada, rappellent par leurs traits et par leur accent le type de la race normande, qui colonisa cette contrée. La plupart, bien que venus d'un pays depuis longtemps anglais, ne connaissent que la langue que parlaient leurs pères, et s'en ont gloire. Les Canadiens ne brillent pas sur les claims, mais sont de forts bons bûcherons, et la coupe comme la carbonisation du bois en forêt paraissent s'être concentrés dans leurs mains sur toute l'étendue de la Californie.
Les Nègres sont peu nombreux en Californie, dont le climat, quoique très-doux, n'est pas, en bien des points, assez chaud pour eux. Aussi la population noire n'atteint-elle guère que le chiffre de 3,000 âmes dans tout l'État californien. Sur les placers, on ne rencontre que quelques Negres, perdus comme au hasard, et exerçant les onctions de terrassiers. Dans les camps et les villes, ils remplissent volontiers les professions diverses de cuisiniers, garçons d'hôtel, baigneurs, savetiers, plâtriers, barbiers et blanchisseurs, qui leur semblent du reste invariablement acquises dans toute 1nion américaine. En Californie, comme ailleurs, le Nègre est gai, jovial, très-rieur comme un grand enfant qu'il est, ne sachant ce que c'est que l'épargne, ni le prix qu'il faut attacher à l'argent.
Il nous reste à parler de l'Indien. Son portrait a déjà été suffisamment esquissé (C) pour qu'il n'y ait pas à revenir sur ce point. Comme mineur, l'Indien est essentiellement vagabond, ainsi que dans tout ce qu'il entreprend. Il lave un jour ou deux aux lieux qu'il croit convenables et où il a découvert l'or, souvent le premier ; mais il ne s'installe nulle part. — Des Indiens de l'Océanie, surtout des Kanaques des îles Sandwich et Tahiti, émigrés en Californie, et plus avancés que les naturels du pays, ont lait aussi le métier de laveurs d'or sur des claims. C'était aux premiers temps de l'exploitation californienne, et ils paraissent avoir obtenu quelques résultats avantageux. Il en est depuis resté un grand nombre sur divers points ; mais il ne nous a pas été donné de les étudier, et nous ne saurions en parler autrement.
(I) Sur l'essor rapide de la civilisation en Californie.
[205] L'immigration californienne est aujourd'hui un fait terminée en Europe ; mais elle se poursuit toujours pour les États-Unis et elle se continue d'une manière très-sérieuse. En 1859, sur un nombre total de 39,183 voyageurs entrés en Californie, il n'en est sorti que 25,781, d'où une augmentation de plus de 13,400 individus restés dans le pays. Si l'on tient compte en outre de l'élévation naturelle des naissances sur les décès, qui est au moins d'un pour 100 pour un pays aussi sain que la Californie13, c'est encore 6,000 habitants dont cet État a du s'accroître en 1859, en tout près de 20,000 habitants. Ce mouvement ascensionnel de la population californienne se continue depuis les preiers jours, et, tous les ans, la Californie va se peuplant davantage. Les résultats sont faciles à prévoir. Les individus qui s'en vont, plus pauvres souvent qu'ils ne sont venus, sont les Chinois, qui avec raison, il faut le dire, se trouvent assez maltraités dans le pays ; les Mexicains et les Chiliens, dont le calme oriental ne saurait s'accoutumer à une activité qu'ils ne comprennent pas, et qui n'est pas d'ailleurs dans leur nature ; les Français, mécontents, comme nous l'avons dit, mécontents de n'avoir pas fait fortune, mécontents de ne pas rencontrer autour d'eux cette vie douce, calme et tranquille, cet ensemble de plaisirs, de bonnes manières et d'agréables relations, auxquelles la France les avait accoutumés. Mais l'Américain reste et s'enrichit tous les jours ; la race anglaise, la race germaine, se fondent dans la race américaine, avec laquelle elles ont déjà tant de points de ressemblance. De ce fait résulte l'accroissement progressif d'un État qui deviendra grand et puissant par-dessus tous, d'un État à la naissance duquel l'Europe n'a prêté qu'une attention distraite, et dont elle ne semble pas soupçonner encore les immenses progrès. En attendant le chemin de fer inter-océanique, entre San-Francisco et New-York, l'une des plus grandes distances qu'on puisse parcourir par terre sur le globe, est à cette heure peut-être décrété. Par une ligne de bateaux à vapeur sur le Japon et la Chine, la Californie donnera ensuite [206] la main à ce monde asiatique, le berceau du globe, et vers lequel, depuis les premiers temps de l'histoire, paraît tendre le monde européen. San-Francisco va se trouver sur la grande route de Paris à Canton, route nouvelle qui va s'ouvrir peu à peu, et la reine du Pacifique pourra bien devenir un jour l'une des reines du monde commercial.
Notes
1. Le mot placer est espagnol, et signifie, dans ce cas, banc de sable ou de gravier, dépôt d'alluvion, etc.
2. La yedra, arbuste vénéneux, produit, quand on la touche, des effets singuliers sur l'organisme : ainsi la peau rougit, se gonfle et se couvre souvent de boutons. Ces effets se produisent quelquefois, même à distance, sur certaines personnes impressionnables, et l'on a vu souvent le mal se localiser sur la face ou d'autres parties du corps. Portée à la bouche, une feuille de yedra peut complètement empoisonner. Le mot yedra est espagnol, et signifie lierre, mais la yedra n'a aucun rapport avec ce dernier arbuste.
3. Entre autres la perdrix huppée, que l'on ne connaît pas en France.
4. De l'espagnol batea, plat.
5. Un pareil entraînement vient de se reproduire, bien que sur une moins grande échelle, pour les mines d'argent découvertes en octobre 1859, à Carson Valley et Washoe Lake, sur le territoire de l'Utah, limitrophe de la Californie. Dès que la fonte des neiges de la Siera-Nevada a pu le permettre, des compagnies entières de mineurs et de marchands sont partis pour l'Utah, et depuis le printemps de cette année un déplacement très-actif se continue de la Californie vers ces contées. Il est à souhaiter que ce nouvel excitement, dont le gouvernement français lui-même s'est ému, parce qu'il intéresse la production de l'argent, ne devienne pas le triste pendant de celui de Fraser River.
6. Sur les bâteaux à vapeur qui partent de Panama à San-Francisco les voyageurs de Californie, souvent par 15 ou 1,800 passagers à la fois, il n'est pas rare de voir quatre à cinq étrangers faire plus de bruit par leurs plaintes, leur cris ou leurs disputes, que tous les Américains réunis.
7. Un journal américain écrivait, à propos de ces renvois d'ossements eu Chine, que le Chinois était une excellente marchandise, contre laquelle on avait tort de tant crier : Nous l'importons à l'état brut, disait-il, c'est-à-dire vivant, et nous l'exportons à l'état manufacturé, quand il est mort.
8. M. de Tocqueville explique très-bien, dans son bel ouvrage de la Démocratie en Amérique, cette puissance morale laissée au magistrat américain, et l'influence politique qui en découle. Voir t. I, ch. vi, du Pouvoir judiciaire, etc.
9. Coulterville, qui ne renferme qu'un groupe de 400 à 450 habitants, contient au moins 12 à 15 buvettes, c'est-à-dire à peu près une par 30 habitants. Il est évident que chaque habitant, pour sa part, doit boire au moins une ou deux fois par jour à la buvette, sinon elles ne feraient pas toutes d'aussi brillantes affaires. — « Will you take a drink, voulez-vous prendre un verre? » est la première parole qu'on s'adresse en Californie après la vigoureuse poignée de main d'usage, et il n'est jamais de bon ton de refuser. Un véritable Yankee boit ainsi du matin au soir toutes sortes de compositions alcooliques, et justifie de tout point qu'il est, d'après l'expression anglaise, un homme capable de quatre bouteilles, a four bottle man.
10. Pour arrêter les maux provenant en Californie de la rareté excessive des femmes, et surtout de femmes honnêtes, une miss américaine, hardie comme il y en a tant, avait imaginé à New-York une émigration d'un nouveau genre. Elle fit publiquement appel à toutes ses compagnes de bonne volonté, leur promettant en Californie les plus beaux mariages, si elles consentaient seulement à y venir. Une des clauses pour être admises à ce curieux voyage était d'avoir vingt-cinq ans révolus, et de quoi payer les frais d'un bateau à vapeur mis galamment à la disposition des gracieuses pèlerines. La voix de la demoiselle en question n'eut aucun écho ; ce qui peut au moins paraître surprenant dans un pays comme les États-Unis, qui ont acclamé Barnum, le fameux mystificateur, et où l'on voit d'ailleurs tant de choses si originales se produire tous les jours. Serait-ce que pas une de ces demoiselles à qui l'on s'adressait n'ait osé avouer vingt-cinq ans accomplis? Toujours est-il que l'entreprise échoua, et que la Californie tout entière en est encore à désirer les 300,000 femmes qui lui manquent pour faire le pair avec le nombre des hommes.
11. De l'espagnol pepita, pépin, petit noyau. L'or natif prend le nom de pépite à partir de la grosseur d'un pois. Les paillettes, plaquettes et aiguilles, composent au contraire ce qu'on nomme la poudre d'or.
12. On appelle ainsi l'homme qui frappe sur le fleuret, pendant que le mineur le tient dans le trou.
13. On nous objectera qu'il y a très-peu de femmes eu Californie, relativement au nombre des hommes. À cela nous répondrons que l'âge des hommes s'y trouvant compris entre 25 et 40 ans, les chances de mortalité sont minima, et il y a compensation. En outre, presque toutes les femmes venues en Californie sont jeunes et nubiles, et les mariages sont très-féconds par une foule de causes particulières.