N° 6.
NOURRISSEUR DE VACHES
DE LA BANLIEUE DE LONDRES
(MIDDLESEX — ANGLETERRE)
(Ouvrier chef de métier dans le système du travail sans engagements)
D'APRÈS LES
RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN AVRIL 1857
PAR
M. E. AVALLE PP.
Sommaire
- Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille
- Notes
- (A) Sur l'industrie de nourrisseur de vaches, dans la banlieue de Londres.
- (B) Sur le régime de la taxe des pauvres dans la ville de Londres.
- (C) Sur le repos du dimanche dans la banlieue de Londres.
- (D) Sur la part prise par l'ouvrier aux élections de 1857.
- (E) Sur l'industrie des sous-locations dans les faubourgs de Londres.
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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille
I. Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1ᵉʳ. — État du sol, de l'industrie et de la population.
[263] La demeure de la famille décrite dans la présente monographie est située dans la paroisse de Lambeth, l'une des plus grandes subdivisions de Londres, s'étendant sur une superficie de 1,400 à 1,500 hectares, au sud-ouest de la Cité proprement dite, et renfermant environ 240,000 habitants.
La population de cette paroisse, l'une des plus pauvres de Londres, est composée surtout d'ouvriers qui y sont attirés par la [264] proximité du centre de l'activité industrielle et commerciale. Il y existe depuis un temps reculé de vastes fabriques de poteries très-renommées et qui entretiennent aux alentours une atmosphère chargée de fumée.
Les rues principales ou roads sont d'ailleurs bordées de demeures élégantes habitées par des personnes aisées que leurs occupations de tous genres appellent chaque jour au centre de Londres. Cette population, qui s'accroît sans cesse, donne lieu à un commerce important de denrées de toute nature. Au milieu d'elle se sont établis de nombreux fournisseurs qui vont s'approvisionner aux grands marchés de la capitale. Ce faubourg ne produit en effet rien par lui-même ; les terrains qui s'étendent derrière les habitations sont convertis en jardins d'agrément et tendent journellement à se couvrir de nouvelles constructions. Le sol y est d'un prix élevé et se loue avantageusement à des entrepreneurs de bâtiments qui le prennent à baux très-longs, appelés building leases. Une seule compagnie de ces entrepreneurs se charge souvent d'élever une série de trente à quarante maisons toutes semblables. Ainsi s'explique l'agrandissement continuel de la ville de Londres, la régularité si remarquable de ses rues, et l'absence de toute culture, même maraîchère, aux abords de cette grande ville. Il faut aller à une quinzaine de kilomètres environ de la Cité proprement dite pour trouver des jardins potagers dont les productions servent en partie à ses approvisionnements quotidiens. Parmi les denrées alimentaires, le lait est peut-être la seule qui soit produite sur place. Les nourrisseurs de vaches sont assez nombreux dans ces faubourgs, et même dans la ville ; mais loin d'être, comme beaucoup de ceux de la banlieue de Paris [les Ouv. europ. XXV (B) (C)], des propriétaires exploitant leurs vaches sur des terres qui leur fournissent la nourriture de ces animaux, les nourrisseurs proprement dits des faubourgs de Londres ne possèdent le plus souvent aucune prairie pouvant servir à la pâture des vaches ou à la culture des plantes qui leur sont nécessaires. Ils sont donc obligés d'acheter toute la nourriture de leurs bestiaux; mais ils trouvent une compensation avantageuse à cet état de choses dans le voisinage des grandes brasseries de Londres, qui leur fournissent l'orge germée ayant servi à la fabrication de la bière. Ce marc, désigné en France sous le nom de drèche, est justement considéré comme une nourriture saine et particulièrement favorable aux vaches laitières. On peut penser que cette circonstance a principalement attiré ces industriels dans des faubourgs qui, sous beaucoup de rapports, sembleraient devoir être peu convenables à ce genre d'exploitation.
Le type décrit dans la présente monographie est un nourrisseur [265] d'un de ces faubourgs, et il représente assez exactement cette classe nombreuse d'ouvriers chefs de métier, dont l'industrie est généralement lucrative.
§ 2. — État civil de la famille.
La famille se compose comme il suit :
1.George P**, chef de famille, né à Kentish-Town, faubourg de Londres, marié depuis 7 ans, âgé de............ 28 ans.
2.Mary Ann J**, sa femme, née à Milton (Suffolk), âgée de............ 26 —
3.Margaret P**, leur fille aînée............ 5 —
4.Julia P**, deuxième fille............ 3 —
5.Eliza P**, troisième fille............ 8 mois.
Les parents des deux époux existent encore et vivent, les uns et les autres, de leurs propres ressources, et sans imposer aucune charge au jeune ménage.
§ 3. — Religion et habitudes morales.
La famille appartient à la religion anglicane réformée, mais elle n'en observe pas les pratiques. Les parents de l'ouvrier, très-indifférents à cet égard et beaucoup plus préoccupés des intérêts temporels et des affaires journalières, ne prirent aucun soin de l'éducation religieuse de leur fils et lui laissèrent sous ce rapport la plus complète liberté morale pendant toute son enfance. Dans les écoles qu'il fréquenta plus tard, il continua de vivre dans la même insouciance, assistant par habitude, mais sans y prendre réellement part, aux exercices religieux du dimanche. La coutume adoptée par les anglicans de ne faire la première communion qu'à l'âge de dix-sept ou dix-huit ans a eu pour conséquence de faire trop souvent négliger cet acte de dévotion par les jeunes gens appartenant à la classe ouvrière; c'est ce qui arriva pour George P**. Livré à lui-même dès l'âge de seize ans, époque de son entrée en apprentissage, il renonça promptement, sous l'influence des ouvriers qu'il fréquentait, à l'usage de toute pratique religieuse (les Ouv. europ. XXII, XXIII, XXIV, XXV § 3).
L'ouvrier a d'ailleurs une tenue convenable et une certaine distinction dans ses manières. Il traite sa femme avec égards, et montre dans ses affaires une volonté énergique sans dureté. Ses habitudes laborieuses, en lui laissant peu de temps libre, l'ont garanti de [266] tout entraînement fâcheux. Le trait saillant de son caractère est un esprit d'indépendance très-développé, qui n'exclut pas d'ailleurs une certaine déférence pour les supériorités sociales et n'engendre aucun sentiment de haine envieuse, mais donne au contraire une véritable délicatesse à ses sentiments. Sa qualité d'électeur (§ 5) l'oblige à s'occuper de politique, au moins durant les périodes électorales (D) : il vote alors pour les candidats de l'opinion libérale (whig) ; mais en dehors de ces périodes il ne songe qu'à son industrie.
La femme, née et élevée à la campagne par des parents plus religieux que ceux de son mari, a suivi assez assidûment les exercices du culte jusqu'à l'époque de son mariage ; mais depuis lors elle a subi l'influence de l'ouvrier et commence à partager son indifférence à cet égard; elle a tenu cependant à ce que ses enfants fussent tous baptisés, quoique son mari trouvât ce sacrement inutile.
D'un caractère doux et conciliant, d'une pudeur remarquable, elle possède à un très-haut degré le sentiment de ses devoirs d'épouse et de mère ; elle est très-soumise à son mari, s'en rapportant à lui pour tout ce qui concerne la direction des affaires, et malgré les durs travaux de sa maison, elle a nourri elle-même tous ses enfants, avec le sentiment qu'elle remplissait un devoir maternel, et sans songer même aux fatigues qu'il lui imposait.
Les connaissances intellectuelles de l'ouvrier comprennent l'écriture, les premiers éléments de l'arithmétique, de la géographie et de l'histoire d'Angleterre, et quelques données très-vagues sur l'histoire naturelle.
L'instruction de la femme est analogue à celle de l'ouvrier, mais un peu plus restreinte.
Malgré son indifférence religieuse, la famille a des sentiments de droiture et d'honnêteté qui la maintiennent à un certain niveau d'élévation dans la société ; l'ambition des deux époux est d'arriver, tout en élevant leurs enfants convenablement, à se créer une position indépendante qui les mette à l'abri du besoin dans leurs vieux jours ; ils consacrent tout leur temps et travaillent sans relache à l'accomplissement de cette tâche.
L'ordre et l'économie règnent dans leur maison, sans en exclure le bien-être nécessaire à des personnes travaillant beaucoup ; l'ouvrier ne fait qu'un usage modéré des liqueurs fortes, en comparaison de ce qui se consomme habituellement dans les familles d'ouvriers anglais. Il s'enivre très-rarement et seulement lorsqu'il y est entraîné par l'exemple dans des occasions exceptionnelles.
La femme se montre bonne ménagère, elle s'attache à maintenir un air de propreté dans la maison, ce qui est assez difficile en raison [267] du peu d'espace et de la quantité d'objets qu'elle contient. Elle montre avec une certaine fierté les principales pièces de porcelaine de table rangées symétriquement sur des planches au-dessus du dresser ou table de cuisine. Son grand désir serait d'avoir une pièce séparée qu'elle pût conserver propre et où elle se tiendrait le plus souvent avec ses enfants ; mais le principe d'économie s'est opposé jusqu'à présent à l'exécution de ce dessein.
Enfin la famille, qui est douée d'un penchant prononcé pour l'épargne et qui a traversé des moments difficiles, est dans une voie de prospérité rapide où elle ne s'arrêterait que par des circonstances tout à fait imprévues [les Ouv. europ. XXXV (B)].
§ 4. — Hygiène et service de santé.
La maison habitée par la famille, se trouvant à l'extrémité de la paroisse de Lambeth et assez éloignée du cours de la Tamise, échappe aux émanations malsaines et insalubres dont cette localité a la réputation de subir l'influence (§ 1ᵉʳ). Elle a l'avantage de ne pas être entourée complètement de maisons, elle donne d'un côté sur une grande rue et de l'autre sur des jardins; la famille y jouit d'une santé excellente, les enfants sont très-robustes et ont surtout une fraîcheur de teint remarquable et que les parents attribuent à l'habitude adoptée dans toutes les familles anglaises de ne vêtir les enfants que très-légèrement et de les laisser courir en toutes saisons nu-tête et quelquefois même nu-pieds. Ils jouent constamment dans la cour située derrière l'habitation et dont la salubrité est due au voisinage de l'étable.
La famille a rarement besoin d'avoir recours au médecin ; dans le cas où il est appelé, c'est lui-même qui fournit les médicaments, au lieu de se faire rétribuer pour ses conseils. Indépendamment des inconvénients d'un pareil mode de rémunération pour la dignité du médecin et la complète impartialité de ses prescriptions, cette habitude, généralement adoptée en Angleterre par la classe moyenne et la classe ouvrière, a un funeste résultat ; les familles n'ont recours aux conseils de la science que dans les dernières extrémités et lorsque déjà la maladie a fait des progrès rapides ; elles préfèrent, comme l'auteur a pu l'observer ici, faire usage de leurs propres notions de médecine, et aller chercher chez le pharmacien les médicaments dont elles ont besoin.
Dans la famille présentement étudiée, la dépense moyenne pour les remèdes fournis par le médecin ou achetés directement s'élève annuellement à 18f75.
[268] Les enfants n'ont encore eu aucune des maladies ordinaires de l'enfance. L'ouvrier a été victime de quelques accidents ; il a reçu un coup de pied de cheval, qui d'ailleurs n'a pas amené de suites fâcheuses ; il a été renversé deux fois de voiture, mais il en a été quitte pour quelques contusions assez fortes.
Les conditions d'hygiène qui entretiennent la bonne constitution de la famille sont une nourriture saine et régulière, l'exercice continuel pris par l'ouvrier, la bonne situation de l'habitation, et les promenades en voiture que la famille fait souvent le dimanche soir, une fois le travail terminé (§ 11).
§ 5. — Rang de la famille.
L'ouvrier appartenait avant son mariage et pendant les premiers mois qui le suivirent à la catégorie des ouvriers salariés, travaillant tantôt à la journée, tantôt à la tâche ; son esprit indépendant, joint à des circonstances heureuses dont il a su profiter (§ 12), l'a peu à peu conduit à une position sociale plus élevée. Doué d'un caractère ferme et entreprenant, il a une entière confiance dans l'avenir de son exploitation ; actif et courageux, il ne craint pas de se charger d'un travail excessif; il possède enfin des qualités qui assurent presque toujours le succès d'une industrie, et tout fait présumer que la famille jouira dans l'avenir d'une position aisée.
Quant à présent, George P** est parvenu au rang d'ouvrier chef d'industrie, car la vente des produits de sa vacherie, qu'il exploite de ses mains et avec le concours de sa famille, est la source principale des bénéfices qui assurent son existence et celle de sa femme et de ses enfants. Comme tenancier d'une location qui excède 250f (10 livres sterling) (D), l'ouvrier jouit des droits électoraux pour concourir à nommer les membres du parlement. Il a en outre le titre de freeman (citoyen communal) [les Ouv. europ. XXIV (A)], comme membre de l'honorable Compagnie des Épiciers (the Worshipful Compagny of Grocers). Son père appartenait déjà à cette corporation, et dès lors il lui a suffi d'un premier versement de 125f pour y être admis également. Cette admission impliquait l'obligation. de prêter le serment de fidélité à la reine et à la constitution. Il pourrait attendre de cette affiliation des secours importants en cas de détresse (§ 13), mais il n'attache d'importance qu'au rang que cela lui assure dans la société anglaise, et particulièrement à son titre de freeman. C'est là une satisfaction chère à ses goûts d'indépendance personnelle.
La femme a aussi contribué puissamment à la prospérité de [269] l'œuvre commune par son activité laborieuse et par sa persévérante fermeté dans les moments difficiles ; ses qualités de femme et de mère assurent la paix du foyer domestique, font naître l'affection des enfants pour elle et son mari, et maintiennent l'union, si désirable entre les différents membres de la famille. Sous le rapport industriel, sa connaissance parfaite de l'état de nourrisseur a été d'un grand secours pour son mari lorsque celui-ci acheta sa première exploitation. Elle le seconde utilement dans tout ce qui concerne la laiterie proprement dite.
II. Moyens d'existence de la famille
§ 6. — Propriétés.
(Mobilier et vêtements non compris.)
Immeubles : l'ouvrier ne possède que quelques constructions attenant à son habitation et servant à son industrie............ 350f 00
1 hangar mesurant 8m de longueur sur 3m de large et 2m de hauteur, couvert en tuile et servant à serrer les foins, les outils et le matériel spécial de l'exploitation, 200f 00.
1 construction en pierre pour serrer les grains, mesurant 2m 9 de superficie, 150f00.
Argent............ 325 00
Une somme de 7f est gardée au logis ; elle sert à faire face aux besoins journaliers de la famille et se renouvelle continuellement ; il arrive cependant que la famille possède quelquefois une somme plus grande, dans le cas, par exemple, de l'approche de l'échéance d'un billet à payer ; mais alors elle est religieusement mise de côté jusqu'à l'acquittement de la dette, 75f00. — Il faut ajouter à cette somme l'argent dû, en moyenne, par les clients, principalement des petits marchands, 250f 00.
Animaux domestiques entretenus toute l'année............ 4,200 00
1° Bêtes à cornes. — 7 vaches laitières, 3,500f 00.
2° Animaux divers. — 2 chevaux, 700f 00.
Animaux domestiques entretenus une partie de l'année............ 6 00
10 lapins entretenus pendant 4 mois de l'année et consommés par la famille ; valeur calculée pour l'année, 6f 00. Les lapins sont achetés très-jeunes et nourris avec de [270] l'avoine, des feuilles de légumes et des résidus des aliments de ménage; on les tue quand ils commencent à grossir.
Matériel spécial des travaux et industries............ 891f 09
1° Exploitation des vaches laitières. — 2 barattes en fer battu pour porter le lait, 56f 25 ; — 15 boîtes à lait de différentes grandeurs, variant depuis 0k25 jusqu'à 2 litres environ, 14f 99 ; — 3 grandes jarres en grès, 5f 55; — 2 hand kettles (espèces de seaux en fer battu), 20f 00 ; — 1 seau en bois pour traire les vaches, 800; 1 tabouret, 1f 40 ; — 1 fourche, 3f10; — 2 pelles en fer, 6f 20 ; — 1 brouette. 15f 00 ; — 2 paniers pour transporter l'orge, 5f 00; — 3 harnais complets, 15f 00; — 2 petites voitures découvertes à deux roues (espèce de char à banc), 500f 00; — 2 fouets, 6f25. — Total, 796f 74.
2° Outils d'ébénisterie (actuellement sans usage). — 3 scies à main, 17f 50 ; — 6 rabots de diverses grandeurs, 41f85 ; — 3 ciseaux, 3f 75 ; — 2 vilebrequins, 20f 00; — 3 marteaux, 3f 75 ; — 3 maillets en bois, 7f50. — Total, 94f 35.
Valeur totale des propriétés............ 5,772f 09
§ 7. — Subventions.
La famille décrite ici se suffit complètement à elle-même ; on ne peut mentionner à titre de subventions que quelques cadeaux de vêtements donnés aux enfants par leurs grands parents paternels et maternels.
Il convient de noter cette absence des ressources rangées sous le titre des subventions. C'est, d'une part, un des traits habituels de la vie des ouvriers dans les grandes villes ou dans leur voisinage. D'une autre part, dans le cas présent, l'ouvrier jouissant d'une position prospère n'en ressent aucune fâcheuse conséquence, et sous ce rapport, comme sous plusieurs autres, il se rapproche de la classe bourgeoise.
§ 8. — Travaux et industries.
Travaux de l'ouvrier. — Le travail de l'ouvrier comprend les occupations multiples de son exploitation, telles que traire les vaches; leur donner, ainsi qu'aux chevaux, la nourriture et les soins de propreté ; nettoyer l'étable ; répartir le lait dans les différentes boîtes et en faire lui-même la distribution dans sa clientèle. Ces occupations déjà si nombreuses sont encore augmentées, pendant les cinq mois de la belle saison, par le trajet qu'il doit faire deux fois par jour pour aller traire ses vaches à la ferme de Merton, distante de douze [271] kilomètres (A). Ces courses journalières, faites en voiture pour le transport du lait, lui permettent en même temps d'acheter et de rapporter chez lui une grande partie des provisions nécessaires à la nourriture de la famille. Dans ses rares moments de loisir, il fait quelques petites réparations à son mobilier et à son habitation.
Travaux de la femme. — La femme s'occupe spécialement, pendant la journée, de la vente en détail du lait aux personnes qui viennent le chercher chez elle. C'est elle aussi qui, le soir, nettoie tous les ustensiles qui ont servi dans le jour au transport du lait. Une grande partie de son temps est en outre employé aux soins que réclament les enfants, aux travaux du ménage, au blanchissage des vêtements et du linge, ainsi qu'à l'entretien et à la confection des vêtements de la famille. Le surcroît d'occupations que lui donne encore le plus jeune enfant qu'elle allaite, l'oblige à prendre quelquefois une petite fille pour l'aider dans ses soins maternels.
Comme occupation secondaire, la famille se plaît aussi à élever quelques lapins destinés à la nourriture du ménage.
III. Mode d'existence de la famille
§ 9. — Aliments et repas.
La nourriture de la famille consiste principalement en pain de froment ; en viande de boucherie, de porc ; en pommes de terre ou quelques autres légumes verts ; en thé, sucre et bière.
Elle fait régulièrement quatre repas par jour en hiver, et trois en été, savoir :
Déjeuner (six heures du matin), composé d'une infusion de thé avec sucre, mélangée d'un peu de lait ; pain et beurre. Quelquefois, mais rarement, on remplace le thé par du cacao cuit à l'eau, nourriture saine et peu dispendieuse, composée d'un mélange de cacao pilé et de farine.
Dîner (onze heures du matin) : viande rôtie ou grillée, accompagnée de pommes de terre bouillies ou de quelques légumes verts cuits à l'eau, pain en petite quantité ; la viande est remplacée assez souvent par du poisson de mer ou par des œufs frits avec du lard. On fait suivre assez ordinairement le premier plat d'un [272] pudding accommodé dans une petite terrine avec du riz déjà bouilli, des œufs et du lait, et cuit au four ; ou bien d'une tarte aux fruits ou à la rhubarbe. En hiver et au printemps on remplace ce second plat par du fromage de Chester ou de Gloucester.
Pour boisson, la famille consomme une bière noire appelée porter.
Goûter (quatre heures) ; ce troisième repas composé d'une infusion sucrée de thé avec du lait, du pain et du beurre, et très souvent on y joint du cresson avec du sel ; car la famille aime beaucoup cette herbe.
Souper (huit heures), en hiver seulement ; on y mange tantôt des restes du dîner, tantôt quelques œufs frits, mais assez souvent il se compose simplement de fromage avec du pain ; la boisson consommée à ce repas est encore du porter.
En été, la famille, se couchant avant huit heures, ne fait pas de souper ; mais alors elle prend, avec le thé, quelques aliments provenant des restes du dîner, ou bien des œufs cuits à la coque.
Entre les repas, les enfants consomment une assez grande quantité de lait pur, et les parents attribuent en partie la santé vigoureuse dont ils jouissent à cette nourriture bienfaisante.
§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.
La maison occupée par la famille est construite en briques ; elle se compose d'un sous-sol, d'un rez-de-chaussée élevé de six marches, et d'un premier étage. Il y a deux pièces par étage ; chaque pièce est éclairée par une croisée ; s'ouvrant l'une sur la rue, l'autre sur la cour. Le sous-sol, où l'on descend par un escalier en bois de dix marches, est de plain-pied avec la cour ; la pièce de devant, qui prend jour sur la rue, sert de cuisine et de salle à manger : la famille s'y tient constamment ; l'arrière-pièce sert de dépôt à tous les ustensiles de la laiterie et contient un cuvier pour le blanchissage des effets et le nettoyage des pots à lait.
Le rez-de-chaussée est loué sans être meublé à une tierce personne, cette sous-location, conforme aux habitudes de la population des faubourgs de Londres, augmente les bénéfices de l'industrie principale de l'ouvrier.
La première pièce du premier étage sert de chambre à coucher à tous les membres de la famille. Le père et la mère occupent un lit avec leur plus petite fille encore à la mamelle ; les deux autres filles couchent dans un second lit plus petit ; la pièce de derrière sert de débarras pour placer les meubles dont la famille ne se sert pas.
[273] Dans la cour qui s'étend derrière la maison, et qui a 40 mètres de long sur 7 de large, se voit un hangar en planches couvert de tuiles, servant à contenir les provisions pour la nourriture des vaches ainsi que les divers instruments de l'exploitation : cette construction, exécutée aux frais de l'ouvrier, lui a coûté 150f.
A côté du hangar se trouve l'étable appartenant à la maison : elle est en planches, couverte de tuiles, adossée au mur mitoyen, et elle n'a que 10m de long, 3m de large et 1m70 de hauteur ; mais elle est si mal construite et si exiguë pour le nombre des vaches, que l'ouvrier se propose d'en faire bâtir une plus spacieuse aussitôt que ses moyens le lui permettront.
L'ouvrier a fait également construire, moyennant 200f, un appentis en pierres de 2m carrés pour contenir la provision d'orge fermentée qui sert à l'alimentation des vaches ; il le recouvre avec des planches quand la pluie est trop abondante. La cour n'est pas pavée, mais le terrain en est bien battu et ne comporte aucune culture ; elle communique par une porte de derrière avec une rue adjacente qui sert pour l'entrée de la voiture.
L'ouvrier a pris la maison en location avec un bail de seize ans, à la charge d'y faire toutes les réparations nécessaires ; il a pu ainsi l'obtenir à un prix assez modéré (450f). Les dépenses causées par les réparations s'élèvent par an, en moyenne, à 40f.
Le mobilier comprend un assez grand nombre de meubles, achetés pour la plupart d'occasion à l'époque du mariage ; mais, comme l'ouvrier a sous-loué le rez-de-chaussée, il est obligé d'en tenir en magasin plusieurs, dont il ne fera usage que lorsqu'il se sera décidé à reprendre cette partie de la maison.
Les vêtements des deux époux étaient très-recherchés au moment de leur mariage, mais ils les ont remplacés, à mesure qu'ils se trouvaient usés, par d'autres plus simples et de plus longue durée; ils ont reporté sur leurs enfants leur goût de toilette ; ceux-ci sont vêtus avec une certaine élégance et une grande propreté, que l'on rencontre rarement dans les familles d'ouvriers anglais.
Meubles. Ils sont solides, entretenus avec soin, et plus que suffisants pour les besoins de la famille............ 852f 25
1° Lits. — 1 lit à colonnes, en bois peint, 25f 00 ; — 1 matelas en laine, 25f 00; — 2 lits de plume donnés par les parents de la femme, 125f 00 ; — 2 oreillers de plume, 17f 50 ; — 1 traversin en bourre de coton, 3f 75 ; — 4 couvertures de laine données par les parents, 62f 50 ; — 2 couvre-lits en étoffe de coton à grosses côtes, 30t 00 ; — 1 lit en bois peint pour les deux filles aînées, 15t 00 ; — 1 matelas en laine et en bourre de coton mélangées, 15f 00 ; — 1 matelas tout en coton, 12f 50; — 1 traversin et 2 oreillers en bourre de coton, 10f 00; — 2 couvertures de laine, 25f 00; — 1 petit lit [274] en bois, en mauvais état, pour la petite fille pendant le jour, 5f 00 ; — 1 petit lit de plume, 5f 00; — 1 couverture de coton, 1f 00. — Total, 377f23.
2° Mobilier de la chambre à coucher. — 1 commode en acajou, a trois tiroirs 38f 00; — 2 chaises en canne, 10f 00; — 1 table de toilette en bois peint et sa garniture complète en faïence à fleurs bleues, 25f 00; — 1 grand miroir à chevalet, en acajou, 10f 00 ; — 1 garde-cendres en fonte, 3f 75 ; — 1 tapis de lit, 7f 50; — 1 paire de rideaux de fenêtre en basin blanc avec franges et 1 paire de rideaux pour le lit, 13f 00; — 2 petits rideaux de mousseline, 1f 25; — 2 lithographies (intitulées le Premier et le Dernier Appel) encadrées, reçues en cadeau, 15f 00. — Total, 122f50.
3° Chambre-magasin. — 6 chaises en acajou, recouvertes en étoffe de crin, 2 fauteuils, 1 canapé-sopha acheté dans une vente, 200f 00; — 1 table en acajou, 15f 00; — 2 tapis de table, 8f 75; — 1 garde-cendres, 10f 00; — 5 malles pour serrer les habits, 10f 00. — Total, 243f73.
4° Chambre servant de cuisine. — 1 établi jadis employé par l'ouvrier, recouvert d'une toile cirée et converti en une table, 20f 00; — 1 chaise haute en acajou pour l'enfant, reçue en cadeau, 10f 00 ; — 1 gade-cendres, pelle et pincettes, 13f75 ; —1 tapis en fibres de noix de coco, 17f 50 ; — 1 boite à ouvrage, 5f 00; — 4 tableaux, 1 paysage lithographié, le portrait d'une sœur au crayon, 1 cheval et une étude de tète, 8f 75 ; — 1 table ronde en acajou et 1 tapis, 27f 30. — Total, 102f 50.
5° Livres. — 1 Histoire naturelle, abrégé de Buffon, en anglais, 2f 50,; — 2 Bibles, 2f 50 ; — 1 Livre de prière, 1f 25. — Total, 6f 25.
Ustensiles : Simples mais soigneusement entretenus et assez abondants............ 150f 40
1° Pour la préparation et la consommation des aliments. — Ils sont solides et achetés pour faire un long usage ; la vaisselle est en faïence ordinaire blanche, à fleurs bleues.
1 grand plat, 0f 95 ; — 2 douzaines d'assiettes, 6f 20; — 1 douzaine de petites assiettes, 135 ; — 2 plats creux à couvercles, pour légumes, 4f 35; — 3 plats creux pour puddings, 3f 75; — 6 tasses à thé avec soucoupes, 5f 00 ; — 2 grandes tasses, 1f 95 ; — 1 théière en métal, 7f 50; — 3 tasses pour les enfants, 0f30 ; — 3 plateaux en tôle peinte, 8f 40; — 12 verres en cristal, 7f 50; — 4 petits verres à pied en cristal, 2f 50; —1 carafon en cristal taillé, 3f 10; —1 boîte à thé en bois d'acajou, (reçue en cadeau) 15f 00; — 6 couteaux et 6 fourchettes en fer, 8f 10; — 1 couteau à découper et 1 fourchette à manche de corne, 5f 60; — 1 cuiller à thé en argent, 7f 50; — 6 petites cuillers en alliage, 1f 85; — 5 casseroles en fer et 1 bouilloire (tea kettle), 25f 00; — 2 plats en tôle pour mettre au four, 3f 75. — Total, 119f 85.
2° Pour le blanchissage. — 1 cuvier en bois avec cercles en fer, 12f 50 ; — 1 seau en bois, 185. — Total, 14f 35.
3° Pour la toilette. — 2 rasoirs, 3f 73 ; — 1 brosse à habits et 2 à chaussures, 2f 50; — 1 brosse à cheveux et 1 peigne, 3f 10. — Total, 9f 35.
4° Ustensiles divers. — 1 balai en crin et 1 en bouleau, 3f 75 ; — 1 arrosoir, 3f 10. — Total, 6f 85.
Linge de ménage : en assez mauvais état, parce qu'il est trop peu abondant............ 31f 50
4 paires de draps en coton, 24f 00; — 8 serviettes et torchons, 7f 50.
[275] Vêtements : ils sont propres, en bon état, et quelques-uns même assez élégants, semblables à ceux de la bourgeoisie............ 1,348f 55
Vêtements de l'ouvrier (656f 80). — Une partie des vêtements du dimanche a été donnée à l'ouvrier à l'époque de son mariage.
1° Vêtements du dimanche. — 1 habit en drap noir, 50f 00; — 1 redingote en drap noir, 45f 00; — 1 paletot en drap noir, 35f 00; — 1 pardessus en drap, 40f 00; 2 pantalons en drap noir, 45f 00 ; — 1 pantalon de coutil blanc, 10f 00; — 1 gilet de piqué blanc, 5f 00; — 2 gilets de satin broché, 20f 00 ; — 1 gilet de velours façonné. 9f 00 ; — 1 gilet de reps de soie, 8f 00 ; — 2 cravates de satin noir et 1 bleu, 6f 00; -— 1 paire de gants, 2f 00; — 1 chapeau de soie noire, 10f 00 ; — 1 paire de bottes fines, 15f 00 ; — 6 foulards de soie, 20f 00 ; — 1 paire de bottines, 12f 00. — Total, 332f 00.
2° Vêtements de travail. — 1 pardessus en gros drap, 40 00; — 1 paletot en gros drap, 20f 00 ; — 2 pantalons en laine, 20f 00; — 1 pantalon en laine et coton, 12f 00; — 2 gilets en laine et coton, 15f 00 ; — 2 tabliers en grosse flanelle, 4f 00 ; — 2 cravates de soie noire, 5f 00 ; — 1 chapeau rond en feutre, 5f00; — 2 casquettes en drap noir, 2f 00 ; — 1 paire de bretelles, 0f 50 ; — 2 paires de brodequins, 18f00 ; — 8 chemises de coton, 24f 00; — 6 faux cols, 1f 80 ; — 2 gilets de flanelle, 8f 00; — paires de bas de coton, 7f 00. — Total, 182f 30.
3° Bijoux du mari. — 1 montre en argent avec chaîne d'or appartenant au mari avant le mariage, 142f 50.
Vêtements de la femme (511f 75). — Ils ont le même cachet que ceux de l'ouvrier.
1° Vêtements du dimanche. — 1 robe de soie rayée, 40f 00 ; — 1 robe de laine à carreaux, 35f 00 ; — 2 robes de mousseline imprimée, 20f 00 ; — 1 chapeau de soie blanche, 15f 00; — 1 mantelet de soie noire, 22f 50; — un châle écossais en laine, 30f 00 ; — 2 cols brodés et 2 paires de manches, 18f 00; — 1 paire de bottines, 8f 00; —1 paire de gants de peau, 2f 50 ; — 3 jupons de calicot fn, 12f 00. — Total, 203f 00.
2° Vêtements de travail. — 1 robe en étoffe dite cobourg (mérinos laine et coton), 18f 00 ; — 2 robes en toile indienne, 20f 00; — 1 chapeau de soie noire, 12f 00 ; — 3 jupons de calicot ordinaire, 6f 00; — 1 jupon de flanelle, 4f 00 ; — 3 chemises de coton, 6 75 ; — 6 paires de bas de coton, 7f 50 ; — 1 manteau de drap, 20f 00; — 1 châle de laine grise ordinaire, 18f 00 ; — 1 corset, 7f 00 ; — 6 mouchoirs de toile, 6f 00; — 1 paire de bottines, 6f 00; — 2 cols et 2 paires de manches ordinaires, 5f 00. — Total, 136 25.
3° Bijoux de la femme. — 1 montre en argent avec chaîne d'or appartenant à la femme avant le mariage, 172f 50.
Vêtements des deux filles aînées (126f 25). — Les deux filles, étant d'un âge asse rapproché, portent habituellement des vêtements semblables ; cependant ceux de l'aînée servent à la cadette lorsqu'ils sont devenus trop petits ; les plus élégants ont été donnés en cadeau par les grands parents; ils sont tous entretenus avec soin.
1 robe ou pardessus en popeline, 18f 00 ; — 1 robe de mérinos, 12f 00; — 2 robes d'étoffe de laine et coton, 10f 00; — 1 robe de popeline, 8f 00 ; — 5 robes en étoffe dite cobourg, 35f 00 ; — 6 pantalons de calicot, 9f 00 ; — 6 chemises de calicot, 6f 00; — 6 paires de bas, 3f 00 ; — 6 paires de chaussures, 13f 25: — 2 chapeaux, 10f 00 ; — 4 mouchoirs, 2f 00 ; — différents petits vêtements confectionnés par la mère avec des anciennes étoffes lui ayant appartenu, et dont on ne saurait fixer la valeur. — Total. 126f25.
Vêtements de la petite fille (53f75). — Une grande partie a déjà servi aux deux autres enfants.
[276] 6 frocs ou robes d'enfant, en étoffe de coton, 16f 50; — 6 petites jupes, 7f 50 ; — 1 robe de dessus en mérinos, 15f 00 ; — 3 pinafores (tabliers-blouses en coton bis) 5f25; — 3 chemises, 1f 50 ; — 4 paires de bas, 3f 00; — 2 paires de chaussures, 2f 00 ; — 1 chapeau, 3f 00. — Total, 53f75.
Valeur totale du mobilier, du linge et des vêtements............ 2,382f 70
§ 11. — Récréations.
Les récréations de la famille, prises en commun, consistent en promenades faites en voiture, durant la belle saison, le dimanche soir après l'ouvrage terminé. Quelquefois l'ouvrier conduit sa femme à la foire de Croydon, où ils ont conservé quelques connaissances ; quelquefois même aux courses d'Epsom et de Croydon ; mais le plus souvent il y va sans elle, accompagné de quelques amis. C'est seulement dans ces occasions, qui se présentent généralement deux fois par an, que l'ouvrier fait abus de liqueurs fortes ; il en prend modérément le reste de l'année. Il fume un peu tous les jours, et surtout en été, pour se distraire dans ses longues courses en voiture du matin et du soir.
Une autre récréation de la famille est la fréquentation d'un spectacle ou d'un concert. La femme accompagne toujours son mari dans cette circonstance, car c'est pour elle seule qu'on y va, le mari y trouvant peu de plaisir ; mais cela n'arrive qu'une fois par an tout au plus.
La famille ne va jamais dîner en ville, pas même chez les grands parents ; la femme y conduit seulement ses enfants de temps en temps passer quelques heures dans la journée.
Ils reçoivent quelquefois la visite de ces derniers et de quelques amis. Il est d'usage, dans ces circonstances, d'offrir quelques rafraîchissements, tels que des vins de liqueur avec des biscuits.
La famille achète tous les dimanches deux publications hebdomadaires à bon marché (le Journal de Londres et le Times du dimanche), le premier composé de romans populaires, le second contenant le résumé des nouvelles politiques de la semaine.
IV. Histoire de la famille
§ 12. — Phases principales de l'existence.
[277] L'ouvrier est né en 1829; son père, ouvrier fabricant d'instruments de mathématiques, travaillait pour le compte d'une grande maison et était parvenu, par son travail, à faire vivre dans une certaine aisance sa famille, composée de sa femme et de cinq enfants. Le jeune George fréquenta, ainsi que ses autres frères, les écoles du voisinage ; puis il fut placé, à l'âge de quinze ans, comme pensionnaire dans une institution de l'Oxfordshire. Ce fut là seulement qu'il acquit les connaissances élémentaires qu'il possède.
A seize ans, son père, qui tenait à le mettre à même de subvenir un jour aux besoins de sa famille par un état manuel, le fit entrer en apprentissage chez un ouvrier fabricant de pianos. Celui-ci ayant fait de mauvaises affaires au bout de deux ans, le jeune homme travailla successivement comme apprenti et comme ouvrier, d'abord chez plusieurs ouvriers chefs de métier, puis chez de grands fabricants. Pendant tout ce temps, il habitait toujours le toit paternel et prenait en famille le repas du matin avant le travail et celui du soir à son retour. Les salaires qu'il recevait, et qui s'élevèrent jusqu'à 45f par semaine, servaient à son entretien, et le surplus forma un fonds d'épargnes qui lui fut d'une grande utilité plus tard. Ce fut dans ces conditions qu'il fit connaissance d'une ouvrière en couture, fille active et laborieuse de nourrisseurs du voisinage. Après quelque temps (dix-huit mois environ) d'une liaison assez intime, autorisée par les mœurs anglaises, il épousa cette jeune fille en 1850. Les dépenses qu'occasionnèrent le mariage, l'achat du mobilier et les premiers frais d'installation absorbèrent la plus grande partie des économies des deux époux (l'ouvrier avait apporté à la communauté 600f, et la femme 500f); leurs parents, de part et d'autre, ne leur constituèrent aucune espèce de dot ; ils leur firent seulement quelques cadeaux de vêtements. Les époux louèrent un petit logement dans la maison habitée par les parents de la femme ; celle-ci continua ses travaux de couture, le plus souvent chez elle et quelquefois en journée chez des particuliers ; l'ouvrier travailla, comme par le passé, à la fabrication des pianos. Cependant cet état, tout lucratif qu'il promettait de devenir, lui convenait peu, il paraissait même nuire à sa santé. Mis à même [278] d'apprécier, dans ses rapports journaliers avec les parents de sa femme, l'industrie de nourrisseur de vaches, pressé par celle-ci d'entreprendre un état qu'elle connaissait depuis son enfance et dans lequel elle pensait pouvoir le seconder utilement ; encouragé par son beau-père, qui lui avança sans intérêts la somme nécessaire, il acheta un fonds de laiterie moyennant 1,000f pour la clientèle, une vache et un matériel peu important. Il s'adonna avec ardeur à ces nouvelles occupations, étendit sa clientèle et acheta successivement trois nouvelles vaches, toujours avec l'aide des parents de sa femme. Au bout de dix-huit mois, ayant trouvé une occasion qu'il ne cherchait pas, il vendit son établissement à un prix avantageux (2,875f). Après avoir remboursé son beau-père des avances qu'il lui avait faites, il lui resta une somme de 1,500f, qui lui servit à acheter un nouveau fonds à Croydon, à 28 kil. de Londres.
Mais là encore il ne devait rester que peu de temps. Trouvant que ce pays offrait peu de chances de prospérité, et regrettant surtout Londres, qu'il n'avait jamais quitté, il se décida une seconde fois à vendre son exploitation, moyennant 2,500f. Les quelques mois qui suivirent cette vente furent un temps de dure épreuve pour la famille, qui comptait alors deux enfants de plus. Revenu à Londres, et après avoir cherché vainement un établissement à sa convenance, le mari dut, pour subvenir aux besoins journaliers, se remettre à travailler à son ancien état ; la femme elle-même, quoique occupée de ses enfants, entreprit quelques travaux de couture dans les rares moments dont elle pouvait disposer ; malgré leurs efforts réunis, les ressources s'épuisaient, et ils allaient être obligés d'entamer la somme de 2,500f qu'ils avaient mise en réserve pour l'acquisition d'un nouvel établissement, lorsqu'ils trouvèrent enfin à acheter le fonds qu'ils possèdent aujourd'hui et qu'ils payèrent 3,000f. Il était composé de six vaches, d'un cheval et d'un matériel insuffisant ; le tout en très- mauvais état.
Depuis lors George mit tous ses soins à faire prospérer sa nouvelle entreprise ; à mesure que ses moyens le lui permirent, il vendit les vaches pour les remplacer par de meilleures ; il acheta un second cheval, une autre voiture, et augmenta son matériel. Toutes ces dépenses ont absorbé jusqu'à présent ses bénéfices ; mais il espère, maintenant que l'établissement est en bonne voie de prospérité, parvenir à se créer un petit fonds d'épargnes qu'il placerait en dehors de son exploitation.
§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.
[279] La famille a de sérieuses garanties de prospérité dans l'activité infatigable de l'ouvrier, son intelligence pour la direction des affaires, et la sage économie apportée par la femme dans la conduite du ménage.
L'industrie du laitier, reposant d'ailleurs sur une consommation journalière et forcée, échappe aux fluctuations qu'éprouvent tant d'autres industries urbaines.
Comme membre de l'honorable Compagnie des Épiciers (§ 5) il pourrait, s'il était dans le besoin, trouver dans cette société une assistance efficace et surtout de grandes facilités pour l'éducation de ses enfants, mais il regarderait comme très - humiliant de recevoir un secours de ce genre, et il n'est pas probable qu'il se décide à y avoir recours sans une absolue nécessité.
Le même sentiment de délicatesse l'a toujours empêché de s'affilier à aucune société d'assurance mutuelle, quoique plusieurs institutions de cette nature fonctionnent dans la contrée qu'il habite.
Par une imprévoyance malheureusement trop commune dans les classes ouvrières, George ne fait également partie d'aucune assurance contre l'incendie ou contre les divers fléaux qui pourraient anéantir par un malheur imprévu ses moyens de travail et le fruit de ses économies. A cet égard il se laisse entraîner par son esprit résolu et entreprenant, et il préfère éviter une dépense certaine et sans cesse renouvelée, plutôt que de se mettre en garde contre des accidents qu'il considère comme peu imminents.
§ 14. — Budget des recettes de l'année.
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§ 15. — Budget des dépenses de l'année.
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Comptes annexés aux budgets.
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Notes
Faits importants d'organisation sociale ; Particularités remarquables ; Appréciations générales ; Conclusions.
(A) Sur l'industrie de nourrisseur de vaches, dans la banlieue de Londres.
[293] La majeure partie du lait consommé à Londres est fourni par les comtés environnants et apporté chaque jour par les nombreux chemins de fer qui rayonnent vers la ville. Il existe cependant quelques vacheries peu considérables dans l'intérieur même de Londres, et elles sont en assez grand nombre dans ses faubourgs. Ces dernières sont presque exclusivement exploitées par des gens de la campagne attirés dans le voisinage de la capitale par l'espoir d'une spéculation que le prix élevé du lait permet de rendre lucrative.
L'absence de tous pâturages (§ 1) est une des plus grandes difficultés que rencontrent les nourrisseurs dans leur exploitation ; toute la nourriture des vaches consiste en foin, betteraves hachées et orge fermentée.
George P**, par une heureuse combinaison, est parvenu exceptionnellement à profiter, sans s'éloigner de Londres, de l'économie résultant du pâturage des bestiaux. Il envoie ses vaches dans une ferme distante de 12 kilomètres, où elles paissent en liberté pendant les cinq plus beaux mois de l'année. Ce séjour dans une campagne bien aérée, sans autre abri qu'un hangar pour les temps trop pluvieux, contribue puissamment à améliorer l'état des vaches et répare la perte qu'un hiver entier, passé dans une étable exiguë, a dû leur faire subir.
Le fermier avec lequel le nourrisseur a fait cet arrangement, et qui lui fournit tous ses fourrages, se charge en outre de faire vêler chaque année trois ou quatre de ces vaches qu'il garde à cet effet pendant un mois ou six semaines. Les veaux sont presque immédiatement vendus à des marchands qui les revendent pour leur compte au marché de Londres. L'ouvrier considère les vaches dites short horned (courtes cornes), connues aussi sous le nom de race de Durham, comme les meilleures laitières, et ce sont celles qu'il achète de préférence. Un des chevaux, devenu inutile en hiver, reste également à la ferme moyennant une faible redevance pour sa [294] nourriture. Cet arrangement qui consiste à envoyer les vaches à la ferme de la mi-mai à la mi-octobre augmente considérablement, pendant ce temps, les occupations déjà très-multipliées de l'ouvrier. En hiver, sa journée commence à quatre heures et est employée (§ 8) à traire les vaches, à leur donner les soins qu'elles réclament, à nettoyer l'étable et à distribuer le lait ; sa tournée, qu'il fait en voiture, dure environ deux heures et est répétée deux fois par jour, ainsi que toutes ses autres occupations. Mais en été, il faut y ajouter les deux voyages à la ferme, ce qui lui prend quatre heures par jour et l'oblige à se lever à deux heures du matin.
N'étant pas encore parvenu à trouver le débit de son lait directement auprès des consommateurs (sa clientèle se composant, de 60 familles environ qui ne consomment, en moyenne, que 7 décilitres de lait par jour), George P** fournit en outre, régulièrement, à un prix plus modéré, plusieurs marchands résidant à Londres ou dans le voisinage.
(B) Sur le régime de la taxe des pauvres dans la ville de Londres.
Le système d'une taxe proportionnelle, prélevée sur les classes qui possèdent pour subvenir aux besoins des classes nécessiteuses, a été adopté et est en vigueur en Angleterre depuis près de trois siècles. Néanmoins, ce système a subi dans son application de nombreux changements depuis son origine. Aujourd'hui la ville de Londres et ses faubourgs sont divisés en un certain nombre de paroisses correspondant assez bien à ce qu'on nomme en France des arrondissements. En principe, chaque paroisse doit subvenir aux besoins des pauvres qu'elle contient ; cependant, afin d'égaliser la taxe autant que possible, les paroisses sont. autorisées à s'associer pour former entre elles ce qu'on appelle des Unions. Cette faculté n'est pas encore assez généralement utilisée ; un grand nombre de paroisses se sont déjà réunies, il est vrai, mais dans les mêmes localités ; il en résulte qu'un quartier contenant une population opulente n'a pour ainsi dire pas de pauvres à secourir, et par conséquent pas ou peu d'impôts à payer, tandis que dans un quartier d'ouvriers la taxe retombe entièrement à la charge du petit nombre de personnes aisées qui l'habitent et qui se trouvent alors beaucoup plus imposées que dans le cas précédent.
L'estimation du prix de location d'une maison sert de base à la répartition de la taxe qui se trouve ainsi entièrement à la charge. non du propriétaire, mais du locataire principal ; seulement, dans [295] le cas où celui-ci sous-loue une partie de la maison, il se dégrève par ce moyen d'une part d'impôt qu'il porte au compte du sous-locataire.
Les contribuables élisent dans chaque paroisse un certain nombre de personnes prises parmi eux pour former un conseil ou bureau de gardiens, ayant pour mission la fixation et la répartition de la taxe des pauvres. Chaque bureau est soumis à la surveillance d'un bureau central de contrôle composé, de quatre membres nommés par le gouvernement, ayant eux-mêmes douze commissaires suppléants chargés chacun de l'inspection d'un district particulier. Les bureaux de gardiens nomment à leur tour plusieurs inspecteurs (overseers) chargés de l'estimation du loyer de toutes les maisons comprises dans leur circonscription (ward). Ces estimations sont toujours faites au-dessous du prix réel du loyer. Quant à la quotité de l'impôt, elle est établie plusieurs fois par an, généralement trois fois, dans les paroisses pauvres : une fois en été, une seconde fois au commencement de l'hiver, une troisième fois à la fin. La perception s'effectue de même en plusieurs fois. Il y a cependant des paroisses où la taxe n'est payée qu'une fois par an. Les gardiens des pauvres se réunissent plusieurs fois par mois pour examiner les comptes de la caisse confiée à leurs soins, et pour faire la répartition des fonds entre les personnes nécessiteuses qui ont fait une demande de secours' ou qui ont été autorisées à en recevoir, par les juges de paix de leur localité ; des secours en argent leur sont envoyés à domicile et des médecins sont payés pour aller visiter les pauvres malades. Mais le trait le plus remarquable de l'organisation de la taxe des pauvres est l'établissement, dans chaque paroisse ou union de paroisses, d'une maison de travail (work-house) où l'ouvrier sans emploi peut trouver assistance, à condition de donner son travail en retour et de se soumettre aux règlements de ces maisons ; ceux-ci sont assez sévères : les personnes qui y sont admises ne sortent jamais, les maris sont séparés de leurs femmes ; la nourriture est réduite au strict nécessaire et est moins bonne que celle qu'une famille d'ouvriers libres peut se procurer.
Toutes ces conditions font regarder avec une sorte de mépris, par leurs camarades, les ouvriers qui, pour jouir des secours provenant de cette source, se décident à vivre séparés de leur famille. Les mêmes inconvénients n'existent pas pour les ouvriers célibataires qui ont dès lors, sur les chefs de famille, un avantage incontestable pour mettre à profit ces institutions de charité [les Ouv. europ. XXII (A)].
De nombreuses tentatives ont été faites, depuis quelques temps, [296] pour apporter un remède à cet état de choses ; mais il ne paraît pas que jusqu'ici on soit parvenu à satisfaire les légitimes préoccupations de l'opinion publique.
(C) Sur le repos du dimanche dans la banlieue de Londres.
En général, en Angleterre, les personnes appartenant aux classes ouvrières n'exécutent le dimanche aucun travail dont elles puissent tirer directement quelque salaire ; elles y sont moins portées par leurs idées religieuses ou leur désir personnel que contraintes par la force des choses. Toutes les manufactures, tous les magasins, toutes les administrations se trouvant fermés, le travail fourni par ces grands centres, cesse complètement, et dans le cas même où un ouvrier se trouve chef de métier, il ne travaille pas de peur de s'aliéner les classes supérieures qu'il fournit et qu'il est de son intérêt de ménager. On peut cependant citer quelques exceptions à cette règle ; la présente monographie en montre une, puisque la nature même de l'industrie ne permet pas aux consommateurs de s'approvisionner la veille. Toutes les familles sont obligées d'acheter le samedi soir les provisions nécessaires pour la nourriture du dimanche, à l'exception du lait et de la boisson ; à cet effet, de nombreux marchés publics sont tenus le samedi jusqu'à minuit dans les rues principales et dans les quartiers populeux de Londres. Mais le dimanche même, les public-houses (maisons qui débitent la bière) peuvent débiter, mais en observant des règlements très-sévères ; elles ne sont ouvertes et ne peuvent vendre que pendant quelques heures entre les offices religieux ; dans la journée, de une heure à trois ; et le soir, de sept à onze heures. On a dû avoir recours à ces restrictions pour mettre, autant que possible, un frein à l'ivrognerie si commune dans la classe ouvrière en Angleterre. Se trouvant complètement désœuvré, n'ayant aucun établissement public à visiter, n'étant pas assez bien logé pour jouir paisiblement chez lui des douceurs de la famille, n'ayant rien enfin qui puisse faire diversion aux travaux de la semaine, l'ouvrier recherche les lieux où il peut se livrer à son penchant pour la boisson.
Une dérogation remarquable au repos absolu du dimanche s'observe encore dans la localité habitée par la famille ici décrite. Le quartier dit des Marais de Lambeth (Lambeth's Marsh) renferme une agglomération de juifs de la classe inférieure, qui y exercent toute espèce de métiers secondaires et qui n'observent ni le repos du samedi, comme les classes supérieures de leur religion ni celui [297] du dimanche si respecté en Angleterre; tous leurs magasins sont ouverts ce jour-là, et les ouvriers n'appartenant pas à cette religion en profitent pour y acheter tout ce dont ils ont besoin.
(D) Sur la part prise par l'ouvrier aux élections de 1857.
L'ouvrier étant tenancier d'une maison dont le loyer excède 250 fr. se trouve, par ce fait, électeur. En temps ordinaire, il s'occupe peu de politique ; il tient cependant à passer pour appartenir au parti libéral ; ce n'est qu'à l'époque des élections, environ tous les cinq ans, qu'il songe à faire usage de ses droits politiques. Cette époque est du reste un moment de fièvre générale pour tous les partis.
Environ un mois avant le jour fixé pour l'élection, les candidats à la représentation nationale forment de nombreux comités composés d'un certain nombre d'électeurs de la localité, disposés à soutenir leur candidature. Ces membres, appartenant en général à la classe des personnes qui vivent de leur travail, consacrent néanmoins une grande partie de leur temps à propager la popularité de leur candidat, qui quelquefois il est vrai les rétribue. Ils se réunissent tous les jours pour travailler à l'œuvre commune ; les lieux de réunion sont ordinairement choisis parmi les public-houses (C) les plus en renom ; tous les frais de location, de bureau et d'impression sont à la charge des candidats ; ceux-ci se rendent à tour de rôle dans chacun de leurs comités; ils y font leur profession de foi devant les électeurs qui y sont admis, s'entretiennent avec eux de tous les faits politiques qui préoccupent le pays et répondent à toutes les questions qui leur sont adressées.
Le jour de l'élection arrivé, quand on doit recourir au vote par écrit, chaque électeur est obligé d'inscrire le nom de son candidat sur un registre et d'y apposer sa signature ; or, comme les endroits choisis pour aller voter, se trouvent quelquefois assez éloignés, les candidats, pour ne pas perdre le vote des personnes que la distance ou l'indifférence empêcherait de se déranger, ont soin de louer pour la journée un certain nombre de voitures. Dès l'ouverture du poll, les membres des comités vont chercher en voiture, à tour de rôle, les électeurs dont ils se sont assuré d'avance la participation, ils les amènent au poll et les reconduisent ensuite à leur demeure. (L'auteur a pu se convaincre personnellement qu'un des candidats aux dernières élections de Lambeth, avait loué pour la journée 100 voitures de place et 12 omnibus.)
Quant à l'ouvrier, dans l'exercice de son rôle politique, il s'en [298] rapporte entièrement à l'opinion des personnes plus éclairées que lui sur ce sujet et qui se chargent de présenter tel ou tel candidat au choix de leurs concitoyens.
(E) Sur l'industrie des sous-locations dans les faubourgs de Londres.
Les maisons des faubourgs de Londres ne sont, en général, que de deux étages, avec rez-de-chaussée et sous-sol, le tout comprenant ordinairement de six ou huit chambres, presque toujours occupées par une seule famille. Lorsque le locataire se trouve dans la nécessité de réduire son loyer, il sous-loue une partie de la maison, un et quelquefois même deux étages. Cette habitude est très-répandue dans les familles d'ouvriers qui en ont fait une spéculation assez lucrative ; ils prennent en location une maison, en meublent à bon marché les principales chambres qu'ils sous-louent en garni et ne se réservent, pour leur usage personnel, que le sous-sol servant de cuisine, et l'étage supérieur. C'est la femme qui se charge spécialement de cette industrie ; elle devient alors maîtresse d'hôtel, s'adjoint parfois une domestique et entreprend même de préparer les repas à ses locataires. Ces maisons, diminutifs des hôtels meublés, ne sont soumises à aucun règlement de police ; les prix de location sont fixés et payés à la semaine ; le locataire principal est autorisé à retenir les effets de ses locataires quand ceux-ci ne paient pas leur loyer ; pour se donner congé il suffit de se prévenir par écrit une semaine à l'avance. Les employés peu rétribués et les ouvriers trouvent dans ces locations l'avantage de se loger à peu de frais dans une maison bien aérée, munie d'eau fournie par la ville, et n'offrant pas l'inconvénient d'une trop grande agglomération d'habitants.