N° 108
PAYSAN CULTIVATEUR
DE RUVO DI PUGLIA
(Province de Bari. — Italie)
FERMIER ET PETIT PROPRIÉTAIRE DANS LE SYSTÈME DU TRAVAIL SANS ENGAGEMENTS
d'après
LES RENSEIGNEMENTS RECUELLIS SUR LES LIEUX EN 1903
PAR
DOMENICO ANDREA LOJODICE
Docteur ès sciences agricoles
Sommaire
- Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille
- ÉLÉMENTS DIVERS SUR LA CONSTITUTION SOCIALE
- § 17. SUR L'ÉTAT DE LA CULTURE
- § 18. SUR LES BAUX A AMÉLIORATION, DE LONGUE DURÉE
- § 19. SUR LES INSTRUMENTS DE TRAVAIL, LES TRAVAUX AGRICOLES ET LEUR RÉMUNÉRATON
- § 20. SUR LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU PAYSAN DE RDV0
- § 21. SUR LES DOMAINES COMMUNAUX
- § 22. LA BIENFAISANCE PUBLIQUE A RUV0
- § 23. SUR LES USAGES MATRIMONIAUX ET LES CONSTITUTIONS DE DOTS
- § 24. SUR LES PROGRÈS DE LA COOPÉRATION VITICOLE DEPUIS 1903
Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille
Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1ᵉʳ. État du sol, de l'industrie et de la population.
[1] La famille du paysan-fermier, qui fait l'objet de cette monographie, demeure à Ruvo di Puglia, ville de la province de Bari, du district et de l'arrondissement de Barletta, chef-lieu de canton appartenant, pour la circonscription politique, au collège de Minervino-Murge; pour la circonscription judiciaire, au ressort du tribunal et de la cour d'appel de Trani et de la cour de cassation de Naples, et pour la circonscription [2] ecclésiastique, au diocèse de Ruvo et Bitonto. Pour l'enregistrement et les contributions, elle dépend de Terlizzi. Elle a un bureau de postes et télégraphes, une station de tramvays. Elle a une École royale technique et trente écoles élémentaires de gaŗçons et de filles.
La ville se trouve à 14° 10' de longitude est du méridien de Paris, à 41° 8' de latitude nord. Son territoire est de 22,600 hectares environ, d'après l'ancien cadastre toujours en vigueur. Il s'étend au sud, en s'élevant sur les Murge, jusqu'à 673 mètres au-dessus du niveau de la mer, à un endroit nommé Serraficaia ; son rayon maximum, si l'on prend comme centre le campanile de la cathédrale, qui se trouve au milieu de la ville, est d'environ trente kilomètres à Giuncato, presque à la limite entre Ruvo, Andria et Spinazzola. A l'est, le territoire descend vers la mer avec un rayon minimum de deux kilomètres, une élévation minima de 37 mètres au-dessus du niveau de la mer, aux environs de Bisceglie, et une élévation moyenne de 250 mêtres, prise à la base du campanile, distant de quinze kilomètres des bords de l'Adriatique.
Le territoire de Ruvo est entouré de ceux de Corato, Bisceglie, Terlizi, Bitonto, Altamuva, Gravina, Spinazola et Andria. La ville communique avec toutes ces cités, soit directement, soit indirectement, au moyen de routes provinciales ou communales. En outre, le tramvay à vapeur la dessert, en allant de Bari à Barletta. La ville d'aujourd'hui est située sur les flancs d'une gracieuse colline, et ses habitations s'étendent presque complètement sur les versants midi, est et ouest.
La nature géologique de ce pays varie selon les lieux et les diverses élévations qu'ils présentent. Dans les vallées, on ne trouve pas de pierres, excepté dans les endroits où elles furent transportées par les inondations. Là, le terrain argileu, propre à la culture, est abondant, et le sous-sol est formé de tuf calcaire plus ou moins compact et d'une stratification variée1. Dans quelques endroits bas, qui ont la forme de bassins, dans lesquels s'accumulent les eaux d'infiltration, comme sont les contrées nommées Pantano, Arena, Pennino, à environ un demi-kilomêtre de la ville, le sous-sol est formé d'argile plastique que l'on exploite pour la fabrication de la faïence, industrie du pays. A 10 ou 15 mètres de profondeur, on découvre des sources formées par infiltration, qui fournissent assez d'eau légèrement saumàtre, mais qui, en été, à la suite d'une longue sécheresse, viennent quelquefois a tarir. On trouve[3]encore des puits de la même eau dans d'autres contrées comme Carrara, Pozza, Valle Noé, Matine, etc., c'est-à-dire partout où le sous-sol est formé d'argile jaune bleuàtre. Jadis, il y avait, dans toutes ces contrées, de nombreux cas de fiêvre paludéenne causés par l'excessive humidité du sol, en automne et au printemps ; mais, depuis que l'agriculture a amélioré ces terrains en les transformant en vignes, ils sont devenus salubres, fertiles et riches.
Trés fertiles et très riches sont également les terrains situés autour de la ville et nommés cocevole2, au milieu desquels sont disséminés les tombeaux italo-grecs et romains et les ruines des édifices antiques. Ils contiennent beaucoup de principes nutritifs, organiques et minéraux, ce qui les rend propres à faire des potagers et des jardins. Dans les lieux plus élevés, mais avec peu de pente, le terrain est noiràtre et roussàtre, parsemé de pierres calcaires de dimensions et de formes diverses. Les plus petites sont répandues à la surface du sol, les plus grandes, enfoncées en terre, sont des bloes informes, anguleux, irréguliers, souvent creux et troués ; en beaucoup d'endroits, cependant, elles affleurent. Leur extraction est coûteuse. On les emploie à faire les murs à pierres sèches qui bornent et protègent les propriétés ; on en fait des murs de soutènement dans les lieux en pente ; on en construit des maisonnettes sans mortier ; on s'en sert aussi pour combler les ornières dans les voies publiques. Toutes ces pierres, aussi bien que le terraiin lui-même, paraissent avoir été transportés dans la vallée à la suite de cataclysmes et par les alluvions successives des Murge. Le sous-sol des contrées que je viens de décrire est formé de stratifications de pierres calcaires dans lesquelles on trouve, tantôt plus, tantôt moins, de l'ocre et de la matiere bolaire. Celle-ci est parfois en masse compacte, parfois aussi en forme de lamelles.
La ville est tout entière construite sur la roche calcaire. Presque toutes les campagnes, si l'on excepte la zone argileuse dont j'ai parlé, ont la même nature géologique. Aussi, dans ces lieux couverts autrefois de forêts peu à peu disparues, la quantité d'humus est bien plus grande, et ce sont précisément ces terrains qui donnent les produits les plus abondants et qui représentent aujourd'hui la plus vaste zone cultivée.
Enfin, les Murge forment la zone la plus lointaine de la ville et constituent comme autant de terrasses d'énormes blocs de calcaire hippuritique tantôt polis, tantôt rudes, caverneux et pleins de trous, ici blanchis par[4]l'eau qui les lave, là assombris par les mousses et les lichens qui y poussent. Il ne manque pas, cependant, de terreau et d'ocre qui s'intercalent entre ces stratifications et, par endroits, laissent des espaces formant d'assez larges anfractuosités, des trous profonds, dans lesquels se précipite l'eau qui, par infiltration, atteindra des lieux plus ou moins éloignés et bas, comme sont les plaines inférieures et les bassins d'argile dont j'ai parlé. A travers ces rochers, il s'est formé quelques petites vallées que l'on appelle ici canaux, et dont la culture s'est emparée. Elles sont très fertiles, parce qu'elles sont riches en matériaux de transport et en terre végétale. Souvent, il arrive qu'après de grandes pluies la quantité d'eau qui s'est amassée au milieu de ces rochers forme de petits torrents. Ils transportent des pierres, des terres, des plantes et dévastent les campagnes qui formaient l'espérance de tant d'agriculteurs. Ils vont ainsi en grossissant toujours davantage, jusqu'à ce qu'ils se jettent dans l'Adriatique. Sur le versant sud-ouest de ces Murge, dans la contrée nommée ITauverna Nova, dans une de ces petites vallées que nous avons appelées canaux, on trouve, à fleur de terre, des bancs de calcaire rouge veiné de jaune et même de blanc. La roche est compacte, sa texture très fine et cristalline et sa cassure conchoide. Elle est colorée par de l'oxyde de fer, et est devenue légèrement cristalline3sous l'action des eaux thermales ferrugineuses, ce qui la rend susceptible d'une belle mise en œuvre. Les marbres que l'on voit à Castello del Monte, sur le territoire d'Andria, ne sont pas de la même nature. Il est probable qu'ils ont été extraits d'une mine voisine. Sur le versant septentrional, après la colline de Sainte-Lucie, à peu de kilomètres de la ville, à proximité du Tratturo, on trouve des roches dolomitiques, d'un grain cristallin, comme saccharoide, très fin, sous un banc de calcite lamellaire très blanc. Avec le produit des deux carrières, on a exécuté dans la ville de remarquables travaux, et s'il y avait un plus grand élan pour de nouvelles industries, on pourrait trouver là une source de richesses pour le pays. Déjà toute la ville est construite en pierres calcaires dont on trouve beaucoup de bonnes carrières, et les ouvriers les travaillent avec un grand fini et une grande précision. Avec ces mêmes pierres, on fait de la chaux excellente, dont une partie pour l'exportation.
Il n'y a ni cours d'eau ni sources. On emploie comme eau potable les eaux de pluies que l'on recueille dans des puits ou des citernes, en les amenant des toits et des planchers au moyen de canau en zinc ou en[5]argile ; dans les campagnes on se contente des eaux provenant des esplanades et des chemins publics. Aussi pense-t-on que ni les unes ni les autres n'ont les vraies qualités exigées d'une eau potable ; et ce qui est pis, c'est que dans les longues sécheresses de l'été, cette eau finit encore par manquer....
La température moyenne pour douze années (mars 1890 à mars 1902)4a été de 14° C., la température la plus basse (— 6° C.) a été observée le 18 février 1895, et la plus élevée (7° C.), le 25 aout 1890. C'est en août que la température atteint son maximum, et en janvierfévrier, son minimum.
L'été donne le plus de jours sereins, l'automne le moins, ce qui rend plus brûlantes les chaleurs de l'été, et plus fraîches les journées d'automne.
La ville est très exposée aux vents, et parce qu'elle est située sur une colline, et à cause de la topographie générale de cette province méridionale qui est de tous côtés entourée par la mer. Le vent sud-est (sirocco), qui vient par périodes interrompues, dure d'ordinaire trois jours et se termine presque toujours par la pluie. Quelquefois il cause de vrais ravages dans la campagne en brisant les arbres et en endommageant les jeunes pousses de la vigne. Les autres vents qui jusqu'à nt le plus fréquemment dans cette région sont : en avril, la Tramontane,; en juin et juillet, le Maestro ; dans les autres mois, le Ponente et le Ponente Maestro. Selon les années, quand les uns ou les autres dominent, on prévoit une bonne ou une mauvaise récolte. Les paysans croient, et ordinairement cela se vérifie, que les vents qui jusqu'à nt à la fin de la vigile des Quatre-Temps sont ceux qui domineront pendant la saison qui va commencer, les agriculteurs attentifs n'ont garde d'oublier cela quand[6]il s'agit de déterminer la méthode à suivre pour leurs différentes cultures. Quant à l'intensité, il semble qu'ordinairement ces vents jusqu'à nt modérément, mais pourtant sont plus violents au printemps et à l'automne. Le pire de tous est le ˉavonio, vrai vent de sud-ouest qui est le plus froid de l'hiver parce qu'il traverse les monts de la Basilicate, qui sont couverts de neige, et qu'on appelle scorcia-crape (littéralement : qui fend la peau des chêvres). Au contraire, en été, le même vent du sudouest est très chaud, brûle les plus belles moissons et ruine les récoltes les plus abondantes des vignes qui sont la joie et l'espérance des paysans. En un seul jour, ils voient l'anéantissement de toutes leurs richesses, et la perte de toutes leurs fatigues. Il n'en va pas autrement quand survient la grêle qui cause tant et de si grands dommages.
C'est en automne qu'il pleut le plus ; au printemps les pluies sont peu abondantes mais fréquentes, violentes, accompagnées d'orages et de grêle. Les pluies excessives de l'automne, tombant au moment des vendanges, compromettent facilement la récolte du raisin. De grands réservoirs pourraient emmagasiner l'excès de cette eau et la rendre ensuite à l'agriculture pendant les sécheresses de l'été5.
Les orages de grêle sont assez fréquents, surtout au printemps. La cause semble en être, comme dit Bordiga6, dans la « disposition de cette région méridionale Adriatique qui va du nord-ouest au sud-est et qui, par suite, est très particulièrement exposée aux vents qui amènent avec eux les orages, comme a pu le constater le docteur Ciro Ferrari7. » On pourrait peut-être encore en rechercher la cause dans le voisinage du Murge, du ultureˉ, du Castello del Monte et aussi, bien que plus loin, du Gargano qui, comme dit de Renzi8, agirait à l'instar d'une tige électrique dont l'extrémité répandrait continuellement dans l'atmosphère l'électricité qu'elle contient, et qui chargerait les nuages qui en rasent la cime. Poussés ensuite par les vents du nord-ouest, ils provoqueraient les décharges électriques et les tempêtes.
Les rosées sont fréquentes tant au printemps qu'en automne. Souvent[7]elles sont la cause d'un rapide développement de mildiou qui, au printemps, attaque les jeunes pousses de la vigne, et a l'automne les grappes déjà presque mûres. Après les rosées, viennent les gelées, qui ne causent aucun dommage en hiver, à moins que la température ne s'abaisse assez pour compromettre les oliviers, comme cela est arrivé quelquefois. Elles restent toujours dangereuses au printemps, quaxd toute la campagne est dans la plus grande effervescence de la végétation. C'est ainsi que souvent sont perdus les fleurs des amandiers, les tendres bourgeons de la vigne, les champs de légumes en fleur et les meilleurs fruits. Il y a peu de brouillards (12 à 13 jours dans toute l'année), mais quand il y en a au printemps, ils peuvent arriver à endommager les oliviers en fleurs, comme ceux d'automne nuisent aux raisins déjà mûrs. Les refroidissements qui se produisent parfois à une époque déjà avancée du printemps et même en été ne sont pas sans danger pour la santé des paysans, parce qu'ils arrivent brusquement.
La ville même où habite la famille monographiée a environ 2 kil. 500 de tour et se divise en ville ancienne ou intèrieure, et en ville nouvelle ou extérieure.
La ville ancienne était autrefois entourée de murailles et munie de quatre portes. Elle a la forme d'un pentagone qui s'étend sur le versant de la colline du nord au midi. De la vieille cité il ne reste plus aujourd'hui qu'une partie du château, deux donjons et quelques ruines, des vieux murs qui sont englobés çà et là dans les maisons adjacentes qui ont pris leur place et l'antique cathédrale qui a été batie, croit-on, en l'an 1000, remarquable par les constructions en pierre calcaire qu'elle présente et pour lesquelles elle a été mise au nombre des monuments nationaux. Cette partie de la ville est divisée, à l'intérieur, par deux rues principales : la première va du levant au couchant et finit d'un côté à la Piaaaa ˉCasteldo, de l'autre, à la Piaaaa Porta-Noei ; l'autre la croise et va du sud au nord. Ces rues, qui sont les plus peuplées, ont une largeur de trois à six mètres en moyenne, selon les endroits. Elles ne sont pas droites, ais tortueuses et bordées de maisons serrées les unes contre les autres et d'antiques palais. Les autres rues sont plus étroites encore, tortueuses et obscures comme dans les villes anciennes, et les maisons qui les bordent sont à deux ou trois étages, sans compter les mansardes. Ces rues secondaires et ces ruelles mesurent d'un à cinq mètres de largeur. La ville ancienne est spécialement habitée par les commercants et les artisans, et l'on y trouve le Musée Jatta, qui renferme une collection de très beaux vases italo-grecs, et le magasin[8]d'une coopérative agricole de consommation, qui, bien qu'installé depuis peu et n'importe comment, a donné des résultats excellents.
La partie neuve de la ville enveloppe presque complêtement la vieille ville, et une large voie, qui selon les endroits prend des noms divers, et mesure plus de trente mètres en largeur, sépare la ville ancienne de la nouvelle. Celle-ci est bàtie depuis cinquante à soixante-dix ans ; elle forme quatre quartiers, presque tous habités par des agriculteurs. Dans ces faubourgs, les rues sont droites, larges de cinq à six mètres ; mais les maisons sont en général mal construites : adossées les unes aux autres, elles manquent d'air et de soleil. Presque toutes sont en pierres calcaires, et couvertes en tuiles. Les habitations des maîtres et des paysans propriétaires sont pourvues de citernes pour l'eau de pluie. Un grand nombre de ces réservoirs servent pour plusieurs familles de paysans. Dans quelques vieux palais, il y a des cabinets qui empoisonnent l'eau potable. Les paysans fermiers et les artisans aisés habitent le rez-de-chaussée ; les plus pauvres, c'est-â-dire les bracciaati ou journaliers, qui sont en majorité, demeurent dans des mansardes ou dans des taudis moisis et obscurs de deux et trois mètres en sous-sol et que l'on appelle ;iusi. A l'étroit dans ces chenils sordides et suffocants, cohabitent plusieurs familles, pour le plus grand dangger de la santé et de la morale. Dans ces faubourgs et aussi en dehors des habitations se trouvent les établissements œnotechniques et les moulins à olive au nombre total de soixante. En dehors de ceux-ci et d'un grand moulin à vapeur à cylindres, il n'y a pas d'autres établissements industriels.
Les mouvements de la population ont été à vingt ans de distance les suivants :
[9] La population a donc augmenté en dix-neuf ans de plus de 5,800 habitants, soit en moyenne environ 300 par an. La population actuelle (31 décembre 1903) atteint le chiffre de 24,228. Ce développement progressif est dû surtout au climat et aux conditions économiques. La population dispersée est aussi en voie d'augmentation, et cela démontre que l'agriculture se réveille, comprend mieux ses intérêts, et surtout que les agriculteurs commencent à sentir davantage le besoin de demeurer dans la campagne plutôt qu'en ville, à cause des multiples profits qu'ils en peuvent retirer9.
Relativement à l'instruction, sur 23,776 habitants en 1901, 5,721, soit 24%, savaient lire et écrire, tandis qu'en 1881, sur une population de 17,956, il y en avait à peine 2,884, ou 16%. Cela tient à l'augmentation du nombre des écoles qui, en 1881, était de 9 pour les garçons avec 426 élèves, et de 10 pour les filles, avec 487 élèves, tandis qu'aujourd'hui, il y a 15 écoles pour les garçons, avec 667 élèves, et 15 pour les filles, avec 800 élèves. Il y a en outre les écoles du soir et une école de dessin pour les artisans.
Pour l'arrondissement de Barletta en entier, le total de la population active est de 126,484 hommes et 128,677 femmes. Sur ce nombre, 73,985 hommes et 3,005 femmes, soit au total 76,990 individus, sont compris dans la classe des agriculteurs ; d'ou il résulte que sur la population active de l'arrondissement de Barletta, il y a 58,49% des hommes et 2,33% des femmes employés à l'agriculture.... La population agricole de Ruvo, hommes, femmes, enfants, si l'on se sert des chiffres concernant l'arrondissement, pour établir un calcul approximatiif, ne semble pas être inférieure à celle de la moyenne de l'arrondissement. A Ruvo, la population agricole, en omettant le nombre négligeable des domestiques à l'année (bergers, gardiens de grands domaines, et quelques vieux bouviers), comprend les trois catégories suivantes : jour[10]naliers, fermiers et propriétaires. La famille étudiée appartient à la seconde catégorie.
L'agriculture est donc la principale ressource du pays.
§ 2. État civil de la famille.
La famille étudiée est assez nombreuse, comme d'ordinaire dans cette population très prolifique. Elle est même plus nombreuse encore que les autres, parce qu'elle est constituée par le mariage de deux veufs qui ont amené chacun leurs enfants et qui, à leur tour, en ont encore engendré d'autres.
De telles constitutions de famille ne sont pas rares, tellement on préfère dans ce pays le mariage au célibat. D'ailleurs, les hommes aussi bien que les femmes — je parle des familles de paysans — sont, en fait de mariage, facilement contents, et c'est d'un cœur léger qu'ils vont au-devant des conséquences naturelles qui résultent du fait d'une famille nombreuse, de la misère et même des maladies qui en découlent ordinairement. Il n'est pas rare de voir des gens qui, sans la moindre avance, et se fiant seulement au travail de leurs bras, n'ayant qu'un linge rare et usé, à peine quelques meubles et un peu de vaisselle, fondent une famille dans un des souterrains appelés jusi et se jettent ainsi dans les bras de la Providence, qui n'a pourtant pas le devoir de venir toujours, par la suite, au secours d'une telle imprévoyance. C'est la cause pour laquelle beaucoup de familles de paysans journaliers sont très pauvres, malsaines et réclament des secours de toute espèce après quelques années à peine de ménage et dans un âge encore jeune.
La famille objet de cette monographie se trouve dans une meilleure condition. Elle comprend sept personnes, savoir :
1.Rocco S., père de famille, né à Ruvo, marié en secondes noces en 1896............ 49 ans.
2.Vincenza C, veuve F., sa femme............ 43 —
3.Francesco, appelé Ciccillo, fils de Rocco et d'Archangela F............ 23 —
4.Antonio, fils de Rocco et d'Archangela F............ 16 —
5.Raphaël, fils de Salvatore F. et de Vincenza C............ 13 —
6.Michel, fils de Rocco et d'Archangela F............ 11 —
7.Antoniella, fille de Rocco S. et de Vincenza C............ 3 —
§ 3. Religion et habitudes morales.
[11] La famille S***, comme toutes les autres de la ville, à part quelques rares exceptions, professe la religion catholique. Mais, pour elle, toute la religion se réduit à des pratiques exterieures, même à de simples habitudes ; rien de spirituel ni de doctrinal....
Les parents font baptiser tout de suite leurs enfants, ils se marient à l'église, après l'avoir fait à la mairie ; ils vont à la messe les jours de fête. S'ils se trouvent à la ville, ils se confessent comme et à qui ils croient le meilleur ; ils accomplissent le précepte pascal, ils récitent ensemble le Rosaire, ils écoutent quelques prédications et assistent à quelques cérémonies, quand ils n'ont rien de mieux à faire ; à l'article de la mort, ils demandent l'absolution et l'extrême-onction au prêtre qu'ils appellent pour les assister. Celui-ci devra ensuite les accompagner au cimetière ; et encore, beaucoup s'en passent-ils. Ils pendent des images sacrées et des crucifix à la tête de leur lit : c'est pour eux un ornement et une dévotion. A certains jours et surtout la nuit, ils allument une lampe votive, et quand ils veulent des grâces spéciales, ils mettent des cierges et des chandelles à l'église. Beaucoup vont aux processions, soit comme simples fidèles, soit comme membres de quelque confrérie ; ils ont alors le sac et la musette. Tous, au moment des grandes sécheresses de l'été, prennent part à l'étrange procession des pénitents : hommes et femmes poussent des cris et des lamentations, en faisant des gestes de bras vers la statue de saint Vincent, pour obtenir la pluie. Enfin, tous concourent de leur mieux à toutes les fêtes qui ont lieu dans l'année, et surtout à celle du patron saint Roch. Mais, si vous demandiez à la majeure partie de ces paysans quels sont les devoirs d'un vrai chrétien, quelle conduite il doit tenir, quels sont les préceptes fondamentaux de leur religion, ils ne sauraient pas répondre, et, de fait, leurs actes sont toujours en contradiction avec elle.
La famille S*** répond assez bien à ce type général. Elle remplit du mieux qu'elle peut les pratiques extérieures du culte, mais elle n'a pas la religion comme guide de sa vie, ni les divins commandements comme unique règle de sa conduite. Elle est surtout dominée par l'intérêt et par le souci du gain matériel. Elle ne s'occupe pas beaucoup de faire instruire[12]ses enfants des choses de la religion, elle ne les oblige pas non plus à les pratiquer. Dans les accidents, les désastres, comme dans les grandes solennités, au moment des missions, etc., les parents et les enfants accourent à la prière ; ils font des veux aux saints et à la Madone, ils promettent de changer de vie, puis ils recommencent comme avant. Cet état de fétichisme religieux rend le peuple indiférent pour ceux qui professent une autre religion, à condition, toutefois, qu'ils ne les gênent aucunement dans leurs pratiques. Mais si on cherche à les empêcher ou à les contredire, ils sont capables de se défendre, même par la violence.
Aucun membre de la famille n'est inscrit aux confréries religieuses, qui sont assez nombreuses. «Nous y penserons plus tard, dit Rocco ; pour le moment, occupons-nous de travailler.... C'est que la pensée qui prédomine chez lui est celle de l'intéret. Et, par intérêt, il travaille, il économise, il mange avec frugalité, il se refuse tout luxe. Il s'efforce d'obtenir les produits agricoles les meilleurs et les plus abondants, et de faire fructifier le capital qu'il a épargné. Il espère ainsi s 'assurer pour lui-même et pour les siens une propriété immobilière qui les mette en état de passer une vieillesse aisée. Il sait un peu lire et écrire, comme son fils Francesco, et bien qu'il n'ait pas une grande instruction, il montre, cependant, beaucoup de jugement naturel. Quand ses connaissances agricoles sont insuffisantes, il demande aux autres, il cherche à découvrir leur système, et aussitôt il le met en pratique. Il n'accepte pas à l'aveugle les nouvelles méthodes, mais il ne reste pas en arrière quand il s'agit de faire des essais qu'il trouve raisonnables et utiles. Par exemple, il fut un des premiers agriculteurs à comprendre l'utilité de la pulvérisation de la vigne avec la bouillie bordelaise ; il l'a pratiquée scrupuleusement à temps et comme il faut, sans se mettre en peine des dépenses, et pendant plusieurs années il a eu le plaisir d'avoir de très belles récoltes, alors que ses voisins, négligents ou avares, ne récoltaient presque rien.... De même, il ne manque jamais de faire les cultures en temps voulu, sans en négliger aucune. Et il aime tant la terre qu'il a louée, qu'à la fin du bail, pourvu qu'il ne fasse pas de pertes, il la redemandera, en offrant un prix plus élevé qu'aucun autre cultiva
C'est sans doute ce grand intérêt qu'il porte à la culture qui l'a poussé à épouser plus volontiers une seconde femme qui, veuve elle-même d'un pauvre paysan-fermier, se trouvait à la tête de plusieurs plans de vigne et au commencement d'un bail à long terme. Et c'est précisément pour[13]se concilier les bonnes grâces du propriétaire de ces terres, que lui et son fils Francesco tiennent tant à être électeurs.
La bonne entente règne entre les membres de la famille. Tous s'emploient, avec le père, à l'amélioration de leur condition. Rocco est un homme accort, prévoyant, rusé, et qui a su, par ses manières, gagner la confiance de ses fils, qu'il tient dans une soumission iliale absolue. L'exemple qu'il leur donne d'un travail sans relache les excite à l'imiter, et, bien qu'ils soient issus de trois mariages, ils sont ensemble comme des enfants d'un même père et d'une même mère. Le bon caractère de la femme est aussi d'un grand appoint. Elle ne s'impose pas, et, tranquillement, s'occupe des soins du ménage. Elle contente également les enfants et le mari, auquel ils doivent que leur vie s'écoule tranquille et facile.
§ 4. Hygiène et service de santé.
Les membres de la famille sont robustes et ne sont atteints d'aucune maladie héréditaire. Il faut en chercher la cause dans la vie régulière et disciplinée qu'ils menent et dans l'aisance relative dont ils jouissent.
La femme de Rocco heureusement n'est pas malade, mais elle est faible, elle a besoin de soins toniques et reconstituants et des bains de mer. Le mari pourvoit à tout cela le mieux qu'il peut, mais l'état général de la santé de la mère influe sur celle de ses enfants qu'elle nourrit et élève dificilement. Aussi meurent-ils en bas âge. Elle en a perdu plusieurs avec son premier mari et deux autres depuis sept ans qu'elle est mariée à Rocco.
Les membres masculins de la famille de Rocco sont forts et robustes. Toutefois, selon les saisons et les travaux, leur état physique s'améliore ou dépérit. Quelle diférence quand on voit ces hommes au milieu de leurs travaux avec leurs habits vieux et crasseux, le visage, les mains et les Dieds couverts de terre et de sueur, et quand on les voit ensuite, aux jours de fête et de repos, nettoyés, la barbe rasée, avec des habits propres et bien arrangés l Il faut pourtant avouer que les paysans, chez nous, n'usent guère d'ablutions et ne sont pas très propres de corps. Ils n'aiment pas a se laver le visage et les mains au sortir du lit, ni même toujours en revenant du travail. Ils se peignent encore moins, si ce n'est le samedi soir quand ils vont chez le barbier se faire raser la barbe et même la[14]moustache, couper les cheveux, et se nettoyer complètement au savon la figure et toute la tête. C'est pis pour les femmes qui ne se peignent pas souvent et ont la chevelure pleine d'insectes ; de là la sale habitude qu'elles ont de se faire fouiller les cheveux pour y faire la chasse aux poux
Nos paysans ont encore un usage détestable, c'est celui de garder à la tête de leur lit le vase de terre qui leur sert de tinette.... Le matin seulement les déjections sont vidées dans des réservoirs en fer qui font le tour du pays aux frais de l'administration. Ces mêmes réservoirs recueillent le soir les eaux sales de la ville, et toutes ces ordures jetées dans le voisinage des habitations, en attendant qu'elles soient vendues aux personnes qui en font la demande, sont elles-mêmes des foyers de pestilence.
Quand les paysans dorment dans la campagne, ce qui arrive souvent pour ceux qui cultivent des terres éloignées, ils couchent au grand air l'eté, et l'hiver sous des abris, sur de la paille, mais sans jamais se déshabiller, ce qui fait que leurs vêtements sont très sales et qu'ils sont mangés de puces. Pour cette sorte de paysans, le service militaire est d'un grand avantage, non seulement parce qu'il les éduque, les instruit et les civilise, mais encore parce qu'il leur fait acquérir de saines habitudes de propreté du corps et des vêtements. Ces habitudes qu'ils rapportent à la maison, jointes à leurs conseils et à leur exemple, ont beaucoup d'influence pour améliorer les conditions hygiéniques des autres. Dans la famille S***, celui qui se distingue entre tous est Francesco, qui a servi dans l'artillerie ; on le voit toujours propre, de manières aimables, assez instruit dans son langage, ce qui ne l'empêche pas d'être en même temps un bon ouvrier.
La famille a rarement besoin du médecin, à l'occasion elle en appelle un dans lequel elle a confiance et qu'elle paie en argent ou d'une autre manière proportionnée à sa condition. D'ailleurs, comme parmi les propriétaires des terres qu'ils ont en fermage, il y en a un qui est médecin, et veut bien venir visiter gratuitement ses fermiers, Rocco en profite et, quand il en a besoin, il va le trouver ou lui envoie la femme ou les enfants malades.
Au commencement de toutes les maladies, les paysans prennent conseil les uns des autres ; ils vont trouver les voisins parmi lesquels il y en a toujours de plus habiles et de plus entendus. Ils prennent les remèdes populaires qu'ils croient les meilleurs et dont l'expérience leur a indiqué les effets. Et en cela encore Rocco a quelques connaissances, comme tous ceu du reste qui vivent au loin dans la campagne et qui[15]doivent sur-le champ pourvoir aux accidents qui surviennent inopinément. A la ville il y a sept ou huit médecins et trois ou quatre sagesfemmes ; deux médecins et une sage-femme sont subventionnés par la commune pour soigner les pauvres à domicile. Il y a aussi une pharmacie annexée à l'hôpital civil pour la commodité des médecins, outre les six pharmacies qui sont dans le centre de la ville. La famille S*** se trouve dans une condition moyenne de fortune et elle ne s'abaisse pas facilement jusqu'à demander l'assistance publique (§ 22).
§ 5. Rang de la famille.
A cause de leur nature pacifique et de leur amour du travail, les membres de la famille sont très estimés, et leur chef jouit de la confiance des maîtres de la terre qu'il a affermée, parce qu'il est bon cultivateur et qu'il paie exactement. Il va même les voir et cause avec eux de l'état des travaux et des espérances de récolte. Quand le moment est venu de faire la vendange ou de cueillir les olives, avant de se mettre à faire la récolte, il va d'abord chez les propriétaires, leur demande s'ils veulent acheter ses produits, et leur fait des offres sans se montrer trop exigeant. Si ses maîtres refusent, il commence à s'informer des prix qui ont cours, il réunit les autres fermiers du même propriétaire. et lui-même, comme étant le plus expérimenté et le plus avisé, il fixe les prix et fait les marchés pour lui et pour les autres non sans avoir égard à la qualité dès acheteurs. Aussi est-il bien connu pour son habileté parmi les paysans de sa classe qui, à l'occasion, ne manquent pas de lui demander avis.
Malheur à celui qui oserait mettre le pied sur ses terres ou s'emparer de ses récoltes l Il ne le pardonne à personne et sait le montrer en traduisant les délinquants en justice. Cependant, si quelqu'un s'est montré son ami ou lui a rendu service, il est heureux de lui offrir les plus beaux fruits de ses terres, et il le fait avec un cœur reconnaissant.
Au moment des élections, ils s'imaginent, lui et son fils Francesco, qu'ils acquièrent une plus grande dignité personnelle, et ils prennent plaisir à montrer aux personnes de leur parti qu'ils s'intéressent à leur succès. Aussi vont-ils personnellement au comité prendre le mot d'ordre. Ils croient ainsi exercer un droit supérieur et valoir quelque chose en essayant de plaire aux personnes dont ils dépendent.
[16] Mais bien qu'ils constatent l'avantage qu'ils retirent de savoir un peu lire et écrire, ils ne se mettent point en peine de faire instruire leurs enfants ou leurs petits frères. Ils aiment mieux les emmener travailler dans la campagne, et ceci leur est commun avec beaucoup de familles de paysans. On s'explique ainsi le décourageant pourcentage d'illettrés que révèle le recensement. A cause de cela, le développement intellectuel et moral du peuple laisse encore beaucoup à désirer. Pourtant, il est naturellement intelligent et éveillé.
Moyens d'existence de la famille
§ 6. Propriétés.
(Mobilier et vêtements non compris)
Immeubles............ 1,445f 00
Parcelle de terre (contrée de Barile) de 35 ares en culture et plantée de 80 amandiers et 3 figuiers, 170f 00; — terre (contrée de Difesa comunale) de 43 ares obtenue dans le partage domanial de 1896, plantée en vigne avec 36 oliviers de 17 ans d'âge et 60 amandiers de 4 ans, évalués, lors du partage, 425f 00 ; valeur actuelle, 1,275f00. — Total, 1,445f 00.
Argent............ 100f 00
Somme gardée par la famille pour les besoins du ménage, 100f 00.
ANIMAUX DOMESTIQUES entretenus toute l'année............ 85f 00
1 âne, 80f 00; — 3 poules, 5f 00. — Total, 85f 00.
Matériel spécial des travaux et industries............ 149f 70
1° Pour la culture des champs. — 12 houes, grandes, moyennes et petites (zappa, zapparella, zappullo), 21f 50. — 1 grande hache, 2f 00: — 1 petite hache pour la taille des arbres, 0f 85 ; — 1 grande faux et 1 petite (serrecchia), 0f 70 ; — 1 serpe (potatoio), 1f 80; — 1 serpette (rindecca), 0f 35 ; — 4 couteaux de poche, 1f 00 ; — 4 paniers en olivier, 1f 70 ; — 6 corbeilles en olivier, 3f 00; — 5 sacs de toile de chanvre, 7f 50 ; — 1 bâche, formée d'anciennes tentes militaires, pour la récolte des olives, 6f 00 : — 2 hottes en bois, 5f 00 ; — 2 besaces, 10f 00 ; — 1 seau de bois (galetta), 1f10 ; — 1 corde, 1f 00: — 1 pulvérisateur, 15f 00. — Total, 78f50.
2° Pour l'exploitation de l'âne. — 1 petite voiture (traino), 40f 00 ; — 1 bât, 5f 00; — 1 licou en buffle, 4f 00 ; — cordes et étrilles, 1f 00. — Total, 50f 00.
3° Pour la confection du linge et des vêtements. — Etui à aiguilles, fuseau, aiguilles, épingles, ciseaux, 2f 00.
[17] 4° Pour le blanchissage du linge. — 1 baquet en sapin (gavito), 7f 00 ; — 2 cuves, 2f 00 ; — 1 planche à laver (chianca), 1f 00; — 1 grand récipient en argile (cantaro) ou l'on met le linge pour tremper dans la lessive, 2f 00 ; — 1 grosse toile de chanvre (racaniddo) qui se pose sur le linge lavé et sur laquelle on met la cendre pour la lessive, 1f 00 ; — fers à repasser et réchaud, 3f 00. — Total, 16f 00.
5° Pour la préparation du pain et des pâtes. — 1 pétrin, 3f 00 ; — 1 rouleau (laganatoio), 0f 20. — Total, 3f 20.
Valeur totale des propriétés............ 1,779f 70
§ 7. Subventions.
Avant que le bois de Selva eale (v. § 21) ne fût partagé entre les prolétaires, les citadins avaient le droit d'aller chercher le bois sec et de ramasser les glands. Rocco, alors plus jeune, allait comme les autres, en hiver, ramasser du bois ; une partie servait aux usages de la famille, le reste était vendu. Aujourd'hui, cette espèce de subvention publique n'existe plus, au grand dommage de toute la population. Cette propriété sur laquelle la communauté des habitants avait jadis des droits a été partagée entre les seuls quatre cents prolétaires que le sort a favorisés. Le bois a fait place à des vignes et à des champs cultivés. Du reste, Rocco a été peu privé par la suppression de cette subvention, parce que sur son fonds il récolte assez de bois et de fagots pour suffire aux besoins de sa famille.
Depuis que son industrie agricole est suffisamment florissante, il n'a plus de dettes. Il fut autrefois contraint de recourir à la Banque agricole, qui a précisément pour objet de faire de petits prêts aux agriculteurs afin de les aider à cultiver leurs terres. Rocco y a emprunté une somme de 50f qu'il a payée ponctuellement par acomptes dans l'espace de quinze mois, avec un intérêt de 6 %.
Une seule fois aussi et encore dans le passé, il fut assez malheureux pour recourir à la bienfaisance publique. Ce fut quand sa femme Vincenza, déjà gravement malade depuis trois mois, n'avait plus les moyens de se bien soigner. Il obtint alors gratis les médicaments de la pharmacie de l'hôpital. Les années de mauvaise récolte, les propriétaires du sol accordent la permission de payer seulement une partie du prix convenu, remettant le paiement du reste à l'année suivante ; de plus, dans les années de grands désastres, comme lorsque tous les produits[18]sont détruits par la gelée, la grêle, le vent (ˉFavonio), le mildiou, etc., Rocco a obtenu de ses propriétaires une diminution sur le montant de ses fermages. Actuellement la condition économique de la famille s'est améliorée, et grâce à son travail et à son industrie, elle en est arrivée à navoir plus besoin de personne.
§ 8. Travaux et industries.
Rocco tient à bail les terres suivantes :
1° Dans la contrée de « Matine », un vignoble de 60 ares et 46 centiares (1 1/2 vigne de corde)10, contenant vingt-quatre amandiers de trois ans (valeur foncière, 328f 75 par vigne, soit au total, 493f 12). Le fermage annuel est de 70f pour un bail à amélioration (§ 18), d'une durée de vingt-sept ans, dont dix-huit écoulés.
2° Dans la contrée de « Ralle », dite aussi v Ciccio Ficco », un vignoble de 2 hectares 1 are 55 centiares (environ 5 vignes), planté d'oliviers avec quelques amandiers, un noyer et quatorze cerisiers (valeur foncière, 1,200f). Il en paie un fermage de 386f 50 par an. Une partie de ce vignoble fut plantée par le premier mari de sa femme Vincenza ; Rocco a achevé le premier bail à amélioration et en a refait un autre de six ans sur de nouvelles bases ; il n'a plus qu'un an de durée, mais Rocco le renouvellera certainement au même prix, parce qu'il y trouve suffisamment son compte, et que le maître sera content de le lui louer encore.
3° Dans la contrée de « Lagarello », une terre de 80 ares et 2 centiares (2 vignes) (valeur foncière, 1,400f). C'est un bois que Rocco a défriché. On peut le considérer encore comme loué par bail à amélioration d'une durée de dix-huit ans. Il le tient en effet aux conditions suivantes : a) Obligation de défoncer le terrain dans la première année à la profondeur de 30 40 centimètres ; le fermier bénéficie des émondes et des racines des chênes abattus ; le détrichement lui a coûté 200f; b) permission au fermier de semer du blé les trois premières années, puis de l'avoine, la quatrième, du blé, les trois suivantes, de l'avoine, la huitième, et ainsi de suite jusqu'à la douzième, où le fermier fera une jachère[19]travaillée, pour revenir ensuite au même assolement dans les six dernières années de sa jouissance ; c) redevance en produits du sol et consistant en 9 1/2 tomoli11de blé, soit 5 hectolitres 32 par an, excepté les années de jachères où il ne paie aucun rendage ; d) enfin obligation de payer 5f 80 par an pour s'assurer contre la grêle. Dans ces terres, Rocco sème ordinairement deux tomoli de grain et en récolte de 25 à 30.
4° Dans la contrée de Pantano, une parcelle cultivée en jardin, d'une contenance de 40 ares 31 centiares, 1 vigne (valeur foncière, 2,125f). Le bail, d'une durée de trois ans, a commencé le 15 août 1903 au fermage annuel de 136f.
Travail du chef de famille. — Rocco dirige les affaires et est en même temps l'ouvrier le plus diligent. Il est propre à tous les travaux. moins la taille des oliviers pour laquelle il ne se croit pas très habile. Mais il coupe et taille la vigne. Il est habile à conduire la charrue, à semer, à battre le blé, à le vanner, et à tous les autres soins de la culture. Quand il n'a plus rien à faire dans ses terres, il va travailler chez les autres. Mais il ne veut pas être traité comme le dernier des ouvriers, et il réclame alors la direction des travaux.
Travail des fils. — Les deux fils les plus âgés, Francesco et Antonio, aident le père dans les divers travaux, et ils exécutent ponctuellement ses ordres. Quand ils n'ont plus rien à faire che eux, ils se louent comme journaliers. Le père a beaucoup souffert de l'absence de Francesco quand il est allé faire son service militaire. Les fils plus jeunes aident les grands dans leurs travaux, et font ce que leur permet leur âge ; comme les autres, ils vont aussi travailler chez les voisins.
Travail de la femme. — Elle s'occupe aux soins du ménage. Elle taille et coud le mieux qu'elle peut les habits de travail du mari et des fils, raccommode les vieux vêtements, coud et répare le linge, confectionne des bas, fait la lessive, soigne le pot-au-feu que les hommes trouvent tout préparé, quand ils reviennent de la campagne. Elle nettoie et entretient la maison.
Voici comment se divise la journée de travail du chef de la famille, et en général de tous les autres paysans. Dès l'aube, il quitte la ville, et selon l'éloignement des travaux, il se met à l'œuvre au lever du soleil. A neuf heures, il se repose pendant une demi-heure, et fait la collation avec du pain sec, puis il se remet au travail jusqu'à midi. Il le quitte pendant une heure en hiver, et pendant deux heures en été, quand il[20]doit travailler jusqu'au coucher du soleil (journée de la campagne), mais s'il doit revenir en ville à deux heures (ournee de ˉHuvo), il ne le suspend alors que pendant une demi-heure en été et pendant une heure en hiver. Dans les journées très chaudes, beaucoup préfèrent travailler la nuit quand il fait elair de lune, toutes les fois qu'il s'agit d'une simple culture à la aapnpa (houe), en terrain légumier (§ 16).
Industries entreprises par la famille. — La famille ne se livre pas à d'autres industries que celles qui ont rapport à la culture des champs, car on ne peut considérer comme industries étrangères la vente des produits du sol et la location de l'âne pendant quelques jours de l'année et surtout au moment de la vendange.
Quand le chef de famille dispose de quelque argent, il cherche à faire du négoce et des spéculations, seul ou avec d'autres. Par exemple, quand il croit pouvoir trouver à gagner en achetant du blé, des olives, des amandes, etc., au moment de la récolte, pour revendre ces denrées quand leur prix augmente, il y emploie son argent et court les risques du marché.
Mode d'existence de la famille
§ 9. Aliments et repas.
Les membres de la famille, comme tous les autres paysans, tant journaliers que fermiers, se nourrissent de préférence de pain, de pàtes de froment et de légumes, parmi lesquels ils préfèrent les fèves, aussi bien à la ville qu'à la campagne. Jadis, lorsqu'il n'y avait pas de moulins à vapeur, mais uniquement des moulins à traction animale, il n'y avait pas, en ville, un seul marchand de farine ; bourgeois et paysans envoyaient le blé au moulin, puis, chez eux, ils passaient au tamis la farine, pour séparer la fleur du grossetto, qu'ils mangeaient, et du son. Les plus pauvres achetaient le pain et ne descendaient au moulin qu'au moment du glanage des champs, et quand ils recevaient leur salaire en blé. Aujourd'hui, les marchands de farine se sont multipliés tellement que personne ne se soucie plus d'acheter du blé : on se contente d'acheter de la farine. Chacun, d'ailleurs, fait son pain, et peu de gens en achètent. Ceux qui gardent encore les vieux usages ont une réserve de blé et le[21]portent à la minoterie ; mais ils ne reçoivent pas la farine faite avec leur blé12, on leur en donne une quantité équivalente d'une autre provenance qui fait n pain bon et très blanc, mais ne rassasie pas et nourrit peu. Ce n'est pas là un vrai progrès, surtout si on réléchit que, souvent, ces farines sont brûlées et falsifiées avec des substances étrangères.
La séparation de la fleur d'avec le son est une affaire de luxe et plutôt mauvaise pour la nutrition. De l'avis de mon père, qui est médecin, il faudrait attribuer à l'usage immodéré et presque exclusif de cette farine, dans l'alimentation du peuple, la fréquence de l'ostéomalacie chez les femmes de paysans. Cette maladie, qui jadis était rare, se trouve encore favorisée par l'humidité des maisons, la précocité des mariages, les nombreuses grossesses et les continuels allaitements. Que si les hommes y sont moins sujets que les femmes, il faut l'attribuer encore à un plus grand usage des légumes qui sont, comme dit Molleschott, la viande du pauvre. Et puis, les hommes vivent au grand air, ils ont plus d'exercices de corps, ce qui rend plus rapides et plus complets les échanges organiques. L'abus de la farine, sous forme de pain ou de pàtes, est venu surtout du renchérissement des légumes, dont la culture a été restreinte par la suppression presque totale des exploitations situées dans la campagne. Il est, d'ailleurs, plus facile aux pauvres paysans de manger du pain ou de pétrir la farine pour faire des lagane, des straseiati, des cavatelli, que de cuire des légumes avec une plus grande dépense de combustible et une plus grande perte de temps. En plus de la farine, on fait grand usage de riz et de pommes de terre ; mais ni l'un ni les autres ne constituent un aliment suffisant.
La base de l'alimentation des paysans — je parle des hommes — est donc constituée par les légumes variés. Cependant, les fèves sont plus employées et, dans la campagne, forment l'aliment quotidien des paysans, spécialement des journaliers, qui, en plus du salaire, reçoivent des chefs de culture, quand ils demeurent à la campagne toute la semaine et y travaillent jusqu'au soir, une ration de féves cuites et assaisonnées d'huile et de sel. Cette ration (asta) est de quatre-vingts centilitres.
Ces habitudes sont communes à la famille S***. Rocco commence par se faire une provision de légumes au moment de la récolte, s'il n'en recueille pas assez sur son terrain. Quand il a fini de consommer toute[22]la farine qu'il a reçue du moulin en échange de son blé, il achète, au fur et à mesure des besoins, la quantité nécessaire pour une semaine, et la femme en fait des pains du poids de deux lilorammes chacun. Ces pains sont trop gros, cuisent mal au four, et ainsi sont moins digestibles, parce que la mie est trop considérable par rapport à la croûte13.
Quand les hommes s'en vont aux champs, ils emportent avec eux la quantité de pain qui leur est nécessaire, et ils le mangent aux heures de repos, sec ou assaisonné, selon les saisons, d'ail, d'oignon, de chicorée et d'autres herbes comestibles, ou de tomates et de diauvolil (poivre rouge). Le soir venu, s'ils restent aux champs, chacun, pour son compte, fait cuire ses fèves, ou, pour ne pas perdre de temps, il se contente de faire une simple soupe de pain à l'ail, au sel, à l'huile, aux tomates ; ou, s'ils reviennent à la ville, ils trouvent tout préparé le plat de légumes, qu'ils mangent ensemble avec la maîtresse de maison, qui, d'ordinaire, a déjà fait un premier repas au milieu de la journée. Il arrive quelquefois qu'on achète un peu de poisson, ou quelque autre aliment du même genre, lorsqu'on le trouve à bon compte au marché. Le repas principal se fait habituellement le soir. Avant de se mettre au lit, on mange encore une bouchée, soit des restes du potage du matin, soit de pain et de verdure : céleri, fenouil, laitues, brocolis de navets, ou du pain sec et une gorgée de vin. Cette nourriture monotone de chaque jour ne change pas pour les paysans qui restent le soir dans la campagne ; mais, à la ville, elle varie selon les circonstances. Celui qui jouit d'une certaine aisance. au lieu de maner toujours des fèves, use d'autres légumes, comme il arrive dans la famille de Rocco, et, au lieu de les manger seules, on les entremêle avec du riz, de la verdure, des pàtes, ou encore, à la place des légumes, on mange ces pâtes assaisonnées, à l'ail et à l'huile, avec du saindoux et des conserves de tomates, ou avec de la rieotta tosta14, de la rieotta forteˉ, appelée aussi rieotta asquate15, très appétissante, quoique immangeable pour qui n'y est pas habitué, à cause des acides gras qu'elle contient. En été, les paysans préfèrent l'assaisonner avec des tomates, de l'ail et de l'oignon frits dans l'huile. Ils font encore un bon repas avec le ble du oi, improprement appelé épeautre, et aussi avec de l'orge, auxquels on fait subir préalablement une sorte de mouture[23]dans un mortier, et dont on fait un potage cuit comme le précédent ; les jours de fête, on mange du ragoût. On fait aussi usage de pois et de fèves en cosses ; au printemps, on mange des raves, des choux pommés, des bettes, des chicorées et autres plantes potagères, herbes comestibles, têtes de moutarde, citrouilles, haricots verts, selon la saison. La famille de Rocco cultive presque toutes ces verdures sur ses terres ; aussi, n'en manque-t-elle jamais. En été et en automne, on a les fruits et spécialement le raisin, qui, avec le pain, sont les aliments principaux.
Les années de disette, quand les familles pauvres de journaliers soufrent de la faim, et aux jours dificiles de l'hiver, la nourriture la plus commune est la farine de mais cuite à l'eau avec peu d'assaisonnement, ou les lupins et les caroubes importés de l'étranger. Mais la famille S*** n'est jamais réduite à une telle extrémité ; elle trouverait, d'ailleurs, aisément crédit.
Aux jours de fête, quand il y a des invités, aux baptêmes, aux mariages, aux inhumations, les choses changent et l'on suit les vieux usages. Le dimanche et les jours de fête ordinaires, les familles de paysans ont coutume de manger des pates faites à la maison, ou du macaroni de qualité inférieure et assaisonné comme nous avons dit. Ceux qui le peuvent achètent un peu de viande de brebis, de mouton ou d'agneau (pas plus de 300 à 400 grammes), dont le jus assaisonne la pàte. Par économie, d'aucuns préfèrent la viande de cheval, dont il se fait dans le pays une grande consommation : la vente en est publique, autorisée par le gouvernement, surveillée par le vétérinaire municipal et l'ofice sanitaire, et même soumise à un impôt. Dans la famille de Rocco, le compte des dépenses aux jours de fêtes est le suivant :
Une famille de paysan journalier, composée du même nombre de personnes, fait à peu près la dépense suivante :
[24] Toutes les fêtes solennelles ont leurs habitudes spéciales auxquelles les paysans, même les plus pauvres, renoncent difficilement. Ainsi, la veille de Noél, au soir, on mange des lasagnes avec du maquereau frit, et ceux qui le peuvent y ajoutent de la morue frite, et suppléent ainsi à l'anguille que mange le riche. Le repas comprend encore de la verdure, des figues sèches, du pain et du vin. Puis quand ils ont l'estomac plein de si bonnes choses, les paysans s'en vont à l'église où ils assistent à l'office de nuit. Le jour de Noél, ils mangent les pates accoutumées faites à la maison avec le ragoût ; seulement ils y ajoutent, s'ils en ont le moyen, des cartellate, pàtes fines taillées en morceaux, frites et passées dans le vin cuit. Le dernier jour de carnaval, ils consomment de :a viande de porc.
Ainsi, tout compte fait, la famille du journalier mange de la viande huit ou dix fois par an, et le fermier à presque tous les jours de fête, mais très rarement d'autres jours, si ce n'est en cas de maladie.
Aux baptêmes, il est d'usage, à la sortie de l'église ou de la maison des parents du nouveau-né, de jeter aux assistants des amandes. On réserve les bonbons bourgeois habituels pour la maison.
Pour les noces, chacun fait de son mieux, mais d'ordinaire, le matin, on prépare un potage frais au jus de mouton, du bouilli et des légumes ; le soir, on sert les inévitables macaronis avec le ragoût, quelquefois des côtelette de mouton ou de porc ou un plat de viandes salées. Les légumes servent de dessert, le pain et le vin sont à discrétion. Si les noces se célèbrent en hiver, on ne manque pas de figues sèches, de noix, de noisettes et d'amandes ; en été, à la place, on a des fruits de choix en abondance. Mais ce jour-là, les familles des mariés, outre la provision qu'ils doivent faire de tarallini (petits gateaux de farine et de sucre), d'amandes, de sucreries et d'autres douceurs pour complimenter les invités, ont un autre office plus ennuyeux et plus coûteux. Aux propriétaires, aux maîtres amis, comme au prêtre qui a béni les mariés et au compère de l'anneau, appelé racciere, parce qu'il offre le bras à la ma[25]riée pour la condure de la maison à l'église, on a l'habitude d'envoyer, le soir, un magnifique plat de macaronis de choix, dit de zita (des époux), cuit avec du bon fromage, du poivre et du ragoût, avec, au milieu du plat, un poulet rôti tenant une dragée dans le bec. Ces plats qui, selon les relations qu'on a, peuvent atteindre le nombre de cinq ou six. doivent être portés, enveloppés d'une nappe très blanche, de maison en maison, par le pauvre mari, revêtu de ses habits de gala.
Il est bien entendu que ces plats ne reviennent pas vides, mais, selon la dignité de la personne qui les a reçus, ils rapportent des présents consistant en objets d'or, en laitages, en bonbons, etc. La même chose se passe aux baptêmes, mais alors on ne donne le plat qu'au prêtre et au compère. Depuis quelques années, ces usages se perdent et les macaronis sont remplacés par des bonbons, des liqueurs, des rafraichissements. D'aucuns même se bornent à se conformer aux usages, sans faire de cadeau d'aucune sorte. Rocco est de ces derniers, parce qu'il pense, et il n'a pas tort, que ce sont là des dépenses inutiles.
L'omelette et la friture de poisson sont d'usage lors des fiancailles.
Dans les repas entre parents et amis (consuoli), à la maison mortuaire, le bouillon et la viande sont absolument interdits, parce qu'on outragerait la mémoire du défunt en mangeant de la viande. La famille, en cas de mort, tient elle aussi à ces cérémonies, mais pour ne pas entrer dans de trop grandes dépenses, elle fait comme elle a vu faire à d'autres : elle se réunit à quelque autre parent et on partage les dépenses. En somme, dit Rocco, on a besoin de faire quelque chose pour maintenir les bons rapports de parenté entre les familles, puisque ces cérémonies sont comme les serviettes qui se plient et se déplient.
§ 10. Habitation, mobilier et vêtements.
L'habitation de la famille est située dans la rue Sainte-Barbe ; on y accède par une petite porte cochère qui est commune à tous les locataires. Il y a sept marches et le palier est élevé de deux mètres au-dessus du sol de la rue. On dirait un rez-de-chaussée plutôt qu'un premier étage. La maison est batie en pierre calcaire ; des paysans propriétaires habitent les étages supérieurs, et au-dessous il y a un souterrain (juso), où[26]demeure la misérable famille d'un paysan journalier. Ainsi se rencontre dans cette maison la division déjà signalée des paysans en propriétaires, fermiers et journaliers, et on voit que la famille de Rocco représente la classe moyenne des agriculteurs.
L'appartement se compose de deux chambres. La première, la chambre des époux, a cinq mètres sur six de superficie, et trois mètres de hauteur moyenne, et une voîte a gavette en pierre. Elle reçoit le jour par un petit balcon avec grille de fer qui avance légèrement, au-dessus des cinq marches qui couvrent l'escalier par lequel on descend de la rue dans la cave. La seconde chambre mesure quatre mètres sur trois et une hauteur moyenne de trois mètres, elle a une toute petite fenêtre en haut, qui ne donne pas beaucoup de lumière. Elle comprend, dans le haut, une séparation en bois, à laquelle on accède par un escalier mobile, propriété du maître de la maison.
Le pavage est en carreaux de pierre calcaire, et les murs sont revêtus d'un enduit et blanchis au lait de chaux, badigeonnage que, par propreté, on renouvelle deux fois par an, à Pâques et à la fête du patron, saint Roch, et parfois le 10 août, jour des déménagements. Les volets sont en sapin, grossièrement peints et en mauvais état. Un réduit assez profond, tout proche de l'habitation, sert d'écurie pour l'âne. Il est évident que cette maison n'est point du tout sufisante pour une famille de sept personnes et cependant ce ne sont pas là les gens les plus misérables. Ils ont même une certaine dignité, mais on comprend, en réfléchissant, qu'ils soient logés aussi à l'étroit ; les loyers sont chers et les paysans se soucient peu de l'hygiène et de leurs aises, sans compter qu'on transige beaucoup trop souvent avec cette décence personnelle qui est pourtant le fondement de la moralité. La famille de Rocco supplée à l'exiguïté du logement par un peu plus d'ordre et de propreté ; on se demande cependant comment sept personnes peuvent coucher dans deux chambres et trois lits ; on en improvise un tous les soirs sur un sac que l'on tire de dessous le lit des parents haut d'un mètre.
Meubles., en assez bon état, plutôt propres, meilleurs et en plus grand nombre que dans les familles de journaliers............ 294f 50
1° Mobilier de la chambre conjugale. — Lit des époux (fait de deux tréteaux en fer sans dossier), 4f 00: — 3 tables, 5f 00 ; — 1 grand matelas (sac, rempli de balle de maïs), 25f 00; — 4 oreillers de grosse toile de coton rembourrés de laine, 24f 00 ; — 1 tour de lit, consistant en une bande de percaline aussi haute que les tréteaux, qui fait le tour du lit et cache ainsi ce qu'on a mis dessous, 10f00 ; — 1 lit pour les fils cadets, formé de deux tréteaux de bois, 1f 50 ; — 2 tables, 3f00;[27] — 1 sac avec de la paille d'orge, 5f 00 ; — 1 oreiller plein d'etoupe, 0f 75 ; — 1 armoire ou commode en noyer à quatre tiroirs, 100f 00 ; — 1 table de noyer (belfettino) à tiroir, 10f00; — 12 ehaises, 12f 00 ; — 1 grande caisse en sapin peinte en vert, 12f 00 ; — 1 boite rustique pour mettre le pain et autres objets, 5f 00 ; — 1 petit miroir, 0f 30; — peignes et brosses, 0f 35 ; — 12 cadres de saints et madones et un crucifix, 25f 00. — Total, 242f 90.
2° Mobilier de la petite chambre qui sert à la fois de chambre à coucher pour les grands fils et de cuisine. — 1 petit lit composé de deux tréteaux de fer, d'un matelas en balle de maïs et d'un traversin de laine, 50f 00 ; — 1 petite table rustique sur laquelle on mange, 1f 60. — Total, 51f 60.
Ustensiles : grossiers, mais en bon état, et en nombre suffisant pour les besoins ordinaires de la vie............ 46f 00
1° Employés pour l'alimentation, le chauffage, l'éclairage et le nettoyage. — 1 gril (radicua), 0f 50: — 2 trépieds en fer, 1f 50 ; — 1 réchaud en cuivre jaune avec son soutien de table, pour réchauffer la maison pendant l'hiver, 5f 00 ; — 2 chaudrons, un grand et un petit, en cuivre étamé, 8f 00 ; — 1 poêle en fer (sartascina), 0f 50 ; — 1 casserole en cuivre étamé, 4f 00 ; — 3 poêlons en terre réfractaire et 2 marmites (tiedde et pignattidi), 0f 60 ; — 2 hydres16(quartare) pour l'eau, 1f 00 ; — 1 cruche ruzzulo), 0f 10 ; — 1 bouteille pour l'huile, 0f 15 ; — 6 couverts en fer étamé, 1f 00 ; — 3 couteaux de table, 0f 60 ; — 1 flacon et 2 bouteilles de verre, 1f 00 ; — 6 verres, 1f 00 ; — 3 vases d'argile (capasieddi), 0f 75 ; — 2 lanternes en terre glaise (lusce), 0f 05 : — 2 lampes à pétrole en verre, 3f 00 ; — 1 balai et une balayette, 0f 50 ; — 1 pot de chambre et un vase d'argile, derrière le lit, couvert d'un morceau de grosse toile (il est vidé le matin dans les carrati) (§ 4), un récipient pour les eaux sales, 0f 25 ; — autres objets divers, 3f50. — Total, 33f 00.
2° Employés à des usages divers. — 1 horloge avec réveille-matin, 8f 00 ; — parapluie, seau en fer, etc., 5f 00. — Total, 13f 00.
Linge de ménage : en toile solide de coton, en grande partie tissée à la ville, suffisant pour les besoins de la famille, bien confectionné............ 95f 00
6 grands draps, 57f 75 ; — 6 taies d'oreillsr, 6f 00; — 6 serviettes, 6f 00; — 6 essuie-mains (3 blancs, 3 de couleur), 6f 00 ; — autres petits draps et draps raccommodés, plus un morceau de toile de chanvre ou rezza servant de moustiquaire à la fenêtre, 14f 00; — maillots et langes pour les enfants au berceau, 5f 25. — Total, 95f 00.
BIJOUX ET ARMES............ 38f 50
1 revolver, 2f 00 ; — 1 montre en argent, 21f 50 ; — 1 paire de boucles d'oreilles, 5f 00 ; — 1 broche, 10f 00. — Total, 38f 50.
Vêtements : la famille n'est pas pourvue de vêtements et de linge de corps bien homogènes, parce qu'elle s'est établie sur les restes des deux autres familles disparues............ 630f 00
[28] VÊTEMENTS DU CHEF DE FAMILLE (208f 50).
6 mutate (la mutata comprend chemise, calecon et chaussettes), 100f 00 ; — 1 costume de laine pour l'hiver, 30f 00; — 1 habit neuf de rigatino bleu, 20f 00 ; — 1 capote d'étoffe, 20f 00 ; — 1 paire de chaussures, 5f 00 : — 1 chapeau mou, 2f 00; — 1 cravate, 0f 50 ; — 2 habits de rigatino (étoffe de coton tissée par les paysannes), 20f 00 ; — 1 habit de rigatino rapiécé, 7f 00 ; — 1 paire de chaussures ferrées très usées, 3f 00 ; — 1 vieux chapeau, 1f 00. — Total, 208f 50.
VÊTEMENTS DES DEUX FILS AINÉS, FRANCESCO ET ANTONIO (183f 00).
Linge de corps, 24f 00 ; — 3 habits de rigatino bleu (un neuf et un rapiécé), 37f 00; — 1 capote, 15f 00 ; — 3 paires de chaussures (dont une pour la ville et les fêtes, une pour la campagne, une à peine encore utilisable), 12f 00; — 2 chapeaux mous (un neuf et un usé), 3f 00 ; — 1 cravate, 0f 50. — Total des vêtements de chacun, 91f 50 ; — pour les deux, 183f 00.
VÊTEMENTS DES DEUX AUTRES FILS (96f 00).
Pour chacun, 3 habits complets de rigatino et 1 chapeau, 30f 00 ; — 2 paires de chaussures, 8f 00 ; — linge de corps, 10f 00. — Total, 48f 00; pour les deu, 96f 00.
VÊTEMENTS DE LA MÈRE DE FAMILLE (139f 00).
Linge de corps, 60f 00 ; — 1 costume de laine, 20f 00 ; — 1 assez bon costume de flanelle, 10f 00 ; — 1 costume de rigatino usé et deux tabliers, 6f 00 ; — 1 fichu de laine, 8f 00 ; — 1 fichu, laine et soie, de couleur, pour faire des visites, 11f 00 ; — 1 petit châle (fisciu) pour la tête, 2f 00 ; — 1 paire de bottines, 8f 00 ; — 1 paire de chaussures pour tous les jours, 4f 00 ; — 1 paire de chaussures usées et des pantoufies, 3f00; — autres menus vêtements, 7f 00. — Total, 139f 00.
Vêtements de la petite fille (3f 50).
2 vêtements de toile, 1f 50 ; — 1 paire de chaussures neuves, 2f 00. — Total, 3f 50.
Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 1,104f 00
§ 11. Récréations.
La ville de Ruvo n'offre pas de divertissements publics, si ce n'est les fêtes religieuses qui sont assez nombreuses. Quand on veut se promener, on parcourt les rues ou le corso qui sépare la vieille ville de la nouvelle, ou bien on va à travers les champs. Les gens du peuple, surtout les femmes, à partir de Pàques, font ces promenades les jours de fête ; l'été, elles se promènent au frais le soir, puis elles s'arrêtent sur la place Castello où joue la musique de la ville, et elles y restent un peu. Le matin des jours de fête, les hommes s'occupent de leurs affaires, et quand ils se promènent, ils accompagnent leur femme et leurs enfants. Les paysans propriétaires payent les ouvriers ; les fermiers s'approvisionnent de tout ce dont ils auront besoin pendant la semaine ; les journaliers recoivent leur salaire et, sur la place, ils se[29]louent pour la semaine suivante et font leurs prix ; puis, avecc l'argent qu'ils ont reçu, ils paient leurs dettes et s'approvisionnent de ce qui leur est nécessaire. Ils vont ensuite dîner vers midi, et s'ils n'ont pas entendu une messe matinale, comme ils le font habituellement, ils assistent à celle d'une heure. Dans l'après-midi, après un long repos, ils sortent de la maison, vont voir quelque parent, causent avec des amis, arrangent quelque affaire, vont à quelque cercle dont ils font partie. Les jeunes gens vont encore a la musique, à moins qu'ils ne préfèrent rendre visite à leur fiancée comme fait justement le ils Francois, qui, avec le consentement de son père, se dispose à entrer en ménage. Telle est la vie ordinaire des paysans aux jours de fêtes.
Dans les grandes solennités, comme à la fête de saint Roch, à l'octave du Saint-Sacrement, et aux fêtes qui suivent, on sort un peu de l'ordinaire. On dîne mieux, on assiste au ofices de l'église, aux processions auxquelles beaucoup prennent part, aux illuminations, aux salves de joie, aux feux d'artifice, au lancement d'artistiques et grandioses montgolfières, qui sont faites dans la ville même, par des ouvriers capables et renommés. On écoute les concerts et l'on se promène en foule à travers les rues joyeuses et illuminées. Pour tout cela, on revêt ses plus beaux habits, et même pour avoir plus d'apparence, on se fait habiller et chausser à crédit. Les femmes volent quelques francs à leurs maris, et les enfants dépensent tout ce qu'ils ont pu soustraire des salaires qu'ils remettent à leurs parents. On fume des cigares, on prend des rafraîchissements, on fait des repas, on achète des fruits. Aussi pour toute cette ripaille, n'est-ce pas assez d'un jour à la fête du patron : elle dure du samedi au lundi.
En dehors de ces fêtes religieuses, du 27 au 29 septembre de chaque année il y a une foire pour les animaux et les ustensiles agricoles. C'est la foire de Sant-Angelo, où les agriculteurs achètent les animaux dont ils ont besoin pour la culture des champs et la prochaine vendange. Le dimanche, sur la place, il y a un petit marché, surtout pour les ustensiles agricoles, et en particulier pour les socs de charrue.
Quand il y a quelque fête religieuse dans les bourgs environnants, beaucoup de paysans y accourent avec leur femme et leurs enfants, qui en voiture, qui à pied ; puis, morts de fatigue, ils s'en retournent dans la nuit, après avoir bu et mangé. On fait la même chose pour deux fêtes champêtres, la lfête de l'Annonciation a Caulendano et pour celle de Notre-Dame des Grâces dans la chapelle du même nom, qui sont deux églises assez éloignées des centres habités. On va à pied ou en voiture,[30]on entend la messe, on se promène, on est content, et tout se termine par une collation et une partie de campagne. Il y a des familles de paysans qui font le vœu d'aller en pèlerinage au sanctuaire de Notre-Dame de Capurso. à Saint-Michel sur Gargano, à Notre-Dame d'Incoronata près de Foggia, à Saint-Nicolas de Bari ; depuis quelques années, on se rend également à Notre-Dame du Rosaire de Pompéi. Quand ils s'en vont ainsi, ils forment une caravane de trois, quatre familles, et ils partagent les dépenses.
La famille de Rocco, très adonnée au travail et à l'épargne, n'aime pas les fêtes. Ses membres se divertissent seulement aux fêtes de la ville et encore modérément, sans faire trop de dépense pour s'habiller et manger ; ils se contentent d'offrir le mieux qu'ils peuvent leur concours et s'amusent seulement des divertissements publics et gratuits. Rocco, dans sa jeunesse, pincait de la guitare et même était invité par ses amis à les accompagner quand ils donnuient la sérénade à leurs belles, et à leur chanter des sonnets, comme on dit. On le demandait aussi pour jouer dans les bals et on le payait. Maintenant, il a cessé complètement de jouer, pour ne pas donner, dit-il, mauvais exemple à ses fils, parce que tout cela distrait du travail et fait que les jeunes gens aiment mieux rester a la ville que d'aller à la campagne.
Le père et les deux fils aînés fument, mais modérément ; sur toute l'année ils ne consomment pas plus de cent cigares et très peu de tabac pour la pipe. Parfois, quand les matinées d'hiver sont froides, avant de partir pour les champs, ils boivent un petit verre de liqueur qu'ils appellent escolanaa ou sausurro. Quand Vincenza n'est pas bien portante, son mari achète pour un sou de café, et c'est tout son luxe. Par raison de santé, on la conduit aux bains de mer dans la Molfetta voisine où on loue, à la journée, un lit dans une maison. Le matin, on prend le bain ; pendant le jour, on se tient sur le rivage, et le reste du temps, on se promène, on mange et on dort. Les parents emmènent avec eux la petite fille seulement, les garçons restent à la maison. Ce sont là pour eux de vraies journées de repos et de vacance dans lesquelles ils ne dépensent pas plus de 20 à 30f pour dix jours.
S'il y a un baptême, on ne fait pas de tapage, on dépense le moins possible, et on ne fait ni invitations ni fêtes, par raison d'écononie. Enfin, aucun membre de la famille n'a l'habitude de fréquenter les cercles ou de perdre son temps au café ou dans les salons de coiffure, ou se réunissent tant de jeunes paysans, avec leurs guitares et leurs mandolines. Ils fréquentent encore moins les bals publics indécents et[31]immoraux que l'on donne au moment du carnaval, plus par spéculation que pour divertir. En outre, personne de la famille n'a l'habitude de jouer à la loterie ou aux cartes, habitude déplorable qui a conduit plusieurs familles à la ruine.
Histoire de la famille
§ 12. Phases principales de l'existence.
La famille de Rocco présente le bel exemple d'une de ces familles de braves gens qui, par leur travail, leur prévoyance, l'honnêteté et l'économie de leur vie, de paysans journaliers se sont élevés à la classe de fermiers, et sont en train de devenir propriétaires. De fait, les deux lambeaux de terre que Rocco possède ne suffisent pas pour que l'on puisse l'appeler propriétaire ; c'est bien plutôt un fermier, puisque la majeure partie des terres qu'il cultive, et dont il retire la presque totalité de la subsistance de sa famille, est tenue à bail. Il a commencé sa vie par faire le bualano, c'est-à-dire comme simple salarié dans une ferme (§ 18), travaillant la terre comme l'avait fait son père ; ce dernier. simple ouvrier de ferme d'abord, avait été fermier lui aussi et propriétaire d'animaux, puis il tomba dans le malheur à la suite de procès perdus et de mauvaises récoltes. Adroit comme il l'était, Iocco apprit bien vite son métier de simple bualano, devint voiturier, puis oualano en chef et enfin intendant. Alors il épousa Archangela F***, qui était elle-même ille d'un paysan. Il eut d'elle plusieurs fils. Quand la famille augmenta, il vit avec peine que le salaire n'était pas suffisant pour satisfaire aux besoins du ménage ; par ailleurs, il remarqua que tout le monde se mettait è planter des vignes et à abandonner la culture du blé ; dans la ferme même où il était intendant, il assistait a cette transformation ; alors, bien qu'ignorant de la viticulture, il laissa résolument la charrue et commença à vivre en paysan.
Pauvre comme il était, inconnu de tout le monde, il fut obligé de se louer à la journée, et ainsi pendant ce temps, en gagnant le pain de sa famille et le sien, il apprit tout ce qu'il fallait pour bien conduire une[32]vigne. Devenu assez habile, il prit courage, et avec l'aide de son beau-père F*, il demanda à louer et obtint, moyennant un bail à améliorations pour vingt-sept ans, 80 ares environ de terre ; par son travail et son économie il réussit à planter son premier vignohle. Il connut d'abord la gêne pendant les premières années, mais quand la vigne vint à produire, elle lui apporta la fortune. Son beau-père mourut au bout de quelques années et Rocco, sa femme et ses fils héritèrent de 40 ares 31, c'est-à-dire d'une petite vigne qu'il a améliorée et mise en culture, comme toujours, en lui donnant beaucoup de valeur par son travail. Peu à peu, avec sa première vigne en plein rapport et la petite part dont il avait hérité, il trouva facilement crédit, et put louer d'autres terres partie en vignes, partie en labour. Il en était là, quand mourut sa femme Archangela, ce qui l'arrêta quelque temps dans la poursuite de ses petites entreprises. Mais il y a déjà de cela sept ans. Il a refait une famille en épousant Vincenza C*** qui lui a apporté des dettes, mais aussi des vignes louées à améliorations (§ 8). Il a auparavant bien étudié la situation, et quand il a été persuadé que, même en se chargeant des dettes, il pourrait réaliser des bénéfices sur ces terres, il s'est fait accepter par les propriétaires respectifs et a pris la direction de la petite entreprise. Les années sont devenues meilleures, les enfants ont grandi et l'ont aidé dans son travail, le sort l'a encore favorisé dans le partage des biens domaniaux (§ 6 et 21) et ainsi il est arrivé à sa condition présente, qui, si elle n'est pas des plus séduisantes, n'est pas non plus à dédaigner.
§ 13. Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille
La famille a assuré son bien-être physique et moral par son travail, son économie et l'accord entre ses membres, accord qui résulte surtout de la soumission de tous à l'autorité paternelle. Le père de famille a surtout confiance dans la Providence et dans ses forces. La ponctualité avec laquelle il fait honneur à ses engagements lui a valu la bienveillance de ceux qui lui ont donné leurs terres en fermage. Il sait, comme du reste il en a eu la preuve, qu'en cas de désastre il peut compter sur eux, et ceux-ci lui rendront moins douloureuse la tristesse des conditions dans lesquelles il pourrait se trouver, en lui remettant une partie de ses[33]fermages et en lui donnant du temps pour les payer. Il sait bien que tous les maîtres ne sont pas humains et charitables, aussi, avant de louer une terre, il ne regarde pas d'abord quelle est sa qualité, mais quel est le caractère des propriétaires, et il traite avec ceux qu'il reconnaît plus raisonnables et meilleurs. Rocco ne vit que pour la terre et sur la terre ; il me disait un jour : a Malheureux qui s'épuise à retourner ces mottes ; mais elles renferment de l'or pour le paysan laborieux Dans de telles conditions, il dédaigne de demander des subsides aux autres, il se refuse à faire des dettes, il ne fait partie d'aucune association et ne veut pas entendre parler de ligues de paysans, il veut être libre dans l'usage de son activité, et il apprend à ses fils à en faire autant. Mais, à l'heure où naîtrait une association ayant pour but véritable et unique le secours mutuel dans le travail, le u pour tous et tous pour un, Rocco s'empresserait de profiter des avantages d'une telle institution et, de fait, on voit qu'il n'est jamais demeuré en retard quand il s'est agi d'innovations réalisant un réel progrès.
ÉLÉMENTS DIVERS SUR LA CONSTITUTION SOCIALE
FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION SOCIALE: PARTICULARITÉS REMAROUABLES, APPRÉCIATIONS GÉNÉRALES : CONCLUSIONS.
§ 17. SUR L'ÉTAT DE LA CULTURE
[48] Les richesses végétales du territoire de Ruvo sont nombreuses et abondantes. On peut les diviser selon les diverses ones de culture.
En commencant par la plus éloignée, il y a d'abord la zone des Murge, consacrée presque tout entière au pàturage des troupeaux de taureaux sauvages. Là, croissent spontanément, par endroits, le poirier sauvage, l'amandier sauvage, l'aubépine, les ronces de diverses espèces et, très abondamment, beaucoup de graminées excellentes pour le fourrage (brize, brome, chiendent, avoine), et de légumineuses (vesce, trefle, cicerole, etc.). Il ne manque pas non plus de liliacées dont les bulbes sont comestibles pour l'homme. On y rencontre aussi la molène, l'asphodèle, les féruls et plusieurs espèces de champignons ; les vénéneux sont rares.
Dans les quelques bois qui se trouvent dans une zone inférieure et que la loi et les règlements ont soustraits au partage pour éviter les inconvénients qui pourraient résulter de la déelivité du terrain, on trouve communément la quercus sessifora, ar. puoescens, la pistacia letiscum, les alaternes et beaucoup d'autres légumineuses, graminées et liliacées. n peut, néanmoins, considérer comme une zone boisée le R. Tratturo, qui servait, quand les pâturages étaient en honneur, de passage et de repos aux nombreux troupeaux qui descendaient des Abruzes pour venir dans les Pouilles, hiverner sur les terres du Tavoˉliere17.
[49] Aujourd'hui, par suite de défrichements imprudents, les pàturages ont fait place a la culture ; le nombre des animaux a beaucoup diminué, et encore, ceux que l'on rencontre ne peuvent-ils pas tous trouver à se nourrir sur ce territoire. Actuellement, on compte à uvo de 18 à 20,000 animaux d'espèce ovine, de 800 à 1,200 animaux d'espece bovine, y compris les bœufs de labour et les quelques vaches laitières provenant d'un croisement d'une race des Pouilles avec une race suisse, et dont le lait est vendu à la ville.
Les troupeaux peuvent fournir de 1,800 a 2,000 quintaux de fromage, fait par les pasteurs avec les ustensiles semblables à ceux dont se servaient leurs ancêtres ; il se vend 130 à 135f le quintal ; ils procurent, en outre, de 1,500 à 2,000 quintaux de laine, qui se vendent 150 à 210f le quintal. Il y a en plus les agneaux, les moutons et les troupeaux de rebut, qui font la viande de boucherie. Les vaches donnent de très bons laitages dont on fait des fromages, notamment le caciocavallo18, considéré comme le meilleur. Cependant, à cause du petit nombre d'animaux, on ne fait que peu de fromage, rien que pour l'approvisionnement de la famille.
On peut conclure que l'élevage des vaches ne donne guère de bénéfices, et comme les paysans éleveurs ne se donnent pas autant de peine pour avoir de bonnes génisses que pour avoir des bœufs de labour, la race s'en perdra. On peut dire la même chose de la race chevaline. Il n'y a pas, en tout, plus de 700 a 800 bêtes de cette espèce, et elles sont aux mains d'un petit nombre de propriétaires qui les emploient à diverses industries et à battre le blé en le foulant aux pieds19. Enfin, il y a les mulets, les ânes, au nombre de 800 900, qu'on attelle aux voitures ou qui servent à l'usage personnel des paysans. Quant aux porcs, c'est à peine si on en élève encore quelques-uns dans les quelques bois qui restent. Tous ceux qui sont demandés par la boucherie viennent du dehors.
Dans la zone de la grande culture intensive, se trouvent tout spécialement les exploitations dites fermes de champs, et dans lesquelles on cultive en grande quantité les céréales et les légumes. Elles font encore partie des Murge et plus spécialement des vallées qu'on appelle canauc, et surtout de ces bassins isolés dits Matie, formés par les terres que les eaux ont enlevées aux Mrge et qui par cela même en sont comme[50]l'extension et le développement. Ces exploitations sont divisées en deux parts, l'une réservée à la culture et l'autre aux pàturages20. Ces exploitations avaient jadis pris une grande extension, mais actuellement elles sont limitées et réduites pour faire place à d'autres cultures (§ 18).
Le produit moyen des céréales, en prenant les meilleures, les moyennes et les plus mauvaises récoltes, approche des données suivantes, dans lesquelles on fait entrer le produit des terrains cultivés dans le voisinage des habitations.
Ces fermes sont occupées par de riches propriétaires ou louées à des industriels dits assari, qui exploitent seuls ou constitués en sociétés.
Les terrains qui viennent après la zone moyenne sont presque tous plantés d'amandiers et d'oliviers et consacrés partie à la culture des céréales, partie à celle de la vigne. Ils sont généralement la propriété plus ou moins étendue de riches familles, propriété qui a été divisée en plusieurs morceaux de la grandeur d'un hectare environ chacun, donnés en location aux paysans, pour un certain nombre d'années. La durée du bail varie, pour les cultures de céréales, de neufà douze ans et, pour les vignobles, de dix-huit à vingt-sept, avec l'obligation d'améliorer le terrain dans des conditions déterminées.
L'exportation des vins, des raisins, des olives, des amandes, de la graine de moutarde et d'anis, des légumes et des céréales a enrichi le pays. Ces produits agricoles sont en effet très recherchés dans le commerce à cause de leur qualité, et tout fait espérer qu'avec de meilleurs traités de commerce et de plus grandes facilités de transport, on pourra aug menter leur valeur et avec elle la richesse du pays, à condition pourtant que ces espérances ne soient pas détruites par le phylloxera, la mouche de l'olivier, l'agrotis, le mildiou, l'oidium, la teigne et tous les autres ennemis dont on est menacé.
[51] Les vignes produisent de vingt à quarante hectolitres de vin par hectare. On fait de bons vins de coupage à mousse rouge à 12°-15° d'alcool, riches en extrait sec, pauvres en acide tartrique (4-5 %) et forts en bouquet. Les vins blancs sont aussi très bons et d'un degré alcoolique presque aussi fort que les noirs. On trouve encore les vins rouges de ménage (cera suoli), faits avec des raisins noirs et blancs et également, mais en quantité limitée, du vin muscat, de l'aliatico, du agarese.
Selon les années, le pays arrive à produire 200 à 250,000 hectolitres de vin ; on en consomme pour l'usage des habitants 20,000 ̀ 25,000 hectolitres, le reste est exporté. Les raisins de table que l'on exporte par an peuvent arriver de 8,000 à 10,000 quintaux. Quant au raisin pour le vin, il en sort très peu au moment des vendanges.
On fabrique de l'huile de très bonne qualité surtout avec deux variétés d'olive : la paesauna et la coratina. La production annuelle est de 15 à 20,000 quintaux.
La récolte des amandes, dans les bonnes années, peut atteindre la quantité de 25,000 à 30,000 quintaux.
Enfin, il y a une autre source de richesse pour ce pays, ce sont les fruits, qui, en majeure partie, sont le produit des terrains situés dans le voisinage des habitations, là où l'on peut dire qu'existe la véritable culture intensive. Dans cette zone, outre les meilleurs vignobles réservés presque complètement à la production du raisin de table, qui se vend habituellement 20f à 30f le quintal, et les innombrables arbres fruitiers, on cultive aussi les légumes. De mai où mûrissent les cerises, à novembre où l'on récolte les grenades et les coings avec lesquels on fait d'excellente pâte de coing, vraie spécialité de ce pays, on ne manque jamais de fruits, et beaucoup de ceux-ci, les plus beaux et les plus précoces, se vendent à un prix élevé et s'exportent dans les villes voisines, spécialement à Bisceglie, ou il y a des magasins d'exportation qui les expédient, emballés avec le plus grand soin, dans les contrées lointaines21.
L'ensemble du territoire de Ruvo, si l'on s'en rapporte à l'ancien cadastre encore en usage, est d'environ 22,600 hectares ; mais d'après les renseignements du nouveau cadastre géométrique parcellaire, il serait plus exact de dire qu'il compte environ 22,000 hectares, appartenant à 4,030 propriétaires, et se répartissant approximativement de la manière suivante :
§ 18. SUR LES BAUX A AMÉLIORATION, DE LONGUE DURÉE
[52] Depuis notre relèvement politique, toute la région se réveille comme en fievre ; grâce à la liberté conquise, aux facilités données aux échanges, à la construction de chemins de fer, à l'amélioration des voies de communication et surtout grâce à l'aliénation d'une énorme quantité de biens de mainmorte vendus à des prix et à des conditions très avantageux, on a cru qu'on pourrait s'enrichir en un moment.
L'agriculture surtout a fait de rapides progrès ; propriétaires et paysans se sont prêté un mutuel concours pour modifier et améliorer la propriété rurale. Ils furent favorisés par le bon marché des terres, les récoltes abondantes, et surtout les malheurs de la France qui, en peu d'années, vit ses plantureux vignobles détruits par le phylloxera et fut obliqée d'acheter des vins en talie. Ce furent là les principales raisons qui donnèrent naissance au bail à amélioration et de longue durée. Mais pour comprendre cette rapide et délicate transformation de l'agriculture, il faut jeter un regard en arrière pour voir ce qu'elle était avant 1860.
De ce vaste territoire, seule la zone voisine du centre d'habitation, dans un rayon de quatre à cinq kilomètres environ, était affectée à la culture intensive de la vigne, des oliviers, des amandiers, des fruits et des jardins. Tout le reste était formé de terrains de montagnes, de bois et de domaines d'une immense étendue, dont l'industrie principale consistait dans la culture des céréales et des légumes.
Ces domaines, contenant des centaines et des milliers d'hectares, étaient partie en pàturages, partie en terres de labour, consacrées à la[53]culture du blé, de l'avoine, des légumes. Ils étaient exploités par leurs propriétaires ou loués à des cultivateurs particulièrement industrieux. C'étaient des terrains nus, sans aucune plantation, couverts de pierres et d'épines, où pénétrait à peine le soe de l'antique charrue virgilienne. Les récoltes étaient maigres, et le prix des denrées infime. Mais les animaux, brebis, bœufs, chevaux, y trouvaient une abondante et ex cellente nourriture. Aussi l'art pastoral avait-il le pas sur l'agriculture proprement dite. Les dépenses culturales étaient relativement minimes. Au milieu de ces terrains se rencontraient de grossières maisons servant à abriter les animaux, à amasser la paille, à mettre les ouvriers à couvert la nuit ; de place en place, deux ou trois chambres étaient réservées aux maîtres. C'est dans ces maisons, appelées proprement masserie, que résidait la direction de l'entreprise, consistant en quelques domestiques qui portaient différents noms, selon les offices qu'ils remplissaient. Il y avait le assaio, qui était le directeur responsable de l'administration, le capo-bualano, qui remplaçait le assaio, le carovaniere, qui conduisait au paturage et gardait les bufs de labour, le trainiere, qui conduisait et gardait les animaux de trait, enfin deux ou trois autres simples oualani. En tout, cinq à dix personnes selon l'importance de la propriété. Tous recevaient un salaire annuel fixe, variant de 170 à 250f, qui leur était payé par quinzaine, moitié en blé, moitié en argent. En outre, au moment du battage du grain, ils avaient ce qu'on appelait les spese, consistant en 35 lilos de pain, 43 litres de vin et 3 pour la viande et le fromage. Enfin ils étaient intéressés avec le maître dans les diverses cultures, et spécialement le massaio recevait le produit d'un tomolo (56 litres) de blé seme et de deux tomol de légumes ; chaque boualano avait droit à un demi-tomolo de blé et à un tomolo et demi de légumes à titre de remboursement des dépenses de culture. Comme on le voit, le budget de ces salariés était assez limité : cependant, ils vivaient sobrement, soit parce qu'ils passaient leur vie presque toujours dans les champs et même, au moment du battage, avec toute leur famille, ne revenant au pays que tous les quine jours, soit parce qu'ils couraient les chances du partage des récoltes avec les maîtres, qui d'ailleurs, s'ils étaient bons, les avantageaient encore un peu. Dans les mêmes conditions de salariés, se trouvaient les pasteurs, les vachers, les conducteurs de chevaux, ils pouvaient être considérés comme faisant partie ou comme étant des accessoires de la métairie. Aujourd'hui, avec la disparition presque complète des masserie, et la diminution des terrains de paturage, cette classe de salariés est réduite à bien peu de chose, et son[54]existence n'a plus guère qu'un intérêt historique pour notre agriculture.
Toute la culture, dans ces exploitations, se limitait aux pratiques suivantes : labourer et préparer la terre en vue de l'ensemencement et pour les jachères, étendre le fumier que l'on apportait des étables et des fenils, enlever le mieux possible les ronces et les épines, brûler les chaumes, ensemencer, transporter, ramasser et battre les céréales, engranger la paille et transporter les denrées à la ville. Puis, pour les travaux extraordinaires, on engageait des équipes de journaliers, par eXemple, pour sarcler et nettoyer les terrains ensemencés, pour moissonner les champs déjà mûrs. C'etait là tout le mécanisme et l'organisation des masserie, simple et économique, mais peu productif et tout à fait primitif. Dans tous ces terrains qui étaient comme des landes désertes, il n'y avait pas l'ombre de culture intensive. On trouvait, seulement, à coté des masserie, et entouré de hautes murailles, un lambeau de terre de 1,000 à 1,500 mètres carrés, que l'on appelait jardin, où, grâce à une véritable culture intensive, végétaient des arbres à fruit, des vignes et des plantes potagères, sans oublier des fleurs, le tout servant de préférence au massaio et aux bualai. Ce petit jardin aurait bien dû suffire à ouvrir les yeux des propriétaires, et à leur montrer que, autour de ce morceau de terre., les autres champs présentaient les mêmes avantages et pouvaient être transformés en autant d'autres petits jardins. Mais les temps n'étaient pas encore venus, et l'indolence endormait les maîtres de ces immenses propriétés, qui restaient inertes, oisifs, et attachés à ces pratiques surannées.
Quand vint le réveil général, ce fut une secousse pour les propriétaires comme pour les paysans et tout le monde fut pris de la fièvre de transformer et d'améliorer. Ce fut alors que l'on imagina les baux à longue échéance et que l'on commenea à faire ces améliorations qui ont transformé la nature de ces immenses propriétés. Ainsi, peu à peu, ont disparu les msseie da campo, et ces vastes régions désertes et incultes sont devenues des jardins. Ce ne sont plus des épines et des cailloux qu'on rencontre, mais des plantations, faites avec ordre, de vignes, d'amandiers et d'oliviers. La charrue est délaissée, la culture se fait à la aappa, et si on ne peut encore parler de culture intensive, du moins est-on en face d'une culture productive et sage et que l'on peut appeler moyenne culture. Tout cela s'est produit parce que les propriétaires de ces masserie se sont enfin décidés à diviser et à fractionner leurs terres en parts de 40 à 80 ares et même d'un hectare, et ont permis qu'on les plantàt d'arbres et de vignes.
[55] Cette transformation a eu de très heureuses conséquences : les propriétaires ont vu leurs terres s'améliorer et acquérir une bien plus grande valeur, les paysans ont trouvé profit à cultiver ces terres encore vierges et très productives, et favorisés par de bonnes récoltes et des prix rémunérateurs, il en est qui se sont enrichis. . Ce ne sont pas là des exceptions, ils se comptent par centaines ; ainsi s'est formée la classe des paysans-propriétaires, qui se sont bati des palasai, des moulins à huiles, des caves, qui vivent dans des maisons luxueuses, et qui achétent aujourd'hui les biens des propriétaires dont ils étaient autrefois les fermiers. Ces parvenus, oublieux de leur origine, sont d'ailleurs ceux qui maîtraitent le plus les pauvres journaliers
Voici le texte de deux types de baux à amélioration et à long terme, l'un pour les terres de labour et l'autre pour les vignobles.
TYPE A. — Contrat relatif a des terres de laoour.
Pour régler les contrats de fermage à long terme des terres de labour données à amélioration, nous établissons les règles suivantes, qui en déterminent la nature et le mode.
En vertu de cet acte, M. . .. loue à MM. ..... qui acceptent, la terre appelée .....
d'une étendue de .... hectares, située dans ce territoire, contrée de ...., bornée par .... Cette pièce de terre a été divisée par les soins et aux frais du propriétaire, en autant de parts de .... hectares chacune, qu'il y a de fermiers, lesquels les tireront au sort entre eux pour savoir à qui appartiendra chaque part, et qui en seront responsables vis-à-vis du maître, sans qu'il y ait obligation solidaire entre eux.
Cette location est réglée et arrêtée entre les parties. d'un commun accord, sous les stipulations, conventions, conditions et pénalités suivantes :
1° La durée du bail est fixée à di-huit ans, à commencer du l5 août de l'année courante, et sè terminera irrévocablement, et sans qu'il soit besoin de donner congé, le l4 aout....
2° Le prix convenu par hectare est de .... fr., que chaque fermier s'oblige à payer pour la partie qui lui est échue, entre les mains du bailleur ou de son mandataire, en bonne monnaie courante du royaume, le l5 aoit de chaque année et selon les règles indiquées ci-dessous22.
3° Les fermiers sobligent à faire tous les travaux nécessaires à la appa, à nettoyer la terre de toutes les herbes nuisibles et parasitaires. Ils défricheront à une profondeur d'au moins 40 centimètres. Ils ramasseront à leurs frais les pierres existant à la superficie du sol, ou qu'ils trouveront en creusant les fosses23pour[56]planter les arbres, dont il sera parlé plus loin, et ils les transporteront en dehors du terrain, à l'endroit désigné par le hailleur, qui en fera construire à ses frais une clôture pour la terre elle-même.
4° Les fermiers feront encore à leurs frais, pour planter les rejetons des amandiers, les fosses de la grandeur d'un mètre carré : le propriétaire fournira les arbres.
5° L'extraction des pierres et la plantation des arbres devront se faire la première année de la location ; si un arbre vient à mourir la seconde année, les fermiers feront une nouvelle fosse à leurs frais et le propriétaire fournira encore l'arbre. S'il en meurt la troisième année et dans la suite, le creusement des fosses et la fourniture des arbres seront complètement à la charge du fermier.
6° Le fermier s'oblige à faire chaque année la taille des arbres en temps opportun, et de même pour les grefles Cependant le bailleur se réserve le droit de choisir les espèces à greffer. Tout cela sera fait selon les regles de l'art et au compte du fermier.
7° Les deux premières années de la location, les fermiers pourront semer du blé, la troisième ils feront une jachère de légumes, la quatrième ils recommenceront à semer du blé, la cinquième, de l'avoine. la siième, une jachère de légumes et de moutarde, et ainsi de suite jusqu'à la fin du bail, de manière à laisser tout en jachère la dernière année.
8° Les fermiers s'obligent à ne jamais rien semer sous les amandiers, dans une petite zone de terrain de forme circulaire, du diamètre d'un mètre, appelée vulgairement piattello, et de la bien cultiver pour faire prospérer et croitre plus vite les jeunes plants qui, d'un commun accord entre le propriétaire et les fermiers, ne devront pas dépasser le nombre de quarante à la vigne de 40 ares 3l centiares, non compris la haie qui sera faite à la limite du terrain, à 5 mètres de distance d'arbre en arbre.
9° Les fermiers s'obligent à porter toutes les denrées sur l'aire du propriétaire, qui les fera charrier à ses frais ; il gardera la paille pour lui, mais en fournira aux fermiers la quantité nécessaire pour leurs animaux quand ils viendront pour la culture. Pour le transport des denrées elles-mêmes à la ville, les fermiers paieront au propriétaire 0f 15 par toolo (56 litres) de blé, et 0f 10 pour l'avoine et le reste.
10° Si quelqu'un des fermiers résilie le bail en entier ou en partie, le bailleur se réserve le droit de retenir en gage les produits du fonds, y compris les amandes, jusqu'au l5 septembre de l'année courante. epoque à laquelle, si le fermier n'a pas payé, il pourra les mettre en vente au prix du marché, et se payer sur le prix. La dernière année du bail, pour la sécurité du bailleur, toutes les denrées seront déposées chez lui, si les fermiers n'ont pas payé leur fermage au moment de la récolte.
11° Le propriétaire s'oblige à fournir aux locataires, à leurs ouvriers et à leurs animaux, l'eau et le couvert dans les constructions faites sur son terrain.
12° Les fermiers s'obligent à faire toutes les cultures nécessaires, dans le temps convenable, à soigner les terres en bon père de famille, à arracher les mauvaises herbes et les parasites, à protéger les amandiers contre les déprédations des animaux. les dangers qu'ils pourraient courir quand on brûle les chaumes, sous peine de payer une amende de l0f pararbre mangé ou brûlé. Enfin ils entretiendront les clôtures en bon état. et, à la fin du bail. ils les remettront dans l'état où elles leur auront été donnees.
[57] Enfin ils renoncent dès maintenant à se prévaloir des événements prévus ou imprévus, divins et humains, ordinaires et extraordinaires, comme de toutes les améliorations qui pourraient être constatées sur le fonds loué, à la fin du bail, qu'elles soient le produit du temps ou de la main de l'homme, attendu qu'il est tenu compte de toutes ces éventualités dans la fixation du prix.
Les parties acceptent mutuellement ces clauses et ces conventions, et, d'un commun accord, elles déclarent que si elles manquent à une de ces clauses ou à toutes, le bail sera considéré comme rescindable sans qu'il soit tenu compte des améliorations réalisées, et celui qui aura été cause de cette rupture sera tenu d'une amende de 300f et de tous les frais de l'instance, s'il y a lieu.
TYPE B. — Buil a amelioration relatif a des vignes.
Le contrat commence à peu près comme le précédent, il est seulement fait mention que le fonds est loué pour être transformé en vigne-oliveraie. Les conditions sont les suivantes :
1° La durée de la location est de vingt années24, à commencer le l5 décembre ;
2° Le prix, fixé par vigne de corde de 40 ares 3l centiares, est payable, au plus tard, le l5 décembre de chaque année25. Cependant, pour adoucir la situation économique des fermiers, il est tenu compte que, durant les premières années, ils devront supporter beaucoup de dépenses, sans rien récolter, et le bailleur permet que les première, deuxième et troisième années de cette location, les fermiers paient moitié du prix convenu. que la quatrième année. ils versent la totalité du prix ; les cinquième, sixième et septième. outre le prix entier, ils paieront en plus la moitié du fermage, pour dédommager le bailleur des années pendant lesquelles la moitié du prix seulement aura été payée. La huitième année et dans la suite, ils paieront seulement l'intégralité du prix convenu26;
3° La plantation doit être faite les deux premières années de la jouissance. Les fermiers s'obligent à nettoyer la terre de toutes les herbes nuisibles et parasitaires, et. en plus, des cailloux qui se trouvent à la surface et de ceux que l'on rencontrera en cultivant ou en creusant les fosses pour planter les oliviers. Ils les transporteront, à leurs frais, en dehors du terrain loué, à l'endroit désigné par le bailleur, qui. de son coté, prendra soin de construire une clôture pour la protection du terrain susdit ;
4° Le terrain sera défoncé pour le moins à 40 centimètres, et la vigne sera plantée selon les règles de l'art, en faisant les têtes selon l'usage des lieux, co'està-dire en creusant les fosses dans les sillons ouverts par le defoncage, là où seront plantées les boutures. Celles-ci devront étre choisies de l'espece que désignera le bailleur, et préparées en temps utile : s'il s'en trouve d'une autre espèce, elles[58]seront arrachées et replantées aux frais des fermiers. Ceux-ci pourront seulement planter dans les interlignes d'autres variétés de raisin à leur choix, à raison de vingt pieds au plus par vigne de 40 ares 3l centiares ; ces plantations constituent les vignes appelées citi a croce, vignes en croix. La distance des vignes entre aelles reste fixée à un mètre.... Toutes les dépenses occasionnées par cette plantation, comme pour les ceps et tout le reste. sont à la charge des fermiers, à l'exception cependant des frais faits pour la clôture, qui seront supportés par le bailleur ;
5° Les deux premières années de la plantation, il sera permis aux fermiers de cultiver quelques pieds de cotonnier, ou des légumes. mais les années suivantes, toute culture autre que la vigne est rigoureusement défendue ;
6° Les trois premières années, les fermiers auront soin de tailler les racines superficielles, qu'ils trouveront en faisant la culture, pour donner plus de développement aux racines profondes. Ils retarderont peut-être ainsi la fructification, mais ils augmenteront la force de la vigne. — Ils feront aussi, chaque année, les boutures nécessaires pour maintenir le plant dans toute son intégrité jusqu'à la in du bail ;
7° Dans le temps même où on plantera la vigne, les fermiers prendront leurs mesures pour la plantation des oliviers, et feront à leurs frais les fosses de la dimension d'un mètre cube, en les creusant entre chaque neuvième et dixième rang de vignes. Ils ne manqueront pas non plus de planter un cordon d'oliviers autour de la propriété, en espacant les arbres à la distance de 6 mètres. — Les plants d'oliviers (teriti, oliviers sauvages) seront soumis à l'accepation du propriétaire, et les fermiers s'obligent à en payer la moitié immédiatement, l'autre moitié demeurant à la charge du propriétaire :
8° Si quelque plant vient à mourir la première année, il sera remplacé aux frais du bailleur, mais les fermiers referont les fosses à leurs frais. La troisième année et dans la suite, si quelque plant meurt, la fosse et le plant seront à la charge des fermiers ;
9° Les greffes d'oliviers seront faites en temps utile aux frais du fermier, par une personne de confiance choisie par le propriétaire, qui désignera les variétés d'olive qu'il faudra prendre de préférence. — De même la taille des arbres et de la vigne sera faite pour le compte et aux frais des fermiers, le propriétaire se réservant le droit de faire vérifier le tout par une personne de l'art, et s'il se trouve quelque chose à reprendre, le travail sera refait selon les regles. sans l'intervention d'aucun magistrat, aux frais et depens des fermiers ;
10° Il est défendu de sous-louer, comme aussi de planter d'autres arbres sans la permission expresse du propriétaire :
11° Le propriétaire prend l'engagement de faire garder les terrains par une personne de confiance, et il déclare que la garde est comprise dans le prix du bail. Aussi, dans le cas où il serait prouvé que quelqu'un des fermiers s'est approprié les fruits d'un autre, il sera obligé de verser une amende de 50f en plus de la réparation du dommage qu'il aura causé, et cela au benéfice de celui qui aura été lésé. La récidive entraînera l'expulsion du fermier. qui sera déféré à la justice :
12° Le paiement du prix est fixé au l5 décembre de chaque année ; cependant les fermiers s'engagent, dans le cas où ils vendraient leur raisin plus tôt, à le payer au moment de la livraison.
Avant de vendanger, ils demanderont au propriétaire s'il veut acheter leur raisin au prix courant du marché, et, dans l'affirmative, le propriétaire sera préré. Il en sera de même pour les olives. — Si, dans la suite, ils font du vin, ils devront déclarer dans quelle cave ils le déposent, et si le bailleur possède lui[59]même une cave, avec un pressoir à raisin et un moulin à l'huile, il pourra obliger les fermiers à faire leur vin et leur hruile, dans son établissement, aux mêmes conditions que celles imposées aux autres elients, et garder chez lui les produits obtenus, en garantie du prix du bail.
Viennent ensuite encore quelques clauses analogues à celles du bail précédent sous les numéros 11 et 1227.
Ces baux, ainsi combinés, spécialement pour la plantation des vignes, ont été une source d'enrichissement et de prospérité de la population.
Mais comme il arrive ordinairement dans les jours de grande prospérité, oublieux du passé, insouciant de l'avenir, on abuse des conditions favorables du présent. Les prix très rémunérateurs auxquels les fermiers vendent les raisins, les moûts et les vins leur font illusion et les portent a se croire déjà riches.
« Une aisance jusque-là inconnue régne partout, la main-d'œuvre et les salaires ont triplé, et les pauvres ont presque partout disparu... Jusqu'ici, on se contentait du nécessaire, maintenant le luxe s'est introduit rapidement dans toutes les classes de la société, et l'arent a commencé à être gaspillé. Peu à peu on a abandonné les règles d'une sage et prévoyante économie, et les coutumes simples des ancêtres ont cédé le pas à une vie qui a fait beaucoup de fainéants. Et ainsi, tout compte fait, si on a gagné beaucoup avec le vin, on a dépensé encore plus ; et si on veut se rendre compte de tous les capitaux qui ont circulé, on trouve qu'une partie a été enfouie dans la terre, une autre transformée en maisons, moulins, caves, et une troisième enfin engloutie dans le luxe, la bonne chère et la vanité humaine. En somme, on en a fait un jeu. Et comme tous les jeux, malgré les gains qu'il nous a procurés, il ne nous a laissé que du déficit28.
Cependant tout le monde n'a pas agi de même. Il y en a qui ont su mesurer leurs dépenses et rester dans les limites d'une vie normale. Avec leurs épargnes ils se sont enrichis et pourraient faire face aux crises imprévues et aux désastres qui les frapperaient.
[60] L'interruption des relations commerciales avec la France a été la principale cause du malaise dont le pays souffre actuellement ; puis vint l'envahissement du mildiou pour la destruction duquel on fut pris à l'improviste et sans expérience. Le prix du vin subit une baisse énorme, les campagnes furent abandonnées et les vignes envahies par le mildiou devinrent stériles. Les capitaux commencèrent à manquer, les banques refusèrent le crédit et les dettes qui étaient faites nepurent plus être payées. Beaucoup de colons abandonnèrent leurs terres, les autres les gardèrent moyennant une diminution de prix et les pauvres propriétaires furent contraints de les reprendre et durent supporter tous les frais de la culture pour ne pas se voir privés de leurs revenus ; beaucoup même abandounèrent une partie de leurs vignes. Puis, après qu'on eut beaucoup souffert, l'équilibre a commencé à se rétablir sous l'influence surtout de la diminution de la production. De nouveaux débouchés commerciaux se sont ouverts, et surtout on a profité des avantages concédés par l'Autriche avec sa fameuse clause de faveur pour les vins. Les agriculteurs, encouragés encore une fois, ont recommencé à faire des baux de six et neuf ans et ont même accepté des prix bien supérieurs à ceux qu'ils payaient précédemment. Il y a de cela quelques années à peine et déjà nous voici menacés des pires désastres pour la production viticole qui est toujours la source la plus active de notre richesse. — Le phylloxera est à notre porte. L'Autriche a rapporté sa clause et a mis des droits absolument prohibitifs sur l'introduction des vins, l'Allemagne et la Suisse ont augmenté leurs droits d'entrée ; quant à notre amie la France, elle se désintéresse de la question parce qu'elle n'a plus besoin de nos vins.
Quelles seront les conséquences de cette situation 2 Tout le monde peut prévoir une crise terrible. Pour conjurer en partie ces nouveaux désastres, ne pourrait-on conseiller : 1 De limiter la plantation de nou
veaux vignobles, spécialement sur les terres qui peuvent supporter une autre culture ; 2° d'encourager les syndicats contre le phylloxera29et les simples particuliers à planter des pépinières de vignes avec des sujets américains, sinon, sans préparation, on n'aura aucun moyen de défense si le phylloxera vient à envahir la région30; 3° enfin, pour[61]donner plus de stabilité et de sécurité aux contrats, de favoriser le métayage, comme on a déjà commencé à le faire depuis plusieurs années. De cette manière, tout le hasard des récoltes n'incomberait pas aux seuls colons, mais serait partagé avec le propriétaire.
§ 19. SUR LES INSTRUMENTS DE TRAVAIL, LES TRAVAUX AGRICOLES ET LEUR RÉMUNÉRATON
Bien que la région de Ruvo soit éminemment agricole et assez avancée dans l'agriculture, on n'y a encore introduit que peu de machines : à peine rencontre-t-on une ou deux batteuses et quelques charrues d'un nouveau modèle.
L'outil le plus en vogue est la aappna, houe, qui, à lui tout seul, fait la richesse du paysan. La aappa a une lame en forme de trapèze dont la plus grande base a 30 centimètres et la plus petite 12. La hauteur est de vingt-neuf centimètres environ. L'épaisseur de la lame est de 1 centimètre à la plus grande base et 2 mm. à la plus petite. Sur le milieu de la plus grande base, est soudée, avec une légère inclinaison, une pièce quadrangulaire (12 )( 12 cm.), en fer, qui porte un trou carré (5 )( 5 cm.), ou s'attache, avec une inclinaison de 45°, le manche de bois (astile), long de 80 centimètres, droit, poli, et bien en main.
La houe ainsi faite pese de 4 à 5 lilos et coûte de 3 à 4f. C'est l'unique instrument qui serve au grands défrichements comme aux travaux de surface. Quelques-uns ont adopté une auppa plus petite ou de moyenne grandeur, mais toujours de même forme. Quant au aappullo, il a la forme et la grandeur d'une langue de chien, et sert pour le sarclage du blé.
Il y a différents travaux qui, d'ordinaire, se font à la aapnpn .
1° Le défrichement des terrains à cultiver, appelé alla tagliata, à une profondeur variable entre 25, 40 centimètres et plus. Il se fait de la manière suivante. Un des paysans choisi parmi les meilleurs, et qui s'appelle scaliere, ouvre sur le bord du champ un sillon, renverse la terre à sa droite et continue en avançant. L'autre, qui le suit, attaque la terre[62]à sa gauche et la rejette dans le sillon ouvert par le premier en dressant le terrain. De cette manière, il ouvre un autre sillon a un troisième paysan et ainsi de suite, de sorte que quand toute l'équipe est au travail, ils se trouvent placés en ligne oblique par rapport aux sillons. C'est pour eux un des travaux les plus pénibles et de plus grande dépense; selon la profondeur qu'ils veulent obtenir, il leur faut de 1 à 20 journées de travail par vigne de 40 ares 31 centiares.
2° Moins pénible et plus rapide est l'autre culture dite à l'annante (par le devant), que l'on fait d'ordinaire quand on prépare la terre pour les semailles. Elle consiste à creuser à 10 ou 20 centimètres de profondeur, régulièrement de front, c'est-a-dire en maintenant l'équipe des paysans sur une même ligne droite et en avançant. Cette espèce de culture, quand on ne dresse pas le terrain et qu'on le laisse en petits sillons, s'appelle a la tagdiatedlau. Il suffit, pour ce travail, de sept à huit jours par vigne.
3° Le premier travail, qu'on fait à la vigne de novembre a mars, est plus important et plus pénible et, par suite, plus coûteux à cause de l'étroitesse des bandes de terrain entre les rangées de vignes, et du procédé unique de culture qui les maintient basses sur tiges, selon le systeme de la vigne latine (vigne à gobelet). Ce travail peut être exécuté de deux manieres, selon la qualité et la topographie des terrains. Ou bien ils sont en pente, de anière qu'au temps des pluies, on ait à craindre le transport des terres ; alors, on retourne suffisamment la terre au pied de chaque cep, de manière à former comme une espèce de réservoir intérieur, le cep étant enfermé entre quatre talus élevés ; pendant les grandes pluies hivernales, ces réservoirs se remplissent d'eau qui s'infiltre jusqu'aux racines.
L'autre méthode, dite a muntoneˉ, s'emploie dans les terrains plats. lle consiste à réunir la terre en forme de tas, de sorte que le cep se trouve au milieu de quatre d'entre eux. Cette méthode a l'avantage d'augmenter la superficie du terrain et, par suite, sa fécondité, mais dans le terrain en pente, l'eau glisserait sur ces tas et serait perdue. Pour faire ces cultures, il faut, selon les années et les pays, de quinze à vingt journées à la vigne ; la culture en réservoirs coûte toujours plus cher, parce qu'il faut deux ouvriers par rangée de vignes.
4° En avril et en mai, on défait tout le travail fait en hiver, on retourne toute la terre, on butte les vignes, afin que le soleil ne sèche pas les racines, et c'est à peine si on peut distinguer un vestige des réservoirs. On appelle cela magesareˉ. Pour cette culture, il faut de quatre a cinq journées par vigne.
[63] 5° Enfin on fait aux vignes une dernière culture au mois de juin, avec la zappa, et c'est même une bonne chose de recommencer en août, c'est le sarclage appelé scorzatura, qui ne se fait que superficiellement, et a pour but de détruire les mauvaises herbes de l'été et de rafraîchir le sol. Trois journées par vigne y suffisent.
Avec la zappa, on fait encore les fosses pour planter les arbres et tous les autres terrassements ; si le terrain est pierreux et dur, on prend le zappone ou pioche.
Pour les potagers et les jardins, on se sert, selon les travaux, de app plus petites, et les enfants ont des aapdli à long manche pour sarcler les terrains semés et casser les mottes.
Pour tailler les vignes, on emploie des sécateurs. Pour les branches et pour les grandes coupes qui se font au ceps, on se sert d'un fer spécial ditfer a tailler ou putatoio (serpe). C'est l'outil préféré des agriculteurs, parce qu'il s'adapte le mieux à toutes les courbes et torsions des ceps. Il fait une coupe plus nette qui ne permet pas le développement de jets inutiles. Pour ne pas se blesser avec lui et obtenir beaucoup de travail, il faut avoir la main exercée. Aussi, la taille faite avec cet instrument coûte plus cher, mais est meilleure.
Pour la taille des arbres, on prend des haches de différentes grandeurs, et pour les greffes, on se sert aussi d'une petite scie. Tous les paysans ne sont pas capables de fairé également bien tous ces travaux, comme ils ne sont pas aptes, non plus, à manier le potautoio. Il y a, pour cela, une classe spéciale d'ouvriers toujours payés plus cher que les paysans ordinaires.
Parmi les travaux fatigants, il ne reste a parler que de la moisson, qui se fait entièrement à la faux, par des équipes d'ouvriers plus ou moins nombreuses selon l'étendue des champs. Ces équipes ont leur caporal ou guidante et sont divisées en sous-sections de quatre moissonneurs chacune et un lieur. Ces hommes constituent les para e. Chaque para peut moissonner une versura (3 vignes ou 1 hect. 30) par jour. La durée de la journée pendant la moisson, quand il s'agit d'une grande surface a moissonner, est plus longue qu'à l'ordinaire. Outre leur salaire en argent, les moissonneurs reçoivent de la nourriture plusieurs fois par jour. Ordinairement, ils mangent le matin à quatre heures ; à sept heures, ils font la première collation avec du pain, des oignons ou de l'ail, et du vin. Après un court repos, ils se remettent au travail jusqu'à midi, ou, avant de se reposer pendant deux heures, ils mangent une soupe de fèves avec du pain, des oignons et un litre de vin[64]par personne. A deux heures, ils reprennent le travail jusqu'à cinq heures ; alors, sans quitter la besogne, ils boivent l'un après l'autre un demi-litre de vin, puis ils continuent de travailler ainsi jusqu'au coucher du soleil. A ce moment, ils reçoivent une autre soupe de fèves et d'autres légumes, avec du pain et du vin à discrétion, des aulx et des oignons. Pour les désaltérer pendant les heures les plus chaudes de la journée, on leur donne de l'eau avec du vin, qu'ils ont coutume de porter sur eux dans des récipients de bois de forme conique (catabirri), hermétiquement fermés, pour que le contenu ne s'évapore pas, munis d'une simple cannelle pour boire et d'un petit trou de côté pour laisser entrer l'air.
D'autres travaux suivent la moisson, notamment le battage, qui se fait suivant les usages antiques, c'est-à-dire en faisant piler les épis par les pieds des mules, des chevaux, ou encore par de gros blocs de pierre traînés par des bœufs. Après quoi on vanne le produit avec des fourches et des pelles, jusqu'à ce que la force du vent sépare la paille de la balle du blé. Les travaux moins pénibles sont laissés aux femmes et aux enfants. Ils consistent à répandre les semences des céréales et des légumes sur les terres cultivées à la aappa ou avec les ordinaires charrues virgiliennes, à sarcler les terrains ensemencés, à arracher les mauvaisges herbes, à faire le soufrage, le sulfatage, l'émondage des vignes ; puis viennent les vendanges, la récolte des amandes et des olives, l'arrachage des légumes et des plants d'anis, et quelquefois aussi du blé ; le battage de ces légumes et de la moutarde, l'arrachage des rejetons des diverses plantes et du chaume, enfin le glanage dans les champs. Les enfants ot, en plus, le pénible ofice de transporter sur leurs épaules, dans des paniers d'osier, les cailloux, la terre, le fumier.
Toutes les femmes ne vont pas aux champs, ni en toutes saisons. Elles sortent diffieilement en hiver, et même celles qui sortent sont plutôt les femmes des journaliers et, parmi elles, les plus misérables et celles qui sont encore jeunes et habituées aux travaux des champs. L'habitude de vivre à la ville en éloigne beaucoup de la campagne. Il leur suffit de rester à la maison pour pourvoir aux besoins de la famille, faire la lessive, raccommoder les habits et le linge, repriser et faire des bas, filer, et quelquefois même tisser. Très peu cardent le coton et la laine et la filent pour en faire des bas et des tissus. Il y a peu d'années encore, on trouvait beaucoup de femmes occupées a ces industries sédentaires, qui fournissaient d'habits leurs fils, leurs maris et elles-mêmes. Maintenant, tout est changé : les femmes et même les hommes dédaignent d'endos[65]ser ces vêtements, et tout le monde préfère acheter des étoffes chez les marchands ou aux vendeurs ambulants. Cela coûte moins cher, et cela fait bonne figure.
Quant au salaire journalier que recoivent ces paysans, et en général tous ceux qui s'occupent de la culture des champs, il n'y a pas de règle fixe. Le prix est variable, en raison des multiples circonstances de temps, de travail, de saison, de commerce, ete. Il reste, cependant, proportionné à l'offre et à la demande, et varie avec elles. En général, on peut affirmer que, pour les paysans, les mois les plus mauvais sont ceux où les travaux sont plus rares, comme avril et août. Les journées les plus chères sont celles de la moisson, qui vont à 2, 3 et même 6f, au moment où le travail est le plus dur. Puis viennent les journées de vendange, de la appature de la vigne, du défrichement des terrains, qui valent de 1f 50 à 2f ; puis, en descendant de plus en plus, selon l'importance des travaux, on arrive à 1f 50 et 1f. Pour les enfants et les femmes, le salaire varie, selon la demande, de 0 50 à 1f 30.
N'oublions pas que les salaires des journées de travail qui vont jusqu'au coucher du soleil (usage de la campagne,§ 8). sont majorés de 0f 20 0f 25, et l'on donne en plus des légumes cuits le soir (vast de 0,80 litre pour les hommes, demi-vasta, 0, 40 litre, pour les femmes et les enfants).
§ 20. SUR LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU PAYSAN DE RDV0
Les deux tiers de l'année sont consacrés au travail, le reste du temps passe en fêtes et en vacances, et quelquefois est perdu par la maladie ou par le chômage. La moyenne des salaires journaliers ne dépasse pas 1f25, soit 300f pour l'année. Ajoutez une centaine de francs que peut rapporter le travail de la femme, puis 50f comme produit du glanage, de la récolte des champignons, des herbes comestibles et des fagots, bois ou autres combustibles, et l'actif du budget arrive au chiffre maximum de 450f.
Sera-ce avec ce chiffre que l'on pourra suflire a tous les besoins d'une fam̀lle de paysans journaliers qui manquent de tout2
Les familles sans enfants sont rares dans cette population prolifique ; celles dont les enfants sont en bas âge ont la situation la plus pénible ; les dépenses augmentent et les recettes diminuent, la mère, occupée à soigner ses enfants, ne peut plus travailler. Q)uand les enfants deviennent[66]capables de travailler, la situation n'est pas meilleure, parce qu'il arrive rarement que le travail des enfants compense la dépense que nécessitent leur nourriture et leur habillement, pour lesquels ils se montrent plus difliciles. Ils réclament de bonnes étoffes, ils veulent une chemise amidonnée et une montre dans leur poche. Puis ils vont faire leur service militaire, et quand ils reviennent, ils pensent à améliorer leur sort et ne se contentent plus de tout ce qui a suffi à leurs parents.
Il faut, par jour, à une famille de cinq personnes, pour sa nourriture :
Pour un an, cela fait une somme de 346f 75. Et encore, si nous nous limitons à cette somme, c'est que nous tenons compte des journées de travail aux champs, où les paysans, en plus de leur paye, reçoivent le soir une soupe de fèves. A ce chiffre il faut ajouter, pour le loyer de la maison, au moins 70, ce qui fait, pour les dépenses de première nécessité, un total de 416f 75 qui, soustrait de 450f, donnent un reliquat de 33f 25 seulement.
Que représente ce misérable excédent avec lequel la famille devra non seulement se pourvoir de vêtements et de linge, mais encore subvenir à tant d'autres besoins Que la femme soit enceinte ou récemment accouchée, c'est le glanage perdu. S'il faut faire la lessive, elle néglige son travail journalier et achète du savon et même.... de l'eau. C'est une dépense de plus et une recette de moins. Si le mari vient à tomber malade au moment même des grands travaux, il perd l'occasion de gagner une bonne partie du loyer de la maison. Puis il y a les baptêmes, les enterrements des enfants, qui occasionnent des frais imprévus. Enfin ces pauvres malheureux ne doivent-ils donc jamais boire un peu de vin, manger un peu de viande, goûter quelque poisson, acheter quelque autre comestible ? Ils ont pourtant, eux aussi, comme les autres, leurs désirs, et quand ils peuvent disposer d'un sou, ils cedent à la tentation et au besoin, de sorte qu'à la fin de l'année, tout compte fait, non seulement il n'y a pas le plus petit bénéf̂ce, mais il se trouve toujours que les dépenses l'emportent sur les recettes, et qu'ils restent avec des dettes et la misère.
Tant qu'ils conservent leur crédit, ils peuvent compter dans leurs[67]besoins sur ceux à qui ils prêtent habituellement le concours de leur travail, ils en reçoivent de petites sommes que, peu à peu, ils remboursent en travaillant. Mais quand ils ont perdu toute dignité, quand la maladie les a atteints et les a rendus incapables de payer avec exactitude, alors ils perdent tout crédit et ont recours aux strosaini, qui sont les vrais usuriers du peuple. Ceux-ci, moyennant des gages ou la caution d'autres paysans plus solvables, cachés dans l'ombre de leur maison, leur prêtent, Dieu sait comme. de petites sommes, pour lesquelles ils exigent de gros intérêts, par mois ou par semaine. Ils espèrent bien ainsi recevoir le centuple du capital à la fin de l'année, à moins qu'ils ne commencent par se payer en se faisant apporter du blé de glanage qu'ils estiment au plus bas prix.
Il est à remarquer qu'en dépit de beaucoup de privations et de misères, si les paysans ne se déclaraient pas contents de leur sort, il y a quinze ou vingt ans, du moins ils vivaient moins tristement tant qu'ils ne manquaient ni de travail, ni de leur pain quotidien, parce qu'ils avaient des habitudes simples, des désirs modérés, et aucun luxe. Ils avaient un caractère doux, ils étaient respectueux, obéissants aux lois, amis de l'ordre, bons envers ceux dont ils dépendaient et qu'ils regardaient comme étant d'un rang supérieur, soit par le talent, soit par la fortune. La bonne foi régnait parmi eux, ils se soumettaient scrupuleusement à l'autorité paternelle.
Mais depuis qu'ils ont été fanatisés par de faux apôtres, qu'ils ont été envahis par les idées socialistes, et qu'ils ont cru que pour avoir appris à épeler quelques lettres et à balbutier quelques mots, ils ont acquis tous les droits de citoyens libres et éclairés, ils ont perdu leur calme habituel, ils se moquent des lois, ils n'ont plus de respect pour leurs supérieurs, ils négligent leurs familles, ils sont grossiers envers leurs maîtres et leurs supérieurs, incrédules et irréligieux, amis du luxe et des vices, caustiques et querelleurs, et, à l'exception des bons, capables de devenir brutaux et féroces, de se soulever en masse et de faire main basse sur tout. On en a eu un douloureux exemple dans la soirée du 8 janvier 1894. Alors, sans aucune raison, cette plèbe insensée et ignorante, mise en branle par quelques criminels qui voulaient soulever un scandale et s'emparer du pouvoir, se répandit déchaînée, comme une horde de sauvages, à travers les rues de la ville, et à la faveur des ténèbres épaisses, envahit les édifices publics, les mit à sac, les incendia, et aurait même tenté l'assaut des maisons privées, si elle n'avait été arrêtée par l'arrivée des troupes et des carabiniers. Les fauteurs du désordre s'échappèrent,[68]et dans cette vile populace, beaucoup, probablement les moins coupables, comme il arrive toujours, furent les victimes qui expièrent le crime dont les autres s'étaient rendus coupables.
Par bonheur, les divers partages du domaine qui ont eu lieu ont eu pour résultat de soulager, sinon tous les paysans, au moins beaucoup d'entre eux et, en les rendant propriétaires, les ont soustraits aux inluences révolutionnaires, puis les baux à amélioration ont, dans les années prospères, procuré à la plupart l'aisance et même la richesse.
Chaque jour cependant surgissent de nouvelles familles misérables dont les besoins vont grandissant. Il faut prendre des mesures plus sérieuses, d'un caractère à la fois individuel et social.
De la part des paysans, il est à désirer qu'ils ne contractent pas mariage dans un âge aussi jeune, et quand ils n'ont aucune ressource, surtout quand ils ont une santé débile ; qu'ils soient plus prévoyants et plus économes ; qu'ils ne recherchent, surtout les femmes, aucun luxe, et qu'ils se décident absolument à habiter ˉla campagneˉ. Il faut leur recommander aussi d'être soumis à l'autorité paternelle et de revenir aux principes religieux de leurs ancêtres ; qu'ils gardent leur parole avec tout le monde, se montrent polis, honnêtes, pour mériter la confiance et l'amour de ceux dont ils dépendent, et pour trouver près d'eux secours et protection dans leurs besoins ; enfin, qu'ils n'écoutent pas ceux qui viennent les mystifier et les compromettre en leur faisant entrevoir des biens et une félicité mensongers.
Du côté de la classe diriggeante, il faut désirer qu'elle soit tout entière animée de ces sentiments de charité, de justice et d'amour, qui forment le véritable lien social, et sont les seuls moyens de soulager les misères des autres ; qu'elle paie à tous un juste salaire, compatisse à leur faiblesse, les relève de l'abjection où ils sont tombés, les instruise et les moralise par la parole, l'exemple, le sacrifice et aussi par un généreux pardon.
Enfin l'tat devrait compléter l'œuvre des uns et des autres, c'est-adire : 1° promouvoir l'instruction et l'éducation des masses d'après des principes moraux et chrétiens ; 2 instituer des banques de crédit agricole, des caisses rurales, etc., pour fournir aux paysans les ressources nécessaires a leurs travaux ; 3° promouvoir la construction d'habitations rurales pour amener les paysans à vivre aux champs avec leurs familles. Dans ce but, non seulement l'Etat, mais aussi la province, les communes, les particuliers, tout le monde, en un mot, doit travailler ̀ détruire ce désir de vivre en ville qui est la plaie du pays et la source[69]des maux les plus nombreux ; 4e dégrever d'impôts et aider les entreprises susceptibles d'ouvrir de nouveaux horizons pour l'avenir ; 5° enfin, fonder des œuvres qui, dans les jours de détresse, assurent la subsistance à ces malheureux.
§ 21. SUR LES DOMAINES COMMUNAUX
Sans entrer dans l'examen des questions d'équité que soulèvent l'origine et l'étendue des domaines communaux de Ruvo di Puglia, sur lesquelles on a écrit d'importants mémoires31, il faut noter que dans aucun coin de la province il n'y a eu autant de partages domaniaux qu'à Ruvo. Voici du reste quelques chiffres :
Ces 2,501 parts successivement tirées au sort ont été assignées à autant de prolétaires, lesquels ont, en entrant en possession, pris l'engager ment de payer les contributions foncières et un impôt annuel à la commune, variable, selon les pavs, de 8f 50 20f.
Les uns ont gardé et amélioré leurs parts, les autres les ont abandonnées ou louées pour quelques francs comme pàturages, d'autres les ont affermées par long bail à amélioration pour un très bas prix, enfin il en est qui les ont données en antichrèse ou vendues définitivement. En sorte que, quand on demande si tous ces partages ont été ou non avantageux aux prolétaires, il est difficile de répondre.
Rinaldi32considère ce mode de partage comme une erreur juri[70]dique et une erreur économique et propose de substituer au partage individuel une force collective qu'il appelle Communaute agraire.
Au contraire, le député Jatta33soutient que, pour nos paysans, l'unique partage possible est le partage individuel, et pour que la possession devienne durable, i propose que le partage soit fait aux conditions suivantes : 1° les parts devront être attribuées avec une clause d'inaliénabilité ; 2° le privilège d'un créancier ne pourra s'étendre au delà des revenus d'une année ; 3° 'hypothèque sur les biens attribués en partage ne sera jamais recevable ; 4° on ne pourra à aucun titre les donner à bail, en antichrèse, les céder, en donner la jouissance gratuite, etc. ; 5° enfin, on établira des syndicats pour surveiller scrupuleusement l'exécution de ces clauses.
A ces propositions, justes et raisonnables, de Jatta, je me permets d'en ajouter seulement une autre, c'est que les parts, non seulement devraient être ialieinables, mais encore indivisibles. Si on permet, conformément au droit commun, que les pères, en mourant, puissent les diviser entre leurs fils, après deux ou trois générations, elles seront tellement fractionnées qu'elles auront perdu toute valeur, et il y aura un nombre considérable de proprietaires indigents, comme les appelle Tisserand34. I1 faudrait donc que des lois spéciales vinssent régir la transmission successorale de ces lots, comme on a été contraint de le faire en Allemagne, en Suisse et en France.
En attendant, il est rerettable qu'on ait partagé tant de domaines sans réfléchir qu'il y avait là une excellente occasion d'amener nos paysans à vivre à la campagne en établissant des centres d'habitation dans les lieux où actuellement existent de petites églises rurales, comme on l'a fait a Calentano lors du partage de la forêt voisine, la Selva eale.
§ 22. LA BIENFAISANCE PUBLIQUE A RUV0
La bienfaisance publique à Ruvo est confiée en partie à des Instituts propriétaires de biens patrimoniaux, et ayant leur administration propre,[71]en partie à des Instituts subsidiés par la commune et administrés par la congrégation de charité.
Les premiers, au nombre de neuf, possédent un revenu total de 36,000f. Malheureusement cette somme est dépensée en majeure partie (20,000) en impôts divers et en frais d'administration : 16,000f seulement sont affectés à la bienfaisance.
Un de ces Instituts autonomes, le Mont-de-piété, entretient un petit hôpital de quinze à vingt lits pour les maladies graves des pauvres, dont quelques-uns sont envoyés, à l'occasion, à l'hôpital de Bari, lequel est subsidié par la province. Les autres nstituts autonomes ont beaucoup de peine à vivre ; et même deux d'entre eux, inaugurés sous d'heureux auspices, le Monte dei pegni et la ˉBamque agricole, après l'incendie du 8 janvier 1894 ( 20) et les traverses qui suivirent, disposent maintenant de très maigres ressources et cheminent bien doucement
Les Instituts administrés par la congrégation de charité sont : a) l'asile de mendicité ; 6) l'assistance publique. Le premier a 10,500f de revenu provenant de ses biens propres et des subsides de la commune (7,80)f par an). Sur ce total, 3,500f servent à couvrir les frais d'administration et 7,000f sont dépensés à l'entretien des pauvres recueillis et en subsides de toute nature. Les Seurs de la Charité ont la direction de l'hôpital, de l'asile de mendicité, et de l'asile infantile.
L'assistance publique a pour mission l'assistance à domicile des malades pauvres inscrits sur des listes spéciales. La commune donne 6,000fde subventions et paie en outre les deux médecins et la sage-femme. Sur cette somme, 1,000f sont absorbés par les frais d'administration et 5,000f servent au but même de l'institution.
Les institutions privées de bienfaisance sont : 1° plusieurs dots matrimoniales pour les jeunes filles pauvres ; 2° six bourses d'études, dont deux de 30f par mois chacune, au profit, pendant trois ans, de jeunes ouvrières apprenties dans des ateliers de Naples, deux pour des études ecclésiastiques, et deux pour des études de médecine et de droit a l'Université de Naples ; 3° un legs de 20,000f au profit des pauvres. — Il y a aussi l'nstitut des Dames de Charité.
§ 23. SUR LES USAGES MATRIMONIAUX ET LES CONSTITUTIONS DE DOTS
[72] Aux mariages des paysans, les interêts matériels sont assez limités, parce que, ni à la campagne ni à la ville, ils n'ont en général de biens qu'ils puissent constituer en dot ; sauf quelque argent comptant ou quelque petit vignoble amélioré au prix de longues peines et de pénibles travaux, que le jeune homme a acquis lui-même, ou qu'il reçoit de ses parents, tout se réduit à la lingerie personnelle et de ménage, à des vêtements, à quelques meubles, vaisselle, batterie de cuisine, et à quelques objets d'ornement en or pour l'usage personnel de la femme.
Quand un mariage se fait avec le consentement des parents, ceux- ci se rendent a la maison de la future, font la demande en mariage, échangent mutuellement leurs idées avec les parents de la jeune fille, et reglent la partie la plus intéressante, c'est-à-dire la question pécuniaire ; ils sont d'ailleurs obligés d'être sincères et ponctuels, sous peine de voir tout se rompre la veille du mariage, s'ils n'ont pas rempli les promesses qu'ils ont faites. Tout cela a lieu verbalement et de bonne foi, et il n'y a pas d'exemple qu'on ait appelé un notaire pour rédiger ces conventions, à moins qu'il n'y ait des sommes d'argent à placer ou des dons des parents à constater. C'est ce qui arrive souvent dans les mariages de paysans fermiers ou propriétaires, possédant des immeubles ou de l'argent comptant. Ils en donnent une partie, en s'en réservant l'usufruit, ou même en en concédant la jouissance, le jour même du mariage. Les plus avisés se réservent les immeubles pour en jouir pendant leur vieillesse, et n'en laissent la disposition qu'après leur mort, tandis qu'ils constituent une dot au comptant, qu'ils font égale pour l'homme et pour la femme, par ex emple 500f pour chacun, voulant mettre en pratique la maxime : Prends-en autant que du peux en porter. Ce capital, ordinairement, sert a acheter une maison qui devient propriété commue, et c'est ce qui nécessite la présence du notaire pour rédiger un acte public. Les filles des paysans fermiers et propriétaires se conforment à l'usage qui consiste à compter et à exposer le linge en publie. Quand donc approche le jour des noces, les plus intimes parents des deux parties se réunissent à la maison de la future pur y faire la revue et l'inventaire de tout ce qui a été donné, selon les conditions qui ont[73]été précédemment convenues. C'est ce que, dans le langage du pays, on appelle : mettre la lngerie par terre. Et, dans une certaine mesure, cela correspond à l'usage peu louable, qui s'est établi dans la bourgeoisie, de faire l'exposition du trousseau de la mariée pour jouir de l'admiration et pour recevoir les critiques des parents et des invités.
Mais quand, ici, on dit que la future apporte cinq, six, huit draps, etc., cela signifie qu'elle apporte en dot cinq, six, huit pièces de chaque objet de lingerie ou de vêtements qui lui sont personnels, et proportionnellement autant de linge de ménage, de meubles, etc. Ainsi, pour avoir une idée nette de la composition de ces trousseaux, supposons qu'une jeune fille apporte, ce qui est la quantité la plus commune, 6 draps ; de quoi alors se composera sa dot 2 Des objets suivants :
ˉLinge de corps. — 6 chemises, 6 paires de bas, 6 jupes, mouchoirs de poche, 6 mouchoirs de tête, 6 serviettes, 6 habits neufs et usagés, 3corsages, 1 fichu de laine et soie pour l'été, 1 fichu de laine pour l'hiver,
3 paires de bottines.
ˉLinge de enage. — 6 essuie-mains, nappes de table, 6 serviettes, grands draps, 1 matelas vide que la future emplira de paille d'orge,
4 oreillers pleins de laine, 4 taies d'oreiller en coton, 4 de couleur, 1 couverture de coton blanche, 1 de couleur, 1 en piqué, 3 tours de lit.
Meubles de menge. — Une commode a 4 tiroirs en noyer, une petite table à 2 tiroirs en noyer, avec ou sans marbre, chaises, 2 tréteau x en fer pour le lit, 3 planches pour le lit.
Pour une dot de 6 draps, la future doit encore apporter 6 ducats (25f 50) d'objets en métal pour la cuisine, consistant en un chaudron et une casserole en terre ou en cuivre étamé, une poêle en fer, un brasero en cuivre jaune et une chaufferette pour repasser. En outre, elle doit dépenser 6 autres ducats en objets d'or, soit une paire de boucles d'oreilles et une broche (fermagdio), et donner au futur une chemise bien cousue et bien repassée pour le jour des noces, une paire de chaussettes et une de caleçons, mouchoirs blancs, 3 de couleur et une casquette de velours noir brodée, pour la maison.
Le futur, pour son compte, doit apporter : 6 paires de caleçons, 6 chemises, paires de bas, 6 paires de chaussettes, 6 habits complets neufs et usagés pour l'été et l'hiver, 1 manteau, 2 chapeaux, 6 paires de souliers et de bottines. En plus, il doit meubler la maison d'un crucifix, de cadres de saints et de madones, acheter 2 lampes à pétrole, 6 tasses avec un sucrier, un miroir, des peignes, des brosses, des verres, couverts, couteaux, plats et autre vaisselle, trépieds, grille en fer et autres acces[74]soires semblables, enfin il doit acheter les serrures pour la commode et la petite table, et il doit les faire mettre également à son compte.
Mais la dépense la plus importante pour lui est l'achat des chaussures et des vêtements pour la future, qui doivent avoir une valeur proportionnée au reste de la dot de six draps, tel qu'il a été déterminé quand on a réglé le mariage. Quelques mariées, qui sont bien pourvues d'habits, font l'économie de cette dépense, mais elles en prennent l'équivalent en argent pour en faire un autre usage.
Enfin le futur doit payer tous les frais que l'on fait à l'église ou à l'état civil.
Pour les dépenses qui se font le jour des noces, comme compliments, liqueurs, rafraîchissements, repas, plats de noce, on s'arrange entre les deux familles, et on divise les frais par moitié, ou l'une paie une chose et l'autre le reste. Cn trousseau de mariée ainsi constitué, quand il est bien fait, ne coûte pas moins de 500f, et pour arriver à les amasser, que de fatigues aura une pauvre jeune fille et qui sait combien de privations il aura coûté à ses parents :
§ 24. SUR LES PROGRÈS DE LA COOPÉRATION VITICOLE DEPUIS 1903
Depuis 1903, époque d'observation de cette monographie, les différentes tendances relevées au sujet du milieu dans lequel vit la famille sont allées toujours en s'accentuant. C'est avec une véritable satisiaction surtout que je note les progrès réalisés dans la voie de la coopération viticole. ˉLa Societe anonyme cooperative des producteurs de marc, qui a son siège à Barletta, a vu s'accroître régulièrement le nombre de ses adhérents et le montant de son capital social. Voici d'ailleurs les chiffres :
[75] Parmi celles-ci, l'usine de Ruvo distille en moyenne 17,000 quintaux de marc par an. La ville de Ruvo, à elle seule, compte aujourd'hui quatre-vingts associés, et l'on peut dire que plus des trois quarts du total du marc produit dans la région proviennent de cette coopérative.
Il existe en outre à Barletta, depuis le 1e juillet 1906, une ocieté cooperative des ˉPouilles pour la production et le commerce des vins de luxe, société à capital illimité. Cette coopérative achète a ses membres de Barletta et des communes voisines (Andria, Corato, Ruv, Terlizi, etc.), les raisins choisis, propres à la fabrication des vins de luxe, et les travaille rationnellement. Elle fait également de très bons vins de coupage. Le marc est vendu à l'Union des producteurs de mare.
Avec les progrés de cette institution encore jeune, pourront se créer peu à peu des succursales dans les communes voisines, pour le plus grand avantage des associés qui y résident. La société est due à la généreuse initiative du pro fesseur G. de Astis, directeur de la Regi ˉCantina sperimentale de Barletta, grâce au èle et à l'intelligente direction duquel elle a fait en peu de temps de très grands progrès. Voici, à cet égard, quelques chiffres intéressants. Au 30 avril 1908, on comptait 173 associés, ayant souscrit 1,309 actions de 25f chacune. Le capital social était donc de 32̀,725f, auxquels s'ajoutait une réserve de 743f, soit un actif total de 33,468. En outre, dès l'année précédente, en 1907, le gouvernement italien avait accordé une subvention de 12,000f. Dernierement, la société a obtenu une médaille d'or à l'exposition de Copenhague.
Ces applications de l'idée coopérative à la fabrication et à la vente du vin et de ses résidus procurent même chez nous de grands avantages. On cultive partout la vigne, et souvent on souffre de la surproduction et, par suite, de la mévente. Aussi, s'il n'y a pas quelque débouché commercial bien assuré, le vin reste dans les caves des particuliers et, de plus, étant donné le mode souvent irrationnel de fabrication et de conservation, il s'altère au point que le meilleur remède est la distillation. C'est pourquoi les deux sociétés précitées distillent une grande quantité des vins de leurs associés, profitant du rabais de 45 °, sur la taxe de fabrication de l'alcool accordé exceptionnellement ax coopératives seules.
Puissent ces associations progresser et devenir le centre de nouvelles activités dans le domaine de l'agriculture Mais malheureusement, si quelques propriétaires adhèrent à ces groupements, bien peu d'entre eux s'occupent sérieusement du progrès de ces utiles institutions Les plus[76]engagés dans les luttes des partis locaux, avides d'honneurs et de revanches, augmentent le mécontentement des classes populaires. Dans l'article sur les mouvements agraires dans les Pouilles que j'ai publié dans la épforme socile du 16 mars 1908, j'ai cherché à dégager les véritables causes de tous ces troubles. On transgresse les préceptes de la religion, on méconnait la loi de l'amour familial et soceial, on se désintéresse de la propriété, c'est-à-dire de tout ce qui est la base de la paix véritable, avant-garde du progrès. Aussi la discorde entre les diférentes classes sociales va sans cesse en augmentant ; sous l'action des socialistes et des partis locaux, les ligues ouvrières se multiplient qui se révoltent comme des bêtes sauvages au moindre incident. La ligue des paysans est la plus terrible et par le nombre et par la violence. Et pendant ce temps, la population, formée surtout de paysans, se multiplie de plus en plus dans ces taudis sordides que j'ai décrits dans ma monographie. Et, tandis que les habitations rurales manquent à cette population grossière, la ville qui la reçoit et la corrompt devient chaque jour plus redoutable. — A la classe dirigeante incombe la lourde mission de purifier un pareil milieu A elle il appartient de se rappeler ce que notre maître, F. Le Play, disait de la meilleure hiérarchie sociale : « Au bas la sécurité, au sommet la vertu. » (Ouvriers europeens, t. I, liv. I, chap. XI, § 4.)
Le Gérant : A. VILLECHÉNOUX.
Notes
1. Antonio Jatta : Precis de géologie et de paléontologie de la province de Bri. Trani, V'ecehi, 1887. Dans cet écrit assez connu, le lecteur trouvera des renseignements beaucoup plus détailles sur la nature géologique de Ruvo.
2. Cocevole, parce qu'ils produisent des légumes faciles à cuire.
3. A. Jata : op. cit.
4. Ces observations m'ont été fournies par mon pere, le docteur Vincent Lojodice, directeur de la station thermo-hydrométrique de Ruvo, pour le compte de l'office central de météorologie et de géodynamique du royaume.
5. La moyenne des pluies, dans la période 1890-1902, n'a pas dépassé 612r82; le nombre moyen annuel des journées de pluie pendant la même période a été de 78-21.
6. Bordiga : s L'agriculture et l'économie agricole de la province de Bari, ertrait de l'ouvrage ˉLa terra di Bari, vol. III, p. 8.
7. Docteur Ciro Ferrari : Observations sur les tempêtes, recueillies dans les années l882-1888. Rome. typ. Metastasio.
8. De Renzi : ˉ'opographie et statistique édicale de la ville et du rogaume de Napnles. p. 24.
9. Bordiga : Op. cit.. p. 78.
10. La « vigna di corda » est l'unité de mesure agraire de Ruvo di Puglia. Elle vaut 40 ares et 31 centiares.
11. Le tomolo est l'unité de mesure de capacité pour les fruits secs et vaut 5 litres.
12. Le blé mélangé de plusieurs variétés qu'on cultive ici donne une farine moins blanche, mais plus aotée, que celle qu'on reçoit au moulin à cylindre en échange du blé porté.
13. Igiene rurale, par le docteur Sanguirico, Nuova Enciclopedia agraria, p. 56. Turin, Tipograpnhia editrice.
14. Sorte de fromage mou.
15. Fromage mou également, mais ayant le goût plus fort que le précédent et dont la pâte est analogue à celle du roquefort.
16. Récipients d'argile de forme allongée, munis de poignées.
18. Le caciocavallo : fromage à califourchon, tire son nom de la 1forme qu'on lui donne de deux boules attachées aux extrémités d'une ficelle par où on les suspend.
19. Depuis quelques années, il y a deux ou trois batteuses en service.
20. A. Jatta : ˉLa production du froment dans le pays de Bari. Trani, Vecchi, édit. 1886.
21. M. Montanari : Rapport sur le concours des raisins de table à Portici, Actes de l'Institut d'encouragement de Naples, 1890.
22. Quelques propriétaires ne recoivent pas le prix de leurs fermages en espèces. ls le préfèrent en nature, établissant une sorte de rente de la terre, comme une prestation annuelle de tant de tomoli de blé par hectare, comme il est indiqué dans le contrat de Rocco. pour les terres qu'il a en bail à amélioration dans la contrée de Lagarello.
23. Dans les terrains très pierreux et peu profonds, on concede au fermier de ne pas défoncer jusqu'à 010 et la dépense occasionnée par le charriage des pierres est répartie entre le fermier et son propriétaire.
24. On rencontre aussi des baux de dix-huit ans et de vingt-sept ans, voire même de trente ans, selon la qualité du terrain. la distance et l'état de culture du fonds.
25. Dans certains contrats. le prix convenu se paie en raisins et en moût. Dans d'autres contrats, les fermiers payent au bailleur le prix convenu, mais celui-ci est obligé d'acheter tout le raisin récolté sur ses terres, pour vu qu'il soit vendable, à un prix fixé une fois pour toutes, au moment même du contrat, pour tout le temps du bail.
26. Si la terre est éloignée et pleine de cailloux ou d'herbes, de manière que la plantation de la vigne réclame des dépenses extraordinaires, le fermier ne paiera aucune location pendant les trois premières années.
27. On ne parle pas dans ce bail de soufrage et de sulfatage, parce qu'on n'avait pas eu encore à souffrir du mildiou et de l'oidium. Dans les baux qui se font actuellement, à l'obligation de faire les travaux ci-dessus, on ajoute celle de faire les sulfatages et les soutfrages, pour lesquels le propriétaire fournit seulement l'eau. Quelques propriétaires font les sul fatages à leur compte, et se dedommagent sur les fermiers. D'autres enfin avancent aux plus besogneux le sulfate de cuivre et le soufre, et se remboursent au moment du paiement du fermage.
28. V. Cause e reedi della crisi vinicola nel Barese (Discours inédit du docteur Vincent Lojodice). Ruvo, février 1889.
29. A Ruvo, le syndicat contre le phylloera a formé une pépinière de plants américains sur un terrain du R. Tratturo. Les plants viennent bien.
30. Il y a eu à Ruvo un très bel exemple d'initiative privée donné par le docteur V. Lojodice, qui, à ses frais, a planté un vignoble avec des sujets américains, greffés sur les vignes du pays. Les résultats qu'il a obtenus ont été des plus satis
faisants, et l'an prochain (l904), qui est le troisième de sa plantation, il espère avoir une bonne récolte.
31. V. de Dominicis : ˉLes partages. V. A. Jata : ˉDomaines et questions dozmaniales de uvo di Puglia. Bitonto, arotfalo, éditeur, 1898, 2e edition.
32. Rinaldi : ˉLe terre publiche e la questione sociale. Rome, 1896, p. 186.
33. A. Jatta : ˉOp. cit., p. 172.
34. Les ouvriers ˉeuropéens, t. IV, p. l03-107 : Le orcellement eaagere du sol dans la conune de Sagn, par M. Tisserand.