N° 59 bis.

PRÉCIS D'UNE MONOGRAPHIE

PAYSAN ET MAÇON ÉMIGRANT

DE LA MARCHE (CREUSE)

OUVRIER-PROPRIÉTAIRE,

DANS LE SYSTÈME DU TRAVAIL SANS ENGAGEMENTS

(Durant la période d'émigration le travail de maçon s'exécute dans le système des engagements volontaires momentanés.)

(1885),

PAR

M. L'ABBÉ EM. PARINET ,

Membre des Unions de la Paix sociale.



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Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

[229] Avez-vous parcouru la route qui conduit d'Ahun à Saint-Sulpice-les-Champs ? Après avoir quitté la coquette petite ville qui fut à l'époque gallo-romaine Acitodunum, station de la grande voie de Limoges à Clermont, vous rencontrez bientôt l'antique demeure de Massenon ; puis, un peu plus loin, à quatre kilomètres, la pittoresque église de Chamberaud. Ses murs épais et ses massifs contreforts sur lesquels pousse une végétation vigoureuse, les ruines qui l'entourent, nous rappellent que là fut autrefois une commanderie de l'ordre de Malte. Le bourg et trois autres villages, dont le plus éloigné n'est guère qu'à un kilomètre du clocher, sont groupés dans la vallée et forment toute la commune de Chamberaud. De faibles élévations couvertes de bois ou de bruyères entourent cette agglomération, et bornent les terrains cultivés par les habitants. Les eaux se rassemblent dans un étang1, et par un faible ruisseau vont se[230]jeter dans la Creuse, un peu en aval de Lavaveix-les-Mines. C'est là que nous avons choisi, comme objet de notre étude, une famille d'émigrants. Placée à peu près au centre du département, dans des conditions moyennes d'altitude et de fertilité, elle nous représente bien le type de l'état social et économique d'un grand nombre de nos concitoyens.

Les paysans de la Creuse divisent d'une manière assez exacte leur département en deux parties : ils appellent plaine les arrondissements de Guéret et de Boussac : là, le sol est moins pauvre, l'agriculture plus florissante et par suite l'émigration moins nombreuse. Ils donnent, au contraire, le nom de montagne à l'arrondissement de Bourganeuf et à la plus grande partie de celui d'Aubusson : ici l'altitude est plus élevée, le sol plus aride ; il y a de plus grands espaces incultes ; l'agriculture y est moins lucrative et l'éloignement des chemins de fer a tenu jusqu'à présent le pays en dehors du progrès agricole, et particulièrement de l'emploi de la chaux et des engrais chimiques. Chamberaud, qui fait partie de l'arrondissement d'Aubusson et qui, par son voisinage avec Ahun, touche à l'arrondissement de Guéret, tient le milieu entre ces deux régions. Son étang. qui peut être pris comme point moyen d'altitude, est à 508 mêtres au-dessus du niveau de la mer. Le territoire de la commune contient 738 hectares ; les terres labourées comptent dans cette étendue pour 388 hect. ; les prairies pour 140; les bois pour 60. Le reste comprend les terrains non cultivés : bruyères, cours d'eau, chemins, etc. Le sol se compose d'une légère couche de terre végétale qui repose sur un tuf jaunâtre servant de mortier pour les constructions, sur la tourbe dans les environs de l'étang, ou le plus souvent immédiatement sur le granit. Ce granit, base du terrain, est disposé en masses irrégulières qui se montrent souventà nu ; son grain est très fin et il fournit de belles pierres de taille pour la construction. Grâce à la facilité de trouver ainsi d'excellents matériaux, les habitations sont en général bien bâties. Sur 113 maisons que renferme la commune, 16 ont deux étages, 84 un étage, 12 seulement n'ont qu'un rez-de-chaussée. l'outes sont construites en moellons avec les encoignures plus ou moins bien taillées.

La population est de 431 habitants, dont 204 du sexe masculin et 227 du sexe féminin. Voici de plus le mouvement de cette population pendant les dix années qui viennent de s'écouler : mariages, 21 ; naissances, 5 ; décès, 60. Il n'y a pas dans la commune de[231]grands propriétaires : elle est partagée en petits domaines à peine suffisants, en général, pour donner la nourriture à ceux qui les possèdent. Ces domaines sont divisés en un grand nombre de parcelles de petite étendue, et enchevêtrées les unes dans les autres. Le district rural que nous étudions rentre bien sous ce rapport dans la catégorie que F. Le Play appelle les oillages a banlieue morcelée. On trouve un certain nombre de parcelles entourées de haies ou de murailles, et n'ayant pas plus de 30, 20, ou même 15 ares. Ce morcellement exagéré est loin d'être favorable aux progrès de l'agriculture, et il y a pour les cultivateurs, dans les transports des récoltes et des engrais, dans les réparations des clôtures, une dépense inutile de forces et de temps. Aussi l'état de la culture est-il à Chamberaud le même qu'il y a trente ans ; on continue à préparer les terres de la même facon avec des instruments semblables, à y jeter les mêmes semences de seigle, de sarrasin, d'avoine, etc. Le froment n'est récolté qu'en petite quantité et par exception. Le terrain est du reste maigre et peu fertile. Placée dans ces conditions, la partie valide de la population s'est demandé depuis longtemps si elle devait rester attachée à ce sol ingrat. Sans doute, en améliorant la terre, le rendement augmenterait ; mais où prendre les avances nécessaires Sans doute aussi, en redoublant d'efforts. on vivrait avec ses quelques hectares de terrain ; mais quand viendra le moment de payer les frères et sœurs, de marier la fille, où trouver les ressources nécessaires ? Et plus la terre se montre avare, plus le paysan semble s'y attacher ; il ne peut pas se faire à l'idée de vendre le domaine où ont travaillé les anciens.

C'est dans ces conditions que notre homme s'est décidé à quitter son pays, ses vieux parents, sa femme, ses enfants, pour aller demander à des contrées plus riches les ressources qu'il ne trouve pas chez lui. Voilà pour quelles raisons depuis longtemps les habitants de Chamberaud se sont faits maçons, et sont allés travailler dans nos provinces de l'est ou à Paris. Ils partent chaque année dans le courant du mois de mars, passent la belle saison à travailler, et au mois de décembre reviennent dans leurs familles. Dès que les enfants ont atteint quinze ou seize ans, ils accompagnent leur père et apprennent son métier. Les enfants plus jeunes, les femmes et les vieillards doivent pendant ce temps s'occuper des travaux de la propriété, qui souffre évidemment de ce manque de bras plus va[232]lides. Actuellement, sur 140 ouvriers environ, la commune compte 60 émigrants, maçons ou tailleurs de pierre ; 44 seulement s'adonnent exclusivement aux travaux des champs, et la plupart sont âgés ;6 vont chaque jour travailler aux mines de Lavaveix, qui sont à 6 kilomètres de là ; 26 sont occupés comme artisans à différents métiers, maréchaux, sabotiers, tisserands, etc. ; enfin 4 sont aubergistes. Un certain nombre de ces émigrants, chefs de famille, sont économes et rapportent à la fin de l'année le produit de leur campagne. qui varie de 400 a 800 franes. D'autres, surtout parmi les plus jeunes, dépensent davantage, rentrent avec peu de chose et achèvent de dissiper, pendant l'hiver, le fruit de leur travail.

Cette tradition de l'émigration se transmet de père en fils à Chamberaud; depuis longtemps la plus grande partie des habitants se ivrent au métier de maçon, déjà ancien dans ce bourg. Dans un terrier, fait sur la requête du commandeur des chevaliers de Male2résidant à Chamberaud, au mois de décembre 1682, nous trouvons tous les habitants de la paroisse qui comparurent devant le notaire, portés comme laboureurs et maons. Nous avons pu en parcourir un autre d'octobre 1725 : les mêmes qualifications s'y rencontrent, et de plus, comme les ouvriers ne sont pas encore rentrés au pays, un certain nombre sont représentés par leurs femmes et signalés comme étant hors de proince.

Dans l'état actuel de notre législation, et dans une région aussi peu fertile, il semble difficile de constituer des familles-souches. Cependant c'est le rêve de tout paysan de laisser à un de ses enfants la propriété entière de ses biens. Voici les moyens employés pour[233]arriver à ce résultat. La quotité disponible est presque toujours donnée par contrat de mariage à l'aîné des fils ; un avancement d'hoirie, dont les frais sont supportés soit à l'aide des économies du père et du fils favorisé, soit à l'aide de la dot de la bru, soit à l'aide de l'emprunt, est attribué à chacun des autres enfants qui quittent la famille au moment du mariage. Pendant la vie du père et son travail commun avec le fils aîné, les achats de propriété, les placements des fonds provenant de l'épargne, sont faits au nom de celui-ci. Au moment de la mort de son père il se trouve ainsi dans la possibilité de payer à ses frères les droits qu'ils peuvent avoir sur les biens du défunt, biens qui du reste sont le plus souvent estimés au-dessous de leur valeur dans les arrangements de famille. Ajoutons que le nombre des enfants tend de plus en plus à diminuer : les parents limitent ce nombre à deux ou trois, quelquefois un, et beaucoup avouent franchement que ce sont des héritiers qu'ils craignent. Avec toutes ces précautions un grand nombre réussissent dans leur dessein ; mais ils ne peuvent évidemment arriver à cette puissante organisation du foyer domestique, à cette vitalité, à cette force de la famille-souche décrite par F. Le Play3.

La famille présentement décrite se compose de six personnes :Jacques Z***, le grand-père, 75 ans ; —Léonard, son fils, père de famille, 48 ans ; —Maria, sa femme, 43 ans ; —Eugène, l'aîné de leurs enfants, 22 ans ; —Mathilde, leur fille, 20 ans ; —Octave, leur second fils, 10 ans.

Jacques a été ouvrier maçon émigrant ; depuis une douzaine d'années il reste au pays et cultive la propriété. Il est encore vigoureux et se livre, avec moins de force sans doute, mais avec autant d'ardeur que les plus jeunes, aux divers travaux de la campagne comme eux, il fauche, bat en grange, etc. Léonard est égar lement maçon ; il reste neuf mois à Paris et ne passe à Chamberaud que les trois mois d'hiver. Eugène a accompagné son père pendant les trois dernières campagnes ; cette année il fait son service militaire. Mathilde s'est mariée l'an passé avec un jeune homme qui n'avait pas encore satisfait à la conscription ; elle est revenue passer dans sa famille l'année pendant laquelle son mari restait au régiment.

Il y a dans la paroisse de Chamberaud beaucoup d'indifférence pour tout ce qui touche à la religion ; chez quelques individus[234]cette indifférence se tourne en hostilité. Les offices sont peu suivis ; les hommes surtout viennent rarement à l'église, même aux jours de fête. La majorité des familles respecte encore le repos du dimanche, mais bien plutôt par routine que par esprit religieux, et dès qu'un travail parait un peu pressant, il y en a un très petit nombre qui hésitent à le faire, dussent-elles pour cela lier les bêtes de somme. Au moment de la fauchaison et de la moisson, presque toutes travaillent habituellement le dimanche. Absorbés par les préoccupar tions matérielles, âpres au gain, égoistes, écartant de parti-pris la pensée de la mort et de la vie future, exposés du reste à entendre de la bouche de quelques exaltés ou à lire dans certains journaux une foule d'objections contre la religion, la plupart des habitants de Chamberaud vivent dans le matérialisme pratique. A certains jours cependant l'idée d'un Dieu et d'une Providence s'impose à eux, et les bénédictions de l'Eglise sont encore demandées à la naissance, au mariage et à la mort. Il n'y a eu jusqu'ici qu'un enterrement civil ; c'est celui d'un jeune homme qui avait pris part à l'insurrection, faite en 1871 au nom de la Commune de Paris, et qui se vantait d'avoir été un des meurtriers des otages : il ajoutait ce détail (je cite ses paroles) : «Un d'entre eux, un curé, nous demanda de le viser au cœur ; mais, moi, je lui tirai dans la bouche pour le faire souffrir davantage ; et il se mit à faire des bonds comme un chien enragé. » Chaque fois qu'il faisait ce récit il le terminait par un éclat de rire.

Ce déclin de l'esprit religieux paraît avoir plusieurs sortes de causes, les unes générales, les autres purement locales. Il est bien certain que depuis 1870 la foi a baissé et les pratiques religieuses ont diminué dans nos campagnes : les populations peu instruites n'ont pas su résister aux attaques sans cesse diri gées contre les dogmes et la morale de l'Eglise catholique. La presse hostile a eu dans la paroisse de Chamberaud en particulier des cffets désastreux sur les âmes. Quant aux ouvriers qui émigrent à Paris, ils sont placés dans les conditions les plus défavorables au point de vue qui nous occupe, ne chômant ni dimanches ni jours de fête, si ce n'est peut-être les dimanches de paye, ils ne participent à aucun exercice du culte. Je connais des ouvriers qui vont depuis vingt ans dans la capitale, et qui ne sont jamais entrés dans une de ses églises. Aucun enseignement religieux n'arrive donc jusqu'à eux, et ils sont ainsi tout préparés à[235]recevoir et à accepter les doctrines révolutionnaires ou immorales qu'ils entendent développer ou voient mettre en pratique. De plus, aucun prêtre ne réside dans la paroisse ; c'est le curé d'une paroisse voisine qui vient chaque dimanche célébrer la sainte nesse dans l'église fermée toute la semaine; c'est lui qui visite les malades et remplit les différentes fonctions du ministère sacré. Quel que puisse être son zèle, cet éloignement est nécessairement un obstacle au bien. Enfin, il faut ajouter que les derniers souvenirs laissés par les chevaliers de Malte, souvenirs que les anciens transmettent aux plus jeunes, ne laissent pas une impression favorable à cette institution, et par extension à toutes celles de la religion. Les commmandeurs, au moins dans les années qui précédèrent la Révolution, abandonnèrent souvent leur résidence, laissant à des procureurs ou Aà des fermiers le soin de prélever les redevances qui leur étaient dues. Ces fermiers, qui faisaient une affaireˉ, usaient parfois d'exactions, ou au moins de procédés un peu durs, qui indignaient les cultivateurs. Pour comble de malheur, les propriétés de l'ordre, vendues comme biens nationaux, furent achetées par un prêtre assermenté, qui se maria et fut la souche d'une famille restée dans le pays jusqu'à ces dernières années. Telles sont les causes qui paraissent expliquer jen partie l'indifférence et l'hostilité signalées plus

L'autorité paternelle n'est guère plus respectée. Dès que les jeunes gens commencent à émigrer, ils échappent nécessairement à l'influence du père, et, pendant leur court séjour annuel au pays, ils pensent beaucoup plus aux plaisirs et aux récréations qu'aux travaux de la famille. Les fêtes, les noces, les foires et les marchés, sont pour eux autant d'occasions de réunion, où la morale et la sobriété ont beaucoup à souffrir. Ces habitudes durent en général jusqu'au mariage. Les jeunes filles s'affranchissent aussi facilement de l'autorité maternelle. Pendant l'hiver surtout elles fréquentent les bals du voisinage, y restent assez souvent jusqu'à deux ou trois heures du matin, et rentrent à la maison seules ou en compagnie des jeunes gens avec lesquels elles ont passé la nuit. Beaucoup de parents gémissent de cet état de choses ; mais bien peu osent tenter d'y porter remède, et quand ils en parlent ils ne savent que dire avec tristesse : « Il faut que jeunesse se passe; il ne faut pas se distinguer, il faut faire comme les autres. »

Il n'y a guère de relations intimes entre voisins ; chacun se tient[236]strictement chez soi. Les héritages étant enchevêtrés les uns dans les autres, de fréquentes discussions s'élêvent entre les propriétaires au sujet du bornage et de la jouissance ; mais rarement ces chicanes vont plus loin que la justice de paix.

La famille que nous décrivons est bien dans lasituationindiquée ci-dessus, au point de vue moral et religieu. La mère, la fille etle plus jeune des enfants viennent à l'église pour les grandes fêtes ; les autres membres de la famille ne prennent part à aucune manifestation du culte catholique. Léonard et son fils aîné ont rapporté de leur séjour à Paris ce que l'on appelle des idées très avancées. Le fils a été condamné, il y a deux ans, à une amende par le tribunal d'Aubusson, pour tapage fait dans l'église un jour de mariage. Les relations dans la famille sont froides, sans qu'il y ait de ces discussions et de ces tiraillements qui transpirent au dehors. Le grand-père a cédé son bien à ses enfants ; son autorité dans la famille est nulle, et il n'inspire guère de sympathie qu'à cause des services rendus par son travail. La mort de la grand'mère, qui a eu lieu il y a un an, n'a pas apporté au foyer une grande tristesse. Le prêtre, averti par des étrangers, lui a offert les dernières consolations de la religion, et rendu les honneurs de la sépulture chrétienne. Un très petit nombre de personnes ont assisté aux services religieux qui ont été célébrés à son intention.

Tous les membres de la famille ont fréquenté l'école et savent lire et écrire. Depuis plus de trente ans il existe au petit bourg de Chamberaud une école de garçons et une de filles. L'instruction obligatoire n'a rien changé à la fréquentation des classes ; les enfants y assistent asse réguliêrement, excepté au moment des grands travaux.

Le village est dans une bonne situation au point de vue de la salubrité. La nourriture est saine. Aussi, à part les affections rapportées des centres d'émigration, les fluxions de poitrine et les refroidissements auxquels peuvent donner lieu les travaux des champs et le manque de précautions, les maladies sont-elles assez rares. La famille Z*** jouit d'une bonne santé. Les indispositions y sont peu fréquentes, même chez le grand-père, malgré ses soixante-quinze ans. On n'appelle le médecin que dans les cas graves. C'est du reste l'habitude de la majorité des paysans de la contrée ; ils s'adressent trop tard au médecin et souvent lorsque le degré avancé de la maladie rend sa science impuissante.

Fiée depuis très longtemps dans la commune, la famille ne jouit[237]que depuis quelques années d'une certaine aisance. Son esprit égoiste et quelque peu querelleur, les façons d'agir de ses membres, ne lui donnent pas une grande considération dans le pays. Le père est cependant conseiller municipal de la commune depuis 1875 ; mais il doit cette dignité beaucoup plus à ses idées avancées qu'à l'estime que ses concitoyens auraient pour lui. Du reste, dans cette population, la fortune, l'honnêteté et la dignité de la vie inspirent autant de jalousie que de considération. Dans les mariages les parents recherchent avant tout la fortune pour leurs enfants, et lorsqu'on parle d'une jeune fille à marier, il n'est pas rare d'entendre cette expression : « C'est une fille de 10.000 francs » Quant à la vertu, la valeur morale, l'honneur, ce sont choses secondaires.

Moyens d'existence de la famille

Les immeubles possédés par la famille (22.670 fr.) proviennent de l'héritage des parents, accru par l'épargne ou de la dot de la bru. En premier lieu, une maison d'habitation, 2.000 fr. Puis une grange. avec aire au milieu ; une étable à vaches, au-dessus un grenier à foin ; une étable à brebis, au-dessus une resserre pour les gerbes ; ensemble, 1.500 fr. Boulangerie, porcherie et poulailler, 60̂0 fr. Enfin un domaine comprenant : jardin potager et chenevière (15 ares), 800 fr. ; verger (40 ares), 1.200 fr. ; terres labourables (4 hect.), 4.800fr. ; prairies morcelées en trois parties (2 hect. 85 a.), 9.250 fr. ; pâturages (1 hect.), 1.500 fr. ; bois taillis (60 ares), 720 fr. ; châtaigneraie (30 ares), 300 Tr.

Lors du mariage de sa fille le père s'est endetté de 2.000 fr. ; 500 fr. dépensés pour la noce et 1.500 fr. donnés comme avance d'hoirie. La famille conserve environ 100 fr. comme /fonds de roulement.

Les animau domestiques consistent en : 4 vaches, 800 fr. ; 1 génisse de 18 mois, 150 fr. ; 18 brebis, 180 fr. ; 1 âne, 90 fr. ; 1 chien, 6 fr. ; 1 porc à l'engrais, 50 fr. ; 6 poules, 8 fr.

Le matériel spécial de culture est évalué dans son ensemble à 586f50; savoir : 1 voiture de transport, longue. à deux roues, dite galiereˉ, 120 fr. ; 1 tombereau, 110 fr. ; 1 voiture à âne avec les harnais, 150 fr. ; 1 charrue, 30 fr. ; 2 araires, 14 fr. ; 1 herse en bois avec dents en fer, 34 fr. ; 2 jougs garnis, 20 fr. ; 2 cribles, 4 fr. ; 1 van,

[238] 24 fr. : 1 double-décalitre, 3 fr. ; 4 fléaux, 4 fr. ; 1 brouette, 5 fr. ; 2 échelles, 20 fr. ; 2 fourches et 2 hoyaux, 6 fr. ; 2 seaux en bois, 4 fr. ; 1 autre en fer-blane, 2f50 ; 10 pots à lait en terre, 1 grand vase en terre pour battre le beurre, 11 fr. ; 2 faux, 5 faucilles, 4 râteaux et 6 fourches en bois, 25 fr. Outils de jardinage, 12 fr., outids de maçon, 30 fr. ; armes et équipement de chasse ; 2 fusils, 150 fr. ; 1 havre-sac, 10 fr. ; 1 cartouchiêre, 5 fr.

Il y a quelques années seulement le village habité par la famille possédait une assez grande étendue de champs communaux, qui servaient de pâturages aux vaches et surtout aux brebis de tous les propriétaires. Ces terrains ont été partagés entre les habitants par parcelles très petites (quelques-unes n'ont que 20 ares), chacun voulant un morceau des parties les plus fertiles ; ce morcellement extrême a empêché que ce partage produisit le bien qu'on en espérait. C'était la seule source de subventions dont jouissait la famille ; à moins qu'on ne donne ce nom à l'instruction gratuite que reçoit le plus jeune des enfants, bien qu'elle soit de droit commun et payée par l'impôt.

Le grand-père et la bru s'occupent des différents travaux qu'exige la propriété. Ils se lèvent vers trois ou quatre heures en été, vers sept heures en hiver. La femme s'occupe d'abord de traire les vaches, puis de préparer le premier repas ; pendant qu'elle vaque aux soins du ménage, son beau-père panse le bétail ou le conduit aux champs. mmédiatement après la soupe, ils se livrent aux différentes occupations qu'exige l'exploitation agricole, et qui varient avec les saisons. En hiver, c'est le battage. la réparation des instruments, des clotures. Puis viennent les labours et les semailles du printemps, les grands travaux de la récolte des foins et du blé, enfin la préparation du terrain et les semailles d'automne. Jacques Z*** et sa bru, aidés par les émigrants pendant leur séjour au pays, suffisent à ces différents travaux : ils n'ont payé cette annéc que journées de 1 fr. à une femme qui a fané le foin, et 6 journées de 3 fr. à une autre qui a aidé à la moisson. L'habitude de faucher le blé se répand de plus en plus, mais n'a pas encore été prise par la famille.

La récolte de seigle a été battue pour la première fois par une petite machine fonctionnant à l'aide d'un cheval, et qui a été louée 15 fr. pour une journée, mais il a fallu de plus nourrir le propriétaire et cinq voisins qui sont venus prêter la main. La famille n'a pas trouvé[239]grand profit à procéder ainsi : la paille a été beaucoup plus brisée qu'elle ne l'eût été par les fléaux et elle n'est plus bonne pour réparer la toiture de la grange. La journée des voisins n'étant pas payée, on a dê. pour suivre la coutume en Pe'* Prearer deux srands repas qui ont augmenté la dépense. La machine a battu 400 gerbes qui ont produit 82 doubles-décalitres de grain. Les 200 gerbes qui sont restées ont été battues pendant l'hiver, et ont donné 41 doubles-décalitres.

Pendant leur séjour à Chamberaud les deux émigrants aident aux travaux d'hiver, et la mère s'occupe alors uniquement des soins du ménage. A Paris, ils travaillent presque constamment ; le père surtout ne connaît ni fêtes ni dimanches, et ne chôme que les jours de paye et les lendemains. Le fils se dérange plus souvent, et si la moyenne des journées du premier est de 250 chaque année, celle des journées du second n'est guère que de 220. Ils sont l'un et l'autre payés à l'heure, au prix ordinaire de 75 centimes ; mais la durée du travail varie avec les saisons, les journées étant plus courtes au commencement et à la fin de la campagne qu'au milieu. La durée moyenne est d'un peu moins de 10 heures.

Nous ne parlons pas des travaux de la fille Mathilde, qui n'habite la maison que provisoirement, et qui d'ailleurs est, la plus grande partie du temps, occupée des soins exigés par son jeune enfant. Avant son mariage elle partageait les occupations de sa mère.

Mode d'existence de la famille

Le paysan de la Creuse est en général très sobre chez lui. La famille que nous étudions, en particulier, se nourrit à peu près exclusivement des produits de la propriété. Les céréales, les légumes, les fruits, les œufs, le laitage et la viande de porc forment la base de cette alimentation. Le seigle fournit un pain bis substantiel, hygiénique et d'un goût agréable ; la ménagère le pétrit elle-même tous les quinze ou vingt jours, et le fait cuire dans le four qui appartient à la famille. Elle n'achête de pain blanc qu'aux jours de fête ; la petite quantité de froment récoltée dans la propriété sert à préparer de temps en temps quelques grossières patisseries. Le sarrasin se consomme sous forme de galettes cuites sur le feu, et qu'on appelle dans le pays crées ou tourteau. Chaque année, aux environs de la Noel, lorsque les ouvriers rentrent au pays, on tue le petit salé,[240]c'est-à-dire un porc, dont le poids brut dépasse habituellement 100 lilog. Sa viande est le plat favori des dimanches d'hiver : on en fait bouillir un morceau qui sert d'assaisonnement pour la soupe aux choux du matin. ᶥ es servi et consommé au repnas du milieu du jour. La famille boit du cidre, du lait ou de l'eau : le vin n'intervient qu'à l'époque des grands travaux et dans les réunions à l'auberge, eles jours de fête ou de foire. C'est aussi la boisson habituelle des émigrants, à Paris.

Les heures et le nombre des repas varient avec les saisons. Au moment de la fauchaison et de la moisson, c'est-à-dire depuis le vingt juin jusqu'aux premiers jours d'août, il y a un premier repas vers 6 heures du matin ; il se compose d'œufs assaisonnés de différentes manières, de crème, de fromage ou de fruits confits. A 11 heures, les travailleurs mangent la soupe, un plat de viande de boucherie très souvent accommodée avec des petits pois, du fromage, ete. ers 4 heures, on leur sert du lait dans lequel ils émiettent du pain bis ; puis, de la salade, des pommes de terre frites au beurre, à la graisse ou à l'huile de noix. Enfin, vers 8 ou 9 heures du soir, il y a un dernier repas composé de soupe et des restes des repas précédents. Les deux principaux repas se prennent ordinairement dans les champs où se fait le travail. Pendant le reste de l'année la famille ne mange que trois fois par jour : la soupe vers 9 heures ; différentes sortes de légumes ou de laitage vers 2 heures, et de nouveau la soupe vers 7 heures. Cependant la soupe du soir est souvent remplacée par des pommes de terre cuites à l'eau et mangées avec du lait, ou par des châtaignes.

Voici maintenant, en regard de cette nourriture très frugale, celle des deux émigrants a Paris : le matin, avant de se rendre au travail, ils prennent une goutte d'eau-de-vie : à 10 heures, premier repas, composé de pain, de vin, d'un potage avec bœuf et légumes, et d'un autre plat de légumes ou de dessert. A 2 heures, ils cassent la croûte, selon leur expression, c'est-à-dire mangent un morceau de pain et de fromage et boivent une chopine. Le soir, dernier repas. semblable à celui de 10 heures, quelquefois un peu plus copieux.

La maison est construite en moellons crépis à la chaux ; les encoignures, les ouvertures et l'entablement sont en pierres de taille ; la toiture, en tuiles plates du pays. L'habitation se compose d'une cave, d'un rez-de-chaussée, d'un étage et d'un grenier. Dans la cave[241]sont conservés le cidre, les fruits et les pommes de terre. Le rez-dechaussée comprend une cuisine, pavée en pierres de taille, où la famille prend ses repas et se tient habituellement ; un petit cabinet, où couche le grand-père, et la laiterie. Au-dessus, même division : chambre à coucher pour le père et la mère ; cabinets réservés aux enfants. La grange et les écuries, couvertes en chaume, sont contiguës à la maison et dans la même cour.

Dans le mobilier, ni luxe ni recherche ; il est même peu confortable et à peine suffisant. D'abord quatre lits en chêne ; 2 modernes, les 2 autres anciens, grossièrement travaillés, et fermés presque en entier en forme de vastes placards. Comme literie, pour chacun : paillasse, couette en plume d'oie, traversin, 2 couvertures en laine et rideaux. V'aleur des quatre lits, literie comprise, 800 fr. Les autres meubles sont : 2 armoires en cerisier, 240fr. ;2 tables de nuit, 20 fr. ; 1 huche, 20fr. ; 1 pendule avec longue caisse en sapin couvert de peinture, 35 fr.;

1 commode, avec étagère au-dessus, 30 fr. ; 1 table dans la cuisine, avec un banc de chaque côté, 30 fr. ; 2 autres tables dans les chambres, 20 fr. ; 1 douzaine de chaises dans les divers appartements, 36 fr. — Quelques livres, et des gravures coloriées et encadrées,

2 miroirs, ensemble, 40 fr.

Les ustensiles de ménage se réduisent au strict nécessaire : marmites en fonte ou en terre, cuillères en fer battu ou en étain, écuelles, plats en terre, assiettes, verres, aiguières en terre pour le cidre, bouteilles, cafetières, barriques, gril, poêle, tasses à café, 47 fr. — Chenets en fer avec garde- cendre, pelle et pincettes, jusqu'à t, lampes anciennes, dites chalets, petite lampe à essence, lanterne, 19f 25. — Marteau, tenailles, limes, quelques outils de menuisier, etc., 20 fr. ; 10corbeilles pour le pain, 10 fr. ; 1 crochet pour peser, 2f 50; aiguilles, fils, et accessoires pour ouvrages de femme, 5 fr.

Le linge de ménage est grossier, mais solide ; il est formé de toile de chanvre, récolté et filé à la maison, puis tissé dans les environs : 15 paires de draps, 200 fr. ; serviettes et torchons, 25 fr. ; 10 sacs pour la farine ou le grain, 10 fr.

Les habits de travail sont faits avec la laine du pays ceux des fêtes et des jours de sortie sont achetés. Les jeunes gens, et surtout les jeunes filles, recherchentles modes des villes voisines ; les parents n'y songent guère. La coiffure des femmes est propre au pays : c'est une coiffe en tulle ou en mousseline blanche brodée, d'une forme assez[242]élégante, et dont le prix peut s'élever jusqu'à 20 ou 25 fr. — Ve. Vêtements du grand-père : 1 habillement (veste, gilet et pantalon) en drap de ménage bleu, 1 grosse cravate en mérinos noir, 4 paires de bas en laine bleue, 1 paire de souliers, 6 mouchoirs de poche, 12 chemises en toile de ménage, 1 chapeau, 103 frˉ. pour le travail : les habits de fêtes à moitié usés, 2 paires de sabots, 1 gilet de laine, A7f50. — Vetements du père : il achète à Paris des habillements de confection pour les fêtes, 1 pardessus, 1 gilet et 1 pantalon en drap gris, 2 casquettes en soie, 64 fr. : pour le travail, costume en velours marron, 2 ou 3 blouses en mauvais état, 1 gilet de laine et 1 pantalon en toile, 12 chemises, 1 foulard en soie, 1 paire de

bottines, 2 paires de sabots, 12 mouchoirs, 4 paires de bas en laine, 121f 50 ; 1 montre, 40 fr. — Les vêtements du fils aîné valent 207 fr. ; ceux du second fils, 78 fr. — Vêtements de la mêre : 2 robes noires en mérinos, 2 en droguet, 9 coiffes, 3 paires de sabots, 3 caracos en mérinos, 18 chemises en toile de ménage, 158 fr. ; pour les jours de travail, elle porte des habits usés, 80 fr. — 1 montre en or, 1 paire de boucles d'oreilles, 2 bagues, etc., 200 fr.

Un fait caractéristique, c'est que rarement la famille prcnd ses récréations en commun; à l'exception d'une réunion qui a lieu tous les ans, le jour de la fête patronale, et où sont invités quelques parents, chaque membre cherche ses plaisirs à part. Le grand-père sort rarement ; en été cependant, c'est lui qui va aux foires vendre et acheter. Il ne revient jamais alors sans être entré dans une auberge avec quelque ami, et y avoir bu sa chopine. Les chopines se succèdent en asse grand nombre, pour que notre homme mis en gaieté rentre presque toujours au logis en chantant. La mère va toutes les semaines au marché d'Ahun, vendre du laitage, des œufs ou des fruits ; elle n'y prend aucune nourriture et rentre vers deux ou trois heures. Ce voyage lui plait parce qu'il la sort des occupations monotones de chaque jour et parce qu'il lui fait comme elle dit, voir du monde. Les récréations des deux émigrants à Paris sont variées. C'est d'abord le cabaret, où ils vont assez souvent, même les jours de travail, surtout le soir. Les petits théâtres, les cafés-concerts, les cirques, les attirent aussi quelquefois. Enfin ils prennent part aux réunions politiques des ouvriers de la Creuse. Pendant l'hiver, ils fréquentent aussi les cabarets les jours de foires et de marchés. Tous[243]deux font un grand usage de tabac à fumer. Il faut ajouter aux distractions du père la lecture d'un journal du département. Jamais de promenades en commun : la femme, en hiver, dîne parfois à la ville avec son mari ; mais il n'est pas rare de la voir partir le matin avant lui et revenir de même. Cette manière d'agir rappelle l'humoristique remarque de l'abbé Roux, dans ses Pensees : « Le paysan donne le bras à sa femme, le jour de son mariage, pour la première et la dernière fois. »

Histoire de la famille

Jacques Z*** est né à Chamberaud, où ses ancêtres étaient fiés depuis longtemps. Dès l'âge de quinze ans il partit à pied, comme goujat. pour la Franche-Comté, où il est allé chaque année, jusqu'à l'âge de soixante ans, exercer son métier de macon. Il a eu trois enfants : un garçon et deux filles. Il a pu payer à celles-ci, avec l'aide de son fils, une dot de 1.500 fr., et, ces dernières années, voulant les désintéresser de tout ce qui peut leur revenir sur sa future succession, il a donné encore 1.500 fr. à chacune d'elles. Une pension de 240 fr. a été stipulée en sa faveur dans les arrangements, mais elle n'est pas réclamée par lui. A différentes époques des achats de propriétés ont été faits ; tous les actes sont passés au nom de son fils, Léonard. Celui-ci a accompagné son père de quine à vingt-cinq ans. A ce moment, il crut que Paris lui offrirait un travail plus avantageux et il partit pour la capitale. C'était vers la fin de l'Empire ; les journées étaient en effet à un prix élevé : mais les dépenses étaient aussi plus considérables, et, comme résultat final, il reconnut que ses bénéfices étaient à peu près les mêmes. Toutefois il n'a pas changé de lieu d'émigration. jusqu'à son arrivée à Paris, il avait conservé le respect de la religion et était resté indifférent aux questions politiques. A partir de cette époque il fréquenta les réunions où étaient exposées les idées les plus exagérées, et lut les journaux les plus avancés. Depuis 1870, il s'est montré hostile à tout ce qui touche à la religion et très ardent républicain ; pendant son séjour au pays, il faisait, chaque hiver, une active progagande en faveur de ses opinions. Aujourd'hui, peut-être calmé par l'âge, peut[244]être déçu dans les espérances que lui avait fait concevoir le régime nouveau, il revient à grands pas à sa première indifférence.

Léonard Z*** ne fait partie d'aucune société de secours mutuels. Parvenu à une certaine aisance, il réalise chaque année quelques bénéfices qui, dans un court espace de temps, éteindront ses dettes, d'ailleurs peu élevées. Il espère de plus que son fils se mariera bientôt et que la dot de sa bru viendra à son aide. En cas de chômage ou de maladie, il aurait la ressource de se retirer dans sa propriété dont les revenus suffiraient à le faire vivre.

BUDGET DOMESTIQUE ANNUEL.

BUDGET DE L'ÉMIGRANT

(pendant les neuf mois d'absence).

Recettes : Salaires de 250 journées moyennes de 10 heures à 7f50; 1.875f.

Dépenses : Nourriture, 270 journées à 3f50, 945f ; logement, 54f; vêtements, 102f ; voyages, récréations, etc., 200f. — Total, 1.301f.

Bénéfice : 574f00 (compris dans le budget annuel ci-dessus).

Une épargne d'environ 577 francs est annuellement consacrée à l'extinction des dettes de la famille.

Notes

1. Cet étang a été desséché depuis l'époque ou ont été observés les faits contenus dans la présente étude.

2. Cette commanderie avait des droits très étendus sur tous les villages des environs : elle prélevait la dime sur 5 paroisses ; mais elle conservait son caractère d'établissement hospitalier. Le commandeur devait une livre et demie de pain à chaque personne de la paroisse de Chamberaud et la distribution se faisait chaque dimanche a l'issue de la messe ; les habitants lui firent remise de cette redevance lorsqu'il se désista de son droit de four banal. Il payait de plus une aumône de 104 setiers de blé-seigle, mesure d'Ahun, soit environ 125 hectol., à tous les allants et venants de ladite paroisse. 'e droit fut régulièrement percu par les habitants de 1623à 141, comme il ressort de différents proces-verbaux faits devant notaire, dans les greniers de la commanderie. Des transactions étant intervenues vers 1750, cette aumône fut abolie et les droits des chevaliers diminués. En 1781. les intéressés la réclamaient de nouveau devant les tribunaux : la diminution des droits avait été surtout avantageuse aux riches et l'aumône l'était surtout aux pauvres. (Le setier d'Ahun correspondait à 6 doubles décalitres ; il se vendait 6 livres, année commune, vers la fin du siècle dernier. La valeur moyenne d'une paire de bœufs était de 300 livres.)

3. La Reforme sociale en France, livre III, chapitre XXX.