N° 46.
PAYSANS EN COMMUNAUTÉ
ET
COLPOTEURS ÉMIGRANTS DE TABOU-DOUCHD-EL-BAAR
(GRANDE-KABYLIE, PROVINCE D'ALGER)
(Ouvriers-propriétaires dans le système du travail sans engagements)
D'APRÈS LES RENSEIGNEMENTS RECUELLIS SUR LES LIEUX EN 1884
PAR
M. VINCENT DARASSE .
Sommaire
- Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille
- Éléments divers de la constitution sociale
- §17. SUR L'ORIGINE ATTRIBUÉE PAR L'ÉRUDITION MODERNE AUX POPULATIONS DE LA KABYLIE.
- §18. SUR LES COUTUMES ET L'ORGANISATION DE LA VIE COMMUNALE CHEZ LES KABYLES.
- §19. SUR LE RÉGIME DES COMMUNES MIXTES
- § 20. SUR LES APTITUDES COMMERCIALES ET LES HABITUDES D'EMIGRATION DES KABYLES.
- § 21. SUR LE CARACTÈRE DE LA CONSTITUTION SOCIALE DES KABYLES DE LA GRANDE-KABYLIE.
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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille
Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1ᵉʳ. — État du sol, de l'industrie et de la population.
[459] La famille habite un petit village de 800 habitants, nommé Tabou Douchd-el-Baar, et situé, ainsi que l'indique le surnom d'El-Baar (vers la mer), sur le versant des montagnes qui séparent le rivage maritime de la haute vallée du Sabaou. Le village se place par 36° 50' latitude nord et 1° 58' longitude est du méridien de Paris, au centre du douar des Beni-Djennad, à une journée de mulet (60 kil.) de Tizi-Oouzou, sous-préfecture du département d'Alger. Il dépend d'Aeffoun, petit port de mer, et commune mixte, dont il est séparé par huit heures de marche.
Les habitants sont des Berbères, c'est-à-dire des descendants des anciennes peuplades du nord de l'Afrique. On les a appelés[460]Kabyles, du mot arabe kabaïla qui signifie tribus, et par lequel les conquérants arabes désignèrent les populations qu'ils soumettaient. Les Berbères, dont l'origine est encore mal connue (17), comprennent en Algérie les tribus des Biskris, des Mzabites et quelques douars disséminés ça et là ; mais lesKabyles de la Grandeabylie repoussent toute parenté avec les Biskris et surtout avec les Mzabites. Ils sont généralement maigres, à figure anguleuse, à pommetes saillantes, avec les eheveux souvent rox t les yeux quelquefois bleus. Ils parlent une langue qui a taversé à peu près intacte les diférentes phases de leur existence et les conquêtes successives qu'ils ont subies.
Toute la réion qui a reçu, sous la domination française, le nom conventionnel de Grande-labylie, est très montagneuse. TabouDouchd est situé à l.000 mètres d'altitude environ.Vers l'intérieur, les massifs du Djriura s'elèvent, au pic de Lalla lredidja. jusqu'à 2,300 mères. Les voies de communication sont dificiles, pourtant une mauvaise route carrossable relie Azeffoun à Tizi-Ouzou. Les habitants de Tabou-Douchd descendent avec leurs mulets, soit à Azefoun, soit jusqu'à Frehah, commune mixte située sur cette route à une dizaine de lieues de Tii-Ouzou. Un bate u, subventionné par l'État, fait une fois par semaine le service d'Alger à Azeffoun.
Le climat, dans cette région élevée, est bien différent de celui d'Alger. La eige couvre les sommets du Djurjura pendant tout l'hiver, mais à Tabou-Douchd, il est rare qu'elle reste même cinq ou six jours. D'après les observations faites par le corps du Génie à For-National. ou la temperature doit être à peu près la même qu'à Tabou-Douchd, la moyenne à sept heures du matin, est en janvier, 10 l ; en août, 27°, et pour l'année entière, l1° 2.
Malgre l'altitule du pays, l'olivier (ˉOea curopnea) réussit fort bien et doit ère compté comme une des richesses du pays. Le chène vert ouyeuse (terus lec.), le chène zéen (Oercus baldota) sont aussi fort répandus. La faune est assez variée : elle comprend la panthère ('etis lcopardus), le lynx (FTetis caracat), la hyène (ˉpea striat), le chacal (Canis ureus), le lièvre (ˉLeps edidcrrancus), le lapin (ˉLcps cunicudus), la caille (Coturni dactlisonas), la perdrix (Pedix ub a), la cigogne (Ciconia alba), etc. Le port des armes a été interdit auxKabyles après l'insurrection de 1871, ce qui n'a pas peu contribué à l'augmentation des animaux nuisibles. Le chacal et la hyène ravagent chaque jour les troupeaux. La panthère est plus rare, mais on en a cependant tué jusqu'à quatre à Tabou-Douchd das le seul mois de février 1881.
[461] La culture du blé et la fabrication de l'huile d'olive sont les industries principales des habitants. uelques-ns sont aussi forgerons et en même temps bijoutiers ; ce sont les seules professions manuelles ; tout se fabrique dans la famille. Les denrees d'épicerie, ainsi que les étoffes et surtout la toile, sont rapportées d'Alger ou d'Azzeffoun, par les marchands Kabyles, en échange de leurs produits. Le pays exporte les blés et les huiles vers Alger. Certains commeŗants eurog̀ens, dit-on, achètent aujourd'hui des huiles qu'ils envoient à Marseille ou elles sont puritiées et vendues comme venant de Provence.
La propriété, chez lesKabyles, est excessivement morcelée, en raison du régime des successions. C'est un mal auquel ils ne peuvent résister qu'en se groupant pour vivre en communauté. Ahmed, un des membres de la famille, iterrogé sur la costitution de la propriété dans son pays, sortit de sa poche une poignée de monnaie et la jetant sur la table : . Voilà, dit-il, la terre en Kabylie.
§ 2. — État civil de la famille.
La famille ici décrite, vit, suivant la coutume de la Kabylie, groupée autour de son chef en une communauté dite aroubb.
C'était autrefois une division administrative, car jusqu'à l'adoption du régime civil en Kabylie, chaque laroubba avait un délégué, daha pour la représenter à la ˉieai ou ass emblee communale.
Les Iabyles, comme les Arabes et les autres races de moœurs patriarcales. n'ont pas de nom de famille ; on désigne les individus par leur prénom suivi de celui du père, un tel fils d'un tel.
La famille se compose de quatorze personnes dont un jeune berger à gages, savoir :
1.SAÏD BEN LEONIS, chef de famille............ 60 ans.
2.FATHMA, sa femme............ 555 —
3.Mohamed ben Saïd, leur fils aîné............ 35 —
4.Zohra, femme de Mohamed............ 28 —
5.Yamina, fille de Mohamed............ 14 mois.
6.Hadj Mohamed ben Saïd, deuxième fils............ 30 ans.
7.Khredoudja, femme de Hadj-Mohamed............ 20 —
8.Ali, fils de Hadj-Mohamed............ 1 —
9.Ahmed ben Saïd, troisième fils............ 26 —
10.Aïcha, femme de Ahmed............ 20 —
11.Saïd, fils de Ahmed............ 8 mois.
12.Amar ben Saïd, quatrième fils............ 24 ans.
13.Saïd ben Saïd, cinquième fils............ 18 —
14.Mohamed, berger............ 14 —
[462] Trois filles sont mortes en bas âge, trois autres sont mariées et ont quitté la famille, deux d'entre elles pour habiter le même village, l'autre pour se fixer à quelques kilomètres plus loin.
Le père est fort et vigoureux ainsi que la mère qui a eu onze enfants. Un frère de Saïd a depuis longtemps abandonné le pays, Saïd lui ayant racheté sa part de l'hériage paternel ; il habite Sétif. L'ainé des fils, Mohamed, semble d'un caractère assez diicile ; il a divorcé deux fois. Le second, au contraire, est très doux et très pieux ; il est Hadji ou pélerin de la Mecque. Les deux suivants, Ahmed et Amar, se rendent l'hiver à Alger, où ils sont établis comme marchands de curiosités ; ils retournent passer l'été en Kabylie où la femme de l'un d'eux est restée. Amar va se marier cet été après la moisson, et le cinquième fils, Saïd, suivra son exemple au plus tard l'année prochaine.
Ce n'est que depuis deux ans que la famille a pris un berger à gages ; jusque là cet emploi était rempli par le plus jeune des fils ; chacun d'eux l'a tenu à son tour. En outre, deux ouvriers sont loués à certaines époques de l'année pour le labourage et la moisson.
§ 3. — Religion et habitudes morales.
Comme les Arabes, lesKabyles sont mahométans et suivent le rite Maleli. La mosquée du village est une sorte de grande pièce longue, resseomblant à une grange ; là l'Iman, c'est-à-dire le prêtre, récite les prières prescrites par le loran. Il appelle les fidèles en hissant au sommet d'une perche fixée sur le toit de la mosquéé, un drapeau qui est blanc en semaiae, et vert le vendredi. Il récite les prières à haute voix, tandis que les assistants se lèvent et se prosternent tous en même temps.
Le Kabyle est très religieux, il chôme les grandes fêtes et le jour saint, ou et dicaê, jour de la mosquee. Tous observent scrupuleusement le jeùne de daadan qui consiste, on le sait, à rester pendant uu mois sans prendre de nourriture entre le lever et le coucher du soleil. Ce jeùne est particulièrement pénible au moment de la moisson. Saïd et les siens, pendant le ramadan, font un fort repas le soir, puis se réveillent avant l'aube pour manger de nouveau. Le second fils a fait le pélerinage de la Mecque et porte fièrement le turban vert du IHadji.
La femme ne semblepas, chezles lahyles, être tombée aussi bas[463]que chez d'autres musulmans. Elle est libre de sortir ; elle n'est pas voilée, et elle est admise dans les mosquées. Les mariages donnent lieu a des repas et à des fêtes qui sont la principale des récreations. Le Iabyle ne prend qu'une femme, à laquelle il est très attaché. Il n'y a peut-être pas grand mérite, car dès qu'il reconnait une incompatibilité d'humeur, il divorce généralement pour rcnouveler ses essais jusqu'à ce qu'il ait trouvé une femme qui lui convienne. Ainsi l'aîné des fils de Saïd a dejà divorcé deux fois. Le grand père Léonis avait divorcé huit fois. Le divorce se règle entre le père de la femme et ie mari. La loi religieuse de Sidi Irail énonce un grand nombre de cas de divorce, mais les Iabyles se conforment pltôt à une sorte de droit coutumier fondé sur l'équité et le plus souvent sur le consentement mautuel. Les enfants restent avec le père.
Suivant la coutume, le père jouit dans la famille d'une grande autorité, et les discussions y sont rares. Cependant, quand les parents deviennent âgés et ne peuvent plus travailler, on les sSupporte sans les entourer de beaucoup de soins. Cn proverbe babyle donne même, à ce sujet, de sinistres pensées : Quand une tète est blanche, c'est comme l'olivier mort, il faut l'abattre. La mère semble néanmoins inspirer une véritable affection à ses enfants.
Saïd pratique largement l'hospitalité, surtout aux époques des mariages et de la rentrée des moissons. Le chef de famille rend inviolable son hôte qui se confie à lui ; ce droit sacré se nomme anaïa.
Après les décès, il n'y a aucune cérémonie religieuse ; le mort est lavé, entouré d'un drap et porté à bras au cimetière, qui est généralement établi autour de la mosquée et qui sert de lieu de rendezvous aux femmes le vendredi. On pousse quelques cris quand on rejette la terre peu épaisse qui le recouvre, et tout est dit : « C'etait ecrit. »
Bien que très fervents, lesKabyles ne paraissent pas fanatiques et n'attaquent pas notre religion ; ils préfèrent même le croyant, et ne méprisent que l'indifférence et l'impiété.
Jusqu'ici l'instruction avait pour but seulement d'apprendre à lre le Coran, mais nos écoles commencent à être fréquentées. Il n'y en a pas encore à Tabou-Douchd ; la plus rapprochée est celle de Frehah. Ces populations ont une grande facilité pour l'etude des langues. ''ous les membres de la famille de Saïd parlent le français, Ahmed et Amar très correctement. Ce dernier s'exprime ménme assez bien en anglais.
Les eurs du pays sont bonnes ; les filles se marient jeunes,[464]généralement vers quatorze à quinze ans. En cas de meurtre, la loi admet la ˉDi, c'est-à-dire la compensation pécuniaire ; mais il s'attache une espèce de déshonneur à l'accepter, et le plus souvent la vengeance se transmet de père en fils.
Très attachés à leurs coutumes, les Iabyles excellent cependant à discerner ce qu'il y a de bon dans les meurs européennes. Ils s'a, proprient fort bien les progrès de l'agriculture, et voient avec admiration nos charrues à vape ur ou nos chemins de fer.
Quant aux succes sions, le patrimoine se divise en parties égales entre les fils seuls ; les filles ne figurent pas dans cette répartition. Cependant la femme divorcée et la veuve ont toujours le droit d'aliment au foyer commun. en échange de la part d'héritage qu'elles n'ont point touchée. Dans presque toutes les familles, comme dans celle de Saïd, les fils émigrent temporairement pour revenir au foyer paternel. Les mécontents cèdent quelquefois leur part contre de l'arggent comptant, ou n:ème s'éloigent volontairement en cas d'insufisance du patrimine, dont ils laissent l'administration à leur aîné. Ils s'engagrent le plus souvent dans notre armée et forment les tiraileurs algériens.
§ 4. — Hygiène et service de santé.
Tous les membres de la famille ont une santé excellente. Lorsqu'ils ont eu quelque indisposition, ils se sont soignés d'une maniere bizarre où la superstition se mèle à des pratiques salutaires. Ainsi la mère, qui avait une extinction de voix, l'a fait disparaitre en buvant le sang d'un merle étouffé, tandis que le père S'est gueri de la toux en huit jours à l'aide d'une tisane faie avec une racine qui, d'après la descripion. parait être une sore de gentiane. Il n'y a pas d'ailleurs de maladies graves dans le pays, et la phtisie est très rare. Il fat atribuer ce fait, d'abord à la constitution rouste de la race, et ensuite à la bonne hygène de la vie : nourriture saine, ablutions fréquentes et vêtements merveilleusement disposés pour le chaud comme pour le froid. Aussi les Iabyles sont-ils, non-seulement étrangers àtoute science médicale, mais encore fort sceptiques à cet égard. Leur pratique chirurgicale imite, sans le savoir, les méthodes modernes : sur les plaies et les fractures, par exemple, ils appliquent de l'huile et de la resine. C'est en réalité un moyen d'empêcher les germes répandus dans l'air de se déposer sur la plaie, comme dàns les pansements à[465]l'ouate ou au collodion. Mais, comme grands remèdes à tous les maux, ce qu'il y a de plus sur à leurs yeux ce sont encore les amulettes qu'on porte suspendus au cou, dans une sorte de médaillon.
§ 5. — Rang de la famille.
La famille se trouve dans une situation de fortune aisée et son chef est fort estimé de ses compatriotes. Connaissant bien la langue française, il est souvent pris comme nterprète dans les négociations. De plus, le sejour périodique des fils à Alger leur donne une importance pariculière dans le village. Ils ont été les premiers à essayer dans les constructions les matériaux de provenance européenne.
Les autres habitants de Tabou-Douchd les emploient comme commissionnaires, avec une importunité qu'il faut souvent modérer. Les Européens viennent peu jusqu'à ce village perdu dans la montagne : les habitans se montrent fort serviables pour les fonctionnaires militaires, mais ils meprisent généralement les agents civils, qu'ils s'obstinent à prendre pour des uifs.
Moyens d'existence de la famille
§ 6. — Propriétés.
(Mobilier et vêtements non compris.)
Immeubles............ 26,000 fr. 00
1° Habitation. — 4 maisons en pierres sèches. bâties autour d'une cour, composées chacune d'un rez-de-chaussée (sauf celle d'Ahmed qui aura un étage et vaudra à elle seule 3,000 francs) 6,000 francs.
2° Terres arables et oliviers. — 6 hectares à 1,000 fr., 6000 fr. ; — 40 hectares à 350 fr., 14.000 fr. — (Ces terres appartiennent à la famille et ne sont pas grevées de dettes). — Total, 20,000 fr.
Argent............ 0 fr. 00
Une somme de 5,000 fr. appartient à l'un des fils, Ahmed ; elle est placée à Alger au Crédit ˉLgonais et rapporte un intéret de 4 0p0. Elle est pos[466]sédée à titre personnel et ne figure pas dans les comptes de la commune.
ANIMAUX DOMESTIQUES entretenus toute l'année............ 6,110 fr. 00
1° Animaux de trait. — 2 mulets, à 400 fr. l'un, 800 fr.
2° Bêtes à cornes. — 22 bœufs, 1 taureau et 3 vaches, à 100 fr. en moyenne, 2,600 fr.
3° Bêtes à laineˉ.— 30 moutons à 50 fr., 1,500 fr.; — 100 chèvres à l2 fr. 1,200 fr. — Tal, 2,70O fr.
4° Basse cour. — 40 poules à 1 fr., 40 fr.
Matériel spécial des travaux et industries............ 951 fr. 00
1° Exploitation agricole. — 1 charrue sans roue, en bois, avec soc en fer : pelles et pioches, (il n'y a ni herses, fléaux ; les grains sont foulés par les animaux). — Total, 50 fr.
2° Exploitation des animaux de trait. — 2 baits pour les mulets, 40 fr. — Les bufs sont attelés, non par la tète, mais par le cou, avec une simple branche et des cordes.
3° Epoitaton de l'huile. — Moulin pour l'huile, mis en mouvement par un manège à mulets ; évalué 500 fr.
4° ¯Exploitation des abeilles. — 18 ruches et bannes en cuivre à fondre le miel, 10 fr.
5° Exploitation du bois de chauffage. — hachettes et cognée, 13 fr.
6° Matériel pour le blanchissage. — V'ases de cuivre, 8 fr.
7° Matériel pour la chasse. — 1 fusil, 300 fr.
Valeur totale des propriétés............ 33.091 fr. 00
§ 7. — Subventions.
Le droit de vaine pàture sur le territoire de la commune, droit qui réduit pres que à rien l'entretien des animaux domestiques, doit être regardé comme une subvention des plus précieuses. Le foin récolté dans là otagne, provient de belles prairies situées dans les fonds humides ; il est le plus souvent coupé et rentré. Le pays ne fait du reste pas le commerce des fourrages.
La famille récolte, en outre, dans les champs, des salades et une sorte de chardon comestible qui rappelle un peu notre artichut.
Le gibier pourrait aussi avoir une réelle importance,; mais la privation d'armes diminue beaucoup cette subvention. Cn seul des fils, Amar, a obtenu-l'autorisation d'avoir un fusil et tous ses frères la lui envient. Il est encore astreint àpayer un port d'rmes qui coûte une trentaine de fraacs, mais il est tellement hereux[467]de chasser, qu'il paierait le double s'il le fallait. D'ailleurs l'abondance du gibier compense largement la dépense du fusil.
Il est dificile d'évaluer d'une facon précise les subventions qui consistent en cadeaux de bijoux ou de foulards de soie (oeniaqua) que les femmes portent sur la tète. Au moment de leur mariage. le père a donné à chacune de ses brus pour une valeur de six ou sept cents francs de bijox et soieries, et en outre pour cinq cents francs de tapis destinés à couvrir le sol et à former le lit nuptial.
uant aux repas pris au dehors, à l'époque des noces, après la moisson, comme la famille pratique largement l'hospitalité on peut admettre qu'il y a compensation entre ce qu'elle reçoit et ce qu'elle donne à ce titre.
§ 8. — Travaux et industries.
TRAVAUX DES HOMMES. — La famille de Saïd travaille pour son propre compte. Les travaux principaux concernent la culture des céréales et la récolte des olives employees en vue de la fabrication de l'huile.
Le sol de la propriété familiale n'est pas fertile ; aus si est-on obligé de lisser reposer quelquefois la terre ; d'ailleurs le défrichement n'est pas achevé. Pour le terminer plus rapidement, les fils de Saïd qui hab́tent Alger auraient voulu faire venir chez eux des machines de fabrication anglaise qu'ils ont eu l'occasion de voir dans certaines exploitations de la Mitidja.
Le défaut de routes s'oppose à la réalisation de ce projet. D'ailleurs, l'inégalité du sol rendrait probablement impossible l'usage de pareilles machines à Tabou-Douchd. Néanmoins l'exploitation est encore assez belle puisqu'elle arrive à donner 350 hectolitres de blé ou d'orge au prix moyen de 5 fr. La famille cultive, en outre, des lentilles et des pommes de terre, mais seulement en petite quantité.
Les prairies fauchées rapportent environ 800 lilog. de foin, ce qui est sufisant, car le climat permet de laisser paitre les animax presque toute l'année dans la montagne.
Malheureusement, ici, comme dans toute l'Algérie, les récoltes sont très variables : tantôt l'asence de pluie dessèche la terre ; tantôt le sirocco, le vent du désert, brûle la récolte sur pied. Ainsi les olives, qui sont une des principales sources de revenus, manquent en moyenne une année sur trois. On est donc obligé d'emmagasiner l'huile qui joue un rôle très important dans l'alimentation quotidienne.
[468] Les oliviers, bien qu'ils soient tous greffés, ne sont guère l'objet d'une véritable culture : quand ils sont jeunes, on fume le pied pour hàter leur croissance, mais dès qu'ils atteignent leur développement, ils ne réclament presque plus de soins. Ils donnent en deux récoltes chacune de six à sept milles litres d'olives, soit à trois ans peu près 4, 100litres par année moyenne. Une meule, mue par un manège auquel on a attelé un mulet, sert à écraser les olives, et un pressoir quel'on et en mouvement à bras, permet d'en extraire l'huile.
Tous ces travaux d'exploitation sont faits par les hommes. Pour le lahourage, la famille s'adjioint deux ouvriers, dits rmes ou cinquiémes. Ils sont nourris par la famille, et il leur revient comme salaire le cinquième des récoltes auxquelles ils ont pris part. Pour la rentrée des moissons et pour la cueillette des olives, les femmes travaillent en commun avec les hommes.
Les animaux sont ntretenus surtout pour le travail. Les beufs, qu'on attelle par le cou, servent au labourage et aux transports.
La laine des moutons est une importante source de revenus, car chaque tonte donne 5 fr. de laine par tète. Mais une épidémie a récemment réduit de 100à 30 le chiffre du troupeau. et la famille ne retire maintenant que l150 fr. de la tonte annuelle. Les chèvres rapporteraient peu par leurs poils, si leur peau ne servait à faire des outres. Bien que, au dire des Kabyles, les chèvres soient, dans leur pays, aussi nombreuses que les ourmis, ces peaux se vendent au prix moyen de 3 fr. Tous ces animaux sont surtout confiés aux soins du plus jeune fils, Saïd, et du berger Mohamed. Ce dernier, âgé de quatorze ans, reçoit comme salaire 10 fr. par mois, plus la nourriture et quelquefois des dons de vieux vêtements.
Les ruches sont l'objet de beaucoup de sollicitude. On en compte dans la famille dix-huit, auxquelles le vieu Saïd donne seul ses soins. Il est fort adroit pour cette occupation ; il procède, d'ailleurs comme nos apiculteurs européens, sans protéger toutefois sa figure ni ses mains. Pour atirer les abeilles dans leurs nouvelles demeures et les forcer à y rester, on enduit les parois d'une herbe spéciale que les femmes ramassent dans la montagne.
TRAVAUX DES FEMMES. — LeS femmes de Kabylie sont loin d'avoir l'existence oisive des Mauresques ; elles sont fort occupées.
Un de leurs travaux les plus importants est la fabrication des ustensiles de cuisine, vases à huile et à eau, etc. Ces poteries sont faites en argile et pétries à la main. Quoique l'usage du tour[469]soit inconnu, les femmes arrivent à modeler des amphores de forme très élégante. Les vases ou les plats ainsi façonnés sont entourés de fagots qu'on allume, mais cette cuisson sommaire jointe à une certaine exposition au soleil, ne peut donner aux ustensiles que la consistance strictement nécessaire. On applique ensuite sur ces divers objets une décoration d'ocre rouge et jaune, rehaussée de noir (noir de fumée), qui rappelle celle des sarcophages égyptiens. De grandes jarres, d'aspect analogue, renferment l'huile en provision. Si le décor fait songer à l'ancienne Egypte, les formes usitées attestent l'influence évidente de la domination romaine, dont le souvenir d'ailleurs est perpétué par de si nombreuses ruines dans toute la contrée.
Les femmes doivent, en outre, s'occuper des vétemets et les confectionner en entier lorsqu'elles en ont le temps. La laine est tissée sur une sorte de métier en roseau ; la toile est achetée aux uifs d'Alger. C'est a elles aussi qu'incombent tous les soins de la cuisine, notamment la préparation du couscouss qui réclame une longue élaboration, et la conservation du lait de chèvre que l'on fait aigrir. La famille ne fabrique ni beurre ni fromage. Enfin, la vieille F'athma a presque seule la charge de la basse-cour dot un dicton populaire en Kabylie attribue la direction aux femmes.
TRAVAUX DE COLPORTAGE DU 3e ET DU 4em FILS. — Ahmed et Amar émigrent temporairement à Alger où ils font le commerce des curiosités pour les étrangers. Un fréquent contact avec les Européens a fort adouci chez eux l'apre forme du montagnard ; une extréme intelligence du commerce assure le succès de leur entreprise. L'année derniére, en six mois, leurs bénéfices ont atteint 3,622 fr. et il ne leur restait que 300 fr. de marchandises. Ils possèdent tous deux une remarquable faculté d'assimilation et parlent presque purement le français. Amar est peut-ère celui qui a le plus subi l'influence européenne, mais c'est aussi le plus dêpensier. Il y a trois ans, il alia passer la saison d'été à V'ichy : il sut y réaliser de merveilleux profits et voulut ensuite aller à Paris ou deux de ses compatriotes du même village, étaient masseurs au IIammam. Au bout de deux mois son frère dut lui envoyer l'argent nécessaire à son retour, car il avait tout dépensé. Ahmed est plus économe, plus sérieux, et semble tenir à garder vis-à-vis d'Amar le rang ague lui donne son âge. Il est, du reste, très actif au travail, et tout en donnant à son père une large part de ses recettes, il est parvenu à amasser personnellement 5,000 fr. qu'il a placs a Alger au Crédit Lyonnais.
Mode d'existence de la famille
§ 9. — Aliments et repas.
[470] La famille dispose d'une large alimentation : lesKabyles, du reste, consomment plus de nourriture que les Arabes. Leur aliment préféré est toujours le couscouss. IPour le préparer, on transforme d'abord la farine en semoule grossière. Les femmes, avant le reas, prennent poignée par poignée cette sen oule humectée d'eau, et la roulent sur un plat avec la main. Elles la passent ensuite à travers un tamis, puis l'enferment dans un vase percé de trous, que l'on place, comme couvercle, sur une marmite où l'on fait bouillir de l'eau. La vapeur s'échappe à travers la masse de semoule qui cuit ainsi à l'etuvée. Quand on veut rendre le couscouss meilleur, on met dans la marmite un poulet ou du mouton. Quand la cuisson est complète, on dresse sur un plat la semoule qu'on saupoudre de cannelle et de poivre ( fit), et sur laquelle o place la viande qu'on arrose avec le bouillon. Pesque toujours on sert avec le couscouss des fèves et des pois chiches.
La famille de Saïd consomme chaque jour des volailles, ce qui n'est pas ordinaire. Après le couscouss, il faut encore compter des légumes, tels qu'artichauts, fèves, lentilles et quelques pommes de terre. Ils sont le plus souvent assaisonnés à l'huile, car a famille n'emploie jamais ni burre, ni graisse animale. Enfin le mets le plus reclerché est le gibier qu'on fait aussi cure à l'huile ou rôtir devant une flambée de bois sec.
Saïd et ses fils observent scrupuleusenent les prescriptions religieuses, notamment celle qui commande d'égorger et de saigner aussitôt tous les animaux destinés à l'alimentation. Ils concilient assez singulièrement cette obligation avec leur amour de la chasse. Ils prétendent que le gibier n'est jamais foudroyé par le coup de fusil et qu'il respire encore lorsqu'on le ramasse : aussi, dès qu'ils ont abattu une pièce, ils s'élancent le couteau à la main et tranchent la tête de leur victime.
Ils ne boivent jamais que de l'eau et, d'ailleurs, détestent le vin. Ahmed,cependant, semble avoir trouvé agréable le champagne qu'il a goûté à Alger, néanmoins il n'en a jamais bu une seconde fois.
Sauf à l'époque du Ramadan (3), la famille prend le café le atin et fait ensuite trois grands repas à dix heures, deux heures et six heures. Aux deux premiers, le couscouss figure seul avec quelques légumes. La viande est toujours réservée pour le soir, et chez Saïd, on en sert presque tous les jours. Ces repas scnt pris en commun[471]dans la maison du père. Les hommes s'assoient par terre sur des tapis ou des nattes autour d'une petite table haute de 0,20 à pene, sur laquelle on pose le couscouss dressé dans un grand plat en terre. Chacun prend avec ses mains et mange de même, en buvant, presque après chaque bouchée, une gorgée d'eau ou de lait aigre (lebe). uand le repas des hommes est terminé, les femmes, qui les ont servis, mangent à leur tour. Les noces et les fétes sont toujours accompagnées de grands repas et de consommations extraordinaires (11).
§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.
Autour d'une grande cour fermée de murs en pierre sèche, s'élèvent quatre maisons. L'une d'elles n'est pas entièrement achevée ; les trois autres sont ah̀ peu près semblables. Chacune, bàtie aussi en pierre sèche, a huit mètres de fa̧ade, et se compose seulement d'un rez-de- chaussée. Là, est une vaste pièce dont le sol est en terre battue ; à une extrémité sont les animaux, tandis que la famille se tient pendant le jour dans l'autre partie ; une petite soupente sert de chambre pour la nuit. Cette promiscuité avec les bestiaux est rendue nécessaire par l'audace des volers. Elle n'existe pas dans la maison du père, et il en sera de même dans la demeure qu'Ahmed et Amar font construire pour l'habiter avec leur frère Saïd. Cette maison, qui a douze mètres de façade sur six de profondeur, aura un étage, ce qui est rare en Iabylie, et sè cômposerae, ein bas,'de deux étables et d'un magasin ; en haut, de trois chambres séparées qu'occuperont les trois frères.
Les tuiles pour la couverture et le bois pour la charpente sont tirés du pays même. Cependant, pour la nouvelle maison, on a fait venir des madriers en sapin de Norvège. La brique n'est jamais employée pour les constructions, quoique la pierre soit coùteuse et l'argile abondante. Les fils de Saïd voudraient introduire à Tabou-Douchd une machine portative propre à fabriquer des briques.
L'habitation du père sert de salle de réception. Cest là que se fait la cuisine et que se prennent les repas. A côté de la maison paternelle et communiquant avec elle, un petit hangar abrite les jarres à huile et les instruments agricoles. Dans une autre partie de la cour, sous un second hangar, est entassée la paille, après le battage, ui s'exécute dans la cour même en faisant fouler les[472]gerbes par les bestiaux. Non loin de là se trouvent le moulin et le pressoir à huile.
Meubles. : comme dans la plupart des pays orientaux, le mobilier est peu important. Il se compose de nattes, de tapis tissés par les femmes du pays, ou de tapis, le plus souvent d'occasion, achetes dans les marchés et provenant du Djebel-Amour et même du Maroc. Il serait assez dificile d'établir avec précision la valeur du mobilier, mais on peut l'estimer approximativement à............ 1,100 fr.
1° ¯Lits.— Les lits sont au nombre de 10; chacun d'eux comprend : 1 matelas en laine acheté à Alger, valeur moyenne. 30 fr.; ce matelas est placé sur des nattes et recouvert de trois couvertures épaisses fabriquées par des femmes de la famille ou du pays ; les nattes et les couvertures valent ensemble 60 fr. ; — 2 coussins en poil de chèvre rembourrés de laine, valant ensemble 12 fr. — Total par lit, 102 fr., et pour les dix lits, 1,020 fr.
Le jeune berger couche sur des tapis, sans matelas ; on lui abandonne généralement les vieilles couvertures ou les vieux burnous dont il s'enveloppe pendant la nuit.
2° Grands coffres en bois sculpté servant, dans chaque maison, à renfermer les vêtements. — Celui de la maison dupère a plus de 3 mètres de long, il est de temps immémorial dans la famille et sa valeur est difficile à fixer ; les coffres que l'on fabrique aujourd'hui sont, en effet. beaucoup moins ornés ; cependant. par comparaison, on peut l'évaluer à 25 fr. ; — 4 autres coffres représentent ensemble une valeur de 45 fr. ; — 1 petite table à manger, 10 fr. (Il n'y a pas d'autres meubles proprement dits). — Total, 80 fr.
Ustensiles : la plupart de peu de valeur et presque tous de farication domestique............ 79 fr. 00
1° ¯Employés pour la cuisine. —N'ases en terre, plats à couscouss. amphores à eau, etc. (fabriqués par les femmes de la famille) ; — 2 moulins à blés en pierre, valant chacun 7 fr. 50, ensemble, 15 fr. ; — 2 tamis pour le couscouss, 6 fr. ; — 1 pilon à café, 7 fr. ; — 1 grand plat en fer battu pour dresser le couscouss les jours de fêtes, 12 fr. ; — 2 marmites en terre achetées au dehors, 1 fr. — Total, 41 fr.
2° Employés pour l'éclairageˉ. — Petites lampes en terre (faites par les femmes) ; — 2 grandes lampes, pour les réunions de la famille (faites en terre cuite et décorés d'ocre rouge et jaune avec filets nôirs, en forme d'éventail placé verticalement sur un pied ; en haut se trouvent huit mèches ayant chacune leur petit récipient à huile ; au-dessous, une seconde rangée de sept mèches), les deux ensemble, 8 fr. ; — 1 lampe en fer forgé rappelant les lampes antiques, 18 fr. ; — 2 lampes à pétrole en porcelaine blanche achetées l'an dernier, valant 12 fr. (on emploie aussi quelques bougies européennes rapportées d'Alger). — Total, 38 fr.
[473]Vêtements : LesKabyles ont les mêmes vêtements que les Arabes, si ce n'est qu'ils ne portent jamais le ai (surtout) et la corde de chameau, et les remplacent par un turban ou une calotte rouge (chechia). uant aux femmes, le costume est assez différent ; de plus elles ne sont jamais voilées............ 4,815 fr. 10
VÊTEMENTS DES HOMMES prix d'acquisition ou de revient), (1,731 fr. 80).
1° Vêtements d'un homme (dans la famílle). — 1 chemise (gandourah) en toile, ayant la forme d'un sac où l'on aurait percé des manches, 7m de toile à 0 fr. 60, cousue par les femmes. 4 fr. 20 ; — 1 gandourah en laine pour l'hiver, 20 fr. ; — 1 pantalon en toile (seroual), large et serré à la taille par une coulisse, 6m de oile à 0fr. 60, 3 fr. 60 ;-2 burnous en laine, fabriqués par les femmes ou achetés (on porte le plus usé en dessous), 60 fr. ; — 1 chechia en laine rouge, 7 fr. ; — 1 turban en toile, 6 fr. ; — 2 paires de souliers en cuir, 12 fr. : — guêtres en peau de chèvre (pièce de peau qu'on roule autour des jambes pour travailler dans les buissons épineux), 3 fr.; — chapeau de paille, très grand, pour la moisson, 2 fr.50. — Total, 118 fr. 30.
2° Vieux vêtements. — Employés pour les travaux les plus salissants, 1els que la fabricaon de l'huile: ee sont généralement des loques sordides, car on les porte jusqu'à usure complète : sans valeur.
Valeur totale des vêtements d'un homme, 118 fr. 30. — Total pour les 6 hommes, 709 fr. 80.
3° Vêtements du 3e et 4e fils (en plus des précédents) : (semblables à ceux des Maures, et portés avec le burnous et la chechia. pendant le séjour à Alger). — 1 pantalon (seroual) en toile. plus grand que celui de Kabylie, 25 fr, ; — 1 pantalon en drap bleu clair brodé en noir. 50 fr. ; — 1 gilet pareil, 10 fr. ; — la veste en même étoffe, 159 fr. ; — 1 paire de souliers, 6 fr. ; — 1 burnous, 30 fr. ; — 1 chechia à gland de soie, 10 fr. — Total pour chacun, 311 fr. ; soit, pour les deux, 622 fr.
4° Bijoux. — Les hommes de la famille ont tous des montres ; celles d'Ahmed et d'Amar sont en or, les autres en argent ; elles peuvent être estimées ensemble à 400 fr.
VÊTEMENTS DES FEMMES, 3113 fr. 60.
1° Vêtements d'une femme. — 1 gandourah, 4 fr. 20 ; — 1 hai brodé en laine (il a 7 mètres et il faut pour le faire la laine de cinq moutons), 40 fr. ; — 1 hai de toile de 12 mètres à 0 fr. 60. 7 fr. 20 ; — 1 foulard de soie, en forme de petit capuchon (beniaqua), 3 fr. ; — 1 autre, plus long et plus beau, pour les fêtes, 12 fr. ; — 1 ceinture de soie 12 fr. — Total, 78 fr. 40.
Valeur totale des vêtements d'une femme, 78 fr. 40. — Total pour les 4 femmes, 313 fr. 60.
Les hails sont de larges pièces d'étoffe de laine blanche, avec des raies noires ornées de dessins tissées à la main. Les femmes s'enveloppent dans le hail en laissant les bras libres. Quand elles sont ainsi enroulées et serrées à la taille par une ceinture. elles ramènent par-dessus l'épaule[474]l'étoffe du dos, et la rattachent à celle de la poitine au moyen de grandes épingles.
2° Bijoux. — Les bijoux donnés à chaque femme au moment du mariage, peuvent être évalués, pour chacune, à la somme de 700 fr. — Total pour les 4 femmes, 2,800 fr.
On ne peut en avoir une nomenclature exacte, car ce qui concerne les femmes ne saurait faire l'objet de questions et d'enquètes. Mais on sait que ces bijoux reproduisent toujours quelques parures traditionnelles. C'est d'abord ue sorte de diadême qui se place sur la beniaquah et qui se compose d'une série de chaînes en métal blanc, reliant de petits disques ou rosaces en même métal recouvert d'émail bleu ou vert foncé. Du corail viet rehausser l'ensemble qu'agrémente une rangée de pendeloques tombant sur le front. Tout l'art du bijoutier Kabyle repose sur l'emploi habile de ces trois éléments, métal blanc, émail et corail. Lorsqu'une femme a un fils, elle remplace ce diadème par un disque de 0,15 de diamètre environ, portant la même ornementation et placé au milieu du front. Elle le garde jusqu'à la circoncision de l'enfant, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'il ait atteint l'âge de sept ans.
Viennent ensuite les épingles de hal, tantôt séparées, tantôt reliées par une chaîne au milieu de laquelle est suspendue une petite boite où l'on renferme des amulettes. La tête de ces épingles a la forme d'un triangle équilatéral, qui peut avoir jusqu'à 0,15 de côté, et qui porte les mêmes ornements, d'émail et de corail. Les boucles d'oreilles sont parfois gigantesque et ornées t oujours de pendeloques en corail ou en verroterie. Souvent on les accroche autour de l'oreille. Les bracelets, porte-bonheur ou anneaux de pieds sont aussi très répandus. La plupart de ces bijoux, portés tous les jours, sont fabriqués en métal blanc, alliage formé d'étain et de cuivre ; quelques autres viennent du village des Beni-Ani. D'autres plus beaux, en argent, sont généralement anciens et se transmettent de génération en génération.
Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 6,021 fr. 10
§ 11. — Récréations.
Comme chez tous les peuples montagnards, les exercices du corps sont ici en honneur, surtout la course et la lutte. Un jeu, qui rappelle le criclet anglais et qui se joue avec une boule et des palettes, est l'amusement favori des enfants. Mais la chasse est toujours pour les Iabyles une véritable passion, qu'ils ne peuvent plus guère satisfaire, il est vrai, car leurs armes ont été confisquées apnrès 87I.
[475] Les lieux de réunion des habitants du douar des Beni-Djennad, sont les marechés des centres les plus importants, de Tiai-Rached et d'Agrh'ib, par exemple, où ils présentent l'aspect ordinaire des marchés arabes.
C'est à l'occasion des mariages que se célèbrent les plus grandes fêtes parmi les populationsKabyles. Dans ces circonstances les usages traditionnels sont invariablement suivis. Lersqu'une alliance est projetée entre deux familles, le jeune homme va voir la jeune fille, mais sans lui parler ; si elle lui plait, le père fait solennellement la demande. Puis, quand elle est agréée, il fait un présent de fiancailles à sa futre belle-fille. Ce sont des bijoux et des foulards de soie, pour une valeur de cent francs environ, s'il s'agit de cultivateurs aisés. On fixe alors l'époque du mariage qui a toujours lieu après la moisson. A ce momeLt le mari et son père offrent encore des bijoux et des vêtements à la fiancée, environ pour une valeur de 600 fr. Le père donne à lui seul le lit des futurs époux, c'est-à-dire des tapis représentant une valeur de 500 francs. IEntin il verse entre les mains du père de la jeune fille le prix de celc-ci, généralement 1l,500 francs. Souvent, toutefois, on convient d'un prix fictif destiné à éblouir les amis et d'un prix réel, parfois inferieur de moitié. Cette somme se paye en or français, jamais en bestiaux, ce qui serait considéré comme une assimilation offensante entre la jeune fille et une bete de somme. Tout étant réglé, les amis invités, les fêtes commencent. Elles consistent en repas, accompagnés de musique et de danses.
Les repas se composent uniformément de couscouss, de viandes rôties, et de pàtisseries au miel. uant à la musique, l'orchestre ou nouba est formé de musiciens de profession qui vont de village en village pour les fêtes nuptiales. Ilrappelle celui des fêtes provençales et comprend trois instruments : un tambour analogue à notre tambourin d'orchestre, un flageolet en roseau et une sorte de clarinette nommée reita. Ces instruments sont accompagnés d'un chant plaintif et nasillard, peu agréable, très monotone et assez triste. La musique est, en effet, toujours dans le mode mineur sans note sensible, ce qui la fait ressembler a notre plain-chant.
Après les chants vient la danse, peu variée, sorte de balancement cadencé qui s'anime quelquefois vers la fin. Les jeunes gens seuls y prennent part. Rarement quelques vieilles femmes viennent s'y mêler.
Les fêtes des mariages durent trois jours. Il en est à peu près de même pour les circoncisions, mais alors on n'invite que ses voisins et l'on se contente d'un orchestre d'amateurs. L'enfant est circoncis à l'âge de sept ans, et l'opération est faite par le père.
Histoire de la famille
§ 12. — Phases diverses de l'existence.
[476] La famille de Saïd est loin d'avoir eu toujours une existence aussi brillante. Le père de Saïd, Leonis, s'était marié neuf fois ; il avait, dans ses mariages et ses divorces successifs, dissipé presque tout son bien, sauf la maison paternelle et les champs qui l'environnent. l'outes ces unions étaient d'ailleurs restées stériles jusqu'à la dernière dont il eut deux fils, Saïd et Amar. Ces deux enfants furent orphelins de bonne heure ; l'aîné Saïd racheta la part d'héritage de son frère qui s'en alla vivre à Sétif, où il exerça la profession de commissionnaire.
N'ayant pas de famille à laquelle il pût confier sa femme, Saïd quitta la labylie avec elle et ses jeunes enfants, laissant l'exploitation de sa terre à un cousin. Il vint ainsi se fixer à Alger, où il commença par être commissionnaire. Il fut successivement garçon épicier, puis gardien, et enfin gérant du plus beau des bains maures de la ville. Ses fils avaient travaillé comme lui, et les sommes amas sées gràce à l'économie extraordinaire de la famille servirent à acheter peu à peu la terre de Tabou-Douchd. Saïd quitta alors Alger pour retourner sur son domaine. Ses fils Ahmed et Amar étaient a cette époque employés dans une maison de commission en épiceries ; mais voyant l'afluence toujours croissante Ces étrangers pendant la saison d'hiver, ils s'établirent marchands de curiosités, et purent alors donner à la famille la prospérité dont elle jouit à présent.
§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.
L'ardeur au travail et l'amour de la propriété. si remarquahlement développes dans la famille, sont pour son avenir une évidente garantie de sécurité et de lonheur. Ces conditions ne sont pas rares : le Kabyle n'a genéralement qu'un seul désir, celui d'accroître incessamment sa propriété foncière ; dominé par cette[477]pensée, il n'est guère exposé à dissiper son patrimoine et à gaspiller ses épargnes. A cet égard on aurait pu concevoir quelques craintes pour Saïd, lorsqu'il abandonna l'abou-Douchd pour s'établir à Alger. Mais le foyer de famille n'a pas été oublié ; c'est là qu'ont été employées toutes les économies et que la famille, tirée d'embarras, est revenue se fixer. Si aujourd'hui les fils continuent leurs opérations commerciales, elles ne peuvent en rien compromettre leur avoir foncier. Is savent d'ailleurs capitaliser en placements sûrs tous ceux de leurs profits qui ne sont pas appliqués au domaine patrimonial.
Mais l'institution qui est vraiment la base solide de tout l'édifice social, c'est la communauté de famille, la arouba. C'est parceque cet appui lui avait accidentellement manqué que Saïd a été obligé de courir les risques d'une expatriation temporaire. La présente monographie montre ainsi très nettement que, dans cet état de société, un ménage isolé ne peut se sufire, et que la famille patriarcale garantit au contraire dès la première génération l'aisance et la sécurité de tous. La force de la communauté s'accroit rapidement quand plusieurs générations se groupent autour du patriarche, leur ancêtre. Des villages entiers tirent parfois leur origine d'une seule famille. Les discordes d'ailleurs y sont peu fréquentes ; elles sont prévenues ou apaisées par un sentiment tout puissant : le respect de l'autorité paternelle et de la coutume nationale.
§ 14. — Budget des recettes de l'année.
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§ 15. — BUDGET DES DEPENSES DE L'ANNÉE.
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§ 16. — Comptes annexés aux budgets.
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Éléments divers de la constitution sociale
Faits importants d'organisation sociale ; particularités remarquables appréciations générales ; conclusions.
§17. SUR L'ORIGINE ATTRIBUÉE PAR L'ÉRUDITION MODERNE AUX POPULATIONS DE LA KABYLIE.
[492] Jusqu'au XVIe siècle avant l'ère chrétienne, nous ne savons presque rien sur les peuples qui hahitaient le nord de l'Afrique entre le golfe de Gabés et le cap Noun. Le texte de la enèse est lui-méme à peu près muet sur Phut, le troisième fils de Cham, qui en a, sans doute, été la t̀ge. Après l'avoir nommé a son ran parmi les quatre enfants du second fils de Noe, il néglige de nous renseiggner sur sa filiation : mais, donnant en détail celles de Iousch, de Misraim et de Chanaam, il permet de conjecturer quelles nations sont issues de leur frère. Ce rameau de la souche chamitique, dépassant, vers l'occident, la longue vallée du Nil, où s'établissaient les descendances de lousch et de Msraim, se répandit progressivement dans les contrées septentrionales de l'Afrique que nous nommons aujourd'hui IBarlah, Fezzan, 'ripoli, Tunisie, Algérie et Maroc. On s'accorde maintnant à penser que cette antique immigration de la race de Phut est l'origine commune des Aaigh ou Schilda du Maroc, des Touargs du Sahara, des bbous du desert de Lybie, entre le Fezzan et l'IEgypte, des abpdes des anciennes régences d'Alger et de Tusie et de celle de 'ripoli. Ce sont des peuples de même famille, ce sont les ˉBereres, encore unis, malgré la variété des dénominations ethnographiques, malgré les différences de mœurs nées de la nature des lieux, par une communauté de langage qui parait s'étendre jusqu'aux ̀uanches, anciens habitants des îles Canaries. Cette langue, telle que nous la font connaître les oficiers de l'armée d'Afrique etles rares inscriptions parvenues jusqu'à nous, témoigne d'une étroite afinité avec le peuple des pharaons. Le labpdeAgérien, le énata de la province de Constantine, le Mocai, le Cetou, le Chaoui, le ˉf'ouarcg en sont les principaux idiômes.
D'apres un monument découvert à larnal, le pharaon Thoumès lI, le cinquième prince de la 18e dynastie, vers le commencement du XVI siècIe avant ésus-Christ, soumit les ahenou,[493]ceux que les Grecs appelaient les ˉLbiens, c'est-à-dire les habitants du nord de l'Afrique. Il est certain que ce pharaon étendit son empire depuis l'Egypte proprement dite jusque vers la limite occidentale de notre moderne Algérie. A peine un siècle plus tard, Séi Ie ou Séthos et son fils Ramsès II ou Sesosris avaient à défendre l'Egypte contre les incursions des coe ou nalou. L'une de ces appellations veut dire, en langue égyptienne, hoes des roui(dards ; l'autre, oes du nord ; ce n'était pas des peuples ancennement établis, des peuples chamitiques que les fils de Mizraim désignaient ainsi,; c'était de nouveaux venus, des descendants de Japhet. Les monuments égyptiens nous signalent une invasion de barbares aux cheveux blonds, abordant le rivage africain à travers les flots de la Méditerranée ; ils venaient sans doute des côtes de l'Asie mineure. D'autres témoignages nous confirment ce grand événement.
D'après les traditions recueillies par les Carthaginois et que Salluste nous a transmises, primitivement, avant l'arrivée des envahisseurs de race jiaphétique, avant la fondation d'aucune colonie phénicienne, il y avait trois nations dans l'Afrique septentrionale : les Lybiens, le long des plages ; les Gétules, en arrière vers l'occident ; les uns et les autres de la race de Phut ; enfin, à l'intérieur, au-delà du Sahara, les Éhiopiens ou Nègres. Une m'gration amena ceux que Salluste appelle les Mèdes, les Perses, les Pélasges de l'armée d'IHercule, c'est-à-dire ces tribus iraniennes et aryennes, ces I'anahou (hommes du nord), qui menacèrent l'ĺgypte et dont les monuments de Séi Ie et de Ramsès II consignent le souvenir et l'image. Les Gétules et les Nègres demeurérent intacts, mais les nouveaux venus se melèrent sur les côtes aux habitants primitifs.
Ainsi se formèrent : en face de l'Espagne, les Maures, de bonne heure attachés à la vie sédentaire ; au centre, les Numides, presque toujours nomades et pasteurs ; vers les Syrtes et le lac 'Triton, les Lybiens et les Maxyes d'lIHérodote. Remuants et belliqueux, ceux-ci se joignirent aux pe uples méditérranéens et envahirent l'igypte après la mort de Sésostris (XIVe siècle avant .Ch.) : mais ils subirent aussi des invasions. L'arrivée des Israélites dans la terre de Chanaan avait, dans le même temps troublé par de longues guerres les tribus chamitiques cantonnées dans ce pays. Quelques unes émigrèrent et vinrent se réfugier dans les contrées qui forment la 'unisie actuelle. Mélées aux envahisseurs d'origine japhétique, les Lybiens proprement dits, elles donnèrent naissance à un grand peuple aussi habile à manier l'épée que la charrue, le peuple des Lybipheniciens. Peut-être faut-il attribuer[494]a l'établissement de ces tribus chananéennes, chassées de Pa'estine, l'origine de ces curieuses populations de Mzabites, dont le type asiatique est nettement prononcé et qui se sont toujours conservées sans alliance étrangère.
D'autrepart, les Phéniciens de Sidon(aujourd'huisaida)fondèrent dès le XNVIe siècle avant .Ch., Cambé et lippone (auiourd'hui IBone) ; puis les Tyriens batirent Utique (aujourd'hui en ruines) en 1158, et en 872, sur l'emplacement de Cambé à peu près abandonnée, prit desehatA la ville neuve la fameuse Carthage éggalement détruite aujourd'hui.
IRespectés par les Carthaginois, les peuples Kabyles furent au contraire de bonne heure en lutte avec les Rtomains. Dans la première guerre punique, après leur victoire d'Ecnome (252 av. .—C.) ceux-ci mirent le pied sur la rive africaine, à l'orient de Carthagre ; ils ne purent encore s'y maintenir. Ils y revinrent un demi-siècle après ; c'était à la fin de la seconde guerre punique, lorsqu'Annibal luttait contre eux depuis quinze ans dans l'Italie même. L'Algrérie actuelle, que l'on appelait Numidie, formait alors deux royaumes iundépendans : l'un, celui des Massésyliens (départements acuels d'oran et d'Alger) avait pour roi Syphax : l'autre, celui des Massyliens (département de Constantine) obéissait à Masinissa. Ces deux princes étaient liés aux Carthaginois par une ancienne alliance ; les Romains s'efforcèrent de gagner l'un et l'autre : mais, rivaux irréconcliables, ils mirent leur alliance au prix de la ruine l'un de l'autre. Quand Scipion, futur vainqueur d'Annihal a Zma (aujourd'hui Louarim, en Tunisie), débarqua en Afrique (201), Syphax tenait pour Carthage, et Masinissa, detrôné par lui et fugtif, servait dans l'armée du consul. La victoire - de Zama changea les rôles ; Syphax était vaincu et captif, Masinissa fut bientôt roi de teoute la Numdie, eut un long règne, sous 1'alliance tutélaire du peuple romain et laissa son royaume. à son fils Micipsa qui, en l16, vit tomber Carthage sous la domination de Iome. Dès lors, était terminé le rôle politique de la Numidie, aux pyeux des Romains : elle avait harcelé les dernières années de leur ennemie ; désormais elle n'était plus bonne qu'à devenir province romaine : du moins ne tomba-t-elle pas sans gloire. l'andis que la race direce de Masinissa se courbait de plus en plus sous la tuéle romaine, un petit-fils illégitime, le fameux Jugurtha, farouche champion d'une race non moins farouche, lutta sept années avant de périr à Rome, vaincu et captif, en l04. Cinquantedeux ans plus tard la Numidie orientale asservie sous ses princes indigènes, fut enfin réduite en province romaine, après la victoire de César aThapss (aujourd'hui Demsas, unisie).La Numidie occi[495]dentale réunie à la Mauritanie n'eut le même sort que quatre-vingtquatorze ans plus tard sous l'empereur Claude (1 ans après..C.). Mais les conquérants vécurent au milieu des barbares (IBerbères), plutôt qu'iis ne se mélèrent avec eux. Les environs de Tizi-Ouzou abondent en vestiges de la domination romaine : Dellis, élevé sur les ruines de ˉdsucurrue qui avait été construite au lieu que les Carthaginois appelaient ˉoussouour (cap des poissons) ; jema Saharidi, qui a succédé à la Bida Colonia ; loulo, sur l'emplacement de ˉ'rupitn, etc. Aussi n'est-il pas rare de voir les femmes porter en pendeloques sur le front des pièces de monnaie à l'efligie des Cesars. Les routes actelles, notamment celle de Tizi-Ouzou à Azefoun (ˉdusags), ne sont que les anciennes voies qui sillounnaient tout le pays ; l'Afrique était alors le grenier de Rome. La Iabylie cependant, en dehors des grandes artères de communication, restait à l'abri de l'occupation étrangère.
En 13l, quand s'écroulait l'Empire d'Occident, se fonda, dans les provinces romaines de l'Afrique septentrionale, la domination éphémère des Vandales. On a pen se parfois que, sans remonter à l'invasion de l'armée d'Iercule, on pouvait expliquer, par le séjour des Vandales, le type blond aux yeux bleus qu'on rencontre en Iabylie. Il est, en elet, assez répandu aux environs du village de Ouandelou, dont l'appellation rappelle le no du peuple germain. Cent ans après, ces contrées étaient reconquises par l'lEmpire d'Orient, ais elles devaient bientôt être violemment enlevées à la chrétienté.
A la 1in du VIIe siècle arrivèrent les Arabes apportant la religion de Mahomet ; ils poussèrent leurs conquétes juseu'en lspagne. Ce furent eux qui, en 935 fondèrent Alger sur les ruines de l'ancienne Icosium. Mais sous la domination des lhalifes, comme plus tard sous la suzeraineté des 0ttomans, les Berbères, cantonnés dans leur montagnes, restèrent réellement indépendants. L'antique alphabet que les Carthagginois avaient connu, est encore en usage chez les Touaregs, et leur vieil idiome, quoique altéré par la langue arabe, s'est maintenu, comme le prouvent des noms de lieu et des noms de tribus : les aveces d'Hérodote sont les Louaouas (aouaves) d'Algérie ; les salcnses et les Jbaleni d'AmmienMarcelin, habitent les distrcts où nous retrouvons les FIittas et les Beni-Jubar, et Ptolémée appelait déjà irgris les montagnes du Djurjura. Ainsi, apres douze siècles d'occupation arabe, les Iabyles ont conservé les caractères qui attestent leur origine autochtone, et s'ils ont adopté la religion de leurs maîtres, ils s'en distinguent nettement, néanmoins, par la race, le langage et les coutumes.
§18. SUR LES COUTUMES ET L'ORGANISATION DE LA VIE COMMUNALE CHEZ LES KABYLES.
[496] Chez les Iabyles le respect de la tradition et des coutumes est la base même de la société. Avec sa langue et son indépendance de fait, sous des dominations variées, ce peuple a conservé des idées, des meurs et des institutions qui vraisemblablement ont peu changé depuis trente siècles. C'est ce qui donne quelque intérêt à la description de son état social.
Ce serait une erreur de croire que les Iabyles ne forment qu'un e seule natio dans le sens européen du mot ; les villages, qui consituent la vraie division administrative, sont, en réalité, indépendants les uns des autres, et c'est à peine si un faible lien unit ceu qu'occupe une même tribu. Le gouvernement de chaque village (Deher) est exercé par l'assemblée (ˉDieda), qui se tient généralement le vendredi soir, soit dans le village lui-même, soit au environs dans la campagne. Souvent, dans ce cas, les membres de l'assemblée s'asseoient en cercle autour d'un grand arbre.
La Djemaà se compose d'un président (ain), d'adjioints dls), d'un agent financier (ouil), enfin de conseillers (ceals). L'amin, jadis choisi à l'élection par la jemaau et pris à tour de rôle dans chaque laroubba, est aujourd'hui nommé par l'autorité française. Les dahmans sont les représentants de chaque laroubba, généralement le chef de la famille. L'amin et es dahmans, assistés de l'oulil, constituent ce que nous appellerions le bureau du conseil municipal. Parmi les dahmans, l'assemblée choisit un secrétaire (khodja), chargé de la correspondance avec notre administration. Saïd, dont la famille fait l'objet de la présente monographie, a plusieurs fois rempli ce poste. Viennent ensuite les euquals, véritables conseillers municipaux, dont le nombre varie selon l'importance du village. Une laroubba considérable nomme parfois plusieurs e uquals. La représentation est donc étabiie sur la famille, et tient compte, en outre, du nombre de ses membres.
Comme autorité administrative du village la Djemaà jouit d'une grande liberté. Elle se dirige d'après des règles (hanons) fondées sur la coutume (eurf̀a). Comme pouvoir judiciaire, elle prononce en dernier ressort, sau, maintenant, l'appel devant l'autorité française, qui n'aime guère à s'immiscer dans les affaires indigènes et[497]qui agit s agement en respectant les coutumes locales. Les amendes imposées par la Djemaà se payent en nature plutôt qu'en argent. Il y a quelques années encore, la )jemaà prononçait jusqu'à la peine de mort, et l'exécution avait lieu par lapidation. Aujourd'hui l'autorité française, en cas d'affaire grave, prescrit aux amins de lei livrer les coupables qui sont remis entre les mains de la justice. Ce système, cons équence de l'adoption du régime civil à TiOuou, est vu d'un fort mauvais œil par les Kabyles qui ne peuvent comprendre les lenteurs de notre procédure. Celle-ci souvent demeure impuissante, car les indigènes se retranchent dans un mutisme absolu et les témoins sont fréquemment suspects. Iien 'est pénible à voir d'ailleurs, comme ces convois de pris onniers enchainés, amenés à pied de labylie à Alger, et qui rappellent l'ancienn chaîne des forcats, avec cette diférence capitale pu'il ne s'agit ici que d'accusés et non de condamnés. Infin le jry des COGrs d'assises est presque toujours entièrement composé de colons, ennemis acharnés des indigènes et toujours pre:s à les condamner. Aussi les Kabyles aiment-ils d'autant plus un administrateur français qu'il lais se plus de latitude à la jemae. Celle-ci, en tant qu'autorité judiciaire, prononce encore toutes les amendes répressives des infractions auX coutmes locales, e en outre, quoique raremet aujourd'hui, certaines peines assez singulières : la destruction de la mais on, le annissement, la perte de la barbe, l'incinération publique des vêtements.
L'esprit d'association est très développé on-seulement les Iabyles constituent leurs familles en laroubba, mais les laroubbas s'associent emcore entre elles et forment alors des soj. Il y a généralement deux soffs par village et presque partout ils s ont en lutte permanente, car la vengeace (ceb) des attentats réciproques, ne se transmet pas seulement dans la famille, mais dans le sof tout entier. Aussi l'autorité française est-elle obligée souvent d'intervenir pour apaiser de sanglantes querelles.
§19. SUR LE RÉGIME DES COMMUNES MIXTES
La partie de la Iabylie où se trouve le village de Tabou-Douchd est soumise aujourd'hui au régime civil. Tizi-Ouzou est la souspréfecture de l'arrondissement qui ne comprend guère que des counes ites, comme Azzeffoun. La direction de ces communes composées presque en totalité d'indigènes, est[498]confiée, en territoire civil, à un administrateur nommé par l'Etat ; en territoire militaire, à un oflicier qui représente le général commandant la subdivision. Le régime militaire n'a cessé, pour le territoire de Tabou-Douchd, qu'en 1871.
L'administrateur civil ne fait que surveiller la gestion des affaires communales des tribus. A cet effet, il réunit chez lui à certaines époque un conseil (ˉCia) composé des ˉins et ouena représentant les douars. Ce sont des amins choisis par le gouvernement et rendus responsables de l'ordre public chacun dans sa tribu. Cette assemblée comprend aussi quelques amins des villages les plus importants, de ceux notamment où se tiennent les marchés. L'administraion française entretient dans les villages suspects, des intelligences secrètes, et elle reçoit ainsi des rapports qui permettent de contrôler les dires des amins. Souvent on a utilisé assez adroitement, pour ce service de police, les inimitiés des sofs. C'est l'administrateur qui est chargé de recueillir les impôts que lui apportent les amins. C'est encore à lui, s'il n'y a pas de juge de paix, que sont livrés les accusés, et c'est lui qui apprécie s'il y a lieu de les renvoyec devant le juge d'instruction de TiiOuzou. lEn cas de négative, il prononce lui-même la peine, en consultant, pour la forme, la Chaia. Il y a là, on le voit, un pouvoir quelque peu discrétinnaire confié à des administrateurs qui, aau dire des indiggénes, se sont souvent motrés peu scrupuleu a leur égard. Ainsi, depuis l'insurrection de 1871, les indigènes ne peuvent quitter la lahylie sans une autorisation de l'administrateur, et, à les entendre, ils ne l'obtiennent le plus souvent qu'au prix d'une raņon en prestations de travail. Depuis peu de temps, afin de séparer le pouvoir judiciaire du pouvoir administraif, des justices de paix ont été établies dans la plupart des cOmmunes mixes, notamment à zefoun.
Les écoles, créées en labylie depuis quelques années, ont eu un complet succès. Déjà les jésuites avaient à Djema-Saharidj une école très fréquentée. Sous l'active impulsion de Mr Lavigerie, et depuis la fondation de la Congrégation des Missionnaires d'Afrique, les établis sements d'instruction se sont partout multipliés. n y enseigne à tous les enfants, le français, la lecture et l'écriture. A l'egard de la religion, on suit les règles tracées parl'illustre archevèque d'Alger : il n'y a ni cruciix dans les classes. ni prières, ni signe de croix. Point de scapulaires ni de médailles au cou, point de catéchisme dans les mains ; seulement une ex plication des préceptes de la loi morale contenue dans le Décalogue commun auX chrétiens et aux musulmans. Les écoliers ne fréquentent point la chapelle, mais ils la connaissent et on les oblige[499]à la respecter1. Les familles se montrent reconnaissantes des soins donnés à leurs enfants, et une bienveillance mutuelle rapproche les religieux et les indigènes. Les établissements laiques ont éte également multipliés. De toutes parts on a pu constater les heureuses aptitudes et les rapides progrès des Kabyles.
Il semble donc que l'administration française pourrait hàter le développement économique et faciliter la colonisation, d'une part en se montrant soucieuse de protéger les indigènes avec équité et de ne point changer leurs usages sans nécessité ; d'autre part en répandant l'instruction qui les rapproche de nous, et en ouvrant aux produits de leur travail de nouvelles routes commerciales.
§ 20. SUR LES APTITUDES COMMERCIALES ET LES HABITUDES D'EMIGRATION DES KABYLES.
Le abyle possède à un haut degré les aptitudes commerciales ; il aime à vendre lui-meme ses produits a Alger, et volontiers il y émigre pour revenir souvent au foyer de famille. Aussi voit-il avec un vif intérét la création de voies de communication et l'ouverture de nouveaux débouchés. Il lui faut aujourd'hui transporter péniblement à dos de mulets, l'huile, le blé et même la volaille ; mais dès que le chemin de fer, actuellement en construction, reliera Tizi-Ouzou à Alger, la production des fruits et des poulets s développera avec profit, et ces produits arriveront en abondance sur les marchés du chef-lieu de la colonie. Il s'y établira même pour les diverses spécialités des commissionnaires kabyles, comme il y en a déja pour le blé. Autour de la halle se tiennent des marchands qui achètent les grains de leurs compatriotes, tantôt pour les expédier directement aux minoteries française, tantôt pour les revendre a de gros intermédiaires juifs. Ceux-ci sont de véritables puissances en Algérie. On se rappelle que le règlement d'une importante fourniture de blé (7 millions), faite à la France pendant le Consulat par une de ces maisons juives, les Bacri, amena entre le dey et notre consul une discussion violente, qui se termina par un coup d'éventail et que suivit à bref délai la prise d'Alger.
[500] L'huile est aussi l'objet d'un commerce important. Des Européens ont construit des usines hydrauliques au centre même de la Iabylie, soit pour fabriquer l'huile sur place, soit pour epurer celle que ies indigènes préparent. En 1879l'exportation s'est élevée, pour l'Algérie entiêre, a 3,003,703 lilog., sur le pied de l fr. le lilog. Dans ce total, la Iabylie, en comprenant la partie située dans la province de Constantine, peut compter pour les deux tiers environ. La ain-d'œuvre européenne, et surtout les frais de transport, font monter ainsi à l fr. le kilog. le prix qui était sur place de 0 fr. 70. En outre ces voyages imposent de grandes pertes de temps aux indigenes qui transportent eux-mêmes leurs huiles. Le chemin de fer qui de 'Tizi-ouzou ira s'embrancher à Menerville sur la ligne d'Alger à Sétif, sera donc d'une grande utilité: mais l'achèvement en est retardé par des travaux d'art, toujours nombreux dans les régions montagneuses. Le réseau des routes, dites carrossables, exigerait aussi quelques compléments indispensables et un entretien plus régulier.
Les Kabyles qui émigrent temporairement à Alger sont, les us, marchands de blé ou d'huile, et les autres simples portetfaix au service des précédents. De jeunes frères ui accompagnent leur aîné, sont le plus souvent dans les rues d'Alger pour faire les courses, porter les paquets, cirer les chaus sures, répondre quand oOn appelle un garçon (gaouted). Le matin, on les voit accompagner les ménagères au marché et, pour quelques sous, rapporter les paniers pleins de provisions. D'autres sont employés dans les bains maures. C'est une profession assez répandue parmi les habitants de 'abou-Douchd qui passent pour les meilleurs masseurs deux d'entre eux sont attachés au llamman de Paris. Ahmed et AmIar font le commerce des curiosites, et quelques-uns de leurs compatriotes ont suivi leur exemple.
Au sujiet des Iahyles, on a beaucoup parlé d'assimilation, et le mot a soulevé, en Algérie surtout, d'ardentes polemiques. On dit tout au moins reconnaître que ces populations laborieuses, nonseulement se sont bravement battues pour la France, à laquelle elles fournissent la presque totalité de ses turces ou tirailleurs algériens, mais en outre, ont maintes fois fourni d'excellents fermiers aux colons, et s'entendent à merveille à trafiquer avec nos négociants. Encourageons le développement de leur travail, protégeos sans faiblesse leurs coutumes et leurs propriétés ; nous sommes sùrs alors de les trouver toujours dispos ées à respecter notre autorité à laquelle tous leurs intérêts les rattachent.
§ 21. SUR LE CARACTÈRE DE LA CONSTITUTION SOCIALE DES KABYLES DE LA GRANDE-KABYLIE.
[501] La société dont fait partie la famille ici décrite, repose essentiellement sur la loi morale, base de la loi religieuse, et sur l'autorité paternelle ( 13). Une foi vive unie à une scrupuleuse observation des pratiques du culte donne pour elle un caractère sacré aux préceptes du Décalogue musulman, identique à très peu près avec celui des chrétiens (13). Les idées et les mœurs des familles dérvent d́e ces préceptes et en assurent l'exécution abituelle. Sous leur empire, les enfants et les jeunes gens sont dressés à la pratique du bien. Le père de famille, chef de communauté, exerce au foyer une autorité incontestée que la coutume consacre et maintient (3,13). La famille patriarcale, ainsi constituée, n'aurat pas résisté aux coutumes de partage égalitaire des successicns entre tous les fils d'un même père, si la coutume n'avait institué comme remède à cette cause de désorganis ation, l'association familiale ou laroubba qui reconstitue le bien patrimonial sous un nouveau chef de communauté au moment où le partage égalitaire prescrit par le loran allait le morceler. Comme correctif à cette contrainte, la coutume a admis la cession à prix d'argent de sa part d'héritage pour le fils qui ne veut pas entrer dans la nouvelle association (3). C'est ainsi que la sagesse des générations successives a sauvé la pratique de la transmission intégrale indispensable à la stabilité de la famille. Un village Kabyle est une réunion de karoubbas le plus souvent reliées entr'elles de façon à former deux associations ou soffs (18). On voit par quel mécanisme la communauté de famille fournità la société kabyle son assise la plus solide. L'émigration temporaire procure à ces populations, fortement imprégnées des croyances religieuses et des traditions morales de la race, un supplément de ressources, sans les soustraire au joug salutaire de leurs meurs nationales. Le concours d'un clergé, malheureusement plus fervent qu'éclairé, complète cependant l'œuvre domestique des pères de famille, surtout en régularisant les pratiques du culte en commun.
Ainsi que cela a été observé dans d'autres contrées de régime patriarcal, le gouvernement local est constitué d'une façon démocratique; la Djemaà est une institution de la vie publique analogue à la commune russe (Ouvr. Europ., 2ᵉ édition, tome I,[502] c. 1§ 13. c. 2 § 13; c. 3 §§ 12, 13 et 17 ; c. 5. §§ 5. 13, 25 et 26). En somme la Kabylie, dans la région ici décrite, est un pays patriarcal où la paix sociale a pour garantie la vigueur des cou-tumes traditionnelles et des mœurs qui s'y rattachent. Coeme dans les sociétés simples, l'égalité règne, protégée par la hiérarchie qui résulte de l'organisation de la famille et du régime de communauté. Sous le drapeau de la France, le gouvernement local appartient encore aux pères de famille chefs de communauté. La vie privée y est d'autant plus développée que la vie publique y est plus restreinte. Le pouvoir central est aux mains d'une race étrangère, d'une autre foi religieuse que celle des lIabyles ; ce sont là deux malheurs publics dont un peuple a touiours à souffrir; mais il faut reconnaître que ces tribus du jurjura sont accoutumées depuis des siècles à supporter des maîtres étrangers, pourvu que leurs coutumes soient respectées et que les taxes à payer ne soient pas trop lourdes. Ce qui les blesse le plus dans notre domination, c'est de voir de fidèles musulmans soumis à des chrétiens. P1us ce sentiment intime et vivace sera ménagé dans nos relations avec ux, mieux ils s'ouvriront à tout ce que nous leur apportons d'améliorations matérielles. L'important est qu'ils n'aient lieu de constater, chez les Français avec lesquels ils sont en rapports, ni vénalité, ni esprit irréligieux, musulmans fervents et convaincus, ils ont une détiance profonde pour des infidèles sans foi ni culte.
Notes
1. Annuaire d'economie socialeˉ, t. II, 1877; T'nion des raees eun Algérie. par M. Robert, chanoine de Rouen.