No 30.

PAYSANS EN COMMUNAUTÉ

DU NING-PO-FOU

(PROVINCE DE TCHÉ-KIAN — CHINE)

(Propriétaires-ouvriers dans le système du travail sans enagements)

D'APRÈS LES

FAITS OBSERVÉS SUR LES LIEUX DE 1842 À 1846

PAR

OUANG-TCHING-YONG

l'un des membres de la famille

RECUEILLIS ET COORDONNÉS EN MARS 1861

PAR

M. L. DONNAT

ingénieur civil des mines.


Sommaire


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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.

I. Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

§ 1er. — État du sol, de l'industrie et de la population.

[83] Le village d'Ouang-fou, qu'habite la famille, est à 2,600m au sud-ouest de Ning-pô. Cette ville, située par 32o 12' de latitude nord et par 118o 01' de longitude est (Klaproth), est, après Hang-tchéou, [84] la plus importante de la province (Sang) de Tché-kian1. Elle a 8,000m de circonférence, une population de 300,000 âmes, et elle n'est qu'à 24km de la mer Orientale (Toung-haï), à laquelle la relie un canal navigable, formé par le confluent de deux rivières, assez large et assez profond pour porter des vaisseaux de 200 tonneaux. Ning-pô est un des cinq ports ouverts au commerce de l'Europe par le traité anglais de Nan-king (27 octobre 1842).

Le village d'Ouang-fou, comme Ning-pô, lait partie d'une presqu'île dont le sol argileux et humide est sillonné par des cours d'eau naturels et par de nombreux canaux. Au nord-ouest de Ning-pô, s'étend le lac Si-hou, qui a 8km de circonférence et qui est si célèbre dans les traditions chinoises, tandis qu'en arrière de cette ville toute la partie méridionale du Tché-kian est couverte de montagnes, qui se rattachent aux cimes élevées du Fo-kien, et qui sont cultivées de la base au sommet par l'industrie laborieuse des habitants.

Bien que Ning-pô soit à la latitude du Caire, il s'en faut de beaucoup qu'on puisse assimiler son climat à celui du nord de l'Égypte. À cet égard la Chine, comme tout le continent asiatique. présente avec l'Europe occidentale des différences tranchées qui sont toutes à l'avantage de notre climat maritime. i les étés y sont aussi chauds, quelquefois même plus chauds que dans nos pays, les hivers y sont beaucoup plus rigoureux. Ainsi Pé-king, situé par 39e 54', à peu près à la latitude de Naples, a des hivers comparables à ceux de Moscou (56o degré). À Ouang-fou les quatre saisons sont parfaitement tranchées. L'hiver est très-sec; la neige tombe une ou deux fois et séjourne sur le sol; la température descend jusqu'à 9 degrés au-dessous de zéro. Le printemps est excessivement pluvieux; les étés sont très-chauds, et le thermomètre s'élève à l'ombre jusqu'à 35 degrés. L'automne est la saison des vents et des orages; en septembre, le vent du nord commence à souffler et, pendant le mois de novembre, la mousson du nord-est règne constamment.

Les productions du pays habité par la famille dérivent de son sol et de son climat. La nature trop humide du terrain exclut le blé [85] presque complètement, tandis que sa nature trop argileuse empêche la culture de l'arbre à thé, qui exige un sol léger et sablonneux. La production la plus importante est le riz; mais l'été, déjà trop court pour permettre deux récoltes successives, oblige le cultivateur à planter, quelques semaines après la première plantation et dans les intervalles, d'autres jeunes pieds de riz qui lui donneront une seconde récolte deux mois après la première. Outre le riz, la localité produit encore l'orge, les fèves, les pois, l'igname, etc. Les animaux domestiques sont les buffles, les bœufs, les porcs et les chèvres. Les buffles sont employés aux travaux de labour; les chèvres ne sont point élevées pour leur lait, mais pour les chevreaux qu'on engraisse et qu'on mange. Il n'y a pas plus de gibier sur ce sol inondé toute l'année, que de forêts dans un pays où la terre est insuffisante pour nourrir ses habitants.

Ouang-fou est un des cinq villages (Tong-fou, Tching-fou, Tcheou-fou, Ouang-fou, Si-fou) réunis autour de la pagode bouddhiste de Oueï-tung-sze. Cette agglomération fait partie du tou de Li-che-tou-ni-dou, qui forme lui-même avec trois autres (Liche-tou-sin-dou, Li-che-tou-sze-dou, Li-che-tou-ou-dou) le district de Ning-hien. Ce district est un de ceux qui composent le Ning-pô-fou, dont la ville principale est Ning-pô et qui constitue une des grandes divisions de la province du Teché-kian (E).

Ouang-fou n'est peuplé que de Chinois. Les Mandchous étant surtout concentrés dans les villes, où ils habitent même un quartier spécial, isolé par de hautes murailles, qu'on appelle la ville artare. Comme celui de Tchin-fou, celui de Si-fou et les autres, le village d'Ouang-fou est habité par les descendants d'un même nom. Il a été fondé, il y a plusieurs générations. par une famille de la souche des Ouang, qui abandonna le lieu qu'elle occupait au-dessus de Hang-tcheou pour venir s'établir aux environs de Ning-pô. Le livre des ancêtres (Tsong-tching-bou), où sont inscrits depuis plusieurs siècles les naissances et les décès, est déposé entre les mains du Tchon-tchiang, l'ancien du village, élu par tous les chefs de maison dans la pagode de Oueï-tung-sze, afin de présider à l'administration des affaires communes (E). S'il arrive qu'une famille quitte le pays, elle emporte avec elle une copie de ce livre sacré.

La population de Ouang-fou est d'environ 120 familles, qui, à 5 membres par famille, forment un total de 600 habitants. Cette population est entièrement formée de cultivateurs. Elle se décompose à peu près de la manière suivante:

60 familles de paysans proprement dits, qui exploitent à leur propre compte leurs champs de riz, leur jardin potager et diverses industries accessoires;

[86] 30 familles de fermiers, qui cultivent les terres d'autrui, moyennant un loyer annuel en argent de 250 à 300f ou une redevance en nature de 3,000f de riz par hectare;

24 familles de journaliers propriétaires et d'ouvriers domestiques: les premiers possèdent quelques ares de terrain et louent en outre le travail de leurs bras pour la culture du sol; ils gagnent 0f30 à 0f35 par jour et la nourriture; les seconds sont attachés aux exploitations agricoles et sont payés 40 à 50f par an, en sus de la nourriture et du logement;

6 familles de charpentiers et de maçons, dont le salaire est de 0f40 par jour, indépendamment de la nourriture que l'on peut estimer à 0f20.

La plupart de ces familles sont groupées entre elles dans le régime des communautés. C'est l'étude d'un de ces groupes qui fait l'objet de la présente monographie.

§ 2. — État civil de la famille.

La famille est, comme on l'a vu, de la souche des Ouang et en porte le nom2. En Chine, même dans les plus petites familles de cultivateurs, le titre générique se perpétue indéfiniment. À ce titre chaque génération associe un nom spécial, et, dans cette génération, chaque homme est désigné, outre ses petits noms, par une appellation particulière. C'est ainsi que la génération actuelle de la famille ici décrite porte le nom de Vi (Ouang-Vi); la génération précédente portait celui de Tsong (Ouang-Tsong); la suivante porte celui de Tching (Ouang-Tching). Les filles ne sont désignées que par leur petit nom; quand elles sont mariées, elles ajoutent au nom de leur souche, suivi du mot tseu (fille), celui de la souche du mari suivi du mot men (porte, ménage). Ainsi une fille des Ouang qui épousera un homme des Hou s'appellera Ouang-tseu-Hou-men.

La communauté comprend en réalité dix-huit personnes; il est vrai qu'un des membres travaille ordinairement à Ning-pô; mais il contribue aux recettes et aux dépenses de la famille. Il existe dans le pays des communautés plus nombreuses qui renferment jusqu'à 35 et 40 membres. Dans un des cinq villages de Ouei-tung-sze, il en est une qui comprend, outre les grands parents, 9 fils avec leurs femmes et 23 petits-enfants.

[87] Les dix-huit personnes forment trois ménages. Leur nom, leur âge et leurs relations de parenté sont indiqués dans le tableau suivant:

1. Si-Tseu-Ouang-Men, chef de la famille, veuve de Ouang-Tson-Tchong, décédé depuis 32 ans à l'age de 59 ans............ 90 ans.

2. Vi-Jun (Tra-bin), son fils aîné, maître de maison, cultivateur comme son père............ 51 [ans].

3. Hou-Tseu-Ouang-Men, sa femme, maîtresse de maison, mariée depuis 17 ans............ 43 [ans].

4. Tching-jiou (A-tchu), 1er fils de Vi-jun............ 15 [ans].

S. Tching-yong (Yé-hon), 2e fils de Vi-jun............ 12 [ans].

6. Tching-hoa (A-léan), 3e fils de Vi-jun............ 9 [ans].

7. Mor-deu-dâ, 1er fille de Vi-jun............ 7 [ans].

8. Mor-deu-siô, 2e fille de Vi-jun............ 5 [ans].

9. A-lin, 3e fille de Vi-jun............ 2 [ans].

10. Vi-meu (A-ni), 1er frère de Vi-jun, cultivateur............ 40 [ans].

11. Si-tseu-Ouaug-men, sa femme, mariée depuis 9 ans............ 35 [ans].

12. Tching-hao (Yen-fong), 1er fils de Vi-meu............ 8 [ans].

13. Tching-fou (Yé-niu), 2e fils de Vi-meu............ 3 [ans].

14. Tchun-lé, fille de Vi-meu............ 11 [ans].

15. Vi-tchou (A-chiô), 2e frère de Vi-jun, domestique à Ning-pô............ 31 [ans].

16. Hou-tseu-Ouang-men, sa femme, mariée depuis 5 ans............ 29 [ans].

17. Tching-Koué (Chin-fâ), 1er fils de Vi-tchou............ 3 [ans].

18. Tching-yen (A-tchun), 2e fils de Vi-tchou............ 1 [an].

Comme l'indique ce tableau, le véritable chef de la famille est la grand'mère. En Chine, où l'autorité paternelle est la base de la religion, du gouvernement et des mœurs, les vieux parents conservent jusqu'à leur mort leur prépondérance. Quand il arrive, comme dans le cas actuel, que leur âge avancé leur interdit tout travail effectif, leur influence, pour n'être que consultative, n'en est pas moins réelle. C'est sous cette influence, dont il s'inspire dans toutes ses actions, que le fils aîné Vi-jun dirige, avec le concours de ses frères, les affaires du dehors, tandis que sa femme gouverne le ménage avec l'aide de ses belles-sœurs. L'autorité de l'âge, qui, chez la grand'mère, prend le caractère d'un conseil, qu'on ne manque jamais de demander et de suivre, a, chez le fils aîné et chez sa femme, le caractère d'un commandement affectueux auquel tous les membres de la famille sont tenus d'obéir.

Ces communautés, qui en Chine reposent essentiellement sur l'autorité paternelle, et qui se maintiennent aussi par les difficultés de la vie isolée dans un pays trop étroit pour contenir ses habitants, trop pauvre, malgré ses richesses, pour les nourrir, ces communautés se dissolvent spontanément quand elles deviennent trop nombreuses, ou quand des discussions, d'ailleurs assez fréquentes, s'élèvent entre les frères et les belles-sœurs (B). Cependant, [88] telle est la force de ce régime que les membres, appelés à vivre au dehors par leurs travaux habituels, ne cessent d'en faire partie et d'envoyer de l'argent au chef de la famille. C'est ainsi que le plus jeune frère de Vi-jun, qui est domestique à Ning-pô dans un chantier de bois, et qui y est logé et nourri, apporte tous les mois à sa grand'mère les gages qu'il a reçus.

§ 3. — Religion et habitudes morales.

La famille professe depuis des siècles la religion de Bouddha. Cette religion, qui a pénétré officiellement en Chine la 65e année de notre ère, et qui s'est propagée d'abord chez les classes inférieures, ensuite chez les lettrés, règne aujourd'hui sur plus de la moitié de la population. Malgré cette propagation immense, elle n'a eu qu'une influence médiocre sur les idées et sur les sentiments des Chinois, comme le prouvent la construction des temples bouddhistes (F) et les pratiques religieuses des adeptes de Fo (F).

La famille décrite, comme toutes celles de la localité, est peu élée pour sa religion, qui n'exerce pas d'action sensible sur ses déterminations et sur ses actes. Les enfants ne vont jamais à la pagode; les parents y vont peu. Le père ne s'y rend qu'au premier jour de l'an et aux fêtes des quatre saisons. Généralement, dans le pays, le temple n'est fréquenté par les hommes qu'après l'âge de soixante ans, et par les femmes qu'après celui de cinquante. Ainsi, la grand'mère, qui ne prend plus de part active aux travaux du ménage, se livre aux pratiques bouddhiques; elle accomplit, depuis l'âge de cinquante-deux ans, dans un but de purification personnelle, le vœu qu'elle a formé de rester jusqu'à la fin de ses jours sans manger ni viande ni poisson, en se nourrissant exclusivement de légumes.

Le trait saillant chez cette famille, comme chez toutes les familles chinoises, est le respect de l'autorité paternelle. Cette vénération est la vertu fondamentale des Chinois; en s'étendant jusqu'aux ancêtres, elle est la base du culte domestique; en s'élevant jusqu'à l'Empereur, elle est la garantie de l'ordre public. Elle dirige la vie privée par les sentiments qu'elle fait naître, par les traditions qu'elle conserve, par la modération qu'elle prescrit. Dans la vie publique, elle caractérise, des sujets au souverain, une obéissance librement consentie. Dans la famille ici décrite, le frère aîné maintient avec sévérité l'observation de ce devoir, en le remplissant lui-même. À table, il ne mange jamais que lorsque sa mère a [89] donné l'exemple; c'est à elle qu'il offre d'abord tout fruit ou tout légume nouveau. Il reçoit à son tour de ses enfants ces marques de respect dont l'oubli est en Chine considéré comme un crime. Tandis que le père peut battre son fils, quel que soit son âge, et use de ce droit, le fils, à partir de l'âge de seize ans, n'appelle jamais ses parents que da-jun (monseigneur) (A). Malgré une affection réelle, ceux-ci sont toujours réservés envers leurs enfants, et ils ne leur témoignent pas cette tendresse expansive que l'on remarque dans les familles occidentales et surtout chez les femmes du midi de l'Europe.

Chacun des trois chefs de famille de la communauté n'a qu'une seule femme. La polygamie est plus rare en Chine qu'on ne le croit communément. On ne prend une seconde femme que lorsqu'on peut la nourrir; aussi les cultivateurs n'ont-ils que rarement des concubines. D'ailleurs à la campagne et le plus souvent aussi à la ville, les gens aisés ne se décident à contracter une nouvelle union que si, mariés déjà depuis dix ou quinze ans. ils n'ont pas de postérité mâle, ce qui est pour les Chinois le sujet d'un vif chagrin (D).

On trouve dans cette famille de paysans la même sévérité de mœurs qui existe dans toutes les autres familles rurales de la localité. Il est presque inouï que les jeunes filles commettent quelque faute, tant est grande la retenue des femmes à l'égard des hommes. Une femme ne parle jamais à un homme étranger; son mari seul pénètre dans sa chambre. À partir d'un certain âge les frères et les sœurs n'ont plus de jeux communs; ils ne s'adressent même la parole que pour des choses sérieuses. La réserve est poussée encore plus loin entre les belles-sœurs et les beaux-frères. Cette réserve, qui règne entre les deux sexes, apparaît de la manière la plus sensible dans les cérémonies du mariage (C).

Les enfants sont traités avec douceur et ne sont jamais assujettis à des travaux fatigants. Les garçons sont tenus à l'école depuis sept ans jusqu'à douze: quant aux filles, qui ne reçoivent point d'instruction, elles n'ont vers cet âge que des occupations insignifiantes. L'école du village, qui est fréquentée par vingt-six enfants, a été formée de la manière suivante. La personne la plus riche de la localité a fait venir un instituteur de Ning-pô pour l'éducation de ses fils, en lui assurant la nourriture, le logement et le vêtement. Les autres familles lui fournissent ses honoraires; elles donnent pour chaque enfant. suivant son âge, de 3f à 5f par an; les plus aisés donnent 7f50. Un instituteur peut gagner ainsi de 120f à 150f. Deux garçons de la communauté, Tching-loa et Tching-flao, se rendent tous les jours à l'école d'Ouang-fou; ils payent 5f chacun.

[90] On leur enseigne la lecture, l'écriture, le calcul, la grammaire et la poésie. Le premier livre qu'on met entre leurs mains est le Pa-tchâ-sin (les Cent Noms), le second, le Tsien-zeu-ven (les Mille Caractères). Ils doivent lire ensuite le Hiao-King (Livre des devoirs filiaux), puis les quatre livres (Sze-Chou)3 et enfin les cinq classiques4 (King).

L'éducation est toujours religieuse. Quel que soit le culte auquel il appartient, l'enfant est toujours initié à la religion de Confucius, que tout lettré (sien-seng) professe officiellement. Il apprend l'histoire et la morale, en traduisant littéralement le Ta-hio, le Tchong-yong, le Chi-King et le Chou-King. Malgré l'étendue de ce programme d'enseignement, il ne paraît pas que l'instruction soit très- développée dans les campagnes. Aucun des parents de la famille ici décrite ne sait lire; l'aîné des garçons, Tching-jiou, le sait peu; Tching-yong seul a quelques notions de lecture, d'écriture et de calcul.

§ 4. — Hygiène et service de santé.

Tous les membres de la famille se distinguent par une constitution robuste. Les hommes, comme les Chinois en général, sont doués d'un grand développement de force musculaire, facile à comprendre chez un peuple d'une si prodigieuse activité. D'une taille et d'une grosseur moyennes, les hommes, comme les femmes, voués à un travail continu, ne présentent pas cette obésité disgracieuse que recherchent les gens riches des villes. Les femmes sont d'un type assez agréable. Elles sont très-fécondes; il n'est guère de ménages qui aient moins de cinq enfants. Les mariages se font, il est vrai, de bonne heure, entre dix-huit et vingt ans; la loi les autorise à l'âge de seize ans pour les deux sexes. Sous ce rapport. la famille décrite se trouve dans des circonstances un peu exceptionnelles.

La santé des membres de la famille n'a été altérée par aucune maladie grave. Les femmes éprouvent bien une gêne constante de l'usage qu'elles ont d'entortiller leurs pieds; mais cette gêne, qui suffit pour leur interdire la marche, ne va pas jusqu'à les indisposer et ne les empêche pas de vaquer à leurs travaux. Il est vrai [91] qu'à la campagne, cet usage barbare n'est pas poussé aussi loin qu'à la ville. Ici, pour faire de ses pieds des lis dorés (kin-leen), une Chinoise se condamne à une véritable mutilation. Les bandages qui, depuis son enfance, étreignent ses pieds, gênent la circulation du sang, produisent une vive inflammation et entretiennent une plaie constante. Les femmes tartares, tout en adoptant les mœurs chinoises, ont résisté à cette bizarre coutume.

À Ning-pô, dans ce pays entièrement inondé, les habitants sont sujets à des fièvres intermittentes au printemps et à l'automne. Mais ces fièvres paraissent avoir moins d'intensité que dans les pays de l'Europe où on cultive le riz. Quelle qu'en soit la raison qu'elle se trouve dans l'usage des boissons chaudes ou dans le renouvellement facile de l'air sur des côtes ouvertes à tous les vents, l'insalubrité est peut-être moins grande dans les arrières du Tché-ian que dans celles du Piémont. Les autres maladies de la localité sont le typhus, qui sévit assez souvent, et le choléra, qui s est quelquefois montré.

Contre les fièvres endémiques, les habitants du pays emploient quelquefois le sulfate de quinine, qui leur a été indiqué par les missionnaires. Ils trouvent ce médicament chez deux pharmaciens, qui desservent les cinq villages groupés autour de la pagode de Oueï-tung-sze. En général les paysans d'Ouang-fou traitent ces fièvres par des infusions d'une plante, le tsou-tsou, qu'ils font digérer avec du sucre et des ciboules. La famille n'appelle jamais de médecin: il y en a un cependant à Tchéou-fou. Ce médecin est une espèce d'officier de santé; pour exercer sa profession, il doit être reçu par les premiers médecins de la ville de Ning-pô. La visite se paye ordinairement 0f50; l'opération de la vaccine, qui se fait dans le nez, coûte 7f50. Les accouchements ne se font jamais par l'intervention des médecins, mais par les soins des sages-femmes; leur ministère coûte de 0f50 a 0f75, suivant la fortune des personnes; la famille ici décrite paye 0f50.

§ 5. — Rang de la famille.

La famille est bien considérée dans le pays dont tous les habitants descendent de la même souche. Dans une situation supérieure a celle des fermiers et des ouvriers domestiques, elle n'est au-dessous des familles les plus aisées que par la moindre étendue des champs qu'elle possède. Cependant telle est la division du sol, dans un pays où la coutume assure l'égalité des partages entre les fils, [92] que les plus riches propriétaires d'Ouang-fou et des villages voisins ne possèdent pas plus de 12 à 18 hectares de terrain, dont ils afferment une partie et cultivent le reste.

II. Moyens d'existence de la famille

§ 6. — Propriétés.

(Mobilier et vêtements non compris.)

Immeubles acquis par héritage............ 3,250f00

1o Habitation (ho). — Maison composée d'un rez-de-chaussée et d'un premier étage avec hangars en bamhou couverts en paille de riz: 200f00.

2o Immeubles ruraux. — Jardin potager (tséï-di) attenant a la maison, d'une étendue de 5 ares, 250f00. — Champs (daô-dié) de riz, d'orge, de fèves, d'ignames, d'une étendue de 84 ares, 2800f00. — Total, 3050f00.

Argent............ 00f00

La communauté ne possède pas d'argent. Le goût de l'épargne parait être une vertu peu commune chez les cultivateurs du Tché-Kian. L'épargne, quand elle se produit, est employée en acquisition de terres. Les usages traditionnels, qui perpétuent les fêtes fétichiques avec les obligations qu'elles entraînent, conduisent ordinairement à dépenser en quelques jours les sommes qui proviennent de la vente des produits du sol et que les besoins de la famille n'ont pas absorbées.

Animaux domestiques entretenus toute l'année..... 216f00

2 bœufs (niou) de labour et de transport, 200f00; — poules et 6 poulets (ki), 16f00. — Total, 216f00.

Animaux domestiques entretenus seulement une partie de l'année.............................. 48f56

3 porcs (tchu) d'une valeur moyenne de 54f00, entretenus pendant 10 mois (de février à décembre). La valeur moyenne calculée pour l'année entière est de 45f00. — 2 chevreaux (sa-hian), d'une valeur moyenne de 4f75, entretenus pendant 9 mois. La valeur moyenne calculée pour l'année entière est de 3f56.

Matériel spécial des travaux et industries....... 544f89

1o Outils pour l'exploitation des champs. — 1 araire (li) à un seul bœuf, 15f00; — 1 herse de fer (boa), 20f00;— 1 rouleau de bois (couen-boa), 10f00; — 4 pioches (tié-tâ), 4f00; — 2 râteaux (boeu), 3f00; — 2 pelles de fer (gran-chié), 3f50; — 12 faucilles pour couper le riz, 3f00; — 2 faux (ouang-toou) pour couper le trèfle, 2f50; — 4 peignes [93] (lo-dié-boeu) pour nettoyer le champ de riz, 5f00; — 1 chapelet (tso-beu) incliné, en bois, avec roue dentée et pignon, pour arroser le champ, 60f00; — 1 bateau (jeu) à une seule rame pour le transport du fumier et des récoltes, d'une longueur de 6m environ et d'un tonnage de 600k, 120f00; — 6 seaux (fan-dong) pour transporter le fumier des animaux, 9f00; — 2 boîtes grillées (daô-don) de bambou pour battre le riz aux champs, 36f00; — 5 pelles de bois (leiang-deu-boa) pour étendre le riz sur les nattes, 2f50; — 24 grands paniers () pour le riz, tressés en fils de bambou, contenant chacun 60k, 72f00; — 12 paniers (trouss) pour la paille de riz, 6f00; — 7 bâtons (pin-té) pour porter les paniers sur l'épaule, 3f50; — 12 nattes de bambou (dié) de 3m50 sur 3m, sur lesquelles on fait sécher le riz, 48f00; — 2 tentes de toile (niou-bau) pour abriter pendant l'été le bœuf qui monte l'eau, 8f00; — 1 blutoir (fong-siân), 10f00; — 4 cribles (mi-seu) de bambou, 1f20; — 3 paniers (trouss) de 1m50 de diamètre et d'une contenance de 180k, 6f00; — 3 paniers à main (teu) contenant 6k de riz chacun, 0f7S; — 1 vau de bambou (len-se) pour séparer le ria de la paille, 2f00; — 2 grandes romaines (tsing) à trois cordes pour peser les sacs de riz, 15f00; — 1 petite romaine à main (siô-tsing) pour peser les légumes, 0f80; — 1 mesure pour le riz (rô-tse), en forme de tronc de pyramide à base carrée, faite de bois dur et cerclée en fer, contenant 30k, 12f50; — 1 mesure (teu) de 6k en forme de parallélépipède rectangle, 1f00; — 1 mesure (tsin) de 0k6 (livre chinoise), en forme de tronc de pyramide carrée, dont la grande base est en haut, 0f50; — 1 mesure (pneu-tsin) de forme cylindrique et d'une capacité de 0k3, 0f25. — Total, 481f00.

2o Outils pour la culture du jardin potager. — 2 pioches, 2f00; — 1 râteau, 1f50; — 1 pelle de fer, 1f75; — 2 seaux, 3f00. — Total, 8f25.

3o Outils pour l'exploitation des bêtes à cornes. — 1 cloison de bois (niou-dien) pour l'écurie, 10f00; — 2 seaux de bois (ton) pour donner le son, 2f00; — 1 échelle d'écurie (té-tse), 1f25. — Total, 13f25.

4o Outils pour l'exploitation de la basse-cour. — 1 cabine pour les cochons (tchu-dien) avec cloisons en planches, 5f00; — 3 auges de pierre (tchu-zan) où l'on donne à manger aux cochons, 4f50; — 1 grande jarre de terre cuite (tchu-cou) pour conserver la nourriture des porcs, 0f75. — Total, 10f25.

5o Outils pour la fabrication des étoffes de coton. — 1 laminoir de bois et de fer (kâ-roâ-tcheu) pour séparer le coton de sa graine, 1f75; — 1 métier à filer (tcheu) de bois et de bambou, 0f75; — 2 fuseaux, 0f30; — 1 métier à tisser de bois (tchi-tchi), 17f50; — 24 bobines de bambou, 1f44. — Total, 21f74.

6o Outils pour le blanchissage du linge. — 9 cuviers, cadeaux de noce reçus par les femmes de leurs mères, 9f00; — 2 battoirs, 0f15. — Total, 9f15.

7o Engin pour la pêche. — 1 filet, 1f25.

Valeur totale des propriétés............ 4,059f45

§ 7. — Subventions.

Un trait caractéristique de cette localité et probablement des provinces occidentales est l'absence presque complète de subventions. Il n'y a pas de pays peut-être où le sol soit plus recherché qu'en Chine, pas de pays où une population, croissant de jour en jour, se presse plus serrée sur une terre trop étroite pour la contenir. Il n'existe pas une seule forêt dans ce district; on [94] n'aperçoit nulle part ni haie, ni fossé, ni presque aucun arbre, tant les Chinois ménagent un pouce de terrain. C'est à peine si l'herbe qui pousse sur les chemins de culture fournit au printemps et à l'été une partie de la nourriture des bœufs. Quelquefois les hommes vont couper cette herbe le matin avant d'aller aux champs; mais le travail est ordinairement confié aux deux fils aînés de Vi-jun, Tchi-jiou et Tchin-yong. qui conduisent ordinairement aussi les animaux pâturer en liberté. Un homme peut récolter par jour pour une valeur de 0f30 et un enfant pour une valeur de 0f15.

À ces faibles subventions, on peut ajouter le poisson pêché par les hommes dans la rivière, pendant quelques journées d'hiver; les limaçons (hélices) et les grenouilles ramassés par les enfants dans les champs de riz, enfin les pissenlits qu'ils vont aussi cueillir et que l'on cuit à l'huile; car on ne mange jamais ni salade, ni légume

On doit compter encore comme subvention la jouissance du moulin communal pour la décortication et pour la mouture du ri; ce moulin est entretenu et réparé aux frais des habitants.

§ 8. — Travaux et industries.

Travaux des hommes. — Deux hommes seulement, Vi-jun et Vi-meu travaillent dans la communauté. Le plus jeune des chefs de famille, Vi-tchou, est employé à Ning-pô comme domestique dans une maison de commerce. Il est nourri, logé, et gagne 5f par mois, qu'il apporte régulièrement à sa grand'mère. Quant aux deux frères aînés, leurs travaux spéciaux sont: la culture des champs de riz, d'orge, de fèves, de choux, d'ignames, etc.; le transport des fumiers et des récoltes, le transport du riz au moulin, etc.; l'exploitation du jardin potager, les soins donnés aux bêtes à cornes; la récolte d'herbes sur les chemins pour les bœufs; la pêche et la fabrication de l'huile de cola. En dehors de leurs journées de travail, les hommes vont acheter des comestibles au marché, et puiser à la rivière l'eau nécessaire aux besoins du ménage.

Travaux des femmes. — Les travaux spéciaux aux femmes sont: l'exploitation des champs en ce qui concerne le séchage, le nettoyage, la vente du riz, etc.; le service de la basse-cour; la fabrication du calicot; la confection et l'entretien des vêtements et du linge de la famille; le blanchissage et les travaux domestiques tels que préparation des aliments, soins de propreté, garde des enfants.

[95] La grand'mère ne se livrant à aucun travail appréciable, ces occupations se partagent entre les trois femmes. Chacune d'elles fait à son tour la cuisine pendant dix jours, pour toute la communauté; mais chacune blanchit et raccommode le linge de son mari et de ses enfants.

Travaux des enfants. — Deux garçons seulement, Tching -jiou et Tching-yong, et une petite fille de 11 ans, Tchun-lê, secondent leurs parents dans leurs travaux. Les autres enfants fréquentent l'école et se livrent exclusivement aux jeux de leur âge. On n'emploie jamais les enfants aux travaux qui pourraient excéder leurs forces. Leurs occupations consistent, pour les garçons: dans l'aide donnée aux hommes pour l'exploitation des champs, dans la récolte des herbes et dans la conduite des bœufs sur les chemins; pour la petite fille: dans l'aide donnée aux femmes pour le séchage du riz, pour la confection et l'entretien du linge, pour la garde des enfants jeunes.

Industries entreprises par la famille. — L'essence même de l'organisation sociale à laquelle se rattache cette famille est que tous les travaux, sans exception, soient entrepris au compte commun de tous ses membres.

III. Mode d'existence de la famille.

§ 9. — Aliments et repas.

Les produits des récoltes et les comestibles achetés sont consommés dans la communauté par 17 personnes: 2 hommes, 4 femmes, 6 enfants au-dessus de 7 ans et 5 enfants en bas âge.

Le régime alimentaire témoigne chez cette famille d'une excessive sobriété, qualité qui paraît caractériser d'ailleurs les cultivateurs de ce pays. On y voit cependant apparaître le superflu aux fêtes astronomiques, que les usages traditionnels, si respectés en Chine, ont conservées jusqu'à ce jour (H).

Ce régime a pour bases essentielles: le riz, le poisson salé, le chou frais ou salé et le deu-vou ou fromage fait avec une espèce de pois jaune (hoang-deu). Le riz est mangé en guise de pain. À table, chaque personne a à côté d'elle un bol rempli de grains de riz [96] crevés dans l'eau. Ce riz, ainsi que tous les mets solides, n'est pas mangé avec une fourchette, mais avec deux petits bâtonnets de bambou de 0m20 environ, désignés sous le nom métaphorique de garçons agiles (kwae-tsze). L'un se tient entre le pouce et l'index de la main droite; le second entre le même pouce et le doigt du milieu; c est à leur point de jonction qu'il faut savoir saisir chaque morceau qu'on veut porter à la bouche. Pour la soupe et pour les sauces on se sert de cuillers de porcelaine. Les mets sont apportés sur la table dans les casseroles de fer ou de fonte où ils ont été préparés; chacun se sert dans une assiette de porcelaine commune. On ne mange jamais de dessert et on ne boit pas en mangeant; on prend après le repas une ou deux tasses de thé.

Les hommes et les femmes mangent dans la même salle, mais à des tables différentes. Le chef de famille Vi-jun, son frère cadet, et ses deux garçons les plus âgés, se mettent à une table; à l'autre s'asseyent les femmes et les enfants.

La famille fait ordinairement trois repas; elle en fait quatre dans les mois de juin, juillet et août, pendant lesquels les travaux sont plus rudes et les journées plus longues:

1o Le déjeuner (tsaô-ven): à 6 heures en été, à 8 heures en hiver; poisson salé, chou salé cuit à la graisse ou à l'eau, deu-vou.

2o Le dîner (tsong-ven), à midi: chou frais et chou salé, poisson salé et quelquefois du poisson frais, du porc salé ou du chevreau.

3o Le souper (ya-ven) à 4 heures en hiver, à heures en été: choux ou poissons comme au dîner.

Le repas supplémentaire de l'été se fait à 3 heures et demie; il se compose de gâteaux faits avec de la farine de riz, ou bien encore de nouilles et de vermicelles apprêtés au sucre ou au sel. Les hommes prennent toujours ce dernier repas aux champs; les autres se prennent ordinairement à la maison; ce n'est que lorsqu'ils sont très-pressés qu'ils ne rentrent pas à midi.

Cette alimentation, si modeste en temps ordinaire, est singulièrement augmentée aux diverses fêtes de l'année, au premier de l'an surtout. Il est d'usage alors que les parents, les amis se visitent et s'invitent les uns les autres. On mange du porc frais, des poulets, des gâteaux et l'on boit du vin de ri.

§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.

La maison d'habitation, construite en bois et en briques, présente le style uniforme de l'architecture chinoise. Les toits qui avancent [97] sur la façade, comme ceux des chalets suisses, sont supportés par des colonnes de bois; leurs bords relevés, comme le seraient ceux d'une tente par le souffle du vent, sont ornés de figures de plâtre telles que des dragons, des queues de poisson, etc. qui rappellent le culte de ces animaux.

La maison composée de deux corps de logis, en avant desquels se trouve une cour, renferme quatre locataires. Un des corps de logis est occupé par la famille ici décrite: il comprend un rez-de-chaussée et un premier étage, dont les pièces sont blanchies à la

Les quatre pièces du rez-de-chaussée sont; 1o une cuisine avec un fourneau de briques à trois foyers; 2o une salle à manger; 3o la chambre de la grand'mère; 4o la chambre de Vi-meu, de sa femme et de ses enfants.

Les quatre pièces du premier étage sont: 1o la chambre de Vi-jun, de sa femme et de ses quatre plus jeunes enfants; 2o la chambre du ménage de Vi-tchou; 3o une pièce pour les débarras où couchent Tching-jiou et Tching-yong; 4o un grenier pour le riz et les autres récoltes, situé au-dessus du couloir qui fait suite à la porte d'entrée.

Enfin, dans une cour située derrière la cuisine, sont l'écurie pour les bœufs, les cabanes pour les porcs, pour les volailles et pour les chèvres.

Les deux corps de logis se touchent au rez-de-chaussée par une salle de cérémonie commune à tous les locataires. Cette salle est vide de meubles; on y apporte une table aux fêtes de l'année pour faire des sacrifices.

Il est d'usage que les jeunes enfants couchent dans la chambre de leurs parents: au-dessous de l'âge de 5 ans, ils couchent même dans leur lit; la femme est d'un côté avec les filles, le mari de l'autre avec les garçons. Aucune pièce n'a de cheminée; il paraîtrait que ce mode de chauffage est inconnu en Chine; on emploie dans le nord des brasiers placés au milieu de la chambre; dans les provinces méridionales on ne réchauffe pas les appartements.

La valeur du mobilier et des vêtements peut être établie de la manière suivante:

Meubles: suffisants pour les besoins du ménage, mais d'une grande simplicité. Les lits en sont, par leur forme, la portion la plus remarquable. Ces lits de bois de sapin, vernis en rouge, garnis de rideaux et de couvertures, surmontés de quatre colonnes qui supportent un ciel horizontal, rappellent le lit de François Ier du musée de Cluny. Ils ont 2m de largeur, et servent pour le mari, pour la [98] femme et pour les enfants. Le lit de la grand'mère n'est qu'à deux places, et sa largeur est seulement de 1m 35............ 482f50

1o Lits (tsan). — 3 lits pareils comprenant chacun: 1 bois de lit de sapin, 25f00; — 1 paillasse de paille de riz, 0f60; — 1 natte de paille placée sur la paillasse et sur laquelle on couche en été, 0f75; — 1 matelas rempli de coton ouaté pour l'hiver, 15f00; — 1 couverture ouatée, 17f50; — rideaux de coton de couleur, 5f00; — 2 oreillers, 2f50. — Total pour un lit, 66f35. — 1 lit pour la grand'mère, 50f95. — Lits de sangle pour les enfants, 15f00. — Total pour les lits, 265f00.

2o Mobilier des chambres à coucher. — 3 petites armoires (siô-ju) de sapin verni pour mettre les souliers, le linge a raccommoder, etc., 18f00; — 3 grandes armoires (dâ-ju) pour renfermer le linge, 45f00; — 4 commodes (dju) à cinq tiroirs, 14f00; — 8 malles (i-chian) pour contenir les vêtements, 24f00; — 4 petites toilettes portatives avec glaces montées sur cuive, 20f00;3 cuvettes de cuivre pour la toilette, 9f00; — 4 chaufferettes de cuivre, 20f00; — 3 grands vases de lois rouge verni, cerclés en cuivre, 18f00; — 4 chaises de bambou, 3f00; — 8 bancs de bois, 12f00. — Total, 183f00.

3o Mobilier de la salle à manger. — 1 table de sapin verni, 7f50. — 2 chaises de bois, 4f00; — 4 bancs, 2f00. — Total, 13f50.

4o Mobilier de la cuisine. — 1 table de sapin, 1f50; — 1 buffet (oué-dju) de bambou servant de garde-manger à la partie supérieure, et d'étagère à la partie inférieure pour recevoir les ustensiles en service, 1f50; — 1 autre buffet de bois de sapin contenant la vaisselle employée les jours de fête, 5f50; — 2 bancs, 1f00; — étagère dans le mur, 0f50. — Total, 10f00.

5o Objets relatifs au culte domestique. — 2 flambeaux d'étain (tcho-dé), 5f00; — 2 brûle-parfums d'étain (chian-lô), 3f50; — 1 bassin de fer (tseu-lou, pour brûler les lingots de papier, 2f50. — Total, 11f00.

Ustensiles............ 47f30

1o Dépendant du fourneau de la cuisine. — 1 pelle de cuivre, 0f75; — 2 pincettes de fer, 0f30; — 1 écran de bambou par attiser le feu, 0f03. — Total, 1f08.

2o Employés pour la cuisson et la consommation des aliments. — 3 casseroles de fer ou de fonte, 12f00; — 1 bouilloire de cuivre, 3f50; — 1 couteau de cuisine, 0f75; — 2 pelles de cuivre (tsing-tou) pour préparer les ragoûts, 0f35; — 1 pelle de fer, 0f13; — 5 jarres pour conserver les choux salés, etc., 7f50; — 1 jarre pour conserver l'eau, 2f50; — 5 pots de terre, 0f75; — 2 seaux de bois, 4f00; — 3 douzaines d'assiettes communes, 1f05; — 3 douzaines d'assiettes de porcelaine, 1f80; — 24 cuillers de porcelaine, 0f72; — 6 douzaines de baguettes de bambou (kwae-tsze) servant de fourchettes, 0f12; — 8 douzaines de bols communs de porcelaine pour manger le riz ou pour boire le thé, 4f80; — 2 théières de terre cuite, 0f30; — 1 douzaine de tasses à thé de porcelaine pour les jours de cérémonie, 0f90; — 2 carafes d'étain pour le vin de riz, 1f60; — 4 douzaines de tasses à vin de porcelaine, 1f92. — Total, 44f69.

3o Servant à l'éclairage. — 2 godets de bois dans lesquels on brûle l'huile du dieu-tsze avec des mèches de moelle de roseau, 0f60; — 1 godet de cuivre, 0f75; — 2 godets de bambou, 0f18. — Total, 1f58.

Linge de ménage: fait de toile de coton; peu abondant, car on ne se sert ni de draps de lit, ni de serviettes pour la table............ 4f00

1 douzaine de serviettes de calicot pour la toilette, 4f00.

[99] Vêtements: fort simples, faits presque exclusivement de calicot, et confectionnés dans l'intérieur du ménage. L'énumération ci-dessous, montre que ces vêtements sont caractéristiques de la population, qu'il y a peu de différence entre ceux des hommes et ceux des femmes. Elle fait voir en outre, que les femmes ne portent pas de bas, mais des espèces de manchons; que jusqu'à 14 ans les jeunes filles sont habillées absolument comme les garçons; enfin que, dans la famille, l'usage du mouchoir est inconnu même aux jours de fête. Ce détail qui n'a rien d'extraordinaire chez des cultivateurs, paraîtra peut-être plus étonnant, si on remarque qu'il est vrai pour toute la population chinoise. Le mandarin en visite, se mouche à l'aide d'un morceau de papier, qu'il remet à un domestique après s'en être servi. ....................... 552f67

Vêtements des hommes (3 hommes), selon le détail ci-dessous (290f43).

1o Vêtements d'un homme (pour les fêtes). — 1 longue robe (paô-tsze) de soie de couleur descendant jusqu'aux pieds, 20f00; — 1 par-dessus long (oué-tao) de soie allant jusqu'à la cheville, 15f00; — 1 par-dessus court (ma-quouâ) de soie descendant jusqu'aux cuisses, 7f50; — 1 pantalon (kou-tsze) de calicot en forme de caleçon, 1f50; — 1 ceinture (yô-tâ) de soie portée sur la robe, 2f50; — 1 paire de bas (mâ-tsze) de coton, 1f25; — 1 col de velours (nioun-ling), 0f60; — 1 chapeau (zoun-mao) de velours noir a bords relevés, 6f00; — 1 paire de souliers (chié-tsze) de soie brodée avec d'épaisses semelles de feutre, 5f50. — Total 59f85.

2o Vêtements d'un homme (pour le travail). — 1 par-dessus de peau d'agneau pour l'hiver, 10f00; — 1 par-dessus court ouaté, 4f00; — 2 par-dessus courts de calicot pour l'été, 6f00; — 1 pantalon de calicot doublé pour l'hiver, 2f50; — 3 pantalons d'été de calicot, 3f75; — 3 chemises de calicot, 4f50; — 2 paires de bas ouatés, 3f00; — 1 chapeau de feutre, 1f30; — 1 chapeau de paille de roseau, 0f17; — 1 paire de souliers de calicot (même la semelle) pour l'hiver, 1f50; — 4 éventails de papier et de bambou, 0f24. — Total, 36f96.

3o Vieux vêtements. — On suppose que leur valeur balance la diminution à faire sur les prix précédents, qui sont ceux d'acquisition. — Valeur totale des vêtements d'un homme, 96f81.

Vêtements des femmes (3 femmes), selon le détail ci-dessous (218f24).

1o Vêtements d'une femme (pour les fêtes). — 1 robe de soie (ao) descendant jusqu'aux genoux, 7f50 — 1 gilet (pé-sin) porté sur la robe et de même longueur, 6f00; — 1 jupon de soie, 4f50; — 2 paires de souliers brodés, 5f00; — 1 bandeau de soie brodé, 1f00. — Total, 24f00.

2o Vêtements d'une femme (pour le travail). — 1 par-dessus ouaté, 4f00; — 1 par-dessus doublé, 2f50; — 1 jupon de coton, 1f75; — 1 gilet de calicot, 1f00: — 3 chemises de calicot, 4f50; — 3 pantalons, 3f75; — 1 bandeau pour la tête, 0f30 — 1 paire de soulier, 1f50; — 3 paire de bande de calicot pour envelopper les pieds, 0f90; — 2 paire de manchons pour envelopper les jambes (1 paire ouatée pour l'hiver, une paire doublée pour l'été), 2f00; — 6 éventails, 0f36; — Total, 22f5G.

3o Bijoux. — 1 épingle d'argent, 3f00; — 1 paire de boucles d'oreilles d'argent doré, 5f00. — Total, 8f00.

[100] Vieux vêtements (même remarque que ci-dessus). — Valeur des vêtements d'une femme, 54f56.

Vêtements des enfants (garçons ou filles), selon le détail ci-dessous (44f00).

Vêtements d'un enfant (garçon ou fille): 1 par-dessus ouaté, 2f50; — 1 par-dessus double, 1f25; — 2 pantalons, 1f00; — 2 chemises, 1f50; — 3 paires de bas, 1f05; — 3 paires de souliers, 1f50. — Total, 8f80.

Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 1,086f47

§ 11. — Récréations.

Les récréations sont très-peu nombreuses dans cette famille, adonnée continuellement au travail. Les hommes ne se reposent guère que vingt-huit jours dans l'année; ils ne connaissent pas de dimanche, car l'institution de la semaine n'existe pas en Chine. Leur rude labeur n'a pas seulement pour but de subvenir péniblement aux besoins de la vie, mais de ramasser les sommes nécessaires aux f̂tes de l'année. C'est pour ces cérémonies qu'ils travaillent et qu'ils s'imposent des privations. Ces fêtes ont le caractère religieux et se rattachent aux pratiques du culte, à l'adoration des astres. Elles ont lieu au renouvellement de l'année et aux quatre saisons.

En outre de ces solennités publiques, il y a des réjouissances domestiques à l'anniversaire des naissances et des sacrifices privés à l'anniversaire des morts. Enfin tous les dix ans, dès qu'un membre de la famille a atteint sa cinquantième année, les parents, même les parents éloignés, viennent lui rendre hommage et le féliciter sur sa longévité.

La vie commune doit avoir ses jouissances, assez difficiles néanmoins à apprécier; car il parait régner peu d'expansion au foyer domestique; la sévérité tempère la tendresse. Les relations de voisinage sont aussi très-restreintes. Ce n'est guère que pendant les soirées d'été que les divers membres de la famille se réunissent en plein air avec d'autres habitants du village. Selon la coutume, les femmes causent d'un côté et les hommes de l'autre.

Les hommes s abstiennent de l'usage des spiritueux. Ce n'est qu'aux jours de fêtes qu'on boit de la bière de riz. Le frère aîné, Vi-jun, ne fait pas usage de tabac, et l'interdit absolument à ses enfants. Ses frères fument dans des pipes construites sur le principe du narguilé. Ces pipes sont de cuivre; elles se composent d'un réservoir en forme de tronc de cône dont la petite base est [101] surmontée d'un cylindre horizontal, s'amincissant à une de ses extrémités de manière à former un tube qui s'élève en se recourbant, et dont la longueur est de 0m30 environ. Le réservoir tronconique et la moitié du réservoir cylindrique sont remplis d'eau. Ces deux réservoirs sont traversés verticalement par un cylindre de cuivre de 0m01 à peu près de diamètre. Ce cylindre, ouvert aux deux bouts, porte, à 0m01 environ de son orifice supérieur, une plaque percée de trous. C'est au- dessus de cette plaque qu'on place un volume de tabac, inférieur à un centimètre cube, qu'une ou deux aspirations consument, et qu'il faut jeter et renouveler à chaque instant, ce qui occasionne une perte de temps énorme, quand on fume sur les travaux. L'air aspiré par le tube traverse le tabac incandescent, et la fumée arrive dans la bouche après s'être lavée dans l'eau des réservoirs.

Les femmes paraissent tenir, comme toutes les Orientales, aux bijoux et à la toilette. Elles mettent du fard sur leurs joues et sur leurs lèvres, et se noircissent les sourcils et les cils.

IV. Histoire de la famille

§ 12. — Phases principales de l'existence.

Élevés avec sévérité mais avec sollicitude, les enfants vivent en liberté dans les conditions les plus favorables au développement de leurs forces physiques, de leur intelligence et de leur cœur. Depuis sept ans jusqu'à douze, ils fréquentent l'école où ils reçoivent une éducation religieuse d'après la doctrine de Confucius. De douze à treize ans ils apprennent un état ou commencent à se livrer aux travaux de l'agriculture. Les mariages ont lieu de bonne heure et sont en général très-féconds.

L'histoire de la famille signale dans les travaux des hommes une très-grande instabilité, qui prouve bien que la culture du sol donne lieu à un labeur aussi rude que peu lucratif. Un seul des trois frères, Vi-meu est constamment resté aux champs. Vi-tchou est actuellement à Ning-pô, où il sert comme commissionnaire dans un chantier de bois. Quant à Vi-jun, il a quitté la campagne en 1835, et il a demeuré pendant six ans à la ville dans une maison de commerce où il était employé comme garçon. Il l'a quittée en 1841 lorsque ses patrons ont dû cesser leurs affaires par suite de l'occupation [102] de Ting-haï et de Ning-pô par les troupes anglaises. Il est alors retourné à Ouang-fou prendre la direction du bien patri pation de Ting-hai et de Ning-pô par les troupes anglaises. Il est alors monial.

Ce régime d'émigration temporaire des communautés de paysans chinois offre beaucoup d'analogie avec celui des communautés de la Russie centrale [les Ouv. europ. III ()].

§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.

L'avenir de la famille est fort mal assuré. Les difficultés de la vie, fort grandes sur ce sol très-occupé, exigent de la part des cultivateurs une sobriété très-grande unie à un rude travail; cependant la communauté décrite, comme toutes celles de la localité, ne réalise aucune épargne. Ce fait, complètement contradictoire avec ce qui a lieu en Europe, paraît assez général et a été vérifié par Tching-yong dans plusieurs provinces voisines de Tché-kian. À Ouang-fou, comme dans l'Inde, on travaille pour les fêtes; on dépense aux réjouissances du premier jour de l'an la majeure partie des sommes accumulées. Quand on obtient de bonnes récoltes, et qu'il se fait une certaine épargne, elle est dissipée dans les années suivantes. On n'économise guère que pour marier ses enfants, et on s'y prépare quelquefois dix ou douze ans d'avance. La communauté décrite a dû emprunter à l'époque du mariage des frères et de la mort du père (1810). Ces emprunts se font dans le village au taux de 2 pour 100 l'an, bien que le taux légal en Chine soit de 3 pour 100 par lune et de 30 pour 100 par année. Un mariage chez les cultivateurs de Ouang-fou coûte environ 400f, et un enterrement 200f. Quand l'épargne se produit exceptionnellement chez les familles plus aisées et moins nombreuses, elle est toujours appliquée à des acquisitions de terres, conformément à l'usage des paysans européens.

L'absence de prévoyance, combinée avec l'appauvrissement qui résulte sans cesse du partage des patrimoines rend fort précaire l'existence des familles. L'avenir des parents n'a, en effet, qu'une seule garantie. C'est le respect pour l'autorité paternelle et pour la vieillesse qui fait regarder aux enfants comme un devoir inviolable de nourrir leur père et leur mère. Ceux-ci mangent en général trois jours chez un de leurs fils, trois jours chez un autre. Ce devoir est si bien compris qu'à des distances quelquefois très-considérables de leur lieu natal, les enfants envoient de l'argent à leurs parents âgés ou infirmes. [103] Les vieillards ne peuvent compter à Ouang-fou sur aucun secours étranger. Ce n'est qu'a Ning-pô qu'il y a des hospices pour abriter la vieillesse, des sociétés de bières (koug-tso) pour faire ensevelir les gens morts sans ressources, des distributions de riz, d'argent, de vêtements, etc., par la charité privée. Malgré ces institutions et les aumônes, la Chine est infestée d'une quantité de mendiants telle qu'il n'existe, dit-on, rien de semblable en aucun autre pays du monde.

Budget des recettes de l'année

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Budget des dépenses de l'année

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Comptes annexés aux budgets

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Notes

Faits importants d'organisation sociale; particularités remarquables; appréciations générales; conclusions.

(A) Sur le respect des chinois pour l'autorité paternelle.

[116] Ce qui frappe surtout à l'aspect de la civilisation chinoise, ce qui semble la caractériser, c'est la prépondérance de l'autorité paternelle. Cette autorité est en effet le lien principal de la famille, la base fondamentale du gouvernement et des lois, le principe essentiel de la religion. Elle conserve l'harmonie domestique, elle entretient la soumission envers les supériorités sociales, elle consacre le souvenir des ancêtres et le respect des traditions.

La piété filiale est en Chine ce qu'était en Grèce l'amour de la liberté, a Rome l'amour de la patrie, au moyen âge le sentiment religieux. La présente monographie en a déjà signalé quelques traits frappants (§ 3). Des études directes faites sur les lieux mêmes, permettraient seules d'approfondir cette question comme bien d'autres qui seront traitées dans ces notes. À défaut de ces études, et bien qu'entreprise dans les circonstances les plus défavorables, cette enquête indirecte fournit encore d'utiles renseignements. Les faits signales par Tching-yong (§ 2) ont été d'ailleurs vérifiés auprès de quelques personnes qui ont habité la Chine; ils sont en outre confirmés par les récits que nous ont laissés les infatigables missionnaires du xviiie siècle, par les codes et par les livres chinois, ainsi que par les monuments nombreux qui couvrent le Céleste-Empire. Ces récits et ces livres, ces tours et ces autels, manifestent souvent, il est vrai, un état de choses tombé en désuétude à l'époque que l'on considère. Malgré le culte qu'elle accorde au passé, la Chine paraît être dans un état réel de décomposition. Les principes d'ordre sur lesquels elle repose depuis tant de siècles soient souvent aussi oubliés que les articles de ses codes. Ses édifices rappellent aussi des sentiments et des idées qui s'affaiblissent de jour en jour. Cependant, s'il est un régime qui ait résisté plus que tout autre à une graduelle décadence, c'est sans aucun doute le régime patriarcal, qui a stéréotypé son caractère dans la famille comme dans la société, dans le gouvernement domestique comme dans l'État. Il est donc intéressant de faire connaître la piété filiale des Chinois [117] dans ses prescriptions traditionnelles aussi bien que dans ses manifestations de tous les jours: de rechercher l'origine des faits révélés par cette monographie et de les revêtir de cette forme antique qu'on rencontre dans les livres sacrés.

« Un fils a reçu la vie de son père et de sa mère, dit Khoung-tseu (Confucius) à son disciple Tsen-tseu5. Ce lien qui l'unit à eux est au-dessus de tout lien, et les droits qu'ils ont sur lui sont nécessairement au-dessus de tout. Un fils est la chair de la chair et les os des os de ses parents, selon l'expression du Li-ki6. Aussi, ne pas aimer ses parents et prétendre aimer les hommes, c'est contredire l'idée de la vertu; ne pas honorer ses parents et prétendre honorer les hommes, c'est démentir la notion du devoir. » Ces sentiments si noblement et si énergiquement exprimés par le premier sage de l'Orient, se trouvent retracés dans les livres nombreux que les Chinois ont écrits sur la piété filiale, et qui suffiraient à eux seuls pour former une bibliothèque. Le Hiao-king et le Li-ki font partie des ouvrages classiques, dont la connaissance approfondie est la base de toute instruction. Le respect de l'autorité paternelle est encore consacré dans le Taï-thsing-hoeï-tien7; il est réglé par le Taï-thsing-liu-li8; il est célébré enfin dans le Hiao-kin-yen-y9 [118] et dans le Cheng-hiun10 de l'empereur Kang-hi, dans les placets de Ssé-ma-kouang11, dans les poésies et dans les maximes des littérateurs et des philosophes chinois.

Les mœurs et les lois s'accordent également pour reconnaître la puissance paternelle. lors des droits de vie et de mort, cette puissance ne rencontre pas de limites. Un père peut engager et vendre son fils, c est-à-dire transférer à un autre son autorité sur lui: la raison, dit la loi, c'est qu'un fils peut s'engager et se vendre lui-même, et qu'il ne peut pas être supposé ni avoir plus de droits sur lui-même que son père, à qui il se doit tout entier, comme à l'auteur de son existence et de sa conservation, ni avoir jamais une volonté différente de celle de son père. Cette vente est un fait asse rare; elle a été modérée par l'usage ainsi que par les ordonnances des empereurs. Elle n'a encore lieu quelquefois que dans les familles pauvres des villes, où les parents, afin d'améliorer leur position, consentent à céder un de leurs enfants à une personne aisée. Cet esclavage, qui ne doit pas être confondu avec l'esclavage antique ou moderne des contrées occidentales, consiste dans un simple transfert de l'autorité paternelle et de la responsabilité qui en résulte. Bien que faisant partie des personnes viles (tsien) comme les acteurs et les courtisanes, et étant comme tels privés des droits civiques dont jouissent les personnes honorables (liang), les esclaves (nou) sont considérés comme des membres de la famille et protégés par la loi.

La puissance paternelle ainsi que les droits et les devoirs qu'elle entraîne ne sont jamais modifiés par la différence des conditions sociales. Un père est toujours père à l'égard de son fils, de quelque dignité que celui-ci soit revêtu. « Le père d'un gouverneur de province ne fût-il qu'un simple paysan, dit le Tai-thsing-liu-li, si M. le gouverneur, marchant dans la ville avec ses gardes et tout son cortège, rencontre son père et veut continuer son chemin, au lieu de descendre de la chaise par respect et de saluer son père humblement, le simple paysan a droit d'aller à lui, de le tirer par le bras et de lui donner des soufflets comme à un insolent. »

Ainsi un père peut battre son fils. De plus, si en frappant pour cause de désobéissance un de leurs enfants ou petits-enfants, ils viennent à le tuer, les parents ne sont passibles d'aucune peine [119] ils l'ont châtié d'une manière légale et ordinaire; ils sont condamnés à cent coups de bambou, s'ils l'ont châtie d'une façon inusitée et trop sévère; ils ne sont punis que de soixante coups et d'une année de bannissement, s'ils ont eu l'intention de lui ôter la vie12.

La loi s'arme au contraire de toute sa sévérité à l'égard des enfants coupables d'avoir porté la main sur leurs parents ou d'avoir attenté à leurs jours. Ce crime est si énorme en Chine, qu'il effraye l'imagination et qu'il est l'occasion d'un deuil public.

« Toute personne qui frappera son père, sa mère, ses grand'père ou grand'mère paternels, et toute femme qui frappera le père, la mère, les grand-père ou grand'mère paternels de son mari, subiront la mort par décollement.

« Toute personne qui tuera un de ces-dits proches parents subira la mort par une exécution lente et douloureuse.

« Toute personne qui tuera par pur accident les mêmes proches parents sera punie de cent coups et du bannissement perpétuel à la distance de 1,300 kilomètres de son domicile13. »

« À côté du livre des peines s'ouvre pour les enfants le livre des devoirs. La piété filiale est enseignée dans toutes les écoles publiques de l'empire; c'est même ce qu'on y enseigne d'abord et avec le plus de soin.

« Un fils bien né honore ses parents sans faire attention à leurs mauvaises qualités, cache avec soin leurs défauts et leur laisse ignorer à eux-mêmes sa sensibilité à leurs mauvais traitements. Il se tient sans cesse auprès d'eux pour les servir lui-même, pourvoir avec empressement à tous leurs besoins dans quelque situation qu'ils se trouvent, et ne se relâcher jamais de ses soins pendant toute leur vie.

« Quelque tendresse et affection qu'ait un fils pour son épouse, il doit la renvoyer si elle déplaît à son père et à sa mère. Quand au contraire il n'a que de la froideur et de l'indifférence pour elle, si son père et sa mère lui disent: « Votre épouse nous sert bien, nous en sommes contents », il doit la traiter comme une épouse chérie et la garder jusqu'à la mort.

« Un fils porte le deuil de ses parents pendant trois ans; mais après ce temps, il conserve toujours un tendre souvenir pour eux. S'il est vertueux, il les regrette toute sa vie et ne se permet ni joie ni amusement le jour anniversaire de leur mort.

« C'est une grande preuve de piété filiale dans un fils de n'oser [120] rien changer pendant trois ans à tout ce qu'avait fait ou réglé son

« Dans l'antiquité, quand l'empereur était mort, le prince héritier ne se mêlait pas du gouvernement pendant les trois années de deuil, et en laissait le soin à son ministre14.

« Tous les mandarins d'armes et de lettres chinois se démettent de leur emploi à la mort de leur père ou de leur mère, et observent rigoureusement la loi du deuil de trois ans. Cacher, différer d'annoncer ces morts est un crime punissable. Ces mandarins ont droit de demander à se retirer pour aller servir leurs parents, lorsque ceux-ci ont passé soixante-dix ans, et on ne peut pas le leur refuser. Quand ils sont en voyage, à moins d'un ordre exprès de se presser, ils ont droi de se détourner de dix jours pour aller à la sépulture de leur famille.

« On a dérogé à la loi du deuil de trois ans pour les mandarins tartares et on l'a réduit à cent jours. Les Tartares ne sont pas en assez grand nombre pour pouvoir la garder15. »

Devant des étrangers, un fils ne s'assied jamais en présence de son père ou de sa mère. « Le père. le fils, le frère, l'oncle ou le petit-fils ne peuvent pas faire partie d'un même tribunal. Cette défense a lieu dans les provinces pour quatre degrés de parenté ou affinité. soit directe, soit indirecte ou collatérale. Aux raisons de politique de ce relement, il faut ajouter celles de la piété filiale; la convenance (li) ne permettant pas aux fils, aux neveux, etc, de contredire un père un oncle, ni même de s'asseoir en leur présence, surtout au même rang.

Ainsi le respect pour l'autorité paternelle s'étend à tous les ascendants, à tous les parents plus âgés. « Un fils qui va avec son père reste un pas derrière lui et ne fait que le suivre; un cadet a la même attention pour son aîné16. Un oncle va chez son neveu, un aîné chez son cadet, lui donne des soufflets, lorsqu'il s'est mal comporté, et même des coups de bâton. sans que celui-ci ait droit de faire autre chose que de se prosterner pour demander pardon17. »

Enfin l'âge est, en Chine, l'objet d'une vénération qu'on ne retrouve nulle part avec la même intensité. « Honorez comme votre père celui qui a le double de votre âge, dit le Li-ki, et comme votre frère aîné celui qui a dix ans de plus que vous. » Dans leur politesse si cérémonieuse, si raffinée, les Chinois ont encore exagéré ces rites. Ils ne se contentent pas de donner le titre de lao-yé [121] (vénérable père) à une personne qu'ils traitent avec considération; ils l'emploient souvent avec une personne moins âgée qu'eux de moitié.

Le fils doit illustrer son nom et s'immortaliser afin que la gloire en rejaillisse sur ses parents. À l'inverse de ce qui se passe chez nous, les ascendants sont anoblis en raison des vertus et des exploits de leur postérité. À la sollicitation de son premier ministre, fils de Chouane-tsée, le prince tributaire de Oueï rendit le décret suivant: « Une famine ravageait le royaume de Oueï et ton père a donné du riz à ceux qui en manquaient: quelle bienfaisance! Le royaume de Oueï était au bord de l'abîme, et ton père, au péril de ses jours, l'a empêché d'y tomber: quelle fidélité! L'administration du royaume fut confiée à ton père; il fit de bons, d'excellents règlements; il maintint la paix et la bonne intelligence avec les états voisins, en même temps qu'il soutint les droits de ma couronne: quelle sagesse! Aussi je lui accorde un titre de noblesse, et une ce titre soit le bienfaisant, le fidèle et le sage (Tchie-Ouene-Oueï). » Or. quel était l'auteur de toutes ces grandes choses Le ministre même auquel le décret impérial était adressé; c'est lui qui s'était montré bienfaisant, fidèle et sage. L'honneur en remontait à son père, comme en Europe il eût passé a ses descendants. « C'est que, dit le Li-ki, on se persuade facilement que le père et la mère d'un fils vertueux ont été vertueux eux-mêmes. »

Ainsi la puissance paternelle n'expire pas au seuil du foyer domestique; elle s'étend encore dans la vie civile. Un fils est toujours mineur tant que son père est vivant, soit pour sa personne, soit pour ses biens. Ses parents règlent son mariage sans le consulter. et toute union qu'il contracterait sans leur consentement serait nulle, quel que fût son âge. Le père peut dissiper les biens que son fils a acquis, et, s'il fait des dettes, à moins que ce soit au jeu, son fils en est caution nécessaire et doit les acquitter18. Les enfants, tant que le père existe. ne peuvent point acquérir un immeuble sans son autorisation; toute acquisition faite par le fils est nulle, si le contrat n'est point revêtu de la signature du père19.

À côté de cette puissance paternelle dont on vient de marquer les principaux traits, existe une immense responsabilité. Tout chef de famille répond de la conduite de ses enfants; il répond même de ses domestiques. Le père est puni pour la faute que sa fille a commise, pour les torts qu'a eus son esclave et qu'il aurait dû prévenir.

[122] Ce même principe se retrouve dans les fonctions publiques et est caractéristique du gouvernement chinois. « Chaque ville est divisée en arrondissements de 10 et de 100 maisons, où, pour employer la désignation chinoise, dix maisons font un kia, et dix kia font un pao ou une centaine. Le magistrat répond pour tout son district; le chef de cent maisons et celui de dix sont responsables chacun de ce qui se passe dans sa circonscription20. » On a vu pour un parricide commis dans une province tous les mandarins destitués. « Tin-Kou, prince de Tchou, s'imposa lui-même un châtiment pour n'avoir pas prévu un parricide commis dans ses états; il 'abstint de vin pendant une lune entière21. »

C'est que l'autorité paternelle est la base du gouvernement chinois; elle en est le trait fondamental. L'empereur a comme le père de famille un pouvoir absolu sur tous ses sujets; mais il a aussi toute la responsabilité de ce dernier. Les philosophes chinois anciens et modernes, tout en reconnaissant au souverain les droits du père de famille, n'ont jamais manqué de lui en rappeler les devoirs, a tel point qu'ils le rendent responsable de la misère des populations et même des calamités publiques. Le plus grand éloge que les écrivains croient faire du prince qui les gouverne, c'est de dire qu'il est le père et la mère du peuple. « Les petits esprits, dit Ouang-Oueu, s'extasient en lisant les noms pompeux et sonores qu'on a donnés à quelques empereurs ou qu'ils ont pris eux-mêmes, et les sages disent tout bas: ces grands surnoms tous réunis ne donnent pas une si grande idée d'un empereur que les deux mots si simples, si naïfs et si vulgaires de père et mère des peuples, dont la bonne antiquité fit un surnom aux bons princes qui aimaient leurs sujets comme leurs enfants et réussirent à les rendre heureux en les rendant meilleurs22. »

Dans la préface au livre Hiao-king-yen-i, l'empereur Kang-hi s'exprime en ces termes: « Plus j'ai réfléchi sur les principes qui avaient déterminé les empereurs de l'antiquité à gouverner l'univers par la piété filiale, plus j'ai compris que c'était pour rapprocher le gouvernement de sa première origine et s'attacher à ce qui en est l'essence. La piété filiale est le germe et le terme de toutes les vertus. Le Chou-King23dit: Méditez la piété filiale pour soutenir la gloire de vos ancêtres, et le Chi-King24: Les pensées de la piété filiale sont lumière. La loi du Tien (ciel), et la raison de l'homme [123] déposent pour elle et n'ont jamais varié depuis la première antiquité; chacun doit la pratiquer. C'est pour en consacrer les devoirs que l'empereur monte sur le trône, et personne dans l'univers n'en pore l'observation aussi loin que lui. Du seuil de la porte de l'impératrice mère, où il vient s'assurer de ce qu'on doit servir sur sa table, ses soins s'élèvent par degrés jusqu'aux cérémonies solennelles qu'il fait à ses augustes ancêtres au pied des autels du Chang-Ti. Tout est lumière dans ce grand exemple; l'imitation des grands en réfléchit au loin les rayons; les dix mille peuples entrent dans la voie qu'ils leur montrent, et les quatre mers retentissent des vérités qu'ils leur portent. »

Enfin le respect pour l'autorité paternelle apparaît encore dans la religion. Impérissable témoin de la vie patriarcale, que l'on rencontre au début de toutes les civilisations antiques, l'adoration des ancêtres caractérise en Chine le culte privé et occupe une place essentielle dans le culte public. « La salle des ancêtres, dit le Li-ki, est le premier bâtiment qu'on élève quand on bâtit un palais, les vases des cérémonies funèbres sont les premiers qu'on achète; quelque pauvre qu'on soit, on ne vend point les vases des cérémonies, on ne coupe point les arbres des sépultures. » On a retrouvé cette salle des ancêtres dans une humble habitation de paysans d'Ouang-fou. À Pé-king, dans la ville rouge interdite (Tseu-kin-tching), s'élève le Taï-miao, grand temple, couvert de tuiles jaunes, dédié aux ancêtres de la famille régnante. À la fin de l'année et aux quatre saisons, les deux plus âgés d'entre les princes, en accompagnant ceux de la maison impériale, offrent dans ce temple le sacrifice prescrit devant les tablettes sacrées des ancêtres des empereurs et des impératrices, c'est-à-dire au père, à l'aïeul et au bisaïeul de l'empereur régnant.

Telle est la piété filiale qui, dans le royaume du Milieu, est la vertu par excellence de tous les rangs et de tous les états, de tous les sexes et de tus les âges. Autant et plus qu'aucun de ses sujets l'empereur doit la pratiquer. Rien ne prouve mieux l'importance qu'on lui attribue que le cérémonial avec lequel au premier jour de l'an le Fils du Ciel va saluer sa mère.

Au moment où le soleil commence à paraître sur l'horizon, tous les mandarins de tous les tribunaux (ministères) étant en grands habits de cérémonie, et rangés selon leur rang dans la cour extérieure qui est entre la salle du tr̂ne et la porte intérieure du palais. les princes de tous les ordres et comtes de la famille impériale étant aussi en grands habits de cérémonie et rangés selon leur rang dans la cour de l'intérieur du palais, l'empereur sort de son appartement, porté dans sa chaise de cérémonie pour aller chez [124] sa mère. Comme le palais de l'impératrice est dans l'enceinte du palais et n'est séparé que par quelques cours de celui de l'empereur, ceux qui portent les insignia de l'empire, c'est-à-dire les masses, piques, drapeaux, étendards, etc., ont à peine fait quelques pas. Quoiqu'ils se touchent presque les uns les autres, qu'ils sont arrivés dans la première cour du palais de l'impératrice mère. où ils se rangent sur deux lignes; les mandarins se rangent de même dans la seconde cour, et les princes du sang et comtes de la famille impériale dans la troisième, qui est vis-à-vis de la salle du trône de l'impératrice mère. L'empereur descend de sa chaise dans le vestibule de cette cour et la traverse à pied. Ce n'est pas par l'escalier du milieu, c'est par celui de l'orient que l'empereur monte sur la plate-forme qui est devant la salle du trône de l'impératrice. Dès qu'il est arrivé dans la galerie couverte qui en fait la façade, un mandarin du Li-pou (ministère des rites) se met à genoux et présente le placet de l'empereur pour prier Sa Majesté l'Impératrice de vouloir bien monter sur son trône pour recevoir ses humbles prosternations. L'eunuque mandarin, à qui on a remis le placet, le porte dans l'intérieur. L'impératrice mère sort en habit de cérémonie de son appartement, suivie de toute la cour, et monte sur son trône. L'eunuque mandarin en avertit le mandarin du Li-pou, qui est ordinairement le président, et celui-ci se met à genoux devant l'empereur et le prie de faire sa cérémonie filiale à sa très auguste mère. L'empereur s'avance sous la galerie vis-à-vis du trône de sa mère et se tient debout, les manches abattues et les bras pendants. Les princes qui sont au fond de la cour, et les mandarins qui sont dans la suivante en font autant; la musique de l'empereur et de l'impératrice jouent ensemble l'air Ping, qui est très-doux et très-tendre: un mandarin crie à haute voix: Mettez-vous à genoux, et dans l'instant l'empereur, les princes et tous les mandarins tombent a genoux. Un moment après, il crie: Prosternez-vous, et tout le monde se prosterne la face contre terre; il crie: Redressez-vous, et tout le monde se redresse; après trois prosternations, il crie: Relevez-vous, l'empereur, les princes et tous les mandarins se remettent debout dans la posture où ils étaient d'abord; puis, tombant à genoux, font trois prosternations nouvelles, se relèvent encore, retombent à genoux et en font trois autres, se prosternent et se redressent au cri du mandarin, maître des cérémonies. Les neuf prosternations faites, le mandarin du Li-pou se met à genoux et présente un second placet de l'empereur pour inviter l'impératrice mère à retourner dans son appartement. Le placet est porté dans l'intérieur de la salle, et la musique qui accompagne l'impératrice annonce son départ; la musique de [125] l'empereur lui répond, et le mandarin du Li-pou vient se prosterner devant l'empereur pour lui annoncer que la cérémonie est finie, et l'inviter à s'en retourner dans son appartement. La musique de l'empereur joue une fanfare; Sa Majesté redescend par l'escalier de l'orient, retraverse la cour à pied et se met dans sa chaise dans le vestibule où elle en était descendue, et retourne dans son appartement dans le même ordre qu'elle était venue. Alors, la cloche de la grande cour cesse de sonner, car nous avons oublié de dire qu'on commence à la sonner dès que l'empereur sort de chez lui pour cette grande cérémonie. L'impératrice épouse, suivie de toutes les reines, princesses, comtesses de la famille impériale et de toutes les dames de la cour, vient faire aussi ses prosternations à l'impératrice mère et avec le même cérémonial25. »

Enfin, deux anecdotes montrent le respect que l'empereur lui-même témoigne à la vieillesse. Sous Kang-hi, second empereur de la dynastie actuelle, un officier d'un grade inférieur, âgé de plus de cent ans, s'étant présenté à l'audience, afin de rendre hommage au souverain, celui-ci se leva de son siège pour aller au-devant de lui, et l'engagea à rester debout, sans cérémonie, en lui disant que par là il voulait honorer sa vieillesse. Dans le palais de la Pureté-Céleste (Khian-thsing-koung), à Pé-king, dans la 50e année de son règne (1711), ce même empereur Kang-hi donna un festin solennel auquel furent invités tous les vieillards de soixante ans et plus, soit fonctionnaires, soit simples particuliers. L'empereur Kiang-loung donna aussi une fête semblable dans le même palais, en 1785; mais le nombre des conviés fut deux fois plus grand. Les nonagénaires furent admis à la table même de l'empereur, où ils mangèrent en se tenant debout. L'empereur leur parla avec bienveillance et leur fit des présents magnifiques.

(B) Sur les communautés et sur les coutumes successorales des villages du Ning-pô-fou.

L'autorité paternelle, dont on vient de voir la prépondérance en Chine, y est, comme partout ailleurs, la base du régime des communautés. La communauté chinoise d'Ouang-fou se rapproche [126] davantage de la communauté russe réunissant plusieurs ménages sous un même toit (Les Ouv. europ., III), que de celle du Lavedan (no 3) qui n'est, à proprement parler, qu'une famille nombreuse se perpétuant sur la même terre, grâce à d'excellentes mœurs et à la transmission intégrale des biens. En Chine, cette association domestique est essentiellement volontaire; aucune pression de la loi, aucune intervention administrative ne contribue à la maintenir. On la retrouve à la ville comme à la campagne; néanmoins elle parait exister surtout dans les familles les plus pauvres. Dans ce pays si peuplé, elle est motivée par ces raisons d'économie qui contribuent à la maintenir en Russie et qui la multiplièrent en France. à la dissolution du système féodal, quand le seigneur, pour conjurer les difficultés et l'incertitude que la vie isolée aurait rencontrées dans le principe, imposait aux familles de paysans, en leur concédant une portion de ses terres, l'obligation de vivre en communauté (Les Ouv. europ., p. 290). À ces motifs d'économie, il faut ajouter les intérêts d'une bonne direction. Dans le royaume du Milieu, plus qu'en Russie de nos jours, plus qu'en France au moyen âge, la supériorité des vieillards sur les jeunes gens est un fait incontestable; elle résulte du développement intellectuel du peuple chinois, dont l'activité est essentiellement pratique.

Ce régime des communautés qui, en général, ôte à la plupart des hommes avec la responsabilité personnelle tout mobile d'action, ne peut que nuire à l'initiative individuelle dans un pays comme la Chine, où tant d'autres causes contribuent à l'étouffer.

Les communautés chinoises se divisent quand elles deviennent trop nombreuses; celle qui a été décrite dans la présente monographie est à peu près, pour le nombre de ses membres, la limite ordinaire. Les dissensions qui éclatent entre les belles-sœurs hâtent quelquefois cette dissolution. Alors, si les parents sont morts, les fils se partagent également leurs biens. Les filles mariées ont déjà reçu une dot bien inférieure à la part d'héritage qui revient à chaque garçon; les autres sont nourries par leurs frères jusqu'à l'époque de leur mariage.

On peut se demander à ce sujet si en Chine, où l'autorité paternelle est armée de tant de droits, existe la liberté de tester. Le code pénal ne dit rien à cet égard. Prévoyant seulement le cas où, après la mort des parents, la famille, dont le fils aîné devient le chef, se dissout, il prescrit, sous des peines déterminées, l'égalité des partages entre les branches aînées et cadettes26.

[127] Voici d'ailleurs quelles sont les coutumes en vigueur dans les villages du ing-pô-ou, en matière de succession.

Le testament n'y est pas en usage, dans le cas où existent des héritiers mâles. À la mort du chef de famille, sa veuve devient propriétaire du bien. Le fils aîné en prend la direction matérielle et entre en possession de tous les droits de la paternité sur ses frères cadets. Ceux-ci lui doivent la même déférence, la même soumission et le même respect que s'il était leur père. La communauté peut alors se dissoudre, mais seulement du consentement de la veuve, qui va manger alternativement pendant trois jours chez chacun de ses enfants.

Quand tous les parents sont décédés et que le fils aîné ne peut maintenir la communauté, il se fait un partage égal de tous les biens mobiliers et immobiliers. Cette égalité se conçoit assez bien dans les circonstances indiquées par la présente monographie, puisque les deux frères aînés font valoir de la même manière le bien paternel dont leur mère est en possession, et que le plus jeune apporte dans la communauté le salaire qu'il touche tous les mois.

Dans le cas où il y a une seconde femme, ses fils ont une part dans l'héritage paternel. Si elle ne se remarie pas, elle reste avec eux dans la communauté. Si elle n'a pas d'enfants mâles, son mari lui fait quelquefois certains avantages par testament; dans le cas contraire, elle continue à vivre dans la famille sous la prépondérance de la femme principale.

Quand un homme n'a que des filles, il adopte habituellement un fils aimé (hê-tseu), auquel il laisse par testament une portion de son bien. L'adoption joue un grand rôle en Chine. n père attache la plus grande importance à avoir un fils; il est atteint d'un véritable désespoir quand il est privé de cette consolation. Il se croit déshonoré; sa famille est éteinte; personne n'héritera de son nom; ses filles le perdront, en passant dans la famille de leur mari; on ne fera point en son honneur les cérémonies que les rites prescrivent; « on ne brûlera point des parfums; on ne lui offrira pas des mets; on n'arrangera pas ses habits; on ne tiendra pas sa place vacante au milieu de sa famille, comme cela est recommandé dans le Tchong-yong; on ne remuera pas la terre sur sa sépulture: on ne cultivera pas les arbres qui y seraient plantés; au jour anniversaire de sa mort, on ne viendra pas pleurer et se lamenter sur son tombeau27. »

Le droit d'adoption est en Chine limité par la loi. Un père ne [128] peut l'exercer en dehors de sa famille, s'il a des neveux ou des cousins.

« Un homme qui n'aura point d'enfants mâles se choisira un héritier parmi ceux qui porteront le même nom que lui, et qui seront connus pour descendants des mêmes ancêtres, en commençant premièrement par les enfants de son père; secondement parmi ses parents au premier degré; troisièmement, parmi ceux du second degré; quatrièmement, parmi ceux du troisième degré; et cinquièmement, parmi ceux du quatrième degré; à défaut de ceux-ci, il aura la liberté de choisir qui il voudra parmi ceux qui auront le même nom que lui. Si ensuite il vient à lui naître un ils, ce fils et l'héritier nommé partageront également dans les biens de famille28. »

L'égalité des partages, dont l'existence vient d'être signalée dans le Ningpo-lou, ne peut porter aucune atteinte à l'autorité paternelle dans un pays ou cette autorité est si bien réglée par la religion, et ou d'ailleurs un père a le droit de battre et de vendre son fils. Elle nuit cependant à l'harmonie domestique, et Tching-yong affirme que des dissensions très-fréquentes éclatent entre les frères, quand ils se divisent l'héritage paternel, bien que cette division se fasse sous la présidence de leur oncle le plus âgé.

Mais les résultats du partage sont désastreux pour la propriété, et c'est là un fait incontestable. Dans les villages du Ning-pô-fou, le morcellement des biens ruraux est poussé à l'extrême. Ordinairement l'étendue des parcelles n'excède pas 18 à 24 ares. Il arrive quelquefois que les enfants afferment le bien à un étranger ou a l'un d'entre eux et se partagent la rente. Mais le plus souvent chacun prend sa part en nature, et, de peur d'être lésé, on va jusqu'à diviser six ares de terrain en trois parties égales. Un tel régime ne peut que contribuer à augmenter la misère dans un pays si peuplé, où la difficulté de vivre est si grande. De plus, outre des causes plus puissantes, il tend à empêcher l'émigration dans les seules conditions où elle pourrait utilement s'accomplir.

(C) Sur les cérémonies du mariage dans le Ning-pô-fou.

Le mariage est toujours déterminé par les parents. Le père et la mère, et, à leur défaut, les aïeuls et aïeules, ou enfin les plus [129] proches parents du côté paternel et ensuite ceux du côté maternel jouissent d'une autorité absolue pour régler les mariages des enfants. lien n'est plus ordinaire pour les Chinois que d'arrêter les articles d'un mariage, longtemps avant que les parties soient en âge de le contracter. Souvent même deux amis se promettent avec solennité d'unir les enfants qui naîtront d'eux, s]ils sont d'un sexe différent. La chose la plus essentielle dans une alliance est que les deux parties contractantes soient égales en rang et en situation, ou, comme disent les Chinois, que les portes (men) correspondent.

Le mariage est précédé d'une négociation appelée ping, laquelle est conduite par des amis ou bien par des agents et des entremetteuse choisis par les parents. Du côté de la jeune fille, l'intermédiaire est une femme; c'est un homme du côté du jeune homme. C'est alors qu'on invoque le secours de l'astrologie, et que des diseuses de bonne aventure (ché-ming) tirent d'après les huit caractères (pâ-tseu) les horoscopes des futurs époux. Il y a deux caractères pour l'année, deux pour le mois, deux pour le jour, et deux pour l'heure de la naissance. On cherche des présages divers dans la combinaison de ces caractères, et le premier soin des parents qui veulent marier leurs enfants est d'échanger leurs huit caractères et de les comparer pour voir si, d'après les règles de l'astrologie, ils annoncent une parfaite compatibilité d'humeurs et de destinées. Ces formalités remplies et les conditions du mariage arrêtées, une convention signée est échangée entre les pères.

C'est à ce contrat que commencent les fiançailles (hoen-tiâ) qui précèdent ordinairement le mariage d'un ou deux ans. ln ratification de l'union, le futur époux envoie des présents à sa fiancée. C'est alors que les parents de la jeune fille fixent le jour de la célébration du mariage. Pour choisir un jour heureux, on consulte le calendrier, qui joue un si grand rôle dans un pays où le culte véritable a toujours été l'adoration des astres. Cette détermination est d'une importance telle que, pour attendre un jour favorable, on remet quelquefois la cérémonie à plusieurs mois. On considère le printemps comme l'époque la plus fortunée pour le mariage, et l'on préfère surtout la première lune de l'année chinoise (lévrier). Ces précautions minutieuses pour mettre les événements de la vie privée en harmonie avec les phénomènes astronomiques se retrouvent, à toutes les époques de l'histoire, chez les peuples dont les croyances sont fétichistes. Dans Iphigénie en Aulide, une des tragédies d'Euripide, on en trouve un exemple remarquable. Clytenesre dit à son époux: Quel jour notre enfant se mariera-t-elle? Celui-ci répond: Lorsque le disque d'une lune heureuse apparaîtra.

[130] Les parents de la jeune fille font connaître a ceux du jeune homme le jour qu'ils ont choisi, et alors commence la deuxième cérémonie (rô-ping). le futur époux envoie à sa fiancée des cadeaux de noce. Dans les classes aisées, ces cadeaux consistent en soieries, en étoffes diverses, en bijoux tels que aiguilles de tête et bracelets; il y a aussi une certaine somme d'argent pour montrer que le mari achète sa femme. Chez les cultivateurs on ne donne pas de corbeille, mais une somme de 100 à 200 francs, suivant la fortune que l'on possède. La jeune fille n'apporte jamais d'argent à son mari. Dans les familles de paysans, sa dot consiste en vêtements pour les quatre saisons, en articles de toilette, en ustensiles de ménage, etc. Dans les familles riches, la tille reçoit en cadeaux des terres, des bœufs, des instruments de culture, des bateaux, des femmes de chambre, des malles remplies de vêtements, de linge, de fourrures, et tout ce qui est nécessaire dans une maison, sauf le mobilier que le mari apporte toujours. Les familles célèbrent par des dîners cette seconde cérémonie du rô-ping, ais chacune de son côté et sans se réunir entre elles.

Entre le rô-ping et le hô-tsing (mariage), les deux familles se livrent aux préparatifs du mariage. Tandis que chez la jeune fille on confectionne le trousseau, on prépare à la maison du jeune homme la chaise de bois sculpté, garnie de soie rouge parfumée, qui doit transporter la mariée. On prépare également les tentures, les tableaux et les fleurs qui doivent orner les appartements. Dans les classes pauvres, et même dans les familles aisées, on se procure tous ces objets par location.

Arrive enfin la troisième cérémonie, celle du mariage. La veille, la jeune fille rase ses cheveux comme les femmes mariées, de manière à donner au front une forme carrée. Dans la famille du jeune homme on offre des sacrifices au Chang-ti (Ciel). Le jour des noces la fiancée reçoit de ses parents et de ses amies des cadeaux qui consistent principalement en objets de toilette. Les parents du jeune homme lui envoient des gâteaux, du vin, des volailles et des viandes, des oies vivantes, comme emblème de la concorde qui doit régner dans un ménage; ses amis lui donnent de l'argent.

Lorsque l'heure solennelle est arrivée, le jeune homme envoie la chaise à sa fiancée. ne troupe de musiciens l'accompagne ainsi qu'un cortège de parents et d'amis portant des lanternes et des parfums. La fiancée, tout habillée de rouge, entourée d'un long voile qui descend jusqu'à terre, le front orné de joyaux et de fleurs, est transportée à bras dans la chaise, dont les rideaux sont fermés. Tout ce qui lui appartient et les divers effets qui composent son [131] trousseau sont portés autour d'elle par différentes personnes des deux sexes. Les musiciens la précèdent, la famille la suit avec des torches et des lanternes, bien que la cérémonie, qui se fait la nuit dans certaines provinces (ainsi le Kiang-nan), ait lieu pendant le jour dans le Tché-kiang. Quand la chaise entre sous la porte de la maison du mari, des pétards éclatent de tous côtés: les tung-lo (gongs), les siaou-po (cimbales), les hiang-tih (clarinettes), les ye-yin (violons), les pe-pa (guitares), les hien-kin (tympanons), les sang et les chung (cornemuses et harpes), retentissent avec une nouvelle énergie.

La chaise est portée au milieu de la salle des cérémonies où attend le fiancé. Deux demoiselles d'honneur frappent à la porte avec le fléau d'une balance; des femmes l'ouvrent; la fiancée sort et on s'incline devant elle.

Les deux époux se rendent alors dans la salle des parfums devant la table des sacrifices. Sur cette table sont des fruits, du vin, des parfums, des chandelles, un cochon d'un côté, et une chèvre de l'autre. Les deux époux s'inclinent trois fois pour saluer le ciel, les ancêtres de la famille et l'assemblée. Précédés ensuite de deux garçons d'honneur qui portent des flambeaux, et suivis des invités, ils se rendent dans la chambre à coucher. C'est alors que les deux demoiselles d'honneur soulèvent le voile et que le fiancé voit sa femme pour la première fois.

Les deux époux montent sur un marche pied placé devant le lit; ils se saluent, on leur donne du vin de riz auquel on mêle quelques grains de nénuphar (qui signifie lien). Ils boivent en échangeant leurs tasses. On soulève les couvertures; le jeune homme s'en va et la jeune fille reste dans la chambre.

Après la cérémonie, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre se mettent à table pour un grand dîner. Les fiancés y assistent sans y prendre part; ils saluent de temps en temps l'assemblée, par exemple chaque fois qu'on apporte un plat nouveau, et toujours avec ce cérémonial que la politesse chinoise a raffiné pour les plus petites choses. Le soir un nouveau repas réunit les invités; mais le jeune homme seul est présent et y prend part: il mange, il boit, il joue jusqu'à minuit, heure à laquelle il va trouver sa fiancée. Les plaisanteries les plus graveleuses accompagnent toujours chez les Chinois ces sortes de réunions. Les réjouissances continuent pendant trois jours, mais seulement entre les parents. Pendant ces trois jours, la mariée ne sort pas de sa chambre, du moins à la campagne: car, à la ville, elle reste un mois sans en franchir le seuil. Ce n'est qu'au bout de ce mois que les époux et la famille du marié vont rendre visite [132] aux parents de la jeune femme, qui n'assistent jamais à la noce.

Telles sont les cérémonies qui accompagnent le mariage dans le Ning-pô-fou. Ces cérémonies sont purement civiles et on ne voit jamais intervenir de consécration religieuse ni chez les confucéens, ni chez les bouddhistes, ni chez les tao-sse. Le mariage est pour les Chinois l'acte essentiel de la vie. Telle est l'importance qu'ils y attachent que les familles les moins aisées ne reculent devant aucune des dépenses qu'il entraîne. On vend des terres, on emprunte de l'argent, on met ses effets au mont-de-piété pour le célébrer d'après les usages établis, pour subvenir aux frais qu'occasionnent les réjouissances à donner aux parents et aux amis.

(D) Sur le mariage et sur le rôle de la femme en Chine.

Il a été dit (§ 3) que la polygamie, quoique permise en Chine, n'y est pas cependant un fait général et qu'on ne la rencontre habituellement, surtout dans les campagnes, que dans deux conditions: absence de postérité mâle et possibilité de nourrir plusieurs femmes. À la ville, il arrive souvent qu'un mandarin, par exemple, dont la femme est arrivée à un certain âge, s'éprend de quelque jeune fille d'une classe inférieure et l'épouse. Cette polygamie ne doit pas être confondue toutefois avec celle des pays musulmans. Il n'y a pas de harem en Chine; il n'arrive jamais, comme en Turquie et en l'erse, qu'un grand seigneur, par le seul fait de sa position, soit tenu d'avoir plusieurs femmes. Ces lemmes d'ailleurs ne sont pas des concubines. Il est bien vrai que, tandis que la femme principale, est ordinairement choisie par les parents dans une famille égale à la leur, les femmes secondaires le sont par leur mari sans égard pour la parité des alliances; mais on les épouse toujours avec certaines cérémonies qui, pour être moins compliquées que celles du mariage, n'en sont pas moins parfaitement déterminées. En outre, les enfants, dont elles deviennent mères, ont un droit à la succession paternelle. Cependant la seconde femme est tenue à l'égard de la femme principale dans un état de complète subordination, qu'exprime bien l'écriture chinoise. Tandis que le caractère qui représente la femme est accompagné d'un second caractère, qui signifie pinceau, contrat, pour la femme légitime (thsi), il est pour [133] la femme secondaire (thsiéi), accompagné d'un caractère qui veut dire se tenir debout.

Le mariage est soumis en Chine à des lois restrictives assez nombreuses. Ainsi, un homme ne peut épouser une femme qui porte le même nom que lui. Un paysan d'Ouang-fou, dont tous les habitants appartiennent à la même famille, ne peut prendre femme que dans un autre village. Toute union est aussi défendue entre personnes parentes par alliance au 4e degré. Ces restrictions doivent faire naître quelques embarras dans une immense population, où il n'y a pas plus de 2,400 noms de famille (sing)29. Voici quel est le texte de la loi30:

Section 107. — Toutes les fois que des personnes portant le même nom de famille, se marieront ensemble, les époux et celui qui aura fait le mariage recevront chacun 60 coups de bambou; le mariage sera nul, l'homme et la femme seront séparés et les présents de noces confisqués au profit du gouvernement.

Section 108. — Toutes les unions contractées par des personnes déjà parentes au 4 degré par un autre mariage, et tous les mariages faits avec des sœurs, filles de la même mère, quoique nées de pères différents ou avec les belles-filles d'un premier mari, seront considérés comme incestueux et punis suivant la loi contre les liaisons criminelles entre parents.

Un homme n'épousera ni la bru de son père ou de sa mère, ni les filles de la tante de son père ou de sa mère, ni la sœur de son beau-frère ou de sa belle-sœur, ni la sœur de la femme de son petit-fils. sous peine de recevoir 100 coups pour ce délit.

Quiconque épousera ses oncles maternels ou la fille de la sœur de sa mère recevra 80 coups et alors, comme dans les cas ci-dessus, le mariage sera annulé, et les présents de noces seront confisqués au profit du gouvernement.

Section 109. — Quiconque se mariera à une des veuves de son père ou de son grand'père ou à ses tantes paternelles sera condamné à perdre la tête. Quiconque épousera la veuve de son frère subira la mort par strangulation.

Il y a encore d'autres circonstances pour lesquelles le mariage est interdit ou déclaré nul, s'il a eu lieu. Les voici:

« 1o Si une fille a été promise à un jeune homme, si les présents [134] ont été acceptés par les parents, la fille ne peut plus avoir d'autre mari.

« 2o Si à la place d'une belle personne qu'on aura fait voir à l'entremetteuse, on en substitue une autre d'une figure désagréable, ou si l'on mariait la fille d'un homme libre avec un esclave, ou enfin si celui qui donnerait son esclave à une fille libre persuadait aux parents de la fille qu'il est son fils ou son parent, le mariage est nul dans toutes ces suppositions et ceux qui ont participé à la fraude sont rigoureusement punis.

« 3o Il est défendu aux fonctionnaires publics de se marier avec des femmes dont les familles sont soumises à leur juridiction. Le mariage avec des musiciennes ou des comédiennes leur est encore interdit.

« 4o Le mariage est encore interdit à tout homme et à toute femme durant le deuil, soit de son père, soit de sa mère. Si les promesses ont été faites avant cette mort, tout engagement cesse à cette époque. Le jeune homme doit avertir de cet événement les parents de la fille, qui lui était promise. Mais ils ne sont point dégagés de leur promesse; ils laissent expirer le temps du deuil, écrivent ensuite au jeune homme pour lui rappeler sa parole. La fille est libre, s'il n'y persiste pas. Il est également défendu à une veuve de convoler en secondes noces, avant l'expiration du temps pendant lequel la loi veut qu'elle porte le deuil de son époux31. »

La loi chinoise autorise le divorce dans des conditions déterminées. « Le mari peut répudier sa femme d'abord pour crime d'adultère, ensuite pour les sept causes suivantes: 1o la stérilité; 2o l'impudicité; 3o la désobéissance envers les père et mère de son mari; 4o la propension à la médisance; 5o le penchant au vol; 6o un caractère jaloux; 7o une maladie incurable. » Quand toutes ces causes de divorce existeraient, elles seraient inadmissibles si on pouvait y opposer: « 1o que la femme a porté trois ans le deuil pour le père ou pour la mère de son mari; 2o que sa famille est devenue riche, de pauvre qu'elle était avant son mariage et au temps où il s'est fait; 3o qu'elle n'a plus ni père ni mère pour la recevoir.

« Quand deux époux ne se conviennent point, et que d'un commun accord ils désirent se séparer, la loi, qui fixe des bornes au droit de divorcer, n'y peut mettre opposition32.

« En dehors des causes spécifiées ci-dessus, tout mari qui répudiera sa femme subira la peine de 80 coups. Toute femme qui abandonnera la maison de son mari, sans qu'il consente au [135] divorce, sera punie de 100 coups, et son mari pourra la vendre à celui qui voudra l'épouser; et si, pendant qu'elle est hors de chez lui, elle se marie à un autre, elle subira la mort par strangulation33. »

Tel est sur le mariage le texte rigoureux du code pénal. Mais la coutume actuelle accuse un certain adoucissement dans les meurs; car il n'y a plus que l'adultère bien constaté, l'adultère même surpris en flagrant délit, qui entraîne ordinairement la séparation des époux.

La législation chinoise manifeste bien clairement la subordination de la femme envers le mari. Ainsi:

« Si une principale femme frappe son mari, elle sera punie de 100 coups, et son mari, s'il l'exige, pourra obtenir le divorce en s'adressant au magistrat de son district.

« Un mari ne sera point puni pour avoir battu sa femme principale, à moins qu'il ne l'ait blessée en la frappant avec un instrument tranchant. Si la blessure devient mortelle, ledit mari subira la mort par strangulation34. »

Malgré cela, la loi protège la femme contre les caprices de son

« Quiconque fera descendre sa principale femme au rang de femme inférieure, subira la peine de 100 coups; quiconque, pendant la vie de sa principale femme, en élèvera une autre au même rang, en recevra 90, et, dans les deux cas, chaque femme reprendra le rang que son mariage primitif lui a donné.

« Quiconque louera une de ses femmes à un autre pour en faire la sienne pendant un temps sera puni de 80 coups: quiconque louera aussi sa fille le sera de 60; la femme ni la fille ne seront pas responsables de ces marchés.

« Dans tous les cas où un mari consentira à l'adultère d'une de ses femmes, le mari, l'adultère et sa complice seront punis chacun de 90 coups35. »

Ici encore il s'est opéré dans les mœurs une amélioration progressive, et la situation de la femme en Chine est bien préférable à celle qui lui est faite dans d'autres contrées de l'Asie. La présente monographie prouve bien qu'on ne doit pas prendre à la lettre ces paroles si souvent citées: « La femme ne doit prendre aucune part dans la direction des affaires de la famille, et il y a trois personnes auxquelles elle doit successivement obéissance: 1o à son père, pendant qu'elle est dans la maison paternelle; 2o à son mari, après qu'elle a été mariée; 3o si elle devient veuve, à son fils aîné. Dans [136] aucune circonstance de sa vie, elle ne doit être maîtresse absolue d'elle-même36. »

D'ailleurs, dans un pays où la vénération a été considérée de tout temps comme la principale vertu, les femmes ne soufrent nullement du respect et de l'obéissance qu'en toute occasion elles doivent témoigner à leur mari. Préoccupées uniquement de leurs devoirs, elles ne songent jamais à réclamer de droits. Une femme célèbre, qui vivait sous l'empereur Ho-ti (89 à 106 ap. J.C.), et qui est comptée parmi les écrivains les plus illustres, Pan-hoeï-pan, a glorifié ces devoirs dans quelques pages sublimes37 qui rappellent ce précepte d'Aristote: « Le plus grand mérite de la femme est de surmonter la difficulté d'obéir. » — « Ne vous relâchez jamais, dit-elle, sur la pratique des deux vertus que je regarde comme le fondement de tous les autres, et qui doivent être votre plus brillante parure. Ces deux vertus principales sont: un respect sans bornes pour celui dont vous portez le nom, et une attention continuelle sur vous-même. Le respect attire le respect, un respect sans bornes fait naître l'estime, et de l'estime il se forme une affection durable à l'épreuve de tous les événements. L'attention sur soi-même lait éviter les fautes; une attention continuelle est comme le correctif des défauts auxquels nous ne sommes que trop sujettes. »

Pan-hoeï-pan recommande aux femmes devenues veuves de ne pas se remarier, le lien conjugal devant être indissoluble, même après la mort. Ce veuvage volontaire est un des traits les plus remarquables des mœurs chinoises. En aucun pays du monde la viduité n'est plus honorée qu'en Chine. On ne traverse pas une ville du Céleste-Empire sans voir des monuments de vertu, de véritables arcs de triomphe (pâ-leu), élevés en l'honneur des femmes qui sont restées fidèles à la mémoire de leur mari.

(E) Sur les institutions municipales du village d'Ouang-Fou et les circonscriptions administratives auxquelles il se rattache.

Le nom de fou, qui est donné en Chine aux premières villes de l'empire, constitue pour les villages qui le portent également une sorte de distinction nobiliaire. Le village ordinaire s'appelle tsung; [137] on désigne par tsun le bourg habité surtout par des commerçants.

Ouang-fou, ainsi que les autres villages goupés autour de la pagode de Oueï-tung-sze, fait partie du tou de Li-che-tou-ni-dou (§ 1er), dont le magistrat principal est une sorte de commissaire de police appelé pao-tching. Ce tou est compris lui-même dans le disrict (hién) de Ning-hién, dont le chef, tchi-hién, dépend du préfet, tchi-fou. du Ning-pô-fou. Enfin, les trois fou de Ning-pô-fou, Chao-hing-fou, Taï-tchéou-fou, ont à leur tête une sorte de préfet maritime appelé tao-taï, placé directement sous les ordres du gouverneur général ou vice-roi (tsoung-tou) et du lieutenant-gouverneur (fou-youen) du Tché-kiang-sang. Cette province comprend les onze fou dont les noms suivent:

Liste des onze « fous » de la province de Tché-kiang-sang (notes annexes)
Liste des onze « fous » de la province de Tché-kiang-sang (notes annexes).

Les principales divisions administratives de la Chine sont, comme le montre l'exemple qui précède, le sang (province), ayant à sa tête un tsoug-tou et un fou-youen; le fou et le hién dirigés, l'un par un tchi-fou, l'autre par un tchi-hién. Il y a encore une autre circonscription appelée tchéou, de la même importance que le fou, dont le magistrat, tchi-tchéou, est un mandarin du même grade que le tchi-fou, mais avec cette différence qu'elle n'est pas divisée en plusieurs hién.

Le village d'Ouang-fou a à sa tête une espèce de maire, élu par les habitants. Ce maire s'appelle tchon-tchiang. C'est le plus vieux ou un des plus vieux chefs de famille (chia-tchang) de la localité. Il est nommé à vie. Quand il s'agit de lui donner un successeur, les habitants se réunissent dans la pagode à la première lune de printemps: une affiche émanée de l'un d'entre eux indique le jour et l'heure de la réunion. On ne vote pas; mais on tombe facilement d'accord sur le choix le plus convenable.

Les fonctions du tchon-tchiang sont gratuites et quelquefois onéreuses. Malgré cela, le fonctionnaire nommé ne saurait se refuser à accéder aux désirs de ses concitoyens. Le maire n'est pas un personnage officiel; il n'entretient aucun rapport avec le tchi-hién et n'est qu'un agent officieux de la population auprès du pao-tching.

C'est le maire qui tient le livre de famille des Ouan (tsong-tching-bou), espèce de registre de l'état civil. C'est aussi lui qui [138] administre le trésor du village. Ce trésor est formé des revenus des biens communaux, destinés dès l'origine du village à subvenir à l'entretien de la pagode des ancêtres et aux dépenses des fêtes publiques. Ces biens s'augmentent continuellement de dons de terres faits par des personnes riches qui meurent sans enfants. Dans chaque génération toutes les familles sont chargées successivement d'ordonner, sous la direction du tchon-tchiang, les fêtes du printemps et le l'automne (H). La famille, dont le tour de rôle est venu, afferme pendant l'année les biens communaux moyennant une quantité de riz déterminée; suivant la récolte, elle profite de l'excédant ou supporte le déficit. L'argent produit par la vente du riz paye les frais du repas donné dans la pagode et sert à solder les comédiens appelés de Ning-pô (H).

(F) Sur la religion bouddhique.

La religion bouddhique est celle de plus de la moitié de la population chinoise et de près du tiers de l'espèce humaine. Elle est originaire de l'Inde, o elle fut prêchée, au vie siècle avant notre ère, par le jeune prince Siddhartâ, de la race de Cakyâs, qui, ayant renoncé au monde à l'âge de 29 ans, reçut le titre de Cakyâs-Muni, c'est-à-dire le solitaire des Cakyâs, et qui, parvenu à la perfection de la science, prit, à l'âge de trente-six ans, le titre ascétique de Bouddha, c'est-à-dire éclairé, le savant.

Le bouddhisme eut pour but la réforme intellectuelle et sociale du milieu dans lequel il surgit. Le tableau de la civilisation des Brahmes et l'étude des modifications que le bouddhisme y apporta trouveront place dans la monographie d'un ouvrier indien. Régénéré peu à pneu au contact de la religion nouvelle, le brahmanisme, vaincu, finit, après douze siècles d'asservissement, par reprendre la supériorité politique, et le bouddhisme fut chassé de l'Inde au xive siècle. On le trouve aujourd'hui en vigueur à Ceylan, au Népaul, au Thibet, en Tartarie, en Cochinchine, et enfin dan l'empire du Milieu.

C'est au ier siècle de l'ère chrétienne que le culte de , déjà connu en Chine, y fut introduit officiellement par un bouddhiste indien, appelé par l'empereur Ming-ti, de la dynastie des Ham. Il s'y propagea rapidement, surtout dans les classes pauvres, et se [139] laissa modifier par les idées religieuses dominantes dans ce pays, sans exercer d'action sensible sur sa civilisation.

Voici en quelques mots en quoi consiste le dogme bouddhique. Rouddha s'annonce comme un rédempteur des hommes; il les appelle tous au salut éternel, au Nirvâna. Le Nirvâna est l'anéantissement final, auquel tout homme peut arriver par le came des passions, par la complète domination de lui-même. Prenant pour point de départ la croyance brahmanique de la métempsycose, Bouddha considère la vie actuelle comme une transition entre une série de vies passées et une série de vies futures. L'homme revêt successivement une série de formes et d'états, depuis les formes les plus élémentaires jusqu'aux états les plus parfaits. La place qu'il occupe dans l'échelle des êtres vivants ou dans l'humanité dépend du mérite des actions antérieurement accomplies. Tout homme peut, par l'exercice continu de la charité, de la prière, de l'humilité, de la pureté, échapper à cette suite d'existences qui l'attend. Sa récompense, ce n'est pas la vie future, c'est au contraire l'absorption dans le néant. Le dogme bouddhique, dont l'immense résultat fut de faire surgir dans l'Inde une classe livrée aux études théoriques, a été développé, après son fondateur, par un grand nombre d'écoles qui arrivèrent au dernier degré de la divagation mentale. Ainsi. elles ont émis cette conception que l'homme peut, par la grandeur de sa vertu, modifier à son gré les phénomènes de la nature. De la des miracles sans fin que de simples moines produisent sans difficultés.

Au point de vue pratique, ce dogme a conduit à l'ascétisme, à la systématisation de l'inactuivité sociale. Plongés dans la méditation et dans la prière. comme les yogi de l'Inde, comme les esséniens de la Judée, comme les thérapeutes d'Alexandrie, comme les solidaires de la Tĥébaïde, les prêtres de Fô n'ont d'autre occupation que de s'imposer les privations les plus dures pour arriver au Nirvâna.

Certains rapports du bouddhisme et du catholicisme ont frappé tous les observateurs. L'absence de caste sacerdotale, contrairement au brahmanisme, qui maintenait cette caste au-dessus des guerriers et des industriel, contrairement aussi au mosaïsme, qui la conserva seule en rejetant les autres; la création d'une classe spéculative accessible à tous les hommes par le perfectionnement moral; l'institution de la prédication et la propagande religieuse; la casuistique et la classification des actions bonnes et mauvaises; les conciles pour la révision des livres canoniques; l'adoration des reliques, dont la plus précieuse est la dent de Bouddha, à l'île de Ceylan; les monastères, le célibat des prêtres; l'établissement postérieur [140] d'une hiérarchie cléricale, comme celle du Thibet, où, depuis le x siècle, le grand Lama régit, du fond de sa demeure royale de Llassa, les populations soumises à son gouvernement spirituel, sont autant de points de contact entre les deux religions.

La présente monographie a signalé spécialement la trinité bouddhique, les trois précieux Fö; l'usage des cloches et des chapelets, les litanies. l'adoration de la vierge Kouan-Yin, dont on célèbre la nativité et l'assomption; les moines à tête rasée, les processions, les chants, l'habitude qu'ont les religieux de n'aller jamais seuls, etc.

Pour voir ce qu'est le bouddhisme en Chine, il suffit de pénétrer dans la pagode (sze) de Oueï-tung-sze, située à 2 kilomètres environ du village de Ouang-fou.

On entre par une première porte (deu-men) dans une cour rectangulaire de 4 mètres sur 8 mètres environ. Au fond de cette cour s'ouvre une deuxième porte (lle-men), qui donne entrée à une salle de 8 mètres sur 10 mètres, dont le faite est soutenu par des colonnes de bois. Sur les longs côtés de cette salle sont les dieux des quatre saisons: le Printemps et l'Été d'un côté, l'Automne et l'Hiver de l'autre. Les statues de bois et de plâtre qui les représentent ont 2m50 a 3m00 de hauteur, et portent divers emblèmes; ainsi: le Printemps tient un parapluie, l'Été une boule de feu, l'Automne un dragon, et l'Hiver un sabre. Au milieu de cette salle et sous un dôme sont deux autres divinités. Du coté de la deuxième porte, c'est le dieu Mi-dô, le dieu du plaisir. Cette idole est l'image de la sensualité. Elle représente une personne d'une immense corpulence, assise sur un coussin, avec un air qui exprime la satisfaction et la gaieté D'une main le dieu Mi-dô tient un sac d'argent, de l'autre, un chapelet de quarante-neuf grains (sept séries), à l'extrémité duquel est suspendu un Bouddha. Derrière Mi-dô, en face de la deuxième cour, est Wei-dô, gardien de la porte du Ciel. Cette statue est debout; elle tient un bâton à la main; elle porte un casque et des habits militaires.

En sortant de cette salle, on entre, par une troisième porte (siu-men), dans une deuxième cour. Des deux côtés s'élèvent de petites chapelles où sont les autels de la Terre, du Soleil, de la Lune, du Vent, de la Pluie, du Tonnerre.

Enfin, au fond de la cour s'ouvre la grande chapelle, le dâ-dien. Là, trois statues colossales de 7m de hauteur, en bois et en plâtre dorés. s'offrent à l'adoration des fidèles. Ces statues sont celles des trois Bouddha (San-Paou-Fô), savoir: le Passé, le Présent et l'Avenir; Kouo-keu-fô, dont le règne est accompli; Hin-tsae-Fô, [141] qui domine à présent l'univers, et Oui-Lae-Fô, appelé à le gouverner plus tard. Le premier est à droite, et ses mains, posées sur ses genoux, donnent l'idée de l'éternel repos auquel désormais il est voué; les deux autres ont au contraire le bras et la main droite levés; devant chacun est un autel où sont posés les flambeaux, les brûle-parfums, les porte-fleurs de porcelaine, les vases de bronze, où brûlent sans cesse les lingots et les papiers parfumés. Enfin, autour de la salle sont suspendus les portraits de vingt-quatre ho-chang (bonzes), considérés comme des saints et des prophètes.

(G) Sur une prière bouddhique.

Dans un de ces ouvrages, Bouddha () avait fait mention d'un autre maître plus ancien que lui, que les Chinois nomment O-mi-tô et les Japonais Amida. Les bonzes (ho-chang) assurent que celui-ci parvint à une si éminente sainteté, qu'il suffit aujourd'hui de l'invoquer pour obtenir le pardon des plus grands crimes. Aussi les Chinois bouddhistes ont-ils sans cesse à la bouche les deux noms O-mi-to-Fô (Ami-do-vê, dialecte du Tché-kian).

Ces mots sont les premiers de la prière la plus habituelle des bouddhistes, dont voici la traduction:

« Amida Bouddha aussi grand que le Ciel!

« Ne vous mêlez pas des affaires des autres: faites votre prière!

« Laissez vos parents, vos amis,

« Vos fils et vos filles; tout cela n'est rien!

« La seconde divinité (Kouan-Yin) est aussi pure que Bouddha!

« Dieu vous garde! »

(H) Sur les fêtes religieuses observées à Ouang-Fou.

Les fêtes publiques observées à Ouang-fou sont celles du renouvellement de l'année et celles des quatre saisons.

La fête du 1er de l'an est fixée à la nouvelle lune qui tombe le plus près du jour où le soleil est dans le 15e degré du Verseau.

[142] Cette fête, qui n'est autre évidemment que celle du Soleil, est la fête par excellence. On s'impose toute espèce de privations et de sacrifices pour subvenir aux dépenses qu'elle occasionne. Si l'argent fait défaut, on emprunte à ses parents ou à ses amis; très-souvent même on met ses reflets à un de ces bureaux de mont-de-piété (tan-pou) que l'on trouve à Ning-pô. ainsi que dans les villes et dans les grands villages du Ning-pô-fou.

Le premier jour de l'année, à cinq heures du matin, les hommes de la famille se réunissent dans la salle des cérémonies de la maison (§ 10), ou, s'il n'y en a pas, dans une pièce de l'appartement. Là, rangés autour d'une table sur laquelle ils brûlent des chandelles, des parfums et des papiers-monnaie38, ils font des sacrifices au Chang-ti (Ciel) [I]. Ils offrent tout ce qui est préparé pour la fête: viandes, poissons, volailles, fruits, gâteaux, etc. Le chef de famille préside la cérémonie. Après avoir salué trois fois le Ciel, chacun se met a genoux et adresse mentalement des prières au Chang-ti. Ces prières, qui ne sont jamais formulées, sont des remerciements ou des vœux pour les récoltes, pour la santé, etc. Quand cette cérémonie, qui dure une heure environ, est terminée, les femmes viennent se joindre aux hommes pour sacrifier aux ancêtres avec les mêmes formalités. À partir de l'âge de douze ans les garçons assistent à ces cérémonies, pendant lesquelles on lait partir des pétards de tous cotés dans les cours des maisons et dans les rues.

Vers huit heures, on déjeune avec des gâteaux, de la viande de porc, de la volaille. À neuf heures, le chef de la famille se rend à la pagode des ancêtres. Au milieu de cette pagode se trouve une table, sur laquelle sont placés deux flambeau, deux brûle-parfums, un brûle-lingots, en tout cinq pièces (§ 10) appartenant au village d'Ouang-fou. Dans le fond de la salle s échelonnent des gradins sur lesquels sont inscrits les noms des ancêtres. On salue, on s'agenouille devant la table, on présente un bouquet de parfums et on brûle deux chandelles. Pendant ce temps, des musiciens, loués à Ning-pô, exécutent divers airs avec accompagnement de tam-tams et de gongs; les instruments dont ils se servent appartiennent également au village. Enfin, vers dix heures, le père se rend à la pagode bouddhiste (F) et sacrifie de la même manière au Chang-ti, pendant qu'un bonze récite dans le da-dien des prières devant l'autel des trois Bouddha.

À midi a lieu le grand repas composé de quatorze ou quinze plats de viandes, volailles, légumes. etc. Contrairement à l'usage ordinaire, tous les membres de la famille sont réunis autour de la [143] même table sur des bancs de bois, le mari étant assis à côté de sa femme.

Dans l'après-midi se font les visites de voisinage, et le soir le repas de famille a lieu comme à l'ordinaire.

La fête du 1er de l'an continue encore pendant six jours à Ouang-fou, pendant dix jours dans d'autres villages du Ning-pô-fou. Ces journées sont employées à recevoir les parents et les amis des villages voisins, et à aller les visiter. Il n'y a plus de prières; dans ces réunions on joue aux dés, aux dominos et aux cartes. Comme chez nous, on se félicite en se rencontrant, on s'accable de protestations d'amitié. Dès le matin du premier jour, quand les parents sont habillés, les enfants vont les saluer par les paroles: Kou-tchi, hô-tchi (je vous souhaite la bonne année), pa-nié (je respecte les parents). Les domestiques rendent le même devoir à leurs maîtres, et, à la ville, les mandarins inlerieurs à leur supèrieurs.

Les fêtes du printemps et de l'automne sont célébrées à frais communs par tous les habitants du village d'Ouang-fou. Toutes les familles se réunissent, à midi, dans la pagode des ancêtres, et y font un repas avec accompagnement de musique. À une heure, des comédiens, loués d'avance à Ning-pô, viennent représenter ces drames historiques, ces pièces des Ming si recherchées par les Chinois. La représentation est interrompue à l'heure du souper que chacun va faire chez soi; elle recommence vers neuf heures et continue jusqu'à minuit.

Les fêtes de l'été et de l'hiver sont moins brillantes que celles qui précèdent; elles se passent en famille. L'été on se contente de faire un sacrifice; l'hiver on va brûler des lingots de papier sur les tombeaux des morts.

(I) Sur la véritable religion des chinois.

Les détails donnés précédemment sur la pagode de Oueï-tung-sze et sur les pratiques religieuses des paysans d'Ouang-fou, montrent bien quel est le véritable culte de la Chine. On dit souvent que les Chinois n'ont pas de religion; les faits cités plus haut et d'autres qui trouveront place dans cette note démentent complètement cette assertion. ans doute les croyances primitives de ce peuple ont été altérées; elles ont été modifiées successivement par divers dogmes plus ou moins populaires, qui ont surgi en Chine, [144] comme le dogme des Tao-sse, ou sectateurs de Lao-tseu, ou qui y ont été introduits, comme le bouddhisme. Sans doute ces croyances primitives paraissent aujourd'hui fort affaiblies chez une nation que la corruption a gagnée de toutes parts; aussi a-t-on dit que la religion de la Chine, la religion officielle, la religion de l'État, n'est plus qu'une formule; qu'elle ne consiste que dans les rites et les cérémonies que les Chinois accomplissent et non dans les idées et dans les sentiments que ces pratiques rappelaient autrefois aux fidèles. Cependant, derrière cette formule, on distingue encore la croyance antique telle qu'elle existait à l'origine de la monarchie chinoise, sous les empereurs Yao et Chun, ou plutôt telle qu'elle fut restaurée et propagée par le sage Khoug-tseu (Confucius).

Dans la pagode de Oueï-tung-sze on remarque (F) les autels du Soleil, de la Terre, de la Lune, de la Pluie, du Tonnerre, etc. On a vu d'autre part (G), au renouvellement des saisons, les paysans d'Ouange fou offrir des sacrifices au Ciel et aux ancêtres. Aucune de ces adorations n'appartient à la religion bouddhique, qui s'est greffée en Chine sur les croyances primitives, et a du, pour se maintenir, se les assimiler complètement. L'adoration du Ciel (Tien) lui-même, telle qu'elle est indiquée dans les notes précédentes, est tout à fait étrangère au culte de Fô. Il ne faut pas confondre, en effet, le Chang-ti (souverain suprême) des anciens Chinois avec le Dieu des bouddhistes et des catholiques. Les Chinois adorent le Ciel bleu, comme disait Tching-yong (§ 2) à l'auteur de cette monographie. Pour eux, ce ciel visible qui nous entoure est animé de volontés et de passions analogues aux volontés et aux passions humaines; il manifeste les sentiments qu'il éprouve par les phénomènes astronomiques et météorologiques que nous subissons. Cette conception religieuse, qu'on retrouve dans l'antiquité et de nos jours chez un grand nombre de peuples, n'est que l'exagération de l'influence incontestable que les corps du monde extérieurs, le soleil par exemple, exercent sur nos destinées. Seulement, cette influence n'est pas attribuée par les Chinois à une simple activité matérielle, mais à des sentiments dont les éclipses, la pluie, les inondations, les vents, le tonnerre, etc., sont des manifestations diverses.

On conçoit que le culte de la Terre (Ti) vienne tout naturellement s'adjoindre et se subordonner au culte du Ciel. À ces deux grands fétiches se rattachent en outre l'adoration du soleil, de la lune, des planètes, des constellations, celle des vents, des leurs, des montagnes, etc. À Pé-king. par exemple, parmi neuf grands autels (tan) élevés en plein air dans de vastes enceintes entourées de murs, on remarque, dans l'ordre de prééminence: l'autel du [145] Ciel (Tien-tan), l'autel de la Terre (Ti-tan), l'autel de la Prière pour obtenir les fruits de la Terre en abondance (Ki-hô-tan), l'autel du Soleil levant (Tchao-ji-tan), l'autel de la Lune nocturne (Si-youeï-tan), etc.

Une nouvelle preuve que les Chinois ne conçoivent pas comme les chrétiens un Dieu distinct du ciel, c'est que leurs philosophes, qui désignent le ciel proprement dit par le mot tien, désignent le Dieu des chrétiens par le mot Tien-tchu (Maître du ciel). Cette différence caractéristique entre les deux systèmes religieux a été remarquée par des voyageurs judicieux. n missionnaire protestant, M. Boone, écrivait en 1850 que, si la cosmogonie de Confucius n'attribue pas la création du Ciel au Chang-ti, c'est parce qu'elle les identifie complètement, et qu'elle ne conçoit pas celui-ci comme pouvant exister séparément.

La pompe du culte impérial fortifie encore l'assertion qui précède. L'empereur est vêtu de bleu quand il adore le Ciel; de jaune quand il adore la Terre; de rouge quand il adore le Soleil; de blanc quand il adore la Lune.

Par le même motif qu'ils ne connaissent pas un Dieu distinct du monde, les Confucéens n'admettent ni l'existence de l'âme, ni la vie future. Ils regardent la mort comme un autre mode de vitalité. Le cadavre a encore pour eux des sentiments et des passions; il vit d'un autre mode d'existence, auquel la locomotion fait défaut. De là, le mépris de la vie qui porte souvent le Chinois au suicide pour la moindre douleur. De là aussi ce culte de la tombe, qui chez aucun autre peuple peut-être n'a été si rigoureusement observé.

À ce culte des manes se rattache le culte des ancêtres, auxquels les menbres de la famille ici décrite viennent sacrifier, aux fêtes principales de l'année, dans une pièce spéciale de l'habitation domestique. ne maison chinoise complète renferme toujours une salle consacrée aux ancêtres (H).

Cette adoration prescrite envers les ancêtres de la famille, la religion chinoise l'étend aux ancêtres sociaux, c'est-à-dire aux hommes et aux femmes qui ont rendu des services quelconques. Ainsi, dans toutes les villes principales des sang, des fou ou des bien, on trouve, en outre des trois autels en plein air (tan) et des quatre grands temples (miao), trois petits temples (tse), qui sont: le Ming-hoan-tse, ou « le temple consacré aux mandarins célèbres »; le Hiang-chien-tse, ou « le temple consacré aux sages des districts »; et le Lié-niu-tsié-fou-tse, ou « le temple consacré aux vierges et aux femmes vertueuses. » Les sacrifices les plus importants, après ceux du Ciel et de la Terre, sont ceux que l'on célèbre en l'honneur des premiers empereurs de la Chine, du premier [146] laboureur et du premier éleveur de vers à soie, et surtout en l'honneur du premier instituteur des hommes (Confucius).

Ce culte d'amour et de reconnaissance que les Chinois rendent au sage philosophe est bien justifié par les services qu'il a rendus. Il a sauvé son pays de la dissolution politique et morale et lui a permis de s'élever et de se maintenir pendant plusieurs siècles à un haut degré de prospérité et de grandeur. En s'appuyant sur l'idée cosmogonique expliquée au commencement de cette note et sur l'autorité paternelle, si puissante chez les sociétés patriarcales de l'Orient, Confucius a construit une doctrine dont aucune religion ne saurait désavouer les principes.

« Rien de si naturel, rien de si simple, dit-il, que les principes de cette morale dont je tâche de vous inculquer les salutaires maximes. out ce que je vous dis, nos anciens sages l'ont pratiqué avant nous, et cette pratique qui, dans les temps reculés, était universellement adoptée, se réduit à l'observation des trois lois fondamentales de relation entre les souverains et les sujets, entre les pères et les. enfants, entre l'époux et l'épouse, et à la pratique exacte des cinq vertus capitales qu'il suffit de nommer pour vous faire comprendre leur excellence et la nécessité de les exercer: c'est l'humanité, c'est-à-dire cette charité universelle entre tous ceux de notre espèce, sans distinction; c'est la justice, qui donne à chaque individu ce qui lui est dû, sans favoriser l'un plutôt que l'autre; c'est la conformité aux rites prescris et aux usages établis, afin que ceux qui forment la société aient une même manière de vivre et participent aux mêmes avantages comme aux mêmes incommodités; c'est la droiture, c'est-à-dire cette rectitude d'esprit et de cœur qui fait qu'on cherche en tout le vrai et qu'on le désire, sans vouloir se donner le change à soi-même, ni le donner aux autres; c'est enfin la sincérité ou la bonne foi, c'est-à-dire cette franchise, cette ouverture de cœur, mêlée de confiance, qui excluent toute feinte et tout déguisement, tant dans la conduite que dans le discours. Voilà ce qui a rendu nos premiers instituteurs respectables pendant leur vie, et ce qui a immortalisé leurs noms après leur mort. Prenons-les pour modèles: faisons tous nos efforts pour les imiter39. »

Telle est la doctrine de Confucius, qui est en Chine la religion de l'état, la religion des lettrés. L'empereur est le chef, le souverain pontife de cette religion sous le tire de hoang-ti. Les mandarins, comme représentants du Fils du ciel (Tien-tseu), sont les ministres du culte dans les provinces. La suprématie de l'empereur [147] ne peut s'exercer qu'en ce qui concerne le culte de l'état à l'exclusion de tous les autres. Le souverain actuel, Yen-fong, d'origine tartare, professe le bouddhisme; mais il ne peut lui rendre qu'un culte privé.

La métaphysique de Lao-tseu et plus tard le dogme de Bouddha ont mêlé leurs conceptions a celles de la doctrine de Confucius; un grand nombre de lettrés emprunte des pratiques religieuses à ces deux cultes; malgré cela, l'immortel (sien) tao-sse est méprisé comme le bonze (ho-chang) bouddhiste. Quand au catholicisme, il n'a pénétré que dans les classes inférieures de la société. Le fétichisme antique reste seul debout au milieu de l'indifférence religieuse et de la décadence morale que les voyageurs remarquent aujourd'hui dans l'empire chinois.

Il n'est peut-être pas sans intérêt de montrer par quelques citations la répulsion qu'inspirent aux hommes d'état chinois les doctrines étrangères à la religion officielle et les arguments qu'ils invoquent contre elles.

Les Bouddhistes attachent une grande importance à certaines syllabes (O-mi-to-fo) qu'ils répètent perpétuellement, croyant ainsi se purifier de leurs péchés. Voici comment un mandarin, surintendant des salines du Chen-si, nommé Wang-yeou-po, s'exprime au sujet de cette pratique dans une paraphrase du commentaire de l'empereur Young-tching sur la sainte instruction (cheng-yun) de son prédécesseur Kang-hi: « Supposez dit-il, que vous avez violé les lois en quelque point, et que vous soyez conduit dans la salle du jugement pour y être puni; si vous vous mettez a crier à tue-tête plusieurs milliers de fois: Votre excellence! croyez-vous que pour cela le magistrat vous épargnera40? »

Wang-yeou-po ajoute plus loin:

« Si vous ne brûlez pas du papier en l'honneur de Fô, et si vous ne déposez pas des offrandes sur ses autels, il sera mécontent de vous et fera tomber son jugement sur vos têtes. Votre dieu Fô est donc un misérable. Prenons pour exemple le magistrat de votre district: quand vous n'iriez jamais le complimenter et lui faire la cour, si vous êtes honnêtes gens et appliqués à votre devoir, il n'en fera pas moins d'attention à vous; mais si vous transgressez la loi, si vous commettez des violences, et si vous usurpez les droits des autres, vous aurez beau prendre mille voies pour le flatter, il sera toujours mécontent de vous. »

Le même lettré développe ensuite de la manière suivante les [148] pensées de l'empereur Young-tching sur la religion catholique:

« Le secte du seigneur du ciel (Tien-tchu) elle-même, cette secte qui parle sans cesse du ciel, de la terre, et d'êtres sans ombre et sans substance, cette religion est aussi corrompue et pervertie; mais, parce que les Européens qui l'enseignent savent l'astronomie et les mathématiques, le gouvernement les emploie pour corriger le calendrier; cela ne veut pas dire que leur religion soit bonne, et vous ne devez nullement croire à ce qu'ils vous disent41. »

Un édit célèbre sur la propagation du christianisme en Chine s'exprime en ces termes:

« Les articles principaux de tous les livres ont été examinés par notre conseil des affaires d'État; en voici quelques passages. Il est dit: « Tien-tchu, c'est-à-dire le Maître du ciel est le grand roi de toutes les nations. — Le maître que j'adore est le vrai maître du ciel, de la terre et de toutes les choses créées. Ceux qui ne sont pas de la religion ne sont pas moins que les esclaves du démon. »

« Les passages ci-dessus sont suffisamment absurdes et extravagants; mais, ce n'est pas tout, il y a des réflexions encore plus fausses et déraisonnables, qui dispensent de l'obéissance qu'on doit à ses parents, et qui déclarent que le plus haut degré de l'impiété consiste à désobéir à la volonté du Tien-tchu; ils racontent l'histoire d'une sainte, (ui. ayaut refusé d'obéir à un ordre de son père, lut tuée par ce père cruel, ce dont le Tien-tchu se mit en colère et le foudroya. lt cela est donné comme un avertissement à tous les pères et mères, parents et amis, qui seraient tentés de supposer aux désirs de leurs enfants, et ainsi de suite. Cette histoire est aussi contraire à l'ordre social et à la raison que la fureur sauvage d'un chien enragé. Si les sectes de Fô et des Tao-sse sont indignes de la croyance, combien plus l'est celle des Européens? »

Telles sont les dispositions actuelles des Chinois à l'égard du christianisme. Aujourd'hui les Européens ne sont plus même employés pour leurs connaissances scientifiques, comme au temps de la mémorable mission accomplie avec tant de dévouement et de sagacité au xviiie siècle par les jésuites, alors que le père Adam Schall révisa le calendrier, que le père Verbiest fut président du tribunal des mathématiques, que les pères Bouvet, Régis et Jartoux dressèrent, par ordre de l'empereur Kang-hi, la carte générale de l'empire. Par suite de la querelle intentée aux jésuites par les dominicains, [149] le successeur de Kang-hi, Young-tching, signa, en 1725, l'édit qui prohibait l'exercice de la religion chrétienne comme attentatoire à l'autorité paternelle de l'empereur et dangereuse pour la sûreté de l'État. En Chine, où tous les cultes sont tolérés, où les musulmans eux-mêmes sont admis aux emplois publics, le christianisme se propageait depuis le viiie siècle, et il y avait eu deux archevêques catholiques à Pé-king. Aujourd'hui, qu'une des nations les plus éclairées de l'Occident a forcé la Chine à ouvrir ses ports au commerce de l'opium et du thé, les jésuites ont compris que, pour continuer utilement leur œuvre de propagande, ils devaient reprendre la tradition de leurs prédécesseurs. Ils élèvent les petits Chinois dans la langue du pays avec une sage tolérance; ils n'aspirent qu'à préparer ainsi des mandarins qui remettront en honneur les lois de l'empire et qui apporteront une morale plus pure au foyer domestique.

(K) Sur la culture du riz dans le Ning-pô-fou.

Le riz est la culture principale de la Chine. L'espèce cultivée dans la province de Tché-bian et dans les provinces voisines est le riz aquatique ou riz ordinaire, qui exige des terrains bas et humides, à portée de rivières et de canaux dont on puisse se servir pour les submerger. On cultive dans quelques districts montagneux du centre et du nord de la Chine le riz sec, qui veut d'abondantes irrigations, mais qui n'exige pas cette immersion de terrain, sans laquelle ne peut prospérer le riz ordinaire.

La culture du riz est presque exclusivement celle des provinces méridionales de la Chine, où deux récoltes se font dans l'année. Pour la première, le sol se prépare au printemps, et la récolte a lieu vers la fin de juin ou au commencement de juillet. Immédiatement après, on façonne de nouveau la terre, et l'on plante de jeunes pieds pour la seconde récolte, laquelle a lieu en novembre. Aux environs de Ning-pô, l'été étant déjà trop court pour donner deux récoltes successives, on fait deux récoltes presque simultanées.

Le riz ne s'obtient que par une longue suite de manipulations et de travaux, et la nécessité de les exécuter dans l'eau et dans la fange rend la culture de cette céréale très-pénible. Voici les pratiques usitées à Ouang-fou.

[150] Au mois de mars on coupe le trèfle qui couvre le champ, et on le laisse sur place comme engrais. On prépare ensuite la terre par un labour qui se fait à l'aide d'une charrue fort simple, sans roues, et attelée d'un bœuf. Après ce labour, on écrase les mottes avec un rouleau (couen-boa) de bois armé de dents de fer. L'homme monte sur le châssis de ce rouleau pour ajouter son poids à celui de l'appareil. Cela fait, on inonde le champ, sur lequel se dépose une couche de limon de quelques centimètres.

L'eau d'irrigation est puisée dans un des innombrables canaux qui sillonnent cette partie de la Chine. Elle est élevée au niveau du champ par un chapelet incliné. Ce chapelet est formé de planches carrées, enfilées parallèlement à égale distance les unes des autres: il est placé dans un tube incliné à section carré, dont la partie inférieure plonge dans l'eau, et dont la partie supérieure s'élève au-dessus du champ. À l'extrémité inférieure est un tambour dont l'axe est fixé dans les parois du tube. À l'extrémité supérieure est un second tambour. entouré de planchettes pour répondre à celles de la chaîne. Quand ce tambour tourne, la chaîne tourne aussi, et les planches, qui remplissent exactement la cavité du tube, élèvent jusqu'au haut l'eau comprise dans leurs intervalles. Le tambour supérieur est mis en mouvement par un bu attelé à une grande roue armée de chevilles, qui engrènent avec les fuseaux d'un pignon placé sur l'axe du tambour.

Quand le champ est inondé depuis quelques jours, on retourne à la charrue la couche de limon qui s'est déposée. Ce pénible travail exige que le laboureur et son attelage marchent dans la vase et dans l'eau. Ce labour est suivi d'un hersage destiné à égaliser le sol. La herse (boa) est une espèce de double râteau traîne par un bœuf. C'est un châssis dont les traverses. perpendiculaires au sens du mouvement, sont armées de dents de fer.

Le sol ainsi préparé et couvert d'une couche d'eau de 0m10 est apte à recevoir les jeunes plants de riz semés d'abord en pépinière42dans un autre endroit, d'où on les retire avec beaucoup de précautions. On choisit les plus beaux pieds qu'on réunit par paquets de 20 à 24 mèches, contenant chacune 4 plants. Le champ est divisé en plusieurs bandes de 0m80 environ de largeur, qu'on plante successivement en marchant à reculons. L'homme, tenant ses paquets dans sa main gauche, creuse avec a droite de petits trous disposés en lignes parallèles et espnacés les uns des autres de 0m09 a 0m10. Dans chacun de ces trous il place une mèche, dont les [151] racines sont immédiatement couvertes de limon, entraîné par l'eau, qui coule dans les trous dès que l'ouvrier en retire la main. Cette opération se fait avec une grande célérité; trois hommes plantent 6 ares en 2 heures.

Quinze jours après la plantation, on ratisse l'intervalle des lignes de plants avec un peigne (lo-dié-boeu). Ce peigne est formé d'une planche rectangulaire, hérissée de plusieurs rangées de dents debois et munie d'un manche qui se recourbe verticalement. On nettoie deux fois, en ayant toujours soin de remuer la vase pour l'empêcher de durcir et en formant avec les mauvaises herbes de petits tas, qu'on laisse sur place pour servir d'engrais. On arrache ensuite avec les mains et en se tenant à genoux dans la vase les mauvaises herbes qui restent entre les plants. Enfin on répand le fumier des animaux et l'engrais humain.

Trois semaines ou un mois après la première plantation, on introduit de nouveaux pieds de riz entre les premières lignes espacées de 050 environ. De temps en temps on ajoute de l'eau, afin que le champ ne soit jamais à sec. Au mois de juin, on fume et on nettoie de nouveau. Enfin, en août, a lieu la première récolte. Le moissonneur, armée d'une faucille, coupe le riz à fleur d'eau; des hommes placés derrière lui le ramassent et le frappent sur le dodon pour séparer le grain de la paille. Le dao-don est un panier muni de deux anses, séparé en deux compartiments par un treillage de bambou, et en avant duquel est placée une natte. On frappe l'épi sur le treillage; la plupart des grains tombent au fond du panier; les autres sont recueillis par la natte. Quant aux pailles, elles restent au-dessus, et on en forme des gerbes de 1m20 1m50 de lon

La première récolte est suivie d'un nettoyage, après lequel on enfonce avec le pied les racines dans le sol pour les y laisser pourrir. À la fin de septembre, on creuse une rigole entre chaque planche afin de dessécher le champ, et on procède à la seconde récolte.

La première récolte donne de 4,500 à 5,000 kilogrammes de riz blanc par hectare, et la seconde de 3,500 à 4,000 kilogrammes de riz rouge. En somme, la production annuelle, par hectare, est de 8,000 à 9,000 kilogrammes. Quand tout le riz est enlevé, on sème de la graine de trèfle dans les terrains bas; dans les terrains hauts on retourne la terre avec la charrue et on sème l'orge, le colza, les fèves.

Le riz destiné à la vente subit quelques manipulations dont les femmes sont exclusivement chargées. Elles le font sécher au soleil sur des nattes; elles le passent dans des cribles pour le séparer de [152] la paille qui reste; elles ôtent les grains mauvais, l'étendent dans le grenier et le vendent ainsi avec ses enveloppes.

Quant au riz destiné aux besoins du ménage, il reste, en outre des opérations précédentes, à le dépouiller de ses enveloppes. Il faut le piler, le cribler, le vanner et le moudre. Ces travaux occupent les hommes pendant l'hiver; ils se font au moulin du village, dont chaque famille use gratuitement (§ 7) et qui est entretenu à frais communs. L'appareil à piler le riz consiste en un levier soutenu au tiers de sa longueur à 0m,30 au-dessus du sol. À l'extrémité du petit bras est un pilon cylindro-conique, qui tombe dans un trou de même forme creusé dans la pierre servant d'assise à la machine. Un homme presse avec le pied sur l'extrémité du long bras de levier, et le pilon, dans sa chute, dégage de sa première écorce le riz contenu dans la cavité. Le riz mêlé à ces fragments d'écorce est ensuite passé au crible; on le vanne aussi pour le purger de la poussière qu'il renferme. Enfin il faut le moudre pour enlever la pellicule qui adhère fortement au grain, après même qu'on lui a ôte l'écorce. Cette opération se fait entre deux meules qui se touchent par des surfaces inégales et raboteuses. Celle le dessus présente une large ouverture dans laquelle on laisse couler le grain, qui est froissé entre les deux pierres sans être écrasé. La meule courante est mise en mouvement par un bœuf attelé à une espèce de manège.

(L) Sur la fabrication du Deu-vou.

Le deu-vou, qui entre pour une assez grande part dans la nourriture de la famille décrite, se prépare avec des pois jaunes (hoang-deu) de la manière suivante: on fait tremper les pois, on les écrase avec un peu d'eau entre deux meules, et on les exprime ensuite à travers une toile; on fait bouillir le jus dans une casserole de fer et on le verse dans une jarre de terre où on laisse tomber quelques gouttes d'une dissolution saline. Cette dissolution s'obtient en exposant à l'air, dans un panier d'osier, du sel marin dont les parties les plus solubles sont entraînées par l'humidité atmosphérique dans un vase placé au-dessous. Le jus est agité avec le sel, et, quand il commence à se prendre en masse, on le verse encore chaud dans un moule carré de bois recouvert d'un linge; on presse pour exprimer l'eau, et on obtient par le refroidissement une masse ferme de couleur blanche. Cette masse appelée deuvou43 [153] est mangée tantôt seule avec du sel, tantôt avec de la sauce, tantôt en soupe avec des chou.

(M) Sur la fabrication de la bière de riz.

La bière de riz (lao-tsou), que la famille consomme les jours de fête, se prépare de la manière suivante: on prend un riz très juteux à grains ronds, appelé nô-mi; on le lave et on le met dans un tonneau de bois, dont le fonds est formé par un treillage de bambou recouvert d'une natte; on place ce tonneau au-dessus d'une chaudière; après avoir fait crever le riz à la vapeur, on le mélange avec un levain de pâte; le riz monte au bout de quelques jours; on le place dans un sac de toile et on le presse entre deux planches; le jus exprimé est placé dans un vase d'étain qu'on introduit dans la chaudière; quand il est arrivé en pleine ébullition. on le verse dans une jarre, qu'on ferme avec de l'écorce de bambou; sur le bouchon. on place de la terre pour empêcher l'accès de l'air. On obtient ainsi une bière blanche qu'on peut boire au bout de trois mois et qu'on peut conserver pendant trois ans.

(N) Sur les mesures, les poids et les monnaies de la Chine.

Mesures de longueur. — L'unité de longueur est le tchi, qu'on appelle communément pied ou coudée dans les villes de Chine ouvertes au commerce étranger.

La division décimale du tchi, qui existait déjà 2,600 ans avant J.-C., et qui a été successivement abandonnée et reprise, a prévalu depuis la dynastie des Ming. Les multiples du tchi sont le tchang, qui vaut 10 tchi, et le yin qui vaut 10 tchang. Quant aux sous-multiples, 1 tchi vaut 10 tsun, et 1 tsun vaut 10 fen. On a rarement besoin de pousser la division du tchi au delà du fen, c'est-à-dire du centième. Dans ce cas, on ferait usage, à partir du tchi, des décimales ordinaires, qui portent successivement, à partir de l'unité, les noms de fen, li, ho, sse, hou, etc.

[154] La longueur du tchi a varié d'une dynastie à l'autre, et peut-être aussi pendant la même dynastie, de 0m,20 (chi des Tchéou) à 0m,34 (tchao-chi des Ming). Le tchi officiel de la dynastie régnante des Taï-thsing est égal à 0m,319. C'est « l'étalon universel dans tout l'empire. » Malgré cela, le tchi diffère selon la province, le département, la ville, le quartier, la profession. Il n'est pas le même à Pe-ing. à Canton, à Macao, à Ning-po, à Chang-haï. Il y a aussi dans chacune de ces villes le tchi des ingénieurs, des architectes, des arpenters, des maçons, des menuisiers. des charpentiers, des tailleurs, des marchands de tissus, des cordonniers, etc. Par exemple, à Fou-tchéou-fou (province de Fo-kien), le tchi varie de 0m,428 (mong-king-tchi) à 0m,273 (tong-tien-tchi).

Les tchi sont faits en bois, principalement de bambou, ce qui explique leurs variations. « Les marchands ont l'habitude d'avoir au moins deux tchi sur leur comptoir; l'un a de 5 à 10 millimètres de moins que l'autre, et quelquefois la différence est plus forte. Cette habitude n'est pas frauduleuse, comme on pourrait le penser. La différence entre les deux tchi (3 à 6%) représente l'augmentation de prix de la marchandise de la vente en gros à la vente en détail. Le marchand vend l'étoffe en détail au même prix qu'il la vend en pièce, mais il la mesure avec le tchi le plus petit. La concurrence est si grande dans le commerce en Chine et s'exerce si librement,que la fraude est impossible.

Voici le tableau des mesures de longueur officielles et de celles qui ont été stipulées en 1858 par la France et par l'Angleterre avec la Chine pur la liquidation des droits de douane.

Tableau des mesures de longueur officielles et de celles qui ont été stipulées en 1858 par la France et par l'Angleterre avec la Chine pur la liquidation des droits de douane (notes annexes)
Tableau des mesures de longueur officielles et de celles qui ont été stipulées en 1858 par la France et par l'Angleterre avec la Chine pur la liquidation des droits de douane (notes annexes).

Mesures itinéraires. — L'unité principale est le li ou mille. Anciennement 192 1/2 li faisaient un degré; le li était donc de 577m,30. Les missionnaires européens de Pé-king changèrent cette longueur: ils divisèrent le degré en 250 li, probablement dans [155] l'intention d'en faire exactement le dixième de la lieue française de 25 au degré. On put dès lors former le tableau suivant:

Équivalence entre les mesures d'itinéraire chinoises et françaises (en mètre) (notes annexes)
Équivalence entre les mesures d'itinéraire chinoises et françaises (en mètre) (notes annexes).

Le kong est une mesure marine qui est de 60 li.

Mesures de supercherie. — L'unité est le méou44. Le méou est un rectangle de 240 pou de longueur sur 1 pou de largeur; 5 tchi font un pou (pas) ou 1 koung (arc). Le tchi, qui sert à régler la superficie du méou, est, d'après M. Natalis Rondot45, égal à 0m,335.

Équivalence entre les mesures de superficie chinoises et françaises (en mètre carré) (notes annexes)
Équivalence entre les mesures de superficie chinoises et françaises (en mètre carré) (notes annexes).

Dans la pratique on ne fait pas usage des divisions du méou. On estime les surfaces agraires par ling et méou, et on indique les fractions de méou par les décimales ordinaires, fen, li, hao, sse, etc.

Mesures de capacité. — Les mesures usuelles, spécialement employées pour détailler le riz et d'autres grains, sont le ho, le téou, le ching et le demi-ching. Le ching, ou litre, est l'unité de mesure. On remarque dans son estimation des divergences très grandes qui proviennent: 1o de ce que l'usage du demi-ching est aussi fréquent que celui du ching; 2o de ce que la capacité du ching diffère, suivant les sortes de grains qu'il sert à mesurer et suivant les provinces. On peut l'évaluer à 1 lit. 03. On a dès lors:

Équivalence entre les mesures de capacité chinoises et françaises (en litre) (notes annexes)
Équivalence entre les mesures de capacité chinoises et françaises (en litre) (notes annexes).

[156] Poids. — En Chine, presque tout se vend au poids. Ainsi on pèse le bois, les étoffes, presque toutes les denrées sans en excepter les liquides, et même les animaux vivants qui servent à l'alimentation de l'homme, tels que bestiaux, gibier, volailles, etc.; les grains s'achètent a poids et se vendent en détail à la mesure. L'or et l'argent sont une marchandise; le poids et le titre règlent seuls le prix des lingots.

L'unité de poids est le kin, ou livre divisé en 16 liang ou onces, comme l'ancienne livre française. La valeur du kin a varié sous les différentes dynasties de 165 a 740 grammes. Elle change aussi avec les localités; d'après les renseignements fournis sur différentes parties de la Chine par les missionnaires et les voyageurs, le liang varie de 32 à 39 grammes.

On peut admettre les valeurs suivante:

Équivalence entre les mesures de poids chinoises et françaises (en kilo) (notes annexes)
Équivalence entre les mesures de poids chinoises et françaises (en kilo) (notes annexes).

Le chou, le louï, le tchu, le yin, le kieun, le chi sont des poids nominaux. Les poids usuels du commerce sont donnés avec les valeurs ci-dessous par M. Natalis Rondot.

Poids usuels chinois et équivalence avec les poids européens: poids de la Compagnie des Indes (1770), poids des règlements commerciaux français (1858) (notes annexes)
Poids usuels chinois et équivalence avec les poids européens: poids de la Compagnie des Indes (1770), poids des règlements commerciaux français (1858) (notes annexes).

Monnaies. — Les Chinois n'ont qu'une seule monnaie portant une empreinte officielle; cette monnaie est le tsien, que les étrangers [157] appellent cash dans les ports ouverts au commerce, et sapeca ou sapèque à Macao et a Manille.

Le monnayage régulier a commencé en Chine vers l'an 1120 av. J.-C.; la forme qui a été adoptée à cette époque pour le tsien a toujours été conservée. Le tsien est circulaire, percé au milieu d'un trou carré d'environ 2 lignes, à travers lequel on passe un jonc pour réunir ces pièces par paquets de cent. Son diamètre moyen est de 24 millimètres et son poids moyen dépasse grammes. Le tsien est fondu et non frappé; il porte d'un côté une devise en mantchou, relative à la dynastie régnante, avec le nom de cette dynastie sur le côté gauche du trou carré, et celui du monarque régnant du coté droit; sur le revers du tsien se trouve le nom du règne (comme tao-kouang, etc.) avec les deux mots tung-pau (monnaie courante). Le tsien est formé d'un alliage de cuivre, de plomb, d'étain, de zinc ou de fer. Les proportions de cet alliage varient suivant l'époque et le lieu de l'émission.

La valeur du sapèque est très-variable. Ces variations sont dues au cours du change et à l'altération des monnaies. En 1845, quand la piastre de Charles V valait 1,400 sapèques à Ning-pô, elle n'en valait que 1,350 à Chang-haï et 1,250 à Canton. Le sapèque valait 0,0041 en 1845 et 0,0074 en 1856.

Le sapèque est considérablement altéré par des faux monnayeurs. On en importe beaucoup d'une valeur inférieure de la Cochinchine. Le gouvernement a pris quelquefois des mesures sévères pour empêcher la contrefaçon du tsien; mais ses efforts sont restés inutiles, et la rapacité des gouverneurs eu-mêmes à altérer la valeur des sapèques est clairement démontrée par la dépréciation considérable que ces monnaies ont subie. Les tsien de fabrication récente, comparés à ceux du règne de Kang-hi, remontant à environ 160 ans, sont d'une valeur intrinsèque inférieure; ils le sont de même à ceux du règne de Kien-loung qui ne remonte pas à plus de soixante-cinq ans. Les sapèques modernes ont été altérés de la façon la plus grossière avec du sable et de la limaille de fer.

Le sapèque est la seule monnaie qui soit en usage dans l'empire chinois. L'argent en lingots a été d'abord employé pour le payement de grosses sommes, et la piastre forte d'Espagne (5 fr. 42) l'a remplacé. Cette piastre dont le type, le titre et le poids n'ont pas varié pendant soixante ans, a été longtemps la seule monnaie d'argent que les Chinois voulussent accepter; ils ne se sont décidés à recevoir les piastres du Mexique à Canton et dans les ports que depuis quelques années, et après bien des difficultés. Les piastres du Chili, du Pérou, de la Bolivie, les roupies de l'Inde, les pièces [158] françaises de 5 fr., les onces d'or d'Espagne et les souverains d'or d'Angleterre sont dépréciés partout.

La monnaie de compte n'est pour les Chinois ni le tsien ni la monnaie d'argent étrangère. Ils ont fait prévaloir dans le commerce leur coutume de prendre pour unité de monnaie de compte une unité de poids qui représente le même poids d'argent sycée ou argent pur à 1000/1000. Cette monnaie de compte est le liang avec ses subdivisions décimales. Les valeurs de ces monnaies sont données dans le tableau suivant par M. de Montigny46.

(Le mace et le candareen sont des monnaies nominales. Le taël est un lingot d'argent. Le cash dont il est question est l'ancien cash, aujourd'hui fort rare, de 1,000 au taël.)

Le sapèque a été supposé dans les budgets égal à 0 fr. 005.

Notes

1. Cette monographie a été entièrement rédigée à Paris sur les déclarations d'un membres de la famille, établi actuellement rue Tronchet, no6, au magasin chinois. Ouang-tching-yong a toujours vécu en Chine, mais il a quitté depuis 16 ans la maison paternelle. Bien qu'il y soit retourné plusieurs fois, il a du faire des efforts de mémoire prodigieux pour répondre aux questions qui lui étaient adressées. Il a donné ainsi une preuve de cette aptitude à conserver le souvenir des faits que l'auteur considère comme un des caractères de l'intelligence chinoise. Les circonstances au milieu desquelles a été faite cette monographie justifieraient au besoin les erreurs de détail qui pourraient exister dans les budgets. Cependant, comme tous les moyens de vérification ont été employés et comme ils ont permis d'arriver à une balance exacte et à une harmonie convenable entre les chiffres des recettes et des dépenses, il n'y a pas lieu de soupçonner d'erreur grave, ni même de considérer, en dehors d'une enquête directe, tel ou tel nombre comme faux. Le principal résultat de cette étude à distance, la première de ce genre qui ait été publiée, est, suivant l'auteur, de prouver la puissance et la fécondité de la méthode d'observation adoptée par la Société d'économie sociale. Les seules ressources de cette méthode ont permis, en effet, de faire revivre dans cet écrit une génération éteinte depuis plusieurs années sur les côtes de la mer Orientale.

2. Cet état civil se rapporte à la famille telle qu'elle était constituée en 1843.

3. Le Ta-hio (la Grande Étude), le Tchong-yong (l'invariabilité dans le milieu), le Lun-yu (les Dialogues moraux) et le Meng-tseu (ouvrage du philosophe Meng-tseu).

4. L'Y-King (le Livre des Transformations), le Chi-King (le Livre des Vers), le Chou-King (le Livre des Annales), le Tchun-Tsieou (le Printemps et l'Automne), et le Li-Ki (le Livre des Rites).

5. Hiao-king ou Livre de Devoirs filiaux. C'est un choix de maximes attribuées à Confucius et d'entretiens qu'il aurait eux avec son disciple Tseng-tseu. Après la destruction des livres, ordonnée (213 av. JC.) par l'empereur Thsin-chi-Hoang-ti, on retrouva le Hiao-king caché dans les murailles de la maison de Confucius. Il a été commenté par plusieurs écrivains, dont le plus illustre est l'empereur Youen-Tsang. de la dynastie des Tang.

6. Code des rites et cérémonies qui règle la majeure partie des rapports sociaux et spécialement les devoirs de la piété filiale. Il fait partie des cinq classiques, King, dont il a été déjà question page 90.

7. Collection des statuts administratifs de la dynastie régnante, dont la dernière édition a été publiée à Pé-king en 1825. Ce grand ouvrage qui comprend 820 kiouau ou livres et qui est accompagné d'un atlas de 1,430 gravures sur bois, règle dans leurs plus petits détails les devoirs de tous les fonctionnaires publics de l'Empire.

8. Lois et statuts de la dynastie des Tsin. Dans ce code, qui fait partie du Taï-thsing-hoeï-tien, les lois chinoises, dont l'infraction implique une peine, sont classées sous sept titres différents:

Titre du Taï-thsing-hoeï-tien (notes annexes)
Titre du Taï-thsing-hoeï-tien (notes annexes).
Toutes ces lois sont réunies sous 436 articles, lesquels sont eux-mêmes divisés en autant de sections que l'école chinoise en a imaginé pour l'éclaircissement des cas et l'application proportionnelle des peines.

9. Art de gouverner les Peuples par la piété filiale.

10. Recueil des ordonnances de Kang-hi concernant les devoirs de la piété filiale, dont il s'acquittait envers son aïeule, sa mère et son père.

11. Célèbre historien Chinois qui vivait au xie siècle après Jésus-Christ. Il a composé un ouvrage intitulé: Tseu-tchi-thoung-khian (Miroir universel à l'usage de ceux qui gouvernent), qui contenait 294 livres de texte, 30 livres de tables et 30 autres livres de dissertations et de discussions.

12. Taï-thsing-liu-li.

13. Id.

14. Li-ki.

15. Taï-thsing-hoeï-tien. Résumé: Mémoire concernant les Chinois, tome IV, p. 131.

16. Li-ki.

17. Taï-thsing-liu-li.

18. Taï-thsing-hoeï-tien.

19. Taï-thsing-liu-li.

20. La Chine, par J.-F. Davis (1897).

21. Li-ki.

22. Mémoire concernant les Chinois, tome V.

23. Livre des Annales, revu par Confucius; c'est un des cinq King, page 90.

24. Livre des Vers: un des cinq King, page 90.

25. Mémoire concernant les Chinois, tome IV.

26. Taï-thsing-liu-li.

27. Mélanges asiatiques, par Abel Rémusat, tome II.

28. Taï-thsing-liu-ti, Statuts supplémentaires.

29. On ne trouve dans la Biographie universelle que 2,345 de familles différents, dont les plus communs sont Tchin, Yang, Ouang et Li. Les noms de deux syllabes sont au nombre de 700 environ; néanmoins, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, la loi qui interdit le mariage entre les Touang-sing a été fidèlement observée.

30. Taï-thsing-liu-li.

31. Taï-thsing-liu-li.

32. Taï-thsing-liu-li.

33. Taï-thsing-liu-li.

34. Taï-thsing-liu-li.

35. Taï-thsing-liu-li.

36. Tièn-kou-ni-niu-tchouan (traditions sur les devoirs des femmes dans l'antiquité).

37. Niu-kié-tsi-pien, ouvrage en sept chapitres, traduit du chinois, par le père Amyot.

38. Papier roulé en forme de lingot.

39. Mémoires concernant les Chinois, Tome XII. Vie de Confucius, par le père Amiot.

40. Abel Rémusat. Mélanges asiatiques.

41. Abel Rémusat. Mélanges asiatiques.

42. On sème à la volée le grain qu'on a fait seriner dans des paniers et qui donne des plants au bout de trois semaines.

43. On n'a encore signalé, ni dans les Ouvriers européens, ni dans les Ouvriers des deux momies, aucun aliment de ce genre. Ainsi conservera-t-on le nom de deu-vou pour désigner les préparations analogues qui pourraient être ultérieurement rencontrées dans les monographies.

44. Dialecte mandarin; se dit meu dans le dialecte Tché-kian.

45. Pé-king et la Chine. Mesures, monnaies et banques chinoises.

46. Manuel du négociant français en Chine.