N° 42.

SERRURIER-FORGERON

DE PARIS (SEINE).

(Journalier dans le système des engagements momentanés.)

D'APRÉS LES

RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN 1878

PAR

M. LE VICOMTE JACQUES DE REVIERS .



Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.

I. Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

§ 1ᵉʳ. — État du sol, de l'industrie et de la population.

[201] La famille habite, à Paris une maison située boulevard de la Chapelle (18e arrondissement). Cette maison se compose de plusieurs corps de bâtiment à quatre et cinq étages, séparés et éclairés par deux coeurs rectangulaires d'une superficie de 150 mètres environ. Le nombre des locataires est de 108. La plupart sont des employés ou des ouvriers jouissant d'une certaine aisance. Le prix des loyers varie entre les limites de 250 à 100 francs par an.

L'ouvrier décrit dans la présente monographie travaille comme forgeron dans un atelier de serrurerie en bâtiment, qui occupe toute l'année 160 à 180 ouvriers, et ou l'on fabrique des grilles, balcons, rampes d'escaliers, paratonnerres, charpentes et planchers[202]métalliques. D'après les statistiques1industrielles les plus récentes, on peut évaluer à 1,250 le nombre des fabricants, et à 1,300 le nombre des ouvriers qui, à Paris, exercent la profession de serrurier. Celle-ci, d'ailleurs, comporte plusieurs spécialités distinctes et diversement rétribuées selo l'habileté professionnelle qu'elles exigent. Parmi les ouvriers travaillant au dehors, oOn distingue : Les copgons de ridde, chargés des menus travaux d'entretien et de réparation (gain 0 fr. 50 c. par heure) — les poseurs de onedtes (gain 0 fr. 60) — lesferreuzrs, dont le travail consiste à poser les 1errements de croisées, portes, volets, chassis, etc., (gain 0 fr. 55 à 0 fr. 60) — les levagers chargés de monter les charpentes, combles et planchers en fer. Ces ouvriers, qui sont pour la plupart d'anciens charpentiers, s'associent au nombre de cinq ou six composant une équipe. Le che d'équipe reçoit 0 fr. 60 c., et les hommes qui travaillen sous ses ordres aggnen 0 fr. 50 à 0 fr. 55 c. par heure.

Parmi les ouvriers qui travaillent à l'atelier, on distingue : les frgerons, rétribués à raison de 0 fr. 70 à 0 fr. 75 c. par heure, et ayant chacun un et quelquefois deux rappeurs sous leurs ordres : ces derniers reçoivent 0 fr. 10 à 0 fr. 0 — les asteurs, qui finissent à l'étau les pièces ébauchées à la forge (gain 0 fr. 55 à 0 fr. 60) — les perveurs, maneuvres qui travaillent sous les ordres des ajiusteurs, et dont la spécialité est de forer des trous avec la machine à percer (gain 0 fr. 10). Dans les ateliers de quelque importance il y a aussi des roteurs et des toureurs (gain 0 fr. 80).

Depuis plusieurs années, l'industrie des constructions en fer n'a pas subi de chômage proprement dit, et les travaux importants exécutés pendant ces deux dernières années lui donnent en ce moment un essor considérable. En mars et avril se produit périodiquement un ralentissement dans l'activité du travail : mais l'atelier auquel est attaché l'ouvrier recevant fréquemment des commandes pour l'étranger, peut, en général, garder ses ouvriers sans interruption pendant toute l'année.

La femme de l'ouvrier exerce la profession de piqueuse de guetres de bottines. Elle travaille à domicile et aux pièces pour le compte d'une maison de cordonnerie en gros, rue Chaudron. L'industrie de la cordonnerie occupe à Paris plus de 15,000 femmes dont un grand nombre travaillent en chambre.

[203] Leur gain est très variable et souvent peu rémunérateur. Il peut être évalué en moyenne à 2 fr. 60 e.

§ 2. — État civil de la famille.

La famille comprend les deux époux et cinq enfants, savoir :

Charles B***, chef de famille, marié depuis 17 ans, né à Arinthod (Jura)............ 42 ans

Louise X***sa femme, née à Paris............ 36 —

Jeanne B***leur fille, —............7 —

Louise B*** — —............ 5 —

Marie B*** — —............ 3 —

Charles B***leur fils, —............ 18 mois

Henri B*** — —............ 5 —

L'ouvrier n'a plus ses parents. Il avait une sœur aînée qui est morte à Paris il y a quelques années. Il lui reste un frère qui est tailleur de pierres à Paris. Louise X*** a encore son père et sa mère. Elle avait une sœur et un frère, tous deux plus âgés qu'elle ; son frère seul est survivant. Il habite Paris, où il est placé comme cuisinier.

§ 3. — Religion et habitudes morales.

Les deux époux appartiennent à la religgion caholique ; mais l'un et l'autre s'abstiennent de toute pratique religieuse. Ils ne fréquentent pas l'Egglise, ne respectent pas le précepte du repos dominical, et, pour des motifs futiles, ils ont différé jusqu'à ce jour de faire baptiser leurs trois derniers enfants. Chez l'ouvrier se rencontre une certaine hostilité à l'égard du clergé qu'il entend dénigrer journellement par ses camarades d'atelier. Chez la femme domine une indiférence complète. Les préoccupations matérielles et l'accomplissement de ses devoirs maternels absorbent tout son temps et toutes ses pensées. D'ailleurs, son opinion est qu'une conduite honnète et la pratique de la charité envers le prochain (§ 19) sont préférables aux dévotions extérieures. Ayant laissé déchirer par ses enfants son livre de première communion, elle ne possède aucun livre de priere. Il est à remarquer cependant que l'union des époux *° a reçu la consécration religieuse.

L'ouvrier est sobre et d'une conduite régulière : il est très rare qu'il boive avec excès. D'un caractère naturellement doux,[204]timide et peu ambitieux, il supporte aec patience les charges fort lourdes que lui impose sa nombreuse famille. Il ne brutalise jamais ses enfants, traite sa femme avec égards et suit assez docilement ses conseils. IRemettant entre ses mains la plus grande partie de la paie mensuelle, il lui laisse une grande liberté pour les dépenses du ménage et l'achat des vêtements ou du mohilier.

La femme est très laborieuse, très énergique, peu bavarde et d'une humeur très égale. Elle ient son ménage avec beaucoup d'intelligence, d'ordre et d'économie. Ne sortant que très peu d'instants dans la matinée pour faire ses achats dans les botiques voisines, elle cons acre tout son temps aux soins du ménage, a la surveillance des entants et a son travail professionnel.

Les enfants sont dociles, bien elevés et toujours tenus très proprement. Leur mère ne leur permet jamais d'aller jouer seuls dans la rue. l'endant la belle saison, elle les laiss e prendre leurs ébats dans la cour sur laquelle ouvrent les 1fenêtres de l'appartement. Les parents paraissent avoir des idées assez arretées sur l'éducation de leurs enfans. La mère s e propose de garder auprès d'elle ses filles jusqu'à l'epoque de ler mariage, estimant, non sans raison, que le travail à l'aelier est pour les jeunes filles une cause de perdition ; très persuadée, pour l'avoir éprouvé elle-méme, que les bonnes urs sont poOur une femme chose plus utile que l'instruction ou l'argent. IPour leurs garçons, les parents ambitionnent une instruction solide et assez développée pour leur permetre de s'élever à la position d'employés ou de commis de maggasin, situation qui leur semble plus douce et plus enviable que celle d'ouvrier astreint au travail manuel.

Louise 8 témoigne envers ses parents des sentiments de piété iliale peu communs dans la classe ouvrière. Non-seulement elle voit sans amertume approcher le moment ou sa mère, trop âgée et trop infirme pour travailler, retombera à sa charge, mais encore en parlant de son père, qui, par sa négliggence e son désordre, a dissipé une fortune dont il avait été le propre artisan (§ 12), elle fait observer que puisque cet argent avait été entièrement gagné par son père, celui-ci était bien libre d'en disposer à son gré, et qu'il n'en était nullement redevahle . à ses entants, lesquels d'ailleurs lui devaient une bonne éducation, chose plus precieuse que la fortune.

Les deux époux savent lire et écrire ; mais ils ont fort peu de goût pour la lecture. En fait de livres, ils ne possèdent que l'lIHistoire de France d'Anquetil, acquise par souscription dans le but d'avoir en prime une pendule : ils ne l'ont d'ailleurs jamais lue. L'ouvrier[205]ne lit jamais un journal : aussi est-il fort étranger à toute préoccupation politique. Depuis plusieurs années il n'a pas usé de ses droits d'électeur. Il ne témoigne ni irriaion ni haine envers le patron pour lequel il travaille ; mais se sentant assuré par son habileté professionnelle de trouver toujours à se placer avantageusement, il est très disposé à le quitter brusquement à la moindre contestation qui pourrait survenir au sujet de la fixation des salaires.

§ 4. — Hygiène et service de santé.

L'ouvrier est de taillemoyenne, d'une constitution très robuste. Sa physionomie es douce et un peu timide ; ses cheveux et sa barbe sont chaains tirant sur le blond ; ses yeux sont bleus. Il n'a connu jusqu'à ce jour ni la maladie, ni les infirmiés. Le seul accident qui lui soit arrivé dans l'exercice de sa profession a eu pour conséquence une muilation du doigt médius de la main gauche.

La femme joit également d'une excellente santé, dont elle abuse en travaillant souvent jusqu'à une heure fort avancée dans la nuit. Mariée à l'âge de 2l ans, elle est restée sans enfants pendant les trois premières années de son entrée en ménage. Depuis elle a toujours eu des couches heureuses. LOrs de la naissance de son dernier enfant (novembre 1877), elle a pu se lever dès le lendemain et se remettre au travail au bout de quatre jours de convalescence. Tous ses enfants ont été nourris et élevés par elle. Les trois premiers ont succombé a des maladies accidentelles avant d'avoir ateint l'âge de trois ans. Les cinq derniers, dont les noms ont été indiqués ci-dessus (§ 2) sont robuses et bien portants, à l'exception du dernier, âgé de cinq mois. Chétif et malingre, ce enlfant n'a pas trouvé dans le lait maternel une nourriture assez subsantielle. L'allaitement au biberon ne lui a pas mieux réussi, et, sur l'avis du médecin, ses parens viennent de le mettre en nourrice aux environs de Paris, dans un disrict assez rapproché pour pouvoir aller le visiter presque tous les dimanches. Malgré cette surveillance continuelle, la mère se plaint que l'enfant est mal soigne par la nourrice, qui, outre des gages de 40 francs par mois, exige beaucoup d'ojets en naure et les détourne souvent au profit de son propre enfant (§ 17).

Les maux de gorge, l'angine et le croup sont les accidents auxquels les enfants des époux ° son le plus sujets. Leur mère n'use pas pour eux de la gratuité médicale à laquelle elle aurait droit : elle préfère appeler à domicile un médecin en qui[206]elle a confiance et qui n'exige ses honoraires qu'à de longues échéances. Les principaux médicaments administrés aux enfants sont des toniques, tels que huile de foie de morue, sirop d'iodure de fer, etc. Les deux filles aînées seules ont été vaccinées.

§ 5. — Rang de la famille.

Charles ee était contre-maître avant d'entrer dans l'atelier où il travaille comme simple ouvrier depuis quatre ans. Il a toujours été apprécié de ses patrons a cause de son habileté et de sa bonne conduite. Satisfait de sa position actuelle, il ne témoigne pas en ce moment l'ambition de redevenir contre-maître. D'ailleurs sa femme l'en détourne, craiggnant qu'il n'y ait là pour lui une occasion de courses et de dépenses fréquentes au cabaret. Les époux se montrent peu soucieux de l'avenir. Ils songent d'autant moins à faire actuellement des économies qu'ils comptent sur le travail futur de leurs enfants pour subvenir aux frais de leur etablissement. La mère se propose d'apprendre a ses filles la profession de piqueuse de bottines, et le bénéfice de leur travail sera placé à la caisse d'épargne de maniere a assurer à chacune d'entre elles une dot de 300 francs environ. C'est une somme semblable que Louise ° avait économisee avant son mariage et qui a constitué la dot qu'elle a apportée à son mari. Ce dernier n'a apporté à la communauté que l'énergie de ses bras. L'achat d'un mobilier a endeté le ménage pour plusieurs années : ensuite la naissance d'enfants nombreux a rendu impossible toute économie. De là résule que la famille ne possède aucun capital placé comme fonds de réserve, et qu'elle est par suite exposée à déchoir promptement de la position moyenne qu'elle occupe actuellement si une interruption de travail, une réduction de salaire, une maladie ou quelque accident imprévu venaient diminuer le budget de ses recettes.

II. Moyens d'existence de la famille

§ 6. — Propriétés.

(Mobilier et vêtements non compris).

IMIMeubles............. 0 fr. 00

La famille n'a aucune propriété de ce genre et ne songe même pas à la possibilité d'en acquérir jamais.

[207] ARGENT............ 0 fr. 00

L'ouvrier n'a pas pu jusqu'à présent réunir une somme d'argent assez considérable pour être placée à intérêts.

MATÉRIEL SPÉCIAL des travaux et industries............ 851 fr. 90

1° ˉOutillage de serrurerie. — 1 établi de tourneur, 4 étau. l machine à percer, outils divers (limes, pinces, ciseaux, tenailles, marteau, etc...) — le tout acheté ensemble d'occasion 250 fr. : — 2 scies à bois, 2 fr., — 1 boite de compas, 3 fr. ; — 1 mètre de poche. 1 fr. — Total., 256 francs.

Ce matériel ne sert à l'ouvrier que pour les menues réparations du mobilier. et en particulier pour l'entretien des machines à piquer de sa femme. L'atelier où travaille l'ouvrier lui fournit tous les outils nécessaires à l'exercice de sa profession.

2° Outillage pour la piqûre des guêtres de bottines. — 1 machine à piquer, faisant le point de chaînette (achetée d'occasion). 250 fr. ; — 1 machine faisant le point de navette (achetée d'occasion). 200 fr. ; — 1 machine d'un ancien système (achetée d'occasion et actuellement hors d'usage). 125 fr. : — 1 paire de ciseaux de coupeur (cadeau). 5 fr. ; — 2 paires de ciseaux ordinaires, :5 fr. 50 ; — 1 burette à huile, 1 fr. 50 ; — 1 machine à bobinr le fil, 3 fr. 50 ; — Total, 590 fr. 50.

3° Matériel pour le blanchissage des vêtements et du lige. — 1 batoir en bois, 70 cent. : — 1 brosse en chiendent. 40 cent. ; — 3 fers à repasser,2 fr. 50 ; — 1 planche à repasser, 1 fr. 80 — Total, 5 fr. 40.

Valeur totale des propriétés............ 851 fr. 90

§ 7. — Subventions.

La seule sbvention dont jouisse la famille consiste dans la gratuité de l'instruction donnée à la fille aînée par l'école de la ville. On peat évaluer à 3 f. 59 la dépense mensuelle qui incomerait aux parents, si leur fille suivait les cours d'un établissement privé.

Ce n'est que depuis un an que l'enfant fréquente l'école.

§ 8. — Travaux et industries.

Travaux de l'ouvrier. — Tout le travail de l'ouvrier est exécuté dans l'intérieur de l'atelier pour le compte d'un patron auquel il est lié par des engagements momentanés. L'ouvrier n'a pas de spécialité strictement définie : depuis plusieurs années il travaille à la forge. En temps ordinaire, la journée, hiver comme été, est de dix heures. Elle commence à sept heures du matin et[208]se termine à six heures du soir, avec une interruption de une heure entre onze heures et midi. Les dimanches et jours de fête, le travail est, sinon obligratoire, du oins volontairement consenti par la plupart des ouvriers : il cesse à quatre heures de l'après-midi. Le dimanche qui suit la paye, les ouvriers ne vont pas à l'atelier, et le lendemain ils quittent le travail à onze heures. Dans ces conditions, le travail eflectif pendant quatre semaines (la journée étant de dix heures) se réduit en moyenne à 258 heures. Le salaire de Charles R est de 0 fTr. 725 l'heure.

La paye a lieu toutes les quatre semaines. Au bout de la première quinzaine, il est accordé aux ouvriers, qui en font la demande, un à-compte de 20 francs, jamais plus. Jusqu'à ce jour aucune retenue n'était prélevée sur le salaire payé à la fin du mois. Le patron, ayant eu souvent l'occasion de constater les inconvénients de cette manière d'agir, se propose de prendre à l'avenir des dispositions de nature à prévenir le départ inopiné de ses ouvriers aussitôt la paye effectuée.

Tous les outils sont fournis gratuitement à l'ouvrier. Aucune subvention en nature ne lui est allouée, et rien ne rend ses intérêts solidaires de ceux du patron.

Depuis plusieurs années l'industrie métallurgique n'a subi aucun chomage prolongé, et cette année en particulier une grande activité lui a été imprimée par la construction du palais de l'EXposition. D'ailleurs, s'il survenait un ralentissement dans la fabrication, l'ouvrier, très expert dans son art, serait de ceux que le patron congédierait en dernier lieu.

Travaux de la femme. — La femme a pour industrie principale la confection de guètres de bottines en peau ou en drap. Travaillant à l'entreprise pour le compte d'une fabrique de chaussures, située dans le voisinage de son domicile, elle rapporte chaque semaine, à jor fixe, l'ouvrage terminé, et reçoit en échange de nouvelles pièces à piquer. Le nombre de celles-ci varie en général de cinq à six douzaines. dont la façon est rétribuée de 3 a 7 francs la douzaine. Le chiffre supérieur étant rarement atteint, on peut adopter comme taux de la rétribution moyenne 5 fr. 50.

Le nombre d'heures que Louise B*** peut consacrer journellement à son travail professionnel est assez inégal, selon le temps plus ou moins long qu'exigent la préparation des aliments, les soins du ménage et l'entretien des enfants. En se levant de grand matin et en prolongeant quelquefois son travail fort avant dans la nuit, elle arrive a faire des journées de neuf ou dix heures. Dans cet espace de temps, gràce à l'emploi d'engins mécaniques,[209]elle réussit à confectionner jusqu'à une douzaine de guetres de bottines : toutefois, c'est à la condition de faire exécuter au dehors, par des ouvrières en sous-ordre qu'elle rétribue ellemême, la partie de la tàche qui ne peut se faire qu'à la main, les boutonnières par exemple. Le gain de ces ouvrières, qui recoivent leur travail de seconde main, est en général assez minime (§ 18). Tenant compte de cette circonstance favorable à la femme R*°, remarquant d'autre part qu'elle doit fournir à ses frais le fil et la soie nécessaires à la confection, on peut attribuer une rétribution moyenne de 3 fr. 15 au travail par elle exécuté dans le courant d'une journée de dix heures.

TRAVAIL DES ENFANTS. — Les enfants sont trop jeunes encore pour pouvoir se livrer à un travail lucratif. La fille aînée, âgée de 7 ans, frequente l'école avec régrularité. Dans l'intervalle, elle fait quelques commissions, et la garde de ses freres et sœurs lui est confiée toutes les fois que leur mère est obligée de s'absenter pour acheter des provisions, aller au lavoir ou reporter à la fabricue le travail de la semaine.

INDUSTRIES ENTREPRISES PAR LA FAMILLE. — Le temps des deux époux étant presque entièrement absorbé par l'exercice de leurs professions respectives, les industries secondaires entreprises par la famille à son propre compte sont peu nombreuses.

L'ouvrier consacre à la reparation des machines de sa femme les rares loisirs dont il dspose : ses connaissances professionnelles et la possession d'un outillage de serrurerie assez complet lui offrent pour l'exécution de ce travail des facilités particulières.

La femme prélève sur le repos dominical le temps nécessaire au blanchissage des vêtements de la famille. Après avoir passé quatre heures de la matinée au lavoir le plus voisin de son domicile, elle rapporte chez elle le linge mouillé, et, l'ayant fait sécher en le suspendant à des cordes tendues au plafond de l'appartement, elle le repasse ordinairement dans la soirée du même jour. Elle consacre, en outre, chaque semaine un temps plus ou moins long à la confection et à l'entretien des vêtements de la famille, et à cet effet elle utilise celle de ses trois machines à coudre qui se prète le mieux à ce genre de travail. Pour ce qui concerne les menus raccommodages, elle trouve souvent avantage à les faire exécuter par des ouvrières dont le temps a moins de valeur que le sien.

Si on prend en considération cet emploi multiple du temps, on ne sera pas surpris de voir le travail de la femme figurer au[210]budget annuel pour un nombre de journées notablement supérieur à 365.

III. Mode d'existence de la famille

§ 9. — Aliments et repas.

La famille fait en toute saison trois repas par jour. Le père ne prend part qu'au repas de midi et à celui du soir. Le matin il sort toujours à jeun : avant d'entrer à l'atelier, il prend généralement au cabaret voisin un morceau de pain de 0 fr. 05 c., un morceau de fromage de 0 fr. 10 c., et un demi-setier de vin (0 litre l25) à 0 fr. 20 e. Il prend très rarement de l'eau-de-vie, qu'il accuse de lui donner des maux d'estomac. Dans le courant de la journée, il consomme régulièrement une chopine (0 litre 500) à 0 fr. 35 c. La dépense occasionnée par ces consommations s'élève annuellement à 255 francs environ.

La femme et les enfants prennent leur premier repas du matin à huit heures. Il consiste invariablement toute l'année en café au lait. Le déjeuner de onze heures se compose le plus souvent d'un plat de viande bouillie ou rôtie, garnie de légumes, suivi d'un dessert, lequel est ordinairement du fromage blanc pour les enfants, et du fromage conservé pour le père. Les fruits ne figurent sur la table que dans les moments où ils sont à très bas prix ; les fraises et le raisin sont ceux que la mère achète de préference. Elle donne très rarement des contitures à ses enfants : ceux-ci vers le milieu de la journée mangent volontiers un morceau de pain sec. Les dex époux prennent toujours une tasse de café noir à la fin de leur repas. Ils n'y ajoutent de l'eau-de-vie que par exception, un jour de fête, ou s'ils ont des invités. Le dîner se compose toujours d'une soupe, et d'un plat de viande ou de légumes préparé avec les restes du déjeuner réchauffés et diversement accommodés. Ce repas a lieu à sept heures du soir.

Pendant les premières années du ménage, la famille buvait du vin à ous ses repas. A mesure que le nombre des enfants s'est accru, il a fallu restreindre cette dépense devenue trop onéreuse, et, depuis plusieurs années, le vin est réservé pour les dimanches et jours de fête. La boisson habituelle de la famille est une sorte de bière, que la femme prépare en mettant dans un baril d'une capacité de trente litres environ, du houblon, de l'orge, de la[211]chicorée, du genièvre et du sucre. La quantité préparée chaque fois sufit à une consommation d'une quinzaine de jours, et revient au prix de 2 francs.

Dans l'habitude de la vie l'alimentation est saine et substantielle. Les mets sont abondants et toujours de bonne qualité. La femne et les enfants mangent beaucoup de soupe. Les potages maigres, tels que soupe aux choux, aux oignons, aux poireaux, sont préférés par eux aux potages gras ; aussi, le pot-au-feu n'est-il mis qu'une fois par semaine. La famille consomme peu de charcuterie. Elle mange fort peu de salade, et donne aux légumes verts ou farineux une préférence sur les pommes de terre. La femme n'ayant pas le temps d'aller au marché n'achète pas souvent du poisson, qu'elle tient à avoir toujours très frais. Dans le choix des viandes, elle se laisse guider, moins par le prix, que par le temps dont elle dispose pour leur cuisson.

En résumé, l'alimentation est très bonne ; et si elle entraine pour le menage une dépense relativement considérable, elle est d'autre nart une économie, en ce sens qu'elle assure aux enfants une constitution et une santé robustes.

§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.

La famille habite au rez-de-chaussée un logement composé de trois chambres et d'une cuisine. Les trois pièces principales sont éclairés chacune par une fenetre à deux battants, ouvrant sur la cour : elles sont parquetées en chène, et ornées toutes trois de cheminées en marbre noir. Les papiers collés sur les murailles sont vieux et tachés. L'exposition au Nord, et le niveau du plancher qui est de plain-pied avec le pavé de la cour rendent l'appartement for humide pendant l'hiver, ce qui oblige la famille a entretenir constamment un poêle allumé dans la pièce où elle se tient pendant la journée.

La distribution de l'appartement est la suivante : la pièce d'entrée, attenante a la cuisine, sert de salle à manger : au centre, une tahle de forme ronde sur laquelle la famille prend ses repas ; en face de la fenetre, un tour avec un étau et divers outils de serrurerie. La seconde pièce, qui est de même forme et de mêmes dimensions que la première, est divisée en deux paries par un rideau tendu en travers, derrière lequel sont placés deux lits de fer pour les enfants. L'un de ces lits n'est pas garni ; dans l'autre couchent ensemble les trois filles. Cette pièce est celle où se tient la famille et où travaille la femme pendant la journée.

[212] Contre la muraille, vis-a-vis la cheminée, est placé un petit poêle en fonte, avec étuve, qui sert en hiver à la cuisson des aliments.

La troisième pièce, meublée avec une certaine recherche, sert de chambre à coucher aux époux. La cheminée est décorée par une pendule sous un globe de verre et par une glace entourée d'un cadre doré. La fenêtre porte des rideaux de couleur. Le mobilier consiste en une grande armoire en bois de noyver, une commode et un lit du même genre. Devant la fenêtre, une petite table couleur acajou avec tablette en marbre blanc sert de table de toilette. A côté se trouve un petit lit en fer, forme berceau, avec rideaux et couvre-lit en calicot blanc ; il sert de couchette à l'aîné des garçons âgé de 18 mois.

Les trois pièces se commandent. La famille habite principalement celle du milieu, qui est la seule où elle entretienne du feu constamment allumé pendant la mauvaise saison.

Le loyer annuel est de 350 francs, payahles par trimestres.

La superficie du logement est d'environ 28 mètres q.. qui se décomposent ainsi qu'il suit :

Répartition des pièces dans le logement de la famille (§10)
Répartition des pièces dans le logement de la famille (§10).

La hauteur de plafond est de 3 mètres.

On peut attribuer au mobilier et aux vêtements, possédés par la famille, la valeur suivante

Meubles.. — Simples et conformes à la condition de la famille............ 835 fr. 55

1° ¯Lits. — 1 bois de lit en noyer avec son sommier. 108 fr. — 2 matelas de laine (cadeau). 62 1fr. — 2 oreillers en plume. 7 fr. 50. — 1 traversin. 3 fr. — 2 couvertures en molleton de laine. 26 fr. — couvrepied. 2 fr. 80. — 1 petit lit de fer. forme berceau. 13 fr. — 2 paillasses. 3 fr. 50. — 1 oreiller. 3 fr. — 1 couverture en laine. 13 fr. — 1 paire de rideaux en calicot blanc, 2 fr. 80. — 1 couvre-lit de même étoffe. 1 fr. 50. — 1 lit de fer avec sangles (acheté d'occasion avec son matelas). 8 fr. — 1 couverture de laine. 18 fr. — 1 berceau en osier avec sa paillasse et son oreiller. 5 fr. 80. — 1 lit de fer avec sangles. non garni (acheté d'occasion). 7 fr. — Total. 284 fr. 90.

2° Meubles de la chambre à coucher. — 1 armoire avec porte à deux vantaux. en bois de noyer. 110 fr. — commode du même bois. 75 fr. — 1 able de nuit, 12 fr. — 1 petite table avec tablette en marbre blane, 18 fr. — 2 chaises de paille, 8 fr. 50. — 1 glace avec cadre doré. 90 fr. — 1l pendule ornée de figurines en bronze, 125 fr. — 6 petits cadres contenamt des images et photographies, 1 fr. 50. — 1 paire de rideaux de fenêtre en indienne de couleur, 3 fr. — Total, 443 fr.

[213] 3° Meubles de la pièce princpale. — 1 poéle en fonte avec son tuyau de tôle, 31 fr. — 1 able en bois blanc. 5 fr. 50. — 2 chaises forme tabouret pour les enfants, 6 fr. 50. — 2 chaises garnies de paille. 8 fr. 50. — 1 étagère en bois blanc, 1 fr. 80. — 1 paire de rideaux en indienne de couleur, formant alcove, 2 fr. — Total, 55 fr. 30.

4° Meubles de la salle manger. — 1 table de forme circulaire, en bois de noyer, 28 fr. — 3 chaises de paille. 12 fr. 75. — 1 petite table en bois blanc, 2 fr. 80. — 1 glace de petites dimensions. avec un cadre en bois (cadeau), 8 fr. — 1 vase de porcelaine bleue. 80 cent. — Total, 2 fr. 35.

5° ˉLivresˉ. — l'histoire de France, d'Anquetil (73 livraisons reçues par suite d'un abonnement ayant pour objet de faciliter l'acquisition de la pendule, donnée comme prime).

Linge de ménage.— Suffisant et entretenu avec soin............ 274 fr. 75

12 paires de draps de lit (2 paires ont été achetées 20 fr. la paire, et les 10 autres paires ont été irées d'une pièce de toile achetée 230 fr.), 212 fr. —. 12 taies d'oreiller. 22 fr. — 18 serviettes de toilette, servant également de torchons, 20 fr. — i serviettes de table, 12 fr. — paires de rideaux de fenêtre en mousseline blanche. 8 fr. 75. — Total. 274 fr. 75.

Ustensiles. — Comprenant les articles de cuisine et de table nécessaires pour l'usage de la famille, et suflisants pour recevoir deux ou trois invités............ 236 fr. 75

1° ˉDépendant de la chemnée et du poéde. — 1 pelle à feu et l paire de pinettes, 2 fr. 25. — 1 soufle. 1 fr. 50. — Total, 3 r. 75.

2° Employés pour la préparation des aliments. — 1 douzaine d'assiettes plates. 1 douzaine d'assiettes creuses., 1 plat long et 1 plat rond, le tout en porcelaine blanche commune, 22 fr. — 1 soupière en porcelaine blanche, 1 fr. 80. — 1 saladier de même matière, 2 fr. 25. — 6 bols à café en terre de pipe, 1 fr. 20. — 4 errines en poterie de diverses grandeurs., 6 fr. 50. — 1 cruche en terre, 1 fP. 80. — 1 casserole en cuivre rouge, 3 fr. — 6 casseroles en fer batu de diverses grandeurs, 9 fr. — 2 seaux en zinc, 4 fr. 50. — 1 panier à salade, 80 cent. — 1 filtre à café. 2 fr. 25. — 1 bouillote en fer battu, 2 fr. — 1 cloche à fromage, 1 fr. 25. — 1 vase en terre pour conserver la graisse. 90 cent. — 15 bouteilles vides, 1 fr. 50. — 1 petit baril pour la préparation d'une boisson analogue à la bière, 3 fr. 50. — 10 verres à boire en verre commun, 30 cent. — 4 verres à pied, l fr. 20. — 1 caxrafe, 2 fr. 25. — 1 couvert en argent (ayant servi à la femme lorsqu'elle était en pension), 20 fr. — 6 couverts en ruoltz, 36 fr. — 6 couverts en métal anglais (cadeau), 30 fr. — 6 petites cuillers en ruolz (cadeau), 12 fr. — 1 pochon en ruolz, 4 fr. 50. — 1 douzaine de couteaux de table avec manche en bois noir, 8 fr. — 1 biberon, 2 fr. 50. — Total, 181 francs.

3° ¯Employés pour les soins de propreté. — 1 peigne, 1 brosse à cheveux et plusieurs éponges, 3 fr. — 1 brosse à habits, 1 fr. 25. — 1 paire de rasoirs, 1 fr. 50. — 1 cuvette et un pot à l'eau, 3 fr. 50. — 2 vases de nuit, 1 fr. — 2 balais, 3 fr. 50. — Total, 13 fr. 75.

[214] 4° Employés pour usages divers. — 1 lampe à pétrole, 4 fr. — 2 petites lampes à essence minérale, 1 fr. 75. — 1 lampe à huile (hors d'usage), 50 cent. — 1 voiture d'enfants, 32 fr. — Total, 38 fr. 25.

VÊTEMENTS. — Les deux époux et leurs enfants sont vètus pendant la semaine d'une manière simple et convenable. Les vêtements qu'ils portent le dimanche sont ceux de la bourgeoisie............ 749 fr. 10

Vêtements de l'ouvrier, emblables à ceux portés par les ouvriers de sa profession : blouse et pantalon de toile bleue pendant la semaine. vètements de draps le dimanche (188 fr. 70).

1° Vêtements du dimanche. — 1 pantalon de drap noir, 22 fr. — 1 gilet de même étoffe. 8 fr. 50. — 1 redingrote de même étoffe, 40 fr. — 1 pardessus de couleur foncée, 25 fr. — 1 chapeau de feutre noir. 10 fr. — 1 chapeau de paille, 2 fr. 50 — 1 chapeau de soie (hors d'usage), 1 fr. — 1 paire de bottines, 11 fr. 50. — 1 cravate en satin. 1 fr. — Total. 121 fr. 50.

2° Vêtements de travail. — 4 pantalons et 4 blouses en toile bleue (lavés toutes les semaines). 22 fr. — 1 vieux pantalon porté comme vêtement de dessous, 2 fr. :50. — 1 gilet en tricot de laine. 12 fr. :50. — 6 chemises en toile (confectionnées par la femme), 18 1fr. — i mouchoirs de couleur, 1 fr. 20. — 4 paires de chaussettes de coton. 4 fr. 50. — 1 paire de galoches, 2 fr. 25. — 1 paire de chaussons., 2 fr. — 1 casquette d'étoffe, 2 fr. 25. — Total. 67 r. 20.

Vêtements de la femme. Costume populaire : le dimanche la femme porte chapeau (325 fr. 60).

1° Vetemets du dimanche. — 1 caraco en drap noir (confectionné par la femme), 7 fr. 50. — 1 robe à corsage en orléans noir (confectionnée par la femme), 22 fr. — 1 robe en mousseline de couleur claire (la femme ne la porte plus, et la réserve pour ses filles), 14 fr. — 1 châle en cachemire noir, 42 fr. — 1 chapeau garni de rubans, 9 fr. 50. — 1 ombrelle, 2 fr. 80. — 1 parapluie, 6 fr. 50. — Total, 104 fr. 30.

2° Vêtements de la semaie. — 6 caracos et 4 jupes en étoffe de laine de diverses couleurs, 29 fr. — 6 camisoles blanches, 7 fr. 50. — i jupons en calicot blane, 9 fr. 80. — 12 chemises en toile, 21 fr. — 6 tabliers de couleur, 7 fr. 50. — (Ces vêtements ont été en grande partie confectionnés par la femme.) — 12 paires de bas de coton, 14 fr. — 1 douzaine de mouchoirs blancs, 2 fr. — 1 bonnet en mousseline (la femme ne le porte que pour faire des courses en ville pendant la semaine). 2 fr. 50. — 2 paires de bottines, 12 fr. — 1 paire de feutres claqués, 3 fr. 50. — Total. 1O08 Tr. 80.

3° ¯Bijoux. — 1 montre en or. sans chaîne, achetée par la femme avamt son mariage, 95 fr. — 1 broche montée en or (cadeau), 8 fr. — 1l paire de boucles d'oreille. 2 fr. 50. — 1 bague en or, 7 fr. — Total, 112 fr. 50.

VÊTEMENTS DES CINQ ENFANTS, tenus avec propreté, et presque tous confectionnés par la mère. Ceux du dimanche sont d'une élégance exagérée comparativement à la position sociale de la famille (234 fr. 80).

[215] Vêtements de la fille aînée (66 fr. 30).

1° Vêtements du dimanche. — 1 robe en percaline de couleur claire (cadeau). 6 fr. — 1 robe de couleur verte. en poil de chèvre (cadeau), 7 fr. 50. — 1 robe avec corsage, en laine grise, garnie de passementerie, 9 fr. — 3 tabliers blancs, 6 fr. 80. — 1 chapeau de paille garni de rubans, 4 fr. 40. — 1 paire de bottines, 4 fr. 50. — Total, 38 fr. 20.

2° Vêtements de la semaue. — 2 jupes en laine noire, 3 fr. — 3 corsages de même étoffe, 1 fr. 80. — 2 tabliers en mérinos noir, 3 fr. 40. — 4 paires de bas de coton, 2 fr. — 4 chemises. 2 fr. 80. — 6 mouchoirs blancs (ils servent indistinctement à tous les enfants), 1 fr. 20. — 1 tablier en indienne de couleur, 1 fr. 50. — 2 paires de chaussures. 6 fr. 50. — 1 capeline (coiffure pour l'hiver). 2 fr. 40. — 1 chapeau de paille, 1 fr. — Total, 25 fr. 60.

3° Bijoux. — 1 petite croix pour suspendre au cou (cadeau), 2 fr. 50.

Vêtements de la fille cadette (38 fr.).

1° Vêtements du dimanche. — Iobe avec corsage, en laine grise, garnie de passementerie, 8 fr. 50. — 2 tabliers blancs, 2 fr. 60. — 1 chapeau de paille earni de rubans, 4 fr. — 1 paire de bottines. 5 fr. — Total, 20 fr. 10.

2° Vêtements de la semaine. — 1 jupe en laine noire. 1 fr. 80. — 2 corsages de même étoffe.1 fr. — 2 tabliers de mérinos noir. 3 fr. 40. — 1 tablier en indienne de couleur, 1 fr. 0. — 3 chemises. 2 fr. — 4 paires de bas de coton, 2 fr. — 1 paire de chaussures, 3 fr. — 1 capeline, 2 fr. 20. 1 chapeau de paille. 1 fr. — Total, 17 fr. 90.

Vêtements de la troisième fille et de l'aîné des garçons.

Semblable à celui de la fille cadette, le trousseau de ces deux enfants peut être évalué au même prix. soit 38 fr. chacun (76 fr.).

Vêtements du dernier enfant (54 fr. 50).

1° Vêtements du dimanche. — 1 pelisse blanche, garnie de passementrie, 12 fr. — 1 robe longue du même genre, 8 fr. 0. — 2 bonnets garnis de dentelle, 4 fr. 50. — (Ces vêtements ont servi successivement à tous les enfants lorsqu'ils étaient en bas-âge.) — Total, 25 francs.

2° Vêtements de la semaine et linge de corps. — 1 douzaine de brassières, 6̂ fr. — 1 douzaine de bonnets, 5 fr. 50. — 3 douzaines de couches (confectionnées avec du vieux linge de ménage). 18 fr. — Total, 29 fr. 50.

Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 2,096 fr. 15

§ 11. — Récréations.

Pendant la belle saison, la principale distraction de la famille consiste le dimanche en une promenade faite en commun sur les boulevards avoisinant son domicile. Le jardin des Buttes-Chaumont est quelquefois le but de cette promenade. qui d'ailleurs[216]n'est jamais d'une longue durée, ant à cause du bas-ầge des enfants que de l'heure tardive à laquelle l'ouvrier quitte l'atelier. D'autre part, la femme consacrant toute la matinée du dimanche aux travaux de la lessive, ce n'est qu'après le repas de midi qu'elle peut songer à sa toilette et à celle de ses enfants. Dans ces conditions, la famille sort très rarement de l'enceinte des fortifications, d'autant plus qu'elle a la sage habitude de revenir toujours souper à la maison. Il n'est dérogé à cette coutume qu'une ou deux fois par an, notamment à l'occasion de la fête patronale de la mère de l'ouvrière. Ce jour-là les parents conduisent leurs enfants chez leur grand'mère qui habite le quartier de la CroixRougge, et un dîner de famille réunit le soir les trois générations autour de la même table.

Eceptionnellement, de,uis un mois environ, la famille (ou bien un des deux époux seulement lorsque le temps est mauvais) se rend chaque dimanche aux environs de Saint-Ouen, ou vient d'être placé en nourrice le dernier enfant âgé de 5 mois. Ain de pouvoir emmener tous leurs enfants dans cette course un peu longgue pour leurs petites jambes, les parents ont fait l'acquisition d'une voiture d'enfant.

En hiver la famille ne sort presque jamais le dimanche. En revanche elle reçoit assez fréquemment la visite de parents ou amis, qu'elle retient volontiers à souper. C'e jour-là le repas du soir est un peu plus copieux que d'ordinaire, ce qui occasionne une petite dépense supplémentaire.

L'ouvrier se montre peu enclin à chercher en dehors de son intérieur des jouissances bruyantes ou malsaines. Il fréquente peu les cabarets, et consacre volontiers ses loisirs à l'entretien du mobilier et à la réparation des machines à piquer dont se sert sa femme. Cette dernière, se consacrant tout entière aux soins du ménage, ne songe guère à chercher dans le commérage avec les voisines une distraction fort goûtée en général des femmes du peuple. Elle ne consacre à sa toilette personnelle qu'une somme modique, et son seul luxe, sous ce rapport, est de vêtir ses enfants les dimanches et jours de fêtes avec une recherche qui f1atte au plus haut degré son amour-propre maternel.

Les enfants s'amusent de peu. En hiver, ils flânent dans l'appartement, se promenant d'une pièce dans l'autre. En été, ils jouent dans la cour sous la surveillance de leur mère.

IV. Histoire de la famille

§ 12. — Phases principales de l'existence.

[217] L'ouvrier est né en 1836 à Arinthod (chef-lieu de canton du Jura). Il était le troisième et dernier fils d'un cultivateur, qui, après avoir exercé le métier de forgeron, fut obligé de renoncer à cette profession à la suite de la fermeture de l'usine pour le compte de laaquelle il travaillait. Pendant sa jeunesse, Charles : demeura auprès de ses parens. Il fréquentait l'école pendant l'hiver, et travaillait aux champs tant que la saison le permetait. Se sentant peu de gout pour les travaux agricoles, il quita le toit paternel à l'aige de 16 ans, et vin à Paris, oi vivait sa sœur aînée, mariée et placée comme domesique. Indécis sr le métier qu'il voulait prendre, il passa tout d'ahord une semaine chez un fabricant de tuyaux de plomb, puis s'enga;ea comme apprenti au service d'un serrurier, dans le quarier du l'emple. Au bout de onze mois d'apprentissage, l'ouvrier quitta son maître, et, après un séjour de sept mois chez un autre paron, il ent ra à l'aelier de M. Ch.°, rue de Fleurus, ou il fut employé pendant neu années consécutives, avec un salaire, qui, de 2 r. 75 à l'origine, s'éleva progressivement à 1 fr. 75. C'est à cette époue, en 186l, que Charles *° contracta avec Louise M le mariage qui l'a rendu père de famille. L'atelier de la rue de Fleurus ayant changé de maître, l'ouvrier le quitta, et entra en qualité de contre-maître dans une maison qui occupait en moyenne une vingtaine d'ouvriers. Ayant encore changé deux fois, l'ouvrier travaillait chez M. °°, un des principaux représentants de l'industrie de la serrurerie en bâtiments, lorsque survinrent les événements de 1870. Exempté du service militaire par son frère aîné, Charles R* resta à Paris pendant le siège, et travailla tout l'hiver, avec un bénéfice assez considérable, pour le compte de M. L''T, à qui la commission d'armement avait fait une commande de 700 pontets et 200 plaques de couche. En mars 1871, la Commune fit fermer les ateliers de M. L*°, et l'ouvrier, craignant d'êre incorporé dans la garde nationale, s'évada en passant par Sain-Denis, où sa femme put le rejoindre. Les deux époux se rendirent à azebrouc (département du Nord), ville natale des parents de la femme. Après un séjour de quelques mois à Saint-Pierre-lesCalais, où l'ouvrier avait trouvé de l'ouvrage chez MM. BT et M, fabricants de métiers à tulle, la famille revint à Paris. Charles B** étant rentré comme contre-maître dans l'atelier où il travaillait au moment de la déclaration de la guerre, ne quitta [218] cette maison que pour entrer en 1871 chez M. M°, ou depuis quatre années il travaille à la forge, comme journalier, recevant un salaire mensuel de 200 francs environ.

Ainsi, dans l'espace de 26 années, l'ouvrier a travaillé dans one ateliers différents. Cette instabilité, qui n'a rien d'anormal ni d'ex ceptionel, eu égard aux conditions actuelles du travail à Paris, a été motivée tantôt par un mouvement d'humeur ou par des prétentions exagérées de la part de l'ouvrier en matière de salaire. Depuis son arrivée à l'aris en 1852, Charles n'est etourné dans son pays natal qu'une seule fois, à l'occasion du tirage au sort pour la conscription. Il a jiugé inutile de renouveler ce voyage à l'occasion du décès de ses parents, l'hértage laissé par ces derniers étant trop modique pour valoir la peine d'ètre recueilli.

Louise est née à Paris en l812. Ses parents, originaires du département du Nord, iouissaient d'une certaine fortune, acquise dans l'exploitation d'une fabrique de chauss ures. Une mauvaise direction des affaires amena une faillite, qui, ayant totalement ruiné la famille, obligea le père à se réfugier en Belgique, où il réside encore actuellement. Louise, àggée alors de l ans, fut retirée du pensionnat où l'avaient placée ses parents, et, ohliggée de gagner sa vie p ar son propre travail. llle se placa comme demoiselle de magasin chez un commeŗnt de chaussures. Sa mère prit la profession de blanchisseuse qu'elle exerce aujourd'hui encore dans le quartier de la Croix-Rouge.

Lorsque Louise se maria à l'age de 21 ans, elle quitta le magasin, ain de pouvoir se consac er entierement au soins de son ménage. l.tant demeurée sans entants pendant les premières années qui suivirent son mariage. et désirant utiliser les loisirs dont elle disposait paur suite de cette circonstance, elle fit l'acquisition d'une machine à coudre, et reussit, après plusieurs mois d'apprentissage, à se creer la profession qu'elle a exercée depuis lors avec un béné ice sutlisant pour faire achat successivement de deux autres machines d'un système plus perfectionné.

§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.

L'ouvrier n'appartient à aucun compagnonnage, n'est aflilié a aucune Société de secours mutuels et n'est membre d'aucune association syndicale. Ce fait peut être attribué à deux causes : d'une part, l'ouvrier n'a pas fait son tour de France ; en quittant la maison paternelle, il est venu directement à Paris, où il a[219]constamment séjourné jusqu'à présent. D'autre part, étant d'un caractère timide et un peu renfermé, il lui répugne de chercher dans des relations de camaraderie un appui et au besoin une arme de résistance, dont l'utilité d'ailleurs serait pour lui d'autant moindre que son habileté professionnelle et sa bonne santé lui garantissent plus sûrement la continuité du travail. La même observation s'applique à la femme, qui, grâce à de bonnes relations avec une maison de cordonnerie en gros, ne souffre iamais du ralentissement périodique ou accidentel de la fabrication.

Un peu trop confiants peut-être dans la persistance de cette situation heureuse, les époux ne songent guere à faire des économies pour leurs vieux jours. Si élevé que fû leur gain à l'époque où leurs enfants étaient moins nombreux qu'aujourd'hui, ils n'on jamais eu l'énergie morale nécessaire pour consituer par une épargne prolongée un capital d'ou ils auraien iré des revenus. L'acquisition et l'augmentation du matériel concernaut l'industrie de la femme constituent le seul placement en nature auquel soit affectée de temps à autre une portion de l'excédent des recettes sur les dépenses. Le surplus est employé soit à accroire le bienetre matériel de la famille, soit à faire face aux dépenses nouvelles qu'occasionne la naissance successive des entants. Tout autorise à presumer qu'il en sera de même pendant de longues années encore ; car, si considérables que soient dès a présent les charges du ménage, elles iront évidemment en croissant jusqu'au jour où les filles aînées seront d'à̂ge à aider leur mère dans les travaux domestiques d'abord, dans les travaux d'aiguille ensuite.

La femme n'inscrit pas ses dépens es journalières. Elle a essayé plusieurs fois de contracter cette sage habitude, mais elle s'est toujours découragée au bout de peu de temps. La pensée d'ètre peut-être obligée un jour de demander des secours au bureau de bienfaisance lui coûte moins qu'à son mari. D'ailleurs, en examinant les budgets de la famille, on voit que pour le moment ils s'équilibrent encore aisément sans l'intervention de l'assistance publique.

En résumé, chez la famille ici décrite, nous rencontrons cette imprévoyance et cette insouciance de l'avenir qui sont un des caracères propres de la population ouvrière de Paris, et out en reconnaissant, à l'éloge des époux B', qu'une conduite hounète et laborieuse est la principale garantie de leur bien-ère, nous constatons avec regret, et no sans quelque appréhension, que la sécurité de leur avenir repose uniquement sur la présompion d'un travail continu et largement rémunéré pendant toute la durée de l'éducation de leurs enfants.

Éléments divers de la constitution sociale.

— Faits importants d'organisation sociale ; particularités remarquables ; appréciations générales ; conclusions.

§ 17. — INFLUENCE EXERCÉE SUR LA MORTALITÉ DES ENFANTS PARISIENS PAR L'INDUSTRIE DES NOURRICES.

[235] La bonne santé et la constitution robuste des enfants inscris à l'État civil de la présente monographie ne sont pas seulement des qualités héréditaires ; elles doivent ére atribuées en grande partie au privilège qu'ont eu ces enfants d'ère elevés et noris par leur ere. Des raisons hygiéniques, et dans une cer aîné mesure le désir de pouvoir conscrer plus de teinps à l'exerclce d'une industrie qui procure à la famille un sppleme de saire important, Ont déterminé la femme l' a conier son dernier enfant, âge de quaure mois, à une nourice domiciliée à la campagne aux environs de Paris (§ 4). Trompés par les renseignemens de leur médecin. les paren. s se son dresses a u de es femmes, maiheureusemen res nombeuses. ax yeux desqueies un nourriSsoOn n'est qu'un objet de lucre e de speculion, et, au bout de peu de semaines, les epoux E'' ont acquis la rise conviction que les s acrificaes pécuniaires qu'ils s'imposen pour pocurer à leur enfant l'air salubre de la campaggne en même temps qu'un lait de bonne qualité sont plus 1unestes qu'ies a a santé du pauvre petit etre, destiné selon toute vraisemblance à aller dans un avenir prochain grossir le nombre des victimes de l'industrie nourricière.

A diverses reprises des hommes compétents, parmi lesquels il convient de cier au premier rang MM. Brochard, IIusson, Monnot, Du Mesnil, Boudet, Roussel, Le Fort, IBerillon, Laabrègue, etc., ont signalé à l'atention publique les proportions alarmantes qu'atteint la mortalité infantile dans les départenents avoisinant Paris.

D'après M. le D Bertillon (ˉDeographie f̂grée, la mortalité de la première année étant de 13 °, dans la Creuse et de 14 ° 3 dans les Hautes-Pyrenées, elle s'elève à 29,1 °, dans Seine-etMarne, à 30,8 °, dans l'Eure, à 3l,3 °, dans la Seine-lnerieure et à 36,9 °, dans Eure-et-Loir. Ces eh: fres ris emen signiicatifs n'ont rien de surprenant pour quiconque a pu Cnsaer de vdsu la maniere dont s'exerce dans les campagnes l'indus ie des nourrissons.

Il nous semble intéressant de consigner à ce sujet quelque[236]observations ; elles ne se rapporteront qu'aux nourrissons originaires de Paris. Selon leur provenance, ceux-ci peuvent être divisés en deux catégories, la première comprenant les enfanls placés en nourrice par leurs parents, la seconde les enfants placés aux frais et par les soins de l'administration de l'Assistance publique, et connus sous la dénomination d'enfants assistésˉ. — Nous nous occuperons exclusivement de la première catégorie.

Les motifs qui, chez les classes ouvrieres de Paris, déterminent une mère à recourir, pour son enfant, à l'allaitement mercenaire. sont de diverses natures. Les plus fréquents sont : l'incapacité physiologrique de nourrir, l'exiguïté du logement habité par la famille, le travail à l'atelier, les exiggences de certaines professions, celle de domestique par exemple Enin, si l'enfant est le fruit d'une union illégitime, le désir de se débarrasser de ce témoin d'une faute sera une raison de plus pour l'envoyer mourir en province.

Sur 54,000 enfants qui, en moyenne, naissent annuellement à Paris, on peut évaluer à 14,0002au moins le nombre de ceux que leurs parents envoient à la campagne pour y devenir, sous le nom de petits parisiens, l'objet d'une industrie aussi préjudiciable à la santé des enfants qu'à la moralité des femmes qui l'exercent. — C'est a ce double point de vue que doit être envisagée la question.

Les intermédiaires qui mettent en relation la nourrice et la mère qui lui confie son enfant sont tantot les bureaux de nourrices, tantôt la sage-femme ou le médecin de la famille, tantôt quelque parent, voisin, ami, ou domestique, compatriotes de la nourrice.

Jusqu'en 1821, époque à laquelle se fondèrent à Paris les premiers bureaux particuliers, le monopole du placement des nour[237]rissons à la campagne appartint a la Direction des nourrices (grand Bureau), dont le siège, primitivement rue Saint-Apolline, avait été dans la suite transferé rue des Tournelles. Chargé simultanément du placement des enfants assistés, et du placement des enfants qui lui étaient confiés par les familles, ce service municipal, que la loi du l0 jianvier 1819 avait placé sous la direction de l'administration de l'Assistance publique, a été supprimé en l876. Quelques détails sur son fonctionnement permettront d'apprécier les avantages et les garanties qu'il présentait.

A l'origrine, la Direction municipale des nourrices placait dans 21 départements les nouveaux-nés qui lui étaient confiés par les familles. La diminution survenue dans ses opérations par suite de la concurrence des bureaux particuliers (petits hureaux) l'obligea plus tard à restreindre ses placements à cinq départe-ments (Somme. Monne, Aisne, Orne, Eure-et-Loir), divisés en 7 circonscriptions, comprenant 767 communes. A la tète de chaque circonscription était placé un sous-inspecteur, chargé du recrutement et de la surveillance des nourrices de la Direction : un personnel de 55 médecins secondait les sous-inspecteurs dans cette tàche. n règlement de mars 1855 prescrivait aux sousinspecteurs de visiter leurs pupilles tous les deux mois, afin de vérifier l'état de leur santé et de leur trousseau, de remettre à la nourrice ses gages et de donner des nouvelles à l'administration centrale. Le médecin, de son coté, devait visiter la nourrice et l'enfant une fois par mois, et plus souvent même en cas de maladie ; chargé en outre du recrutement et de l'examen médical des nourrices, il ne recevait pour chaque visite mensuelle, y compris la fourniture des médicaments, qu'une indemnité de 1 franc (somme notoirement insuflisante).

Satisfaisantes au point de vue théorique, le plus souvent inappliquées et inapplicables en pratique, ces mesures de surveillance ne constituèrent jamais au proit des nourrissons qu'une protection et insutlisante et touiours plus apparente que réelle. La suppression de la Direction municipale des nourrices n'est donc pas aussi regrettable qu'on pourrait le supposer, d'autant plus que, depuis quelques années, la clientèle du grand Bureau était devenue très restreinte. De leur côté, les nourrices, éprouvant pour tout ce qui ressemble à une surveillance administrative quelconque une invincible répugnance, témoignaient en général peu d'empressement à bénéficier des avantages que leur offrait la bDirection, els que gratuité du logement et de la nourriture pendant leur séjour à Paris, exemption d'honoraires pour frais de placement, gratuité des secours médicaux à domi[238]cile, enfin garantie d'une indemnité mensuelle de l2 francs en cas de non-paiement de la part des parents, cas qui se présente assez fréquemment. En 1866, M. Husson, directeur de l'Assistance publique, constatait que le nombre des enfants ramenés à leurs parents faute de paiement des mois de nourrice s'élevait au 1 7 des placements faits par les bureaux particuliers, et au l 10 des placements faits par la Direcion. De 1855 à 181, la garantie de l2 francs par mois avait couté à l'administration la somme de 836,719 francs.

Il nous rese à décrire à présent le fonctionnement des bureaux particuliers : à Paris, ils sont actuellement au nombre de douze.

Les nourrices leur sont procurées par l'entremise de courtiers, connus sous le nom de eeuzrs. Ces hommes, généralement grossiers et d'une moralité douteuse, parcourent les campa gnes enrôlant des nourrices, et en même temps, quand l'occasion s'en présente, des femmes ou des filles pour d'autres établissements de la capitale. On dirait une véritable agence d'émigration des campagnes vers les villes. Chaque mois le meneur amène à Paris ses clientes : il les surveille, les guide, les conseille dans leurs arrangements avec les familles, règle pour elles les frais de voyage et du séjour au bureau, et, après les avoir ramenées au pays munies chacune d'un nourrisson, il leur rend visite de temps à autre pour leur remettre leurs gages mensuels sur lesquels il prélève pour frais de commission l franc par mois. Dans ces conditions, la santé du nourrisson et les soins qui lui sont donnés seront évidemment le moindre de ses soucis : bien plus, il trouvera profit à avoir aIaire aux plus mauvaises nourrices, qui, laissant mourir le plus d'enfants, retourneront le plus souvent en chercher d'autres. Nous n'insisterons pas sur les abus qui en sont la consequence pendant trop longtemps ils trouvèrent un correci insulisant dans l'ordonnance de police du 25 juin 1812, pour ére susceptibles d'ètre réformés du jour au lendemain par le reglement beaucoup plus sévère du 27 évrier 1877. Ne pouvant entrer ici dans les détails des formalités nombreuses que la législation nouvelle impose aux nourrices et aux bureaux qui les placent, nous rappelons seulement que toute femme qui vient à Paris chercher un nourrisson doit préalablement se munir de deux certificats : le premier lui sera délivré par le maire de sa commune, à moins que la situation ou la moralité de la femme n' mette obstacle (sur ce point les aires de village se monrent en général d'une déplorable indulgence). L'état civil de la nourrice, le lieu de sa résidence, le consentement de son mari, la date de la naissance de son enfant dernier-né, seront les prin[239]cipales énonciaions contenues dans ce document administratif. Un second certificat, émanant du xédecin-inspecteur, ou à son défaut d'un médecin quelconque, constatera les aptitudes physiologiques de la nourrice. Munie de ces deux pièces, la postulante, aussitôt après son arrivée à Paris, devra se rendre au cinquième bureau de la préfecture de police pour y faire viser ses papiers, se faire inscrire et recevoir son carnet. Elle subira, s'il y a lieu, une seconde visite médicale. 'Toutes ces formalités sont gratuites : une fois remplies, la nourrice n'a plus qu'à se rendre au bureau, ou elle attendra la clientèle, quelquefois pendant des journées entières, dans le déseuvrement et en compagnie de voisines dont les commérages lui enseiggneront, si elle ne les sait pas encore, toutes les roueries du métier. Les honoraires des nourrices de campagne varient énéralement de 25 à 10 francs par mois, le chiffre le plus élevé s'appliquant aux placements à proximité de Paris, le chiffre le plus faihle aux placements dans les départements les plus éloignés. Les parents sont tenus de verser en outre au bureau 3 francs pour frais de direction, et 15 francs pour frais de voyage de la nourrice, quelle que soit la longueur du trajet.

Ces nourrices reçoivent ordinairement du bureau le logement, mais pas la nourriture. Elles ont l'habitude d'amener avec elles leur enfant dernier-né, pour le montrer comme gage de la bonne qualité de leur lait quelquefois aussi elles présentent l'enfant d'une voisine complaisante ; en tout cas on devine aisément combien sont funestes à la santé du petit campagnard le voyage et le séjour à Paris que lui inflige la cupidité maternelle. Il est vrai qu'au reour il aura pour compagnon d'infortune un frère de lait qu'on négligera encore plus que lui, qu'on dépouillera en sa faveur d'une partie du trousseau donné par les parents, qu'on nourrira au biberon ou au petit-pot, qu'on sévrera prématurément, qu'on abandonnera des journées entières immobile dans son berceau, etc..., et qui, si par miracle il survit à tant de mauvais traitements, demeurera le plus souvent chétif, malingre, d'une constitution débile et d'une sante affaiblie par les privations. uant au nombre des petits parisiens qui ne quitteront le toit inhospitalier de leur maràtre que pour prendre le chemin du cimetière, il variera selon les années et selon les s localités de 25 ° . à 10 °. En 1866, dans une statistique relative à l'arrondissement de Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir), M. le Dr Brochard signalait que la mortalité de la première année, étant de 22 ° . chez les enfants indigènes, s'élevait à 12 9/, chez les nourrissons placés dans la contrée par l'entremise des bureaux particu[240]liers3. Quelques années après, une enquéte ofilcielle, ayant porté sur 5,000 communes apprtenant aux dix départements les plus voisins de Paris, constatait que la mortalité des nourrissons atteignait 51,68 ° ., alors que celle des enfants élevés par leur famille ne dépassait pas 19,92%4.

La situation est-elle meilleure depuis que la loi du 23 décembre 871, déclarant (art. 1e) que tout enfant mis en nourrice devient par ce fait l'objet d'une surveillance adnsinistrative, a institué près du ministre de l'Intérieur un comité spérieur de protection de l'enfnce, ayant sous ses ordres toute une hiérarchie de comités déparleentc et de coissions locales (art. 2 et 3) ? A ne consulter que le texte de la loi et la t eneur des documents qui la complèuent (règlement d'adminis tration publique du 27 février 1877, circulaire ministérielle du 20 mars 1877, ordonnance de police du 1e février 1878), on serait en droit de concevoir d'heureuses espérances. Moins propice aux illusions, l'obsarvation des faits ne justifie guère ces prévisions optimistes. Nous citerons, par exemple, telle commune, située dans le canton d'Authon (Eure-et-Loir). dont la population ne dépasse pas 700 ames, et sur le territoire de laquelle l'industrie des nourrissons amène chaque année 52 à 55 enfants parisiens. Conlormément à la loi, la commission de surveillance se compose du maire (président), du curé membre de droit), de deux mères de famille au choix du maire, de l'instituteur, et du médecin-inspecteur, qui n'a que voix consultative. Les délibérations mensuelles de la commission doivent avoir pour objet l'état sanitaire des nourrissons, leur mortalité, les abus imputables aux nourrices, etc... 'n rapport, adressé au préfet, rendra compe à la fin de l'année des travaux de la commission. Si insructif et si sincère que soit ce rapport, il n'obliera qu'une chose, ce sera de mentionner que toute l'année durant, les réunions de la commission ont été ictives, et la surveillance absolument nulle. Et comment pourrait-il en être autrement, alors que le médecin-inspecteur réside à l0 kilomètres de la commune en question. alors que la plupart des femmes qui détiennent des nourrissons habitent des maisons éparpillées sur une étendue de 2,000 hectares, et alors surtout qu'aucun des membres de la commission n'a à la fois la compétence ni le dévouement nécessaires pour exercer[241]avec la rigueur désirable un controle de nature à lui attirer l'inimitié d'un grand nombre de ses concitoyens ?

On le voit par cet exemple local, qui n'a malheureusement rien d'exceptionnel, une inefficacité inhérente à la nature même des choses frappe presque fatalement toute mesure de surveillance, tant oflicielle que privée, ayant pour objet la protection des enfants confiés à des nourrices mercenaires. Si excellente que soit la loi votée sur l'initiative du D Roussel, son action sera le plus souvent paralysée par l'inertie d'une bureaucratie administrative, d'autant plus disposée à fermer les yeux sur les abus qu'elle se sent également impuissante à les connaître et à les réprimer ; et dès lors tout porte à croire que pendant longtemps encore l'infanticide par incurie et négligence continuera à être impunément pratiqué par ces femmes à qui une sinistre ironie a donné le sobriquet de fiseuses d'ages.

C'est donc ailleurs que doit être cherché le remède aux désordres que nous venons de signaler. Réduire autant que possible le nombre des enfants placés en nourrice par leurs parents, et dans ce but faciliter l'allaitement maternel parmi les classes ouvrières de nos grandes villes, telle doit être l'ambition des personnes désireuses de voir cesser une industrie qui contribue pour une large part à la décroissance de la population en F'rance. C'est dans cette voie que sont entrés les fondateurs de la Société de charité aternelle, de l'Association des nères de fidltes, de la Société protectrice de l'ence, c'est cette pensee qui a inspiré la fondation des crèches, actuellement au nombre de trentedeux dans l'enceinte de Paris ; c'est à cette œuvre que concourt plus efficacement encore toute organisation du travail, qui, en rendant la 1femme à sa famille et à son foyer, lui permet d'exercer dans toute leur plénitude les devoirs de la maternité.

§ 18. — APPLICATION DES PROCEDÉS MÉCANIQUES AUX TRAVAUX D'AIGUILLE. — INFLUENCE ÉCONOMIQUE ET MORALE.

En établissant le budget d'une famille ouvrière de Paris chez qui le nombre des enfants en bas-age surpasse quatre ou cinq, on voit presque toujours les parents ne pouvoirsubvenir aux frais de leur ménage qu'à la condition d'exercer l'un et l'autre une profession lucrative. Cette obligation pour la mère de famille de consacrer à la production industrielle tout ce qu'elle peut dérober de temps aux soins domestiques est la conséquence[242]du régime économique actuel, où le salaire, uniquement basé sur la valeur vénale du travail et ne tenant compte ni des besoins, ni de la situation de l'ouvrier, rétribue sur le pied de l'égalité le célibataire et le père d'une famille nombreuse. De cette injuste répartition du salaire résulte en général pour les familles rebelles aux prescriptions de Malthus une situation critique, et parfois même un paupérisme qui nécessite une intervention prolongée de la charité publique ou privée.

La famille ici décrite, quoiqu'elle ne jouisse d'aucune subvention et ne perçoive les intérêts d'aucun capital antérieurement acquis, présente à cet égard une exception heureuse. Mère de cinq enfants en bas-âge qu'elle élève et nourrit elle-même, la femme B°, par un travail exécuté a domicile, et par conséquent sans préjudice grave pour le bien-être moral de la famille, réalise à elle seule une somme d'argrent capable de faire face à plus du tiers des dépenses annuelles du ménage. C'est à l'emploi d'une machine a piuer qu'elle doit cette puissance productive considérable, eu égard à la faible rémunération accordée en général aux travaux d'aiguille.

Depuis plusieurs années déjà, l'application des engins mécaniques à la confection des vêtements de tout genre a opéré dans cette hranche importante de l'industrie parisienne une véritable révolution. Les machines à coudre, à ourler, à piquer, à festonner, à soutacher, etc., sont devenues d'un usage universel.

En 1872, l'Equéle sur ˉles conditions du travail à Paris constatait que de 1880 à 1872 il avait été vendu dans le département de la Seine 54,000 machines à coudre, dont 12,605 afectées à la production industrielle. Il n'est pas douteux que ce chiffre pourrait aujourd'hui être doublé sans présomption. O0r, si, avec le rapporteur de la commission d'enquète, nous supposons qu'une machine exécute en moyenne le travail de sept personnes, on voit quelle influence doit forcément exercer sr le taux des salaires et le prix de revient des contfections la substitution progressive du travail mécanique au travail à la main.

Faut-il d'une manière absolue se féliciter de cette innovation 8 La réponse, qui ne peut être qu'afirmative si on se place au point de vue du consommateur, semble devoir être plutôt égative lorsqu'on se place au point de vue du producteur. Car s'il est indubitable qu'à l'origine d'importants bénéfices aient été réalisés par les ouvrières qui, étant munies de machines, purent faire une concurrence écrasante à celles qui ne disposaient que de l'agilité de leurs doigts, il n'en est plus de même aujourd'hui. Les facilités nouvelles dont bénéficiait la fabrication ont amené simulta[243]nément l'abaissement des prix de vente et la dépréciation de la main d'œuevre. Les crises de surproduction sont devenues plus frequentes que par le passé, et les grands magasins de nouveautes, spéculant sur cette disproportion croissante entre l'offre et la demande, en sont venus à donner des salaires si peu rémunérateurs, qu'il n'est pas rare de voir des femmes, attelées dix heures par jour à une machine à coudre, gagner péniblement I fr. 20 à 1 fr. 50. Ces faits regrettables se produisent principalement pour les ouvrières qui reçoivent leur travail de seconde main par l'entremise de archandeurs ou archandeuses. Cette dénomination s'applique à certains ouvriers ou ouvrières, qui. étant dans les bonnes gràces de la maison pour le compte de laquelle ils travaillent, obtiennent de celle-ci une quantité d'ouvrage double ou triple de celle qu'ils peuvent exécuter euxmémes. Conservant pour eux les articles les plus avantageux, ils font exécuter la partie la plus diflicile et la moins lucrative du travail par des ouvriers subalternes moins favorisés qu'eux. Dans la plupart des professions, les archandeurs justifient par leurs exactions la haine dont ils sont l'objet.

O0r, à ce propos, nous devons faire observer que l'ouvrière qui nous intéresse ici, loin d'être victime d'une spéculation de ce genre, appartient plutôt à cette catégorie d'entremetteurs dont nous venons de signaler les agissements. IEtant à même de se procurer plus de travail qu'il ne lui en faut pour occuper pleinement son temps et sa machine, elle profite volontiers de cette circonstance pour repasser en sous-main à des ouvrières manquant d'ouvrage et dépourvues de machines la partie de sa tache la plus ingrate et la plus mal rétribuée. Bien plus, encouragée dans cette voie par les proits qu'elle y trouve, la femme B*T se propose d'acheter, si les économies du ménage le permettent, une ou deux machines nouvelles, afin de pouvoir s'ajoindre deux ouvrières travaillant à la journée sous sa direction et sa surveillance. Dans ces conditions elle verra vraisemblablement ses bénéfices s'accroître proportionnellement à son materiel, et pour elle l'application des procedés mécaniques aux travaux de sa profession sera une chose avantageuse. Mais, ne l'oublions pas, c'est là un fait exceptionnel, du au concours de circonstances partculièrement favorables, telles que : entretien des machines par son mari, faveur d'une maison de cordonnerie en gros, etc. et il n'en faut pas moins convenir que l'usage des machines à coudre n'a en rien contribué à l'amélioration du sort des femmes Si nombreuses qú demandent à l'industrie du vêtement soit le[244]pain quotidien, soit le supplément de salaire indispensable à l'entretien d'une famille nombreuse.

Autrefois les travaux d'aiguille n'exieaient aucune mise de fonds préalable : aujourd'hui l'ouvriere se voit forcée d'immobiliser dans l'acquisition d'une machine un capital dont les intérêts grèveront ses benéfices d'autant plus lourdement qu'il faut tenir compte de l'usure du matériel. On estime en effet que les machines affectées a la production industrielle ne durent que six ans. Sans doute on peut voir à ce désavantage une compensation dans la possibilité pour une mère de famille de confectionner à peu de frais ses vêtements et ceux de ses enfants. Mais, si excellent que soit cet usage domestique de la machie, n'a-t-il pas aussi ses inconvénients et sn dangger en ce sens qu'il encourage les classes ouvrières à porter, à l'imitation des classes riches, des vêtements dont la façon vat plus cher que l'étoffe. En voyant, par exemple, dans la famille ici décrite, la mere utiliser sa machine a garnir de passementeries et de mille afliquets les robes du dimanche de ses filles, n'est-on pas en droit de se demander si l'application des engins mécaniques aux travaux de couture n'est pas un des agents les plus actifs de ce déclassement qui, à tous les degrés de la hiérarchie sociale, engendre auiourd'ui le malaise et la convoitise

§ 19. — PRÉVENTIONS DES CLASSES OUVRIÉRES CONTRE LA CHARITE. — DÉMENTI DONNE A CES PRÉVENTIONS PAR UNE PRATIQUE MUTUELLE DE LA CHARITÉ.

S'il est une chose faite pour rabuter et decourager les personnes qui distribuent aux familles indigentes de Paris les secours de la charité publique ou privée, c'est assurement la difficultés extrème de connaître les nécessités réelles et la situation véritable des familles assistées. Les embellissements du nouveau Paris. en refoulant du centre vers a périphérie la population ouvrière, ont presque entièrement rompu les liens de solidarité que le voisinage et la cohabitation sous le même toit établissaient jadis entre les différentes classes de la société. Un grand nombre de familles nécessiteuses, obligrées de se réfugrier dans les quartiers les plus populeux de la banlieue, y vivent dans un dénûment matériel qui n'a d'égal que leur isolement moral. Dans ces conditions, on comprend combien il est dificile à la charité, même la plus vigilante et la mieux intentionnée, de ne pas commettre quelquefois des erreurs et des méprises regrettahles. 'T'antôt une famille honnète[245]et digne d'intérêt, n'osant ou ne sachant pas faire connaître sa détresse, demeurera privée de secours, tandis que sa voisine, enhardie par l'habitude du vice et de l'inconduite, obtiendra des bons de pain qui lui serviront de monnaie courante sur le comptoir du marchand de vin ; tantôt ce sera un ouvrier marié, qui, gardant pour ses débauches personnelles tout le salaire de son travail, confiera à des personnes compatissantes le soin de faire vivre femme et entants, et s'applaudira cyniquement de s'etre débarrassé à si bon compte d'une charge gènante e onéreuse.

Pour comprendre quel discrédit jettent sur les institutions de bienfaisance des faits de cette naure, il sufit d'avoir entendu quelquefois les plaintes amères e les récriminations haineuses qu'ils provoquent de la part de certains membres de la classe ouvriére, qui s'en font une arme contre la charité chrétienne, lui 9pposant, comme unique palliatif aux atteintes de la pauvreté, les sociétés de secours mutuels et les associations syndicales ou coopératives.

Si les déclamations de ces dangereux utopistes trouvent toujours parmi les ouvriers mécontents et jaloux un auditoire disposé à les applaudir, parfois aussi elles trouvent un démenti très significatif dans la générosité avec laquelle on voit des familles peu aisées pratiquer la charité à l'égard de plus pauvres qu'elles.

La famille ici décrite offre sous ce rapport un exemple que nous croyons devoir mentionner, parce qu'il n'est personne qui ne puisse citer quelques faits analogues à l'éloge de la population ouvrière de Paris.

L'ouvrier a un frère aîné qui exerce à Paris la profession de tailleur de pierres. Brutal et débauché, cet homme, après avoir fait mourir sa femme de misere et de chagrin, refusa de prendre soin des enfants issus de cette union malheureuse. Les époux *°°, n'ayant à cette époque qu'un sel enfant en bas-age, recueilliret charitablement deux de leurs nièces, âgées l'une de sept ans, l'autre de onze ans, e, durant plusieurs années, l'entretien et l'éducation de ces enfants adoptifs grevèrent le budget de la famille, sans autre compensation que la satisfaction inhérente à l'accomplissement d'une bonne œuvre.

Ajourd'hui, la famille B ne pourrait plus se permettre une aussi grande libéralité. Néanmoins elle fait encore de bon cœur quelques aumônes en nature ou en argent à une vieille femme du voisinage que ses infirmités et son manque d'ordre ont réduit à la plus extrème misère.

N'est-il pas triste d'etre obligé d'ajouter que cette conduite[246]généreuse, motivée uniquement par des sentiments d'humanité et de philanthropie, est totalement dénuée de la sanction srnaturelle que donne la croyance aux indemnités de la vie future ?5

§ 21. — SUR LA SOCIÉTÉ DE SOUTIEN DE TRAVAIL DES OUVRIERS BRONIERS.

[258]Les patrons, désireux de se concerter sur leurs intérès et la prospérité de leurs industries réciproques, on, depuis quelques années, créé des chambres syndicales où ils discutent. et prennent les mesures dont l'application leur parait utile.

Les ouvriers, de leur côté, ne sont point restés inactits : sentant de plus en plus, au point de vue matériel et moral, le vide produit par le manque de patronage, ils ont voulu s'occuper eux[259]mêmes de leurs intérêts, et montrer aux patrons qu'ils ne sont point des machines dont on peut tirer plus ou moins de revenu. Ils ont fodé parallèlement des chambres syndicales d'ouvriers ; mais elles ont rapidement dégenéré de leur but primiti, ou du moins avouable, et s ont devenues en peu de temps des foyers de discorde où se trame la lutte contre le patron, quelquefois même contre les institutions du pays.

Les ouvriers bronziers ne se sont pas trouvés en retard ; des premiers, ils se sont réunis en corporation, et ont établi des statuts, d'apres lesquels ils doivent venir en aide aux ouvriers sans travail, e leur procurer des ressources, dans tout es les périodes de chômage. La Société possède elle-même un atelier où elle distribue, pendant un certain temps, du travail à tous ceux qui se présentent ; elle leur paye un slaire qui varie de 3 à 5 fr. En temps de grève, elle done à chaque ouvrier un secours journalier de 1 fr. 50. La cotisation des membres associés est de 1 franc par semaine. Environ deux mille ouvriers, c'est-â-dire à peu près le quart des bronziers, font partie de la corporation. Chose curieuse à observer, ce sont presque tous de jeunes ouvriers : les vieux se retirent peu à peu, et n'y figurent qu'en très-petit nombre. La plupart prétendent que cet argent, donné e si grande quantite a la Société, ne profite qu'à la paresse qui en abuse, et au Conseil d'administration. Ils disent ne pas vouloir être dupes trop longtemps ; quand ils commencent à concevoir de sérieux soup̧ons, ils se retirent.

Il est difficile de dire si cette société est isolée ou afiliée à quelque autre. Un fait certain, c'est que la préoccupation constante de ceux qui la dirigent est l'organisation de la lutte contre le patron ; ce sont eux qui décrètent les grèves, et les font exécuter par les ouvriers. Dès qu'ils ont mis une maison à l'index, c'est-à-dire qu'ils l'ont désignée comme suspecte et comme devant ère abandonnée, personne ne peut résister, tous les ouvriers bronziers, qu'ils fassent on non partie de la Société, sont obligés d'obéir, sous peine de se voir en butte aux mauvais traitements. EtU il leur est facile, gràce à l'énorme capital qu'ils possèdent, d'entretenir le chômage et la grève. On comprend quelle influence peuvent, à un moment donné, exercer ces Sociétés qui ont entre leurs mains des noyens d'action si puissants. Aussi importe-t-il ax patrons d'unir tous leurs efforts, de manière à en atténuer les effets et à rendre leur rôle inutile.

Notes

1. Enquête sur les conditions du travail dans le département de la Seine, 1872. Tableaux N 5 et 6.

2. Voici, par exemple, pour l'année 1865, les chiffres donnés par M. Husson (Discours sur la mortalité des jeunes enfants, 1866, page 8.)

Enfants nés à Paris entre 1860 et 1865 et placés en nourice
Enfants nés à Paris entre 1860 et 1865 et placés en nourice.
On remarquera que dans ce nombre ne sont compris ni les enfants confiés à des nourrices sur lieu. ni les enfants assistés. placés en nourrice par l'Assistance publique.

3. De la mortalité des nourrissons en France, spécialement dans l'arrondissement de Nogent-le-Rotrou. 1866. — Ouvrage couronné par l'Institut. pages 104 et 112.

4. Bulletins de l'Académie de médecine, t. XXXIV, 1869. page 257.

5. Une visite faite à la famille B***, peu apres la rédaceion de cette mono graphie, nous a appris que : l'enfant placé en nourrice au mois de mars avait té repris par ses parents dans le courant du mois d'août, et était déceédé peu de temps après ; — que l'ouvrier, ayant quitté le patron auquel il était demeuré fidèle depuis l4, travaillait à la tache pour le compte d'une maison du faubourg Saint-Denis, — entin, que la femme, ayant aeheté une quatrième machine à coudre, donnait à son industrie une extension nouvelle en faisant travailler deux ouvrières sous sa direction et sa surveillanee.