N° 63.

VIGNERON PRÉCARISTE

ET METAYER

DE VALMONTONE (PROVINCE DE ROME).

TENANCIER CHEF DE MÉTIER,

DANS LE SYSTÈME DES ENGAGEMENTS MOMENTANÉS,

D'APRÈS LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN 1887.

PAR

M. URBAIN GUÉRIN .



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OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES DÉINISSANT LA CONDITION DES DIVERS MEMBRES DE LA FAMILLE.

Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

§ 1. État du sol, de l'industrie et de la population.

[385] La famille habite la commune de Valmontone, située à 37 kilomètres de Rome, sur la route Casilina, de cette dernière ville à Naples. Chef-lieu de Mandamento, elle dépend de l'arrondissement de elletri, qui fait partie de la province de Rome. Valmontone est desseri par la ligne de chemin de fer de Rome à Naples ; la station porte le nom de Valmontone-Artena, elle est à égale distance de ces deux villages. Dans deux ou trois ans environ, une autre station sera créée au pied même du bourg ; elle appartiendra à la nouvelle ligne de Naples, plus courte que celle qui existe aujourd'hui.

Valmontone présente l'aspect de toutes les agglomértions[386]urbaines de la province de Rome; elle se dresse sur un rocher escarpé d'origine volcanique ; des murs surmontés de petites tourelles en ruines l'entourent ; ses portes ressemblent à celles d'une enceinte fortifiée. Une rue montueuse et étroite conduit au haut de la ville; elle se change en torrent lorsqu'une pluie d'orage vient s'abattre sur elle. Au sommet du rocher s'élève un vaste palais appartenant à la famille princière des Doria. Du haut de la loggia qui le domine, s'étend une vue immense. Ce ne sont de toutes parts que coteaux chargés de vignes ; collines sur lesquelles s'étagent, pressées les unes contre les autres, les maisons des villages, ou que couronnent les débris d'un vieux château fort ; montagnes plus sévères et plus hautes qui ferment l'horizon. Eclairée par les riches couleurs d'un soleil d'octobre, cette vue offre un charme inexprimable. A côté du palais. se trouve l'église, construite dans le style du seizième siècle.

Située sur un rocher, entre les contreforts des Apennins et les monts Lepini et Tusculani au sud, Fucino au nord, Valmontone doit à cette altitude un climat plus léger que celui de Rome. L'été, ce bourg n'est pas soumis aux chaleurs lourdes qui, dans les mois de juillet et d'août, rendent particulièrement dangereux le séjour de la campagne romaine ; et la température dont un air frais atténue l'ardeur ne dépasse pas celle des régions tempérées. En revanche, dans l'hiver le climat est froid et humide ; depuis la moitié du mois de décembre jusqu'au mois de février, le thermomètre descend réquemment au-dessous de zéro, et il neige quelquefois, sans que la neige cependant fasse un long séjour sur le sol. Les souvenirs des habitants âgés tendraient à faire croire que le climat a subi un certain rafraichissement ; un vieux paysan nous racontait qu'autrefois le sol au mois d'octobre brûlait les pieds de ceux qui ne portaient pas de chaussures, tandis qu'aujourd'hui de nombreuses perturbations atmosphériques se produisent à cette époque. L'absence de cheminées dans la plupart des vieilles maisons corrobore cette observation. Aucune rivière ne passe au pied du rocher de Valmontone. Mais les fortes pluies d'orage qui s'abattent sur le pays entretiennent dans le sol une humidité bienfaisante.

Valmontone renfermait, au moment où les renseignements relatifs à cette monographie ont été recueillis, une population de 5.090 habitants. Le mouvement de la population pendant l'année 1887I comprend 164 naissances, dont 140 légitimes et 24 naturelles, la plupart[387]régularisées par une légitimation subséquente. Les naissances se décomposent ainsi, quant au sexe des enfants : pour les naissances legitimes, 4 garçons, 66 filles ; pour les naissances illégitimes, 20 garçons, 4 filles. Pendant la même période de temps, 98 décès ont eu lieu.

C'est une population purement agricole, sauf les artisans et négociants qui subiennent aux besoins de toute agglomération urbaine. Elle vit surtout de l'exploitation des vignes. La statistique cadastrale relève parmi elle l'existence de 232 propriétaires. Aucun paysan ou tenancier n'habite en dehors du bourg dans des fermes isolées. Plusieurs propriétaires se sont efforcés de retenir leurs tenanciers à proximité de la terre exploitée. Aucun d'eux n'a voulu y rester. C'est une des causes qui s'opposent à l'introduction du métayage dont certains propriétaires auraient voulu implanter l'usage. A Valmontone ou dans les environs, quelques-uns d'entre eux ont appelé des Toscans, façonnés depuis plusieurs siècles aux pratiques de ce mode d'exploitation ; mais ceux-ci n'ont jamais fait un long séjour : ils ont fui à cause d'une prétendue insalubrité du climat, ou par peur des habitants, qui, fortement attachés à leur village, envisagent d'un eil méfiant tout élément étranger (§ 3). La nécessité de se préserver des attaques de l'ennemi a expliqué cette agglomération de la population agricole, Valmontone étant située sur la route de Rome à Naples, que jadis tous les conquérants ont traversée.

La classe des vignerons forme donc le principal et aussi le meilleur élément de la population ; on se plaît à vanter ses bonnes qualités, son application au travail, son esprit religieux (§ 3), son attachement au sol et à sa condition sociale.

La plus grande propriété de la commune appartient au prince Doria, de la famille duquel dependait autrefois le fief de Valmontone ; il n'y vient plus jamais. Un fermier gêre ses affaires. Aussi n'exerce-t-il aucune influence. La majeure partie des propriétés est hypothéquée.

Nous sommes dans la campagne de ˉome On appelle campagne romaine (agro romano) le vaste territoire, coupé çà et là par des accidents de terrain, qui s'étend depuis le pied des contreforts des Apennins, des collines du Latium et de la Sabine, jusqu'à la Méditerranée ; il renferme 250.000 hectares. Tout y parle à l'âme, la sévérité de ses grandes lignes, l'effet pittoresque des montagnes qui barrent l'horizon, l'étrangeté de ce désert entourant la ville éternelle[388]et au-dessus duquel se dresse la croix de Saint-Pierre, la majesté des souvenirs, qui là seulement relient directement l'antiquité aux temps modernes. Mais dans sa majeure partie, elle n'est plus qu'un foyer de fièvres, surtout pendant les mois de juin, juillet et août ; une nuit passée alors dans les régions les plus malsaines équivaudrait à un arrêt de mort.

L'insalubrité de la campagne romaine parait devoir être attribuée à la présence d'une couche de lave qui, se trouvant à une faible profondeur dans le sol, arrête l'écoulement des eaux ; elles s'évaporent pendant l'été sous l'action du soleil et chargent l'air de microbes, générateurs de la fièvre. Les effTorts (§ 18) tentés pour améliorer la situation ont donné quelques résultats dans le voisinage immédiat de ome ; mais la superficie qu'il faut assainir est considérable, 80 kilomètres de longueur sur 40 de largeur. L'exploitation actuelle de cette région malsaine est beaucoup plus fructueuse que ne l'annonce son aspect désolé (§ 18) ; entreprendre l'immense travail nécessaire pour transformer ce foyer pestilentiel en un pays de fertile culture, c'est se heurter à des droits et à des intérêts avec lesquels il faut compter ; c'est, en outre, affronter le fléau même là où il règne, et vouer à sa meurtriêre puissance les premiers pionniers de ce défrichement délétère ; c'est à peu près leur demander le sacrifice de leur vie pour assurer à leurs successeurs des bienfaits qui auront d'abord coûté si cher. On conçoit d'après cela qu'un tel problème fasse reculer les plus hardis comme les plus puissants, et reste depuis des siècles sans solution.

Les constations officielles consignées il y a dix-huit ans dans les Annali del Ministerio dell' agricoltura n'ont donc guère cessé d'être exactes malgré le temps écoulé. ome augmente rapidement en population, en richesse et en beauté, mais la campagne romaine est toujours un désert marécageux, à peine exploité par une culture rudimentaire. Telle est la désolation de ce pays, que, sur une étendue de 205.000 hectares, il n'existe pas une seule commune, pas un village, pas un hameau ayant l'ombre d'une municipalité : tout cet immense espace, presque inhabité, dépend de la commune de Rome. Voulût-on d'ailleurs drainer et cultiver le sol, ce serait actuellement presque impossible : plus des trois cinquièmes de la campagne romaine, soit 125.000 hectares, sont des biens de main-morte. Une centaine de fermiers au plus, connus sous le nom de mercanti di campagna, exploitent le terrain ; mais ils sont, eun général, fort[389]paresseux ; ils n'ont qu'un bail de peu d'années ; aussi ne peuvent-ils songer à faire aucune amélioration durable.

§ 2. État civil de la famille.

La famille comprend six personnes :

1.FRANÇOIS C***, père de famille............ 33 ans.

2.THÉRÈSE M***, mère de famille............ 30 —

3.PHILOMÈNE C***, première fille............ 10 —

4.ILDEGUNDA, deuxième fille............ 9 —

5.ROSINA, troisième fille............ 5 —

6.JULIA, quatrième fille............ 4 —

Au moment où l'auteur de cette monographie était à Valmontone, la famille attendait un autre enfant.

La famille du mari et celle de la femme ont depuis longtemps vécu du travail agricole ; l'une et l'autre avaient à la fois des vignes et des terres ensemencées.

François C*** a encore son père et sa mère, qui demeurent dans la même maison (§ 3) ; il a eu quatre frères qui sont morts à l'âge adulte. Le père et la mère de la femme vivent aussi ; elle n'a' qu'une sœur, également mariée.

Les noms des enfants sont généralement choisis par le parrain ; ils se rapportent à des souvenirs religieux et de famille, ou sont donnés par pure fantaisie. En ce moment, les familles ont une tendance à préférer des noms extraordinaires pour leurs enfants.

§ 3. Religion et habitudes morales.

La famille appartient à la religion catholique ; elle en suit fidèlement les prescriptions, notamment celles relatives à l'abstinence et a la communion pascale. Un petit nombre d'habitants de Valmontone, comme du reste dans la plupart des villages de la province, a seul rompu avec les pratiques religieuses. La famille a reçu des traditions qui sont demeurées encore plus vivaces chez le père. Celui-ci[390]va à la messe tous les matins, et le soir il retourne à l'église pour adorer le Saint-Sacrement. Suivant les anciennes coutumes, toute la famille se réunit en hiver pour dire le chapelet en commun ; l'été, elle ne se rassemble pas. Le vendredi saint de chaque année, le curé vient bénir toutes les maisons ; la famille lui remet des aumônes et lui donne aussi une petite somme aux jours suivants : la Saint-Louis, la Saint-Sébastien, la Saint-Francois, la Saint-Joseph, les fêtes de la Vierge. Toutes les familles, excepté celles qui sont tout à fait indigentes, font célébrer un service au premier anniversaire du décès d'un de leurs membres ; plusieurs le continuent.

Un clergé nombreux réside à Valmontone ; il y a d'abord deux paroisses renfermant chacune un curé et deux vicaires, puis les chanoines qui sont payés par une ancienne fondation due à la famille Doria ; les villages environnants possèdent de semblables fondations. Les curés et vicaires exercent le ministère dans le village où ils sont nés; bien mieux même, ils habitent au milieu de leur famille. et l'un d'entre eux auquel nous faisions part de la coutume française, si différente sur ce point, en manifestait un vif étonnement ; ils ne concoivent pas comment d'autres usages peuvent être suivis. Cela contribue encore à augmenter l'esprit local, déjà très prononcé dans toute la région.

Si les paysans vénèrent dans les membres du clergé des ministres de Dieu, ils voient aussi en eux des hommes sujets au péché. comme toutes les créatures marquées du vice originel. Aussi les défaillances qui peuvent se produire chez un ecclésiastique ne causent qu'un faible étonnement ; l'idée du rachat des péchés par le repentir, jointe à un sentiment profond de la miséricorde divine, est du reste ancrée dans le cœur des paysans romains ; si désordonnée qu'ait été leur conduite, si graves que soient leurs fautes, ils ne désespèrent pas du pardon. Aussi presque tous meurent-ils dans des sentiments édifiants de repentir ; il n'en est pas à Valmontone qui refusent les sacrements, lors de leur dernière heure.

Les époux vivent en bonne intelligence; ils entourent d'un profond respect les parents de François, qui habitent dans la même maison. Ce sont de vrais types de paysans de vieille souche, sobres, patients, laborieux, pleins de foi et de bon sens. Ils prennent non moins de soin de leurs enfants, qu'ils élèvent dans la pensée d'être agriculteurs comme eu. Notre métier à nous, c'est d'être campagnards, » disentils. Aussi se montrent-ils peu soucieux de faire donner de l'instruc[391]tion à leurs enfants. Ils les laissent à l'éc ole seulement pendant 'hiver, mais ils les en retirent aussitôt qu'ils peuvent en recevoir quelque aide dans leurs travaux. Eux ont bien vécu illettrés : Quelle utilité l'instruction présenterait-elle pour les enfants2

Les mœurs italiennes ont été souvent représentées comme trè faciles, sinon gravement altérées. C'est là un préjugé que l'observation des faits dément à Valmontone ; la moralité s'y maintient à un très bon niveau. Le lazarone qui dort au soleil en se contentant d'une poignée de macaroni, ou le cicerone qui poursuit le voyageur de ses quémanderies importunes, telle est l'image sous laquelle nous voyons, au point de vue du travail, les Italiens appartenant aux régions méridionales. La réalité nous les montre três différents. Les paysans de Valmontone ne déploient pas sans doute cette âpreté au labeur qui caractérise certaines populations françaises, telles que les maraîcbers ou les petits propriétaires, préoccupés sans cesse d'agrandir un domaine que le partage forcé va dépecer ; mais ils travaillent tout autant que la plupart de nos paysans. Comme eux, ils manifestent une grande défiance des nouveaux procédés de culture.

Ils ne sont pas doués de l'esprit d'épargne dans le sens où nous l'entendons. Vivant au jour le jour, sans trop se soucier du lendemain, ils ne songent pas à entasser des écus auxquels ils feraient rapporter un intérêt ; mais la mode qui impose aux femmes le port de nombreux bijoux (§ 10) les oblige à s'imposer des privations. Une femme dépourvue de cette parure serait considérée comme indigente, et une fois qu'elle les porte, elle n'ira ni les vendre ni les engager, de peur de faire l'aveu publie de ses difficultés.

Le brigandage qui avait existé à plusieurs reprises dans quelques parties de la province romaine, avait disparu depuis longtemps devant les efforts du gouvernement des Papes, lorsque les événements de 1860 vinrent le ressusciter. Après l'invasion du royaume de Naples par les Piémontais et la capitulation de Gaéte, une partie de l'armée napolitaine fut cantonnée sur le territoire pontifical. Les soldats ne touchaient qu'une maigre solde, et le désir de l'augmenter, joint au désœuvrement, les transforma en brigands. Depuis lors, malgré une surveillance active, le brigandage n'a pu être extirpé tout à fait.

La nuit même qui précéda notre arrivée à Valmontone, une bande d'hommes armés et masqués entourait la gare, garrottait les employés surpris qui habitaient au rez-de-chaussée, tiraient des coups de fusil dans les fenêtres du premier étage, et ensuite enlevaient la caisse. La[392]gare ainsi attaquée est située à proximité d'Artena. L'année suivante, un double assassinat avait lieu près de la même gare. Or autant la population de Valmontone est pacifique, autant celle d'Artena est sauvage et belliqueuse, et la tradition la représente oujours avec cette physionomie rude. Lorsque Charles d'Anjou se rendit à Naples, il eut à triompher, non sans peine, dit-on, de la résistance de la population d'Artena, qui lui barrait le passage. Plusieurs fois les Papes durent sévir contre ce nid de brigands, et aujourd'hui encore on cite de leur part des traits non moins caractéristiques. La famille d'un riche propriétaire qui s'était fixée à Artena fut obligée de quitter la place devant l'attitude des habitants ; ils coupaient les jarrets des chevaux, ils dessinaient des croix rouges sur sa porte, indice du sort auquelils la destinaient. Cependant un grand propriétaire, appartenant à l'aristocratie romaine, s'y installa courageusement ; il fit construire un four à chaux qui pouvait donner du travail aux hommes, et un hôpital pour recueillir les malheureux. Les femmes d'Artena se signalent les jours de procession par de bruyantes démonstrations religieuses1.

Cette différence de caractère rend les rapports entre les deux bourgs très tendus, et lorsque les habitants de Valmontone se rendent aux fêtes d'Artena, la journée se termine par des rixes dans lesquelles leurs voisins, plus hardis, l'emportent sans peine. Chaque agglomération du reste a conserxé, avec une physionomie caractéristique, un esprit local très accentué ; ce sont autant de petits États, qui se regardent le plus souvent d'un œil jaloux.

La famille demeure étrangère aux luttes politiques. Comme le père et le fils sont complètement illettrés, ils ne sont pas inscrits sur la liste des électeurs. Les journaux ne pénètrent donc pas chez eux. Dans leur conversation, ils parlent des taliens, maintenant leurs maîtres, comme d'étrangers. Ils ne manifestent aucun enthousiasme pour le nouveau régime, qui se traduit à leurs yeux par l'augmentation des impôts (§ 20), et par l'obligation du service militaire (§ 19). « Autrefois, nous étions plus tranquilles, » tel est le propos qui leur revient maintes fois à la bouche.

Un des traits de cette population, comme de celles de Zagarolo (§ 17) et de presque toute l'Italie centrale, c'est le maintien des bons rap [393] ports entre propriétaires et tenanciers. Ceux-ci parlent à leur maître avec une familiarité respectueuse ; nulle obséquiosité ou servilité ne paraît dans leur attitude ou dans leur langage, lorsqu'ils se trouvent en leur présence ; ils les mettent au courant de leurs affaires sans méfiance. De leur côté, les grands propriétaires, lorsqu'ils ne pratiquent pas l'absentéisme, savent entretenir avec eux des rapports cordiaux ; c'est la tradition des familles qui, comprenant le devoir social, maintiennent leur influence. Le respect des hiérarchies naturelles a maintenu le véritable esprit d'égalité ; il s'efface, au contraire, lorsque, pompeusement affirmé, il excite les familles ouvrières à la jalousie, et provoque de la part des classes élevées ne morgue par laquelle elles s'imaginent affirmer une supériorité contestée.

§ 4. Hygiène et service de santé.

La famille jouit d'une santé robuste ; elle est rarement atteinte de quelque indisposition. Dans ce cas, elle n'a conservé la tradition d'aucune recette particulière ; elle appelle le médecin.

Deux médecins sont établis à Valmontone. Aucune maladie particuliêre n'y sévit ; l'été seulement, de nombreux cas de dysenterie s'y déclarent ; comme dans d'autres villages voisins, ils proviennent de l'abus des fruits. Ce sont les sages-femmes qui font les accouchements. Le compère et la commère, noms donnés au parrain et à la marraine, lui remettent cinq francs. Ensuite la mère lui donne ce qu'elle peut, selon sa position, cinq, quatre ou trois francs.

§ 5. Rang de la famille.

La famille représente bien la moyenne des familles de vignerons de Valmontone, sous le rapport de la situation matérielle. Mais l'honorabilité bien connue du père lui vaut une considération particuliêre. Son propriétaire la tient en grande estime ; il apprécie fort son honnêteté, son application au travail et vit avec elle en parfaite intelligence.

Moyens d'existence de la famille

§ 6. Propriétés.

[394](Mobilier et vêtements non compris.)

Immeubles : La famille n'en possède aucun............ 0f00

ARGENT : La famille ne possède aucune valeur mobilière............ 0f00

Elle garde à la maison comme fonds de roulement et pour faire face à ses dépenses quotidiennes, une somme qui varie selon les époques de l'année, plus élevée après la vente du vin, réduite au contraire à quelques sous à d'autres moments. Aussi ne peuton la faire figurer que pour mémoire.

ANIMAUX DOMESTIQUES............ 85f60

La famille possède un cochon, comme tous les cultivateurs ; elle l'achète au prix de 15 francs en moyenne en hiver, l'élève pendant l'eté à la vigne et le raméne l'hiver dans une petite étable qu'elle loue, jusqu à ce qu'il soit vendu. Le prix qu'elle en obtient est environ de 85 1rancs, quelquefois il monte jusqu'à 100 francs. Le cochon est appelé le porte-monnaie du cultivateur ; c'est avec lui qu'il paie son loyer : valeur moyenne de l'année, 46f90.

La famille possède de plus 15 poules qu'elle laisse à la vigne : chacune d'elles pond pendant trois mois environ, à raison de dix-sept eufs par mois. EIle fait couver une ou deux poules, chaque couvée donne à peu prés dix poussins. Les poulets sont vendus à trois mois, 1f20 chaque. Ils sont nourris avec du blé et du mais : valeur moyene de l'année, 38f70.

Matériel spécial des travaux et industries............ 190f00

1° Pour la culture de la vigne. — Ciseaux, 3f00; — 1 tranchette, 3f00 ; — 5 tnneaux, 15f00; — 5 hottes, 10f00; — 5 paniers, 3f00 ; — Cuve, 150f00; — Instruments divers, 3f50. — Total, 187f50.

2° Pour les industries domestiqués. — Battoir, 0f50 ; — Ustensiles divers, 2f00. — Total, 2f 50.

Valeur totale des propriétés............ 275f60

§ 7. Subventions.

Le propriétaire n'accorde à son tenancier aucune subvention proprement dite, mais il manifeste sa bienveillance à son égard par la facilité avec laquelle il règle toutes les affaires.

[395] Outre un palais communal dont la valeur est évaluée 130.000 fr., la commune possède quelques terrains, presque tous boisés et couverts de châtaigniers ; elle accorde des droits d'usage aux familles pauvres ; mais la famille décrite n'est pas comprise dans cette catégorie et par conséquent ne jouit d'aucun droit de ce genre. La commune met à la disposition de tous les habitants un lavoir gratuit.

Le prince Doria a retenu de ses anciens devoirs de seigneur, auxquels la coutume l'obligeait, l'habitude de faire distribuer des aumônes, des bons de pharmacie, des linceuls et des draps pour l'ensevelissement des défunts indigents. Mais ces secours ne concernent pas la présente famille, que sa position met depuis longtemps au-dessus du besoin.

Elle reçoit des parents de Francois deux subventions importantes : la jouissance gratuite de la maison qu'elle habiteet le prêt de l'âne dont elle se sert pour ses transports.

§ 8. Travaux et industries.

La famille exploite une vigne dont le produit se divise par moitié, tandis que la propriété de la superficie reste au propriétaire. Le contrat est fait pour une période de huit années ; il met les impôts à la charge du propriétaire, et les dépenses de la culture à celle de l'exploitant. C'est une colonie partiaire. Une seconde vigne est exploitée par la famille ; mais elle ne doit au propriétaire que le quart du produit ; tout le reste lui revient. Seulement le contrat n'assigne aucune durée à l'exploitation ; la famille peut être congédiée au gré du propriétaire ; dans la langue du pays ce dernier contrat a reçu le nom de colonie précaire. A chaque vigne est annexée une pièce de terre cultivée en jonc et dont le produit total, représentant une valeur de cent francs, est pris par le colon. Les vignes de Valmontone n'ont pas jusqu'à ce jour été attaquées par le phylloxera ; mais le peronospora et la grêle ont rendu les dernières années bien mauvaises.

La famille cultive également un hectare de terrain où elle récolte des céréales, une année du mais, une autre du blé, puis de l'avoine, et ensuite le terrain est mis en jachère. La récolte du mais et du blé[396]l'élève en moyenne à dix quintaux ; celle de l'avoine dépasse un peu cette quantité.

Travaux du père. — Le père se lève en étéà 4 heures du matin, en hiver à 5 ou 6 heures, selon les besoins du travail. C'est à la culture de ses vignes qu'est employée la plus grande partie de sontemps. Les jours où il n'y travaille pas, entre autres ceux où le temps est très mauvais, forment environ un total d'un mois. Il se loue quelquefois comme journalier dans les vignes des Castelli romani dont le vin a acquis une certaine renommée. Là il est payé 3f50 par jour et reçoit de plus sa boisson ; il ne s'absente pas plus d'une semaine de Valmontone. La proximité de la vigne, située à une distance de quinze cents mètres du bourg, lui permet d'y revenir prendre son repas du milieu du jour. En été, son séjour à la vigne se prolonge jusqu'à 8 heures du soir ; en hiver, il rentre un peu avant la chute du jour.

Tauvaux de la mère. — La mère se rend chaque jour à la vigne. Elle apporte le déjeuner de son mari et y reste avec lui. Elle a surtout la mission de surveiller les ouvriers qu'ils emploient, mais d'une manière intermittente. Le soir, elle revient à la maison avant son mari, afin de préparer le dîner. Elle se livre aussi à tous les travaux du ménage, tels que réparation des vêtements, repassage. blanchissage, soins donnés aux enfants.

Travaux des enfants. — Les deux filles aînées vont à l'école pendant l'hiver ; mais l'été elles rendent déjà des services à leurs pa rents pour la culture de la vigne ; elles coupent les joncs, les lient et les apportent. Elles s'occupent aussi de la culture des légumes, en tant que ces travaux ne dépassent pas leurs forces.

La famille a conservé, comme industrie domestique, le blanchissage du linge et des vêtements.

Mode d'existence de la famille

§ 9. Aliments et repas.

Selon la coutume des paysans italiens, la famillemène une existence très sobre. Elle mange de la viande dans de rares occasions, mais sur[397]tout aux jours de fêtes, sans que ce régime amène une déperdition de ses forces. Dans ce cas, c'est surtout la viande de bœuf qu'elle recherche. Elle consomme aussi toutefois de la viande de porc. Elle boit du vin, mais jamais d'une manière excessive. Il en est de même de l'eau-de-vie, que le mari consomme seul. Les cas d'ivresse sont très rares à Valmontone.

Le matin, peu après le lever, la famille fait un premier repas. Il se compose d'une espèce de gâteau ressemblant à la polenta et fabriqué par la femme. On y ajoute quelquefois de la morue sèche et des choux, ou une sardine ou du fromage. Le mari prend un petit verre d'eau-de-vie. Le menu du déjeuner ressemble quelque peu à celui du premier repas tantôt des sardines ou de la morue sèche, tantôt des œufs ou des choux. Au goûter, vers trois ou quatre heures, la famille mange du pain ou des fruits. Le repas du soir est composé d'un potage aux haricots et de riz cuit au lard ; il a lieu, vers sept heures et demie du soir en hiver, et en été après le retour de la vigne.

Le pain est fabriqué par la femme et cuit au four public, moyennant l'abandon d'un pain de temps à autre. Valmontone renferme huit fours, dont quelques-uns appartiennent au prince Doria, et les autres à des particuliers.

§ 10. Habitation, mobilier et vêtements.

Le père loge gratuitement la famille de son fils dans une maison qui lui appartient et dont il occupe le second étage. Cette maison est estimée 3.000 francs, et le loyer de chaque étage serait payé 60 fr. par an. Elle est située dans la rue principale de Valmontone, quoique obligée d'aller tous les jours à la vigne, la famille préfère demeurer au bourg. La distance, il est vrai, n'est pas considérable, mais d'autres familles, qui ont chaque jour à franchir une distance plus grande, manifestent la même préférence pour le bourg, qui exerce sur ses habitants une irrésistible attraction.

L'appartement de la famille est au premier étage on y accêde par un escalier étroit. Il se compose de deux pièces, comme la plupart du reste des logements de paysan. De ces deux pièces, l'une sert de cuisine, de salle à manger, de lieu de réunion; l'autre, de chambre[398]à coucher. Dans les appartements qui ont une troisième pièce, celle-ci est employée comme dépôt pour le blé et les provisions ou les ustensiles agricoles.

Meubles. : sans caractère particulier, mais très suffisants............ 377f50

1° Literie. — 3 lits en fer, 56f00 ; — 2 paillasses bourrées de feuilles de mais sèches, 25f00 ; — matelas, 100f00; — 1 grande couverture blanche, 30f00;— 1 grande couverture de coton, 50f00 ; — couvertures plus petites, 15f00; — oreiller, 3f00. — Total, 279f00.

2° Mobilier de la cuisine et de la chambre à coucher. — 4 chaises de bois, 26f00; — 3 chaises plus ordiuaires, 5f25. — 1 table faite par le mari, 4f00; — 1 table, 8f00; — 1 commode, 25f00; — 1 huche 25f00; — 1 petite arche, 0f75. — Total, 94f00.

3° Livres, gravures et objets de piété. — Livres servant aux enfants, 2f00 ; — chapelets et gravures de piété, 2f50. — Total, 4f50.

Ustensiles : en quantité très suffisante ; les paysans tiennent à ce que certains d'entre eux, par exemple les marmites en cuivre dans lesquelles la femme va chercher de l'eau, soient très brillantes............ 110f35

1° Employés pour la cuisson, la préparation et la consommation des aliments. — 5 pots en terre cuite, 1f00; — 4 marmites en cuivre, 51f00; — ustensile pour faire le macaroni, 7f00; — armites pour faire cuire les choux, 15f00 ; — 2 poêles, 1f00; — 12 assiettes, 1f50 ; 10 cuillers et 10 fourchettes, 1f00; — 3 plats, 0f75 ; — 2 couteaux, 2f00. — Total, 80f25.

2° Employés pour l'éclairage et le chauffage. — 1 lampe de laiton, 5f 00 ; — 1 trépied, 1f50; — chenets, 15f00 ; — 1 barre de cheminée, 1f00 ; — pincettes, 2f 00. — Total, 24f50.

3° Employés pour divers usages domestiques. — 1 bassinoire, 1f50 ; — 1 voiture pour les enfants, 1f50 ; — 3 cuvettes, 0f60; — objets de toilette divers, 2f00. — Total, 5f 60.

Linge de ménage suffisamment entretenu; la famille achète souvent une certaine quantité de chanvre qu'elle file ; elle tisse ensuite la toile : deux machines à tisser existent dans le pays ; le droit de s'en servir se paie l5 fr. par an............ 63f00

6 paires de draps de dimensions diverses et dont quelques-uns ont été faits par la 1emme avant son mariage. 27f 50 ; — 1 grande nappe, 12f50; — 12 serviettes, 19f00; — torchons, 4f00. — Total, 63f00.

Vêtements : le vêtement des paysans a perdu ses traits les plus caractéristiques ; la coiffure compliquée des femmes a notamment cessé d'être à la mode. Néanmoins le chapeau pointu des hommes, le mouchoir aux couleurs vives et variées dont les femmes s'entourent la tête les jours de fête, l'épingle ornementée qu'elles plantent non sans élégance derrière les cheveux, les bijoux dont elles sont parées conservent encore au costume quelques traits pittoresques et le sauvent de la banalité. La famille tient à ce que les enfants soient proprement tenus ; tout l'effort de la coquetterie se porte sur les bijoux............ 714f 10

[399] VÊTEMENTS DU PÈRE. — Habits de travail comprenant pantalon, veste et gilet, 40f00; -— 1I veste pour l'hiver, 10f00 ; — Habits pour le dimanche, 60f00 ; — 1 chapeau neuf, 2f00 ; — 1 vieux chapeau, 1f00 ; — 1 paire de bottes, 7f50 ; — 3 Daires de bas de coton, 4f50 ; — 3 paires de bas de toile, 4f50; —5 chemises de toile, 25f00. — Total, 154f50.

VÊTEMENTS DE LA MÈRE. — Costume de tous les jours, jupe en coton, veste avec tablier, f 00 ; — corsage, 6f00 ; — habits de fête, veste et jupe bleue, 15f00; — corsage, 15f00 ; Mouchoirs, 20f00; — 1 petit mouchoir pour mettre sur la tête, 0f75 ; — 5 chemises, 50f00; — 2 jupes de coton, 4f 00 ; — 2 jupes de toile, 6f00; — 1 paire de souliers ordinaires, 7f50 ; — chaussures pour le dimanche, 10f00; — 3 paires de bas de coton, 2f35. — Total, 142f60.

Bijoux. — 1 collier de corail, 150f 00; — 1 paire de boucles d'oreilles, 30f00; — 1 autre pDaire plus belle, 40f00 ; — 2 épingles appelées eurs d'argent, 25f00; — 8 bagues, 100f00 — Total, 345f 00.

VÊTEMENTS DES ENFANTS. — Chacun a : —3 chemises, 9f00; — 22 paires de bas, 1f00; — 1 paire de souliers, 3f00; — 1 costume de tous les jours, 2f00; — 1 costume plus habillé, 3f00. — Total, pour les quatre, 72f00.

Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 1.264f 95

§ 11. Récréations.

La famille se récrée d'abord à suivre les opérations de sa culture et à en constater les résultats, car elle prend un vrai plaisir aux travaux de la terre. Elle a, en outre, ses fêtes domestiques : ainsi, la veille de Noel, elle se réunit tout entiêre che le vieux père. Mais la plus grande récréation des paysans de Valmontone, c'est la réunion du dimanche à l'osteria (cabaret). Ils y consomment pour quelques sous de vin, sans en faire jamais un usage immodéré, et y causent pendant longtemps. Les dimanches d'été, une musique de la ville donne un concert sur la place publique ; beaucoup d'habitants du village y assistent. Un de leurs plaisirs préférés consiste encore à rester debout dans la rue, à la même place, et à y deviser. Aussitôt que leur travail est terminé ou qu'ils disposent de quelque loisir, ils descendent sur la voie publique ; s'il pleut, ils se tiennent sur le seuil de leur maison. C'est ainsi qu'à Rome, la voie la plus fréquentée, le Corso, se remplit vers quatre ou cinq heures d'une foule qui reste stationnaire et jase.

Il y a, à Valmontone, deux foires par an, l'une à la Pentecôte et l'autre à la Saint-Louis, jour de la fête patronale du pays. Elles attirent beaucoup de monde. La fête officielle du Statut, destinée à célébrer la constitution donnée par Charles-Albert à l'Italie, laisse les paysans tout à fait indifférents ; elle passe inaperçue.

§ 12. Phases principales de l'existence.

[400] L'existence des familles de vignerons de Valmontone ne présente pas d'incidents variés : elle s'écoule monotone sur le lieu où leurs ancêtres ont vécu et où leurs enfants vivent et disparaitront à leur tour. Leurs pères ont été agriculteurs ; les fils le seront aussi ; ils ne conçoivent pas un autre mode d'existence. L'ouvrier suit cette tradition : dès son enfance, il a été associé aux travaux de l'exploitation, comme ses filles le sont à leur tour, gt, libéré du service militaire, il s'est empressé de revenir au pays natal.

Le service militaire a été, en effet, introduit depuis que les lItaliens sont devenus les maîtres du territoire pontifical ; il jette une grande perturbation dans la vie sociale. « Cela est bon pour ceux qui ne veulent pas travailler, » dit le père de François C*, avec tout Valmontone. Il ajoute que beaucoup de jeunes gens contractent au régiment des goûts de dépense ; si quelques-uns y acquièrent des habitudes d'ordre, beaucoup aussi, après leur libération, éprouvent quelque peine à reprendre l'existence calme de la campagne. Le recrutement régional n'existe pas en Italie ; on a craint que la persistance de l'esprit provincial ne rendit à certains moments l'emploi des troupes peu sûr ; on s'est attaché à mêler les jeunes gens de toutes les provinces, en les envoyant loin de leur lieu d'origine.

La mort du père, qui amène le partage des biens, est toujours un moment de crise pour la famille. Dans d'autres villages environnants, la coutume générale attribue aux fils une part plus étendue qu'aux filles, et surtout les biens immobiliers. A Valmontone, le partage égal prédomine, bien que quelques familles cherchent à conserver la maison paternelle. Rarement les héritiers tombent d'accord pour procéder à un partage à l'amiable. Ils commencent par invoquer le pretore, magistrat qui correspond, par son rôle, à notre juge de paix, et qui rarement réussit à concilier les prétentions des héritiers. Ils ont alors recours aux tribunaux, jusqu'à ce que la lassitude et aussi l'élévation des frais de justice les amènent à une entente. La maison est vendue, dans ce cas ; c'est surtout ce qui arrive si la conservation du foyer semble procurer à un héritier un avantage trop considérable, dans des familles jalouses de l'égalité.

[401] Valmontone ne fournit pas d'émigrants pour l'étranger. Des ouvriers, des artisans vont seulement à Rome pour chercher un gain plus élevé pendant quelques années : plusieurs d'entre eux s'y fixent d'une manière définitive.

§ 13. Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.

La famille compte sur son esprit d'ordre, sur son application au travail, sur une santé vigoureuse, pour parer aux incertitudes de l'existence. Elle ne fait partie d'aucune société de secours mutuels ou d'assistance. Si elle éprouve une gene momentanée, elle s'adresse aux institutions qui ont pour but d'aider les paysans par un prêt en nature ou en argent, consenti pour une période déterminée. Il y a d'abord le lonte-frumentario, dont l'origine très ancienne ne peut être fixée avec quelque certitude. Il a pour but de faire des prêts en nature ; les paysans, par exemple, y prennent un sac de blé. Après la récolte, ils doivent rendre le sac, plus 15 kilos. Il est administré par un représentant de la municipalité que choisit de conseil municipal ; cet administrateur est tenu de déposer une caution. Le Montefrumentario vit uniquement par ses propres ressources.

La Banque agricole de Velletri, succursale du Crédit agraire de la Banque générale de Rome, consent exclusivemnt des prêts en argent, dont la durée ne dépasse pas un an. L'intérêt est de 6% ; en cas de renouvellement, il s'élève à 6 1/4. Jusqu'à ce jour, la Banque n'a fait saisir aucun paysan. Francois C*** a emprunté une somme de 50 francs, pour le remboursement de laquelle des renouvellements lui ont été accordés tous les trois mois; il s'acquittera à la fin de l'année.

Malheureusement aussi, il existe quelques usuriers auxquels les paysans gênés s'adressent en hiver, notamment s'ils manquent de mais. Ils leur emprunteront un quintal et devront rendre le double, plus un intéret de 12%.

§ 14. Budget des recettes de l'année.

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§ 15. — Budget des dépenses de l'année.

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§ 16. COMPTES ANNEXÉS AUX BUDGETS.

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Éléments divers de la constitution sociale

FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION SOCIALE ;

PARTICULARITÉS REMARQUABLES ;

APPRÉCIATIONS GÉNÉRALES ; CONCLUSIONS.

§ 17. UN GRAND DOMAINE A AGAROLO; LE CONTRAT EMPHYTÉOTIQUE.

[412] Le bourg de Zagarolo est situé à une distance de 28 kilomètres de Rome, entre les monts Albains et un contrefort des Apennins. Il présente le même aspect que Valmontone : autour, une campagne quasi déserte ; au dedans, une population tout entiêre agglomérée ; le village entouré de murs et campé sur un accident de terrain de manière à éviter les surprises ; au-dessus, le palais du seigneur, construction massive dans le goût du quinzième siècle, dominant une grande étendue de pays.

Le fief de ˉLagarolo appartint autrefois à la famille Colonna, une des plus anciennes de l'alie et même de l'Europe ; puis à la famille Ludovisi, rameau détaché de la maison Piombino. C'est de cette derniêre que le prince Rospigliosi l'acheta tout entier en 1669, pour la somme considérable de 850.000 écus romains (l'écu romain représentant 5 fr. 37 e. 1/2). Il comprenaittrois parties, Zagarolo, Gallicano, La Colonna ; suivant l'ancienne coutume féodale, le prince de Gallicano et le marquis de La Colonna étaient les vassaux du duché de ˉagarolo. Les deux derniers villages furent détachés de la propriété et constituèrent un majorat pour un fils cadet, en vertu d'un fidéicommis laissé au second fils de Donna Maria Camilla Pallavicini, princesse Rospigliosi, avec l'obligation de prendre le nom de Pallavicini, institué par son frère le cardinal ˉogare Pallavicini, de Gênes. Gallicano et La Colonna appartiennent aujourd'hui au prince Oberto Rospigliosi Pallavicini. frère cadet du prince Rospigliosi, chef de la famille.

[413] La propriété de agarolo est divisée en deux parties : la terre de Saint-Cesareo, d'une étendue de 829 rubbios (hect. 85) ; les vignes données aux emphytéotes, qui couvrent une superficie de 400 rubbios. Elle comprend en outre le palais ; c'est un vaste bâtiment entre les deux grandes ailes duquel s'enfonce une cour. De l'autre côté, un jardin de petite dimension y attient. Le palais se compose d'une série innombrable de pièces, quelques-unes d'une dimension aussi vaste que les plus grandes de nos palais nationaux. Sur les murs sont pendus de vieux portraits de famille, dont quelques-uns remontent aux Piombino. Les débris d'un théâtre installé au siècle dernier attestent l'influence que les habitudes de la société française avaient exercée à l'étranger. Aucune cheminée, en revanche, n'existait dans le palais, et les plus modestes exigences de bien-être n'y pourraient être satisfaites. I est habité par la famille de l'intendant, chargé de gérer la propriété et notamment de percevoir les emphytéoses. Un des fils du propriétaire actuel, le prince Joseph Rospigliosi, y fait de fréquents séjours2. La maison d'école des filles est installée dans une des ailes du château.

La terre de Saint-Cesareo a été diminuée de quelques parcelles, depuis qu'elle appartient à la famille Rospigliosi ; mais celle-ci a fait des acquisitions considérables dans les territoires avoisinants de Roccapriora, Monte Compatri et Nemi. L'économie de la terre de Saint-Cesareo a pour base la culture du blé et les pâturages ; dans son étendue sont compris une vigne de 3 rubbios et quelques oliviers. Elle rapporte 70.000 francs, soit 89 francs par rubbio, prix considéré comme très élevé.

Le territoire qui a été donné en emphytéose était couvert de taillis et rapportait, malgré son étendue, une somme peu élevée, 5.000 francs tout au plus. Depuis que la culture des vignes s'est développée, les redevances ont augmenté ; mais ce sont srtout les paysans qui ont profité de l'amélioration du sol, car le propriétaire n'en retire pas une somme supérieure à 12.000 francs.

Déjà, du temps où le fief était entre les mains de la maison Co[414]lonna, puis de la maison Ludovisi, des emphytéoses existaient comme dans le reste de l'Italie, ou les propriétaires avaient recours à ce mode d'exploitation pour le défrichement des terres incultes. Vers la fin du siècle dernier, le prince lospigliosi, propriétaire de Lagarolo, résolut de tirer un parti avantageux de ces terrains non défrichés, de telle sorte que cette amélioration profitât surtout aux paysans. Un grand nombre de terres furent donc données en emphytéose, et la population du village ne tarda pas à s'accroître. Depuis, les descendants du prince ont continué à s'engager dans cette voie, malgré les difficultés de la perception, que nous verrons plus loin, et le revenu peu élevé qu'ils en tirent. Aujourd'hui, Zagarolo compte environ 800 familles d'emphytéotes.

L'emphytéose est la cession d'un fonds pour un temps très long, ou même à perpétuité, sous la condition d'une redevance annuelle, appelée cnon. Un juriste éminent, M. Paul Viollet, la définit, dans son Préeis de l'histoire du droit français, un droit de jouissance réel et transmissible à charge de payer une redevance annuelle3. Elle remonte au droit romain, et ses règles, même après la chute de l'empire, subsistêrent sans modification essentielle ; elles continuèrent à être en vigueur d'une manière non interrompue dans toute l'Italie, jusqu'à notre époque. Ce fut Justinien qui posa les règles définitives relatives à ce contrat. Auparavant, la transmission héréditaire était de droit ; mais il n'était permis a l'emphytéote d'aliéner son droit qu'avec le consentement du dominus, tel était le nom du propriétaire. Celui-ci exigeait alors une nouvelle redevance. Justinien fixa une règle uniforme sur ce point. Le dominus, en cas de mutation entre vifs, aurait un droit de préemption, c'est-à-dire que, à conditions égales, il serait préféré à l'acquéreur ; s'il n'usait pas de cette faculté il aurait le droit d'exiger une somme égale au cinquantième de la valeur relative de l'immeuble. Ce droit fut appelé le laudemium, de laudare, approuver.

Telle était l'emphytéose dans le droit romain, telle elle s'est maintenue à travers des siècles, jusqu'à l'introduction de la récente législation italienne, après la conquête du territoire pontifical. Seulement le laudemio est en général fixé à 2 de la valeur du bien-fonds, y compris les améliorations faites par l'emphytéote.

L'analyse d'un contrat nous montrera quelles sont les obligations[415]contractées par celui-ci. Il a été rédigé du temps du pontificat de Grégoire XVI, dans des termes uniformément adoptés ; la quotité de la redevance seule varie. Le contrat commence par invoquer le nom de Dieu. Le premier article est ainsi conçu : Ledit emphytéote est tenu de payer audit propriétaire ladite rente chaque année le 25 décembre, librement, sans aucune exception et diminution sous prétexte de guerre, impôts ou poids tant ordinaires qu'extraordinaires qui sont ou seront imposés par le prince suprême, pour toute cause ou occasion, même pour routes, aides à la révérende chambre apostolique, incursion de soldats, dévastation. n

Le contrat stipule ensuite que si la rente n'a pas été payée pendant trois ans de suite, le propriétaire a le droit, sans jugement, de retirer l'emphytéose, en prenant les améliorations qui ont été faites. L'emphytéote ne peut hypothéquer son bien ; s 'il vend, le propriétaire a un droit de préemption, et lorsqu'il n'en use pas, l'emphytéote lui paie le laudemio sur la base fixée plus haut. La permission du propriétaire est exigée, en cas de legs à une euvre pie ou à des ordres religieux ; dans ce cas, les légataires sont substitués aux emphytéotes ; ils doivent payer le laudemio, en prenant possession de l'immeuble, et de plus tous les quinze ans.

Le but du contrat étant l'amélioration de terres non défrichées, le preneur est tenu d'avoir tout cultivé en vignes et en oliviers. Dans le cas où cette clause n'est pas exécutée, le contrat est considéré comme nul, et la terre fait retour au propriétaire. Tous les marbres, sculptures, et objets anciens trouvés dans le bien emphytéotique sont la propriété exclusive du dominus. L'ouverture d'une carrière ne peut être faite non plus sans la permission de celui-ci. Si l'emphytéote, ayant commis quelque délit, subit une condamnation, ses biens reviennent au propriétaire ; toutefois, lorsque le délinquant est gracié, le propriétaire restitue les biens, moins les fruits, qu'il garde en toute propriété. L'emphytéote meurt-il sans héritiers, de sorte que l'état recueillerait sa succession, le propriétaire reprend l'immeuble emphytéotique.

La législation italienne interdit maintenant les contrats perpétuels ; elle donne à tout emphytéote, nonobstant toute stipulation contraire, le droit de se libérer en capitalisant la rente au taux de 5 et en y ajoutant le laudemio. Quelques-uns seulement des emphytéotes de Zagarolo ont jusqu'ici usé de cette faculté, à cause des exigences des partages successoraux. D'autres ont été retenus par la[416]crainte de causer des embarras à la famille Rospigliosi. les parcelles à affranchir étant enclavées aumilieu de ses terres emphytéotiques et devant lui créer une difficultés, notamment pour le cabreo, qui est le renouvellement des plans après chaque période de quinze ans. Beau. coup enfin manquent du capital nécessaire pour racheter l'emphytéose. S'ils n'ont pu le réunir dans les dernières années, où, grâce à l'exportation en France, le vin atteignait des prix rémunérateurs, encore moins le pourraient-ils depuis que la dénonciation du traité de commerce avec cet Etat leur a fermé ce débouché et a notablement abaissé les prix ; ce qui a compromis les conditions de bien-être des vignerons de agarolo comme de tous ceux des autres régions du royaume d'talie.

Les redevances varient selon la nature du terrain ; elles sont en général d'un taux peu élevé ; quelques-unes montent à 40 francs l'heetare, d'autres ne dépassent pas le chiffre de 5 francs ; la moyenne peut être fixée environ à 15 ou 20 francs l'hectare.

L'emphytéose a procuré une large aisance aux familles qui vivent sous ce régime; elle a accru en même temps la valeur des terres avoisinantes, et ce développement de prospérité matérielle n'a pas été acheté aux dépens de la stabilité des classes inférieures, comme cela s'est produit dans presque toutes les contrées de l'O0ccident. L'emphytéote est mis à l'abri des abus du crédit. Moyennant une légère redevance annuelle, il a la garantie de ne pas perdre les fruits de son travail, et de ne pas s'épuiser sur une terre dont il ne garde plus que la propriété nominale, lorsque, l'ayant grevée d'une hypothèque, il doit en servir les intérêts, sous la menace d'une expropriation. Rien ne l'empêche de léguer le bien emphytéotique à ses enfants, et une coutume suivie par un grand nombre de familles la réserve au fils.

Depuis que la famille Rospigliosi a multiplié les emphytéoses, la population de Zagarolo a augmenté au point de comprendre aujourd'hui plus de 4.000 âmes. C'est une population laborieuse, attachée aux traditions religieuses, sauf un petit groupe imbu d'idées dites avancées ; elle vit en honne intelligence avec le prince et avec l'homme d'affaires qui s'occupe des détails de l'administration de la terre. Elle manifeste, comme la population de Valmontone, un esprit local très prononcé. Une lieue plus loin, sur une colline, se déploie Palestrina, l'antique Préneste, aux rues étroites et tortueuses, batie sur les ruines de l'immense temple de la FTortune, célèbre aussi[417]parce qu'au palais Barberini s'y voit la plus grande mosaique (l'Enlévement d'Europe) venue de l'antiquité. La population rude et sauvage qui l'habite vit en mauvaise intelligence avec ˉLagarolo, et cette rivalité remonte à un temps très éloigné.

La perception des redevances emphytéotiques est confiée à l'intendant, qui reçoit une rémunération de 10 . Dans les mauvaises années, elle s'opère avec difficulté, et les retards s'élêvent quelquefois jusqu'à 50. La famille Rospigliosi estime que depuis près d'un siècle, elle a perdu environ 300.000 francs de redevances emphytéotiques arriérées. Elle n'a usé que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, de la faculté de renvoyer un débiteur en retard ; le propriétaire actuel, au moment de son mariage, a même fait remise de toutes les dettes. C'est en 1840 que la perception a été confiée à un agent intéressé à la rentrée des sommes ou des objets dus, et depuis lors tout marche plus régulièrement.

L'organisation du grand domaine de ˉLagarolo met donc en relief les services que rend le grand propriétaire, lorsqu'il comprend son devoir. Faute de capitaux lui permettant de passer les années sans récolte, un petit propriétaire n'aurait pu défricher : la grande propriété y est au contraire parvenue en retenant pour elle le domaine direct et en se contentant d'une redevance modique que la sécurité de l'existence compense, et au delà, pour celui qui la paie. Loin de chercher à restreindre la population groupée autour d'elle, de transformer ses terrains en pầturages sur lesquels se seraient promenés d'immenses troupeaux confiés à la garde de quelques bergers, ainsi que l'ont fait beaucoup de propriétaires anglais, et même beaucoup de ceux de la campagne de Rome, elle a par son action intelligente augmenté la population qui l'environnait et lui a permis de tirer parti des richesses du sol.

Tel est le rôle qu'elle a joué souvent dans le passé ; l'usage des contrats emphytéotiques, ou tout était, comme à ˉLagarolo, calculé dans l'intérêt de l'agriculture et en vue de la stabilité des populations, est, sans aucun doute, un exemple instructif et utile à faire connaître. Le seigneur n'a pas tout à fait disparu devant le propriétaire pur et simple : il a le droit de concourir à la nomination du curé; une ancienne fondation a créé des chanoines qui possèdent encore aujourd'hui des biens dont la valeur totale s'élève à 200.000 francs ; le propriétaire a un droit sur l'école. En un mot, il assume encore une partie des charges qui lui incombaient dans le passé (§ 22).

[418] Les faits que nous venons de rapporter manifestent d'une maniêre non moins évidente les heureux effets des anciens contrats, qui, dans leur variété presque indéfinie, savaient se plier à toutes les nécessités ; nés des circonstances, modifiés lentement au cours des âges, ils avaient une plus grande flexibilité que des contrats resserrés dans des limites étroites telles que les tracerait un législateur épris d'une uniformité contraire à la nature, et décidé à faire plier les faits sous des principes absolus.

§ 18. LA CAMPAGNE ROMAINE ET LA LOI DU 8 JIUILLET 1883.

Montaigne tracait de la campagne de Rome l'esquisse que voici : Nous avons, loin sur notre gauche, l'Apennin ; le prospect du pays, mal plaisant, bossé, plein de profondes fondasses, incapable d'y recevoir nuls gens de guerre en ordonnance ; le terroir nud, sans arbre, une bonne partie stérile ; le pays fort ouvert, tout autour, plus de dix milles à la ronde, et quasi tout de cette sorte, fort peu peuplé de mai

La campagne romaine n'a pas toujours offert ce spectacle désolé. Sans doute, vers la fin de la république et même dès la période qui suivit les guerres puniques, les latifundia presque déserts étaient médiocrement cultivés par les esclaves. Mais après les efforts des premiers empereurs, dans les beaux temps de l'empire, la campagne romaine était couverte de villas ; lorsque les barbares arrivèrent, ils les pillêrent et les détruisirent. Alarie lui porta un premier coup mais ce fut surtout Agilulfe, roi des Lombards, qui y fit les plus cruels ravages. Il assiégeait Rome sous le pontificat de saint Grégoire le Grand, au sixième siècle ; repoussé, il se jeta sur les environs, rasa et brûla les maisons, coupa les récoltes : à cette époque remonte la désolation de la campagne de Rome. 'Toutefois, au moyven âge, elle ne présentait pas la physionomie qu'elle a aujourd'hui. Une partie était aux mains d'un très grand nombre de petits propriétaires qui la cultivaient, mais qui peu à peu se laissèrent séduire par les offres des grands propriéltaires et échangèrent leurs terres contre les lieu des monts. C'est alors que les grandes familles romaines, les Borghèse, les Chigi, les Cesarini Sforza, acquirent les immenses propriétés qu'elles y possèdent aujourd'hui, et dont quelques-unes compren[419]nent plus de 6.000 hectares. «Sur toute l'étendue de la campagne romaine, il n'y a que 201 propriétaires, dont 7 communautés ecclésiastiques, 38 fidéicommissaires et 89 propriétaires libres4.

Les Papes s'efforcèrent à maintes reprises de remédier à cette situation. Caliste I (1119-24) exempta de limpôt pendant dix ans tous ceux qui défricheraient leurs terres. La même faveur fut accordée par Grégoire N (1227-41 aux colons qui viendraient habiter sur les terres d'autrui pour les mettre en culture ; il fit même remise de leurs peines à des brigands qui s'engageraient à cultiver. En 1471, Sixte IV, s'inspirant d'une décision de Clément 1IV (1241), permit à tout étranger de défricher le tiers d'un domaine que son propriétaire s'obstinait à ne pas cultiver. Sixte-Quint établit, en 1585, avec un fonds d'un million, une caisse de Crédit agricole, destinée à aider les propriétaires qui voulaient faire des améliorations. Deux siècles plus tard, Pie V (177599) tourna surtout son attention sur les Marais Pontins ; il y assainit 8.000 hectares qui furent distribués en emphytéoses sous l'obligation de les cultiver et d'entretenir les canaux secondaires; la fabrique de Saint-Pierre possédait, dans cette région malsaine, une vaste proprieté. Sous le pontificat de Pie IH, en 1819, une société étrangère offrit de prendre à ferme toute la campagne romaine, en payant au fisc une redevance annuelle et à chaque propriétaire une somme égale à celle qu'il en retirait alors ; après cinquante ans, elle remettrait à qui de droit les terrains améliorés. La proposition n'eut pas de suite.

De nos jours, fidèle aux traditions de ses prédécesseurs, Pie IN s'oecupa à son tour de l'assainissement de cetlte campagne. Un des lieux les plus malsains était celui qu'on nomme les Trois-Fontaines, célèbre par le martyre de saint Paul, non loin de la basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs. Il appela des Trappistes pour y établir un couvent et une ferme. Bravant les périls d'une telle entreprise, les Trappistes se rendirent à l'appel qui leur était adressé. Afin de faire disparaitre cette humidité malsaine, ils plantèrent des eucalyptus dont les racines pénètrent profondément dans la terre, en même temps qu'ils défrichaient le sol. Lors de leurs premiers travaux, une nuit passée aux Trois-Fontaines pendant les mois d'été amenait des fièvres souvent mortelles ; aujourd'hui ils peuvent y habiter. Toutefois, soumis pendant les mois de juillet et d'août à une tem[420]pérature de 35 à 40 degrés, beaucoup des Pères n'échappent aux fièvres qu'à la condition de prendre de hautes doses de quinine ou d'eucalypsinte. Parmi ces religieux qui continuent avec tant de courage les grandes traditions monastiques, nous constatons, non sans orgueil, qu'il se rencontre beaucoup de Francais : le dévouement à toutes les nobles et périlleuses entreprises est une tradition que la France, malgré ses erreurs et ses maux, a généreusement conservée. De leur côté, quelques propriétaires ont essayvé de faire des betteraves, pour en tirer du sucre ; d'autres ont tenté la culture à la vapeur. Les uns et les autres ont été obligés de renoncer à leurs entreprises. Ces échecs peuvent tenir à l'inexpérience des ouvrierg agricoles, mais peut-être aussi à l'insuffisance des débouchés offerts par la ville de Rome, dont la consommation se réduit, pendant l'été, à un minimum extraordinairement restreint. Il faut ajouter que la viabilité, aux environs de la ville éternelle, laisse quelque peu à désirer, aussi bien pour le nombre des voies que pour l'entretien de celles qui existent.

Néanmoins, dans un rayon très rapproché de Rome, plusieurs propriétaires ont mené à bonne fin d'importants travaux d'amélioration. Ainsi le prince Paul Borghêse, chef aujourd'hui de cette noble famille, a construit des étables et converti en prés et vignobles une partie de la propriété Torre-Nuova, sur la Via Casilina. Le prince Borghèse de Mongiolino a élevé, à 4 kilomètres de Rome, dans le fonds Tor di Quinto, sur la Via Flaminia. une maison destinée à loger des familles ouvrières, et aussi deux étables. Dans le fonds Marranella, sur la Via Appia Nova, M. Bertone a planté des arbres, transformé en prairies et en champs de céréales des terrains non défrichés ; il a également construit une vaste maison pour des familles de journaliers, en même temps que plusieurs écuries pour chevaux de course. De son côté le prince T'orlonia a fait d'importantes améliorations dans les fonds dits Pijoreto, Acquataccio et Caffarella. Signalons encore les travaux de défrichement faits par Mef De Drago à Bocca di Leone et Anastasia ; par le duc Salviati à Carnelletta; par le prince Boncompagni Ludovisi à Reliblia ; par le comte de Mérode à Tor Marancio, et par la fondation pieuse Pietro Lunati a Quadrato.

Mais à une distance plus grande de Rome, les propriétaires se trouvent en présence d'une diffieulté presque insurmontable. Si la terre n'est pas défrichée, l'insalubrité persiste ; d'un autre côté,[421]l'état actuel rend le séjour dangereux, sinon impossible, et empêche tout défrichement. Aussi ont-ils plus d'avantage à louer à des mercanti di campagnae, qui paient avec une régularité irréprochable. Ceux-ci sous-louent à des bergers, qui viennent de la montagne avec leurs troupeaux, pendant les mois d'hiver, chercher un climat plus doux ; ou bien ils entretiennent eux-mêmes d'immenses troupeaux qu'ils revendent avec bénéfice. On calcule que sur les champs immenses de la campagne romaine paissent 3.000 buHes, 60.000 beufs, 340.000 brebis et chêvres, 22.000 chevaux. Un tel mode de culture, si primitif qu'il paraisse, donne au propriétaire un revenu qui monte parfois jusqu'à 8 et 10 1.

La culture du blé a été très réduite depuis quelques années ; elle ne donnait que des bénéfices insuffisants. La récolte est faite par des bandes de journaliers qui descendent de la montagne, soit des monts du Latium, soit même des Abruzzes ; ils y possèdent ou y louent une petite maison, et ils vivent des produits d'un champ de mais ou d'une vache. Après avoir fait leurs semailles, ils viennent dans la campagne romaine où ils trouvent un salaire de 1 fr. 50 par jour plus la nourriture. Leur sobriété s'accommode de polenta comme aliment principal, et de vin d'une qualité inférieure ou de vinaigre et d'eau, comme boisson. Après la moisson, ils retournent vers leurs familles, qu'ils ont laissées à la garde du foyer, et ils font alors leurs récoltes. Le salaire qu'ils rapportent presque intact chez eux constitue un de leurs principaux moyens d'existence ; il leur donne des ressources qu'ils se procureraient difficilement en dehors de cette émigration périodique.

Le gouvernement italien n'a pas songé, quant à présent, à transformer toute la campagne romaine ; il a porté son attention sur la partie qui avoisine Rome, de telle sorte que la capitale du nouveau royaume ne soit plus entourée de terrains non défrichés et malsains, où n'aurait pu trouver place la population débordant de l'intérieur de la ville. C'est dans ce but qu'ont été votées les lois du 11 décembre 1878 et du 8 juillet 1883. La loi du 11 décembre 18I8 comprenait trois sortes de travaux : 1' le desséchement des marais et étangs d'Ostie et de Maccarese, du lac des Tartares, des marais de Stracciacappe. des bas-fonds de l'Almone, de Pontanvet, de Baccano, et de tout autre lieu marécageux qui exigerait des travaux extraordinaires ; 2 la mise en communication des eaux courantes et la régularisation des écoulements au moyen d'un système complet de canalisation s'appliquant[422]à toutes les eaux, y compris les nappes d'eau souterraines ; 3° l'assainissement, spécialement au point de vue agricole, d'une zone de territoire d'un rayon de 10 kilomètres et ayant pour centre le mitliaire doré du Forum, considéré comme le centre de Rome. Des syndicats devaient être obligatoirement créés, et les travaux, exécutés par le gouvernement, soit directement, soit avec l'intervention de concessionnaires. Cette loi ne produisit que des résultats médiocres : alors le législateur s'est tourné du côté des améliorations agricoles, objet de la loi du 8 juillet 1883.

Celle-ci rend obligatoire l'amélioration agricole de la campagne autour de Rome dans un rayon de 10 kilomètres. Par conséquent doivent être également améliorés les terrains intra mœnia qui ne sont pas destinés à une industrie quelconque ; ces terrains sont particulièrement situés sur l'Aventin et le Cœlius.

Une commission nommée par le Ministre de l'agriculture, de l'industrie et du commerce a rédiggé et publié un catalogue des propriétés, avec le nom des propriétaires, comprises dans le rayon d'amélioration; elle a indiqué les travaux d'assainissement qui doivent être exécutés dans l'intérieur de la ville. L'étendue des terrains auxquels s'applique la loi du 8 juillet 1883 est de 21.030 hectares. possédés seulement par 75 propriétaires : 10.000 hectares aux mains de 9 possesseurs ; 3.000 aux mains de ; le reste réparti entre 58.

Suivant l'état de situation dressé au mois de mai 1888, 35 propriétaires possédant 8.160 hectares avaient accepté les propositions de la commission ministérielle ; 2 propriétaires, possédant 2.320 eetares, avaient déclaré qu'ils se refusaient à exécuter les travaux, tels que la commission les leur avait prescrits ; et pour les 10.550 hectares restants, appartenant à 48 personnes, aucune déclaration n'avait été faite. Toutefois, dans cette dernière catégorie, on sait que 6 propriétaires de 5.109 hectares sont disposés à obéir à la loi5.

[423] Bref, les terrains au sujet desquels un dissentiment persiste entre les propriétaires et le Ministêre ont une étendue de 7.771 hectares. En vertu de la loi dont nous parlons, ils devront être expropriés.

Prês du Ministère de l'agriculture, de lindustrie et du commerce, à la Direction générale de l'agriculture, a été formé un bureau d'inspection et de surveillance pour l'amélioration de la campagne romaine ; ce bureau a pour mission de pourvoir à l'exécution des décisions de la commission agraire et des arrêts du Ministère.

De plus, 24 gardes forestiers surveillent l'eécution des règlements de police et d'hygiène rurale dans l'agro romano (sûreté publique. régime des eaux, viabilité, garde du bétail, etc., etc.). Ces gardes ont été constitués au mois de juin 1887; leurs traitements sont supportés, moitié par la commune de Rome, moitié par le Ministère. A la fin du mois de décembre de la même année, ces gardes avaient déjà relevé 401 contraventions, pour cause de pàturage abusif ou de dommages portés à l'hygiène des habitations, à la pureté des eaux.

Dans l'année 1886, le Ministêre a fait préparer l'expropriation de 6 propriétés pour une étendue de 1.164 hectares ; mais ces expropriations ont été suspendues, les propriétaires ayant manifesté l'intention d'en venir à un accord.

En outre, afin de hàter l'exécution de la loi du 8 juillet 1883, le Ministêre de l'agriculture et la municipalité de Rome ont ordonné plusieurs études pour la construction de rues dans le rayon d'amélioration et de deux ponts suburbains sur le Tibre. Pour ces deux ponts, la municipalité de Rome a voté une somme de 300.000 francs au budget de 1888.

Le Ministêre s'est aussi préoccupé de développer la culture des céréales et d'exciter les propriétaires à bâtir des maisons rurales, sinon tous les efforts tentés risqueraient d'échouer. Il a donc créé une pépinière à la distance de trois kilomètres de Rome, et promis des prix pour le meilleur mode de culture du blé et pour les constructions rurales les mieux établies.

Un traité signé entre le conseil communal de Rome et la compagnie d'eaux dite Marcia a mis, en outre, à la disposition des propriétaires compris dans le rayon d'amélioration, 200.000 mètres cubes d'eau[424]potable par an, moyennant une redevance annuelle de 285 francs pour chaque concession de 20 mètres cubes par jour. La distribution des eaux a déjà commencé.

La somme attribuée au budget du Ministère de l'agriculture pour l'exécution de la loi du 8 juillet 1883, est de 1.200.000 francs.

Une autre loi du 23 juillet 1881 avaitautorisé le Ministère des travaux publics à dépenser une somme de 4.000.000 francs pour l'exécution de travaux hydrauliques ; toutefois, l'expérience a montré que cette somme était insuffisante. Aussi un nouveau projet de loi en date du 26 novembre 1887 a-t-il demandé un crédit supplémentaire de 3.500.000 francs à partager entre les exercices 1888-89, 1889-90 et 1890-91. L'État n'a pas exécuté directement ces travaux ; ceux qui ont été autorisés par la loi du 11 décembre 1878 et figurent dans le projet avec les numéros 1, 2 et 3, ont été adjugés à des entreprises privées pour une somme de 3.265.016 fr. 71 c. ; les travaux accomplis à la fin de l'année 1887 représentaient une somme de 1.S20.701 fr. 85 c. ainsi répartie : 39.404 fr. 05 c. en 1884, A430.635 fr. 95 c. en 1885, 684.672 fr. 33 c. en 1886 et 665.989 r. 52 c. en 1887.

En résumé, la loi du 8 juillet 1883 a introduit d'utiles améliorations dans la campagne romaine ; mais elle n'arrivera à transformer qu'une faible étendue, 21.000 hectares sur 240.000. Encore, suivant une opinion fort répandue, le succès aurait-il été plus certain, eu égard aux gros capitaux nécessaires, sil'́tat s'était directement chargé des travaux. Quant à ce qui restera, l'expérience autorise à penser que, malgré les travaux entrepris dans les lieux les plus malsains, tels que Santa- Marinella et Porto d'Anzio, elle restera pendant des siècles a l'état de quasi-désert, comme un témoignage toujours vivant du triomphe des barbares et de la fragilité des empires.

§ 19. DE QUELQUES FAITS RELATIEFS A L'HISTOIRE DE VALMONTONE.

On ne possède aucun mémoire sur Valmontone antérieurement au dixième siècle ; toutefois, d'après les recherches qui ont été faites, Valmontone aurait été édifié sur les ruines du second Labicum, tandis que l'ancien Labicum, auquel conduisait la route Labicana, existait dans le même territoire, sur un plateau nommé aujourd'hui[425]Calle de Quadri. Les archives de Valmontone ayant été détruites dans une guerre, peu de documents concernant son histoire se retrouvent aujourd'hui. Il est seulement certain que ce fief a été possédé par l'église Lateranense. En 1207, le grand pape nnocent lI, de la famille Conti de Sagni, en fit l'acquisition ; l'année suivante il en investit, avec d'autres châteaux, son frère ichard ; cet investissement eut lieu dans le palais épiscopal de Firentino. La famille Conti garda le fief de Valmontone pendant quatre siècles, jusqu'à ce que le mariage de Fulvia, héritière unique de Jean-Baptiste Conti, avec un Sforza, le fit passer dans cette derniêre maison. Celle-ci le vendit en 1634, movennant la somme de 450.000 écus romains, au prince de Palestrina, don addéo Barberini, neveu d'Urbain VI. Mais la famille Barberini le garda peu de temps ; dix-sept ans après, le fief de Valmontone était acquis par le prince don Camillo Pamphily-Doria. Depuis cette époque, il est resté dans la même famille.

§ 20. DE L'AUGMENTATION DES IMPOTS DEPUIS 1870.

Un des faits saillants que l'observation met en lumière parmi les populations de Valmontone et de Zagarolo, c'est l'augmentation des impôts depuis dix-huit ans. A ˉLagarolo. l'homme d'affaires chargé de l'administration du domaine paie 730 francs par an, alors que, sous le gouvernement pontifical, il n'était, dans les mêmes circonstances, redevable au fisc que d'une somme de 200 francs Le père de François (e**erse aujourd'hui au l'résor une somme de 150 francs par an ; avant l'annexion de la province de Rome à l'Italie, il payait six fois moins, 25 fr. 50. Dans l'impôt actuel est comprise une taxe de 9 francs, due comme droit sur le commerce auquel il se livre, achetant des céréales en première récolte et les revendant lorsque le prix auge mente. Avant 1870, il faisait les mêmes opérations, mais le fisc ne lui demandait rien.

Entraînée par le mouvement général qui pousse à l'abus du militarisme, l'talie a dû payer sa bienvenue parmi les grandes puissances européennes en établissant le service militaire obligatoire, en aug mentant son armée dans une forte proportion et en contractant une grosse dette publique. Le service militaire obligatoire enlève les eunes gens à leur famille et au travail de la terre, et l'accroisse[426]ment continu de la dette publique contraint l'État à prélever sur les produits du travail national une part toujours croissante.

§ 21. LA LÉGISLATION SUCCESSORALE SOUS LE GOUERNEMENT PONTIFICAL ET SOUS LE RÉGIME ITALIEN.

Deux principes dominaient la législation successorale sous le gouvernement des Papes : la conservation du patrimoine familial, le respect des xolontés du père. D'après le code Grégorien, les enfants mâles ex cluaient les filles du partage des immeubles, à charge par eux de payer à celles-ci une dot prélevée sur la fortune paternelle. Lorsque le nombre des enfants mâles était supérieur à cinq, la moitié du patrimoine pouvait être léguée par le père et l'autre moitié entrait en partage. Lorsqu'il y avait moins de cinq garçons, le tiers seulement de l'héritage était réservé. Le testateur était libre de substituer ses biens, sans qu'aucune limite fût attribuée à ces substitutions ; l'héritier qui profitait d'une substitution était généralement tenu de donner des pensions aux autres enfants, ou à quelques-uns d'entre eux.

Avec le gouvernement italien, une nouvelle législation fut introduite ; mais on se garda bien de rompre avec les anciennes coutumes d'une manière radicale, et l'on comprit la nécessité de ne pas affaiblir l'autorité paternelle, aussi bien que de ne pas multiplier les obstacles à la conservation du patrimoine. Le Code civil du royaume d'talie stipule donc que la partie des biens dont on peut disposer par testament est la suivante : la moitié, si le testateur en mourant laisse des enfants légitimes, légitimés, adoptés ou représentés par des descendants ; les deux tiers, s'il ne laisse ni enfants ni descendants dans une ligne collatérale, mais seulement des ascendants ; la totalité, si le testateur n'a plus ni descendants ni ascendants. Toutefois, dans les trois cas, la loi attribue au conjoint survivant l'usufruit, et aux fils naturels la propriété d'une partie plus ou moins grande des biens du testateur, et cette part est prise sur la part disponible.

La loi n'appelle pas à succéder, ni ab intestat ni par testament, ceux qui, au moment de l'ouverture de la succession, ne seraient pas encore conçus. Cependant elle permet de laisser par testament tout ou portion de la quotité disponible aux enfants directs d'une[427]personne déterminée, vivant au moment de la mort du testateur. quoique à cette époque ils ne soient pas encore nés ni même conçus.

Le Code permet de substituer à un héritier ou à un légataire d'autres personnes, seulement dans le cas où l'un d'entre eux ne voudrait pas ou ne pourrait pas accepter l'héritage ou le legs. Toute autre substitution, même au premier degré, est interdite. La disposition par laquelle l'usufruit ou des annuités sont constituées en faveur de plusieurs personnes, n'a d'effTet que pour ceux qui, après la mort du testateur, sont les premiers appelés.

La publication à Rome et dans les provinces romaines du Code civil italien entraina la suppression des substitutions, des idéicommis, des majorats et des autres mesures qu'avait inspirées le souci de la conservation du patrimoine. Toutefois, quoique laissant la volonté du père de famille se mouvoir dans des limites assez larges et favorables par conséquent à la transmission intégrale, la législation nouvelle rendait difficile la conservation des galeries et objets d'art que leur valeur très considérable dans les grandes familles ne permettait pas d'attribuer à un seul héritier. Si de pareilles valeurs avaient été comptées comme formant le lot d'un héritier, celui-ci aurait été obligé de les aliéner ; la galerie aurait disparu : le même résultat se serait produit dans le cas où elle aurait été partagée entre plusieurs héritiers. Il fut donc stipulé que, tant qu'une loi spéciale n'en aurait pas décidé autrement, les bibliothèques, galeries et autres collections d'objets d'art et d'antiquités resteraient indivises ou inaliénables parmi les ayants droit au fidéicommis, et leurs héritiers ; qu'en même temps les dispositions en vigueur sous le gouvernement précédent, pour la conservation des monuments et des objets d'art, continueraient à être observées. Elles le sont encore, car aucune loi spéciale n'a été votée, et ne le sera probablement jamais, tous les Italiens comprenant l'intérêt qui s'attache pour leur pays à la conservation intégrale des belles galeries que possèdentles familles de l'aristocratie romaine.

Malheureusement, après avoir établi d'aussi sages dispositions, le Code civil italien a emprunté à la loi française quelques-uns de ses articles les plus regrettables. Il stipule, par exemple, que, dans les partages des successions. chaque héritier peut exiger en nature sa part de meubles et d'immeubles. Si les immeubles ne peuvent pas être facilement partagés, ils sont vendus en justice aux enchères publiques. Mais les taliens ne poussent jamais jusqu'au bout les[428]conséquences de leurs principes ; ils ont corrigé les fàcheuses dispositions qui précèdent en permettant, lorsque les héritiers sont tous majeurs, de procéder aux enchères en présence des seuls intéressés et par-devant un notaire choisi d'un commun accord.

Dans le cas où l'on devrait former des lots en nature et composés d'immeubles, le Code prescrit de chercher à éviter autant que possible le morcellement des biens-fonds nuisible aux intérêts d'une bonne culture. L'inégalité des parts en nature se compense alors par des soultes en argent. Par contre, dans le partage des biens que le père, la mère et autres ascendants opèrent d'eux-mêmes et pendant leur vie entre leurs propres fils ou autres descendants, aucune règle tendant à empêcher le démembrement des biens-fonds n'est prescrite.

Ce résumé montre que, tout en instituant un régime de contrainte, la législation italienne, notamment en ce qui regarde la fixation de la quotité disponible, compromet bien moins que la nôtre la stabilité de la famille.

§ 22. QUELQUES TRAITS DU CARACTÈRE ITALIEN; LA THÉORIE RELATIVE A L'INFLUENCE DE LA RACE.

Un des faits signalés plus haut mérite d'arrêter notre attention (§ 17). A Zagarolo, le prince Rospigliosi loge l'école de filles dans son palais ; il supporte, de moitié avec le gouvernement, la charge du traitement des religieuses qui la dirigent. Son représentant assiste, avec les délégués du Ministère de l'instruction publique, aux examens pour l'obtention du certificat de fin d'études ; il a les mêmes droits, et, malgré la direction imprimée à la politique italienne, le pouvoir n'a pas encore porté la main sur cette antique organisation, débris du régime féodal, dans lequel le propriétaire ou seigneur assumait les charges publiques.

Ce fait, entre beaucoup d'autres, se rattache à un des principaux traits du caractère italien, l'habileté pratique, l'intelligence des nécessités politiques. Suivant une parole très vraie, l'Italien a le sentiment fort juste des choses réelles ; étranger à l'esprit classique ou jacobin que M. l'aine a décrit avec tant de vigueur, il sait transiger sur le fait, tout en maintenant le principe. Cependant, une théorie, fort en[429]vogue aujourd'hui, représente chaque race comme apte à concevoir sous une forme particulière le fonctionnement du mécanisme social. Ainsi, les races latines auraient la conception du pouvoir absolu, du césarisme, auquel par un mystérieux atavisme échapperaient les peuples anglo-saxons : esclaves de la théorie, elles ne sauraient laisser aucune organisation debout, en dehors du gouvernement, et se montreraient surtout impropres à comprendre la vie locale. Les faits démentent une telle théorie : la vie locale s'est au contraire maintenue à un degré très intense en talie, et aussi en Espagne, deu pays de races latines cependant. F. Le Play a énergiquement condamné, comme une des plus dangereuses erreurs, la théorie qui attribue au caractère ethnographique une influence prépondérante sur la destinée des nations ; si cette théorie était exacte, les peuples n'auraient plus aucun effort à s'imposer ; ils attendraientde la fatalité un sort contre lequel ils ne sauraient réagir. Il affirme au contraire, au nom de l'observation, que chaque peuple demeure responsable et maître de sa destinée, sans que sa prospérité ou son malheur puisse être attribué au caractère de ses lointains ancêtres. ne telle vérité, appuyée sur des faits nombreux, inspire aux peuples heureux une sage méfiance d'eux-mêmes, puisque, eux aussi, peuvent succomber en abandonnant les coutumes qui leur ont valu la prospérité. Elle adoucit l'amertume de la défaite, puisque les vaincus savent qu'ils n'ont pas été écrasés par une fatalité aveugle, contre les arrêts de laquelle ils n'ont aucun recours. C'est donc faire œuvre utile que de la rappeler, pour prévenir à la fois le vertige de l'orgueil et l'excès du découragement, deux écueils non moins dangereux l'un que l'autre ; et cet enseignement salutaire et viril, l'expérience nous le donne aussi bien à travers les grandes leçons de l'histoire que dans l'étude patiente d'une obscure famille rurale.

§ 23. DE LA CONDITION DES POPULATIONS RURALES EN ITALIE,

PAR M. CLAUDIO JANNET.

La petite propriété est, en talie, beaucoup moins répandue qu'en France et en Allemagne. Ce fait est d'autant plus frappant que, dans certaines provinces, l'histoire montre qu'au seiiême siècle les pay[430]sans possédaient le sol en plus grande quantité. On trouve encore des paysans propriétaires dans le Piémont, la Ligurie, les montagnes de l'Apenin, les Alpes V'enètes, la 'oscane, la Sardaigne ; mais la propriété des citadins domine. Dans la Lombardie, les Marches, l'agro romano, le pays de Naples, il y a d'immenses domaines ; enfin une part notable du sol appartient aux opere pie (fondations charitables) et aux communes;, mais il s'agit là de biens patrimoniaux qui sont loués. Les biens communaux et les jouissances communales, que l'on appelle partecipane, ont été aliénés ou partagés presque partout au grand détriment du petit propriétaire.

La vente des biens ecclésiastiques s'est opérée par grandes masses, de manière à favoriser uniquemeant les intérêts des gros capitalistes sans scrupules. On n'a nulle part procédé à des morcellements qui auraient au moins créé des paysans propriétaires. La concentration de la propriété s'en est accrue encore.

La toute petite propriété, dans les montagnes où elle existait, n'a pas pu supporter le poids écrasant des impôts, et c'est par milliers que l'on compte les petits propriétaires expropriés par le fise. M. FT. Lampertico, dans son rapport fait au nom de a commission du tarif des douanes en 1885, a établi que dans les dix années 1873-1882 il y a eu 64.826 dévolutions de biens au fisc, sur lesquelles 32.152 ont été maintenues. En 1886, les préteurs ont encore ordonné la vente de 11.737 petites propriétés pour défaut de paiement des impôts Presque tous ces petits biens n'ont pu être revendus et ont accru l'étendue du domaine de l'Éat. D'autre part, on constate que depuis la dépréciation des produits agricoles. beaucoup de familles bourgeoises vendent leurs domaines à vil prix. Des capitalistes, souvent des sraélites, les achètent pour s'arrondir...

Le paysan est donc de plus en plus réduit à la condition de tenancier. Son sort varie beaucoup selon les provinces.

Dans la plaine lombarde, on rencontre de vastes fermes conduites à la manière anglaise, par de riches fermiers. Ils louent des manouvriers agricoles pendant le temps des travaux, et ces malheureux sont obligés de payer leur logement ainsi que leur nourriture pendant les mois d'hiver. Leur misère contraste avec la richesse des cultures. Des grèves agraires, chose inconnue ailleurs, éclatent périodiquement. Dans le Piémont, le pays de Côme, le Bergamasque, les cultures sont plus divisées et les petites exploitations sont nombreuses ; mais les grands propriétaires les afferment à des fermiers géné[431]raux, qui imposent aux colons des fermages en argent ou en nature très lourds et des journées de corvée excessives...

Cette année encore, au mois de mai, la population de plusieurs gros villages aux environs de Milan et de Côme s'est soulevée, poussée par la misère. C'étaient de malheureux colons qui ne gagnent que 60 centimes par jour en hiver et 90 centimes en été sans être nourris, des ouvriers des filatures de soie qui ne sont pas mieux payés. Les uns et les autres se plaignent des corvées exorbitantes auxquelles ils sont soumis pour le loyer de leurs masures. Les contrats que leur impo sent les fermiers généraux les obligent à faire des journées à 50 centimes sur les réserves du domaine. La force armée a rétabli l'ordre matériel ; mais ces riches pays seraient le théâtre d'une jacquerie, si l'émigration n'enlevait les hommes les plus énergiques.

Dans l'ancien royaume de Naples, le fermage avec des redevances fixes en nature est général ; mais presque toujours il y a un intermédiaire entre les colons et les propriétaires. On y trouve aussi de vastes exploitations livrées à la culture extensive. Ce qui caractérise les provinces du Sud, c'est la concentration des agriculteurs dans les bourgades, d'où ils vont au loincultiver les champs. Malgré l'extrême modicité des salaires, ces populations vivaient encore sous les Bourbons ; mais tout progrès était impossible par l'absentéisme des grandes familles, qui, sans jamais faire aucune amélioration à leurs terres, dépensaient tout le revenu qu'elles en pouvaicnt tirer à Naples et dans les villégiatures d'été. Grande cause de faiblesse sociale et aussi l'une des causes de la faiblesse politique du gouvernement Les améliorations résultant de l'établissement des chemins de fer ont été contrebalancées par les charges du nouveau régime. Puis les chemins de fer sont une arme à deux tranchants. Ils donnent des facilités d'exportation, mais aussi d'importation. La crise agricole, qui en a été la conséquence, et finalement la ruine de tous les propriétaires de vignobles par suite de l'interruption des relations commerciales avec la France, ont jeté les populations rurales dans une profonde misère. Le paysan meurt littéralement de faim dans les Pouilles, dans la Basilicate, dans plusieurs parties de la Sicile.

Dans le centre, ces souffrances sont inconnues, grâce au métayage (meedria), qui est pratiqué avec quelques nuances dans la Ligurie, l'Emilie, les Marches, la 'oscane, l'Ombrie. ous les produits, y compris ceux du bétail, sont partagés par moitié. Le propriétaire paie tous les impôts, au moins en l'oscane, en sorte que les charges[432]dues à la révolution ont, en fait, épargné le cultivateur. Toutes les améliorations foncières permanentes sont faites aux frais du propriétaire. Un compte courant perpétuel unit les parties. Quand la récolte a été abondante, le métayer laisse aux mains du propriétaire le prix de sa moitié d'huile ou de vin : d'autre part, dans les années mauvaises ou quand des événements de famille le rendent nécessaire, le propriétaire lui fait des avances en blé ou en argent, dont il se récupère peu à peu, mais sans jamais exiger d'intérêts.

En Toscane et en Ombrie, les métairies (poderi) sont petites, de 6 à 12 hectares, et sont groupees en domaines (fattorie), au centre desquels se trouvent les pressoirs, les celliers, les moulins confiés à un agent (fattore). Quand le propriétaire est absent et laisse l'agent sans contrôle, des abus se produisent même sous ce régime. Mais, en l'oscane et en Ombrie, les propriétaires surveillent de près leurs domaines, et les meilleurs rapports les unissent a leurs métayers6. Ceux-ci considêrent comme leurs les champs qu'ils cultivent héréditairement par une tacite reconduction indéfinie...

De pareilles mœurs sont la force d'un pays. Grâce à elles, la 'oscane et l'Ombrie traversent les temps difficiles, non sans souffrances assurément, mais sans être désorganisées socialement. L'émigration n'y existe point. Le métayage s'estmontré, en effet, dans ces pays, três favorable au progrès de la culture. Nulle part une somme plus grande de travail et de capital n'est incorporée au sol que dans ces collines en terrasses complantées de vignes, d'oliviers et d'amandiers. Les grands propriétaires ne dédaignent pas de vendre en détail leurs récoltes à la ville, et la computisteria est dans tous les palazi le centre d'un négoce de denrées très actif.

(Extraits du ˉCorrespondant.)

Notes

1. Fait à noter au point de vue physique : les femmes d'Artena sont presque toutes blondes.

2. Nous ne pouvons citer le nom du prince Joseph lospigliosi, sans rendre hommage au concours si utile quiil a prèté avec tant de bonne gràce à nos travaux. Nous sommes heureux aussi d'exprimer icinotre reconnaissance : au prince Borghèse, chef de cette grande famille et qui continue si dignemeunt les traditions paternelles ; à M. et MPe Capri, de Valmontone, auprès desquels nous avons trouvé une infatigable complaisance ; à M Bodio, le savant directeur de la statistique du royaume.

3. Précis de l'histoire du droit frangrs, p. 563.

4. Réforme sociale, t. lIV, 2e Série, p. 515, n° du 15 nOv. 1888.

5. Nous résumons ici, à titre d'exemple des exigences de la commission romaine, les négociations engagees entre elle et le propriétaire d'un domaine de 214 hectares où il n'y avait d'autre culture que des prés naturels pour pàturage. Le propriétaire offrait de construire une allée bordée d'arbres pour relier la ferme à la route et de planter cinquante ares en vignes. La commission prétendait lui imposer une série de travaux bien plus compliqués, tels que : drainage assurant l'écoulement des eaux pluviales et des eaux souterraines ; affectation de trente hectares à une culture de céréales, de soixante hect.à des prairies permanentes ouartificielles ; clôture des terrains en culture ou en prairie ; agrandissement des bâtiments ; plantation d'arbres tout le long des routes du domaine, etc. Tous ces travaux devaient être exécutes dans un délai de cinq années. Le propriétaire se refusa à ces exigences ; on négocia, et on arriva à l'accord que voici : dix ans de délai pour exécuter des améliorations consistant en la clôture des terrains, la réparation des bâtiments, l'établissement d'une fosse à fumier, la construction d'une route, l'acquisition des animaux nécessaires, l'affectation de vingt hectares à la culture des céréales.

6. Voy., dans les Ouvriers européens de F. Le Play, t. V, la monographie du métayer de la Toscane, par M. Peruzzi, d'après des renseignements recueillis en 1857. La famille décrite se trouve actuellement sur le même domaine et la permanence de ses bons rapports avec le propriétaire justifie pleinement les conclusions que Le Play