N° 49.
CHARRON
DES FORGES ET FONDERIES
DE MONTATAIRE (OISE).
JOURNALIER,
DANS LE SYSTÈME DES ENGAGEMENTS VOLONTAIRES PERMANENTS,
d'après
LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN 1884,
PAR
M. BERTHEAULT ,
Ingénieur.
Sommaire
- Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.
- Éléments divers de la constitution sociale
- § 17. INSTITUTIONS AYANT POUR OBJET D'ASSURER LE BIEN-ÉTRE MORAL DES OUVRIERS : ÉCOLES, CLASSES DU SOIR, OUVROIR, BIBLIOTHÈQUE, CHAPELLE.
- § 18. INSTITUTIONS AYANT POUR BUT D'ASSURER LE BIEN-ETRE MATÉRIEL DES OUVRIERS : CAISSE DE SECOURS MUTUELS.
- § 19. HABITATIONS OUVRIÈRES ET JARDINS.
- § 20. CANTINE, ÉCONOMAT, SALLES DE BAINS.
- § 21. COMPARAISON ENTRE LES SITUATIONS PÉCUNIAIRES DE DIVERS OUVRIERS.
- § 22. COMPARAISON DU BUDGET DE FAMILLE A DES ÉPOQUES DIFFÉRENTES.
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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.
Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1. État du sol, de l'industrie et de la population.
[133] Le bourg de Montataire est situé à 50 kilomètres au nord de Paris, sur la rive droite de l'Oise. La commune occupe une surlace de 1.058 hectares dont les deux tiers environ sur un plateau assez uni et médiocrement fertile s'élevant à 80 mètres seulement au-dessus du niveau de la mer.
L'église, le château et un petit groupe de maisons bordent l'escarpement qui termine le plateau vers le midi ; mais l'agglomération est tout[134]entière dans la partie basse de la commune qui s'étend jusqu'aux bords de l'Oise et est traversée par la petite rivière du Thérain.
Le sol appartient au terrain tertiaire reposant sur la craie ; à la base de la colline on trouve des sables jaunâtres ne contenant d'autres fossiles que des nummulites et des dents de squales. La partie supérieure est une masse calcaire qui atteint sur certains points une très grande épaisseur et fournit d'excellentes pierres exploitées dans plusieurs carrières sur la commune de Montataire même, mais principalement sur les communes voisines de Saint-Vaast et de Mello.
Les vallées de l'Oise et du Thérain semblent s'être creusées par érosion dans cette couche calcaire ; elles forment à leur point de jonction une plaine autrefois très marécageuse. A une époque encore peu éloignée, les communications entre Montataire et les villages voisins n'étaient établies que par des chemins contournant les collines à micôte, et les deux rivières couvraient chaque hiver cette plaine que traversent aujourd'hui de belles routes et plusieurs lignes de chemins de fer, et où s'élèvent des usines et de nombreuses habitations. Les remblais supportant les voies ferrées ont encaissé les cours d'eau, et les marais sont en grande partie comblés par les débris provenant des exploitations industrielles.
La vallée de l'Oise est très saine ; celle du Thérain, plus boisée et dont le sol est tourbeux, passe pour l'être beaucoup moins ; le bourg de Montataire, situé au confluent des deux vallées, participe à ces diverses conditions et les fièvres muqueuses et typhoides font de fréquentes apparitions dans certains quartiers. Cependant, si l'on a eu à déplorer tropsouvent les ravages de graves épidémies, il faut l'attribuer surtout aux mauvaises conditions hygiéniques de quelques habitations, dans lesquelles les ouvriers de passage s'accumulent en trop grand nombre.
Les principales cultures sont les céréales, les prairies artificielles et les betteraves, mais elles s'étendent à peine sur la moitié de la surface de la commune. le reste étant occupé par quelques bois, les voies de communication, les eaux, les habitations avec jardins et les établissements industriels.
Il n'existe aucune ferme isolée, sur le territoire de la commune ; les terres, très divisées, sont louées à un petit nombre de cultivateurs qui habitent le bourg ou les villages les plus rapprochés.
Cette région a été habitée dès les temps préhistoriques ; les silex taillés en rendent témoignage, et les nombreux sarcophages en pierre[135]qui se voient encore au sommet du coteau, prouvent qu'à l'époque gallo-romaine la population avait déjà une certaine importance.
Les premiers habitants s'étaient sans doute creusé des demeures dans la couche calcaire, dont les pierres compactes, mais peu résistantes, pouvaient être entamées facilement même par des instruments très imparfaits ; les cavernes, encore habitées aujourd'hui par quelques familles pauvres, leur offraient un abri sur et salubre. La plupart s'ouvrent au midi, sur une sorte de promontoire d'où l'on jouit d'une vue très étendue, qui fut admirée, dit-on. par César.
Un château fort ne pouvait manquer de s'élever dans une position si favorable ; les rois mérovingiens y possédaient un domaine, et, au douzième siècle, les seigneurs de Clermont construisirent le donjon dont plusieurs parties subsistent encore. Le châtelain actuel a raconté dans un récit plein de charme les origines et les diverses phases de l'existence de ces vieilles tours féodales1.
Au-dessous du château et de l'antique collégiale qui l'avoisine, se groupèrent, au moyen âge, plusieurs manoirs, fiefs de la chàtellenie ou de diverses abbayes, puis enfin quelques maisons, qui formèrent une commune et s'étendirent peu à peu dans la vallée ; mais c'est seulement dans les premières années du dix-neuvième siècle, que le mouvement industriel a commencé à se développer et que les marais ont fait place aux habitations jusqu'aux bords des deux rivières.
La population de Montataire, qui ne dépassait guère 1.000 habitants il y a soixante ans (1.010 en 1823), s'élevait à 5.739 au dernier recensement de 1881.
Elle se compose en grande majorité de familles appartenant à la classe ouvriêre industrielle ; sur les 5.739 habitants, 190 seulement vivent de l'agriculture, 496 du commerce, 154 de diverses professions et 4.899 du travail industriel.
Ce dernier chiffre peut se décomposer en 175 personnes appartenant à la petite industrie, et 4.724 vivant de leur travail dans les usines métallurgiques.
Il existe à Montataire deux établissements industriels : celui de la Soeiété anonyme connue sous la raison sociale de Forges et Fonderies de Montataire et qui occupe en temps normal plus de 2,000 ouvriers, et un atelier de construction de ponts en fer qui en occupe 150 à 200.
[136] Les bourgs et villages du canton de Creil étant assez rapprochés les uns des autres, les ouvriers ne sont pas régulièrement groupés autour des établissements auxquels ils appartiennent.
Quelques-uns de ceux des deux usines de Montataire habitent d'autres communes, où ils trouvent à se loger à meilleur marché, et ne craignent pas de faire chaque jour un long trajet. Par contre, un certain nombre d'ouvriers habitant Montataire travaillent dans les ateliers de Creil, chef-lieu de canton qui a 7.182 habitants et possède diverses indus
On compte, dans la commune de Montataire, 564 maisons comprenant 1.423 logements distincts, ce qui donne une moyenne de 10 personnes par maison et 4 par logement.
Les Belges, attirés depuis longtemps par les travaux industriels, constituent une fraction importante de la population.
Sur les 5.739 habitants, il y a :

Mais beaucoup de familles belges, tout en ayant conservé leur nationalité, sont installées à poste fixe, sans idée de retour dans leur pays, aussi compte-t-on parmi ces étrangers 502 individus nés à Montataire.
Les alliances sont nombreuses entre les familles françaises et belges et les ouvriers des deux peuples se mêlent sans distinction dans les usines. Lemélange intime des deux nationalités n'est certainement pas sans influence sur les meœurs et les caractères. Toute cette population ouvrière est en général douce et laborieuse, un peu molle et apathique les disputes et altercations ne sont pas très rares, entre Belges surtout, mais elles n'entrainent pas souvent de conséquences graves.
Au point de vue politique, la majorité est acquise à l'opinion républicaine radicale, qui est représentée presque exclusivement au conseil municipal. Administrée sous l'influence de la franc-maconnerie, la commune, qui n'a d'autre ressource que l'impôt, a vu s'accroître notablement son budget pendant les dernières années, et la part des contributions directes aflérente aux dépenses communales a doublé depuis dix ans.
L'école des filles et la salle d'asile, dirigees par des religieuses et don[137]nées autrefois à la commune par la famille du fondateur des Forges, ont été remplacées, à grands frais, par des écoles laiiques ; mais les premières, redevenues établissements libres, ont conservé tous leurs
La grande majorité des familles semble tenir sérieusement à l'éducation chrétienne des enfants.
Les mariages et les enterrements civils sont des événements exceptionnels, malgré la très active propagande d'une société de libres-penseurs recevant l'impulsion de personnes étrangères à la commune. Il est rare qu'un ouvrier gravement malade refuse les secours de la religion. L'assistance aux offices est beaucoup moins générale qu'autrefois ; cependant l'église paroissiale et les chapelles auxiliaires, dont l'une est édifiée dans la cour de l'usine, sont régulièrement fréquentées. En résumé, les bonnes traditions chrétiennes laissées par les fondateurs des Forges conservent encore une réelle influence. L'harmonie n'a jamais été sérieusement troublée entre la population ouvrière et ses chefs ; les vieux ouvriers parlent volontiers de leur attachement à « la maison ».
Malheureusement la presse hostile à l'esprit de tradition et la frequentation des cabarets gagnent sans cesse du terrain. Il existe dans la commune de Montataire, sans compter 88 logeurs qui débitent des boissons, 51 cabarets ou auberges ; néanmoins l'ivrognerie ne se manifeste pas aussi souvent qu'on pourrait le croire, d'une manière publique et scandaleuse ; mais un très grand nombre d'ouvriers, même parmi les plus assidus au travail, abusent de l'usage de l'alcool, s'habituent peu à peu à l'absorber à forte dose, en échangeant des politesses avec les camarades, et accumulent petit verre sur petit verre, à l'entrée et à la sortie des ateliers. Cette pratique, désastreuse au moral et au physique, agit de la facon la plus funeste sur le jugement, et donne de la gravité aux moindres indispositions et aux plus légères blessures.
Un petit établissement industriel existait dejà vers 1792, à l'endroit où s'élèvent aujourd'hui les Forges de Montataire.
Un Anglais, M. Taylor, membre du Parlement, avait voulu utiliser les chutes d'eau que forme la rivière du Thérain à son confluent avec l'Oise, pour faire mouvoir les appareils d'une papeterie et d'un atelier de poteries ; mais les événements de la révolution firent suspen[138]dre les travaux2. En 1807, cette usine fut transformée par M. Praire, qui commenca à y laminer du fer ; puis MM. Mertian frères, d'abord associés à M. Praire, en devinrent seuls propriétaires en 1813.
Depuis cette époque l'importance de l'usine augmenta d'année en année. M. Louis Mertian y installa en 1818 la fabrication du fer-blanc, qui n'était pas encore connue en France et qu'il avait été étudier en Anggleterre. Les produits de son industrie figurèrent aux expositions de 1819 et 1823 et lui valurent une médaille d'or et la croix de la Légion d'honneur.
En 1840, les propriétaires constituêrent une société anonyme, qui n'a pas cessé depuis lors de donner aux Forges de Montataire un accroissement de plus en plus considérable3. Mais elle développa la production avec prudenc e, au fur et à mesure que les débouchés s'ouvraient devant les produits et sans apporter de perturbation sur le marché métallurgique, comme le font certaines grandes usines qui surgissent tout à coup pour faire valoir les capitaux de spéculateurs plus ou moins habiles.
La fabrication, qui, en 1823, n'était encore que de 3tonnes par jour, a atteint dans ces dernières années 130 a 140 tonnes (près de 40.000 tonnes par an).
Elle a pour objet les fers et aciers laminés en barres, les tôles de fer ou d'acier de toutes dimensions, depuis les plus grandes qui servent à la construction des chaudiêres à vapeur et des coques de navires, jusqu'aux plus minces employées par les industries parisiennes ; une grande partie des toles fabriquées à Montataire sont recouvertes d'une couche de zinc, de plomb ou d'étain, et vendues sous les dénominations de tôles galvanisées ou plombées, et de fer-blanc.
On s'est quelquefois étonné de voir un établissement métallurgique de cette importance installé aussi loin des lieux de production des principales matières premières qui lui sont nécessaires, telles que la fonte et la houille ; mais, dans ces usines, on emploie en grande proportion, comme matière première les vieilles fontes et ferrailles qui se trouvent en abondance dans les environs de Paris, et qu'on transforme aisément en fer et en acier d'excellente qualité. De plus, le rapprochement des[139]points où se vendent les produits, et la situation des usines sur les bords d'une riviêre navigable et sur la principale ligne du réseau des chemins de fer du Nord, atténuent dans une certaine mesure l'inconvénient qui résulte de l'éloignement des houillêres et des hauts fourneaux. Enfin la jouissance d'une chute d'eau donnant plus de cent chevaux de force constitue un avantage important.
Le personnel ouvrier comprend une partie flottante (25 p. 4 environ), trés instable, qui se renouvelle plusieurs fois en douze mois, dans les années où le travail est poussé avec activité. Quand au contraire les circonstances commerciales obligent à ralentir la production, cette portion du personnel disparait presque complètement, et il ne reste que des ouvriers stables. La moitié de l'effectif actuel compte plus de dix ans de service.
On rétribue à la journée les simples manœuvres occupés dans les cours ; ils gagnent de 3 à 4 francs, pour 12 heures de présence. Les ma̧ons, charpentiers, menuisiers, employés aux travaux d'entretien, gagnent de 4 à 6 francs.
Mais en général les ouvriers de la forge sont payés à la tâche, d'après un système qui assure, dansles meilleures conditions possibles, la communauté d'intérêts entre les ouvriers et le patron : ils sont payés d'après le poids net des produits qu'ils ont fabriqués, suivant des tarifs établis d'avance et qui ne doivent être modifiés que dans des cas très rares et tout à fait exceptionnels ; de sorte que chaque ouvrier est toujours assuré du taux de son salaire et de l'augmentation qu'il peut obtenir par un surcroît de soins ou d'efforts.
Dans les divers ateliers, les chefs ouvriers ayant la plus grande part de fatigue ou de responsabilité peuvent gagner de 9 à15 francs par jour : les autres ouvriers sous leurs ordres, payés sur les mêmes bases suivant une échelle de proportion, gagnent de 4f50 à 8 franes. La moyenne générale des salaires de tous les ouvriers adultes est d'environ 5f25.
Les enfants admis dès l'âge de 12 à 13 ans, lorsqu'ils ont fait leur première communion et obtenu le certificat d'études exigé par la loi du 19 mai 1874, gagnent immédiatement un salaire de 0f75 a 1f25. l font l'apprentissage d'une spécialité, suivant leurs aptitudes, en remplaçant progressivement ceux qui sont plus aîgés et plus avancés : de sorte qu'ils gagnent de 2 à 3 franes entre 1:5 et 16 ans, et, s'ils sont robustes et intelligents, ils peuvent arriver, vers 18 ans, aux postes les plus rétribués.
§ 2. État civil de la famille.
[140] La famille comprend huit personnes :
1°JACQUES M***, chef de famille, né à Montataire............ 42 ans.
2°MARIE G***, sa femme, née à Thiverny............ 38 —
3°ANTOINE M***, leur fils aînée, âgé de............ 16 —
4°MADELEINE M***, 1re fille, âgée de............ 11 —
5°JOSEPH M***, 2me fils, âgé de............ 9 —
6°AUGUSTE M***, 2me fille, âgée de............ 7 —
7°LÉON M***, 3me fils, âgé de............ 6 —
8°LOUIS M***, 4me fils, âgé de............ 4 —
Le fils aîné travaille depuis trois ans à l'usine, trois autres enfants fréquentent les écoles, et les deux plus jeunes passent leur journée à la salle d'asile.
Le mari est l'unique enfant de ses parents ; son père, âgé de 64 ans, gagne un salaire suffisant pour vivre assez à l'aise ; la petite maison qu'il habite lui appartient et reviendra après lui à son fils, mais elle n'a qu'une faible valeur.
La mère de la femme habite dans un village voisin. Elle est veuve et a d'autres enifants mariés et chargés de famille. Elle est aussi propriétaire de sa maison et loue deux logements, dont le revenu, ajouté au salaire des travaux de blanchissage aux quels elle peut encore se livrer, assure son existence.
§ 3. Religion et habitudes morales.
Le mari et la femme sont catholiques et ont conservé l'un et l'autre l'habitude des pratiques religieuses ; tout au moins ils assistent régulièrement à la messe le dimanche. Les enfants recoivent de bons exemples et une bonne direction. Ayant le choix entre une école laique et une école congréganiste, pour les jeunes filles, les parents les ont coniées sans hésitation aux religieuses. Ils envoient régulierement le garçon de 9 ans aux catéchismes de la paroisse.
Le père et la mère savent lire et écrire, mais leur instruction ne va pas beaucoup au delà.
Une particularité fâcheuse dans la situation morale de cette famille,[141]c'est que le mari est brouillé avec son père : il y a plusieurs années, quelques difficultés survenues entre eux pour des motifs futiles, occasionnèrent des discussions très vives qui ne se sont pas renouvelées, mais qui ont laissé trop d'irritation de part et d'autre pour qu'un rapprochement soit encore possible.
Malgré cette brouille, la femme, qui semble avoir un esprit juste et conciliant, envoie souvent les enfants chez sa belle-mêre et ils sont toujours bien accueillis ; mais elle évite les rapports directs qui pourraient amener de nouvelles querelles entre son mari et son beau-père.
Le père de famille, laborieux, sobre, assez adroit dans son travail, ne manque pas de bon sens, mais il a une certaine bizarrerie de caractère qu'il reconnait lui-même et qui lui a causé plus d'un déboire.
La femme, plus intelligente, parait avoir pris la direction de la famille. Son ménage est tenu avec ordre et avec une propreté relative. Elle règle les dépenses et se réduit elle-même au strict nécessaire. afin de dissimuler la gène autant que possible à son mari et à ses enfants ; mais trop généralement les familles d'ouvriers qui s'en rapportent à leur mémoire et ne comprennent pas l'utilité de tenir note par écrit des recettes et des dépenses, ne savent pas établir un équilibre régulier entre les ressources et les charges ; c'est ce qui arrive ici. Quand les recettes sont un peu plus abondantes, on en profite immédiatement, et, quand elles diminuent, on a recours aux expédients. ou l'on s'impose des privations extrêmes, qu'un peu plus de prévoyance aurait permis d'éviter.
§ 4. Hygiène et service de santé.
Le chef de famille est de taille moyvenne et généralement bien portant, sans être robuste. La femme, dont la santé a été fort éprouvée à l'époque de la naissance de ses plus jeunes enfants, se plaint de la fatigue que lui causent les travaux duménage. Elle est obligée de faire parfois usage de vin ou d'infusion de quinquina.
Plusieurs des enfants ont été malades successivement dans le cours des années précédentes ; mais actuellement, tous se portent bien et prouvent par leur bonne mine que les parents ont su, malgré leur pauvreté, leur assurer un régime salutaire.
Comme on le verra par les détails du budget, les dépenses de véte[142]ments sont entrêmement restreintes, les dépenses accessoires sont réduites à la plus simple expression et la plus grande partie des ressources sont consacrées à l'alimentation.
L'habitation, quoique exposée au nord, est parfaitement saine ; elle est entourée de jardins et située dans une région très salubre. Tous les membres de la famille vivent habituellement en plein air. Les plus jeunes enfants passent une partie de la journée dans des écoles et des salles d'asile parfaitement aménagées, et jouent dans le jardin lorsqu'ils reviennent chez leurs parents.
Le fils aîné, à cause d'une certaine faiblesse de la vue, n'a pu se livrer à des travaux qui l'exposeraient à la chaleur des fourneaux ; il doit donc se contenter, au moins quant à présent, d'nn simple travail de maneuvre dans les cours de l'usine et il est par suite moins rétribué que ne le sont en général les enfants de son âge.
Les dépenses de pharmacie ont été insignifiantes pendant l'année, et les frais pour le service de santé ne comportent guère que l'abonnement au médecin, obligatoire pour tous les ouvriers des Forges.
§ 5. Rang de la famille.
Cette famille a été choisie pour type, dans cette étude, parce que les renseignements qu'on pouvait en obtenir ofraient des garanties particuliêres d'exactitude, et aussi parce qu'elle occupe une situation moyenne dans la population ouvrière.
Les parents du mari et de la femme, originaires du pays et continuant à y résider, sont dignes d'estime par leur honnêteté ; mais aucun membre de cette famille n'attire l'attention par quelque particularité e ceptionnelle.
Le gain du père de famille n'est pas inférieur au salaire moyen des autres ouvriers de l'usine. Il n'a jamais eu recours aux aumônes des euvres de bienfaisance ; il vit uniquement de son travail, prolitant seulement de quelques subventions qui sont également à la disposition de tous ses camarades.
Il appartientà la catégorie des ouvriers stables ; il se regarde, malgré quelques intermittences, comme appartenant aux Forges depuis son enfance, et, bien qu'il ne soit lié avec cette administration que par un engagement momentané, susceptible d'être rompu, à la volonté d'une[143]des parties, dans un délai de huit jours, il résulte des mœurs et des coutumes que cet ouvrier jouit, dans une certaine mesure, des garanties du système des engagements permanents. De son côté, il est libre de quitter l'usine en prévenant quelques jours à l'avance, comme il l'a fait déjà lorsqu'il était plus jeune, mais il n'a plus aucune intention de profiter de cette faculté.
Quoique n'appartenant pas à l'élite des ouvriers ni à l'une des professions spéciales dont les services sont plus particulièrement utilisés, il a pu obtenir en qualité d'ouvrier stable et de chef d'une nombreuse famille, un logement dans les maisons construites par la Société de Montataire.
Cet ouvrier a droit a la bienveillance et à la sympathie de ceux qui l'entourent; mais les dissentiments qui se sont élevés autrefois entre son père et lui, ont dû nuire, et c'est justice, à la considération qu'il mérite d'ailleurs à d'autres égards. Il n'y a rien dans ses habitudes et sa manière d'être qui lui donne le moindre relief.
Le mari et la femme sont animés du désir de donner une bonne éducation et de procurer une instruction suffisante à leurs enfants, mais n'ont nullement l'idée de leur ménager dans l'avenir une situation sociale supérieure à celle qu'ils occupent eux-mêmes aujourd'hui.
Moyens d'existence de la famille
§ 6. Propriétés.
(Mobilier et vêtements non compris).
Immeubles............ 0f 00
La famille n'a aucune propiété immobilière et celle qu'elle poura posséder plus tard par héritage est de faible valeur.
Argent............ 25f 00
La famille ne fait aucune épargne et l'argent conservé à la maison pour les besoins du ménage dépasse rarement 25 francs.
ANIMAUX DOMESTIQUES entretenus toute l'année............ 11f 25
Cinq lapins, représentant pour l'année une valeur moyenne de 11f25.
[144]Matériel spécial des travaux et industries............ 189f 00
1° Outils pour la culure du jardin. — 2 bêches, 5f00; — 1 brouette, 18f 00; — outils divers, 5f00. — Total : 28f 00.
2° Outils et matériel de charronnage. — 1 établi, 20f00; — 9 scies, 18f00 ; — 10 doloires, 15f00; — 4 varlopes, 12f00 ; — 8 rabots, 16f00; — 10 ciseaux, 10f00; — 1 hache, 3f 00 ; — outil divers, 15f 00; — approvisionnements de bois de frêne, d'orme et planches de sapin, 40f00. — Total : 149f 00.
3° Matériel de blanchissage. — Battoirs et baquets, 12f 00.
Valeur totale des propriétés............ 225f25
§ 7. Subventions.
Les subventions jouent un rôle assez important dans le budget de la famille.
Les parents du chef de famille ne participent pas directement aux frais du ménage, mais chaque fois que leurs petits enfants vont les voir, ceux-ci reçoivent de leur grand'mère quelques friandises ou quelques menus objets et font souvent un repas chez elle. Le tout peut être évalué, pour l'année entière, à 30f environ.
La mère de la femme lui vient en aide d'une manière plus eflicace en se chargeant en grande partie du blanchissage du linge. C'est au fil iné qu'incombe le soin de le transporter chez sa grand'mère, quelquefois toute la famille en fait le but d'une promenade du dimanche. On porte le savon nécessaire en même temps que le linge, de sorte qu'il faut compter pour valeur de cette subvention, seulement les journées que, sans le concours de sa mère, la femme serait obligée de consacrer à ce travail.
L'usine accorde, chaque hiver, à cette famille, des escarbilles (résidus de la houille brûlée dans les foyers des fours métallurgiques), habituellement vendues au prix de 0f75 l'hectolitre ou 1f88 les cent lil. ; l'allocation de l'année 1883 a été de 30 hectolitres, soit 22f50.
Le reste de la consommation de l'année, 50 hectolitres, a été acheté au prix de faveur de 0f50, accordé par l'administration de l'usine à tous ses ouvriers. La réduction, de 0f75 0f50, doit aussi être portée au compte des subventions et représente une somme annuelle de 12f 50.
L'instruction des enfants coûterait à la famille, si la gratuité complète n'avait pas été établie, 60 francs par an. Actuellement elle n'a rien à[145]payer, ni à l'école communale pour le jeune garçon, ni à l'école libre pour les petites filles ; celles-ci reçoivent même gratuitement les fournitures classiques, pour une valeur de 3 franes.
On pourrait aussi compter comme subvention une réduction obtenue sur le prix de toutes les marchandises achetées à l'économat de l'usine (§ 20) : on l'évaluera en constatant ce que la famille aurait payé les mêmes marchandises chez les négociants du pays. Dans le budget des dépenses toutes les acquisitions ont été portées au prix réel d'achat, la dépense qui balance l'économie inscrite au budget des recettes, figure dans le budget des dépenses au compte des assurances concourant à garantir le bien-être de la famille ; on peut l'évaluer à 90 ou 100 francs par an.
La famille a obtenu de la Société des Forges, moyennant un loyer de 150 francs par année, un logement équivalant à ceux qui dans les autres maisons du pays se paient au moins 200 franes (§ 19). On a fait figurer au budget la différence entre les deux chiffres, bien qu'il soit probable que, si la famille ne jouissait pas de cette faveur, elle se contenterait d'un logement moindre, et ne dépenserait pas davantage.
Le fumier ramassé par les enfants sur la voie publique représente une petite valeur qu'il convient d'énumérer jencore parmi les subventions. Laplus grande partie est utilisée dans le jardin, et la provision a étéassez abondante cette année pour que l'ouvrier ait pu en vendre 1 mètre cube après avoir convenablement fumé son jardin.
§ 8. Travaux et industries.
Travail de l'ouvrier. — L'ouvrier est occupé toute l'année à l'usine : il travaille de jour seulement4, ordinairement de 6 heures de matin à 6 heures de soir, avecc un repos réglementaire de 11 heures à midi pendant lequel il vient prendre son repas à domicile, et des repos plus courts tolérés par l'usage dans la matinée et l'après-midi. La marche régulière de l'usine comporte de 295 à 310 journées de travail par an : mais, das le cours de l'année 1883, le ralentissement général des[146]affaires a imposé des économies sur les travaux accessoires ; les ouvriers des diverses proiessions ont chômé complètement pendant un certain nombre de jours, et beaucoup d'autres n'ont plus été occupés que de 7 heures du matin à heures du soir, avec réduction de 211 sur le prix de la journée entière. C'est ainsi que cet ouvrier n'a que287 1/3 journées de travail dans l'année et son fils seulement 267.
Son travail consiste à entretenir les vagons et autres véhicules en bois ; ilrépare les avaries et fait au besoin quelques pièces neuves ; d'autres ouvriers de la même profession sont aussi occupés dans l'usine, mais Acelui-ci est ordinairement seul dans un petit atelier.
Il a cherché à augmenter ses ressources en entreprenant chez lui, et à son compte, un travail analogue à celui qu'il fait à l'usine : il s'est mis à construire et réparer des brouettes et il s'est formé facilement une clientèle pour cette spécialité, dans un pays où les travaux de jardinage sont très développés. Il livre en moyenne chaque mois une brouette neuve et fait de plus quelques réparations.
Il consacre à ce travail les jours de la semaine, quand son atelier est fermé, quelques heures de la soirée ou de lamatinée, et aussi, malgré ses sentiments religieux, une partie des dimanches de l'année. Il ne se rend pas compte exactement du temps employé de cette manière, mais d'après ses déclarations, on ne peut pas l'évaluer à moins de 50 journées par an, et comme le temps qu'il emploie à cette industrie est pris ur ses moments perdus, le prix de la journée ne peut être estimé à plus de 3 francs.
Travaux de la femme. — La femme consacre la plus grande partie de son temps aux soins du ménage et à la préparation des aliments. Autrefois elle comptait la valeur de deux journées entières par semaine, pour le lavage du linge maintenant que sa mère fait pour elle la moitiéde ce travail, elle peut donner plus de temps à la couture et répare ou confectionne elle-même les vêtements de toute la famille. Enfin c'est elle qui s'occupe, avec le fils aîné, de la culture du jardin et de l'élevage des lapins.
Travaux du fils aîné. — En dehors de son travail à l'usine, le jeune garçon de 16 ans, entretient le jardin avec sa mère et c'est lui qu itransporte le linge à blanchir chez sa grand'mère. Chaque course représente l'emploi d'une demi-journée.
Travaux des plus jeunes enfants. — Après les heures d'école, ils vont assez souvent ramasser sur les routes le fumier employé dans le jardin. On n'a cru devoir attribuer aucune valeur dans le budget des recettes,[147]au travail de ces enfants ; ils contribuent cependant pour une forte proportion au léger bénéfice résultant de cette petite industrie.
Mode d'existence de la famille
§ 9. Aliments et repas.
L'ouvrier a renoncé à l'habitude qu'il avait autrefois, lorsque son domicile était plus éloigné, de faire un repas aumilieu du jour à l'usine ; il ne profite donc plus des facilités que lui offrait pour cela la cantine établie par l'administration des Forges (§ 20) et il regarde, avec raison, comme plus économique de prendre part au repas de la famille.
Le matin de bonne heure, les parents et les enfants prennent du café au lait dont tous les éléments sont rigoureusement mesurés : le père et le fils aîné s'attribuent chacun deux morceaux de sucre, tandis que la mère et les plus jeunes enfants n'ont droit qu'à un seul ; on achète toujours du sucre cassé en morceaux réguliers afin de faire équitablement ce parlage.
Le deuxième repas, à 11 heures, consiste en viande et légumes ; quelquefois, en hiver surtout. la viande est remplacée par du poisson, ordinairement du harengg frais.
Le soir à I heures, on consomme les restes du repas de midi, auxquels on ajoute souvent du fromage.
La boisson aux deux repas est une petite bière, vendue par un brasseur du pays, au prix de 0f25 le litre. Le dimanche, le père et le fil aîné remplacent cette bière par du vin, qui coûte 0f70 le litre ; la femme et les jeunes enfants n'en boivent jamais.
La consommation de viande pour tous les membres de la famille, aux deux repas, est de 1f 057 poids de viande crue) en moyenne par jour, et la consommation moyenne de boisson, bière, vin et cidre, est de 4l 142.
L'ouvrier et son fil aîné n'emportent pas de nourriture à consommer au dehors. Les plus jeunes enfants prennent quelquefois un repas chez leur grand'mère ; mais ils n'emportent rien non plus hors de la maison et reviennent de l'école à l'heure du repas de famille.
[148] Par principe, la mère n'ajoute jamais de fruits aux repas : le jardin n'en produit aucun, et elle s'abstient d'en acheter, même dans la saison où l'on peut s'en procurer à bas prix ; elle estime que ce serait une dépense de luxe absolument inutile à l'alimentation.
§ 10. Habitation, mobilier et vêtements.
La famille habite, dans une des maisons de la cité construite par la Société des Forges (§ 19), un logement composé de trois pièces, une cave et un grenier. Les parents occupent, avec les deux plus jeunes enfants. une chambre du premier étage ; les deux petites filles couchent dans la seconde chambre, et les deux fils aînés, dans la pièce du rez-de-chaussée qui sert aussi de cuisine. L'ensemble de ce logement présente l'aspect de la pauvreté, les meubles sont peu nombreux et grossiers. Il n'y a pas de désordre et la propreté est sufisante, mais on ne voit pas la trace de ces soins indiquant quelquefois, dans les logements les plus misérables, larecherche d'un certain confortable et l'amourdu chez soi. Néanmoins cette famille est attachée à son intérieur et ne cherche pas de jouissances au dehors ; la mauvaise organisation de la maison et la médiocre tenue du jardin indiquent seulement le manque de goût et une certaine insouciance.
Meubles. : réduits au strict nécessaire............ 33f50
1° Lits, literie et mobilier des deux chambres du 1er etage. — 1 lit en bois, 10f00; — 1 petit lit d'enfant, à rideaux, 10f00; — 1 lit de fer avec sommier, à l'usage des deux fils aînés, 20f00 ; — 4 matelas, dont un très petit, 50f00 ; — 3 paillasses, 4f00; — 5 couvertures de laine grise, 20f00; — 3 traversins, 3f00; — 1 édredon, 10f 00; — 1 couvre-pieds de couleur, 3f00; — 1 table ronde en noyer, 8f 00 ; — 2 chaises de paille, 2f 00; — 1 pendule, 30f00; — 1 armoire en noyer, 35f00; — tablettes et menus objets, 10f00. — Tota : 215f00.
2° Mobilier de la pièce du rez-de-chaussée (moins le lit compté ci-dessus). — 2 tables en bois blanc, 15f00; — 5 chaises en mauvais état, 5f00 ; — 1 poêle en fonte, 20f00; — 1 armoire-buffet en noyer (ayant couté 85f00), 60f00 ; — 1 banc de bois, 3f00; — 1 billot, 5f00; — 1 paire de chenets, 2f 00; — 1 petite étagére en bois blanc. supportant une quinzaine de volumes en mauvais éta, 5f00 ; — 2 cartes de geographie, encadrées et sous verre, 1f50. —
Ustensiles : à peine suffisants............ 31f25
1° Employés pour la cuisson et la consommation des aliments. — 3 casseroles de fer battu, 3f00 ; — 2 marmites, 2f50; — 1 saladier de faïence, 0f50 ; — 1 soupière, 0f50; — 9 assiettes, 2f25 ; — 1 moulin à café, 2f 00 ; — bouteilles, verres, 1fourchettes et cuillers en fer, menus objets, 5f00. — Tota: 15f75.
[149] 2° Servant au blanchissage. — 3 fers à repasser, 3f00 ; — 1 vieux panier, 0f50 ; — 1 tinette à laver, 9f00 ; — 2 paniers à linge, 3f00. — Tota1 : 15f50.
Linge de ménage : peu abondant............ 100f 00
8 paires de draps : 2 à 10f00, 4 à 8f00 et 2 à 16f00 ; en tout, 84f 00 ; — 18 torchons et serviettes, 16f00.
Vêtements : sans aucune recherche............ 399f 75
VÊTEMENTS DES HOMMES, selon le détail ci-dessous (268f25).
1° Vêtements de l'ouvrier. — 1 paletot ou veste en drap, 6f50; — 1 gilet de tricot, à manches, 8f00; — 1 pantalon de velours, 13f00; — 1 gilet de velours, 3f00; — 1 pantalon de drap, 6f00 ; — 3 chemises de cretonne, 13f75 ; — 2 ehemises blanches, 8f50 ; — 2 gilets de lanelle, 10f 50; — 2 paires de chaussettes de laine, 3f 00;— 2 paires de chaussettes de coton, 2f20; — 2 calecons, 5f00; — 1 paire de souliers,13f50; — 2 paires de sabots, 2f80; — 1 chapcau de feutre, 4f 00; — 1 casquette, 1f50 ; — mouchoirs et cravates, 5f00 ; — 1 montre eu argent, 15f00. — Total : 121f25.
2° Vêtements due fils aîné. — 1 paletot dedrap, 75f00 ; — 1 pantalon de drap, 8f00; — 1 pantalon et 1 gilet de velours,7f50; — 3 chemises, 12f00; — 2 paires de souliers, 17f00;— 2 paires de chaussettes de laine, 3f00; — 2 paires de chaussettes de coton, 2f00; — 1 casquette, 1f50; — mouchoirs, 3f00. — Tota : 69f00.
3° Vêtements des trois jeunes garçons. — 8 chemises, 14f 40; — 3 pantalons, 15f 00; — 3 vestes ou paletots, 15f00 ; — 6 paires de bas, 5f10; — 3 paires de souliers, 12f60 ; - 3 paires de galoches, 10f50; — 3 casquettes, 2f40 ; — objets divers, 3f00. — Tota1 : 78f00.
VÊTEMENTS DES FEMMES, selon le détail ci-dessous (131f50).
1° Vêtements de la femme. — 1 robe, 13f00; — 3 jupons, 11f00; — 2 corsages, 6f00 ; — 2 tabliers, 6f00; — 6 chemises, 24f00; — 2 paires de bas de laine, 4f00; — 1 paire de bas de coton, 1f 25 ; — 1 paire de souliers, 9f00; — 1 paire d'espadrilles, 2f55 ; — 1 paire de sabots avec chaussons, 3f50; — 1 tricot, corset, fichus et mouchoirs, 10f00. — Total : 90f30.
2° Vêtements des deux petites filles. — 6 chemises, 10f80; — 2 petites robes, 8f 00; — 4 paires de bas, 3f 40 ; — 2 paires de souliers, 8f40; — 2 paires de galoches, 7f00; — 2 bonets, 1f 60 ; — objets divers, 2f00. — Total : 41f20.
Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 862f 50
§ 11. Récréations.
Il existe à Montataire plusieurs sociétés fondées dans le but de procurer aux ouvriers des distractions pendant les jours de repos. La[150]principale est une société de musique instrumentale ou fanfare instituée autrefois par l'administration de l'usine et restée pendant longtemps sous son patronage, mais qui, après avoir été dissoute en 1880, s'est reformée sous l'inspiration de la franc-maçonnerie et avec les encouragements de la municipalité. On a établi aussi une société detir à l'are et deux sociétés de tir à l'arbalète ; celles-ci comptent à peine une cinquantaine de membres, à elles trois, et paraissent n'avoir qu'une vie languissante.
L'ouvrier étudié dans cette monographie n'appartient à aucune de ces associations. Le dimanche, s'il ne se livre pas à quelques travaux de charronnage, il se repose chez lui ou fait une promenade en famille, promenade qui a souvent pour but le village où habite la mère de la femme ; on en profite pour lui porter le linge à blanchir pendant la semaine. D'autres fois toute la famille se rend à l'une des nombreuses fêtes patronales qui se célèbrent dans le voisinage, pendant la belle saison. On n'y fait aucune dépense et on se contente d'admirer les merveilles extérieures des théâtres de saltimbanques ou des ménageries.
Quelquefois, pendant les soirées d'hiver, on fait une lecture en commun dans un livre emprunté à la bibliothèque de l'usine.
L'ouvrier ne fréquente ni les bals, ni les cabarets ; s 'il va de loin en loin boire un petit verre avec un camarade, c'est surtout dans l'intérêt de son industrie, afin de s'assurer la commande d'une brouette.
Histoire de la famille
§ 12. Phases principales de l'existence.
L'ouvrier, à l'âge de 13 ans, ayant reçu l'instruction primaire à l'école communale et ayant fait sa première communion, entra à l'usine, où il fut occupé, comme auxiliaire, à divers travaux de fabrication métallurgique, sans faire l'apprentissage d'un métier spécial.
[151] A 17 ans, ses parents, croyant lui ouvrir une carrière plus avantageuse, l'envoyèrent à Paris, avec la recommandation d'une personne de leur famille, chez un pharmacien qu'il devait servir comme domestique et petit commissionnaire. Il ne resta pas longtemps chez ce premier maître ; dans l'espace de quatre ans il changea plusieurs fois de maison, occupant toujours des emplois analogues, n'ayant jamais, paraît-il, mérité de reproches sérieux, mais incessamment poussé par le désir du changement.
Après le tirage au sort, exempté par son numéro du service militaire, il revint dans le département de l'Oise et entra chez un charron qui, reconnaissant en lui aptitude et bonne volonté, se plut à lui faire apprendre son état ; notre ouvrier ne paraît pas avoir poussé très loin cet apprentissage ; il reconnaît lui-même n'avoir acquis d'habileté que sur certaines parties spéciales de son métier.
Marié à 23 ans, il eut son premier enfant deux ans après, et, désirant alors se faire une position plus stable, il songea tout naturellement à rentrer à l'usine où il avait passé ses premières années et où son père n'avait pas cessé de travailler. Il eut la bonne chance de trouver à s'employer dans un atelier où il pouvait utiliser ce qu'il avait appris du métier de charron, chez son ancien patron.
La femme, née dans un village voisin, et tenant beaucoup à ne pas s'éloigner de sa famille, tempéra l'humeur vagabonde, qui, de 17 a 22 ans, avait conduit son mari àsi souvent changer de place. Elle paraît avoir pris sur lui dès l'abord une influence salutaire, et si elle n'a pas su empêcher certains dissentiments entre son père et lui, au moins elle pu en atténuer les effets.
Après la naissance des deux premiers enfants. la gène commença à se faire sentir dans le ménage ; le chômage de six mois provoqué par la guerre de 1870 avait déjà donné naissance à quelques dettes ; les maladies successives de plusieurs membres de la famille pendant les années suivantes amenèrent à les augmenter, et elles se sont élevées jusqu'à 600 ou 700 francs. Aujourd'hui cette dette est amortie environ pour la moitié, et la famille semble être entrée, depuis un an ou deux, dans une période de relvement matériel et moral. Le salaire du fils aîné ajoute aux ressources du ménage un appoint important, qui s'accroitra progressivement d'année en année ; mais ses parents calculent déjà que le service militaire l'éloignera précisément à l'époque où leur second fils commencera à travailler. de sorte que les salaires des deux enfants ne pourront pas se cumuler.
§ 13. Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.
[152] Ainsi qu'on l'a déjà fait remarquer ( § 5), l'ouvrier qui fait l'objet de cette monographie appartient à la classe des ouvriers journaliers attachés à un seul patron, par un engagement momentané facilement révocable de part et d'autre ; mais, par la coutume locale, il jouit en partie des avantages du système des engagements permanents ; il a la contiance que son emploi lui sera indéfiniment conservé, et que même, dans des circonstances exceptionnelles, qui obliggeraient à ralentir les travaux des usines, il ne cesserait pas d'être, sinon rétribué à plein salaire, au moins aidé et soutenu par des secours et des avances, et de jouir du logement qui lui a été concéde (§ 19).
Il fait donner l'instruction gratuitement à ses enfants dans les écoles libres ou communales (§ 17).
Il trouve dans les magasins de l'économat de l'usine tous les objets dont il a besoin, à des prix modérés (§ 20).
Il reçoit une importante subvention de chauffage qui pourrait être encore augmentée en cas de nécessité.
Il touche un salaire un peu supérieur à la moyenne générale, comme rémunération d'un travail qui n'est pas extrêmement fatigant et lui laisse assez de foree et de loisir pour réaliser encore quelques petits profits, par le travail libre exécuté à domicile.
Il a obtenu l'admission de son fils aîné, à l'usine, à l'âge de 13 ans, et celui-ci, sans passer par les délais d'un apprentissage, a gagné immédiatement un salaire qui augmente dans une forte proportion les ressources de la famille.
Le père etle fils aîné appartiennent, comme tous les ouvriers des Forges, à la Caisse de secours mutuels (§ 18), qui leur assure une indemnité journalière en cas de chômage, par suite de blessure ou maladie, les soins du médecin pour tous les membres de la famille, et enfin, lorsqu'à une époque quelconque ils ne pourront plus se livrer à aucun travail, une pension annuelle de 200 francs (chiffre qui sera augmenté dans un avenir peu éloigné).
[153] La famille use de tous ces avantages et les apprécie. Cependant elle semble n'avoir pas su en tirer tout le parti possible et est restée dans une situation précaire par suite d'une certaine mollesse de caractère. de l'imprévoyance et du penchant à abuser du crédit.
Dans l'organisation industrielle déerite ci-dessus, comme dans tous les ateliers de travail ou règne la paix et la bonne harmonie, le bienètre des ouvriers a pour garantie, en dehors des qualités personnelles qu'ils peuvent posséder, ce que F. Le Play a nommé la ˉCoutume des ateliers.
Ici les traits essentiels sont : la permanence des engagements réciproques entre le maître et les ouvriers (§§ 3,5,12,13) : l'entente complète touchant la fixation du salaire, entente qui se manifeste par l'absence de tous débats irritants (§ 1) ; enfin l'alliance des travaux de l'atelier avec des industries domestiques (§§ 8,14 S°° V). La situation de la famille gagnerait encore, si la coutume était complètement pratiquée, notamment en ce qui concerne les habitudes d'épargne (§ 6) et l'union de la famille et de son foyer par les liens de la propriété (§ 7). En somme, il y a là un exemple, après mille autres, de l'efficacité du patronage (§§ 1,5,7,8,17,18,19,20), aussi bien aujourd'hui qu'en d'autres temps.
§ 14. Budget des recettes de l'année.
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§ 15. Budget des dépenses de l'année.
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§ 16. COMPTES ANNEXÉS AUX BUDGETS.
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Éléments divers de la constitution sociale
FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION SOCIALE ; PARTICULARITÉS REMARQUABLES ; APPRÉCIATIONS GENÉRALES ; CONCLUSIONS.
§ 17. INSTITUTIONS AYANT POUR OBJET D'ASSURER LE BIEN-ÉTRE MORAL DES OUVRIERS : ÉCOLES, CLASSES DU SOIR, OUVROIR, BIBLIOTHÈQUE, CHAPELLE.
[166] La Commune de Montataire possède :
1° Une école communale de garçons, dirigée par un instituteur laique : sa population est de 350 à 400 élèves ;
2° Une école de filles et un asile pour les jeunes enfants, dirigés par des institutrices laiques et fréquentés par 150 à 200 enfants :
3° Une autre école de jeunes filles et deux salles d'asile tenues par des religieuses qui reçoivent 550 à 600 enfants. Ces derniers établisse- ments, fondés par la famille des anciens propriétaires des usines, sont actuellement la propriété de la cure, subventionnés et patronnés par la Société des Forges.
L'administration des Forges a de plus établi un onvroir de couture à l'école des religieuses.
L'usine, n'admettant que les enfants munis du certificat d'instruction exigé par la loi du 19 mai 1874, n'avait pas à établir d'école particulière comme dans les ateliers où l'on reçoit des enfants travaillant à demi-temps. Néanmoins, comme l'instruction garantie par le certificat est ordinairement très restreinte et qu'il n'en reste souvent que fort peu de chose après quelques années consacrées exclusivement au travail manuel, tous les enfants de treize à quinze ans sont astreints à fré- quenter une classe du soir qui a pour but d'entretenir et d'étendre un peu, s'il est possible, les connaissances acquises.
Lorsqu'on distingue parmi ces enfants quelques sujets plus intelligents et de meilleure volonté, on en forme un petit groupe auquel les ingé[167]nieurs et employés de l'usine se prêtentvolontiers à donner une instruction plus étendue, en leur faisant des cours de dessin, de mathématiques ou même de chimie. C'est ainsi que, depuis quelques années, on a pu mettre quelques jeunes gens d'élite en état de remplir des emplois avantageux dans l'usine même, dans d'autres établissements ou dans les ateliers de l'armée.
Des récompenses sont données, sous forme de livrets de caisse d'épargne. aux enfants qui ont fréquenté avec assiduité la classe du soir, et aux jeunes filles de l'ouvroir. La plupart d'entre eux demandent très promptement à toucher les petites sommes qui leur ont été attribuées, mais quelques-uns usent de la faculté qu'on leur accorde de faire eux-mêmes des versements, et augmentent leur épargne d'année en année.
Il y a actuellement 176 titulaires de livrets, dont 75 ont fait des versements personnels.
Une petite bibliothèque, placée dans l'usine, met des livres à la disposition des ouvriers et des employés ; on compte 400à 450 lecteurs chaque année.
Enfin il faut mentionner, parmi les institutions destinées au bien-être moral des ouvriers, l'établissement d'une chapelle dans l'enceinte de l'usine par les soins et aux frais de la famille Mertian. La messe y est dite, chaque dimanche, par un des prêtres de la paroisse ; les travaux de réparation des fours et des machines, qui se font nécessairement pendant le chômage du dimanche, e commencent qu'après la messe mais il est bien entendu que l'assistance à cette messe n'est obligatoire pour personne, et rien ne peut faire craindre aux ouvriers qu'on remarque s 'ils fréquentent ou non la chapelle.
§ 18. INSTITUTIONS AYANT POUR BUT D'ASSURER LE BIEN-ETRE MATÉRIEL DES OUVRIERS : CAISSE DE SECOURS MUTUELS.
La caisse de secours mutuels a été fondée en 1832 par M. Mertian.
La participation à cette caisse, facultative à l'origine, est devenue obligatoire à la suite d'une revision des règlements en 1865, et, aujourd'hui, tous les ouvriers des Forges doivent verser leur cotisation à partir de la premiêre paye qu'ils reçoivent à l'usine.
[168] Les sociétaires sont divisés en six catégories suivant l'importance de leur salaire ; les cotisations et subventions sont établies pour chaque catégorie conformément au tarif suivant :

Les chefs de famille ont à payer, en plus de la cotisation, un abonnement annuel de 8f00 qui donne doit, à tous les membres de la famille, de réclamer les soins d'un des médecins du canton, agréé par la société.
On voit que les cotisations représentent 1 1/4 à 1 1/2 p. 0/0 du salaire et les subventions 35 à 40 p. 0/0.
Tous les ouvriers malades ou blessés ont droit à l'allocation, à partir du quatrième jour de chômage ; ils la recoivent ensuite jusqu'à ce qu'ils soient en état de reprendre leur travail.
Le règlement dit bien que lorsqu'un sociétaire malade ou blessé est reconnu incurable et incapable tout de travail, l'allocation doit être remplacée par une pension annuelle de 200 francs ; mais, dans la pratique, cette disposition du règlement est rarement appliquée, et on maintient presque toujours indéfiniment, aux sociétaires malades ou blessés, l'allocation fixée pour la catégorie à laquelle ils appartiennent. Plusieurs d'entre eux la touchent depuis 10 et 12 ans ; elle 'élève pour une année entière, déduction faite de diverses retenues, à une somme nette de 572f 50 pour la 1re catégorie ; 498f45 pour la 2e ; 423f80 pour la 3e ; 363f 60 pour la 4e.
Cet usage est caractéristique et c'est par là que la caisse de secours de Montataire diffère le plus des autres institutions du même genre.Presque toujours le paiement des allocations journalières est limité à un certain nombre de mois, et cesse au moment où ce secours serait le plus utile à une famille dont les ressources sont épuisées par un long chômage.
Chaque quinzaine, les malades reçoivent la visite d'un conseiller et d'un autre sociétaire ne faisant pas partie du conseil. Cette visite a pour but de réprimer les abus qui pourraient se produire et en même[169]temps de signaler à l'administration de l'usine les familles pour lesquelles des secours supplémentaires paraissent nécessaires.
La caisse de secours mutuels n'a la charge d'aucuns frais d'administration. Elle reçoit un don annuel de 550 francs à titre de cotisations, comme membres honoraires, de Messieurs les dministrateurs et le Directeur gérant de la Société de Montataire.
En dehors de cette subvention, elle n'a d'autres ressources que les cotisations de ses membres participants.
La caisse de secours mutuels est administrée par un président qui est, de droit, le Directeur de l'usine, assisté de trois syndics et d'un conseil composé de vingt-six membres au moins. La durée du mandat des conseillers et des syndics est indéfinie.
Lorsqu'il se présente des vacances parmi eux, le comité, composé du président et des syndics en exercice, choisit le nouveau syndic ou coneiller, et sa nomination est soumise à la ratifieation du conseil, qui vote au scrutin secret, par oui ou par non. Si la personne proposée ne réunissait pas la majorité absolue des suffrages (ce qui n'est pas encore arrivé), le comité présenterait un autre candidat.
Les trois syndics sont pris parmi les membres participants de la Société ; ce pourrait être de simples ouvriers, mais jusqu'ici on a toujours choisi des contre-maîtres pour remplir ces fonctions.
Le conseil se recrute parmi les membres participants, contre-maîtres et ouvriers ; il comprend de plus trois ou quatre membres honoraires, désignés parmi les ingénieurs ou principaux employés de l'usine, ne prenant part ni aux charges ni aux avantages de la Société et assistant seulement aux séances du conseil pour l'éclairer de leurs avis. Les trois syndics règlent toutes les questions de détail, d'accord avec le président. Le conseil se réunit au moins une fois par an pour prendre connaissance des comptes de l'exercice, délibérer s'il y a lieu sur les modifications à apporter au règlement et sur toutes les mesures importantes que le président et les syndics jugent à propos de soumettre à sa sanction.
§ 19. HABITATIONS OUVRIÈRES ET JARDINS.
Un assez grand nombre d'ouvriers des usines de Montataire sont propriétaires de la maison qu'ils habitent, soit dans la commune même, soit dans une des communes environnantes.
[170] Chaque fois que l'occasion s'en présente, l'Administration des Forges facilite à ses ouvriers l'acquisition ou la construction d'une maison, en leur faisant des avances, remboursables à longs termes.
De plus elle a fait construire quelques maisons sur un type analogue à celui des cités de Mulhouse.
Ces maisons comprennent chacune quatre logements. parfaitement indépendants l'un de l'autre, composés d'une chambre au rez-de-chaussée, de deux chambres au premier étage, d'une cave et d'un grenier. Elles sont construites avec un certain luxe de matériaux, partie en béton de scories de forges et ciment de Portland. depuis les fondations jusqu'au niveau du rez-de chaussée, à 150 du sol inférieur : partie en briques et pierres de taille. Les plafonds sont assez élevés pour assurer un bon aérage : 2m 82 au rez-de-chaussée et 2m 75 au premier étage. Dans ces conditions, la construction revient à un prix assez élevé : chaque roupe de quatre logements ne coûte pas moins de 18.000 francs.
Ces habitations sont entourées de jardins, auxquels l'espace dont on disposait n'a pas permis malheureusement de donner assez d'étendue; 113 mètres carrés seulement sont attribués à chaque logrement.
Les habitants de cette petite cité ont la jouissance d'un four commun et plusieurs d'entre eux font eux-mêmes leur pain.
Les logements sont loués 150 francs par an et les maisons ne sont jamais aliénées.
Indépendamment des petits jardins attenant aux habitations, la Société de Montataire met à la disposition de ses ouvriers des terrains de culture, divisés en carrés de 4 ares environ, qui leur sont loués 10 franes par an ; il y en a actuellement 130 qui sont très demandés et ne changent que très rarement de locataires.
On peut remarquer que le gout du jardinage contribue beaucoup à la stabilité d'une population ouvrière. Une famille se décide facilement à changer d'atelier et d'habitation pour un motif futile ou par simple caprice ; mais elle se sépare au contraire avec infiniment de regret, d'un jardin dans lequel il faut abandonner le profit du travail des saisons précédentes.
§ 20. CANTINE, ÉCONOMAT, SALLES DE BAINS.
L'administration des Forges a établi, dans l'usine même, une cantine et un économat pour fournir à bon marché aux ouvriers, la nour[171]riture et les objets de première nécessité. La cantine délivre des por1ions qui peuvent être emportées ou consommées sur place. Un ouvrier ne faisant pas une dépense exceptionnelle de force, qui exige un régime plus substantiel ou une consommation de boisson extraordinaire, peut se nourrir très convenablement en dépensant 1f 50 par jour. La cantine est peu fréquentée par les ouvriers stables, qui préfèrent prendre leurs repas en famille ou apporter de chez eux les aliments qu'ils doivent consommer pendant la durée du travail. Elle est surtout utile aux ouvriers nouveaux et aux célibataires isolés : encore ces derniers sontils très attirés par les logeurs, qui cherchent toujours à fournir à leurs locataires la nourriture et les boissons, parce qu'ils y trouvent une source de gros profits.
L'économat livre, aux familles des ouvriers de l'usine, la viande de boucherie, le lard, l'épicerie, les vêtements confectionnés, les étoffes usuelles, les chaussures, et divers objets de ménage. Toute la vente de l'économat, comme celle de la cantine, se fait à crédit, en avances sur les salaires du mois courant ; les institutions sont administrées par le personnel de la Société de Montataire, sans le concours d'aucun entrepreneur intéressé et sans qu'on ait voulu établir un système de coopération avec les acheteurs. Toutes les marchandises sont livrées au meilleur marché possible et l'on cherche moins à développer la vente qu'à maintenir, chaque mois, dans une limite raisonnable, les acquisitions des ouvriers, oujours disposés à se laisser entrainer par l'attrait du crédit.
Des salles de bains, placées près des magasins de l'économat, sont mises gratuitement à la disposition des ouvriers, du 1er avril au 3l octobre.
§ 21. COMPARAISON ENTRE LES SITUATIONS PÉCUNIAIRES DE DIVERS OUVRIERS.
L'ouvrier étudié dans cette monographie devrait être classé, d'après sa profession, parmi les artisans : car il pourrait, à un moment donné. exercer son métier dans une autre localité, chez un patron ou à son propre compte. On a pu cependant le prendre comme type d'ouvrier appartenant à la grande industrie, parce qu'en effetil est attaché d'une manière permanente à un établissement métallurgique important, pro[172]priété d'une société anonyme. l'ous les ouvriers de cet établissement, quelle que soit leur profession individuelle, profitent des mêmes avantages, vivent dans le même milieu, se trouvent dans les mêmes conditions d'existence, quant au prix des denrées et des loyers ; néanmoins il résulte de la diversité des proiessions, des différences de situation qu'il importe de signaler. L'ouvrier qui travaille alternativement de jour et de nuit, qui est obligé de développer des efforts musculaires considérables ou qui est exposé continuellement à la chaleur des fourneaux, dépense nécessairement plus que l'ouvrier charron dont nous nous sommes occupés; il gagne aussi davantage. Nous pouvons comparer les deux budgets.
Le chef de famille exercant une profession très fatigante ne peut guère, quand il aurait appris un autre métier, en tirer parti en dehors des heures de travail a l'usine ; il faut donc supprimer de son budget les bénéfices résultant de l'industrie secondaire exercée à domicile. S'il fait un peu de jardinage, si sa femme s'occupe de l'entretien du linge et des vêtements, dans la même mesure que la mère de famille dont nous avons étudié l'existence, les recettes et les dépenses en nature s'équilibreront à peu près de la même manière et nous n'aurons à comparer que les ressources et les dépenses en argent. Nous supposons en outre que cet ouvrier jouit des mêmes subventions de diverse nature, et que, comme son camarade, il a un fil aîné gagnant 564f 60 dans une année.
Si nous supposons enfin que cet ouvrier exerce la profession de chef puddleur, dont le salaire est en moyenne de 9f60, et qu'il ait travaillé aussi 287 jours dans l'année, il aura gagné : 2.755f20.
Le salaire du fils aîné, étamt, pour l'année, supposé de............ 564f 60
La recette totale annuelle, de la faumille, sera en argent............ 3.319f80.
L'ouvrier puddleur le plus raisonnable ne peut pas absorber moins de 6 à 8 litres de boissons pendant les 12 heures de travail, en dehors des repas, en été, et 2 à 3 litres, en hiver. Le vin n'entre pour rien dans cette consommation : l'eau est mélangée à la bière et au cidre, en plus ou moins grande proportion, suivant le goût et l'état des finances de l'ouvrier, et il faut compter qu'il est obligé de consommer ainsi dans une année 288 litres de bière et 864 litres de cidre.
Il doit consommer aussi, pendant le travail de nuit, un peu de nourriture, qu'il prépare ordinairement lui-même, auprès de son four ; ce supplément est évalué, par les ouvriers sérieux, à 1f par nuit de travail.
[173] Quelques-uns estiment que la dépense de chaussures et de vêtements est plus forte pour les ouvriers travaillant au feu que pour les autres. En général, la diférence ne doit pas être trés grande: mais comme l'ouvrier dont le budget nous sert de point de comparaison dépense exceptionnellement peu pour ses propres vêtements, il faut prévoir, pour le puddleur, un surcroit de dépense d'environ 50 franes.
L'ensemble des augmentations serait donc :

Dans le précédent budget la dépense totale en argent (non compris l'amortissement des dettes), est de 2.490f 75. En y ajoutant le supplément dont on vient de donner le détail. elle s'élèvera à 2.905f 05. Les recettes montant à 3319f 80, on voit que le budget se solde par un crédit de 414f 75 qui peut être consacré à l'amélioration du bienêtre ou à l'épargne.
On voit aussi que les ouvriers qui, avec un peu moins de charges. gagnent le même salaire. et surtout ceux qui, avec des charges équivalentes, gagnent un salaire encore plus fort. devraient se trouver véritablement à l'aise. Mais aussi combien de circonstances peuvent au contraire rendre leur situation beaucoup plus précaire: Ainsi, que les aînés d'une famille de six enfants soient des filles. qu'il faudra placer au dehors, ou qui occasionneront des frais d'apprentissage. pour ne ggner ensuite, jusqu'à l'époque de leur mariage. quun modique salaire. le budget de recettes que nous venons d'examiner sera alors réduit de 564f 60 et celui des dépenses ne pourra diinuer qu'au prix de réelles privations.
Laissant de coté les situations exceptionnellement malheureuses qu résultent de chômages prolongés. soit par suite de maladie, soit pour des causes plus générales ; ne considérant que des ouvriers qui travaillent d'une manière régulière, sans interruptions anormales, on peut dire que, dans cette région du territoire, avec les prix des objets nécessaires à la vie dont on a donné le détail dans le budget, un ouvrier gagnant de 3 à 4 francs par jour. et n'ayant pas de charges de famille exceptionnelles, est forcément dans un état habituel de gène et de privations, sinon dans la misère absolue. On peut lui conseiller l'ordre, la sobriété, assez de prévoyance pour s'affilier à une société de secours[174]mutuels et pour profiter du concours que peuvent lui donner les euvres charitables ou philanthropiques ; mais il serait bien illusoire de lui recommander l'épargne et la recherche de la possession du foyer.
est vrai que dans l'ensemble d'une population stable, attachée a un grand établissement, dans les conditions qui ont été exposées aux paragraphes précédents, la plupart des postes rétribués 3 à 4 francs, sont occupés par des jeunes gens dont le salaire vient s'ajouter à ceux d'autres membres de la même famille, ou par des ouvriers âgés ayant gagné davantage autrefois, et qui, fatigués et n'ayant plus les mêmes charges, sont heureux de trouver une sorte de retraite, dans un emploi moins rétribué, mais aussi moins pénible.
Ce n'est pas évidemment à ces deux cauégrories d'ouvriers que s'appliquent les réflexions qui précèdent, mais aux pères de familles qui, dans la force de l'âge, ne possèdent que la connaissance de métiers peu lueratifs et ne pourront jamais prétendre à gagner honnêtement de gros salaires.
§ 22. COMPARAISON DU BUDGET DE FAMILLE A DES ÉPOQUES DIFFÉRENTES.
On peut se demander quelle aurait été la situation de la famille que nous avons étudiée, à une époque où les prix des objets nécessaires a l'eistence matérielle étaient bien moindres qu'aujourd'hui, mais où les salaires étaient aussi beaucoup moins élevés.
Au commmencement du siècle, un ouvrier charron gagnait à Montataire 2 livres 5 sous par jour la fourniture d'une brouette payée auourd'hui 23 francs ́tait cotée 7 livres 10 sous5. Si l'on se reporte au budget détaillé plus haut, on voit que le chef de famille travaillant de la même manière qu'en 1884. aurait gagné, par le travail à la journée chez un patron............ 646f45
Et par la fabrication des brouettes, à son compte, environ............ 64f00
Le fils aîné n'aurait certainement pas trouvé alors à gagner une journée de 2f 00 et on ne doit pas s'éloigner beaucoup de la vérité en réduisant son salaire dans la même proportionq ue celui du père ; il aurait donc gagné en une année............ 213f00
Recettes en argent pour l'année............ 923f 145
[175] A la même époque, le pain coûtait, à Montataire, 2 sous et demi la livre, et la viande de bœuf, 10 à 1l sous la livre6.
Le lait ne coûtait pas plus de 2 sous le litre ; les œufs, 1 sou pièce. Le sucre et le caifé coûtaient certainement plus cher qu'aujourd'hui, mais n'entraient guere dans l'alimentation de la population ouvrière. Le vin, provenant des vignobles qui eistaient alors dans la localité même, devait être livré à un prix analogue à celui de la petite bière qui figure dans notre budget. Les prix de facon des vêtements et des chaussures étaient inférieurs à ceu d'aujourd'hui dans la même proportion que les prix des journées des divers corps de métier; les étoffes devaient se payer plus cher, mais avaient plus de
On louait, au prix de 70 francs par an, un logement de deux pièces. avec jouissance de trois verges (environ 10 ares de terrain7).
Ces renseignements sont insufisants pour nous permettre de comparer article par article le budget que nous avons établi, avec celui d'une famille que nous supposons placée quatre-vingts ans plus tôt dans les mêmes conditions de production et de consommation. Mais, si on multiplie les principaux articles de consommation : pain, viande, etc., par les prix que nous connaissons, on voit que le total des dépenses en argent, pour ces articles seuls, atteindrait presque le total des salaires, (pain, 1.280k à 0f25 = 320f 00; + viandes et poisson, 384k a 1f 10 = 422f 95 : + lait, 584 litres a 0f 10 = 58f 40 ; + œufs, 144 à 0f05 = 7f 20; + loyer 70f00 ; — total, 878f 55), et il resterait à pourvoir à plusieurs dépenses de première nécessité : boissons, vêtements, chauffage, mobilier, etc.
Nous avons admis que les dépenses et recettes en nature devaient se balancer à peu pres comme aujourd'hui ; les subventions pouvaient aussi donner un protit analogue à celui des subventions dont la famille jouit actuellement ; ainsile chauffage en escarbilles fourni par l'usine, pouvait être représenté à cette époque par le bois ramassé, par droit ou par tolérance, dans les forêts voisines. Enfin le travail agricole aurait eu sans doute une plus large part dans les occupations de cette famille et ajouté notablement à ses ressources. Néanmoins nous sommes amenés[176]à conclure que son existence matérielle aurait été plus difficileil y a quatre-vingts ans qu'aujourd'hui.
Dans les conditions actuelles. il semble que ce ménage aurait pu. avec plus de savoir-faire, plus d'énergie et plus de prévoyance pendant les premières années, s'assurer une existence relativement aisée, car avec les mêmes ressources il avait moins de charges. Mais pour cette famille. comme pour beaucoup d'autres, toute la sagesse consiste à proportionner les jouissances et la consommaeion aux ressources de l'heure présente ; la prévoyance ne lui paraît avoir sa place que dans des situations très supérieures, alors que l'épargne peut être prélevéesur le superflu, après qu'il a été pourvu à toutes les dépenses nécessaires et même simplement utiles8.
Notes
1. Un vieux château de France, par le baron de Condé ; Paris, librairie de la Société bibliographique. 195. boulevard Saint-Germain : 1883.
2. Registres de la municipalité, de 1794. — atistiue du canton de reid, par Grave. 1828.
3. La Société possède . outre son établissement de Montataire. les hauts fourneaux d'Outreau (Pas-de-Calais). ceux de Frouard (Meurthe-et-Moselle) et la fonderie d'acier de Pagny-sur-Meuse, actuellement en construction.
4. Tous les ouvriers occupés aux fours et aux laminoirs travaillent alternativement une semaine de jour et une semaine de nuit. les changements de poste se font à 6 heures du matin et à 6 heures du soir.
5. Tarif établi en eécution d'une déibération du district de Senlis et d'un arrêté du corps municipal de Montataire en date du 5 messidor an lI (23 juin 1794).
6. Ces prix sont ceux portés sur les livres de compte du bureau de bienfaisance pendant les premières années du sièele.
7. Ce prix. qui m'est indiqué par des ouvriers de soixante ans. comme représentant le cours des locations à l'époque de leur jeunesse. était probablement déjà en augmentation sur les prix des premières années du siècle.
8. Depuis quelques mois. la crise commerciale qui, en France, atteint spécialement la métallurgie du fer, a modifié les conditions d'existence des ouvrers de cette industrie. Dès 1883 et 1884, toutes les forges du Nord avaient diminué les salaires, et, en 1885, la Société de Montataire a dù suivre leur exemple. Les ouvriers, comprenant la nécessité de cette mesure, l'ont acceptée avec courage, et ils ont subi en outre une notable réduction du nombre des journées de travail, par suite du ralentissement des affaires. Les consequences de ces faits exceptionnels ne sauraient, quant à présent, étre appréciées exactement, mais elles pourront faire plus tard l'objet d'une nouvelle étude.