No 28
FONDEUR DE PLOMB
DES ALPES APUANES
(TOSCANE — ITALIE)
(Journalier-propriétaire dans le systême des engagements momentanés)
D'APRÈS LES
RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN JUILLET 1860
PAR
M. F. BLANCHARD
directeur des mines du Botino.
Sommaire
- Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.
- Notes.
- (A) Sur la richesse minérale des Alpes apuanes et sur les industries qui en dépendent.
- (B) Sur l'exploitation et le traitement métallurgique des minerais de plomb argentifère du Bottino.
- (C) Sur le caractère particulier des populations ouvrières du versant toscan des Alpes apuanes.
- (D) Sur l'organisation d'un service médical gratuit dans les communes toscanes.
- (E) Sur le régime des successions en Toscane.
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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.
I. Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1ᵉʳ. — État du sol, de l'industrie et de la population.
[413] L'ouvrier habite le hameau de Nespolo, sur la rive droite du torrent Nezza, également connu à l'aval sous le nom de Versiglia, que portait anciennement toute la contrée. Ce hameau, composé seulement de six habitations, dépend du village de Redignano, situé beaucoup plus haut sur le penchant du mont Altissimo. Ce village relève lui-même administrativement de la commune de Stazema, placée, à 2 kilomètres à l'est, sur le même versant des Alpes Apuanes, qui séparent la Toscane du duché de Modène. Ces montagnes, dont les points culminants, l'Altissimo et la Pania della Croce, sont respectivement à 1467 et 1718 mètres au-dessus du [414] niveau de la mer, dominent toute la vallée de Seravezza, resserrée entre elles et une autre chaîne parallèle moins haute, mais dont quelques pitons atteignent encore 800 et 1,000 mètres, comme Pizzi del Bottino et Matana.
Les cimes des Alpes Apuanes sont couvertes de neige pendant la majeure partie de l'année. Leur versant présente à chaque saillie, à chaque plateau, des hameaux et des cultures où l'on observe la succession des différents climats et des diverses productions de l'Europe. Au pied, c'est l'Italie avec ses orangers, ses citronniers et ses oliviers: au sommet, règnent les frimas et les neiges du nord, avec ses bruyères et quelques rares bouleaux pour seule végétation; à mi-côte grandissent les châtaigniers et les hêtres que protège un climat tempéré. Comme ressources industrielles, les Alpes Apuanes offrent à leurs populations l'exploitation des beaux marbres blancs si renommés de Carrara et de Seravezza (A); l'extraction des minerais de plomb argentifère du Bottino et du Monte di Castello (B), suspendue depuis quelques années, et enfin la fabrication du fer forgé. Cette fabrication a pu, malgré ses vieilles méthodes, se soutenir jusqu'à présent, grâce au système protecteur de l'ancien gouvernement, et aux avantages d'une situation qui permet aux usines d'emprunter leur force motrice au torrent de la Nezza, et de tirer leur charbon à des conditions économiques des montagnes voisines. Aujourd'hui cette industrie doit bientôt disparaître par suite de la diminution des droits d'entrée sur les fers étrangers, et de l'augmentation progressive du prix du combustible végétal. Mais cette disparition n'entraînera aucune perturbation fâcheuse dans la condition d'existence des ouvriers de cette contrée. Déjà les forges tendent à être remplacées par des scieries de marbre, et les mines des environs, dont plusieurs sont encore inexploitées, ne peuvent manquer d'être fouillées activement, par suite des progrès croissants de l'industrie. Par leur exploitation, ces gîtes seuls fourniraient un travail régulier et continu à toute la population ouvrière disponible.
§ 2. — État civil de la famille.
La famille comprend les deux époux et deux enfants, savoir:
1. Felice B***, chef de famille, marié depuis 11 ans, né à Nespolo, commune de Redignano............ 33 ans.
2. Rosa V***, sa femme, née à Redignano............ 32 [ans].
3. Santi B***, leur fils, né à Nespolo............ 10 [ans].
4. Stella B***, leur fille, née à Nespolo............ 2 [ans] 1/2.
[415] Quatre autres enfants sont morts en bas âge.
L'ouvrier a perdu ses parents; il a un frère, métayer, marié et père de cinq enfants. La mère de Rosa V*** est morte; son père, petit cultivateur propriétaire, habite Redignano avec une femme, épousée en secondes noces, un fils et une fille; six autres enfants sont mariés.
§ 3. — Religion et habitudes morales.
Les deux époux sont nés de parents catholiques. Élevés dans la même religion, ils en observent scrupuleusement les préceptes. Tous les membres de la famille se plaisent à accomplir exactement ces devoirs religieux, et notamment à observer toutes les fêtes et demi-fêtes du calendrier italien. Le père de famille, attaché par sa profession au travail des fourneaux qui se poursuit sans interruption pendant 8 à 9 mois (B), ne peut jouir régulièrement du repos dominical; il est autorisé seulement à se rendre à la messe, les dimanches où le service du four lui est confié. Cette obligation de travailler le dimanche pour le compte des patrons inspire aux ouvriers de ce district une répugnance extrême. Ces sentiments religieux se lient manifestement à la conservation traditionnelle de mœurs recommandables (C): il est à regretter toutefois qu'il s'y mêle encore beaucoup d'idées fausses et de croyances superstitieuses. Cependant l'utilité de l'instruction primaire commence à être vivement appréciée par les ouvriers depuis qu'il est constaté que les jeunes gens les plus instruits peuvent prétendre à un salaire plus élevé que celui de leurs compagnons. Ici, comme en beaucoup d'autres lieux, l'essor de l'instruction primaire n'est pas dû surtout à un sentiment de dignité personnelle qui se serait développé sous l'influence de l'esprit moderne: l'impulsion vient évidemment de nouvelles conditions de travail, réagissant directement sur les intérêts (§ 5).
Le fils suit l'école du village de Ruosina, à peine éloignée d'un kilomètre de l'habitation et tenue par un ecclésiastique. Il y apprend la lecture, l'écriture, le calcul et le catéchisme. L'école est ouverte de 7 heures du matin à midi, depuis le 1er novembre jusqu'au 30 septembre. La rétribution scolaire est de 56 centimes par mois.
§ 4. — Hygiène et service de santé.
L'ouvrier est de taille moyenne; son teint est brun, ses cheveux noirs; il est robuste et jouit d'une bonne santé. Il n'a jamais été [416] sérieusement malade; cependant, l'année dernière, une irritation de poitrine l'a retenu une vingtaine de jours chez lui, sans l'obliger à s'aliter.
Sa femme, de taille moyenne, brune de teint et de cheveux, est également douée d'une excellente santé que n'ont point affaiblie six couches assez rapprochées les unes des autres. Elle est enceinte en ce moment de son septième enfant. Sur les quatre qu'elle a perdus, trois ont à peine vécu quelques jours, et le quatrième est mort à l'âge de quatre ans de la petite vérole. Ce fléau, dont les parents ont toujours négligé de garantir leurs enfants par la vaccine, a frappé depuis leur fils aîné, qui n'en conserve aucune trace.
En cas de maladie, la famille a droit, suivant une institution locale, aux soins gratuits d'un médecin communal, mais les médicaments restent à sa charge. La mère est assistée pendant ses couches par une sage-femme, également rétribuée par la commune, et à laquelle il est d'usage de donner une gratification variable, selon le degré d'aisance des personnes, de 5 à 8 paoli, soit de 2f80 à 4f48 (D).
§ 5. — Rang de la famille.
L'ouvrier jouit dans le pays d'une bonne réputation de conduite et d'honnêteté; mais il ne peut prétendre à s'élever au-dessus de sa condition actuelle, faute d'instruction et de capacité. Pas plus que sa femme, il ne sait lire ni écrire; il est parvenu cependant à tracer sa signature.
Son désir le plus vif est de procurer à son fils l'instruction suffisante pour qu'il puisse devenir chef fondeur ou même coupelleur (B), et qu'il soit capable de tenir les notes exigées par ces fonctions.
II. Moyens d'existence de la famille
§ 6. — Propriétés.
(Mobilier et vêtements non compris.)
Immeubles............ 1,428f00
1o Habitation. — Maison comprenant quatre chambres et une écurie, 840f00.
2o Immeubles ruraux. — 2 champs en terrasse (25 ares), situés sur le flanc de la montagne et attenant à la maison, 336f00; — champ (85 ares), situé dans la montagne, et dont une partie est encore en friche, 252f00. — Total, 588f00.
[417] Ces divers immeubles proviennent principalement de la succession du père de l'ouvrier (E), et en partie d'acquisitions faites avec les sommes retirées par la femme de l'héritage de sa mère; ils s'accroissent ou s'améliorent chaque année, grâce aux épargnes et au travail de la famille.
Argent............ 0f00
La famille ne possède aucune somme disponible ni placée à intérêt. Le salaire de l'ouvrier et les bénéfices servent régulièrement à payer les fournisseurs; quant à l'épargne, elle est employée à l'amélioration des immeubles.
Animaux domestiques entretenus toute l'année............ 2f25
Deux poules, pour la production des œufs (3), 2f25.
Animaux domestiques entretenus seulement une partie de l'année............ 56f00
1 génisse engraissée pour la boucherie pendant 9 mois (de la fin de mars à Noël), et d'une valeur moyenne de 75f00; valeur moyenne calculée pour l'année entière, 56f00.
Matériel spécial des travaux et industries............ 65f00
1o Outils pour l'exploitation des champs. — 1 bêche, 3f36; — 1 houe, 3f36; — 2 pioches, 5f60; — 1 levier en fer, 5f60; — 1 masse, 7f68; — 3 haches, 8f40; — 4 coins en fer, 16f80; — 2 faucilles, 2f80; — 1 faux, 8f40. — Total, 62f00.
2o Ustensile pour le blanchissage. — 1 cuvier en terre cuite (conca), 3f00.
Valeur totale des propriétés............ 1,551f25
§ 7. — Subventions.
L'usage du pays où la famille réside autorise les habitants à ramasser du bois mort, des herbes et des châtaignes dans les propriétés communales et particulières. La famille se procure ainsi son chauffage pour toute l'année, ainsi qu'une partie de sa nourriture et de celle de la génisse. Il faut encore ajouter à ces subventions les soins donnés gratuitement par le médecin et par la sage-femme de la commune, soins qu'on peut évaluer, année moyenne, à la somme de 8f pour le premier et de 1f68 pour la seconde.
§ 8. — Travaux et industries.
Travaux de l'ouvrier. — Le travail de l'ouvrier consiste à surveiller la marche d'un four à manche pour la fusion de la galène [418] argentifère (E): à charger le four et à faire les coulées et les lingots. Il est aidé par un manœuvre qui enlève les scories, et par un jeune garçon qui prépare les charges de minerai et de combustible. La durée de sa journée est de 12 heures fixées, une semaine de midi à minuit, et la semaine suivante de minuit à midi. Les ouvriers ont préféré cette organisation, malgré l'inconvénient de venir ou de s'en aller toujours au milieu de la nuit, à celle qui distribuerait le temps du travail entre six heures du matin et six heures du soir; et cela, à cause de la difficulté qu'ils éprouveraient à résister au sommeil, pendant les longues nuits d'hiver, auprès du feu de leurs fourneaux.
Le prix de la journée est de 1f54. À la clôture des comptes de chaque campagne (en août), l'ouvrier reçoit une gratification, qui s'élève en moyenne à 33f60. Il perçoit en outre une remise régulière de 0f12 (3 sous toscans) par 339k (1,000 livres toscanes) de plomb d'œuvre produit par le four à manche auquel il est attaché. Cette remise lui rapporte moyennement, depuis deux années, une somme de 100 francs.
Le travail des fours à manche commence vers le 1er octobre, dès que les pluies d'automne ont rendu assez d'eau au torrent de la Tiezza, pour qu'il puisse faire marcher simultanément la roue hydraulique de l'atelier de préparation mécanique et la soufflerie de la fonderie (B). On profite du temps d'arrêt, du 15 juillet au 1er octobre, pour reconstruire la chemise des fours, qui est faite d'excellentes pierres réfractaires (psammites schisteux) extraites, non loin de la fonderie, auprès du village de Cardoso. Pendant l'interruption de son travail principal, l'ouvrier aide à démolir et à refaire les fours en qualité de manœuvre ou comme tailleur de pierres. Il ne gagne alors que 2 paoli (1f12) par jour, sans aucune gratification, mais sans être assujetti au travail les dimanches et les jours de fête.
C'est en ces jours fériés que l'ouvrier travaille à la culture de ses champs et au défrichement du terrain qu'il possède sur la montagne (R. 3e Son).
Travaux de la femme. — Le travail principal de la femme est celui du ménage. Elle consacre la majeure partie de ses journées à la préparation des aliments, à l'entretien du mobilier et de l'habitation, aux soins donnés aux enfants, et surtout à la surveillance attentive de la petite fille (R. 3e Son.).
Ses travaux secondaires consistent dans l'exploitation des immeubles ruraux, dans les soins donnés aux poules, dans l'engraissement de la génisse, dans le transport du fumier, dans la récolte [419] des herbes et du bois de chauffage. Elle fait en outre une lessive par mois et aide autant que possible une couturière qu'elle prend pendant 10 à 12 jours tous les ans pour confectionner et entretenir les vêtements et le linge de la famille.
Travaux du fils. — Le jeune garçon, à son retour de l'école ou durant les vacances, aide sa mère dans tous ses travaux, en ce qui concerne surtout la récolte des herbes et celle du bois. Il mène pâturer la génisse, en ramassant des châtaignes, sur la montagne et le long des routes. Enfin, il va porter des aliments à son père le soir ou le matin, suivant les heures de travail.
Industries entreprises par la famille. — Spéculation de l'ouvrier relativement à ses travaux de fondeur (R. 4e Son), culture des champs, défrichement du terrain, engraissement de la génisse, exploitation de deux poules; telles sont les industries dont les bénéfices venant s'ajouter au salaire de l'ouvrier permettent à la famille de réaliser tous les ans des épargnes qui sont consacrées à l'accroissement et à l'amélioration des propriétés et du mobilier.
III. Mode d'existence de la famille
§ 9. — Aliments et repas.
La nourriture pour toute la population ouvrière de la contrée est composée généralement de polenda, pâte dense de farine de maïs ou de châtaigne, cuite à l'eau et coupée par tranches au moyen d'un gros fil. Cette pâte est mangée, tantôt seule, tantôt avec des oignons crus ou du fromage frais de vache ou de brebis.
Selon l'usage du pays, la famille fait en toute saison trois repas. L'ouvrier ne peut assister, tantôt à celui du matin, tantôt à celui du soir; mais sa femme et surtout son fils lui apportent sa part à l'usine. Les trois repas sont réglés comme il suit:
1o Vers sept heures, le déjeuner: pain et fromage.
2o Entre onze heures et midi, le dîner: polenda, fromage, oignons.
3o Vers sept heures du soir, le souper, repas principal de la famille: [420] soupe dite minestra1, faite d'une pâte grossière, coupée en longues lanières, d'un peu d'huile, d'eau et de jus de tomate frais ou conservé. On y ajoute parfois des haricots secs, et, en hiver, un morceau de porc salé.
La famille, comme toutes les familles italiennes, est d'une grande sobriété. La maladie de la vigne, en élevant le prix du vin qui était autrefois à très bon marché dans le pays (0f14 le fiasco, environ 1 1/2 litre), a privé les ouvriers d'une importante ressource. Le vin entre rarement aujourd'hui dans leur consommation. La famille ici décrite n'en achète jamais, et l'ouvrier n'en boit que dans quelques circonstances extraordinaires.
En résumé, la farine de maïs forme le fond de la nourriture de la famille et sa boisson est l'eau pure. En hiver, quelque peu de viande de porc. Des haricots et des pommes de terre viennent rompre la monotonie d'un régime alimentaire, presque cénobitique et que l'on retrouve partout en Italie. Le pain que la famille achète une fois par semaine à Seravezza est de très bonne qualité. Il est fait avec de la farine de froment, dont on a enlevé la fine fleur et le gros son. Son prix est de 0f08 la livre toscane, soit 0f24 le kilogramme; la famille en consomme 8k par semaine, sans compter le grain de la récolte.
§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.
La maison où est né Felice B*** et qui lui a été transmise par son père (E) est adossée contre la montagne et élevée de 30 à 40 mètres au-dessus du torrent de la Nezza. Ses trois étages sont de plain-pied avec le terrain par suite de la déclivité du sol, et ont accès au dehors. Par le fait de cette situation l'habitation est très-humide. Elle est construite en pierres schisteuses et couverte, partie en tuiles, partie en grandes ardoises irrégulières du pays, semblables à celles qu'on appelle cherbains dans les ardoisières belges. La distribution est celle-ci: au rez-de-chaussée, une écurie creusée dans le flanc de la montagne; au premier étage, une cuisine; au deuxième, une chambre à coucher. L'ouvrier a ouvert depuis peu dans le rocher une autre pièce à côté de la cuisine, et il l'a surmontée d'une construction, dont il compte faire une seconde chambre à coucher. Ces [421] deux dernières pièces ne sont pas achevées; elles n'ont encore que les murs et le toit. Les économies de l'année courante permettront sans doute de continuer les travaux et de terminer notamment les portes et les fenêtres nouvelles fermées en ce moment par des planches. L'intérieur de la maison est assez mal tenu; les murs sont enfumés; un escalier de bois, dit échelle de meunier, conduit à la chambre à coucher, et, en attendant l'achèvement des nouvelles pièces, la famille est fort à l'étroit dans celles qu'elle habite. Chaque chambre forme un carré de 3m48 de côté et a 2m16 de haut.
Meubles: achetés neufs et peu à peu avec les épargnes............ 123f50
1o Lits. — 1 lit pour les époux, 1 bois de lit en châtaignier, 6f00; — 1 paillasse remplie de paille de maïs, 14f00; — 2 oreillers de laine, 6f00; — 2 couvertures de laine et coton, 6f72; — 1 couvre-pied de coton doublé et ouaté, 11f20. — Total, 43f92.
1 lit pour le fils: 1 bois de lit en châtaignier, 6f00; — 1 paillasse remplie de paille de maïs, 10f00; — 1 oreiller de laine, 3f00; — 2 couvertures, 5f00. — Total, 24f00.
1 berceau d'osier pour la petite fille, 2f00; — 1 petite paillasse de maïs, 2f80; — 1 petit oreiller, 1f00; — 1 couverture, 1f72. — Total, 7f52.
2o Meubles de la chambre à coucher. — 4 chaises, 5f00; — 1 grande caisse pour renfermer le linge et les vêtements, 10f00. — Total, 15f00.
3o Meubles de la cuisine. — 1 table en bois blanc, 10f00; — 1 grande caisse servant d'armoire, 10f00; — 4 chaises recouvertes de paille, 5f00; — 1 lampe en cuivre, 3f00; — 1 lampe en fer-blanc, 0f28; — 2 planches le long du mur, 1f50; — 1 dressoir en bois destiné à recevoir les assiettes, 2f00; — 1 cage avec un merle (§ 11), 1f00. — Total, 32f78.
4o Objets relatifs au culte domestique. — 1 image enluminée de la Madone, 0f28.
Ustensiles: comprenant seulement le nécessaire............ 67f36
1o Dépendant de la cheminée. — 2 chenets en fonte, 5f00; — 1 chaîne avec crochet formant crémaillère, 2f80; — 1 pelle et 2 pincettes, 2f80; — Total, 10f60.
2o Employés pour la préparation et la consommation des aliments. — 1 grande bassine en cuivre rouge, 22f40; — 1 cruche en cuivre, 11f20; — 2 casseroles en cuivre, 7f00; — 2 douzaines d'assiettes blanches, 3f00; — 4 grands plats en terre brune, 1f12; — 6 petites marmites en terre commune, 1f68; — 8 casseroles en terre commune, 2f24; — 2 aiguières vertes en terre, 0f56; — 1 poêle à frire en fer, 1f68. — Total, 49f88.
3o Employés pour usages divers. — 3 paniers plats en bois refendu (ceste), 4f20; — 3 corbeilles de même fabrication, 0f84; — 2 chaufferettes en terre (scaldini), 0f84. — Total, 5f88.
Linge de ménage: fait de toile grossière, et n'offrant pas de supériorité............ 105f28
7 paires de draps de lit en chanvre, 58f80; — 12 serviettes et 2 nappes de fil et coton, 26f48; — 12 essuie-mains en chanvre, 20f00. — Total, 105f28.
[422] Vêtements : ils ne se divisent pas en habits de fête et en habits de travail; les plus neufs servent le dimanche, et les plus usés les jours ordinaires............ 208f78
Vêtements de l'ouvrier (69f50) : en tout semblables à ceux que porte habituellement la bourgeoisie du pays, qui a adopté pour les dimanches le costume français moderne.
Vêtements des jours de fête et de travail. — 2 vestes d'hiver en étoffe de laine et coton, 6f72; — 2 vestes d'été en coton croisé, 3f60; — 3 pantalons d'hiver en laine et coton, 7f20; — 3 pantalons d'étoffes légères, 3f60; — 2 gilets d'hiver, l'un en satin broché, l'autre en velours de coton, 4f80; — 2 gilets d'été en étoffes légères, 1f98; — 12 chemises en toile de chanvre, 36f00; — 4 mouchoirs de poche de couleur, 1f20; — 4 paires de chaussettes de coton, 1f20; — 2 paires de souliers, 10f20; — 1 paire de sandales (zoccoli), 0f60; — 2 chapeaux communs en feutre, 2f40. — Total, 79f50.
Vêtements de la femme (109f64) : très-simples, n'offrant d'autre recherche que deux mouchoirs pour la tête en soie de couleur éclatante.
1o Vêtements des jours de fête et de travail. — 2 robes de laine, 14f40; — 4 robes d'indienne, 13f44; — 2 jupons de laine, 5f38; — 2 jupons de coton croisé, 3f60; — 1 corset, 1f34; — 12 chemises dont 10 en toile de chanvre et 2 en calicot, 28f80; — 6 mouchoirs de poche, 1f51; — 2 mouchoirs pour la tête en soie de couleurs éclatantes, 3f00; — 5 fichus de coton pour le cou et la tête, 3f00; — 6 paires de gros bas en laine de couleur, 3f03; — 2 paires de bas de coton, 0f96; — 2 paires de sandales, 1f00; — 2 paires de souliers, 5f38. — Total, 84f84.
2o Bijoux. — 1 paires de boucles d'oreilles en or, 10f00; — 1 bague en or, 12f00; — 1 épingle en or, 2f80. — Total, 24f80.
Vêtements des enfants (29f64).
1o Vêtements du garçon. — 3 vestes en coton croisé, 5f40; — 3 pantalons, 4f20; — 2 gilets, 0f90; — 2 mouchoirs de poche, 0f35; — 4 chemises de calicot, 4f80; — 1 casquette, 0f90; — 1 paire de souliers, 1f89; — 2 paires de chaussettes de coton, 0f30. — Total 18f74.
2o Vêtements de la petite fille. — 4 chemises et 2 robes confectionnées par la mère avec ses vieux vêtements, 10f00; — 2 paires de souliers, 0f90. — Total, 10f90.
Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 504f92
§ 11. — Récréations.
L'usage du tabac à priser est une des distractions de l'ouvrier. Cet usage, que l'on ne rencontre guère en Toscane parmi les travailleurs (No 5, § 11), est très répandu dans cette partie de la contrée. L'ouvrier ne fume jamais : quelques-uns de ses camarades joignent cependant cette habitude à celle de priser; mais c'est une exception. Le dimanche ou les jours fériés, il se rend quelquefois au village le plus voisin pour voir ses connaissances et aller boire [423] au café deux verres de punch (poncino), composé d'eau chaude, de rhum, de sucre et d'un morceau de citron. Le prix de cette consommation est en moyenne de 0f28. Un de ses plaisirs est aussi de s'occuper d'un merle (Turdus Merula, Lin.) élevé par son fils et dont il a construit lui-même la cage.
Les dimanches et les jours de fête, la mère assiste avec ses deux enfants à la messe et aux offices (C). Elle se rend assez souvent aussi au village voisin pour y caqueter (chiacchierare) avec ses amies, tandis que son fils joue dans le bois ou sur la route, et ne rentre au logis qu'à l'heure du repas.
IV. Histoire de la famille
§ 12. — Phases principales de l'existence.
L'ouvrier est né dans la maison qu'il habite et dont la propriété lui est échue lors du partage d'hoirie fait à la mort de son père (E). À 12 ans, il commença sa vie de travail en allant casser et trier le minerai sur la mine du Bottino, moyennant un salaire de 0f54 par jour. À l'âge de 15 ans, il entra comme manœuvre dans l'intérieur de la mine, pour extraire, au moyen d'un treuil, les matières d'un puits intérieur; travail qui lui valait une rétribution quotidienne de 1f12. L'espoir de gagner davantage lui fit ensuite changer ce métier contre celui de charbonnier (A) dont il se dégoûta bientôt, et nous le retrouvons, en 1846, occupé, d'abord comme manœuvre, puis comme fondeur dans l'usine qu'on venait de construire pour le traitement des minerais de plomb argentifère du Bottino. En 1855, pressé par la cherté des subsistances, l'ouvrier reprit le métier de charbonnier, espérant y gagner plus qu'à l'usine; mais, déçu dans son espoir, il revint quelques mois après et fut réintégré dans son ancien poste qu'il occupe encore aujourd'hui.
Conformément à la loi de son pays sur la conscription, l'ouvrier dut tirer au sort à vingt ans. Il s'était prudemment engagé dans une société de vingt jeunes gens de la localité, réunis pour former le capital nécessaire au remplacement de ceux d'entre eux auxquels le sort ne serait point favorable. Grâce à cette prévoyance, l'ouvrier, dont le numéro se trouva mauvais, fut remplacé avec un des autres sociétaires, sans avoir à débourser autre chose que sa quote-part de [424] 50f00, le prix du remplacement militaire en Toscane étant alors très bas.
L'existence si calme de l'ouvrier a été troublée en 1849 par un singulier événement qui décèle l'un des vices de l'ancien régime administratif de ce pays. Il revenait un soir de son travail, et s'était arrêté pour cueillir des roses sauvages dans un buisson placé à quelques pas de sa demeure, lorsque cinq carabiniers (gendarmes toscans) un peu ivres, qui passaient en ce moment, lui coururent sus, et le saisirent en prétendant qu'il s'était caché dans le bois pour leur jeter des pierres. Malgré ses protestations, on l'emmena garrotté sans lui permettre de voir sa famille. Conduit à Pietra-Santa, il y passa la nuit en prison, et fut, le lendemain avant le jour, dirigé sur Lucques. Le directeur des établissements du Bottino s'empressa de faire les démarches nécessaires pour obtenir son élargissement : mais il s'écoula 11 jours environ avant qu'il put y réussir.
L'histoire de la femme n'offre aucune particularité. Elle a vécu jusqu'à son mariage avec ses parents, petits propriétaires agriculteurs de Redignano, et lorsque son père, devenu veuf, se fut remarié, une assez bonne intelligence régna entre elle et sa belle-mère. À 21 ans elle épousa Felice B*** et eut en dot une somme de 84f00, provenant de sa part dans le bien maternel. Il pourra lui revenir encore de 400 à 500 francs après la mort de son père. La première partie de la dot n'a été comptée aux époux qu'il y a cinq ans environ, et a été employée à payer la plus forte partie du prix du terrain possédé sur la montagne (§ 6). Pour l'excédent du prix, l'ouvrier a fait les versements successifs, et a servi les intérêts à 5 p. 100, au moyen de ses économies annuelles. Libre aujourd'hui de toutes dettes, il destine ses prochaines épargnes à l'achèvement des travaux entrepris pour agrandir son habitation. Dans un avenir plus éloigné, si ses affaires continuent à prospérer, il achètera de nouveaux terrains.
Dans deux ans, après avoir fait sa première communion, le fils suivra son père au fourneau, où il servira d'abord comme braschimo : en cette qualité il préparera les charges de minerai et de combustible, ainsi que la brasque, c'est-à-dire le mélange de charbon et d'argile composant le creuset où se rassemblent les matières fondues (B).
Les parents, au reste, ne pensent pas que leur fils doive rester dans la situation subordonnée où le défaut d'instruction a retenu Felice B***: en lui faisant acquérir tous les éléments de l'instruction primaire, ils espèrent lui ouvrir l'accès des postes plus élevés qu'offre en assez grand nombre l'industrie minérale récemment introduite dans la localité.
§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.
[425] Les deux époux s'appliquent à fonder leur avenir sur deux bases solides, le travail et l'épargne. Vivant avec sobriété, ils n'ont point l'ambition de s'élever au-dessus de leur condition actuelle, mais ils s'efforcent de l'améliorer autant qu'il dépend d'eux. À cet effet, ils n'étendent guère leurs dépenses au-delà de la stricte satisfaction de leurs besoins, et ils consacrent leurs économies à l'agrandissement ou à l'amélioration de leur maison et de leurs champs. Ils parviendront ainsi infailliblement, si leur existence se prolonge conformément aux éventualités ordinaires de la vie humaine, à assurer leur indépendance et à mettre leur vieillesse à l'abri du besoin.
Le régime des successions de la Toscane (E) qui laisse une grande liberté aux dispositions testamentaires et qui exclut les filles de la succession ab intestat, a pour résultat, dans la pratique usuelle du pays, de transmettre intégralement l'établissement de famille à l'un des garçons. Ce régime a favorisé l'attribution de l'habitation paternelle à l'ouvrier (§ 10): il a donc contribué, dans une certaine mesure, à assurer l'existence de la famille.
L'industrie minérale récemment introduite dans cette contrée offre aux populations de nouveaux moyens de travail; elle y a élevé les salaires et développé les aptitudes (§ 3); à tous ces titres, elle a ajouté de nouveaux éléments de bien-être à ceux qui se tiraient autrefois exclusivement de l'industrie agricole.
§ 14. — Budget des recettes de l'année.
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§ 15. — Budget des dépenses de l'année.
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Comptes annexés aux budgets.
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Notes.
Faits importants d'organisation sociale; particularités remarquables; appréciations générales; conclusions.
(A) Sur la richesse minérale des Alpes apuanes et sur les industries qui en dépendent.
[437] Les Alpes Apuanes offrent à l'activité humaine de vastes ressources par les roches et les minerais qu'elles renferment. Il peut être utile de rappeler ici les gisements connus, les exploitations existantes et les industries qui en dépendent, enfin les richesses forestières et les cours d'eau qui alimentent ces industries.
I. Les gîtes minéraux des Alpes Apuanes peuvent être rangés en deux catégories, suivant qu'ils contiennent des matériaux de construction ou des minerais métallifères. Dans la première classe il faut citer:
1o Les beaux marbres de Carrara et de Seravezza : ce sont des calcaires compactes, cristallins et saccharoïdes, appartenant au lias et au terrain jurassique;
2o Les pierres réfractaires de Cardoso. Ces pierres, de couleur verdâtre et de structure schisteuse, sont composées de quartz fin empâté d'argile. Leur exploitation remonte à plusieurs siècles; car, dès l'année 1561, Cosme Ier de Médicis les faisait extraire pour les hauts-fourneaux de Cecina et de Follonica :
3o Les ardoises de Pomezzana, d'aspect gris bleuâtre, exploitées pour dallage et pour couverture.
Les gîtes de la seconde classe actuellement en exploitation sont assez rares; mais le nombre de ceux qui ont été exploités anciennement ou dont l'existence était connue par des indices est très considérable. Il suffira d'indiquer les principaux : ce sont :
4o Des minerais de fer, qui se rencontrent dans les calcaires et dans les schistes cristallins à Val-di-Castello, à Stazema, à Falcovaja sur l'Altissimo, et à Mosceta sur la Corchia. Exploités probablement par les Romains, revendiquées en 1347 par les seigneurs de Corvaja et de Vallecchia, délaissées plus tard, mais de nouveau reprises vers 1690, ces mines, dont quelques-unes ont donné lieu à d'importants travaux, furent abandonnées quelque temps après par ordre du gouvernement, qui défendit d'employer d'autre minerai [438] que celui de l'île d'Elbe, et d'autres fontes que celles de Cecina et de Follonica;
5o Un filon de cuivre gris argentifère au canal de l'Angina, à Mal-di-Castello, qui paraissait donner de bonnes espérances, mais dont les travaux n'ont pu être continués; des gisements inattaqués de cuivre pyriteux, de cuivre gris et de malachite, qui ont dû donner lieu autrefois à quelque exploitation, comme l'attestent les traces d'une ancienne fonderie et les scories récemment découvertes dans la vallée de Strettoja;
6o Des minerais de plomb argentifère dont l'extraction constitue la principale industrie des Alpes Apuanes. Les mines du Bottino (B) donnent déjà depuis plusieurs années des résultats remarquables. Les travaux de Val-di-Castello et de l'Argentiera, quoique sans avantage pour la société qui les avait entrepris, ont amené la découverte de gîtes importants, qui, tôt ou tard, seront utilisés. Enfin à Galena et à Ruosina, et aussi près de Basati et de Terinca, sont des indices du même minerai et des vestiges d'anciennes exploitations;
7o De l'or natif dont on découvrit, il y a quatre ou cinq ans, quelques échantillons, dans des recherches de cuivre sur les montagnes de Farnocchia;
8o Une mine de mercure, tantôt à l'état de sulfure, tantôt à l'état natif à Levigliani. Fouillée en 1717 par ordre de Cosme III de Médicis, qui avait besoin de cinabre pour les couleurs rouges nécessaires à la réimpression des livres ecclésiastiques, cette mine fut abandonnée en 1720, reprise en 1842, et délaissée presque aussitôt, au moment où l'on trouvait à Ripa, près Seravezza, un gisement de cinabre que trois compagnies exploitèrent concurremment, jusqu'à ce que la découverte du mercure de la Californie vint porter le dernier coup à une industrie déjà compromise par une funeste rivalité;
9o Des minerais de zinc et d'antimoine, généralement liés à ceux de plomb argentifère et accessoires à leurs gisements.
II. Le versant toscan des Alpes Apuanes est en grande partie dépouillé aujourd'hui des forêts de châtaigniers (Castanea vulgaris, Lin.) et de hêtres (Fagus sylvatica, Lin.) dont il était autrefois couvert. La disparition rapide de ces forêts a été causée par les petites forges établies sur tout le cours de la Versiglia. Ces forges emploient comme combustible le charbon de bois, dont le prix, qui était anciennement de 30 à 35 francs la tonne, s'est élevé aujourd'hui à 50 francs. Dans ce prix sont compris les frais de transport qui en absorbent presque la moitié.
Le travail du charbon se fait à la tâche. Le maître fournit le bois [439] sur pied; les tâcherons l'abattent, le taillent, montent la meule et cuisent le charbon. Le produit est divisé par parties égales entre le patron et les ouvriers. Le gain de ce travail varie de 1f50 à 2f00 par homme et par jour. Le charbonnier est obligé de passer presque toute l'année dans le bois; en hiver, il faut abattre, tailler, etc.; au printemps, il faut préparer des charbonnières et cuire le charbon; il reste ensuite à en surveiller le mesurage et l'enlèvement.
Le cours d'eau principal du versant toscan des Alpes Apuanes est la Versiglia, qui porte différents noms sur son parcours. Des orges, des scieries de marbre sont échelonnées sur cette rivière de 500 mètres en 500 mètres jusqu'au-dessous de Seravezza. Elle reçoit en outre une foule de ruisseaux et de torrents, dont quelques-uns, comme celui dit Delle Mulina, ont assez de puissance pour mouvoir les roues hydrauliques de nombreuses usines, telles que moulins à farine et à poudre, jusqu'à ries et martinets.
III. L'exploitation la plus importante du pays est sans contredit celle des marbres de Seravezza. La première carrière fut ouverte sur le mont Altissimo d'après les ordres du pape Léon X, en 1518, et sous la surveillance de Michel-Ange, qui dirigeait à cette époque à Carrara le travail des marbres destinés au tombeau de Jules II et à la façade de l'église de San-Lorenzo de Florence. Michel-Ange employa plusieurs années à l'extraction des colonnes de San-Lorenzo, et il dut en même temps faire établir une route pour les transporter au bord de la mer. Léon étant mort en 1521, les travaux furent abandonnés. En 1564, Cosme Ier de Médicis, grand-duc de Toscane, les fit reprendre, et pour en assurer les succès, il défendit de se servir du marbre de Carrara pour les monuments de ses États. Il envoya des artistes à Seravezza, fit construire des routes, et donna ainsi un vigoureux essor à cette industrie qui tomba de nouveau sous François Ier de Médicis, en 1570. Elle ne se releva qu'en 1821, grâce au chevalier Marco Bonini de Seravezza, qui, après avoir consacré sa fortune à la reprise des travaux, s'associa en 1840 à de riches capitalistes, refit la route vers la mer, et tira des carrières du mont Altissimo et des montagnes voisines non seulement le marbre blanc statuaire, mais encore une foule de variétés de marbres pour l'ornementation. Ces marbres si renommés sont exportés en quantité considérable en France, en Angleterre, en Russie et en Amérique. Le chemin de fer en voie d'achèvement de Livourne à Massa et Carrara, et le tronçon projeté dans la vallée de Seravezza, permettront de les transporter facilement à Livourne, principal port d'embarquement. La première scierie mécanique fut montée à Seravezza il y a une trentaine d'années, et on en compte aujourd'hui plus de 25 sur le parcours de la Vezza et de la Serra.
[440] On évalue que le commerce des marbres de la Versiglia produit annuellement à ce district un million de francs environ.
Bien que la Toscane manque presque complètement de combustible minéral et que ses forêts, en partie détruites, ne puissent plus produire le combustible végétal à des conditions économiques pour l'industrie sidérurgique, les forges de la Versiglia avaient pu jusqu'à ce jour soutenir la concurrence étrangère avec assez d'avantage. Cette situation était due au système protecteur de l'ancien gouvernement qui, pour favoriser ses hauts-fourneaux de Cecina, de Follonica et de Valpiana et assurer l'écoulement des fontes de première fusion, avait établi des droits presque prohibitifs sur l'entrée des fers étrangers. Aujourd'hui les droits ont été diminués, et si l'autonomie toscane vient à cesser bientôt, ces fers feront une rude concurrence à ceux du pays. Les usines bien situées devront enfin entrer dans la voie du progrès. Quant à celles de la vallée de Seravezza, qui ne jouissent que d'une prospérité artificielle, elles devront naturellement tomber. Le pays présentant assez d'autres industries, il n'y aura qu'à s'applaudir de voir cesser un état de choses anormal. Les forges encore en activité sont au nombre de huit, dont cinq travaillent à deux feux et trois à un feu. Ces forges reçoivent la fonte en gueuse des hauts-fourneaux précités de Follonica, Cecina, etc. Cette fonte coûte 11f35 les 100 kil. à Forte dei Marmi, sur la plage. Le prix du fer travaillé varie selon la grosseur de 30f27 à 35f31 les 100 kil. La contrée consomme, pendant les huit mois de la campagne annuelle, de 800 à 900 tonnes de fonte de première fusion; elle produit de 600 à 700 tonnes de fer battu de diverses grosseurs.
(B) Sur l'exploitation et le traitement métallurgique des minerais de plomb argentifère du Bottino.
La mine de plomb argentifère du Bottino est ouverte vers le haut de la montagne dite Pizzi del Bottino, à 500 mètres au-dessus de la Vezza, au bord de laquelle se trouvent les établissements pour la préparation mécanique et le traitement des minerais. Les travaux auxquels elle donne lieu se divisent naturellement en deux groupes principaux.
I. Le filon recoupe très obliquement les schistes inférieurs dans lesquels il est encaissé. Il est reconnu sur une longueur de 300 mètres, avec une direction à peu près régulière du N.-O. au S.-E., et une inclinaison N.-E. de 55o. Il se compose d'une gangue de quartz [441] et de schistes semblables à ceux des parois, mais en partie altérés et souvent colorés par l'oxyde de fer. Les minerais contenus sont la galène à grains d'acier et la galène à petites facettes. La première, moins argentifère, est accompagnée de pyrite de fer, de pyrite de cuivre et de blende; la seconde est associée à la bournonite, au cuivre gris argentifère et à l'antimoine sulfuré.
On prétend que l'exploitation des mines du Bottino remonte, comme celle des principales mines de Toscane, au temps des Étrusques et des Romains. Quoi qu'il en soit, elles étaient certainement fouillées au moyen âge : car la république de Lucques les enleva en 1142 aux seigneurs de Corvaja et de Vallecchia. Il est vrai que c'est principalement sur l'autre versant de la montagne du Bottino, au lieu dit l'Argentiera, et du côté de Val di Castello, que les travaux se poursuivaient à cette époque. Reprise en 1542 par Cosme Ier de Médicis, l'exploitation proprement dite du Bottino continua jusqu'en 1580 sous Ferdinand Ier. Elle fut recommencée vers la fin de 1828 par une société livournaise, constituée sous le nom de Société minéralogique. La mise de fonds primitive étant devenue insuffisante, les actionnaires l'augmentèrent successivement, et en 1838, ils reformèrent la Société sous le nom de Compagnie du Bottino, au capital de 416,000f. C'est la société actuelle, qui, après quelques vicissitudes, est parvenue à triompher de tous les obstacles inhérents à ces sortes d'entreprises, et est aujourd'hui en pleine prospérité.
La mine du Bottino a été exploitée à l'affleurement par les anciens au moyen de puits et de descenderies inclinées dans le filon. Au moyen âge, une galerie fut pratiquée dans le flanc de la montagne. Cette galerie de petite dimension avait été entièrement taillée à la pointerolle. Au dedans et au dehors de la mine, on retrouve cependant des traces de travail à la poudre, ce qui indique des travaux postérieurs à ceux du xve siècle. Sur les rochers de l'extérieur, on voit aussi les dates de 1580 et 1719, accompagnées de notes illisibles, le tout tracé probablement par les ouvriers pendant leurs heures de repos. La Société actuelle a fait agrandir la galerie ancienne et s'en est servi comme galerie d'exploitation jusqu'en 1850, époque à laquelle fut terminée une seconde galerie, percée 50 mètres plus bas. Une troisième a été commencée vers la fin de 1857, à 125 mètres en contre-bas de la précédente; elle a déjà une longueur de 200 mètres et ne sera pas finie avant 6 ou 8 ans. L'exploitation des massifs supérieurs étant presque entièrement achevée, de nouveaux chantiers ont été préparés en contre-bas de cette galerie, et des gradins droits et renversés y sont déjà établis. Une machine à vapeur sera installée pour extraire en même temps les minerais et l'eau, qui est heureusement peu abondante.
[442] Les minerais sont, à leur sortie de la mine, cassés et triés en trois classes : 1o le minerai riche dit compacte, peu chargé de gangue et qui donne en moyenne 40 p. 100 de plomb; 2o le minerai ordinaire, qui en renferme 8 p. 100; 3o le minerai stérile, qui sert à remblayer les excavations. Les deux premières qualités sont expédiées à l'établissement au moyen d'un petit chemin de fer formé d'une traverse de bois garnie de deux lames de fer plat, et sur lequel on place une sorte de bât traversé par l'essieu de deux petites roues. Chaque côté du bât reçoit un sac contenant de 100 à 110 kilogrammes de minerai. Ces véhicules descendent très rapidement; un homme est chargé d'en surveiller deux et de les remonter à vide sur son dos.
À son arrivée à l'établissement, le minerai ordinaire, le seul qui ait à subir une préparation, est passé sous des cylindres broyeurs de 0m35 de diamètre. Les grenailles provenant de ces cylindres tombent dans un tambour à claire-voie, appelé trommel, qui les divise en quatre classes. Elles sont passées ensuite sur des cribles de différents systèmes, dont les produits contiennent de 25 à 30 p. 100 de plomb. Le refus des cribles est broyé sous un bocard formé d'une batterie de 10 pilons dont les sables sont travaillés sur des caisses allemandes ou caisses à tombeau, tandis que les boues dites schlamms sont lavées sur 24 tables jumelles ou tables dormantes. Une roue hydraulique met en mouvement les cylindres, le trommel et le bocard.
II. Les minerais lavés et le minerai compacte, qui ne subit aucune préparation, sont grillés dans des fours à cuves continus, analogues à ceux qu'on emploie pour la cuisson de la chaux. On charge par lits alternatifs le combustible et le minerai. La fumée et les matières volatiles s'échappent par des conduits pratiqués horizontalement au niveau de la partie supérieure des fours, dont l'orifice est fermé par des couvercles mobiles en briques, et vont, par un rampant incliné, rejoindre la grande cheminée de l'usine. L'opération du grillage dure de 15 jours à 3 semaines. La perte est de 3 à 4 p. 100 du plomb contenu dans le minerai.
Le minerai grillé est conduit par un chemin de fer dans les chambres où se préparent les lits de fusion. Les charges sont composées, pour deux tiers environ, de scories des opérations précédentes, et, pour un tiers, de minerais et de mattes grillées. On y ajoute un quart à un cinquième de scories de fer des forges voisines.
La fusion s'opère dans un bas fourneau à tuyère, dit four à manche, ayant 3m20 de hauteur sur 0m80 de profondeur et 0m55 de largeur. Le vent est envoyé à la tuyère par une machine soufflante [443] verticale, à deux cylindres, mise en mouvement par une turbine Fourneyron. Le combustible, qui est le charbon des usines à gaz de Livourne et de Marseille mélangé d'un peu de charbon anglais, est chargé à la partie antérieure (la poitrine), et le minerai à la partie postérieure (la warme) du four. Le creuset se prolonge au dehors sous la poitrine par un avant-creuset de 0m40 de diamètre, au-dessous duquel se trouve un bassin de coulée. Les coulées, qui se font de 11 heures en 11 heures, donnent du plomb argentifère, appelé plomb d'œuvre, et des sulfures métalliques ou mattes, qui, sous forme de gâteau épais, surnagent à la surface du bain. Chacun des deux fours produit environ 3 tonnes de plomb d'œuvre par semaine de travail. Les campagnes sont de 8 à 9 mois, suivant l'abondance des eaux dans la rivière. Lorsque la chemise intérieure du four commence à se ronger, les fondeurs et les maçons de l'usine la réparent en quelques heures, sans que le four ait le temps de se refroidir. Ce n'est qu'au milieu et à la fin de la campagne qu'on est obligé d'arrêter tout à fait pour renouveler entièrement les pierres réfractaires. On répare chaque semaine l'avant-creuset formé de brasque, c'est-à-dire d'un mélange d'argile et de charbon pulvérisé.
Les mattes obtenues par la coulée contiennent 8 à 10 p. 100 de plomb, 4 à 5 p. 100 de cuivre, du zinc et de l'antimoine. Ces mattes sont cassées et grillées dans des fours à cuve. Lorsqu'elles sont encore chaudes, on fait arriver à la partie supérieure de ces fours un petit filet d'eau, qui entraîne dans des bassins inférieurs le cuivre, le fer et le zinc. Le cuivre est précipité par le fer et soumis à un traitement spécial. On obtient de cette manière 1 1/2 à 2 de cuivre p. 100 de mattes; il s'en perd 1 p. 100 à peu près dans la maçonnerie du four, par l'évaporation de l'eau et dans les eaux-mères, en sorte que les mattes lessivées ne contiennent plus guère que 1 à 2 p. 100 de cuivre, quand elles retournent au four à manche. Cette lixiviation n'a pas seulement pour avantage de produire une certaine quantité de cuivre, mais surtout d'améliorer le plomb d'œuvre et les produits de la coupellation.
Cette coupellation, qui a pour objet de séparer le plomb de l'argent, est fondée sur la propriété de ce dernier métal d'être inoxydable à une température élevée, tandis que le premier s'oxyde et s'écoule à l'état de litharge. Elle se fait dans un four à réverbère à sole ronde ou coupelle, de 3m de diamètre, recouverte d'un chapeau mobile. On charge en une seule fois dans ce four 12 tonnes de plomb d'œuvre. Les écumes, qui sont enlevées lorsque la masse est bien complètement fondue, sont assez épaisses à cause de la mauvaise qualité du plomb, qui renferme beaucoup d'antimoine, de cuivre et de zinc. Ces écumes repassent au four à manche. On [444] donne le vent 24 heures environ après le chargement. On obtient alors successivement des litharges noires, des litharges jaunes et des litharges rouges du commerce. Les litharges obtenues vers la fin de l'opération (environ une tonne) sont considérées comme riches et repassées au four à manche avec les fonds de coupelle. L'argent produit est généralement très pur; il est au titre de 98 ou 99. On se contente de le refondre dans un creuset en fer, pour le couler en lingots et l'expédier à Livourne, où il est vendu pour les monnaies de Paris ou de Florence. Il contient de l'or, mais en quantité trop faible pour être retiré avec avantage. Le plomb d'œuvre donne aujourd'hui de 6 à 7 millièmes d'argent : il ne rendait, il y a 10 ans, que 4 à 5 millièmes : il y a donc augmentation sur le titre du minerai en profondeur.
Les litharges obtenues par la coupellation sont revivifiées dans un petit four à réverbère : les noires, pour plomb aigre, convenable pour les caractères d'imprimerie; les jaunes, pour plomb ordinaire, encore un peu dur cependant. Les litharges rouges sont livrées au commerce dans cet état.
Tous les appareils de traitement des minerais, fours de grillage, fours à manche, coupelle et four à réverbère, communiquent à un rampant, incliné sur le flanc de la montagne, d'une longueur de 200 mètres, et coupé par quatre chambres de condensation, dont deux reçoivent continuellement une pluie d'eau. La hauteur totale de la cheminée est d'environ 100 mètres. On recueille à la fin de l'année les fumées ou cadmies (environ 30 tonnes). Ces fumées, riches en plomb, pauvres en argent, sont repassées peu à peu dans les fours à manche, agglomérées avec les minerais.
Les établissements du Bottino occupent toute l'année 400 personnes, tant à la mine qu'aux ateliers de préparation mécanique et aux fours. La production annuelle varie de 900 à 1,200 kil. d'argent, de 15 à 18 tonnes de plomb aigre, de 60 à 90 tonnes de plomb ordinaire, et de 40 à 50 tonnes de litharges marchandes.
La valeur de cette production peut être estimée de la manière suivante:

(C) Sur le caractère particulier des populations ouvrières du versant toscan des Alpes apuanes.
[445] L'ensemble des populations ouvrières des Alpes Apuanes offre, sur le versant toscan, l'exemple d'une conformité de mœurs remarquable. La manière de vivre des familles est tellement semblable que les monographies du mineur, du carrier, de l'affineur de fer, reproduiraient, sauf la différence du métier, les mêmes détails signalés pour la famille du fondeur de plomb qui fait le sujet de cette monographie. On retrouverait chez tous la même sobriété, la même économie, le même désir d'acquérir une petite propriété. Une certaine tendance à l'ivrognerie que la population n'avait pu complètement dominer a disparu depuis que la maladie de la vigne a restreint, dans une proportion considérable, la production du vin. La population du versant toscan est, en outre, essentiellement stable; elle diffère en cela de la population de la province de Garfagnana située sur l'autre versant, dans le duché de Modène. Celle-ci fournit en hiver un fort contingent à l'émigration qui se répand vers les maremmes toscanes, la Corse et la Sardaigne, et étend indifféremment ses services aux travaux les plus durs de l'agriculture ou de l'industrie; mais chaque année, dans le mois de juin, elle retourne régulièrement à ses montagnes. C'est ainsi que la race humaine offre quelquefois, sur les deux revers d'une même chaîne, des différences frappantes et qu'on retrouve également entre les animaux et les plantes.
Les habitants des Alpes Apuanes du côté toscan se ressemblent au physique comme au moral. Les hommes sont généralement au-dessous de la taille moyenne, mais bien constitués, robustes et de forte santé. Les femmes sont aussi de petite taille. Les fatigues des travaux agricoles qu'elles supportent presque seules et leur grande fécondité leur donnent de bonne heure l'apparence de la vieillesse. Il est rare qu'un ménage ait eu moins de 7 à 8 enfants, et beaucoup en ont eu 12, 15 et même davantage. Les deux tiers environ des enfants succombent aux maladies du premier âge. Il faut l'attribuer à l'usage de prolonger l'allaitement dans l'espoir de retarder une nouvelle grossesse; et comme, malgré cette précaution, les grossesses se suivent de près, le nourrisson souffre de l'état de la mère et périt souvent faute d'une nourriture convenable. Au moral, ces populations sont bonnes, mais ignorantes et superstitieuses; elles sont loin d'avoir la vivacité d'esprit et la verve des autres populations italiennes. [446] Les émigrants qui se rendent l'hiver aux maremmes sont désignés sous le sobriquet de lombards, terme empreint d'un certain mépris et dont notre mot lourdaud rend assez bien l'idée. Ennemis de tout changement et de toute innovation, les ouvriers des Alpes Apuanes refusent depuis dix ans de se servir, soit dans les carrières, soit dans les mines, de mèches de sûreté ou d'épinglettes en cuivre pour charger les mines. On retrouve d'ailleurs, plus ou moins, chez tous les Italiens, cet attachement à la routine. Au Bottino, les mineurs et manœuvres du fond (cavaioli) se sont mis en grève pendant un mois entier plutôt que d'adopter, même en été, l'heure de six heures du matin au lieu de sept heures pour commencer le travail. On leur tenait compte cependant de cette différence par une assez large augmentation du salaire. Nous citerons cette dernière preuve de l'obstination et de l'ignorance de ces populations. Au mois de mai 1860, profitant des émotions politiques qui remuaient encore toute l'Italie, quelques chefs de faction, afin de faire naître des troubles et susciter des embarras au gouvernement, répandirent le bruit que la maladie de la vigne, dont le pays a cruellement souffert, était causée par la fumée des fours à plomb du Bottino. La cheminée de l'usine, remarquons-le, s'élève sur le penchant de la montagne à 60 mètres de hauteur et à l'extrémité d'un rampant de 200 mètres coupé par trois chambres de condensation. Les ouvriers de bonne foi, sans doute, malgré les éclaircissements de l'autorité et la communication du procès-verbal d'une commission spéciale, voulurent démolir les cheminées et les fours. Il fallut recourir à un déploiement considérable de force publique et à l'arrestation de 18 des plus mutins. Cette arrestation ne se fit pas sans résistance, car un gendarme fut blessé, légèrement, il est vrai, d'un coup de fusil.
Politiquement parlant, les populations ouvrières des Alpes Apuanes se sont bien associées au mouvement de l'indépendance italienne et ont fourni même quelques volontaires à l'expédition sicilienne; mais elles sont loin cependant de partager l'enthousiasme dont toutes les autres provinces toscanes sont animées, et particulièrement les maremmes où l'on a vu les parents obligés de se mettre à la poursuite d'enfants de 12 à 14 ans échappés pour aller rejoindre Garibaldi.
En résumé, les populations des Alpes Apuanes sont plus arriérées que les populations qui les avoisinent. Elles allient à leurs sentiments religieux une grossière superstition, telle que la croyance aux sorciers et aux sorts. Le jour sous lequel elles envisagent Dieu, la Madone, les saints et les démons, permettrait de supposer qu'elles se les représentent comme de bons et de mauvais génies. Nonobstant cet état d'ignorance, et grâce aux excellentes mœurs fondées [447] sur la religion, le travail et l'esprit d'épargne, les habitants de cette localité jouissent d'une existence calme et heureuse que certains peuples plus éclairés pourraient envier.
(D) Sur l'organisation d'un service médical gratuit dans les communes toscanes.
En Toscane, chaque commune a un médecin attitré qu'elle nomme et qu'elle paie pour donner gratuitement des soins aux habitants. Les places de médecin ou de chirurgien communal sont données au concours. Lorsqu'une de ces situations est vacante, le gonfalonier ou maire de la commune en donne avis dans le journal officiel; il énonce les charges et les avantages de la place, invite les docteurs à envoyer leurs demandes avec leurs diplômes à l'appui, et le conseil communal choisit ensuite librement parmi les candidats. Les émoluments attachés à ces fonctions varient de 500 à 2000 francs. Le médecin est obligé de donner gratuitement ses soins à tous les habitants de la commune, mais il a droit à ce qu'on lui fournisse un moyen décent de transport pour les visites éloignées d'un mille toscan (1600m) du centre de la localité. Il ne peut s'absenter pendant la nuit sans avertir le gonfalonier et doit, dans le cas où il renoncerait à l'emploi, prévenir trois mois à l'avance. Outre le traitement de la commune, le médecin reçoit habituellement des frais de visite lorsqu'il soigne des personnes riches ou même seulement aisées. Il peut avoir une clientèle au dehors de sa commune, et alors le prix de ses visites et de ses consultations peut s'élever assez haut selon les conventions qu'il fait avec ses clients.
(E) Sur le régime des successions en Toscane.
La monographie du fondeur de plomb des Alpes Apuanes offre le spectacle plein d'intérêt d'une famille s'élevant à l'indépendance et au bien-être par le travail et l'épargne, sans renoncer à la fécondité traditionnelle du pays qu'elle habite. L'ouvrier est né dans la maison où vit sa famille, où son père vivait avant lui et que peut-être, depuis plusieurs générations, ses ascendants se sont transmise [448] successivement. Les lois de la Toscane lui garantissant, en grande partie, la libre disposition de ses biens, il lui est permis d'espérer que le toit paternel (§ 10) abritera longtemps encore ses descendants. Cette perspective est pour lui un stimulant: aussi le voit-on consacrer toute son énergie et la plus louable frugalité à l'agrandissement et à l'amélioration de ses petites propriétés.
On retrouve donc dans l'étude de cette famille l'heureuse influence qui a été souvent signalée dans les monographies précédentes, celle d'une bonne loi de successions; et il a paru opportun de présenter à ce sujet un aperçu sommaire du régime établi en Toscane. Ce régime offre une assez grande analogie avec celui qui a été décrit précédemment, en ce qui concerne la Savoie [no 10 (A)].
Chacun a le droit de disposer librement de la majeure partie de ses biens par testament. Les enfants n'ont droit qu'à une légitime qui varie selon leur nombre. Cette légitime, partagée sans distinction de sexe, comprend le tiers des biens s'il y a un à quatre enfants, les douzièmes pour cinq enfants et les 6 douzièmes ou moitié s'il y en a un plus grand nombre.
Dans les successions ab intestat, les fils et leurs descendants légitimes et naturels, de mâle en mâle, succèdent seuls à la partie disponible des biens du père, à l'exclusion des filles ou autres descendants du sexe féminin; les garçons, ainsi pourvus, viennent en outre prendre part avec les filles à la légitime dont le père n'aurait pu disposer par testament. Il en est de même pour la succession aux biens de la mère: les filles, en ce qui concerne la partie disponible, sont exclues par leurs frères germains, consanguins et utérins, et par leurs descendants de mâle en mâle. Cependant, à défaut de fils et de descendants mâles, les filles ou leurs descendants succèdent à tous les biens du père et de la mère. Les legs et donations entre-vifs qui auraient empiété sur la légitime sont réductibles proportionnellement. Une autorisation spéciale émanant du souverain est nécessaire pour les héritages dévolus aux personnes ayant embrassé une profession religieuse; cette même autorisation est nécessaire pour les legs attribués aux établissements qui devraient posséder le bien dans un régime de mainmorte. Faute d'une telle autorisation, les testaments faits en laveur de ces personnes ou de ces établissements sont considérés comme non avenus.
Notes
1. Minestra est le nom générique donné aux pâtes en Italie: on l'applique par extension aux soupes, alors même que ces pâtes qui en forment habituellement la base n'entrent pas dans leur composition. C'est ainsi, par exemple, que dans les montagnes de Côme et du pays bergamasque, la minestra se compose ordinairement de riz et d'un léger bouillon de viande.