No 27
MANŒUVRE
À FAMILLE NOMBREUSE
DE PARIS (SEINE — FRANCE)
(Ouvrier-journalier dans le système des engagements momentanés)
D'APRÈS LES
RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN JUILLET ET AOUT 1860
PAR
MM. COURTEILLE , commissaire de police du quartier Saint-Vincent-de-Paul
et J. GAUTIER , secrétaire du même commissariat.
Sommaire
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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.
I. Défnition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille.
§ 1ᵉʳ. — État du sol, de l'industrie et de la population.
[373] La famille1 décrite dans la présente monographie habite le faubourg Saint-Martin, sur la rive droite de la Seine, près de l'ancien mur d'octroi. La modicité du prix du logement et sa proximité de [374] l'ancienne barrière de La Villette avaient déterminé la famille à se fixer dans cette partie de la ville. D'une part, elle trouvait dans le voisinage de la banlieue le moyen d'acquérir à meilleur compte les denrées alimentaires, en les introduisant dans Paris par petites quantités et par conséquent franches de droit, et, d'un autre côté, le nombre considérable des enfants l'ayant fait refuser dans beaucoup de maisons, Bernard D** avait réussi à surmonter cette difficulté et à rencontrer dans celle qu'il habite actuellement un logement salubre et convenable.
Pourvue d'une très-grande cour, cette maison offrait également au chef de famille une ressource précieuse pour la santé et l'agrément de ses jeunes enfants qui pouvaient ainsi se livrer aux amusements de leur âge, sans cesser d'être constamment sous la surveillance de leur mère. Cette proximité de La Villette permettait aussi au chef de famille, alors occupé comme homme de peine sur les ports de cette commune, de prendre tous ses repas chez lui. Employé par une administration établie dans un quartier fort éloigné de son habitation, il se trouve aujourd'hui dans la nécessité de déjeuner dehors, ce qui lui occasionne un surcroît de dépenses (§ 9).
Le faubourg Saint-Martin, un des quartiers les plus populeux de la capitale, est le siège de diverses industries importantes; le canal Saint-Martin, dont les quais sont bordés par de nombreuses usines, et qui coule non loin de là, y amène une immense population ouvrière, augmentée encore par une multitude de ménages pauvres attirés, comme celui de Bernard D**, par les ressources qu'offrait la banlieue avant son annexion.
Cette partie du faubourg Saint-Martin, qui touche à l'ancienne barrière de La Villette, s'est à peine modifiée depuis quelques années; elle présente, sous ce rapport, à l'observateur un coup d'œil intéressant.
Ici, ce ne sont plus les boutiques aux riches devantures dans lesquelles l'industrie étale ses produits les plus luxueux, et que des flots de lumière inondent à la nuit tombante; on n'y rencontre point le promeneur, ou l'étranger curieux qui ne voit de Paris que sa surface polie et civilisée. Au lieu de voitures de luxe, de lourdes charrettes roulent sur la chaussée et le courant des piétons est emporté par le mouvement rapide d'une circulation affairée; le fashionable et l'homme du monde sont remplacés par l'ouvrier. C'est le travail sous toutes ses formes qui vous coudoie à chaque pas.
Large, bien aéré, planté d'arbres dans une grande partie de son parcours, garni dans toute sa longueur de fontaines et de vespasiennes en bronze, peu distantes les unes des autres et dues à la générosité intelligente des propriétaires riverains, le faubourg [375] Saint-Martin est un des plus beaux faubourgs de Paris, surtout dans sa partie haute. Les maisons qui bordent comme deux quais ce torrent industriel, quoique ne répondant pas, par leur construction, à son aspect grandiose, n'ont point encore été touchées par le marteau des démolisseurs; aussi renferment-elles toujours des logements accessibles aux classes nécessiteuses, ressource qui tend à disparaître complètement dans un avenir peu éloigné.
La maison qu'habite Bernard D** avec sa famille est occupée par soixante-cinq ménages d'ouvriers appartenant tous à diverses professions. Composée de plusieurs corps de logis séparés par une très-grande cour, les uns élevés de deux et même trois étages, d'autres n'offrant qu'un rez-de-chaussée où sont installés des ateliers de forgerons, de cloutiers et de taillandiers, cette immense construction, quoique mal bâtie, et dénuée de régularité dans son architecture, est fort bien tenue et offre à l'œil un aspect aussi animé que varié. La moyenne des logements peut être évaluée à 200f. Celui qu'occupe Bernard D** est un des plus chers et des plus grands (§ 10). Cette sorte de cité ouvrière, dans laquelle vivent plus de 200 personnes, est pour son propriétaire une source importante de revenus.
§ 2. — État civil de la famille.
La famille comprend les deux époux, la mère de la femme et quinze enfants.
1. Bernard D**, chef de famille, marié depuis le 30 octobre 1832, né au Village-Neuf, près d'Huningue (Haut-Rhin)............ 59 ans.
2. Marie Reine P**, sa femme, née à Huningue............ 43 [ans]
Hortense D**, née à Huningue (servante à Paris)............ 27 [ans]
Jules D**, né à Huningue (brigadier aux chasseurs de la garde impériale)............ 25 [ans]
Élisa D**, née à Huningue............ 23 [ans]
Joséphine D**............ 20 [ans]
Pauline D** — ............ 19 [ans]
Ces trois dernières mariées le même jour à Paris, en 1860.
3. Paul D**, né à Huningue............ 17 [ans] 1/2.
4. Marie D**............ 16 [ans]
5. Rosalie D** — ............ 14 [ans]
6. Charles D** — ............ 13 [ans]
Léonie D**, née à Huningue (élevée à Huningue, chez un oncle)............ 11 [ans] 1/2.
Louise D**, née à Huningue (admise au couvent de Conflans). 10 [ans] 1/2.
7. Cécile D** — ............ 9 [ans] 12.
8. Anatole D**, né à Mulhouse............ 7 [ans] 1,2.
9. Lucien D**............ 6 [ans]
10. Eugénie D**, née à Paris............ 3 [ans]
11. Rosalie C**, veuve H**, mère de Marie-Reine P**,............ 75 [ans]
[376] La famille serait encore plus nombreuse, sans la perte de quatre enfants qui sont morts: l'un (brûlé) à l'âge de dix-huit mois; le 2e à l'âge de quatre ans; le 3e à six mois; et le 4e à neuf mois.
La femme D** est enceinte de son vingtième enfant.
Sept enfants, Hortense, Jules, Lisa, Joséphine, Pauline, Léonie et Louise, ont maintenant quitté la famille; en sorte que celle-ci n'a plus que onze personnes à nourrir.
Le chef de la famille n'a plus ni père ni mère. Son père est mort à 86 ans, ne laissant aucun bien à huit enfants qui sont encore aujourd'hui tous vivants. Bernard D** est le second fils; son frère aîné est boucher à Allirch (Haut-Rhin); les autres sont, l'un rentier au Village-Neuf, un deuxième officier comptable à l'intendance de Belfort, un troisième artiste peintre à Mulhouse, et le quatrième charcutier à Huningue; en outre, deux sœurs sont avantageusement mariées en Alsace.
La femme de Bernard D** a encore sa mère, veuve d'un ancien officier de l'Empire; celle-ci, demeurée sans ressources, est venue vivre avec son gendre et sa fille, qui l'entourent de soins et d'égards.
Le chef de la famille, après avoir élevé quinze enfants, en a encore huit à sa charge. L'un d'eux cependant, Paul, ayant depuis peu fini son apprentissage d'ouvrier mécanicien, apporte dans le ménage 2f50 par jour, pour sa nourriture et son entretien. Une des filles, Léonie, a été recueillie, dès son plus jeune âge, par un frère de son père, qui l'élève avec soin. Une autre a été admise, il y a deux ans, au couvent de Conflans, où l'on pourvoit à tous ses besoins.
Suivant l'exemple donné par son frère Paul, la fille aînée, placée dans une maison riche, remet à ses parents la majeure partie de ses gages: tous deux témoignent à leurs parents un dévouement inspiré par les sentiments de religion qui leur ont été inculqués dans leur jeunesse. Les autres enfants ne sont pas encore en position d'être utiles à la famille.
Les trois filles, Élisa, Joséphine et Pauline, se sont mariées le même jour, à la même heure, à la mairie du dixième arrondissement, et à l'église Saint-Laurent: ce triple mariage a laissé d'heureux et profonds souvenirs. Elles ont épousé d'honnêtes ouvriers, mais les besoins de ces jeunes ménages absorbent entièrement les modiques salaires journaliers.
§ 3. — Religion et habitudes morales.
[377] Les époux D** professent la religion catholique; leurs enfants ont tous été élevés dans cette même religion, dont les principes et les prescriptions sont respectés et cultivés avec ferveur. Le chef de la famille, retenu par ses travaux, ne peut se livrer entièrement aux exigences du culte; mais une piété ferme et véritable le soutient sans cesse au milieu de ses luttes avec les besoins de la vie. C'est dans ces sentiments que les époux D** ont puisé le courage et la résignation nécessaires pour traverser des jours difficiles. Ils ont l'un pour l'autre une vive affection et consacrent au travail toutes leurs forces, ayant constamment en vue l'amélioration de leur position, la conservation de leur santé et la prospérité de leur nombreuse famille.
Tous les matins et tous les soirs, la femme D** récite à haute voix les prières que les enfants agenouillés au pied de leurs lits répètent avec elle. Il en est de même à tous les repas, et les offices du dimanche sont suivis avec soin. Enfin, la vie de Paris n'a pu faire perdre à cette famille les traditions pieuses qu'elle a reçues et suivies en province.
Bernard D** toujours dévoué aux obligations que lui impose son rude métier de manœuvre, se lève chaque jour à cinq heures, et il est toujours un des premiers arrivés au travail. Il en a été de même dans toutes les positions qu'il a occupées.
Bernard D** a reçu l'instruction première commune à tous les enfants de la classe ouvrière. Il a fréquenté dans son jeune âge l'école primaire de son pays. D'abord soldat, ensuite boucher à Huningue, il s'est trouvé dans des conditions sociales assez heureuses. La rude existence à laquelle il s'est voué, depuis les changements qui l'ont obligé à quitter son état et à venir vivre à Paris pour y trouver les moyens de pourvoir aux besoins de sa famille, est une preuve évidente des qualités qui distinguent cet honnête travailleur. Persévérant, actif et courageux, Bernard D** ne se préoccupe pas de lui-même; s'il jette parfois un regard en arrière, c'est pour sa famille; c'est aussi pour sa famille qu'il travaille sans cesse, supportant les plus dures privations et s'imposant des sacrifices que l'on doit facilement apprécier, en songeant qu'avec un salaire modique Bernard D** a élevé 15 enfants dans d'excellentes conditions d'ordre, de bonne conduite et d'esprit de famille. Il abandonne l'administration intérieure du ménage et la libre disposition de ses ressources à sa femme. Celle-ci, fille d'un ancien officier de l'Empire, a reçu une instruction en rapport avec les conditions de sa [378] naissance, et se recommande aussi par des qualités morales qu'entretiennent à la fois l'amour de la famille et une foi sincère. C'est elle qui guide l'éducation des enfants, en réprimant les écarts de leur caractère et en développant chez eux les bonnes dispositions naturelles. Cette sollicitude incessante, ces soins intelligents, ont jeté de bonne heure dans le cœur de ces enfants des germes qui s'épanouissent maintenant en sentiments de dévouement et de respect pour l'autorité paternelle. Ces sentiments, au contraire, disparaissent de plus en plus au sein des classes ouvrières de Paris, et, malheureusement, cette décadence morale marche de front avec l'oubli du devoir envers la famille et la perte du respect envers les pouvoirs sociaux. Mais c'est surtout par sa fécondité que la famille présentement décrite contraste avec le milieu où elle est placée. Le nombre de ses enfants, trait le plus caractéristique des traditions du pays natal, des sentiments religieux et des habitudes morales des deux époux, est une exception fort rare chez toutes les catégories de la population de Paris (A).
§ 4. — Hygiène et service de santé.
Bernard D** est doué d'une constitution très robuste; sa taille porte 1m81; gros en proportion, il offre l'apparence d'une santé des plus vigoureuses. Ses forces n'ont jamais été affaiblies par les travaux pénibles auxquels il se livre, ni par les privations qu'il s'impose.
La femme jouit aussi d'une bonne santé. Quoique vaccinée dans son jeune âge, elle a été atteinte de la petite vérole, il y a six mois. Cette maladie, qui a donné de vives inquiétudes à la famille, n'a cependant laissé aucune trace. Quatre enfants ont eu la même maladie, mais sans symptômes inquiétants. Une autre, la dernière fille (§ 2), atteinte d'une manière assez sérieuse, a été parfaitement guérie.
La femme Bernard D** a nourri tous ses enfants, sans que sa santé en ait souffert. Ses nombreuses couches ont été heureuses. Tous les enfants sont forts et bien portants. Les soins de propreté que l'on prend chaque jour dans ce ménage exercent une influence très heureuse sur l'hygiène de tous. C'est même à ces soins intelligents et empressés que Bernard D** attribue l'état de santé qui règne au milieu de sa famille, dépourvue des mille superfluités dont on s'entoure dans les classes supérieures de la société sans en tirer d'aussi bons résultats.
Dans une situation aussi prospère au point de vue de la santé, [379] Bernard D** ne s'impose que très peu de dépenses pour le service médical de sa famille. Cependant, s'il est fortuitement dans la nécessité d'avoir recours à des soins médicaux ou à quelques remèdes, il s'adresse aux sœurs de charité de son quartier, qui, avec le dévouement dont elles sont toujours animées, donnent des conseils, fournissent une tisane, une potion, et tout est dit. En cas de maladie ou d'indisposition grave, la famille reçoit les visites gratuites du médecin du bureau de bienfaisance, et le même bureau fournit alors les médicaments ordonnés.
§ 5. — Rang de la famille.
La famille de Bernard D** a occupé une certaine position sociale. Son père était boucher à Huningue. Après avoir perdu sa fortune à la suite des invasions de 1813 et de 1815, et avoir donné à ses huit enfants une éducation en harmonie avec ses ressources et la situation que lui faisait son industrie, il fut lui-même obligé de descendre à la condition de salarié pour gagner son existence. Décédé en 1850, il ne laissa pour tout patrimoine à sa nombreuse famille que l'exemple d'une conduite honorable, des idées d'ordre et d'économie et les principes du bien.
Bernard D** comme ses frères et sœurs, a librement choisi sa profession. Il devint soldat, poussé par un certain goût pour la carrière militaire assez répandu parmi la jeunesse alsacienne, et aussi afin de devancer le sort qui devait bientôt l'appeler sous les drapeaux. Après avoir servi huit ans, il s'établit boucher à Huningue. Il perdit ensuite cette position dans des circonstances particulières qui seront indiquées plus loin (§ 12). Venu à Paris presque sans ressources avec une famille déjà nombreuse, il ne put jamais s'élever au-dessus de la position d'homme de peine qui, dans ce moment encore, est son unique moyen d'existence. Des personnes influentes, qui se sont intéressées à lui, lui font espérer un emploi rétribué sur les fonds municipaux. Il a sollicité et il attend.
La femme D** est également issue d'une famille recommandable. Plusieurs membres de cette famille occupent des positions honorables, et il en est de même des frères et sœurs du chef de famille (§ 2), qui sont tous parvenus à se créer des positions sociales au-dessus même de leur naissance.
S'il n'eût pas eu à élever une si nombreuse famille (§ 2), s'il n'avait pas été forcé d'abandonner son commerce (§ 12), Bernard D** eût pu, peut-être, comme les autres membres de sa famille, conquérir par le travail une aisance honorable et une position plus en harmonie avec ses antécédents. Toutefois, dans la [380] situation même où il se trouve, il sait déployer toutes les qualités énergiques qui élèvent l'homme au-dessus du malheur, et, s'il n'a pas la considération qu'on accorde généralement au rang et à la fortune, il jouit du moins de l'estime due à la résignation et à l'esprit d'ordre et de devoir.
II. Moyens d'existence de la famille
§ 6. — Propriétés.
(Mobilier et vêtements non compris.)
Immeubles............ 0f00
La famille ne possède aucune propriété et ne connaît aucun espoir d'en acquérir jamais. C'est cependant ici le lieu de remarquer que l'éducation morale donnée à de nombreux enfants (§ 2) équivaut à une véritable propriété et garantit un avenir aux parents.
Argent............ 0f00
(La famille ne possède actuellement aucune espèce de capital.)
Animaux domestiques............ 0f00
(Il n'y a aucun animal domestique.)
Matériel spécial des travaux et industries............ 0f00
Bernard D**, employé en ce moment en qualité d'homme de peine dans une administration publique (les pompes funèbres), reçoit de celle-ci le matériel nécessaire à son travail: une blouse, une paire de sabots, une brosse et un balai.
Valeur totale des propriétés............ 0f00
En parcourant les monographies des Ouvriers européens et des Ouvriers des Deux Mondes, on peut constater que l'absence de toute espèce de propriété est un fait extrêmement rare. Cette situation est d'autant plus digne de remarque que la famille se distingue par d'excellentes mœurs et qu'elle a été récemment favorisée par une recette considérable et inattendue (B). Aucun exemple n'est plus propre à montrer l'influence fâcheuse qu'exerce sur la condition des ouvriers l'absence de toute propension à l'épargne.
Cependant, les subventions accordées aux parents par les enfants qu'ils ont élevés peuvent, à la rigueur, être assimilées aux pensions [381] que certains vieillards s'assurent en recourant aux principes combinés de l'épargne et de la mutualité: à ce point de vue, les allocations reçues de la fille aînée (R. 2e Son) pourraient être considérées comme le produit d'une propriété.
§ 7. — Subventions.
L'achat à bon marché, au-delà des murs d'octroi, de la majeure partie des denrées alimentaires, vin, viande, huile, était, avant l'annexion de la banlieue à Paris, une véritable ressource pour le ménage de Bernard D** (Les Ouv. europ. XXXVI § 7).
L'économie qui résultait de ces acquisitions, tolérées dans de certaines limites par l'administration pour soulager les ouvriers habitant les quartiers rapprochés de la barrière, constituait, avant le 1er janvier 1860, une véritable subvention au profit de Bernard D**. C'est cette considération qui l'avait engagé à choisir son logement à l'extrémité du faubourg Saint-Martin, vers la barrière de La Villette (§ 1ᵉʳ). Depuis que l'extension de Paris a mis fin à cette subvention, le budget de la famille se trouve notablement grevé.
Parmi les subventions les plus importantes que l'ouvrier reçoit en ce moment, on doit placer l'assistance du bureau de bienfaisance: les secours en médecine et médicaments qui lui sont donnés en cas de maladie; le placement d'une de ses filles au couvent de Conflans et l'éducation fournie également à Léonie, âgée de 11 ans, par son oncle, charcutier à Huningue. Les autres enfants fréquentent l'école des frères de la doctrine chrétienne ou des sœurs de charité; enfin la fille aînée remet périodiquement à ses parents des sommes d'argent qui, réunies, peuvent être évaluées à 380f par an environ. Ces subventions viennent efficacement en aide au chef de famille. Il serait sans elles dans l'impossibilité de pourvoir à tous les besoins de ses enfants.
On doit faire entrer aussi dans la catégorie des subventions le prix fondé par M. de Reverdy, au profit de la ville de Paris, et qui consiste dans une somme de 3,000f, destinée à être distribuée tous les deux ans à la personne de la classe laborieuse demeurant dans la capitale, ayant une famille nombreuse et s'efforcant par un travail assidu, honnête et intelligent, de donner à ses enfants une éducation en rapport avec sa position sociale (B). Ce prix a été décerné à Bernard D** au mois de février 1859. À bout de ressources, Bernard D** était dans les conditions les plus difficiles, lorsque la libéralité de M. de Reverdy et le choix du conseil municipal sont [382] inopinément venus à son secours. L'argent qu'il a touché dans cette circonstance (3,000f) a permis à Bernard D** de dégager une grande partie de ses effets mobiliers engagés peu à peu et depuis longtemps au mont-de-piété pour subvenir aux besoins de la famille, de payer des dettes nombreuses et criardes et de pourvoir à quelques achats urgents qui avaient été remis faute d'argent: mais cette somme, dont le restant avait été conservé pour aider aux dépenses journalières du ménage, est aujourd'hui complètement épuisée (C); aucune recette provenant de cette source ne figure ci-après dans le budget dressé pour l'année 1860.
Bernard D** ne fait partie d'aucune association de secours mutuels.
§ 8. — Travaux et industries.
Le travail de l'ouvrier est exécuté actuellement pour le compte de l'administration des pompes funèbres, hors de la maison et à la journée. Il consiste à laver les chars et les voitures de cette administration et à faire tout ce qui lui est ordonné en sa qualité de manœuvre. Ce travail commence à 5 heures du matin et finit à 7 heures du soir; il est accordé deux heures dans la journée pour prendre les repas, le matin de 9 à 10 et le soir de 2 à 3 heures.
L'ouvrier est rétribué à raison de 2f50 par jour. En dehors du temps consacré à son travail, l'ouvrier n'entreprend aucune espèce d'industrie.
L'ouvrier a travaillé pendant six ans en qualité d'homme de peine et de manœuvre sur les ports du canal Saint-Martin, dans le système des engagements momentanés. Comme aujourd'hui, il gagnait 2f50 par jour, salaire moyen des hommes de peine à Paris. S'étant trouvé longtemps sans ouvrage pendant l'hiver dernier, Bernard D** faisait le courtage des charbons; cette opération, qui consiste à aller dans les maisons bourgeoises et à y vendre aux particuliers du charbon de chauffage pour le compte d'un marchand en gros, rapportait, en moyenne, de 2f50 à 3f. L'été ayant ensuite ramené le travail ordinaire des ports, Bernard D** reprit ses occupations de manœuvre, et fut occupé à décharger des pavés conduits à Paris, sur des bateaux venant de Belgique. Dans le système des engagements momentanés, l'ouvrier conserve plus d'indépendance vis-à-vis du patron qui l'occupe; il peut dans une circonstance heureuse trouver le moyen d'élever un instant son salaire; mais ces avantages sont précaires, en raison des fluctuations qui placent sans cesse l'ouvrier dans l'alternative de perdre son emploi. Ce système, sans offrir plus de ressource pour acquérir un certain rang, ne permet [383] pas à l'ouvrier d'améliorer sa position d'une manière stable et assurée. Depuis huit ans que Bernard D** se livre au métier de manœuvre, il a parcouru tous les degrés de cette dure position, et, dans les diverses industries où il a été employé en cette qualité, son salaire ne s'est jamais élevé au-dessus d'une moyenne de 2f50 par jour, malgré sa conduite, sa persévérance et ses efforts.
Travaux de la femme. — La femme consacre tout son temps aux soins du ménage. L'entretien du linge, la confection des vêtements des enfants, l'achat, la préparation et la cuisson des aliments absorbent ses journées tout entières. Elle n'a jamais pu trouver le loisir de se livrer à une occupation quelconque qui pût concourir, par le plus léger salaire, au bien-être de la famille.
Travaux de la grand'mère. — Âgée de 75 ans et infirme, la grand'mère ne fait aucun travail rétribué. Elle emploie son temps à tricoter des bas et à soigner les enfants en bas âge.
Travaux des enfants. — À part la fille aînée et le jeune Paul (§ 2), qui depuis quatre mois gagne en qualité d'ouvrier mécanicien 3f par jour, dont la majeure partie est versée dans la communauté (R. 2e Son), les autres enfants sont hors d'état de rien gagner.
Deux filles sont en ce moment en apprentissage: l'une apprend l'état de modiste, l'autre celui de couturière. Elles touchent au terme de leur apprentissage, et le père de famille espère que leurs travaux, prochainement rétribués, viendront en aide aux dépenses de la communauté.
Industries entreprises par la famille. — En dehors des travaux de l'ouvrier et des occupations de la femme, la famille ne peut entreprendre chez elle aucune industrie; le temps et l'espace dans le logement manqueraient pour un travail étranger à ceux que nous avons de mentionner et qui sont les ressources uniques du chef de famille.
III. Mode d'existence de la famille
§ 9. — Aliments et repas.
La famille ne fait pour ainsi dire qu'un seul repas par jour, à 7 heures du soir; avant ce repas substantiel, on prend tous les [384] matins le café au lait avec du pain, et à midi on mange seulement du pain avec quelques fruits ou du fromage. Cette dernière collation ne se fait pas en famille. Les enfants partent tous les matins à 7 heures 1/2 pour l'école; ils emportent chacun, dans un petit panier, les aliments nécessaires à leur repas du milieu du jour, aliments qui ne sont jamais autres que ceux ci-dessus décrits.
Le dîner du soir, auquel assiste toujours le père de famille, se compose généralement d'une soupe et de légumes selon la saison; parfois les légumes cuits sont remplacés par une salade. Une fois par semaine, le dimanche, on met le pot-au-feu. La femme achète 2 livres de tête de bœuf, qu'elle fait cuire dans de l'eau, dont on fait une soupe grasse et une viande bouillie qui se mange à part. Le prix élevé de cette denrée alimentaire ne permet pas d'en acheter de meilleure qualité, ni d'en faire aussi fréquemment usage que la famille le désirerait. On ne boit jamais de vin, cette boisson étant trop chère; on ne la remplace pas non plus par une boisson artificielle, comme cela se pratique chez beaucoup d'ouvriers parisiens [no 1 (6)]. L'eau est le seul liquide en usage sur la table de Bernard D**. Les légumes sont accommodés avec un saindoux, mélange de graisse de bœuf et de graisse de porc fondues ensemble.
Le mari, forcé de faire deux repas hors de chez lui, à cause de l'éloignement du lieu de son travail, dépense pour sa nourriture une somme qui s'élève, en moyenne, à 160f environ par année: c'est une très lourde charge pour son budget.
L'ouvrier sort de chez lui à 5 heures du matin pour se rendre à son travail: à 9 heures, il fait son premier repas chez un cabaretier du voisinage. Ce repas se compose d'un bouillon, d'un plat de viande et d'un canon de vin (13 centilitres). À 2 heures après-midi, l'ouvrier prend 26 centilitres de vin, dans lequel il trempe le restant de son pain du déjeuner. Ce pain est emporté chaque jour de la maison par lui, et la quantité en peut être évaluée à un demi-livre environ. Dans aucune circonstance la famille ne change son mode d'alimentation; la viande y entre en très minime quantité; il se compose essentiellement de pain, de soupe, et de légumes tels que pommes de terre et haricots verts ou secs selon les saisons.
Le chiffre du salaire de l'ouvrier et ses ressources ne lui permettent, à cause de sa nombreuse famille, aucunes dépenses autres que celles que nous venons d'indiquer pour la nourriture: il les considérerait presque comme superflues, lui et toute sa famille jouissant d'une excellente santé avec ce mode d'alimentation. On ne fait jamais usage d'aucune boisson spiritueuse.
§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.
[385] La famille loge au deuxième étage d'une maison d'assez belle apparence et proprement tenue (§ 1ᵉʳ). L'escalier principal est celui qui conduit au logement: cet escalier, assez vaste, est construit en pierres et continue dans les mêmes proportions jusqu'aux étages supérieurs de la maison.
Le logement de l'ouvrier se compose de trois pièces; la première, haute de 3 mètres, offre une surface de 18 mètres carrés; elle prend jour sur la rue du Faubourg-Saint-Martin par une grande et belle fenêtre. Cette pièce est celle où la femme se tient le plus habituellement dans la journée. On pénètre ensuite dans deux pièces contiguës et séparées par une cloison: la hauteur de ces deux chambres est de 2m80; mais, mansardées dans la plus grande partie du plafond, elles ne présentent qu'une hauteur moyenne de 2 mètres. La première de ces deux chambres est éclairée par la pièce d'entrée; la seconde, qui distribue quelque lumière à sa voisine par la porte vitrée qui les sépare, reçoit le jour par deux fenêtres pratiquées dans la chambre et aboutissant à la toiture, et par une autre petite croisée donnant sur la cour et devant laquelle se balance le feuillage de quelques fleurs grimpantes, cultivées par la famille.
La première pièce contient une grande armoire en bois de noyer, une table et quelques chaises: un portrait du chef de famille, peint à l'époque de sa jeunesse, en est le seul ornement. Les murs sont tapissés d'un papier d'une propreté convenable. Les deux autres chambres renferment, la première deux lits, dans l'un desquels couchent les époux D**, l'autre est une espèce de divan, couvert en vieux damas rouge, servant de meuble dans la journée et le soir de coucher pour deux enfants. Dans la seconde pièce sont installés trois autres lits et un berceau, que se partagent la grand'mère et les autres enfants. C'est encore dans cette pièce, pourvue d'un poêle en fonte, que se fait la cuisine. Ce poêle, chauffé l'hiver, distribue la chaleur dans tout l'appartement, dont l'aspect de propreté et d'aisance étonne tout d'abord, eu égard à la position gênée de cette intéressante famille. La distribution des lits est faite de manière que les enfants soient convenablement séparés.
Le prix du loyer est de 300f par an, payable, suivant l'usage, par trimestre. Il serait difficile aux époux D** de se loger d'une façon plus saine et plus convenable.
Meubles: Ils annoncent l'ordre et la propreté et marquent une [386] tendance particulière vers les habitudes bourgeoises (§ 12). Presque tous ces meubles ont été achetés l'an dernier avec le prix de 3,000f qu'a touché Bernard D** [§ 7, (B)]............ 699f00
1o Lits. — 1 Bois de lit en noyer servant aux époux, 50f00; — 1 paillasse, 5f00; — 2 matelas, 80f00; — 1 couverture de laine, 15f00; — 1 oreiller en plumes, 10f00; — 1 édredon en duvet, 20f00. — 1 Bois de lit en noyer servant à la grand'mère, 25f00; — 1 paillasse, 5f00; — 1 matelas, 30f00; — 1 couverture en coton, 8f00; — 1 oreiller en plumes, 5f00; — 1 édredon en plumes, 10f00. — 1 Lit en fer (pour enfants), 15f00; — 1 sommier, 15f00; — 1 matelas, 25f00; — 1 couverture de coton, 6f00; — 1 oreiller, 5f00; — 1 édredon en plumes, 10f00. — 1 Lit en fer (pour enfants), 15f00; — 1 sommier, 15f00; — 1 matelas, 25f00; — 1 couverture, 8f00; — 1 oreiller, 5f00; — 1 édredon, 10f00. — 1 Bois de lit en bois blanc (pour enfants), 6f00; — 1 paillasse, 2f00; — 1 matelas, f00; — 1 couverture, 2f00; — 1 oreiller, 2f00. — 1 Bois de lit en bois blanc (pour enfants), 3f00; — 1 paillasse remplie de paille d'avoine, 2f00; — 1 couverture, 2f00; — 1 oreiller, 3f00. — 1 Lit-canapé, 20f00; — 1 matelas, 8f00; — 1 couverture, 6f00; — 1 oreiller, 2f00. — 1 Berceau, 3f00; — 1 paillasse remplie de paille d'avoine, 1f50; — 1 oreiller, 2f00; — 1 couverture, 2f00. — Total, 489f50.
2o Meubles des deux chambres et de la pièce d'entrée. — 1 armoire en noyer, 60f00; — 1 commode en noyer, 60f00; — 1 table de nuit, 6f00; — 1 buffet en noyer, 6f00; — 1 table en bois blanc, 6f00; — 1 table, 2f00; — 6 chaises garnies en paille, 25f00; — 6 chaises moins bonnes que les premières, 10f00; — 1 glace, 1f00; — 3 tableaux de famille (sans valeur vénale); — 4 rideaux de croisées, 2f00. — Total, 178f00.
3o Objets relatifs au culte domestique. — 1 crucifix, 5f00; — 1 tableau religieux, 1f00; — 2 bénitiers, 2f50; — 4 tableaux de la Vierge, 8f00; — 1 tableau de saint Joseph, 15f00. — Total, 31f50.
Linge de ménage, déposé en partie au mont-de-piété. 95f25
Linge conservé à la maison: 6 paires de draps (y compris les draps servant aux enfants, faits avec de vieux draps coupés), 41f00; — 3 paires de draps de rechange, 18f00; — 4 taies d'oreillers, 4f00; — 6 serviettes, 3f00; — 8 torchons de cuisine, 1f25. — Total, 67f25.
Linge déposé au mont-de-piété: 6 nappes, 8f00; — 4 draps, 10f00; — 2 petits draps, 5f00; — 2 rideaux de lit, 5f00. — Total, 28f00.
Ustensiles: Bien que renouvelés en partie avec l'argent provenant du prix de M. de Reverdy (B), ils témoignent de l'état de pénurie de la famille............ 69f75
1o Pour le service de l'administration. — 3 marmites en fonte, 6f00; — 1 eau en fer-blanc, 2f00; — 1 poêlon en fer-blanc, 0f75; — 1 soupière en faïence, 1f25; — 2 plats en terre, 1f00; — 18 assiettes en faïence, 2f50; — 1 saladier en faïence, 1f00; — 1 pot pour le lait, 0f50; — 1 cruche à eau en terre, 0f50; — 1 douzaine tasses en faïence, 1f25; — 1 douzaine cuillères en étain, 1f80; — 1 douzaine fourchettes en fer, 1f20; — 8 couteaux de table, 1f50; — 1 poche en fer pour la soupe, 0f50; — 1 écumoire en fer, 0f50; — 2 cuillères en bois, 0f15; — 1 cafetière en fer-blanc, 1f25; — 1 burette à huile en fer-blanc, 0f75; — 1 1/2 douzaine verres à boire, 0f60. — Total, 25f00.
2o Pour usages divers. — 1 fontaine, 10f00; — 1 poêle en fonte avec ses tuyaux, 20f00; — 1 terrine en terre pour laver la vaisselle, 0f50; — 2 cuvettes en terre pour [387] usages domestiques, 0f50; — 1 balai, 1f00; — 1 panier, 0f75; — 2 fers à repasser, 2f00; — 1 lampe, 4f00; — 1 lampe de cuisine, 0f50; — 1 chandelier, 0f50; — 1 scie, 2f50; — 1 hache, 2f50. — Total, 44f75.
Vêtements: Ils sont peu abondants, mais propres et bien entretenus. Ceux de l'ouvrier notamment sont assez élégants et semblables à ceux de la bourgeoisie. Ils ont été, comme le mobilier, en partie renouvelés avec l'argent provenant du prix de M. de Reverdy (B)............ 652f25
Vêtements de l'ouvrier (151f25).
1o Vêtements du dimanche. — 1 paletot en drap noir, 50f00; — 1 pantalon en drap noir, 25f00; — 1 gilet en soie noire (usé), 6f00; — 1 chapeau noir (haute forme), 5f00; — 1 cravate en satin, 2f00; — 1 chemise blanche en coton, 5f00; — 1 paire de chaussettes, 0f50; — 1 paire de souliers, 6f00. — Total 99f30.
2o Vêtements de travail. — 2 blouses en toile coton, 8f00; — 1 pantalon velours, 8f00; — 1 gilet velours, 3f00; — 1 casquette, 2f50; — 2 paires de chaussettes, 1f50; — 1 cravate, 1f00; — 1 paire de souliers, 5f00; — 3 chemises de couleur, 9f00; — 3 mouchoirs de poche de couleur, 1f00; — 1 vieux chapeau gris, 0f75. — Total, 39f75.
3o Bijoux. — 1 montre en argent avec chaîne (cet objet est en ce moment au mont-de-piété), valeur, 12f00.
Vêtements de la femme (112f00).
1o Vêtements du dimanche. — 1 robe en orléans noir, 20f00; — 1 châle noir broché, 25f00; — 1 châle d'hiver (en ce moment au mont-de-piété), 17f00; — 1 tablier noir, 2f00; — 1 paire de bas, 0f75; — 1 bonnet en mousseline, 3f00; — 1 paire de souliers, 5f00; — 1 jupon noir, 4f00. — Total, 76f75.
2o Vêtements de travail. — 1 robe en indienne, 6f00; — 2 camisoles en indienne, 6f00; — 2 jupes en indienne, 6f00; — 2 bonnets en jaconas blanc, 2f00; — 2 paires de bas de couleur, 2f50; — 1 paire de chaussons en lisière, 2f00; — 4 chemises en cretonne, 8f00; — 3 fichus blancs, 0f75; — 3 mouchoirs de couleur, 1f00; — 2 tabliers en coton, 2f00. — Total, 35f25.
Vêtements de la grand'mère (53f50).
1o Vêtements du dimanche. — 1 robe en orléans, 8f00; — 1 châle gris en laine, 6f00; — 1 tablier noir, 2f00; — 1 bonnet en jaconas, 0f50; — 1 paire de bas, 0f75; — 1 paire de souliers, 5f00; — 1 jupon, 4f00. — Total, 26f25.
2o Vêtements de travail. — 2 camisoles d'indienne, 6f00; — 2 jupons d'indienne, 6f00; — 2 tabliers en coton, 2f00; — 2 bonnets, 2f00; — 2 paires de bas de couleur, 1f50; — 3 chemises de coton, 6f00; — 1 paire de chaussons en lisière, 2f00; — 3 mouchoirs de couleur, 1f00; — 3 fichus, 0f75. — Total, 27f25.
Vêtements du second fils (Paul D**) (72f50).
1o Vêtements du dimanche. — 1 paletot en drap, 15f00; — 1 pantalon, 9f00; — 1 gilet, 6f00; — 1 casquette, 2f50; — 1 cravate, 1f00; — 1 chemise, 4f00; — 1 paire de chaussettes, 0f50; — 1 paire de souliers, 6f00. — Total, 44f00.
2o Vêtements de travail. — 2 blouses en toile coton blanc, 6f00; — 1 pantalon velours, 5f00; — 1 gilet velours, 2f50; — 2 cravates, 0f50; — 3 chemises de couleur, 7f50; — 2 paires de chaussettes, 1f00; — 1 paire de souliers, 5f00; — 3 mouchoirs, 1f00. — Total, 28f50.
[388] Vêtements de la cinquième fille (Marie D**) (61f00).
1o Vêtements du dimanche. — 1 robe de fantaisie, 10f00; — 1 châle en laine, 7f00; — 1 bonnet mousseline, 3f00; — 1 tablier noir, 2f00; — 1 col et 1 paire de manches, 2f50; — 1 jupon noir, 3f00; — 1 paire de bas, 0f75; — 1 paire de souliers, 5f00. — Total, 33f25.
2o Vêtements de travail. — 2 robes d'indienne, 12f00; — 2 tabliers en coton, 1f50; — 2 paires de bas de couleur, 1f50; — 1 paire de souliers, 5f00; — 3 chemises de coton, 6f00; — 3 mouchoirs, 1f00; — 3 fichus blancs, 0f75. — Total, 27f75.
Vêtements des autres enfants indistinctement (202f00).
1o Vêtements de 4 garçons. — 1 veste en étoffe d'été, 6f00; — 1 gilet, 2f00; — 1 pantalon, 3f00; — 1 cravate, 0f75; — 2 blouses en coton bleu, 4f50; — 2 pantalons d'été, 6f00; — 1 gilet, 1f50; — 3 chemises, 5f00; — 1 cravate, 0f50; — 2 paires de chaussettes, 1f00; — 1 paire de souliers, 5f00; — 3 mouchoirs de couleur, 1f00; — 2 blouses de laine, 6f00; — 2 blouses, 4f00; — 2 pantalons, 4f00; — 2 paires de bas, 1f25; — 3 chemises, 4f00; — 1 casquette, 1f50; — 1 paire de souliers, 4f00; — 2 mouchoirs, 0f75; — 1 cravate, 0f50; — 1 pantalon, 3f00; — 2 blouses bleues, 4f00; — 2 paires de bas, 1f25; — 3 chemises, 4f00; — 1 casquette, 1f50; — 1 paire de souliers, 4f00; — 2 mouchoirs, 1 cravate, 0f50. — Total, 80f50.
2o Vêtements de 6 filles. — 1 robe fantaisie, 10f00; — 1 châle mousseline laine, 7f00; — 1 tablier noir, 2f60; — 1 bonnet mousseline, 3f00; — 1 paire de bas, 0f75; — 1 paire de souliers, 5f00; — 1 jupon noir, 3f00; — 1 col, 1 paire de manches, 2f00; — 2 robes d'indienne, 12f00; — 2 tabliers, 1f50; — 2 paires de bas, 1f50; — 1 paire de souliers, 5f00; — 3 chemises, 6f00; — 3 mouchoirs, 1f00; — 3 fichus blancs, 0f75; — 2 robes d'indienne, 9f50; — 2 tabliers noirs, 3f00; — 2 pèlerines noires, 4f00; — 2 robes d'indienne, 8f00; — 3 tabliers en coton, 4f50; — 2 jupons, 4f00; — 2 paires de bas, 1f50; — 3 chemises, 4f00; — 2 mouchoirs, 0f75; — 6 fichus, 1f50; — 1 paire de souliers, 4f00; — 3 cols d'indienne, 4f50; — 3 jupons, 2f50; — 3 bonnets, 0f75; — 4 chemises, 2f00; — 3 tabliers, 1f50; — 3 paires de bas, 1f50; — 1 paire de souliers, 2f00; — 4 fichus, 1f00. — Total, 121f50.
Valeur totale du mobilier et des vêtements (sauf déduction d'une valeur de 57f00 empruntés sur divers objets déposés au mont-de-piété)............ 1,516f25
§ 11. — Récréations.
Les récréations n'occupent qu'une fort petite place dans l'existence de cette famille: sous ce rapport, celle-ci offre un contraste complet avec plusieurs catégories d'ouvriers parisiens (no 13, D. 4e Son), qui dépensent, en plaisirs nuisibles à leur santé et à leur bien-être, une somme supérieure à la recette annuelle de la majeure partie des ouvriers ruraux.
L'ouvrier ne va jamais au cabaret, à part les rares circonstances où il est invité par un ami ou un camarade. Il ne fait pas usage du tabac. De temps à autre, mais rarement, quand le temps le permet, les époux, accompagnés de leurs enfants, vont faire une promenade, [389] soit au Jardin des plantes, soit dans toute autre promenade publique. Mais, contrairement à l'usage suivi parmi les ouvriers, on ne s'arrête ni au cabaret pour y faire collation, ni chez le marchand de vin pour y prendre un rafraîchissement quelconque. Le budget du ménage ne saurait permettre aucun écart de cette nature. Quelquefois les époux dînent chez des amis, ou chez leurs gendres, mais ces sortes de récréations sont rares et irrégulières. Lorsque son travail le permet, le père de famille se rend le dimanche aux offices du soir. C'est une récréation qu'il aime à se procurer, mais dont il ne peut jouir qu'assez rarement.
Les récréations trouvées dans la vie de famille, telles que conversations, lectures, récits, ne se rencontrent pas dans celle que nous étudions. Les enfants se couchent de bonne heure, le chef de famille rentré chez lui se livre au repos, et la femme occupe ses soirées aux travaux du ménage.
IV. Histoire de la famille
§ 12. — Phases principales de l'existence.
L'ouvrier est né à Huningue (Haut-Rhin) en 1801; son père était maître boucher; il avait une certaine aisance et, son commerce prospérant, il put donner à ses enfants une éducation pareille à celle qu'on donne généralement aux enfants des petits commerçants dans les grandes villes.
À l'âge de 16 ans, Bernard D**, destiné à prendre l'industrie de son père, fut envoyé à Belfort, chez un de ses oncles, en qualité de garçon boucher. Il resta dans cette ville quatre ans: puis en 1820, le sort ne lui ayant pas été favorable, il devança l'appel et s'engagea dans le 1er régiment d'artillerie de la garde royale. D'abord soldat, Bernard D**, à qui son instruction ne pouvait permettre facilement l'accès aux grades supérieurs dans une arme spéciale, devint plus tard artificier. Il jouissait de l'estime de ses chefs et passait pour un des plus beaux hommes de son régiment. Il aime encore à se rappeler cette époque de sa vie, et les avantages de toute sorte que lui attiraient sa taille élevée et sa bonne mine. Il raconte, avec un certain orgueil, que le colonel de son régiment le désigna pour poser devant un peintre qui devait exécuter le portrait en pied du prince Eugène et que l'artiste, flatté de son modèle, le fit poser plusieurs autres fois, soit à pied, soit à cheval, pour des sujets militaires.
[390] Libéré du service en 1829, Bernard D** rentra dans la vie civile, malgré les instances de son chef de corps, qui l'avait désigné pour remplir dans la maison du duc d'Orléans un emploi de piqueur. Les avantages attachés à cette position ne purent retenir Bernard D**; il avait la maladie du pays, et le désir de se marier le poussait, d'ailleurs, à quitter pour toujours la carrière des armes. Plein de jeunesse, de force et de courage, Bernard D**, à qui son père (§ 5) n'avait pu laisser aucune espèce de patrimoine, ne recula pas devant l'obligation de se créer seul une position dans la vie civile.
À peine libéré, il se fit placer chez un maître boucher d'Altkirch, chez lequel il passa une année en qualité de garçon, pour se remettre à son premier métier. Il vint ensuite à Huningue, et, une de ses tantes lui ayant prêté de l'argent (600f), Bernard D** établit dans sa ville natale une boucherie, commerce qui, exercé honorablement pendant de longues années par son père, dans la même localité, devait lui assurer un avenir heureux. Bernard D** raconte que c'est la seule circonstance de sa vie où ses prévisions se soient réalisées. Au bout d'un an d'exercice, il remboursait la somme qui lui avait été prêtée, et, à l'aide de quelques épargnes, il commençait à réunir un petit capital que les années et le travail firent heureusement fructifier. Deux ans plus tard, dans le cours de l'année 1832, après avoir amassé une somme de 4,000f environ, Bernard D** épousait la fille d'un ancien officier de l'Empire, lequel exploitait à Huningue avec ses enfants un petit restaurant, dont le produit, ajouté à une pension de retraite, assurait le bien-être de la famille.
Issu d'une famille bourgeoise, allié à une famille honorable appartenant à la même classe, Bernard D** pouvait croire et espérer que désormais sa place dans la vie bourgeoise lui était assurée (C). Il en devait être autrement, et, dans les conditions sociales où les circonstances l'ont fait descendre, ce que Bernard D** regrette le plus, c'est son ancienne situation qui le plaçait au-dessus de la classe ouvrière, et lui assurait les diverses prérogatives que le suffrage universel a abolies. Aussi remarque-t-on chez Bernard D** au milieu de son dénuement de toutes choses, une tendance marquée vers la vie bourgeoise. Cette nuance existe surtout dans l'installation de son mobilier et dans la recherche de sa mise. Le dimanche surtout, Bernard D** a une tenue qui est loin d'accuser la gêne de sa position. Dans les choses matérielles comme dans l'ordre des idées, Bernard D** emploie ses efforts à reconquérir son ancienne place dans la société, et il n'a qu'un seul espoir d'y arriver, c'est en obtenant un emploi qu'il sollicite.
Gagner assez pour élever sa famille, même au prix des plus durs [391] sacrifices, et devenir employé, voilà le seul rêve que Bernard D** caresse dans son imagination, et à ses yeux sa position ne sera véritablement améliorée qu'à cette condition. C'est pour lui une question de convenance sociale et d'amour-propre, à laquelle il paraît attacher un prix infini. Sa famille, ses parents, ses amis l'ont abandonné dans sa misère. Cette misère est pour lui comme un stigmate; elle le flétrit. Devenir employé, redevenir bourgeois, voilà sa réhabilitation.
Pour Bernard D**, à qui la vie militaire n'avait pas réussi à faire contracter de mauvaises habitudes, le mariage ne fut que la continuation de son existence ordinaire. Noué au travail, grâce à ses qualités et à celles de sa femme, le jeune ménage prospéra longtemps et les recettes de l'industrie allèrent toujours en augmentant jusque vers 1842, époque à laquelle Bernard D** avait gagné, selon ce qu'il déclare, une dizaine de mille francs. Il dut croire que la fortune ne l'abandonnerait jamais. C'est à ce moment que ses affaires commencèrent à décliner, jusqu'au jour où, n'ayant plus rien, il lui fallut quitter la terre natale. Les principales causes qui amenèrent cette grande perturbation dans la situation de cette famille sont attribuées par Bernard D**, d'une part, à la concurrence qu'il eut à soutenir avec un boucher qui vint s'établir à Huningue, au commencement de 1842, concurrence qui dura de longues années: d'autre part, à la mort de son beau-père, dont les affaires peu prospères mirent à sa charge une grande partie de la famille de sa femme, qui vint augmenter ainsi sa propre famille, déjà fort nombreuse. Mais ce qui paraît avoir compromis le plus les intérêts du commerce de Bernard D**, c'est la mesure qui supprima en 1845 la garnison que le ministre de la guerre entretenait à Huningue. Petite ville sans importance et n'ayant aucun élément de richesse industrielle, Huningue n'offrit plus, une fois sa garnison partie, aucune chance de prospérité à l'industrie de Bernard D**, déjà affaibli par la concurrence de son voisin, il se vit en un seul coup enlever sa clientèle, et la source de ses bénéfices fut tarie pour toujours.
Cette situation désastreuse devint bientôt complète par suite d'un événement terrible dont les conséquences furent la ruine entière de ce malheureux père de famille. Au mois de mai 1847, un incendie dont les causes restèrent toujours inconnues, et qu'on doit attribuer à quelque imprudence, se déclara dans les écuries contiguës à la maison de Bernard D**. Là se trouvaient plusieurs bêtes à cornes, un cheval, du fourrage et des provisions importantes en céréales, qui devinrent bientôt la proie des flammes. Le feu gagnant bientôt la maison d'habitation en dévora une partie, et l'autre ne fut sauvée [392] qu'à grand'peine, par le dévouement d'un voisin et de tous les habitants de la petite ville d'Huningue. Coïncidence bizarre: le feu allumé par les bombes des alliés, en 1815, avait été la cause de la ruine du père de Bernard D**, et un incendie ravissait à celui-ci, quelques années plus tard, sa fortune et ses ressources, fruit d'une vie de travail et d'économie. Dans cette malheureuse circonstance, Bernard D** perdit environ 8,000f, c'est-à-dire à peu près tout ce qui lui restait. La révolution de 1848 et la période de souffrance qui s'ensuivit n'offrirent à Bernard D** aucun moyen de ressaisir les lambeaux de sa fortune, qui finissait de s'épuiser par l'augmentation progressive de ses enfants.
Quelques parcelles de terrain que possédait Bernard D**, sur les bords du Rhin, furent envahies par les eaux de ce fleuve, pendant l'inondation de 1851, et c'est avec 50f pour toute ressource que Bernard D** quitta son pays, au commencement de l'année 1852, pour venir à Paris avec sa femme et une famille composée de la mère de cette dernière et de quatorze enfants. Il serait curieux de suivre pas à pas cette famille, au milieu des difficultés qu'elle dut rencontrer dans cette grande cité, à laquelle chacun vient demander refuge et secours: qui recèle dans son sein tant de misères sous des apparences si séduisantes, où le luxe le plus éclatant côtoie le plus affreux dénuement.
Une fois à Paris, Bernard D** s'adressa à des hommes haut placés qui l'avaient connu comme militaire; on s'intéressa à lui et quelques démarches furent faites pour lui obtenir un emploi; mais l'emploi n'arrivait pas et la faim venait chaque jour frapper plus durement à la porte de la famille.
Doué d'une grande force musculaire, Bernard D** pensa que cette force devait être sa principale ressource (A). Il chercha de l'ouvrage comme homme de peine et ne tarda pas à en trouver: il fut embauché en qualité de charbonnier dans les chantiers de La Villette; son salaire s'élevait à 3f par jour. Cette modique somme, le bureau de bienfaisance, et la résignation aux plus dures privations, permirent à Bernard D** de donner chaque jour un morceau de pain à ses enfants.
Il vécut ainsi de longues années. Peu à peu les enfants grandirent, et quelques-uns d'entre eux, en acquérant les moyens de pourvoir à leur propre existence, soulagèrent d'autant le père de famille. Cette année, il a marié le même jour trois de ses filles; un de ses fils est devenu ouvrier mécanicien. Ces mariages ont occasionné d'assez fortes dépenses. En revanche, le travail du fils lui permet aujourd'hui de payer amplement le prix de sa nourriture chez ses parents (§ 7).
[393] Bernard D** ne rêve plus en ce moment qu'au succès de ses démarches pour obtenir un emploi dans un des services actifs de l'administration municipale.
§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.
La famille ne fait partie d'aucune société d'assurance mutuelle. Bernard D** n'a jamais songé à se créer par ce moyen quelques conditions de sécurité. Dans le cas où la maladie viendrait à mettre ce dernier hors d'état de travailler, la famille ne serait pas, cependant, réduite à la seule bienfaisance pour l'aider dans les embarras où la plongerait un pareil malheur. Un emprunt sur le mobilier pourrait fournir quelques ressources momentanées, et elle rencontrerait, à coup sûr, dans les enfants adultes des auxiliaires sérieux; élevés dans d'excellents sentiments, tous ces enfants soutiendraient, sans aucun doute, leurs parents s'ils tombaient dans le besoin; leur travail a déjà servi à la vie commune (§ 2): leur père leur a toujours donné, sous ce rapport, le bon exemple. La famille continuera, d'ailleurs, à trouver d'importantes ressources dans les subventions variées qu'elle a reçues jusqu'à ce jour de la bienfaisance publique (R. 2e Son).
En coordonnant les principaux traits de l'existence de cette famille, on aperçoit bientôt que l'absence de toute propension à l'épargne (§§ 6 et 10) est la véritable cause de la situation précaire dans laquelle elle se trouve. Cependant, les excellentes mœurs de la communauté lui assurent pour l'avenir, ainsi que cela a eu lieu jusqu'à présent, de sérieux moyens de sécurité. Les habitudes laborieuses du chef de famille continueront probablement, pendant longtemps encore, à lui assurer le pain quotidien; et, d'un autre côté, les nombreux enfants (§ 2) que les deux époux ont élevés, dans les meilleures conditions de moralité, viendront sûrement en aide aux vieux parents, à mesure que le progrès de l'âge leur permettra moins de se suffire à eux-mêmes. En résumé, la pratique des lois divines et humaines qui commandent la fécondité n'aura pas été seulement pour les époux D** l'accomplissement d'un devoir; elle aura été en outre un acte de haute prévoyance, le seul qui fût compatible avec leur propension pour le bien-être de la vie bourgeoise (C).
§ 14. — Budget des recettes de l'année.
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§ 15. — Budget des dépenses de l'année.
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Comptes annexés aux budgets.
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Notes.
Faits importants d'organisation sociale; particularités remarquables; appréciations générales; conclusions.
(A) Sur les catégories d'ouvriers parisiens qui se distinguent par la fécondité.
Par M. L. Donnat, ingénieur des mines.
[405] Le trait le plus remarquable de l'existence de cette famille est le nombre considérable des enfants qu'elle a élevés. Cette circonstance, assez rare dans le milieu parisien, est loin cependant de constituer un cas unique. Diverses catégories d'ouvriers présentent encore cette fécondité qui distinguait, au dernier siècle, la bourgeoisie et les classes laborieuses. On peut dire, en général, de ces ouvriers à famille nombreuse qu'ils sont originaires des pays situés en Allemagne et en France près de la frontière commune de ces deux pays et qu'ils sont chargés, à Paris, des travaux de force qui n'exigent pas un apprentissage spécial.
L'œuvre de Saint-Joseph-des-Allemands, fondée au faubourg Saint-Antoine, en 1850, rue La Fayette, par le père Chable, et continuée avec un dévouement admirable par ses successeurs, réunit dans son église cinq à six mille personnes des deux sexes, qui ont quitté leur pays natal pour s'établir à Paris, ou qui se sont fixées dans cette ville où elles étaient venues avec le dessein de se rendre en Amérique. Ces émigrants présentent, pour la plupart, des mariages féconds : une moitié environ est née en Lorraine ou en Alsace ; les autres sont originaires du Luxembourg, du Palatinat ou de la Prusse rhénane.
L'Alsace envoie surtout des jeunes gens, attirés dans la capitale par le besoin de gagner un salaire plus élevé, et par le désir de se perfectionner dans leur état ou dans la connaissance de la langue française. Les professions auxquelles ils s'adonnent de préférence sont celles de mécanicien, de menuisier, d'ébéniste et de tailleur. Ces Alsaciens forment de beaucoup la portion la plus intelligente, la plus active de la colonie du faubourg. Ils se marient quelquefois avec des filles qu'ils nomment Françaises parce qu'elles sont nées à Paris ou dans des provinces où l'on parle la langue française, et le plus souvent avec des filles de la colonie et qu'ils désignent sous le nom d'Allemandes.
[406] La partie la plus nombreuse de la colonie, la plus ignorante et la plus misérable, est formée de familles qui viennent de la Lorraine, du Luxembourg et du Palatinat ; on les retrouve encore çà et là groupées dans d'autres quartiers et entassées dans les mêmes maisons. Ces familles sortent presque en totalité de souches adonnées à l'agriculture. Un des motifs les plus ordinaires de leur émigration est le désir de conserver quelque petite propriété qu'elles possèdent au pays natal. Cette propriété, consistant ordinairement en une chaumière grevée d'hypothèques, est louée au moment de leur départ : le prix de cette location ainsi que le fruit de leurs économies sont destinés par elles à dégrever un jour l'héritage paternel. Il faut dire que bien souvent ce projet ne se réalise pas, et que l'épargne la plus réelle, la plus sûre de ces familles, réside dans la fécondité qui doit assurer aux vieux parents l'assistance de leurs enfants : ces familles, en effet, ont, en moyenne, cinq enfants. Les professions qu'elles exercent n'exigent point une adresse ou une intelligence développées. Les hommes sont surtout chiffonniers, balayeurs de rues, manœuvres, terrassiers, ouvriers des usines à gaz ; d'autres fois carriers ou maçons ; assez souvent aussi hommes d'équipe dans les chemins de fer et ouvriers dans les verreries, les fonderies, les raffineries de sucre. Les femmes exercent l'industrie des allumettes chimiques, ou bien elles travaillent dans des filatures de coton, dans des fabriques de boutons ou de passementeries.
Telles sont les diverses catégories d'ouvriers chez lesquels se retrouve encore cette fécondité des mariages, qui contraste d'une façon si frappante avec la stérilité calculée et quelquefois criminelle des ménages parisiens, appartenant aux différentes classes de la société. C'est seulement dans les classes les plus inférieures, les plus pauvres, souvent même les plus dégradées (Les Ouvr. europ., XXX), que se rencontrent encore les familles nombreuses, soit parce que les hommes ne peuvent se livrer aux plaisirs de la débauche, soit parce que les secours qu'ils reçoivent des institutions charitables sont proportionnés au nombre de leurs enfants.
De la constatation des faits qui précèdent, on peut s'élever au problème général de la fécondité et de la stérilité des mariages, en s'appuyant sur la réalité des enquêtes et de la statistique.
Au premier rang des causes de stérilité il convient de placer l'état de trouble mental et d'anarchie morale qui, depuis le dernier siècle, n'a cessé d'augmenter, surtout dans les centres industriels. Cette situation, qui affecte les sentiments plus encore que les idées, entraîne comme première conséquence l'exaltation de l'égoïsme et l'affaiblissement de l'instinct maternel. L'éducation d'une famille nombreuse exige un dévouement de tous les instants, des [407] privations de toutes sortes, dont le poids paraît aujourd'hui trop lourd à supporter. De 1771 à 1775, il y avait en France 1 naissance annuelle sur 25 habitants ; de 1846 à 1850, il y en a eu 1 sur 37. Il y a 50 ans, il naissait 16 enfants légitimes par chaque centaine d'individus ; il n'en naît plus aujourd'hui que 12. Dans l'espace de 30 ans (de 1821 à 1851), le nombre des femmes mariées nécessaires pour obtenir une naissance annuelle a augmenté de 5,8 à 7,6.
Ce désordre social qui caractérise notre époque se traduit encore par une perturbation organique, imputable soit à la débauche, soit à la réaction exercée par l'état moral sur l'organisation physique. On a observé que les cas de stérilité involontaire vont toujours en augmentant, ainsi que celui des accouchements malheureux. Ainsi on trouve en France :

Les agglomérations des villes, produites par le développement excessif de l'industrie et par l'abandon de l'agriculture, ont donné lieu à un autre inconvénient de la vie collective. Plus la population laborieuse est condensée, plus la vie est chère et difficile, plus sont répandues les habitudes de luxe, de débauche et d'imprévoyance, plus enfin, nonobstant l'élévation du salaire, les moyens d'existence deviennent insuffisants en raison de la diminution incessante des subventions (Tome Ier, p. 25), qui, dans les districts ruraux, concourent si heureusement au bien-être des familles. Dans ces circonstances, les familles s'habituent naturellement à la pensée que les enfants imposent des charges trop considérables.
Une autre cause de stérilité est l'obligation du service militaire qui détruit chez les jeunes gens les habitudes de simplicité de la vie domestique, leur crée des besoins factices, et qui surtout prive les parents des ressources qu'ils pourraient trouver dans le travail des enfants qu'ils ont élevés en s'imposant de dures privations.
Enfin, dans les campagnes comme dans les villes, notre régime de partages forcés a conduit à une stérilité systématique, seul moyen laissé aux parents d'éviter la trop grande division des héritages. La monographie de l'armurier de Solingen (Les Ouvr. europ., XVI) fait ressortir par des faits les conséquences d'un tel régime. En même temps qu'elle indique, dans les termes suivants, les trois conditions principales dans lesquelles se trouvent les familles pourvues de nombreux enfants :
« 1o Lorsque la partie du sol non appropriée à la culture offre [408] encore une étendue considérable, et lorsque, en conséquence, les chefs de famille n'ont jamais lieu de craindre que les moyens de subsistance manquent à la nouvelle génération. Ce cas se présente pour les bachlirs nomades, les paysans d'Orembourg, les ouvriers russes, suédois, norvégiens et bulgares décrits sous les nos I, II, IV à VII. »
« 2o Lorsque les moyens d'alimentation étant désormais limités par le manque de terres disponibles, les chefs de famille, peu exercés aux calculs de la prévoyance, s'abandonnent avec confiance à leur foi dans la bonté divine. Ce cas est celui des populations les plus pauvres, attachées aux travaux des villes et des campagnes. Il concerne spécialement le menuisier autrichien (XI), le journalier du Morvan (XXVII), le tisserand du Maine (XXIII), et surtout ces propriétaires indigents qui se multiplient d'une façon si regrettable dans plusieurs districts ruraux du Wurtemberg, de la Suisse, de l'Alsace et des provinces rhénanes [XV (B)], et parmi lesquels se recrute l'émigration pauvre. Plusieurs administrations allemandes, à la vérité, s'efforcent de prévenir, par l'interdiction du mariage, la multiplication de cette partie de la population ; mais l'observation ne laisse subsister aucun doute sur l'immoralité et l'insuffisance des règlements de cette nature [XI (C), XIII (A)]. »
« 3o Enfin, lorsque les paysans établis sur un sol complètement occupé, mais dégagé de toute entrave en ce qui concerne l'usage de leurs biens, peuvent assurer la transmission intégrale de leur propriété à un de leurs enfants, et établir successivement tous les autres dans l'industrie, l'armée, la flotte, les colonies, etc., dans des conditions conformes à leurs aptitudes. Ce cas est celui des petits propriétaires allemands ou scandinaves dont il est spécialement question dans la présente note, et parmi lesquels se recrute l'émigration riche. Il est fort commun en Russie [III], en Suède [VI (A)], en Norvège [VII (A)], en Hongrie [IX], et dans les plus riches contrées du Danemark, du Mecklembourg, du Hanovre, de la Thuringe, de l'Autriche, de la Bavière et de la Suisse, où la petite propriété est fortement constituée. Il ne se maintient spontanément en France que dans un petit nombre de districts ruraux, particulièrement dans la partie de l'ancien éarn qui fournit aujourd'hui des émigrants aisés à l'Amérique du Sud. C'est ici le lieu de remarquer également que ce même régime était établi sur de solides bases par l'ancienne coutume normande, et que, sous cette bienfaisante influence, la Normandie a puissamment contribué, pendant les deux derniers siècles, à la colonisation du Canada, de la Louisiane et des Antilles. » (Les Ouvr. europ., p. 157.)
C'est ici le lieu de remarquer que les listes dressées tous les deux [409] ans pour la distribution du prix de M. de Reverdy (B) pourraient fournir des documents précieux pour l'étude des causes de la fécondité qui persiste, contrairement aux tendances générales de la population, chez certaines catégories d'ouvriers parisiens. Il suffirait que les maires chargés de dresser ces listes y comprennent à l'avenir quelques indications concernant les habitudes morales, le lieu de naissance et l'époque d'émigration des candidats.
(B) Sur le prix de 3,000ᶠ institué par M. de Reverdy et décerné, en 1859, à Bernard D**.
M. de Reverdy, décédé à Bruxelles en 1852, a légué aux classes nécessiteuses une fortune considérable (900,000f environ). L'hospice Saint-Brice de Chartres (Eure-et-Loir) a eu la plus grande part dans ses libéralités, et cette ville elle-même a reçu un legs d'au moins 200,000f, pour la fondation d'une école destinée aux enfants pauvres. En dehors de ces dispositions, Paris a été l'objet d'une libéralité toute particulière : M. de Reverdy a déclaré dans son testament léguer à cette ville une inscription de 1,500f de rente destinée à fonder à perpétuité un prix de 3,000f, devant être distribué tous les deux ans par le conseil municipal de Paris à la personne de la classe laborieuse qui, demeurant dans la capitale, aurait la famille la plus nombreuse, et se serait efforcée par un travail assidu, honnête et intelligent, de donner à ses enfants une éducation en rapport avec sa position sociale et des habitudes d'ordre et de piété toujours nécessaires dans les diverses conditions de la vie.
Les formalités nécessaires pour la délivrance de ce legs charitable ont été remplies par l'administration et les opérations de liquidation de la succession de M. de Reverdy ont été complétées l'an dernier.
Le conseil municipal a été appelé à décerner pour la première fois, au mois de février 1859, le prix de 3,000f fondé par cet homme de bien. Disons-le à l'honneur de la classe laborieuse, les candidats présentés par les douze mairies de Paris étaient nombreux, et pour la plupart dignes du plus grand intérêt.
Celui qui a été l'objet du choix du conseil municipal est Bernard D**, qui, avec son modique salaire d'homme de peine, a réussi à élever 15 enfants (§ 2) dans les meilleures conditions d'ordre, de bonne conduite et d'esprit de famille. Ses concurrents s'élevaient à 42, mais aucun d'eux ne présentait une famille aussi nombreuse [410] que la sienne. Le second sur la liste avait 11 enfants ; le troisième et le quatrième, 9 enfants ; venaient ensuite huit familles de 8 enfants, dix familles de 7 enfants, huit familles de 6 enfants et neuf familles de 5 enfants. Les quatre derniers candidats avaient seulement de 3 à 4 enfants. Les professions qui reviennent le plus fréquemment sur la liste de 1859 sont celles de manœuvre, de maçon et de tailleur ; dans les deux premières se classent les chefs des familles les plus fécondes. Cette même particularité se représente identiquement sur la liste dressée pour 1861. Le choix s'est porté cette fois sur un maçon père de 11 enfants. La liste comprend 55 candidats ; 12 de plus qu'en 1859. On ne saurait tirer aucune conséquence de cette augmentation qui s'explique par la présence sur la liste d'un nombre équivalent de familles peu chargées d'enfants. Ces cinquante-cinq familles comptaient, savoir : trois, 11 enfants ; trois, 10 enfants ; deux, 9 enfants ; cinq, 8 enfants ; quinze, 7 enfants ; quatorze, 6 enfants, et quatre de 5 enfants à 1 enfant.
(C) Sur le défaut de prévoyance qui se manifeste chez la famille décrite dans la présente monographie.
L'observation qui se présente naturellement à la pensée lorsqu'on examine avec quelque soin la situation de la famille étudiée dans la présente monographie est celle que soulèvent la manière de vivre de la famille et surtout l'emploi et la distribution de ses ressources pécuniaires.
Un examen attentif révèle chez le chef de famille un défaut de prévoyance et d'épargne, un besoin de bien-être, suffisamment accusés aux §§ 7,10,12 et 13 de la monographie, sans qu'on puisse cependant méconnaître les qualités qui lui ont mérité l'honneur du prix fondé par M. de Reverdy. L'histoire de la famille nous montre Bernard D** heureux au sein d'un commerce prospère, placé dans des conditions qui paraissent assurer son avenir. Sa ruine (§ 12) est-elle l'effet même de cette prospérité à laquelle il était parvenu, après avoir commencé sans fortune; est-ce un défaut de principes et d'éducation qu'on doit considérer comme la cause de cet esprit d'imprévoyance qui se manifeste à chaque instant dans la vie de Bernard D**?
Cette situation tient peut-être à toutes ces raisons réunies, abstraction faite des éventualités malheureuses dont il a été victime [411] et contre lesquelles il serait difficile de savoir au juste ce que la prévoyance la plus méticuleuse aurait pu faire. La confiance en lui-même et le goût du bien-être que le chef de famille avait contractés pendant le cours de sa carrière militaire, non moins que son éducation première, ont eu aussi, vraisemblablement, leur part dans son insuccès.
Ce goût du bien-être se révèle, du reste, dans la mise de Bernard D**, dans l'installation recherchée de son mobilier, dans ses aspirations continuelles vers la vie bourgeoise. Avec de telles dispositions, l'on peut affirmer que, sans les qualités morales qui distinguent ce travailleur, sans la direction intelligente donnée aux soins du ménage par sa femme, cette intéressante famille eût été infailliblement vouée au plus affreux dénuement.
Bernard D** avoue lui-même qu'il avait une confiance absolue dans le développement fructueux de son commerce, et qu'il apportait peu de soin à la conservation de l'argent acquis qu'il eût pu placer plus sûrement et plus avantageusement. Il eût pu se préserver aussi des derniers malheurs qui lui sont arrivés en mettant sa maison à l'abri des funestes conséquences d'un incendie par une assurance, ce qu'il ne songea jamais à faire.
Ruiné, il part pour Paris, et c'est avec cinquante francs pour toutes ressources qu'il entreprend d'établir sa famille dans cette ville immense, où il n'a que des relations peu capables de le mettre à même de gagner son pain de chaque jour et celui de la famille. Le prix de M. de Reverdy lui arrive enfin après une série d'années malheureuses, après une lutte longue et pénible contre les difficultés de la vie. L'expérience qu'il a faite de l'instabilité des choses humaines, la pénurie, le dénuement, la perspective des charges de famille qui s'accroissent chaque jour, et la vieillesse qui s'approche, doivent conseiller à Bernard D** de faire un usage circonspect du capital dont il est redevable à la libéralité de M. de Reverdy et à la bienveillance de l'administration municipale. Ce capital peut être pour lui le point de départ, non pas d'une nouvelle fortune, mais d'une condition qui, s'améliorant par le temps, le mettrait peut-être un jour à l'abri d'une vieillesse malheureuse. Dans cette prévision, il devrait le conserver avec sollicitude, le garantir de son mieux contre toutes fâcheuses éventualités. La prévoyance est un fruit qu'à défaut d'éducation première devraient faire mûrir le malheur, l'expérience et la raison. Dans cette situation, quel usage a fait Bernard D** d'une ressource inattendue ? Obéissant à l'instinct de bien-être qui paraît le dominer, il dépasse la limite de ses véritables besoins et de ceux de sa famille : il ne se contente pas de payer quelques dettes, de retirer quelques effets engagés au mont-de-piété dans un moment de détresse : il achète des vêtements d'une certaine recherche; il se procure des meubles plus en harmonie avec ses goûts, avec ses ressources momentanées et ses tendances vers la bourgeoisie; il agit comme si son capital était inépuisable. En un mot, il dépense en peu de temps une somme de trois mille francs qui, placée entre les mains d'un Auvergnat, par exemple, fût devenue pour celui-ci, au prix des plus durs sacrifices, la source d'une petite fortune.
Ce même esprit d'imprévoyance et le défaut d'épargne se retrouvent encore dans l'espoir que Bernard D** nourrit de reconquérir sa première position sociale; en outre, les démarches incessantes qu'il fait pour parvenir à un emploi l'obligent non-seulement à négliger son travail principal, mais encore à se livrer, pour son vêtement, à des dépenses que ne ferait point l'homme véritablement économe.
Ce n'est pas sans intention que nous avons opposé l'ouvrier de l'Auvergne au chef de famille que nous venons d'étudier; car le caractère de ce peuple curieux, tourné tout entier vers l'amour du gain et de l'épargne, est une preuve évidente que l'éducation joue, plus que les races et le climat, un rôle important dans les tendances économiques et, en général, dans la vie domestique des familles.
La description intéressante des mœurs de l'Auvergne présentée dans le tome II de ce recueil [No 17 (A)] signale les véritables influences qui poussent à l'épargne les populations de cette contrée. Dès son enfance, l'habitant des montagnes du Cantal et du Puy-de-Dôme est plié à l'épargne par la rude vie de l'émigration. Il comprend de bonne heure que ses chances d'avenir sont proportionnées au pécule qu'il doit chaque année rapporter à sa famille; que l'épargne annuelle est le principal élément du patrimoine qui lui reviendra un jour, et que c'est surtout à l'importance de cette épargne que se mesurera la considération publique qui lui assurera, au pays natal, un mariage avantageux.
L'initiation à la prévoyance et à l'épargne, qui imprime leur principal caractère à beaucoup de populations [Les Ouvr. europ. III § 13, XX 3, XXI (A), XXX § 13, XXXVI (A)] paraît avoir complètement manqué à la jeunesse de Bernard D**. Cette lacune, dans l'éducation première, semble être également un trait caractéristique pour la plupart des ouvriers qui, comme ce dernier, occupent à Paris la situation de manœuvre.
Notes
1. Cette famille contraste, par ses mœurs, avec la plupart de celles qui appatiennent à la population de Paris proprement dite; mais toutes les études faites jusqu'à ce jour par la Société d'économie sociale révèlent une démarction trauchée entre les provinciaux et les étrangers chargés à Paris des travaux de force, et les Parisiens qui recherchent plus particulièrement les travaux exigeant de l'intelligence et de l'adresse. Parmi ces types de provinciaux, il a paru intéressant de décrire une famille ayant conservé la fécondité, qui, au xviie siècle, distinguait, en France, les classs populaires et bourgeoises, et qui ne se retouve plus guère aujourd'hui que chez les classes ouvrières et les paysans de l'Alsace et du pays basque (A). [Les Ouv. europ. XVI (B).]