N° 94
BOUILLEUR DE CRU
DU BAS-PAYS DE COGNAC
(Charente. — France)
OUVRIER-CHEF DE MÉTIER ET PROPRIÉTAIRE DANS LE SYSTÈME DU TRAVAIL SANS ENGAGEMENTS
d'après
LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN 1897-1898-1899
PAR
M. PIERRE DU MAROUSSEM
Sommaire
- Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille
- Éléments divers de la constitution sociale
- § 17. PLACE DE LA PRODUCTION DES EAUX-DE-VIE DE VIN DANS LA PRODUCTION TOTALE DES ALCOOLS EN FRANCE
- § 18. COGNAC, PLACE DE COMMERCE
- § 19. LE COURTIER-DISTILLATEUR
- § 20. LA GRANDE MAISON D'EAUX-DE-VIE47
- § 21. L'ÉVOLUTION DES PAYSANS-PROPRIÉTAIRES DANS LA ZONE DE COGNAC AVANT LA CRISE ET APRÈS LA RECONSTITUTION
- § 22. ESSAIS DE LA CONQUÉTE DU COMMERCE DES EAUX-DE-VIE PAR LES PRODUCTEURS
- § 23. LE MONOPOLE DE L'ALCOOL
Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille
Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1ᵉʳ. État du sol, de l'industrie et de la population.
La zone des eaux-de-vie de Cognac possède des cartes commerciales qui en rendent aisée la description.
[133] Que l'on se figure un cercle dont la vieille cité des Valois forme le centre et dont la Charente, d'Angoulême à Saintes, fournit le diamètre, rigoureusement de l'est à l'ouest. Ce cercle comprend l'arrondissement de Cognac en entier, l'arrondissement de Barbezieux en entier, une partie de l'arrondissement d'Angoulême (tout cela dans le département de la Charente); plus l'arrondissement de Saintes, celui de Jonzac et une [134] fraction de celui de Saint-Jean-d'Angély (Charente-Inférieure). On constate que le vignoble de l'Aunis (environs de la Rochelle) reste en dehors.
Aux temps de sa splendeur, c'est-à-dire avant l'invasion phylloxérique de 1877-1880, la zone charentaise1des eauux-de-vie couvrait environ 1,017,360 hectares, soit un illion en chiffres ronds. Le diamêtre moyen de la surface des vignobles était de 35 kilomètres2.
Deux voies commerciales la desservaient : la Charente, navigable jusqu'à Angoulême ; la ligne ferrée latérale au feuve, construite en 1868 par une compagnie locale qui a dû céder ses droits a l'Etat, et exploitée aujourd'hui par la compagnie d'Orléans.
Homogénéité de climat, de sol et de population, telle est la caractéristique de ce cercle.
Le climat chaud et assez sec rappelle à peu de chose près le climat du Médoc.
Le terrain est formé de grandes ondulations et dépressions successives ; il appartient aux dépôts les plus récents de la période crétacée (assise du terrain crétacé supérieur, dite Sénonienne, du nom de la ville de Sens). L'exploitation des carrières de pierre blanche est une industrie nationale » (dans cette région) au même titre que la culture des vignes.
La population présente également l'aspect d'une unité sociale et économique. C'est l'avant-garde des peuples du nord, qui, par la coulée des invasions, est venue se heurter aux Gascons, vers le midi, aux Limousins, vers l'est. La langue d'oil est la sienne ; mais avec Bordeaux commence l'idiome méridional, et derrière la grande forèt de la Braconne (au delà d'Angoulême), on n'entend plus que le dialecte limousin. Partout le village à banlieue morcelée (le dorpf), comme dans toute la région du nord de la France, et aussi de petits hameaux, de petites maisons isolées, souvent entourées de grilles, avec le confort et la bonne mine des pays riches. Partout aussi la petite propriété associée à la petite culture, au faire oaloir du propriétaire lui-même : 60 hectares constituent l'extrême richesse ; de 6 a 20 hectares, telle est la regle ; le petit journalier lui-même possède sa maison avec quelques s journaux (33 ares 33 centiares) de terres, de vignes ou de prés3.
[135] Mais il n'est pas de zone si homogêne qui ne soit subdivisée en zones secondaires par des diférences accossoires. La plus ou moins grande quantité de chaux contenue dans les terrains avait de tout temps déterminé les crus distincts, si souvent cités : les cinq subdivisions de la Grande Champagne, de la Petite Champagne, des Borderies, des Fins Bois et des Bois. La carte ci-jointe fait toucher du doigt les limites des crus dont la Charente (le fleuve) constitue l'axe. Les deux grands crus, Grande et Petite Champagne (cette dernière enveloppant l'autre), sont entièrement situés sur la rive gauche du feuve. Les Borderies se localisent sur un massif de collines crayeuses de la rive droite. Autour des trois subdivisions précitées, les Fins Bois et les Bois s'élargissent comme des alos concentriques sur l'une et l'autre rive. — Rien de plus slmple, d'ailleurs, que le sens des expressions champagne et bois ; la champagne désigne le terrain le plus chargé de chaux, couvert jadis de chaumes, véritauble pâturage à moutons. Au contraire, sur les bois, le calcaire était plus ou moins revêtu de sables et d'argiles tertiaires, que surmontaient autrefois des bois, depuis longtemps défrichés.
[136] Actuellement, depuis dix ans surtout, une nouvelle répartition des terres charentaises se superpose à la répartition commerciale. Nous avons vu que, de 1877 à 1880, l'invasion du phylloxéra vint brusquement anéauntir tout le vignoble charentais. Jusqu'à 1888 environ, la misère et la prostration furent complètes dans toute la région. Cependant, vers cette époque, la replantation en plants américains, grefés avec les anciens ceps locaux, fut tentée. Mais on s'apercut bien vite que cette reconstitution, relativement facile dans les Bois et les Fins bois, devenait presque impossible dans la Petite Champagne et surtout dans la Grande. Le calcaire faisait rapidement disparaitre les cépages exotiques par la chlorose. Il en résultait cette conséquence imprévue : le renversement de la classification des terrains, puisque les crus inférieurs rapportent et que les grands crus demeurent (encore aujourd'hui) frappés de la plus désespérante stérilité.
En même temps, un phénomène assez étrange se produisait : une oausis de vignobles échappait presque complètement au désastre. Sur la rive droite de la Charente, une douzaine de communes — Boutiers, Burie, Bourg, Breville, Nercillac, Saint-Sulpice, Migron, Le Seure, Mesnauc, Cherves (en partie), Julienne, etc., devaient à leur sous-sol argileux et à leurs « mouillères » le maintien de leurs cépages français et directs. En cette région, dite du Bas-Pays, les « buttes » étaient phylloxérées, mais les fonds, méprisés jadis à cause des gelées, étaient replantés facilement. Avec cette restriction, l'ancien état de choses s'est maintenu sur les communes privilégiées, comme une sorte de prolongement historique.
Trois sections tranchées, en définitive : 1° la section de reconstitution d'après les usages nouveaux, qui ont transformé l'art antique du viticulteur ; 2° la section phylloxérée (section supérieure de jadis) ; 3° l'oasis du statau quo, dû au sous-sol argileux.
La présente analyse a été dirigée vers l'une des communes, partiellement sauvées, la commune de Cherves de Cognac.
Cherves de Cognac, — commune de banlieue, — est séparé de Cognac par une distance routière de six kilomètres, que le chemin de fer à voie étroite de Cognac à Saint-Jean-d'Angély porte à neuf kilomètres.
Son territoire total atteint 3,402 hect. 2 ares, sur lesquels on relève 55 hectares de terrain rocheux, 40 de marécages et 212 hect. 42 ares de territoire réputé non agricole (routes, voies ferrées, constructions, etc.). Restent 3,095 hectares de surface cultivée proprement dite.
Le trait caractéristique de la topographie de cette commune est son[137]partage en deux régions d'altitude et d'aspect opposés, dont la gare et le château de Fontaulière constituent la borne séparative.
A l'ouest, c'est la partie haute (38 mètres à la Motte), où se groupent l'église (seconde moitié du Xe siècle), les écoles, le commerce local, et où s'éparpillent d'importantes habitations : château Chesnel, la Cassotte, etc. Ces collines, formées. par la craié supérieure et moyenne avec re vêtements siliceux, appartiennent à la zone des « Borderies. L'eau se cache à une assez grande profondeur sous les crêtes ; les citernes et parfois des puits artésiens alimentent les exploitations agricoles. Toutefois la petite rivière l'Antenne y creuse une vallée pittoresque, avant de se jeter dans la Charente.
A l'est, la partie basse, coupée par l'ancienne voie romaine dite « chemin des Romains, est précisément la lisiêre du « Bas-Pays » sur lequel notre attention doit se fixer (terrain jurassique supérieur, lacustre). C'est la région des marais ; l'eau y séjourne à fleur de terre ; c'est aussi la région des plantations interminables des vignes a françaises, l'oasis immuablement conservée.
Sur ces 3,095 hectares cultivés et ainsi coupés en deux sections opposées, 2,307 habitants sont établis (soit : population résidante, 2,212; résidants absents, 19, et population classée à part, 19; plus 1 etranger)4.
La statistique professionnelle de ces 2,307 habitants permet de distinguer :
1° Une catégorie de petits commerçaunts (12 épiciers, 10 cafetiers-restaurateurs, 2 boulangers, 1 panification (coopérative), 1 boucher, 1 charcutier) et d'artisans locaux (ouvriers du bâtimeut, charpentiers, macons, et ouvriers auxiliaires de l'agriculture, charrons, maréchaux, etc.). Un peu plus d'une centaine ;
2° Une catégorie purement industrielle, relevant de la moyenne et même de la grande industrie : les fours à plâtre d'Orlut et de Montgaud (150 et 30 ouvriers) : près de cinq cents pour le tout ;
3° Une catégorie agricole, véritable centre de gravité de l'ensemble : d'abord les 7 distilleries agricoles et leur personnel, ensuite les 1,600 agriculteurs proprement dits, à peu près immuables comme nombre depuis 1881, et décomposés ainsi qu'il suit :
[138] Mais lorsque l'enquêteur observe avec plus d'attention ces diférents compartiments de la population rurale, il ne tarde pas à se convaincre une fois de plus que le iticulteur — tourné vers la fabrication des eaux-de-vie — demeure la clef de voûte de toute cette organisation.
Déjà les distilleries l'avaient averti de cette direction incontestable : le détail des 3,095 hectares cultivés ne permet plus de doute : 1,130 hectares sont attribués aux labours, 360 aux prairies naturelles, 600 aux bois et 950 aux vignes.
Ces 950 hectares (portés à 963 depuis 1892) opposent 150 hectares de plants américains greffés sur les hauteurs à 800 hectares de vieux plants francauis dans la plaine basse et humide.
Aussi retrouvons-nous surtout, sur la région des vieux plants, la petite culture exploitée directement par son propriétaire, le domaine autonome du paysan ancien bouilleur de cru (distillant sa récolte). La vigne enfante la propriété paysanne : et le paysan, par une reconnaissance bien entendue, est un planteur tenace. A Cherves, par exemple, plus les exploitations sont petites, plus la proportion des vignobles est élevée : de 1 à 5 hectares, trente-sept pour cent des surfaces reviennent aux vignes; de 5 a 20 hectares, un peu moins du tiers5.
[139] Comme conclusion, laissons de côté les propriétés au-dessus de 60 hectares, les châteaux et villas de plaisance des riches négociants ou des citadins qui recherchent, avec des vignobles reconstitués, les parcs et les bois. Les domaines de 1 à 60 hectares, classés par ordre d'importance, de maniêre à former une série ascendante, nous font passer par les trois étapes suivantes :
1° Le vigneron journalier avec 1 hectare ou 2 de jardins et de vignes. (V. Le Vigneron de l'Aunis, qui, malgré le temps écoulé, reproduit à s'y méprendre le caractère de cet échantillon.)
2° Le paysan propriétaire, proprement dit, ancien bouilleour de cru, avec ses 10 hectares et sa vie large (de 10 à 100 et 200,000f de fortune).
3° Le « richard, » bourgeois de campagne, habitant une villa parfois somptueuse au milieu de 30 hectares de bois, 30 hectares de prés et de vignes, faisant valoir le tout avec ses domestiques : 500, 600,000f, un million de capital. (N'oublions pas la richesse exceptionnelle de la zone des eaux-de-vie.)
L'échantillon qui nous intéresse est pour aujourd'hui l'échantillon intercalaire : le paysan virtuellement bouilleur de cru.
Cette zone cognaçaise, absolument comme les cités modernes, est une mangeuse d'hommes. La commune de Cherves n'échappe pas à la règle.
[140] Les survenants ne remplacent pas les disparus. De 1893 a 1899, les naissances n'ont excédé les décès que de sept unités ! 278 contre 271 !
Leos provinces rurales les plus prospères de France sont malthusiennes. Quand la terre vit d'une vie trop pleine, c'est la race qui meurt6.
§ 2. État civil de la famille.
La famille se compose de huit personnes :
1. MaîtrePierre C*, chef de famille............ 62 ans.
2.Françoise D*, sa femme............ 59 —
3.Alfred C*, leur fils............ 29 —
4.Sylvie M*, femme du fils............ 27 —
5.Odette C*, fille des précédents............ 7 —
6.Charles C*, fils des précédents............ 3 —
7. Deux domestiques de labour............24[et]16 —
Jusqu'à une époque relativement réçente, la famille comprenait en outre Guillaume D*, père de la maîtresse de maison, âgé de quatre-vingts ans, qui avait conservé ses biens, « sans se mettre sous pension, » malgré la coutume locale, et vivait entouré d'égards.
Historiquement, cette famille, comme toutes les familles de la région,[141]descend des communautés celtes de langue d'oil (les Santones ou Saintongeais)7, qui, venues de la région du nord par le grand chemin d'invasion, se sont heurtées, précisément sur la terre cognacaise, aux Gascons du sud et aux Limousins de l'est (encore dominants dans l'arrondissement de Confolens).
Mais ces communautés, encore conservées en certains recoins du Haut-Poitou (environs de Melle et de la Mothe-Saint-Héray), dont la Statistique monumentale de la Charente, par Michon, permet d'entrevoir l'existence sur le sol de la Saintonge et de l'Angoumois8, se sont brisées depuis longtemps par l'efet de la propriété et de la richesse, qui développent la personnalité, si l'on préfère, l'individualisme. Partout où des monographies de communes ont essayé de suivre le défrichement de cette immense forêt, qui s'est rasée en un immense vignoble, aux Touches-de-Périgné, près Matha ; à Balzac, près Angoulême, etc.9, on retrouve le même dépècement rapide des fiefs, la même formation incessante d'une classe moyenne, le même appel de tous les inférieurs vers le bien-être et l'autonomie.
Aussi, l'imitation de proche en proche, qui fait copier les usages et les essais d'en haut, inclina-t-elle de bonne heure les races paysannes vers une sorte de « transmission intégrale, » sur le modèle des petits nobles et des gros bourgeois. A la base, la communauté souvent universelle entre époux ; puis l'association de l'un des enfants par contrat, au moment de son mariage ; l'établissement des filles « que l'on sortait, » d'après la locution consacrée ; enfin, la « démission de biens » en faveur de l'héritier ou des héritiers et la « mise sous pension », qui entrainait des versements en nature aux différentes fêtes et aussi bien souvent une impatience hâtive de la « mort du vieux10. »
La famille observée a cherché son mode d'union dans l'accord des bons vouloirs plus que dans les rédactions d'acte notarié. L'individualisme grandissant avait fait maintenir la pleine propriété du vieux père de la femme, qui était resté le « maître » théorique du domaine. Les[142]époux du « vieux ménage » et du « jeune ménage » ne sont pas allés plus loin que la « communauté réduite aux acquets. » Le chef de famille partage ses profits, parce qu'il le veut bien, sans coercition légale et sans « démission de biens. » Mais la permanence de l'exploitation rurale a été nettement demandée par les trois générations qui viennent de se suivre, à la coutume « du fils unique » ou des deux enfants.
§ 3. Religion et habitudes morales.
Les luttes politiques en France ont pris l'habitude de diviser les provinces en conservatrices et républicaines, en « cléricales » et « libérales. » On ajoute même, par une sorte de correspondance entre ces étiquettes toutes de convention, que les conservatrices sont « cléricales » et que les « libérales » sont républicaines.
Or, il se trouve que la zone cognaçaise est a la fois l'une des plus « libérales, » dans le sens de sceptique ou même « d'athée, » et qu'en même temps elle concentre un attachement invincible pour une forme gouvernementale disparue : c'est la « Vendée bonapartiste. »
Quelle est la raison pour laquelle chaque élection nouvelle ramene à la Chambre des représentants de nuance aussi nette que MM. Cunéo d'Ornano, Arnous, Laroche-Joubert ? Pourquoi, enfin, la seule République qui ait pu s'y acclimater est-elle la République plébiscitaire de Paul Déroulède ?11 ? Il est a cela plusieurs motifs : 1° l'habileté politique des hommes, qui, par un singulier hasard, s'est rangée du côté de l'opposition ; 2° l'impuissance de la franc-maconnerie et de ses « campagnes » mi-politiques, mi-religieuses, sur une population qui répond invariablement : « Nous n'usons point du curé ; faites comme nous ; 3° enfin, un phénomène économique : la coexistence de la prospérité agricole et de l'Empire, le rapprochement de la crise du phylloxéra et de la République. Voyez le chef de la famille étudiée. Iloffre bien à cet égard le résumé de l'opinion moyenne des électeurs circonvoisins, lorsqu'en son [143] vieux français local — proche parent du Blaisois et du Champenois12, — avec ses fortes aspirations, qui remplacent les g et ses solécismes systématiques, il commente les événements du jour, d'après l'Ère nouvelle, le Matin charentais et le Petit Journal. Sans doute, car la finesse de maître C* est chose incontestée, il ne s'imagine point que la nouvelle forme gouvernementale ait entrainé par elle-même la destruction des vignobles, dont il a souffert d'ailleurs moins qu'un autre ; mais il compare d'instinct l'extraordinaire circulation d'or dont il fut témoin de 1860 a 1870 et la misêre qui est survenue depuis. En outre, pour lui comme pour presque tous les paysans français, c'est « au gouvernement » qu'est dû le mauvais commerce, et cette considération, assurément étroite, contient une parcelle de vrai, puisque la politique économique dépend en principe du pouvoir. Le « libre-échange, » n'était-ce pas « l'Empire » ? — « A-t-on jamais été plus riche que de ce temps, où l'on pouvait vendre et acheter à sa guise ? » Ces formules, répétées avec regret, permettent de sonder l'intensité de sa rancune, que le protectionnisme rural, malgré tous les efforts des « agricoles, » ne peut qu'aviver. N'exagérez pas, bien entendu, cet attachement à une forme stable de gouvernement plus qu'à une dynastie. C'est par hérédite un frondeur : au XVIe siècle, tout ce coin de Guyenne se soulevait déjà contre « la gabelle ; » c'est, par indépendance de situation, un irrespectueux de l'autorité, qui peut dificilement le capter par ses faveurs. Vers 1868-1869, il votait pour les candidats libéraux. Aujourd'hui, à l'imitation de certaines communes voisines, il célébrerait volontiers le 15 août.
Pas la moindre ferveur religieuse : nous l'avons dit. Cette terre a été calviniste, au moins en surface. Calvin a habité Angoulême, où la rue de Genêve conserve son souvenir. Sur la ligne des Charentes (Compagnie actuelle d'Orléans), près de la station de Nersac, le touriste apercoit le petit pavillon où se cacha l'auteour de l'Institution chrétienne. Partout, dans l'Angoumois et la Saintonge, la moyenne et la petite noblesse avaient pris les armes en faveur des réformés, surtout par convoitise des terres d'abbaye13. Depuis la révocation de 'édit de Nantes, des 1lots de protestants sont demeurés, mais surtout une sorte de lassitude, de s grève n religieuse, qui, pendant la Révolution française et jusqu'au milieu de ce siècle, avait amené l'usage spontané des mariages et des[144]enterrements civils. A soixante ans passés, le chef de famille n'a pas encore « fait sa première communion. » Pourquoi ? Par suite d'une brusque querelle entre le curé du village et son père, — vieux soldat d'Afrique très hostile au clergé. L'enfant fut même envoyé jusqu'à dix-sept ans dans une école évangélique, — simplement par représailles. D'ailleurs l'enseignement nouveau glissa sur une inaptitude métaphysique des plus prononcées. Niveau religieux très analogue chez les deux femmes : la mère, sous sa « cornette » (coiffe) charentaise, et la bru, en « toilette moderne, se montrent bien, de loin en loin, à l'église de Cherves, pour les très grandes fêtes ; mais l'exercice proprement dit du culte, la confession et la communion, si générales chez les femmes françaises, qui ont trouvé dans le catholicisme leur formule pratique du « féminisme, D ne semble pas les attirer. Aucune hostilité, cela est sûr. On fournira, s'il le faut, sa cotisation à la construction d'un calvaire ou même à l'entretien de l'école des sœurs, puisque les gens riches y contribuent. Le curé sera affablement reçu, à condition de ne pas pousser trop loin son activité de propagande, même au chevet des mourants. Pour rien au monde, on ne changerait de religion. Les uns et les autres sont nés catholiques : ils le demeureront. Et lorsqu'un visiteur plus élé fait observer le peu de logique qui unit ces s principes et ces « actes, » maître C** se défend, en clignant finement de l'œil, par cette ingénieuse repartie : « Cela n'empêche point. On est catholique tout de même. On est bien vigneron, aussi...., et cependant on bêche le moins qu'on peut14! »
Ainsi détachées de l'État, contre lequel la fraude fiscaule est considérée comme un devoir ; détachées de leur Eglise traditionnelle, vis-à-vis de laquelle prévaut le système des relations courtoises et espacées, ces familles rurales, individualisées à outrance par un bien-être déjà ancien, apparaissent comme tournées vers une conception toute matérielle du juste et de l'honnête. Le Bien supreme, c'est la richesse. La gradation des mérites est, pour ces travailleurs, celle du « capital15. » L'homme « qui a de quoi » bénéficiera toujours de la considération publique, bien qu'ù son égard, on fasse montre d'une assez grande familiarité, par sentiment d'indépendance suscoptible et aussi par « débonnaireté de mœurs. » Le Bien secondaire, c'est linstruction, qui vou classe dans la catégorie supérieure, et que l'on acquiert au prix des plus[145]grands sacrifices, au collège de Cognac ou à l'école catholique Saint-Paul d'Angoulême ; a défaut de baccalauréat, on parlera volontiers des succès scolaires, même réduits aux arts d'agrément.
Sous l'effet de ce double courant, chaque groupe garde un « quant à soi » jaloux, bornant de plus en plus les liens de voisinage à la réalisation des besoins immédiats (sociétés coopératives, rapports d'acheteurs à vendeurs) ; prompt aux brouilles d'intérêt, aux procès et même aux actes de vengeance16malgré un fonds de bonhomie et de soiabilité héréditaires. Dans l'intérieur de chaque groupe, traitant volontiers avec les groupes similaires de puissance à puissance, une sorte de rupture s'accentue de plus en plus, par suite des niveauux diférents de « culture et d'idées, entre les vieux et les jeunes. » Que penser du respect, dans les familles, où, comme chez maître C*, le jeune ménage oppose son installation bourgeoise n et urbaine à la « chambre » toute paysanne des pa- 1 rents, aux deux extrémités du logis, avec la cuisine comme zone neutre 2 Que conclure du choc de ces deux générations représentées par ce couple de « citadins, » lecteurs de journaux, épris de voyages, de lectures et de distractions modernes, et les deux vieux, simples de mise, la femme completement illettrée, mais énergique ménagère, économe et sédentaire comme tous les épargnistes de jadis Et cependant, ici la bonne harmonie relie les deux niveaux, gràce à la bonté et à la générosité des parents, ainsi qu'à la soumission suffisamment affectueuse du ils.
Familles de premier rang, de second rang, ou familles inférieures, laissent transparaître d'ailleurs le vice et la qualité caractéristiques des Celtes.
Le vice, c'est la pente générale appelée gauloiserie jadis, et pornographie aujourd'hui17. Les enfants, uniques ou réduits à deux, sont choyés étourdiment et livrés de bonne heure à l'animalité instinctive. Il y a beanu temps que les naissances illégitimes, le malthusianisme perfectionné, les délits et attentats aux mours punis par la loi pénale se sont multipliés en ce coin de terre, au point d'efrayer les moins rigoristes18.
La qualité, c'est le tempérament chasseour et militaire. Cette popula[146]tion, oû les domestiques de culture eux-mêmes se font délivrer des permis de chasse, tandis que le paysaun limousin a la peur du fusil, a fourni pendant la guerre de 1870-1871 des contingents énergiques. Ce sont les mobiles charentais qui ont pris Montbéliard19.
§ 4. Hygiène et service de santé.
Les brochures antialcooliques, qu'il s'agisse de la Société à rites secrets des Bons Templiers20, de la Société française de tempérance21, de la Société de la Croix bleue22ou de la Société française contre l'abus des boissons spiritueuses23, c'est-à-dire des abstinents rigoureux ou des modérants, sont d'accord sur un point : l'alcool est a le Satan visible, père de toutes les dégradations physiques et morales. Bien plus, un savant, isolé il est vrai, M. Daremberg (Académie de médecine du 15 octobre 1895), a soutenu que l'alcool naturel (des Charentes) était de tous les alcools le plus nuisible et le plus dégradant.
Or, nous sommes en présence d'un ensemble de familles qui, par la force des choses, s'intoxiquent depuis deux siècles. Quels résultats doiton constater L'épreuve parait concluante.
La race, avons-nous dit, est en principe la race saintongeaise, race celte peut-être blonde d'origine. Le chef de famille, vieillard robuste, malgré ses soixante-deux ans (1r68), droit et rasé à l'ancienne mode, représente assez bien l'échantillon vigoureux des Celtes du nord. Mais, sur cette route des invasions, sur cette marche » entre le nord et le midi, les infiltrations gasconnes, limousines, voire même jadis sarrasines, se sont multipliées24et les types » bruns semblent dominer en de nombreuses communes. Toutefois la femme, sèche et tannée, coifée de la[147]marmotte n ou mouchoir plié sous le menton, comme les femmes de ces pays vignobles où le travail sous un soleil torride est la règle, présente, comme couleur de cheveux, un ype » intermédiaire. Le fils est brun (1n68) comme un Bordelais ; brune également est la femme du fils, étrangère au pays d'ailleurs. Les enfants sont chatains, un peu anémiés, et la petite fille atteinte d'un commencement de coxalgie.
De tout cet examen médical, il ne ressort aucun fait tranchant de maladies dérivant de l'alcoolisme25: les maladies d'estomac, conséquence du trop grand bien-être, et pas autre chose ; l'anémie, maladie des bourgeois citadins. Toutefois, çà et là, dans la contrée on rencontrerait des cas de strabisme, d'idiotie, de folie même, que les hygiénistes attribuent aux abus de « l'alcool. Mais tous les pays riches en présentent une proportion sensiblement analogue. Le chiffre des réformés de la commune n'a rien d'anormal : deux ou trois sur vingt conscrits. Décidément, les fils et petits-fils de a bouilleurs de cru semblent assez bien résister aux « gouttes » héréditaires. N'y aurait-il pas lieu d'admettre la distinction de M. Bordas, sous-directeur du Laboratoire municipal de Paris, qui reconnaît le danger de l'alcool d'industrie, à cause de l'isolement de l'élément constitutif ; et l'innocuité relative de l'eau-de-vie pure, par suite de l'équilibre de principes dangereux lorsqu'ils sont séparés ? D'ailleurs, l'alcool a 10, 20, 30 et 50f la bouteille ne menacera jamais l'avenir d'une population. L'ennemi vient du nord : le « digestif » des gourmets peut être toujours demandé aux Charentes.
Par une bizarrerie imprévue des Facultés médicales, le danger est plus grand en ces régions pour les buveurs d'eau que pour les buveurs d'alcool. Cette terre crayeuse et perméable n'a que peu de sources. Un vieux proverbe dit qu'autour de Cognac une barrique de vin coûtait jadis moins cher qu'une barrique d'eau. L'été, les citernes se vident, les puits artésiens sont rares et comptent peu ; çà et là quelques puits ordinaires deviennent des centres de propagation de la févre typhoide, endémique en Angoumois.
§ 5. Rang de la famille.
[148] Dans quel sens s'opère la « montée » sociale pour la région de Cognac ? On sait que dans chaque milieu rural ou urbain, il est une hiérarchie conventionnelle, vers laquelle chaque famille cherche à se hausser en une ou plusieurs générations. Tout le corps social français est animé de cette poussée ascensionnelle et il faudrait remonter assez loin dans notre histoire pour y trouver l'attachement instinctif pour la situation où Dieu vous a mis, autrement dit, les « niveaux » superposés et dormants des castes hindoues26.
Un point de vue déjà signalé domine les esprits : la gradation d'après la richesse, devant laquelle a dû s'éclipser, plus que partout ailleurs peut-être, la gradation d'apres le san (noblesse et bourgeoisie locales). Or, pour acquérir le degré supérieur de richesse, n'y a-t-il pas deux voies mitoyennes : la voie ancienne, l'exercice des charges juridiques inférieures (grefes, notariats, etc.), qui ont conservé sur l'esprit paysan leur prestige de jadis ; et la voie nouvelle, extraordinairement facilitée par le mouvement commercial du pays, celle du courtage d'eaux-de-vie, ou même de la direction des maisons de Cognac. Bien plus, la prospérité agricole a élevé les familles sur place, sauns effort pour ainsi dire, créant ce type de paysan millionnaire, et travaillant toujours de ses mains, que la génération suivante ne connaîtra probablement plus. On se hausse en se détachant de l'agriculture ; on s se hausse n encore en la maintenant, d'autant plus que la vigne exige la surveillance directe, etque, par une simple substitution du travail des domestiques27au travail personnel, on prend l'aspect du gros propriétaire riche » vivant presque noblement, mais avec une pointe de rusticité.
La famille étudiée se trouve, nous l'avons vu, encore au stage qui précède la véritable fortune. Trés loin des petites familles de journaliers qui, à l'époque de la crise, ont largement émigré vers les bas emplois des maisons de commerce ou même vers les colonies28, elle ne[149]peut figurer encore parmi les richards » de premier rang, qui composent les dirigeants n de la commune. Cependant, elle a le droit d'aspirer à ce degré dans un temps prochain. Toute rustique encore, sans raffinement intellectuel, lorsqu'on la considère du côté de la mère de famille ou du père de celle-ci, — véritable vigneron des anciens âges, — elle prend, nous l'avons dit, l'aspect de la petite bourgeoisie urbaine du nord, lorsqu'on la voit représentée par le fils, bien mis, accompagné de ses chiens de chasse, et de la bru, coquettement habillée d'après les modêles de la Samaritaine. Maître C*, — qui rappelle un peu le rural des caricauturistes, — tient le centre entre ce passé et cet avenir. C'est son épargne, son goût du travail, sa prudence et sa finesse à profiter du courant des choses qui ont développé le premier et qui préparent le second, fait d'indépendance et de « personnalité. »
Moyens d'existence de la famille
§ 6. Propriétés.
(Mobilier et vêtements non compris)
La fortune de la famille (considérée en bloc, sans distinction des attributions individuelles qu'exige la loi) se décompose ainsi qu'il suit :
Immeubles............ 94,900f 00
A. Immeubles ruraux............ 74,900f 00
1° L'exploitation de X., sise au hameau de X. (commune de Cherves et Breville). Le hameau est partagé entre quatre familles.
Cette exploitation, plus agglomérée que de coutume en cette région morcelée à l'infini, comprend une superficie de 8h 73a 36 d'après le cadastre ; en réalité, elle doit dépasser 10h (30 journaux de 33 ares 33 centiares) d'après l'́évaluation du propriétaire, soit 1h 00 de prairies, 40 ares de terres et 8 hect. (24 journaux) de vignes françaises, à plants directs. Les bâtiments (2,400f) sont en bon état (maison de maître, écuries, grange, chais, etc.). Le revenu matriciel de cette propriété est estimé 120f et les bâtiments sont cotés à 45f. Valeur approximative, 70,000f.
2° 2 journaux de taillis, non attenants, mais sis dans la même commune, 2,400f 00.
3° 1 journal de vignes, dans une commune voisine, 2,500f 00.
B. Immeubles urbains............ 20,000f 00
1° Deux maisons sises à Cagnac, louées à deux locataires. Valeur : 20,000f 00.
[150] ARGENT ET VALEURS............ 32,000f 00
a) Prêts hypothécaires, 4%, consentis a divers, 18,000f 00. — Prêts chirographaires, 3,000f 00. — Total, 21,000f 00.
b) 10 obligations du Credit foncier, 4,500f 00; — 5 obligations à lots de la Compagnie interocéanique de Panama, 500f 00; — 4 actions du Casino de X., 1,000f 00; — 4 livrets de la Caisse d'épargne, 4,500f 00 ; — argent comptant, 500f 00. — Total, 11,000f 00.
RÉSERVES D'EAUX-DE-VIE ET DE VINS............ 2,400f 00
2 hectolitres d'eau-de-vie, 1,400f 00; — 10 hectolitres de vin rouge, 1,000f 00. — Total, 2,400f 00.
ANIMAUX DOMESTIQUES prêtés à titre de cheptel............ 1,560f 00
6 vaches laitières, 1,560f 00
ANIMAUX DOMESTIQUES entretenus toute l'année............ 781f 50
1 cheval, 600f 00; — 20 poules, 50f 00 ; — 1lcoq, 3f 50 ; — 2 canards (couple), 6f 00; — 2 dindes (femelles), 14f 00 ; — 4 mères lapines, 8f 00; — 2 chiens de chasse, 100f 00; — 1 chat, pour mémoire. — Total, 781f 50.
ANIMAUX DOMESTIQUES entretenus une partie de l'année, 200f 00
1 cheval, 400f 00 (pour 6 mois). — Total, 200f 00.
MATÉRIEL SPÉCAL DES Travaux et industries............ 3,744f 00
1° Pour la culture des vignobles, la vendange et la fabrication du vin. — 4 charrues Dombasle, 200f 00; — 3 charrues vigneronnes, l'une à deux chnevaux, les autres à un cheval (neuves), 195f 00 ; — 1 harnais spécial, 410f 00 ; — 1 herse, 30f 00 ; — 2 barres de fer pour planter la vigne, 10f00; — « 6 paloirs, » bêches pour la vigne, 25f 00 ; — 5 « tranches, » bêches analogues pour terrains plus forts, 21f 00 ; — 6 « serpes-taillesses, » 20f00 ; — 8 sécateurs, 35f 00 ; — 20 serpettes, 4f 00; — 1 vaporisateur, 35f 00; — 1 charrette, 150f 00; — 1 tombereau, 120f 00; — hottes, paniers, demi-cuves, 55f 00; — brancard, 5f 00; — 1 cuve, 45f 00; — 60 barriques de 3 hectol. à 20f00, 1,200f 00 ; — 20 barriques de 2 hectol., 200f 00 ; — outils de menuisier et tonnelier, 25f 00. — Total, 2,418f 00.
2° Pour la fabrication de l'eau-de-vie. — 1 alambic de 3 hectol. avec réchauffe-vin, 800f 00 ; — truelles, dalles, etc., 200f00. — Total, 1,000f 00.
3° Pour l'exploitation des prairies, des champs et des bois. — 3 faux avec enclume, 20f 00; — 2 râteaux en fer, 2f 50 ; — 6 râteaux en bois, 4f 00; — 2 tours (instruments pour charger le foin avec leurs cordes), 16f 00; — 2 taille-prés, 4f 00 ; — bêches, 12f 00; — fourches à deux dents, 5f 00; — 2 tridents pour le fumior, 2f50; — 8 faucilles, 15f 00 ; — 6 fléaux, 5f 00 ; — 2 brouettes, 8f00; — 1 volant pour les haies, 3f 00; — 2 haches, 8f 00; — corbeilles, cordes, divers, 15f 00. Total, 120f00.
4° Pour l'exploitation des chevaux. — 2 harnais, 110f 00; — licol, brosses, étrilles, couvertures, 10f 00. — Total, 120f00.
5° Pour l'exploitation de la basse-cour. — Auges, vases et ustensiles pour le service des porcs, poules, canards, dindons, 20f 00. — Total, 20f00.
6° Pour l'exploitation du jardin potager. — Même matériel que pour l'exploitation des champs : cloches, pots à eurs, cordeaux, chassis, 10f 00. — Total, 10f 00.
[151] 7° Pour la confection des vêtements. — Ciseaux, aiguilles, dés, ete., 6f 00. — Total, 6f00.
8° Pour le blanchissage du linge et le repassage. — Buanderie, chaudière, cuviers, 40f 00; — baquet, battoir, brosses, fers à repasser, gril, 7f 00; — divers, 3f00. — Total, 50f 00.
Valeur totale des propriétés............ 135,585f 50
Remarque. — Actuellement, en droit, il conviendrait de distinguer dans cet ensemble six patrimoines distincts : 1° patrimoine de la mêre de famille, à qui appartient le fonds du domaine ; 2° patrimoine du père ; 3° communauté du père et de la mère ; 4° patrimoine du fils ; 5° patrimoine de la femme du fils ; 6° communauté de ces derniers.
En fait, le fils s'est marié sans dot et sa femme également. Le « chef de famille » partage entre son ménage et celui de son fils les revenus de l'année, qui se trouvent divisés en deux parts égales.
§ 7. Subventions.
Les subventions ou droits d'usage atteignent leur plus haute intensité dans les régions de bois et de prairies. Or, cette zone de Cognac était jadis une immense forêt coupée de prairies. Avant l'époque où les armes à feu furent mises en usage, écrit Quénot29, l'Angoumois était un archipel de grandes et petites forêts (dont la Braconne actuelle constitue un important vestige), possédées par une trentaine de châtelains qui relevaient des comtes d'Angoulême et qui avaient sous eux des vassaux possédant fief et des arrière-vassaux, travaillant à la sueur de leur front. Le chemin des Romains, la grande route militaire qui traverse Cherves, était une route forestière, la route de Rome et des pêlerinages, éclairée de loi en loin, pendant la nuit, par les phares (les lanternes) des églises. D'autre part, de temps immémorial, les prés-bas, qui s'étendent sur les rives de la Charente et de ses afluents, étaient soumis au droit de parcours. Cette coutume, jalousement défendue, empêchait le propriétaire d'y faire du regain n et, par suite, des améliorations. Aussi, en 181630, a étaient-elles, le plus souvent, ouvertes de toute part et abandonnées aux seuls efforts de la nature.
[152] Aujourd'hui, il ne reste plus que le nom de a fns bois et quelques bosquets espacés de la forêt ancienne. La vigne et la culture individualiste qui en résulte a tout recouvert, restreignant les biens communaux de Cherves à une parcelle imperceptible : 2 hect. 90. Le droit de parcours survit plus que jamais, mais en dehors du rayon immédiat de la famille étudiée. Cependant, quelques-uns des chepteliers n qui ont reçu d'elle une vache laitière, n'ont pu se livrer à cette industrie que gràce au droit de parcours.sur les basses prairies.
A part l'instruction gratuite, — devenue la forme moderne de subvention, — le travail en vue de l'échange, la rémunératiopn d'après le service rendu et non d'après les besoins, est devenu (avec l'épargne antérieure) le seul moyen d'existence des vignerons de la one de Cognac.
§ 8. Travaux et industries.
Vignerons, en effet, et « bouilleurs de cru, » vendant transitoirement leurs vins aux distillateurs des grandes maisons d'eaux-de-vie, mais bien décidés a reprendre la distillation personnelle si les vins baissent de cours, telle est l'étiquette agricole qui convient à ces ruraux, spécialisés en vue d'un commerce unique, et très diférents des anciennes « communautés, » qui produisaient surtout pour leur consommation directe31.
Le cadre a été décrit plus haut (§ 6), aux Proprietes, puisqu'ici la propriété et la culture — la répartition des bénéfices et l'atelier — coïncident. Un hectare de prés pour la nourriture des chevaux ; 60 ares de bois (sans compter les 60 ares de taillis et les arbres épars) pour le chauffage de la famille ; 40 ares de terres — presque un jardin — où l'on a conservé l'ancien assolement du pays (deux froments, des légumes et du mais); c'est la part de l'agriculture proprement dite, tournée vers la consommation domestique (l'ancien système ne disparait jamais complètement). Mais la viticulture domine le tout : le soin et l'entretien des vingt-quatre journaux de vignes françaises, de plants directs français, sept journaux, datant de quarante, cinquante années et davantage, disposés de façon à ne pouvoir être cultivés qu'à la houe, [153] les dix-sept autres en quinconce, avec un espacement qui permet l'emploi de la charrue vigneronne. Les plants sont les plants fameux : la folle-olanche et le semillon (raisin blanc), le balzac (raisin noir), qui fournit le vin de table, par opposition au vin de distillation, moins connu, mais également estimable.
Plus loin (§ 21) on analysera cette viticulture qui reproduit sans changement (sauf le droguage, ou sulfatage) l'ancienne viticulture des Charentes. Mais il convient de mettre en relief les deux tendances d'esprit qui se font jour dans l'esprit des deux chefs de l'entreprise agricole : le vieillard et son fils unique.
Maître C* se pose en « empirique » résolu. Les livres ne lui semblent pas, malgré son instruction primaire solide, pouvoir lui fournir des indications très précises sur sa « culture à lui. » « La mienne, celle du voisin, celle que vous voyez là-bas, tout cela, c'est chose diférente. Ces messieurs ne connaissent pas mon sol ni la force des gelées en tel ou tel coin. » Ce n'est pas que maître C* n'accepte résolument les innovations. Il a été l'un des premiers à « droguer » ses vignes à l'aide de la « bouillie bordelaise. » Il n'a pas hésité à substituer aux bufs les chevaux, plus rapides, plus capables d'un travail expéditif en quelques journées, ni à se procurer les nouveaux instruments agricoles32. La méfiance, la circonspection, n'en demeurent pas moins le trait dominant de sa « viticulture, » notamment de sa fabrication du vin et de sa distillation.
Le fils, au contraire, a gardé de son contact avec l'enseignement secondaire une admiration non déguisée pour le modernisme agricole. Il lit attentivement le Bulletin agricole publié par MM. les professeurs d'agriculture de la Charente. Les « inventions, » même douteuses, l'enthousiasment. Il est quelque peu inventeur lui-même. Les concours, où il a fait primer certains de ses produits, lui paraissent des épreuves entourées de prestige. Le « Mérite agricole » constituera pour lui une tentation qui lui fera peut-être abdiquer l'indépendance politique de ses pères.
Bien que les travaux de ménage ne semblent pas susceptibles de directions opposées, les deux écoles se retrouvent chez la mère de famille et sa bru. La première, campagnarde presque complètement illettrée, respecte jusqu'à la minutie ces usages immémoriaux, qui emprisonnent comme par des rites toute bonne ménagère. La seconde entend la tenue d'une maison comme le fait communément une petite[154]bourgeoise de ville. Soin, épargne, vigilance, sembleront se ranger, il faut bien le dire, du côté de « l'esprit ancien. »
Mode d'existence de la famille
§ 9. Aliments et repas.
Dès le début du siècle (1816), Quénot signalait que, dans la zone de Cognac, « la manière de vivre du cultivateur s'était beaucoup améliorée et s'était rapprochée de celle des habitants des villes33.... et que le département a toujours passé pour un pays de bonne chère. »
Le raffinement a suivi, sur ce point, une marche ascendante. Les exigences des domestiques et des journaliers forment un sujet banal de conversation dans les familles vigneronnes. Le conscrit des vignobles éprouve le besoin de compléter l'ordinaire du régiment, tandis que le conscrit du Confolentais considère les rations réglementaires comme une bombance inespérée.
Quatre à cinq repas par jour, à base de viande (surtout viande de porc), tel est le menu quotidien dans la famille observée.
A six heures du matin, on « prend le verre : » un morceau de pain avec du « grillon, » de l'échalote ou de l'ail.
A neuf heures, reopas complet : ragoût, tranche de jambon, légumes.
A midi, une soupe, un reste de viande.
A quatre heures, goûter: du pain avec de l'ail, de l'échalote, du grillon.
A sept heures, dîner (souper) : une soupe, une viande, une salade.
Le tout est largeoment arrosé de vin. Un proverbe charentais, dataunt de l'êre de prospérité ancienne, affirmait que, pendant lae sécheresse d'été, « une barrique d'eau valait une barrique de vin. » Aujourd'hui, le vin consommé dans les familles est du vin de « sucre, » obtenu par une seconde et troisième cuvée, après soutirage.
Les repas sont pris dans la cuisine, pièce centrale, trait d'union entre les deux installations. (§ 10.) Quelquefois, l'un ou l'autre emporte sa portion dans sae chambre ou en plein air.
[155] Le service est fait par les femmes, qui s'assoient cependant à la table commune. L'egalité — et même la suprématie — de la femme s'affirme un peu plus chaque jour.
Nota. — Le pain (de froment) est acheté à une panification (boulangerie coopérative) qui est basée sur l'échange d'un sac de blé (ou de sa valeour au cours) contre un nombre fixe de kilogrammes de pain.
§ 10. Habitation, mobilier et vêtements.
La maison proprement dite (les « servitudes » mises à part) se présente sous la forme d'un bâtiment rectangulaire, couvert de tuiles courbes en terre pâle, avec un petit perron et un étage (cinq croisées de façade). Un tout petit jardinet, clos d'une grille rouillée, la précède. Elle ne fait pas, somme toute, mauvaise figure au milieu des blanches constructions, souvent coquettes, qui s'espacent dans l'immense plaine du Bas-Pays.
Lorsqu'on contourne l'habitation proprement dite, les dépendances apparaissent : l'écurie, les hangars, appuyés sur la construction principale : le chai, un peu plus loin, entremêlé avec les autres immeubles du hameau.
A gauche, le potager et la basse-cour témoignent d'un certain désir d'installation encore plus confortable. Des remaniements d'ensemble sont d'ailleurs projetés.
C'est à l'intérieur que se révèle avec le plus de force l'opposition des goûts entre le vieux ménage et les « jeunes, » opposition déjà signalée à plusieurs reprises. La cuisine forme la pièce d'entrée et la zone neutre. Tres propre, toute neuve, avec une haute cheminée, un fourneau à charbon de bois dit « potager » et le luxe de ses chaudrons de cuivre soigneusement frottés, elle attire par son air de propreté.
A droite, le visiteur trouve le domaine des « vieux, » une vaste chambre à solives apparentes, où trônent dans toute leur gloire deux lits à la duchesse, placés côte à côte en lits de pied, avec des ciels à carreaux roses et blancs et des couvre-pieds vert foncé. Devant la cheminée, surmontée d'un crucifix, d'une carte de la Charente et ornée d'une pendule, de globes, de chandeliers, etc., la large table campagnarde entourée de chaises ; le long des murs, un petit bureau avec bibliothèque (livres classiques, romans, etc.), une armoire à linge, un buffet-vaisse[156]lier étalant de vieux Nevers au milieu de plats très vulgaires, plus une fort jolie table Louis XV, formant console entre les fenêtres.
A gauche, « l'appartement » des « jeunes » a réuni les modèles courants de l'ébénisterie et de la tapisserie des « grands bazars. » Lits en noyer, armoire à glace, tables avec tapis, garniture de cheminée, tentures, chaises et poufs de camelote donnent l'impression de la copie trop hative du faux luxe bourgeois.
Rien à dire des autres chambres, sinon que l'une d'elles — celle d'un aieul mort récemment — forme l'antithèse instinctive d'un ameublement de l'autre siècle (lit à colonnes, coffre, le tout d'une extrême simplicité)34.
Meubles. (déjà décrits)............ 3,464f 25
1° Lits. — 2 lits à la duchesse, 2 bois, 60f 00; — 2 paillasses, 50f 00; — 4 matelas, 80f 00; — 2 lits de plume, 60f 00; — 4 couvertures laine et coton, 55f 00 ; — 2 traversins, 20f 00 ; — 2 couvre-pieds, 30f 00; — 2 ciels de lit et garniture, 40f00; — 2 lits anciens, complets, 200f 00; — 1 lit moderne noyer vernis à cylindre, 40f 00; — 1 sommier, 35f 00; — 2 matelas laine, 80f 00; — 1 traversin, 12f 00 ; — 2 oreillers, 18f 00; — couvre-pied, 10f 00 ; — 1 édredon, 20f 00 ; — rideaux, 18f 00; — 2 lits d'enfants complets, 100f 00 ; — 2 lits de domestiques, 130f 00; — 1 berceau (fer), 15f 00. — Tota. 1,073f 00.
2° Mobilier de la cuisine. — 1 table bois blanc, 10f 00 ; — 6 chaises bois blanc et paille, 15f 00; — 1 pendule boîtier, 50f 00. — Total, 75f00.
3° Mobilier de la grande chambre des parents. — 1 buffet-vaisselier, 70f 00 ; — 1 armoire à linge, 60f 00 ; — 1 bahut, 65f 00 ; — 1 table Louis XV, 55f 00; — petit bureau avec bibliothèque, 18f 00 ; — 1 table, 10f 00 ; — 2 tables de nuit, 12f 00; — 1 fauteuil, 8f 00. — 6 chaises, 18f 00 ; — 1 pendule avec garniture, 25f 00; — 1 glace, 5f 00 ; — carte géographique, 0f 50; — 1 cruciix, 0f 75; — divers, 5f00. — Total, 352f 25.
4e Mobilier de la chambre du grand-père. — Chaises, coffres, etc., 25f 00. — Total, 25f 00.
5° Mobilier de la chambre des jeunes gens. — 1 armoire à glace (noyer), 110f 00; — 1 commode avec marbre, 60f 00 ; 1 table à pied, 25f 00; — 1 table de nuit, 25f 00 ; — 2 poufs on tapisserie, 45f 00 ; — 4 châssis noyer, 21f 00; — 1 toilette anglaise, 15f 00 ; — tapis et descente de lit, 30f00 ; — rideaux de fenêtre avec garniture, 50f 00. — Total, 384f 00.
6° Chambres des domestigques, — Tables, chaises, 20f00. — Total, 20f 00.
7° Greniers et débarras. — Malles, baignoires, etc., 35f 00. — Total, 35f 00.
8° Livres. — Livres de classe ; romans ; livres agricoles, etc., 40f 00. — Total, 40f 00.
9° Objets de toilette. — Pots à eau, cuvettes, seaux, brocs, etc., etc., 30f 00. — Total, 30f00.
10° Bijoux. — 2 montres d'homme, en or, avec chaînes, 300f 00; — 1 montre de femme en or, avec chaîne, 160f 00 ; — 1 montre en argent, 55f 00 ; — épingles[157]d'or pour coiffe, 35f 00 ; — alliances, 60f 00 ; — menus bijoux, 20f 00. — Total, 630f 00.
11° Armes. — 2 fusils Lefaucheux, l'un, 70f 00 ; l'autre, 120f 00 ; — accessoires, carnassières, cartouches, instruments de nettoyage, 30f 00. — Total, 220f 00.
12° Voiture et harnais. — 1 tilbury (2 roues), 500f 00; — 1 harnais, 80f00. — Total, 580f 00.
Ustensiles : Solides et bien tenus............ 488f 20
1° Dépendant des cheminées. — Chenets, crémaillères, pelles, pincettes, bancs de fer, 15f 00 ; — tournebroche, 25f 00. — Total, 40f 00.
2° Dépendant du four à pain (non utilisé). — Pétrin, blutoir, pelle pour enfourner, racle pour éparpiller la braise, 60f 00. — Total, 60f 00.
3° Employés pour la cuisson et la préparation des aliments. — 4 chaudrons en cuivre, 30f 00 ; — 2 grandes marmites, 6f 00 ; — 3 petites marmites, 1f 00 ; — 1 grande poêle à longue queue en fer battu, 3f 50; — 4 casseroles cuivre, 15f 00; — 4 casseroles émail, 6f 00 ; — 2 marmites en terre, différentes grandeurs, 1f 50 ; — 1 brasière, 1f 00 ; — 1 gril, 1f 25 ; — 1 entonnoir, 0f 40 ; — 4 terrines en terre, 3f 00 ; — 1 tableau (pour hacher), 1f 25 ; — 1 hachoir, 1f 00 ; — 1 panier à salade, 0f 50; — 1 cafetière à café avec filtre, 2f 00; — 1 moulin à café, 2f 25: — 3 cafetières, 4f 50 ; — 1 grande cuiller à longue queue, 0f 50 ; — 1 cassette, 0f 90 ; — 3 seaux, 6f 00; — salière et poivrière, 0f 60; — 1 broche à rôtir, 2f 50; — 7 plats, faïence blanche, longs et ronds, 7f 00 ; — 2 saladiers, 0f 80 ; — 3 soupières, 3f 00;— 3 douzaines d'assiettes à soupe et plates, 9f 60; — 1 service dépareillé vieux Nevers, 60f 00; — 1 service complet terre de fer (grands magasins), 29f 00; — 10 tasses à café avec soucoupes, 2f 00 ; — 4 douzaine de tasses à café (service), 3f50; — 1 petite cave a liqueur, 3f 00; — 2 salières, 0f 10; — 4 douzaines de fourchettes et cuillers en fer, 7f 00 ; — couteaux, 4f 00; — 4 couteaux de cuisine, 2f 10; — 3 douzaines de verres, 1f80; — 4 carafes, 3f 00 ; — 300 bouteilles, 25f00 ; — 1 crochet (balance), 7f 00; — 6 couverts argent, 90f 00; — divers, 15f 00. — Total, 367f 15.
4° Servant à l'éclairage. — 1 lampe de salon empire (grands magasins), 3f50 ; — 1 lampe à essence, 1f 25 ; — 6 chandeliers, 4f 00 ; — 2 lanternes, 2f 00. — Total, 10f 75.
Linge de ménage : en toile de belle qualité, abondant............ 488f 50
80 draps en toile, 320f 00; — 18 serviettes, 48f 00 ; — 10 nappes, 15f 00 ; — 25 torchons, 8f 00; — 50 sacs, 75f 00 ; — 1 pièce de toile (15 m.), 22f 50. — Tota1, 488f 50.
VÊTEMENTS. — Les vêtements du vieux ménage correspondent déjà à l'aisance paysanne. La tenue des « jeunes » reproduit celle des petits bourgeois urbains............ 1,272f 05
VÊTEMENTS DU CHEF DE FAMILLE (218f 75).
1° Vêtements de céremonie. — 1 pardessus, 10f 00 ; — 1 complet veston, 65f 00; — 1 chapeau de feutre noir, 6f 00 ; — 1 cravate soie couleur, 0f50 ; — 1 paire de gants, 1f 00 ; — 1 paire de bottines, 12f 00. — Total, 124f 50.
2° Vêtements ordinaires. — 1 complet veston, 65f 00 ; — 3 blouses, 5f 00; — 1 gilet de laine, 4f 50; — 1 gilet de coton. 2f 00; — 1 douzaine de chemises en toile, 12f 00 ; — 6 chemises coton, 7f 50 ; — 6 paires de bas de laine, 6f 00 ; — 6 paires de chaussettes de laine, 2f 50; — 3 paires de chaussettes de coton, 1f 50 ; — 1 paire de bretelles, 1f 00; — 2 cravates, 0f 75 ; — 12 mouchoirs de poche, 3f 00 ; — 1 cha[158]poau de feutre, 3f 50 ; — 1 chapeau de paille, 0f 80 ; — 2 paires de souliers, 14f 00; — 1 paire de pantoufles, 1f 20 ; — 1 paire de sabots, 3f 00; — 1 parapluie, 4f 00; — vieilles hardes du grand-père, 15f 00 ; — divers, 5f 00. — Total, 157f25.
VÊTEMENTS DU FILS (400f 50),
1° Vêtements de céremonie. — 1 pardessus, 50f 00; — 1 complet redingote, 80f 00 ; — 1 complet veston, 60f 00 ; — 6 chemises toile fine, 24f 00 ; — 2 cravates, 1f80; — 1 paire de gants, 1f 50 ; — 1 chapeau de feutre noir, 8f 00 ; — 1 paire de bottines, 15f 00. — Total, 240f 30.
2° Vêtements ordinaires. — 1 complet veston, 30f 00 ; — 1 blouse de chasse, 6f 00;'— 1 gilet de laine, 3f 00; — 1 gilet de coton, 2f 00 ; — 6 gilets de flanelle, 8f 00 ; — 12 chemises de toile, 25f 00; — 6 chemises de coton, 6f 00 ; — 4 paires de bas de laine, 5f 00; — 6 paires de bas de coton, 12f 00; — 2 paires de chaussettes de laine, 1f 20; — 6 paires de chaussettes de coton, 2f 60 ; — 1 paire de bretelles, 1f 00; — 4 cravates, 2f 50; — 12 mouchoirs de poche, 3f 00 ; — 1 chapeau de feutre, 2f 00 ; — 1 chapeau de paille, 1f 00 ; — 3 paires de souliers, 24f 00; — 1 paire de jambières, 6f 00 ; — 1 paire de pantoufles, 1f 10 ; — 1 paire de sabots, 1f80; — 1 parapluie, 6f 00; — 1 canne, 3f 00; — vieilles hardes, 8f 00. — Total, 160f20.
VÊTEMENTS DE LA MÈRE DE FAMILLE (186f 90).
1° Vêtements de cerémonie. — 1 châle de cachemire noir, 20f 00 ; — 1 coiffe, 3f 00; — accessoires, 0f 20 ; — 1 ruban, 5f 00; — 1 robe noire avec corsage, 13f 00; — 1 caraco, 4f 50 ; — 1 paire de gants, 0f 50 ; — 1 paire de souliers, 10f 00. — Total, 56f20.
2° Vêtements ordinaires. — 1 robe avec corsage, 10f 00; — 1 gilet de laine, 2f 00; — 1 gilet de coton, 1f 10 ; — 1 brassière, 1f20; — 12 chemises de toile, 45f 00; — 12 paires de bas de laine, 12f 00; — 6 paires de bas de coton, 1f 50; — 4 paires de chaussettes de laine, 1f 50 ; — 1 jupon de laine, 3f 00; — 3 camisoles, 3f 00; — 2 jupons de coton, 3f 00 ; — 6 tabliers, 6f 50; — 3 foulards, 1f10 ; — 4 mouchoirs de tête, 2f 00; — 12 mouchoirs de poche, 2f 50; — 6 coiffes, 8f 00; — 1 chapeau de paille, 0f 30; — 1 paire de pantoufles, 1f 00; — 1 paire de souliers, 10f 00 ; — 2 paires de sabots, 3f 00 ; — 1 parapluie, 3f 00; — vieilles hardes, 7f 00 ; — divers, 3f 00. — Total, 130f 70.
VÊTEMENTS DE LA BRU (307f 90).
1° Vêtements de cérémonie. — 1 mantelet, 12f 00; — 1 chapeau de ville, 6f 00; — 1 robe avec corsage, 30f 00; — 6 chemises fines, 20f 00; — 1 corset, 5f 00; — 1 cache-corset, 0f 90 ; — 1 paire de gants, 1f 10 ; — 1 paire de bottines à boutons, 14f 00. — Total, 89f 00.
2° Vêtements ordinaires. — 2 robes avec corsage, 30f 00; — 2 caracos, 12f 00; — 1 gilet de laine, 3f 00 ; — 1 gilet de coton, 1f 00; — 12 gilets de flanelle, 18f 00; — 2 corsets, 5f 00; — 12 chemises de toile, 40f 00; — 6 paires de bas de laine, 6f 00 ; — 6 paires de bas de coton, 3f 50 ; — 2 jupons de laine, 5f 00; — 2 jupons de coton, 6f 00; — 4 jupons blancs, 10f 60; — 4 pantalons, 8f 00 ; — 6 camisoles, 8f 00; — 4 tabliers, 5f 00; — 3 foulards, 4f50 ; — 1 fichu de laine, 4f 00 ; — 1 chapeau de paille, 3f 00; — 1 douzaine de mouchoirs, 5f 00 ; — 1 paire de gants, 1f 10; — 2 paires de souliers, 18f 00 ; — 1 paire de sabots, 2f50 ; — 1 paire de pantoues, 1f 20 ; — 1 parapluie, 6f 00; — 1 ombrelle, 3f 50 ; — vieilles hardes, 7f 00; — divers, 2f 00. — Total, 218f 90.
Vêtements de la petite fille ET DU PETIT GARÇON (95f 00).
Robes, camisoles, chemises, mouchoirs, chapeaux, souliers, 55f 00 ; — costumes, souliers, chapeau, etc., 40f 00. — Total, 95f00.
Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 5,713f 00
§ 11. Récréations.
[159] La fable du Savetier et du inancier demeurera éternellement vraie. A mesure que le bien-être se hausse, les races — urbaines ou rurales perdent le rire, n la gaieté expansive, pour ainsi dire enfantine. Mais comme le besoin « de sortir de soi est inhérent à l'homme, tout un ordre nouveau de récréations, de passe-temps surgit, consacré par l'imitation des classes supérieures et enviées.
Les amusements d'essence paysanne n — le mot revêt sa nuance de mépris — ont conservé cependant leur prestige tout autour de la famille étudiée. Encore aujourd'hui, comme au début du siècle, les frairies, n ou fêtes patronales d'été, demeurent l'occasion de réunions nombreuses avec danses et beuveries plus ou moins prolongées. Les veillées d'hiver, égayées par leurs facéties traditionnelles, restent le point de départ des accords toujours délicats entre les sentiments et les intérêts.
Mais la famille se tient à l'écart de tous ces divertissements réputés populaires. A la fête locale de la fn d'aout, les deux femmes se hasardent, sans doute, devant les baraques foraines et les tourniquets, sur les vives instances des enfants. L'acte de présence n semble ici nécessaire, comme aux cérémonies des fêtes religieuses. On rentre vite toutefois, moitié par esprit d'ordre et d'épargne, moitié aussi par dédain. Un roman, un voyage à Cognac, une excursion de quelques jours aux plages voisines : Royan, F'ouras, etc., semblent à la jeune femme beaucoup plus en harmonie avec le cant » social, le bon ton qu'elle entend garder.
Quant a Me C* et à son fils, ils avouent l'un et l'autre leur faiblesse assez différente.
Le père, homme d'affaires avant tout, ne manquerait, sous aucun prétexte, son marché du saumedi, à Cognac. Tout le monde l'a rencontré, au milieu de ses pareils, dans le haut tibbury attelé d'un cheval de charrue, qu'il remise à une auberge — toujours la même — près des maisons dont il est propriétaire. Quelques conversations avec les courtiers et les propriétaires sur les cours des vins ou des eaux-de-vie ; une visite à son notaire ou à un établissement de crédit, et le retour à la nuit tombante, voilà le programme monotone de ces journées toujours impatiaomment attendues.
[160] Le fils prise fort également les journées d'affaires à la ville. Mais son penchant l'a décidément entrainé du côté du passe-temps noble entre tous : la chasse. Chiens d'arrêt, fusils, carnassières, encombrent le logis. De longues heures sont utilisées à confectionner des cartouches, et d'autres, encore plus longues, à parcourir les vignobles de la plaine, en quete d'introuvables perdreaux. Ce temps n'est pas perdu. L'hygiène récompense ceux que la chasse trahit.
Histoire de la famille
§ 12. Phases principales de l'existence.
L'histoire de maître C* doit être reprise (§ 3) au moment où, âgé de seize ans, il sortait de l'école évangélique avec une instruction primaire suffisante et un très vif désir de réussir. Son père avait deux autres enfants, un fils qu'il gardait auprês de lui, dans sa petite propriété de Bréville, et une fille, mariée dans les environs. Le cadet fut placé comme apprenti tonnelier chez un patron du village puis, quelques années après, envoyé à Cognac, dans le chai d'un négociant. La perspective d'avenir semblait brillante. L'intelligence du jeune Pierre lui permettait d'espérer la dignité de maître de chai, » c'est-à-dire à la fois l'indépendance et l'aisance. Malheureusement sa santé s'accommodait mal de la vie sédentaire et close. Le plein air lui était indispensable. Il tomba malade. Une compensation lui survint. Le bon numéro, si désiré des conscrits campagnards de ce temps-là, le dispensa du service militaire.
La culture forcément le rappelait, et un seul moyen lui permettait de reprendre avantageusement la vie rurale. Il fallait a trouver une héritière et aller gendre (habiter avec les parents de la femme). Pierre C, guidé par son père, qui n'abdiquait jamais, nous l'avons vu, la toute-puissance domestique, arrêta son choix sur la fille d'un vigneron, veuf et fort à son aise, de Cherves, Francoise D'. Celle-ci pouvait, il est vrai, émettre des prétentions. Elle était fille unique, ayant perdu un frère en Crimée. Pierre C sembla néanmoins un parti sortable ; il avait de l'argent placé, des droits à toucher sur la succession de sa mére, plus l'héritage du «vieux. Il fut agréé. .
[161] L'exlstence du jeune ménage commenca par une assez longue suite d'années sans secousses. Trois enfants survinrent. La guerre de 1870. non plus que le bouleversement politique qui en résulta, ne pouvait y amener de bien grandes perturbations. En sa qualité d'homme marié, Pierre C échappa aux appels des mobiles n et des s mobilisés. En sa quaité d'électeur, il envoya à l'Assemblée nationale le dernier préfet de l'Empire, M. Péconnet. Un seul jour, comme tous les a bouilleurs de cru, il crut son existence menacée, lorsque l'Assemblée supprima son privilège, pour le rétablir d'ailleurs aussitôt. La prospérité ancienne continuait : les épargnes s'accumulaient, contribuant au relêvement financier de la France. Aussitôt apres le 16 mai, que les ruraux charentais avaient soutenu avec énergie, le phylloxéra s'abattait sur les Charentes. Maitre C* et son beau-père plièrent devant le désastre. C'était, en efet, le « désastre, la véritable invasion pour ces populations qui n'avaient pas vu l'autre.
Dans le Bas-Pays, comme dans la Grande Champague, comme dans la Petite Champagne, comme dans les Borderies, les Bois Fins ou communs, les destructions étaient notées avec angoisse, apportant l'arrêt du bien-être pour tous et la misère pour les acheteurs endettés. Les ceps moisissaient, les feuilles bourgeonnaient et se flétrissaient. Bientôt la panique fut à son plus haut degré. De toute part, on arracha les vignes, comme on détruit les bois devant l'incendie. Faute de soins, les vignobles survivants dépérissaient. Pendant deux ans, maître C* fut sur le point de tout abandonner et de reprendre le chemin des chais de Cognac, que l'anéantissement de la production vinicole portait à leur apogée de prospérité. Mais il n'arracha pas. Bien lui en prit.
On remarqua asse vite que dans le Bas-Pays, les têtes — le sommet des monticules — seules étaient touchées. Les bas-fonds étaient moins atteints. Linvention de la a bouillie bordelaise n (e sulfatage) acheva de nettoyer ces bas-fonds qui n'avaient eu aaire qu'au mildev. Par une faveur insigne du sort, maître C* se trouvait dans « l'oasis préservée qui, pendant de longues années, allait alimenter d'alcool véritable les combinaisons du commerce. Les « anciennes Charentes n se perpétuaient sur un seul point, autour de lui et pour lui. Il en profita pour placer avantageusement sees économies, arrondit la proprieté, planta à nouveau, fit batir, achetae des immeubles à la ville, placa de l'argent. Sa réputation d'homme aisé et habile grandit de plusieurs degrés.
Son beau-père lui avait abandonné le gouvernement réel, tout en con[162]servant une souveraineté nominale. Il ne s'agissait plus pour lui que de transmettre sa fortune, chose facile, puisque de ses trois enfants, un seul fils lui restait. L'enfant fut envoyé au collège et revint sans ce baccalauréat qui avait hanté les rêves du père. La loi du 15 juillet 1889 allait exiger de tous les Francais trois années de service. Alfred C' put encore proiiter du volontariat, qui lui valut une année de séjour à Angoulême, au milieu des distrauctions que l'argent paternel lui permettait. A son retour, il avoua à son père qu'un très vif attachement le liait à une jeune fille appartenant à une famille du petit commerce. Malgré sa violente contrariété, maître C* dut fléchir. L'union, après tout, a été heureuse. Les nuages de la première heure sont dissipés entre le fils et les parents.
Actuellement, l'aïeul est mort; des petits-enfants sont survenus. Maître C* n'a plus qu'à continuer paisiblement la route plus qu'aux trois quarts parcourue. Il est le matreˉ. Mais chaque année, il romet bénévolement à ses deux enfants la moitié de ses bénéfices. C'est à la fois une garantie contre l'impatience et une preuve de tendre affection.
§ 13. Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.
La famille de maître C* nous permet de saisir sur le vif la formation de la petite bourgeoisie française, — du moins de la bourgeoisie rurale, qui sert largement à recruter l'autre.
Profiter de la terre la plus merveilleuse de fécndité, peiner résolument, épargner plus résolument encore, se suffire et ménager l'avenir, telles sont les qualités héréditaires qui l'ont pétrie et qui l'ont conduite à un rang secondaire, bien qu'enviable, de bien-être et de dignité. Ces qualités pourront-elles la porter plus loin et plus haut
On lui reprochera évidemment — c'est la mode courante — sa timidité, sa routine à travers le désir d'arriver. A quoi peut-elle tendre ? A jouir paisiblement, à se mélanger, après deux ou trois générations, avec les familles terriennes; peut-être à bifurquer vers les offices judiciaires, vers le paisible commerce des eaux-de-vie qui, dans la zone de Cognac, pénètre l'esprit rural. Tout ceola, est-ce la gentry anglaise Est-ce l'industrie et le commerce anglo-saxons
Au risque d'émettre un paradoxe, le défaut de ces races ne réside pas[163]dans le manque d'initiative et d'esprit d'entreprise. La crise phylloxérique a montré la place que des fils de propriétaires ruinés pouvaient se tailler dans le haut commerce, l'industrie, les fonctions publiques, la colonisation. Partout où la tâche économique est aisée, l'énergie ne peut apparaitre, elle est en réserve, comme l'argent caché qui ne circule que contraint et forcé. — Une autre infériorité, souvent signalée (la stérilité systématique), dépend pour une large part du milieu économique, que l'on considère comme fixe et ou l'on essaie d'établir un équilibre à courte vue. Le changement de milieu modifie ce calcul erroné.
Le mal revet ici une forme plus grave. Il consiste dans la décadence physique nécessaire et dans l'absence de forte éducation morale.
Décadence physique d'abord. Pourquoi, puisque le paysan saintongeais est robuste et soldat d'instinct Par suite de l'esprit d'épargne, qui marie les dots et non les santés. Soumises au régime de sélection à rebours, pas une race ne peut se flatter d'un siècle d'existence. A peine une fainille émerge-t-elle qu'elle est fauchée.
Absence de forte éducation morale, ensuite. Le scepticisme et l'épicurisme peuvent être la conclusion de civilisations brillantes, ils n'en constituent pas la préface. Débauché bon enfant, ou forban impitoyable, suivant le degré de volonté et la tendance du sang, l'individu sorti de ces familles pourra acquérir un nom personnel : il fera difficilement souche de grande race. (Voyez les Valois, comtes d'Angoulême.)
Mais la décadence physique, qui tient à une mauvaise habitude sociale, peut s'arrêter. Les éducations se réforment. Il ne faut jamais désespérer du vouloir humain ni de sa réaction sur la destinée.
Éléments divers de la constitution sociale
FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION SOCIALE PARTICULARITÉS REMAROQUABLES APPRÉCATIONS GÉNÉRALES ; CONCLUSIONS
§ 17. PLACE DE LA PRODUCTION DES EAUX-DE-VIE DE VIN DANS LA PRODUCTION TOTALE DES ALCOOLS EN FRANCE
[181] Il fut un temps où l'eau-de-vie (l'alcool éthylique, de l'arabe a goche, corps très subtil, et des mots grecs aio§, air, et, matière) sortait exclusivement du vin distillé. Arnaud de Villeneuve, professeur à Montpellier, en 1300, n'en distillait pas d'autres. Au xve siècle, O0livier de Serres, dans le eâtre d'agriculture, recommandait de faire de a l'eau-ardent autrement dicte l'eau-de-vie avec les «vins gastés35. Toutefois le procédé s'étend assez rapidement aux sirops, mélasses, grains, lies, bières, marcs de raisin, hydromel, etc., » puisqu'une déclaration royale du 24 janvier 1713 croit devoir l'interdire pour toute autre matière que le vin et le cidre pour la Normandie et les diocêses de Bretagne. En fait, à part le cercle charentais qui dirigeait ses eauxde-vie de luxe surtout vers l'exportation, l'eau-de-vie courante, le troissix (ainsi nommé parce que trois volumes de cet alcool mélangés à trois volumes d'eau font six volumes d'eau-de-vie à 19e ou preuve de ollande, d'après l'aréomètre de Carter, soit 501 d'après celui de GayLussac), se fabriquait dans le Midi. Les marchés régulateurs, jusqu'en 1854, étaient Montpellier, Nimes et Pézenas.
Aujourd'hui, ce marché est à Lille ; la spéculation proprement dite est à la Bourse du commerce de Paris. Les découvertes de Dubrunfaut (1831), de Leplay36, de Champonnois sur la distillation de la betterave,[182]ont été la cause de cette volte-face. La betterave a attiré au nord de la Seine — dans l'ancienne Gaule Belgique — à la fois les profits des anciennes colonies (le sucre), et ceux des anciennes provinces du Languedoe (l'alcool). L'alcool industriel (betterave, mélasse, grains, pommes de terre) détient, dans une proportion formidable, le record de la quantité.
Quelle est cette proportion
Chaque année, l'administration des contributions indirectes (l'une dee grandes sections de notre ministêre des finaunces) publie une statistique minutieuse de la production française, divisée suivant les diverses matières premières. Cette statistique offre la plus grande sécurité, puisque l'administration des contributions indirectes, fondée par la loi du 5 vendémiaire an XII, les décerets des 5 germinal an XII et 1er germinal an XIII, etc., soumet à une surveillance constante, dite « exercice, tous les alambics ou appareils à distiller de France. Seuls les « bouilleurs de cru, » les paysans brûlant directement leur récolte, sont dispensés de eet exercice par la loi du 14 décembre 1875.
Le total annuel est de 2,300,000 hectolitres environ, soit 840,000 pour les mélasses, 740,000 pour la betterave, ou 70 e, à peu pres, et 17,000 pour les vins, ou 0.74 . Le tout est calculé en alcool pur, à 100. Le champ de l'alcool de vin est, comme on le voit, bien rétréei : 0.74 e.,.
Nota. — Au sujet de la consommation, une observation est également indispensable. Les congrès antialcooliques parlent toujours de « l'alcool, n d'une façon imprécise, ce qui n'est qu'une commune mesure entre les boissons à bases alcooliques. Le public ne consomme pas d'alcool pur (sauf les israélites russes du quartier Saint-Paul à Paris), mais bien des eaux-de-vie (voir § 20), des rhums, des tafias, des amers, des absinthes, et toute la série des apéritifs ou digestifs, etc., etc.
§ 18. COGNAC, PLACE DE COMMERCE
Un fait résume l'évolution historique de la petite et illustre cité (2,000 habitants a la Révolution, 18,000 a heure actuelle) : le vieux chateau féodal, commencé à partir de 1450 par le comte Jean d'Orléans (fils de la victime de Jean-sans-Peur), et achevé par le roi Francois Ir, est devenu un chai n d'eau-de-vie : le magasin de la maison O'Tard et Dupuy.
[183] La ville n'est plus qu'une place de commerce d'une primauté tellement incontestée qu'elle a imposé son nom à tout ce qui rappelle ses produits, dans toutes les langues du monde. Il faut un certain efort archéologique pour retrouver les « Salamandres royales37, » mais l'alcool — l'alcool de luxe — s'y retrouve à chaque pas. C'est lui qui a bati Thôtel de ville, autrement dit le château O'Tard-Lavilléon, avec son admirable parc ; c'est lui qui a fait germer du sol les œuvres philanthropiques : l'asile uy Gautier, par exemple. Tout gravite autour de lui.: en quoi consiste le systême d'échanges qui y correspond ?
I. L'ancien commerce de Cognac.
Le commerce des « cognacs » date d'environ trois cents ans.
Au milieu du xv siècle, François de Corlieu, l'historien de l'Angoumois, insiste sur la supériorité des « vins n de la Champaigne38, mais se tait sur les eaux-de-vie. L'exportation de ces vins blancs, pétillants et même mousseux, » qui étaient récoltés sur les ˉBorderies, se dirigeait sur la Hollande et lAngleterre.
Quelques années plus tard, les vins des régions voisines prennent le même chemin, distillés cette fois, car les Hollandais initient le reste de l'Europe à l'abus des liqueurs fortes, que déplore déjà Labruyière. L'exportation hollandaise a laissé comme vestige l'expression de preuve de ollande, qui désigne le degré alcoolique courant des eaux-de-vie de Cognac (50°), sans parler des nombreu vases de Delft disséminés dans la contrée. A la lollande se joignaient naturellement l'Angleterre, et sur les côtesfrancauises ; la Bretagne, la Normandie, la Picardie. Peu à peu s'organisaient, surtout depuis le milieu du xv siècle, les vieilles maisons locales : la maison Augier en 1643, dont le fondateur avait épousé la fille d'un ollandais de la Rochelle ; la maison Martell, en 1705, établie par un Anglais de Jersey ; la maison ennessy, en 1765, d'origine irlandaise ; la maison O'Tard en 1796, etc. Les 9,000« tiercons » de 1775 (le tierçon de ce temps-là mesurait 390 litres) étaient montés à 17,000 vers la Révolution.
Le mécanisme et les débouchés de l'ancien commerce de Cognac sont[184]nettement précisés par la Statistique du département de la Charente, par .-P. Quénot (époque de la Restauration).
A cette époque (1818), l'importance de la place était évaluée à 10,500,000f, soit 25,000 barriques (195 litres) pour l'étranger, et 10,000 pour l'intérieur de la France. L'eau-de-vie de Cognac a toujours été un article d'exportation.
Les débouchés extérieurs étaient : la Suède, le Danemark, les villes hanséatiques, la Hollande, les États-Unis et l'Angleterre.
Le propriétaire viticulteur de l'Angoumois restait le type le plus parfait du bouilleur de cru. Il traitait sa récolte de vin dans sa orûlerieˉ, le petit bâtiment où il remisait sa chaudiere, autrement dit son alambic. Lorsque l'eau-de-vie était faite, il la conservait jusqu'à ce qu'il en trouvat un bon prix (p. 493). Le lieu ordinaire des transactions, entre les bouilleurs decru et les agents des négociants, était le marché de Cognac, le samedi (p. 494).
Ces maisons n de commerce (toujours en 1818) se divisaient en deux catégories. e Six ou huit d'entre elles tenaient la tête et semblaient « en possession de toutes les affaires de l'arrondissement. Toutes, même les plus importantes, présentaient plutôt l'aspect de maisons de commission agissant pour le compte des importateurs étrangers. Certains usages conservés sur les factures des entreprises actuelles en fournissent la preuve : le détail du tant pour cent, du transport, etc., s'y retrouve, bien que depuis longtemps l'opération commerciale soit un achat ferme suivi d'une revente ferme.
Les « crus » étaient déjà nettement séparés : « Il existe une diférence de 2f 50 en plus par hectolitre pour les eaux-de-vie dites de la Campagne.... Au contraire, les négociants donnent aux eaux-de-vie de Saint-Jean-d'Angély un prix moindre que le prix du cours. »
Quant aè ces cours, ils variaient beauucoup suivant les circonstances; ils se sont élevés de 60 jusqu'à 250f (la barrique (ancienne) de 195 litres), et on regardait ce taux de 250f comme très avantageux au commerce et à l'agriculture. Aujourd'hui (février 1818), le prix courant est de 800f ; e'est le point le plus élevé qui ait été atteint de temps immémorial (p. 494). Comme il s'agit d'eau-de-vie jeune, on peut ajouter qu'il n'est plus atteint à l'époque actuelle (300f hnectolitre).
II. Le commerce actuel.
[185] 1° Son importance quantites de produits oendus et valeurs. — La statistique est trompeuse. Si l'on consulte les chiffres fournis par la chambre de commerce (fondée en 18761877) et par l'administration des contributions indirectes, la conclusion évidente est que la place de Cognac (en 1899) subit une crise.
En effet, ces chiffres forment le tableau suivant :
Or, cette crise serait ignorée des intéressés. La perturbation de « l'indice, » en général exact, des statistiques fiscales doit provenir d'un changement de répartition qui nous échappe (à partir de 1897).
La vérité concrète est plus rassurante. Cognac réalise toujours ses cinquante-deux millions d'affaires annuelles pour la ville seule.
2° Direction du courant d'aaires. — Le seul trait exact à relever sur le tableau précédent est le fecehissement de l'exportation et le refux des affaires vers 'iterieur.
L'exportation n'en demeure pas moins considérable. Cognac est tou[186]jours orienté vers l'Angleterre — surtout Londres, la place de réexportation par excellence, — vers la Hollande, la Suède, la Norvège, le Danemark, la Russie, le Canada, les États-Unis et, en un mot, toutes les régions du monde. Le fait frappe les regards les moins habitués aux détauils39: les mesures utilisées correspondent aux mesures étrangeres40; les langues vivantes sont familières aux moindres employés ; les bureaux des sociétés maritimes de transports s'entrevoient dans chaque rue.
Mais lae publicité » parisienne et provinciale montre que les négo ciants songent de plus en plus à ce territoire français, qu'ils ignoraient à l'époque de fiêvre du s pur échange international. D'autres commerces nous ont habitués à ces retours.
La cause de ce resserrement des débouchés est double :
a) Concurrence de certains centres analogues (Allemagne, surtout Hambourg), d'où ne s'expédie que la camelote de la catégorie, souvent avec le trompe-leil de la contrefaçon antifrançaise :
b) Faveur croissante des boissons nationales, 2 gin, whisky, etc.
3° Nombre des maisons de commerce (pour la ville seule). — L'annuaire local indique 153 adresses de négociants d'eaux-de-vie. La nécessité de la réclame semblerait devoir donner à ce chiffre toutes les apparences de l'exactitude ; néanmoins, la recette principale des contributions indirectes accuse l'existence de 193 maisons, plus deux bouilleurs.
Comment accorder ces résultats contradictoires Par cette remarque à savoir que les plus humbles négociants en vins effectuent des opérations sur les eaux-de-vie, et sont classés comme négociants à ce titre, tandis que le nombre de 153 correspond aux entreprises plus réellement spécialisées.
Un total de deux cents maisons englobe donc toutes les catéories, et sur les deux cents, cent cinquante méritent plus particulièrement ce titre.
4° Classication des maisons de commerce. — L'ensemble de ces maisons comprend une aristocratie, un tiers état, une populace — les margoulins, dit la langue du pays, — intermédiaires modestes qui se bornent à quelques milliers de francs d'aufaires.
Deux maisons tiennent la tête : la maison Hennessy (aximum, 24 millions d'affaires) et la maison Martell (maximum, 16 millions). La première de ces deux maisons détient dans ses chais plus de 50,000 hec[187]tolitres d'alcool pur au moment de l'inventaire de juillet : l'actif de son bilan se chiffre par 50 millions.
A elles deux, ces entreprises absorbent la moitie des transactions de la place : 26 sur 52 millions.
Au dehors d'elles, bien d'autres marques respectables et prospères s'echelonnent : les Robain, les O'Tard-Dupuy, les Denis Mounié, etc., etc.
5° Modiffication du commerce â la suite de l'invasion phylocérique.
La monographie du « Bouilleur de cru » nous a familiarisés avec ce grand changement : l'eau-de-vie n'est plus achetée directement, au moins en principe ; c'est le vin qui est devenu l'objet des acquisitions du négociant. L'ancien s agent. n le courtier-acheteur, s'est changé en un courtier-distillateur, brûlant sous la surveillance même de l'entreprise commerciale. Nous préciserons, en analysant la brûlerie n d'un courtier-distillateur, les causes de cette transformation.
II en résulte que les cours qui intéressent les propriétaires ne sont plus les cours des eaux-de-vie, mais les cours des vins. Toutefois, il est aisé de comprendre qu'un certain rapport unit les cours des eaux-de-vie jeunes au cours des vins, sinon, en cas de hausse exagérée de l'eau-devie, les bouilleurs de cru reprendraient vie sous leur ancienne orme.
[188] 6° Cours des anctennes eaux-de-vie — Le cours des eaux-de-vie a subi une montée formidable au moment de la destruction des vignobles.
En efet, si nous consultons la collection du journal l'Ere nouvelle, nous constatons les prix suivants :
Ainsi se vérifie l'importance des placements en eauc-de-oie qu'avaient pratiqués les riches propriétaires.
7° Impôts et fraudes. La régie et ses adversaires. — La régie, l'administration des contributions indirectes, organisée par la loi du 5 vendémiaire an XII et une longue suite de lois et d'arrêts, est, au point de vue administratif, l'une de nos grandes directions générales du ministère des finances (12,000 agents, plus 16,500 receveurs buralistes et 2,000 receveurs d'octrois chargés par l'État de la perception du droit d'entrée). Au point de vue de l'habitant de la zone cognaçnise, c'est la gaboelle de l'ancien régime.
[189] Le mécanisme du droit est connu41.
1° Une taxe de consommation, égale à 156f 25, — txe égale pour toute la France ;
2 Un droit d'entrée (toujours au profit de l'État), percu seulement à l'entrée des villes de plus de 4,000 habitants. A Paris, ce droit atteint 30f (taxe totale : 186f 25) ; a Cognac, 18f 7542;
3 Une licence, exigée seulement des bouilleurs et distillateurs de profession (le bouilleur de cru, le propriétaire brûlant sa récolte, est redevenu libre par la loi du 4 décembre 1875)43.
Ce mécanisme fonctionne sous une double surveillance :
1e Surveillance à la production : l'exercice, la visite continuelle che les bouilleurs de profession, marchands en gros ou en détail, avec la comparaison des entrées et sorties. — Pour les grandes maisons de Cognac, on se contente d'inventaires trimestriels ou même uniques ;
2e Surveillance à la circulation : le passeport, qui accompagne tout déplacement d'eau-de-vie ; acquit-à-caution, lorsqué l'alcool voyage à découvert (avec suspension du droit) ; congé, lorsque le droit est soldé.
Bien entendu, en cas d'exportation vers l'étranger, l'eau-de-vie est exempte de tous droits, saufi celui du passeport ou acquit (0f 60).
Contre l'impôt ainsi compris et ainsi perçu, les principales fraudes peuvent être ainsi résumées :
1P Fraudes des bouilleurs de cru. — Sorties clandestines (meme à laide d'automobiles) ;
2° 'raudes des archands. — Encore des sorties irrégulières, à cause de la tolérance de 7 °/s que les règlements admettent entre les entrées et les sorties (pour coulage ) ;
3° La tire-dacquit, autrement dit l'émission d'acquit ictif. L'acquit est délivré à l'occasion d'une marchandise qui ne voyage pas ou qui voyage autrement qu'on ne l'avoue. Par exemple, un marchand achète d'un bouilleur de cru, et déclare comme vendeur un autre marchand. Celui-ci se trouve déchargé d'une quantité égale. — Il existe à Cognac une petite bourse d'acquits fictifs44.
[190] Le lecteur se rappelle que M. Grandeau estimait à 80 millions la perte annuelle d Trésor par suite des fraudes contre les droits sur l'alcool.
§ 19. LE COURTIER-DISTILLATEUR
Le courtier-distillateur est le /ait materiel ouoeau de la nouvelle période de la production des eaux-de-vie (période postphylloxérique).
Le courtier de jadis, au moins pour la one cognaçaise, était simplement un courtier-acheteur, intermédiaire commercial entre le bouilleur de cru (propriétaire distillant sa récolte) et la maison d'eaux-de-vie45.
Pourquoi s'est-il transformé en distillateur ? Par une raison très simple. Les mélanges entre les vieilles eaux-de-vie et les trois-six du nord (alcools de betteraves, de grains, etc.) s'étaient introduits, comme pratique constante, che la plupart des propriétaires ruraux. Les maisons d'eaux-de-vie, désorientées et ne pouvant plus faire fond sur la loyauté absolue de leurs produits d'origine charentaise, résolurent de faire distiller par leurs représentants directs. D'où l'instaullation des distilleries centrales et la substitution de l'achat des vins à l'achat des alcools comme règle générale.
I. MILIEU46. — Une commune limitrophe de la région dite des ˉBorderies et du Pags-Bas (ensemble des communes non phylloxérées). La place choisie est justifiée par ce fait que le Pays-Bas a été pendant longtemps le seul coin du vignoble charentais où l'on récoltait du vin véritable et transformable en eau-de-vie authentique. En outre, les ˉBorderies et les cantons voisins des Bois et ˉFis-Bois se reconstituent rapidement.
II. MODE D'ORGANISATION FAMILIALE. — L'entreprise est dépendante, malgré le soutien continuel de trois grandes maisons d'eaux-de-vie. Patronat ordinaire. Le fondateur s'est associé avec l'un de ses gendres. Entente purement familiale.
III. CARACTÉRISTIQUE SOCIALE DU CHEF DE L'ENTREPRISE. — Ancien[191]courtier-acheteur ; aspect du propriétaire paysan riche, commercialisé par l'habitude du trafic des eaux-de-vie.
IV. ORGANISATION MATÉRIELLE DE L'ATELIER. — Double villa avec parc, éclatante de blancheur et de propreté, entourée de grilles somptueuses. Une toute petite culture d'un hectare, elle aussi coupée en deux tronçons et également entourée de grilles. La grande route qui conduit à la station a entrainé cette dualité symétrique de l'installation.
Dun côté se trouve, auprès de la villa ne 1, la distillerie ; de l'autre, auprès de la villa ne 2, l'atelier de vendange.
a) Distillerie. Machine à vapeur de 8 chevaux, comme centre.
Sans doute, l'ancien appareil de distillation à feu nu et à trois temps,
décrit par Quénot dans sa statistique, s'y retrouve, comme chez les anciens bouilleurs ; mais le travail s'efectue surtout avec les appareils nouveaux, basés sur l'utilisution des vapeurs et sur l'unité de temps. A cet égard et sans vouloir se perdre dans la technique, on peut consulter avec profit les catalogues d'alambics des chaudronniers-constructéurs de la région.
Une pompe et un puits (l'eau est rare en ces terrains caulcires). En outre, une colonne à rectifier l'alecool en vue des grandes maisons de Reims et d'ÉEpernay.
b) Ateler de vendange. — (Un alambic y est mis en réserve.) Cet atelier a pour raison d'être le sucrage des vins par les propriétaires et aussi les mélanges du cru local avec les vins extérieurs. De même que la fraude des alcools a amené l'achat des vins, la fraude des vins a amené l'achat de la vendange.
Une citerne pouvant contenir 2,000 barriques à 205 litres ; trois pressoirs, d'un système récent ; récipients divers ; un moteur à pétrole de deux chevaux.
V. ORGANISATION COMMERCIALE. — Le courtier, homme de confiance de trois maisons importantes, connu sur la place par son ancienneté et sa loyauté en affaires, étage une triple série d'opérations. .
1° Achat des euv-de-vie anciennes ou récentes (exceptionnellement) et expédition vers les maisons acheteuses. Ce sont les maisons de commerce qui font l'avance des sommes versées, fort importantes. L'eau-devie ancienne se paie couramment 750 a 800f l'hectolitre ; la jeune, 300f 4° Tessa, soit 61e centigrades.
2° Achatdes oins (opération normale). — Ces acquisitions s'effectuent presque entièrement dans la zone charentaise. Les cours, déterminés par les principales maisons, en octobre, sont variables suivant les catégo[192]ries : rande Champagne, Petite Champagne, Borderies, Fins Bois et Bois : par exemple, 65f pour la catégorie n° 1 et 40f pour la dernière. Deux cent mille francs peuvent être avancés d'un coup par le négociant acheteur.
3e Achat de la vendane. — La vendange est achetée récoltée ou même sur pied. Le distillateur se charge alors de la récolte.
En principe, le courtier-distillateur est un faconnier, fournissant l'outillage et recevant une somme fixe par hectolitre (20 f). Mais il lui est loisible de spéculer pour son compte : le vin, par exemple, lui est payé au cours du jour de sa production. S'il a réalisé une acquisition à moindre prix ou s'il a su « enlever n la vendange avantageusement, le bénéfice lui demeure. La plus grande confiance réciproque entre les maisons n et lui, facilite ces opérations. (Règlement à la Saint-Jean.)
Le courtier ajoute d'ailleurs à son rôle dintermédiaire un petit commerce personnel d'eaux-de-vie.
VI. COMPOSITION DU PERSONNEL.
a) Distillerie. — Le patron et son gendre.
Trois hommes, dont un mécanicien (payés 4f, 5f et 6f par jour).
Marche de la distillerie : 8 mois, à partir de septembre.
b) Atelier de vendanges. — Personnel de manœuvres très variable ; de même pour les brigades de vendangeurs (5f les porteurs de hottes ; 2f les vendangeurs ; 1f 50 les femmes).
VII. CHIFFRE D'AFFAIRES ET BÉNÉFIQES. — 6,000 barriques de vin sont traitées par an, soit 1,700 hectolitres d'alcool (à raison de 1 hectolitre d'alcool pour 7 hectolitres de vin) ; plus les achats directs, indéterminés.
L'entreprise pourrait distiller 400 hectolitres de plus.
Bénéfices fort élevés, sur lesquels on se tait, mais que la rumeur publique évalue de 30 à 40,000f (les frais généraux sont peu élevés).
VIII. OBSERVATIONS. — Le distillateur est soumis à l'evercice de l'administration des contributions indirectes. Il est classé comme brûleur marchand en gros, et à ce titre paie patente et licence.
Chaque détail de ses chauffes est relevé, et une tolérance de 7 e est accordée.
L'alcool sort de la distillerie sous acquit blanc à 0f 60 (acquit-à-caution) et se rend dans les a maisons de commerce de Cognac.
§ 20. LA GRANDE MAISON D'EAUX-DE-VIE47
[193] I. MILIEU. — Ville de Cognac (déjà décrite).
II. MODE D'ORGANISATION DE L'ENTREPRISE. — Société en commandite, avec pluralité de responsables. Les associés actuels se divisent en deux groupes, suivant qu'ils descendent de l'un ou de l'autre fondateur de la maison. Il s'agit donc d'une entreprise familiale, d'une union entre deux familles.
La dualité des fondateurs forme presque la règle, imposée par la distri bution des taches. En efet, il faut l'homme de bureau, le tempérament sédentaire, ordonné, attentionné — la ménagère, le ministre de l'intérieur ; il faut l'homme d'activité, d'en dehors, le voyageur parcourant le monde, affrontant la navigation au long cours, familier avec les langues étrangères — le ministre des relations extérieures. Faute de l'un ou lautre de ces éléments, la maison périclite. Il serait facile de signaler ̀ cet égard la décadence de glorieuses forces commerciales.
CARACTÉRISTIQUE SOCIALE DES CHEFS DE L'ENTREPRISE. — Iaute bourgeoisie, três riche : vie large avec pied-à-terre à Paris. Pas de prétention à la vie aristocratique du sport et des grands cercles, que l'on pourrait rencontrer ailleurs.
V. ORGANISATION TECHNIQUE : LES CHAIS. — L'atelier, ici, est représenté par les chais : les « caves, où s'exécutent les manutentions secrètes, et où l'observation vérifie, en dépit des sceptiques, qu'il existe encore des eaux-de-vie charentaises.
Les « chais n comprennent cinq compartiments : 1e la réception des eaux-de-vie et les réserves ; 2° les coupes (ou coupages) ; 3° la mise en bouteilles ; 4° l'atelier de rebattage ; 5 l'expédition.
1° Reception de la matiere première. — La matière première se divise en deux catégories : il n'y a pas à le nier.
Les eaux-devie de vins, les « véritables eaux-de-vie de Cogna, » y figurent pour la plus large part. Les fabricants d'alcool du nord français ou étrangers, de Paris ou de Hambourg, peuvent insinuer le contraire, pour le plus grand profit de leur fabrication puraoment industrielle. Mais[194]la crise phylloxérique touche à sa fin ; il sufit de circuler rapidement à travers la zone charentaise pour apercevoir de tous côtés des vignobles reconstitués. Done le raisin existe, et les distilleries établies dans toue lea petits centres ruraux, d'après une mode nouvelle, prouvent qu'on le distille. a L'acquit blanc, la pièce des contributions indirectes qui sert de passeport aux eaux-de-vie authentiques, n'est donc pas toujours un mensonge, loin de là.
Toutefois, le trois-six, l'alcool industriel de mélasses, de betteraves. de grains, etc., est aussi utilisé. Les « rectificateurs de la banlieue de Paris48ou les « fabricants d'alcool sont en relations discrètes avec la maison d'eaux-de-vie. » L'intermédiaire, l'agent, peut être un entrepositaire installé à Cognac même ou en dehors. à Rouillac, par exemple. Ce peut être aussi un simple voyageur, et même une correspondance peut sufire. L'important est que le trois-six ne se présente pas à la réception sous l'acqauit rouge, qui est le passeport de l'alcool industiel, ou sous l'acquit bleu, qui est le sauf-conduit de l'eau-de-vie et du trois-six mélangés. Le procédé est fort simple. n agent spécial, installé en rase campage, reçoit le trois-six à 90° sous acquit rouge, le mélange avec de l'eau, en le ramenant à 50, puis l'expédie à Cognac sous acquit blanc, par une tolérance de l'administration.
Toutes ces eaux-de-vie, tous ces alcools, transportés principalement par charrois, viennent prendre place dans les réserves, » ces fameuses réserves qui atteignent parfois des quantités formidables (50,000 hectol. d'alcool pur), et qui s'arrêtent ici — l'entreprise, bien que très ancienne, n'est que de second ordre — à 2,560 hectolitres presque entièrement remplis de vieilles eaux-de-vie coûteuses.
Nota. — Dès maintenant, l'observateur apercoit ce phénomène géné-. ral de toutes les industries : paurete du produit de luaxe, truquage de ˉ'article nferieur.
2° Les « coupes. n — L'art du a liquoriste — d'un liquoriste spécial — domine naturellement la préparation des eaux-de-vie. Cet art est détaillé pour chaque maison dans le livre technique du aitre de chais, livre qui porte le nom de livre de coupes (ou de coupages). Ce document révêle les secrets de la maison. Là se trouve, en efet, la combinaison qui plait à tel ou tel client et l'indication précise du prix de revieont, avec la[195]proportion d'eau-de-vie, de trois-six. la couleur exacte (sucre brûlé), la force du sirop (sucre cuit), le degré, etc., etc.
Comme mécanisme de préparation — la variété des formules mise à part — rien de plus simple.
D'abord les bassins où s'effectuent les mélanges initiaux, à l'aide de pompes et de a ruisses n établies sur un échafaudage. Ces bassins sont des cuves debout, en cuivre. Des batteurs, actionnés par les bras ou par la vapeur, rendent la mixture plus intime. Au sortir de ces bassins, une canalisation permet de distribuer les résultats obtenus entre de formidables tonneaux rangés côte à côte et intitulés : a tonneaux de réserve pour mélanges à vieillir. Mais supposons que cette halte soit supprimée. Un tonneau, dit tonneau de départ, va servir d'antichambre au soutirage. Le filtre (molleton et papier à filtre) arrête au passage les dernières impuretés, et comme clôture les dépotoirs gradués, recipients classiques de la mensuration, déterminent rigoureusement les quantités confiées au e tiercons (530 a 540 litres), aux foudres, aux barriques, aux quarts, aux octaves ou enfin aux tireuses de bouteille.
Nous sommes loin, on le voit, de l'époque de crise où certains établissements composaient la a fine champagne avec du trois-six de betteraves et un parfum demandé à l'industrie des produits chimiques. Mais les procédés pour « brunir et vieillir n'ont pas entièrement perdu leurs droits (eaux boisées, amandes, lirsch, extrait de fleurs de vigne, etc.).
3° Mise en bouteilles. — La mise en bouteilles fut une révolution. Elle substituait, en effet, a l'exclusivisme du commerce de gros la simultanéité du gros et du détail ; aux foudres, tierçons, etc., elle ajoutait les caisses de 12 bouteilles de 75 centilitres ( gallons), de demi-bouteilles, de flasls ou bouteilles plates, etc., suivant les pays d'envoi.
Cette mise en bouteilles fait intervenir tout d'abord un chef-d'euvre mécanique : la tíreuse automatiqaute, imaginée par un constructeur local, et arrêtant brusquement le liquide quànd il parvient juste à la hauteour du goulot. Comment expliquer le mystère Simplement par la combinaison d'un fotteur et du principe des vases communiquants.
Mais, par le fait même de cette innovation, toute une série d'industries vont graviter autour du commerce des eaux-de-vie, qui ne commandait jadis que le métier antique du tonnlier : la verrerie. les ateliers de Follembray, Carmaux, Albi, etc. (à Cognac même, une verrerie s'est établie avec un emploi nouveau du moule à bouteilles), la fabrication des bouchons venus des Landes, des paillons également landais d'origine, les capsules d'étain frappées à Bordeaux, les plaques de fer[196]blanc, toujours de Bordeaux, la lithographie locale pour étiquettes, enfin les caisses confectionnées par des caissiers » qui, à Paris, porteraient le nom de layetiers-emballeurs.
4° Atelier de rebattage. — Cet atelier, comme celui des caisses, est en général exploité en régie. Il implique de vastes approvisionnements de bois spéciaux, puis des équipes de tonneliers dépendant directement de la maison et payés à l'heure ou aux pièces. Ici, les approvisionnements de bois ont bien lieu. Mais, au point de vue de sa direction technique, l'atelier est détaché, confié à un entrepreneur qui répond de ses sous-ordres. Raison d'être de cette mesure Une simplification.
5e Epedition. — Les tierçons, foudres ou caisses doivent avant tout être revêtus de la marque ou des marques des négociants. Cette mesure sera expliquée ultérieurement. Les marques sont imprimées ici par des ouvriers (ailleurs, par de petits entreopreneurs façonniers), à l'aide du fer chaud.
La feuille d'expédition est rédigée. Le camionneur — un entrepreneur indépendant — vient charger les colis pour les conduire au port de la Charente.
Dès lors, le transport jusqu'à Tounay-Charente (port d'embarquement) incombe à une curieuse société coopérative de gabariers : l'Union des transports par service à vapeur. Les trente-huit petits patrons qui composent cette Société se sont groupés il y a trente ans, pour ne pas être ruinés par la concurrence de la ligne du chemin de fer des Charentes (actuellement Compagnie d'Orléans). Ce sont des marins de la contrée, habitués au petit cabotage des lles.
A Tounay-Charente a lieu le transbordement. Un agent de la maison le surveille et remet les connaissements. (Remarquez que rien n'empêche d'expédier par un autre port)49.
Les navires exportateurs sont les vapeurs des Compagnies anglaises pour l'Angleterre : la General Steam-Navigation C° notamment ; des bateaux norvégiens, suédois, puis aussi les bateaux de la Malle française pour les Indes, l'Australie. Plus de voiliers francedis. C'est un lieu commun des Sociétés savantes que la décadence de notre marine marchande.
V. ORGANISATION COMMERCIALE : LE COMPTOR. — Le comptoir veut dire le bureau.
a) Achats. — Les achats se pratiquent suivant un mode três simple.
[197] S'agit-il d'eaux-de-vie toutes fabriquées, le courtier, dejà décrit, intervient. Il a ses renseignements tout prêts, ses relations personnelles, qui lui ouvrent les stocls jalousement gardés et lui permettent aussi de négocier les eauux-de-vie jeunes à 4m Tessa, soit 61e, en moyenne à 300f hectolitre (miesure courante pour les alcools).
Mais il y a, en outre, l'achat des vins, pratique par le courtier devenu distillateur par surcroit depuis dix ans. On se rappelle comment le distillateur achète, au compte d'une ou de plusieurs maisons. Le cours se fixe en octobre (toujours à la barrique de 205 litres, mesure courante pour les vins). En fait, les deux plus puissantes maisons, Iennessy et Martell, l'imposent, en le calculant de telle sorte que le propriétaire n'ait pas intérêt à reprendre sa qualité de bouilleur. Les cinq divisions commerciales de la one charentaise entrainent cinq estimations diférentes, que l'étude de la place commerciale de Cognac a révélées : la Grande Champagne, la Petite Champagne, les Borderies, les Fins Bois, les Bois, tel est l'ordre de décroissance, correspondant par exemple à 80f, 70f, 65f, 60f, 50f. La concurrence se devine dans les deux dernières divisions où l'absence de craie a facilité les reconstitutions. Il est aisé aussi de découvrir l'action déprimante des « vins achetés en dehors des Charentes et distillés sur le sol charentais. C'est un apercu des contradictions qui peuvent exister entre la viticulture locale et son grand commerce, autrefois unis sans nuages.
Rien à dire du paiement. Les avances à caisse ouverte facilitent les opérations du courtier. Le règlement peut s'opérer directement à la caisse du comptoir (entre la récolte et Noel).
b) entes. — Les ventes font intervenir une série d'actes plus compliqués. Le commerce de Cognac est encore aujourd'hui largement international, malgré un léger fléchisseoment. Il faut donc le considérer audehors de la France et au dedans.
Au dehors, le système primitif se conserve à l'état pur, avec cette nuance que le négociant d'aujourd'hui n'est plus le commissionnaire de l'importateur étranger. La puissance est entre ses mains. Ses agents en Angleterre, en cosse, en Iollande, en Norvège, en Suède, en Amérique, échangent incessamment avec lui une correspondance compliquée. L'agent le plus important est naturellement l'agent d'Angleterre, car, en ce pays, il ne s'agit pas seulement de traiter avec les grands hôtels, les grands cafés et les marchands locaux, mais avec les réexportateure, clients hors pair. La réexportation surtout fait la force de la place de Londres.
[198] Le procédé de paiement est la lettre de chage, que l'on envoie ou non à l'acceptation du client. Pour l'Écosse, la lettre de change est rédigée à lordre d'une banque. Crédit à trois mois, parfois beaucoup plus long, avec une tendance aux prolongations démesurées, par suite de l'acuité croissante de la concurrence.
La « consignation » — le dépôt des marchandises au loin, sans vente conclue — est pratiquée par certains négociants, malgré ses dangers.
A l'intérieur de la France, le succès dépend d'une publicité coûteuse et bien comprise. Les s agents ne peuvent évoluer qu'avec ce soutien. Le lecteur a pu constater que la classification d'importance des maisons se modifiait radicalement suivant le point de vue du commerce extérieur ou du commerce intérieur. La primauté passe ici de la maison Hennessy à la maison Martell.
Trois observations achèveront cet aperçu : 1° Qu'est-ce que la marque 2° Comment s'établissent les prix 3e Quel est le système du mouvement des fonds 2
1e ˉLa marque. — C'est l'empreinte choisie par le commercant pour distinguer ses produits de ceux de ses concurrents. L'empreinte sur le tiercon, l'étiquette sur la bouteille, portent ces mots : ennessy, Martell, deux, trois étoiles. C'est la marque.
Cette marque est déposée; elle est garantie par la loi, et une bataille très vive se livre autour d'elle sur le marché international.
Elle n'est pas constituée toujours par le nom réel du négociant. I existe des marques fictives. Bien plus, une seule maison peut posséder cinq et six marques. Pourquoi Pour réserver à la signature véritable les hauts produits de valeur incontestée. Certains clients, restaurateurs, épiciers, possèdent d'ailleurs leurs marques et y tiennent.
2° Les pric. — Les prix varient évidemment suivant qu'il s'agit de fûts ou de caisses de bouteilles, — ces caisses imaginées par la Société vinicole et méprisées par les grands commerçants de jadis, qui tous ont changé d'avis.
Le prix des futs, calculé à l'hectolitre (de50 a 59e), peut s'élever aux hauteurs que l'on sait; mais aussi s'abaisser à 250, 200, 180f, parfois même à 60f. (Inutile d'ajouter que la maison monographiée ignmore ce dernier article.)
La caisse de 12 bouteilles peut valoir 120f, 100f, 80f, 30f.
L'art du négociant consiste à présenter au client de n'importe quel pays un prix fixe en bloc (droits, fret, etc., tout compris). La gaucherie des syndicats de productêurs est flagrante, au moment de ces calculs. Il.[199]faut songer, en efet, à toutes les difficultéss accumulées : à la concurrence, à la lutte de plus en plus dure des alcools nationaux, et aux etudes peu adroites des hygiénistes français, qui semblent prendre à tâche la contre-réclame de nos produits. Il faut donc aller au-devant de la clientele et solliciter sa décision d'achat.
3° ˉLe seroice de oanque. — Les maisons d'eaux-de-vie ont leurs banques : Crédit lyonnais, Société générale, d'autres encore. Le systême utilisé est le compte courant. On dépose ses fonds, on fait faire ses recouvrements. Mais bien entendu, pas d'escompte pour les grosses entreprises. Elles sont assez riches pour gagner l'intérêt de leur argent.
VI. COMPOSITION DU PERSONNEL.
a) ˉComptoir. — Un efectif de dopuze personnes : .
Les 4 associés ;
1 cuissier;
23 comptables ;
3 commis à la correspondance (parlant anglais, allemand, espagnol) ;
3 expéditionnaires.
Les traitements partent de 1,200f pour sélever jusqu'à 12,000f et davantage. Les principaux employés (les plus anciens) sont intéressés. D
Les heures de travail vont de neuf heures du matin à six heures du soir, avec la halte du déjeuner. F'ermeture : les dimanches et fêtes.
b) ˉChais. — 1 maître de chais (pièce centrale du mécanisme)50: 450f par mois ;
50 ouvriers, manutentionnaires ou tonneliers ; tantôt payés à la journée, tantôt aux pièces (minimum, f par jour).
ˉMota. — Les femmes ne sont pas employées, malgré l'économie (f 5 par jour).
Au moment de la presse, D on a recours à des équipes fauconnières de metteurs en bouteilles (équipes commandées par un entrepreneur qui traite à forfaitl.
Heures de travail : huit heures matin à six heures soir.
Pendant été, halte. Le noyau » répare le matériel, fabrique des f̂ts d'expédition. Le personnel mobile »» va aux champs. n (Cette halte est marquée paur l'inventaire : en juillet.)
VII. CHIFFRE D'AFFAIRES ET BÉNÉFICES. — Un million d'affaires. Nous sommes en présence de la haute classe moyenne du métier.
La proportion du benéfice brut est de 30, et celle du bénéfice net[200](frais généraux déduits) peut monter jusqu'à 20e. du chiffre d'affaires (12à 15 . pour les établissements moindres). Telle est la raison pour laquelle les maisons d'eaux-de-vie ont résisté à la mise en actions, d'après le mode anglais (à la suite du couturier Paquin ou du cycle umbert, etc.).
Toutefois un point noir apparait : c'est l'importance démesurée des stocls : 2,500 hectolitres pour la maison. Comment l'intérêt de ces stocls est-il calculé dans les frais généraux Beaucoup d'entreprises ne semblent pas se faire de ce calcul une idée nette. Une partie des eauxde-vie rapporte son intérêt par elle-même, en vieillissant. Mais les autres En outre, l'assurance pèse d'un poids lourd, répartie entre plusieurs compagnies pour plus de sécurité.
V. OBsERVATIONs. — Toujours l'exercice de la régie, la surveillance incessante en principe. Mais les plus grosses « maisons n sont crues sur parole. Ici, en efet, la variation des degrés de chaque fût conduit à des difficultés inextricables pour l'inventaire.
La tolérance de 7 %, (évaporation et coulage), très réduite par les procédés modernes de transvasement, donne lieu à des fraudes diverses, notamment la tire d'acquit, la negociation d'acquits fictifs, déjà signalée, qui a des cours spéciaux à Cognac51.
D'ailleurs, la plus grande circonspection doit être signalée dans l'entreprise monographiée, respectueuse de la tradition et autant que possible de la loyauté de jadis.
§ 21. L'ÉVOLUTION DES PAYSANS-PROPRIÉTAIRES DANS LA ZONE DE COGNAC AVANT LA CRISE ET APRÈS LA RECONSTITUTION
La vigne a toujours passé pour entrainer après elle la « démocratisaution du sol. » En ces derniers temps certains ont systématisé les conséquences de cette a loi fatale pour les destinées sociales et politiques de notre pays.
Or, nulle part aussi nettement que dans le vignoble des deux Charentes il n'est possible de découvrir la diversité de nuances qui se cache sous cette spéciaulité en apparence identique, en réalité si multiple, dans le Bordelais et le Bas-Languedoc, la Tunisie ou la Champagne.
[201] Avant l'invasion phylloxérique, le travail de la vigne charentaise enrichissait sûrement le tout petit atelier allié à la petiteo propriété.
Depuis l'invasion, le petit atelier présente toujours les mêmes avantages, mais à condition que le propriétaire a soit riche. De ce côté s'entrevoit une menace de concentration ou, si l'on veut, un recul de démo
I. La viticulture avant 1877
A cette époque, M. Alibert, dans un travail fort précis que Paul Joigneaux publia dans sa Ferme52, dressait, ainsi qu'il suit, le revenu net d'un journal de vignes (33 ares 33 centiares) :
Le producteur, ajoute l'auteur, comme conclusion, n'est couvert de son intérêt à 5e. que par l'adjonction des cultures intercalaires, et souvent même il n'atteoint pas le chire de 5 e..
Mais si l'on songe que presque toutes les dépenses énumérées lui revenaient, parce qu'il travaillait de ses aains auec sa famille53, on est obligé de constater que le 5 %, était atteint et qu'un salaire important, supérieur aux besoins, s'ajoutait à l'intéret.
Et en outre (M. Alibert faisait d'ailleurs ressortir ce fait capital avec une très grande force), la régularité du revenu était presque assurée. « A[202]la différence des vins délicats, les cognacs ont toujours un cours et ils ne sont pas frappés de discrédit, suivant qu'ils proviennent de vins d'une bonne ou d'une mauvaise année. » Le producteur obtient (par la vente annuelle et réguliêre) un capital de roulement, dont les producteurs de vins manquent souvent. IH n'accumule pas, comme ceux-ci (excepté quand il le veut), des réserves forcées et onéreuses.
Telles étaient la culture agreste, la vinification rudimentaire et la régularité de vente qui avaient permis les achats rémunérateurs de la terre à des taux élevés. Alibert estimait le journal de vignes de 1 à 3,000f (3 a 9,000f hectare). Ce chire était fréquemment porté à 4,000 (12,000f hectare) dans la Grande Champagne.
De toute part, les ruraux millionnaires, « travaillant de leurs mains, pouvaient être signalés. » Nous avons sous les yeux une donation-partage de 1868 où le père et la mère de famille répartissent entre leurs deux enfants près de 1,300,000f de fortune, ainsi décomposée :
1,300,000f de fortune et 1,800f de meubles (sans doute un peu diminués pour l'enregistrement), c'est le résumé de tout un état social : épargne prodigieuse et simplicité de vie.
II. La viticulture depuis 1888.
Transportons-nous maintenant à l'époque actuelle, l'époque de « reconstitution. D
Cette période commence par la formation d'un Comite de oiticulture à Cognac. Ce comité, composé des principaux négociants de la région, h̀ peu près sur le modele du Comite de oiticulture de l'Hérault, organise une école de greffage, des champs de démonstration, des champs d'expérience, afin de répandre l'emploi des pieds-mères amèricains réfrac[203]taires au phylloxéra54; en 1893, toute la partie scientifique se détache du Comité pour passer à la ˉStation oiticole, rouage d'État, alimentée par l'État. La Station viticole, unie d'ailleurs au Comité, qui demeure un instrument de vulgarisation (vente de plants, etc.), possède un laboratoire et trois pépinières de pieds-mères, à Crouin, Javrezac et Marsville. Ses recherches visent surtout à la découverte de l'hybride, capable de résister aux calcaires de la Grande et de la Petite Champagne, car jusqu'ici les pieds-mères employés sont frappés, en ces terrains de choix, d'une rapide chlorose (ils jaunissent et meurent). En outre, la Station constitue la carte calcimétrique de toutes les communes : le dosage de la chaux suivant les a compartiments de ces communes.
Supposons, par un optimisme qui est loin d'être justifié, la découverte de l'hybride encore douteux. Supprimons par la pensée tous les espaces désolés qui s'étendent à perte de vue au sud même de Cognac. Là sans doute, la démocratie rurale » a dû sombrer à moitié. Les riches ont tenu bon dans leurs habitations élégantes, vivant sur l'argent placé, profitait de la montée des cours d'eaux-de-vie en réserve, laissant les terres en friches. Les pauvres ont émigré vers les chais du commerce dont la prospérité a grandi avec la crise, vers Paris, vers l'étranger : Gensac-la-Pallue a passé de 1,025 habitants à 890 ; Juillacle-Coq, de 972 à 604, etc., etc.55. Les propriétaires de demi-force se sont repliés vers a l'économie domestique fermée, » tâchant de produire tout ce qu'ils consomment ; les prairies ont été développées et le oeurre des Carentes est devenu une marque renommée aux halles de Paris. — Tout cela, supposons-le, se trouve transformé par une reconstitution genérale, comme les Bois et les « Fins Bois, qui retrouvent leur décor ancien le long des routes et des lignes de fer. Que va-t-il arriver
C'est encore la comptabilité qui nous répondra. Voici les frais de reconstitution d'un journal de vignes (33 ares 33 centiaures) dressés par un spécialiste.
[204] En supprimant l'estimation du labourage, les frais de plantation que le petit propriétaire effectue lui-même et le prix du fumier que fournit l'exploitation, la dépense totale atteint 350f par journal (1,050f par hectare). Le vigneron est obligé d'acheter sa terre une seconde fois 1,050 hectare !
Et l'entretien, maintenant !
Il va falloir combattre : 1e le phylloxéra, par le plant américain; 2e le mildev (maladie des feuilles), par le sulfatage ; 3 l'oidium (maladie des grains), par le soufrage ; 4e° le blaclrot (maladie des grains), par le soufrage avec sublimé.
Les frais de culture annuelle sont ainsi transformés :
Enlevez la taille, les labours, le transport du fumier, — puisque nous supposons le travail de la famille fourni gratuitement56, — il n'en demeure pas moins une sortie annuelle d'argent de 105f 00.
Quelle sera enfin la recette2
La troisième année, cette recette atteindra à grand'peine 2 à 3 barriques, soit 120 à 180f, — à peu près l'équilibre.
[205] A partir de la quatrième année, on peut espérer 10 barriques, soit600f Mais que d'aleal Les gelées, la coulure et.... l'apparition des maladies nouvelles.
La suppression de l'ancienne sécurité est mathématiquement prouvée.
Or, qui peut résister à l'aléu et aux avances longtemps improduc
Le riche — le « capitaliste. »
D'où le recul de la démocratie en cette terre de la démocratie paysanne. Une bourgeoisie rurale, n à réserves solides, sera de plus en plus maîtresse de la propriété et de la culture dans la zone des Cha
§ 22. ESSAIS DE LA CONQUÉTE DU COMMERCE DES EAUX-DE-VIE PAR LES PRODUCTEURS
Toutes les fois qu'un producteur rural ou urbain observe au-dessus de lui un intermédiaire à profits avantageux et surtout formidables, il éprouve une tendance à reconquérir ce haut commerce, qui lui parait un démembrement de sa profession même. Les propriétaires viticulteurs de la one de Cognac ont naturellement passé par cette phase, d'abord au moment de leur époque de prospérité, plus tard au plus fort de leur crise. C'est l'histoire de la Societe oinicole et du yndicat des oticuters des Charentes, — tentatives. que nous choisissons comme exemples, en rappelant quelles ne furent pas iolées.
1° Societe oinicole. — C'est un document asse rare que le premier projet de la « Société des propriétaires vignicoles unis, publié en janvier 183857. IH débute ainsi : Depuis plusieurs années, les eaux-de-vie sur les marchés étrangers ne se vendent plus en raison de leur qualite: leur mérite est dans la marque à feu qui se lit sur le fond de la futaille. Tois maisons dotées de ce privilège, qui n'a jamais eu son pareil sous le régime féodal, accumulent des trésors immenses, tandis que l'humble propriétaire végète dans une médiocrité voisine de la misère et n'est, il faut bien le dire, que le serf de ces hauts et puissants seigneurs.
En conséquence, il fallait proclamer la guerre aux coupages, empêcher que les 7 ou 8,000 tierçons des premiers crus ne soient mélangés aux[206]eaux-de-vie vulgaires et assurer ainsi à ces crus supérieurs les mêmes avantages s que connaissent les vins de Lafite et de Châteauu-Margaux, recherchés à 4,000f le tonneau, tandis que les Sauint-Julien et autres se vendent à peine 2,000f. Le programme était on ne peut plus net, relever les cours, obstinément xés à 105f les 27 veltes (1h 95), par suite du « monopole » de trois entreprises, et les relever par la quadite du produit. Le moyen était une union commerciale des propriétaires (on ne disait pas encore syndicat ni coopérative). La forme de la société étauit une commandite par actions : un administrateur gérant (M. de Salignac), soutenu par un capital de 4,000 actions à 500f, 2 millions pouvant être augmenté (art. 5)58. L'originalité de linnovation résidait dans l'article 23. « Les actions devaient être possédées pour une moitié au moins par les propriétaires vignicoles de l'union ; elles donnaient droit à un intérêt annuel de 5 ., à une part proportionnelle dans les trois cinquièmes des béné̂ces nets et dans l'avoir intégral de la société lors de la dissolution. Un des deux cinquièmes des bénéfices restants était attribué à l'administration et l'autre réparti entre les propriétaires livreurs et associes en raison du prix de leurs ventes respectives (art. 13). C'était une ristourne proportionnelle aux ventes analogues à la ristourne de nos coopératives de consommation actuelles, qui, elle, est proportionnelle aux achats.
La réalité se chargea de modifier quelquie peu le plan de campagne. Tout d'abord, bien que la circulaire eût été signée par la plupart des gros propriétaires locaux, l'épargne paysanne ne bougeae pas : il fallut marcher avec le cinquiême du capital, » et au 13 juillet 1839, date de la première assemblée qui suivit l'exercice de début, il n'y avait encore que 450,000f versés. Ce ne fut que peu à peu, après les bénéfices réalisés, qui. de 45,661f 04 en 1839, s'êlevêrent a 148,770f 17 des 184159, que l'on arriva à affermir la confiance et à atteindre ces trois et quatre millions, considérés comme utiles dès la première heure. A ce point de vue, la réussite fut complète : la gérance de M. de Salignac père, décédé en 1845 ; celle de son fils, Georges de Salignac, décédé le 16 octobre 1864 ; celle de M. Louis de Salignac, commencée en 1864 et continuée après le renouvellement de 186860jusqu'en 1898, furent marquées par une prospérité plutôt ascendante, malgré une sorte de statu quo final. Le chiffre[207]de 400,000f de bénéfices avait été atteint dês 1857. Par ses réserves. son installation luxueuse, la oeiete oinicole avait pris rapidement place parmi « l'aristocratie commerciale, » qu'elle avait eu pour but de dimi
En efet, tel fut le sens de ce succès. La oceiete oinicole fut contrainte de devenir une maison de commerce sous forme de commandite par actions, et pas autre chose. Il lui demeura bien quelques traits de son origine, par cette distribution des deux douzièmes aux actionnairespropriétaires-livreurs- (art. 19 des nouveaux statuts) ; mais elle dut se plier à ces s coupages, v qu'elle avait maudits, bien plus, elle ne s'occupa plus des s crus, D constitua une « marque n respectée, la répandit par tous les procédés en usage chez les entreprises rivales : agents, voyageurs, prix tout calculés pour tous les pays, et devenue initiatrice, elle mit à la mode le « détauil, n ces expéditions de bouteilles en caisses, inconnues jusqu'alors. Ainsi dans les associations ouvrières de production, les ˉLunetiers de Paris, de la rue Pastourelle, n° 6, par exemple; ainsi dans les coopératives de consommation qui réussissent. On part d'un programme novateur, révolutionnaire, et la force des circonstances vous classe, vous a déforme n dans un sens pratique et vous assagit.
2e Sgndicat des oiticulteurs des ˉCharentes. — Par suite du recommencement perpetuel qui constitue l'histoire, les vignerons charentais — le mouvement partit cette fois non de Cognac, mais de Saintes — formèrent, en septembre 1894, un syndicat qui prit le nom de Sgndicat des oiticulteurs des Charentes, et compta bien vite 800 adhérent. Mais, come la loi du 21 mars 1884 interdit aux syndicats d'efectuer des operations de commerce, une société coopérative fut annexée au syndicat en 1895. Cette société s'installa à Saintes, au-dessous de l'hôpital maritime (1, rue du Séminaire), dans les conditions les plus modestes, avec un directeur, un secrétaire et un homme de « chai. D
Quel était le but de ces deux rouages à coup sûr très modernes Mettre en contact le riche gourmet avec les crus » célèbres nettement distincts61. A ce point de vue, la société coopérative a établi une excellente carte des crus des eauux-de-vie ad bouquet charentaises. Le bouquet, en effet, le parfum de la vigne en fleurs, est le lien de toutes les eaux-de-vie oeritables en face de l'alcool (du trois-six) de betteraves et de grain. Il ne[208]roste plus ensuite qu'à classer les diverses origines dans un brandybool (analogue au herd-bool des bestiaux). En fait, ce brandy-bool inetallé à la Société coopérative est un registre où se trouvent catalogués, d'après les zones consacrées, les propriétaires détenteurs d'eaux-de-vie sûres et conformes aux échantillons déposés dans des casiers.
Quels sont les moyens utilisés ? Jugez-en d'après cet extrait du prospectus de vente :
Et l'on ajoute :
1° Les prix indiqués s'entendent de l'hectolitre non logé, rendu en ne gare generale,;
2° Les emballages en caisse, ou les fûts sont facturés en sus du prix
Une pareille simplicité de mœurs commerciales peut-elle rivaliser avec le systême de publicité et d'expédition des grands négociants Evidemment non. Il y a là une œuvre interrompue, qui attend une direction odernisee, elle aussi, et commercialea.
Toujours l'alternative : Commercialisation ou insuccès.
§ 23. LE MONOPOLE DE L'ALCOOL
Quelles seraient les conséquences pratiques des fameux projets de monopole de l'alcool sur la zone charentaise La monographie de l'ex-bouilleur de cru permet de les établir nettement.
Tout d'abord, ces monopoles n'avaient rien de commun avec le monopole des tabacs (ainsi que le faisait très bien remarquer M. Catusse, directeur général des contributions indirectes);' il était impossible d'assimiler le tabac, produit d'une plante qui n'a pas d'autre usage et dont la culture, interdite en principe, n'est permise qu'à un petit nombre de[209]planteurs spécialement autorisée et dans quelques départements spéciaux, et l'alcool, c'est-à-dire s la matière la plus variable, fruits du verger, liquides fermentés, toutes les racines sucrées, toutes les substanees farineuses et amylacées, céréales, pommes de terre, etc.62. Les monopoles portaient soit sur la vente, soit sur la rectification.
a) ˉLe monopole de la « oente controlee, imaginé par M. le professeur Alglave — l'initiateur du mouvement — avait pour bases les deux notions suivantes : 1e avant chaque vente d'alcool, l'analyse d'un laboratoire doit intervenir, afin de constater si l'alcool éthylique n'est pas mélangé d'impuretés (six laboratoires pour la France entiere) ; 2 la preuve de l'analyse et du paiement du droit doit être établie par une petite bouteille d'un quart de litre, dans laquelle l'alcool est obligatoirement enfermé.
1Il est évident que dans l'intérêt même de son prestige à l'étranger, une ville d'exportation comme Cognac pourrait parfaitement posséder un laboratoire d'épreuve, analogue au s banc d'épreuves de Saint-Étienne pour les armes à feu, et aux bureaux où, dans l'ancien régime du travail, on certifiait la bonne qualité du produit. Mais il est non moins évident que la s petite bouteille obligatoire est en contradiction avec les exigences du commerce extérieur, dont nous avons constaté les règles capricieuses. La preuve de l'analyse devrait être demandée à un autre procédé. D'ailleurs, puisqu'il s'agit d'exportation, et que le profit du monopole ne peut s'exercer que sur les consommations intérieures, il n'y a pas lieu de s'inquiéter de la preuve du droit percu. Pour les consommations intérieures, les maisons d'eauux-de-vie n'hésiteraient pas à payer le droit de 4f 30 par litre, imposé aux rebelles du monopole, plutôt que de vendre a lEtat. Mais quelle perturbationl Les catégories inférieures n'y résisteraient pas.
b) Le monopole de rectiication de M. Guillemet ne peut s'appliquer aux eaux-de-vie de Cognac, puisqu'on ne les rectifie pas63, excepté dans le cas tout particulier des alcools de vin destinés à la « champagnisation. » Inutile d'insister, par suite, sur le « monopole » lui-meme, qui serait remplacé pour les eaux-de-vie dites naturelles par une surveillance plus étroite des insaisissables bouilleurs de cru (art. 2 du projet). L'impôt est pour ces eaux-de-vie simplement porté à 4f le litre (100e), par[210]une sorte de retour aux conséquences du système Alglave. L'originalité du système Guillemet s'observerait dans le nord pour les a flegmes de betteraves, de grains, etc.
En résumé, dans un cas comme dans l'autre — disons plus, dans le cas de monopole ou de non-monopole — tout l'efort professoral, législatif et scientifique aboutira à des créations de laboratoires et à l'augmentation des droits, déjà inscrites dans un projet de M. le ministre Caillaux64.
Les nouvelles étiquettes recouvrent le plus souvent de fort vieilles choses.
Notes
1. Au sens étendu du mot : charentaise tout court s'entend des deux Charentes.
2. Voir l'etude de M. Alibert, dans la Ferme de Paul Joigneaux. Voir aunssi l'ouvrage intitulé a le Pays du cognac, de M. le professeur Rava. Angoulême, chen Coquemard (1900).
3. Voir Monographies de communes dans la colleoction des Agriculteurs de France (8, rue d'Athènes); 1° Châteaneuf; 2e le Touche-de-Perigné ; 3e Balzac. Voir également le Manœuvre vigneron de l'Aunis (ˉOuvriers des ˉDeux Mondes, n° 23, 1e série).
4. D́énombrement de 1896. — Les 2,307 habitants comprennent 649 électeurs.
5. Au-dessous de 1 hectare, il s'agit de jardins.
6. V. les Enquetes (Pratique et théorie), p. 24l, chez Alcan, 1900.
7. L'Angoumois n'est qu'un démembrement artiiciel de la Saintonge. V. Saistique monumentale de la Charente, par Michon, p. 26 et suiv.
8. Elles subsistent dans le Confolentais. V. Metayers en comunauté du Confolentais, Ouvriers des Deux Mondes, n° 65.
9. Monographies envoyées aux concours des Agriculteurs de France.
10. La dureté des travaux du vigneron et du laboureur assure la prééminence de l'homme fait sur le vieillard. Voir Partages d'ascendants, thèse de doctorat de M. de Masfrand, où le problème juridique est étudié surtout au point de vue charentais.
11. L'arrondissaement de Confolens — le seul religieux — demenure le seul attaché au gouvernement opportuno-radical (M. Babaud-Lacroze). L'arrondissement de Ruffac, terre poitevine, passe d'un parti à l'autre. Toutefois depuis quelque temps un mouvement de conversion républicaine s'accentue sur le sol charentais. Les anciens chefs s'usent et les e vignes se replantent.
12. Voir Michon, p. 48. Rabelais appelle plaisamment le dialecte angonmoisin ou saintongeois « le Lanternois, » à cause de l'accent trainard.
13. Les villes restèrent catholiques. Angoulême fut saccagée par Coligny. Ravaillac est un instituteur d'Angoulême.
14. Les superstitions sont fréquentes (devins, sorciers, etc.).
15. Telle est la raison d'être du prestige, encore subsistant, des notairos ; le notaire est un directeur de consciences.
16. Le tempérament vindieatif des Saintongeois était signalé dans le curieux opuscule de Ménard, contre les Angoumoisins (16l0).
17. V. Annuaire de ˉCognac (collection de Nouvelles patoises), che Béraud (Cognac).
18. Les roles des assises da la Charente ne contiennent parfois qu'una seule catégorie d'affaires : l'attentat aux mœurs.
19. V. les Mobiles de la Charente par M. Babaud de Monvallier.
20. Société intornationale : 600,000 membres ; pas de loges en FTrance, mais 500 en Suisse.
21. Fondée en 187 ; le docteur Philbert, 34, boulevard Beanumarchais, en est le secrétaire général.
22. Fondée en 897, société protestante.
23. Sociéte du docteour Legrain.
24. La coloniation des immenses forêts de cett vallée de l CGharonte a nécesité l'appel des Poitevins. Dans la commune de Cherves, ce mouvement de doscante existe toujours ; 40 habitants sont originaires de laeVienne, 4 de Daix-evres, 7de la Vendée.
25. Ne pas oublier que les s pays de viticulture sont relativaement moins enclins à l'alcoolisme que les pays privés de vins.
26. L'apparente stabilité du moyen âge est une montée plus lente de génération en génération et non dans une seule vie.
27. Il faut tirer ses domestiques des régions plus pauvres, Limousin, Vondée, etc. Même aux rangs inferieurs, l'individualisme s'afirme.
28. Algérie, épublique Argentine, etc., etc.
29. Statistique du département de la Charente, p. 375.
30. P. 107. V. Coutumes d'Angouois.
31. V. Metayers en comunauté du Confolentais, Ouvriers des Deux Mondes, n° 65.
32. 1899. 320 chevaux dans la commune contre 120 bœufs.
33. Page 338.
34. Dans la « Grande Champagne, » les riches « Champanais » possèdent souvent un « salon, » toujours soigneusement fermé, par respect, et accidentellement transformé en réserves de denrées (légumes, haricots, pommes de terre).
35. Catte idée de a brûler les fruits ou raisins qui ne peuvent se conserver n'explique-t-elle pas pourquoi un assez grand nombre de monastères distillaient de l'eau-de-vie pendant l'ancien régime La dime des vignobles en était la cause.
36. Neveu de Dubrunfaut, mort en 1890. Il n'a rien de commun avec l'illustre fondateur de la Soeiété d'économie sociale.
37. Toutefois la statue de Francois l (eœuvre d'Étex), érigée le 30 ocuobre 1864, occupe la place d'honneur au centre même de la ville.
38. Francois de Corlien, édition 1624, p. 6 et suiv.
39. Les eaux-de-vie sont exportees à 48°, 49° et aussi 58°, 59e.
40. Le gallon (4 l. 54) est l'unite ; le foudre vaut l33 gallons ; le tiercon, 132 : les fâts divers. 89 ; les barriques, 56 ; les quarts, 33 ; les octaves, 18 ; les caisses, 2 (12 outailles. 39 litres.
41. Ce résumé devrait être modifié depuis la nouvelle loi du 29 décembre 1900, sur la réforme du régime des boissons.
42. II faut y joindre l'octroi : 19f80 a Paris, 12f à Cognac.
43. V. Biographie de M. Ganivet, député d'Angoulême.
44. Pour plus de simplicité, nous ne parlons pas de l'alcool dénaturé, destiné à l'éclairage, au chauffage et à certaines industries. La loi du 17 décembre 1897 a abaissé ce droit à 3f ; mais l'alcool est rendu impropre à la consommation par des mélanges de substances nauséabondes.
45. Le courtier-distillateur existait dans la region de l'Aunis bien avant le phylloxéra (V. Monographie du vigneron de l'Aunis, par M. Toussaint, 1858-1860. Ouvriers des Deux Mondes).
46. Monographie d'atelier, d'apres le cadre indique par le vol. des Enquetes. pratiqe et théorie, p. 95, chez Alcan, 1900.
47. Cette etude est rédigée d'après le cadre de la monographie de maison de commerce. V. les ˉEnquetes, pratique et téorie, p. 95, chez Alcan,1899.
48. On appaelle « roctidcateurs » les industriels qui épurent les a fegmes des ferme-distilleries, autreoment dit le premier resultat de la distillation de la bettorave. Les s fabricants achêtent la botterave, la mélasse ou le grain et livrent lalcool tout ractilé.
49. Le port de la Palisse prend une importance de plus en plus considerable. Le reeau de l'Etat s'efforce d'attirer le commerce de Cognac sur la Palisse, aux dépens des gabarirs et de Tounay-Charente (V. Sautistiques de l'Ere nourvelle).
50. Le « maisons » plus importantes ont plusieur maîtres de chais.
51. V. la loi nouvelle.
52. Tome II. p. 338 et suiv.
53. V. § 16, A.
54. Le cépage américain, riparia, rupestris, ne fournit que le pied. La greffe est toujours constituée par les anciens plants locaux.
55. Ici le journal ne vaut plus que 150 fr. Une propriété de Chateaubernard, près Cognac. estimee 20,000f 00 en 1815, 120,000f 00 en 1863, s'abaisse a 15,000f 00 en 878, et est revendue 35,000f 00 en 1895.
56. Ce qui est exagéré, puisqu'il faut que le vigneron puisse vivre.
57. Communique par M. de Jarnac.
58. Le projet fut rapidement transformé et de 44 articles passa à 54. C'aest cette rédaction dênnitive que nons visons (28 juillet 1838).
59. Intérêts et dividendes réunis.
60. C'est à ce moment que le nom de Sociéte vinicole prévalut.
61. Le cru et la marque constituaent les deux poles du commerce de vins et eaux-de-vie (crus du Bordelais et de la Bourgogne ; marques de Cognac et de Champagne).
62. V. Rapport de M. Gillemet, Chambre des députes, session de 1897. N° 222, p.85.
63. P. 133 du rapport.
64. Devenu la loi du 29 décembre 1900.