N° 80.

FERMIERS MONTAGNARDS

DU HAUT FOREZ (LOIRE — FRANCE),

DANS LE SYSTÈME DES ENGAGEMENTS MOMENTANÉS.

D'APRÈS

LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX, EN AOUT 1892 ET AOUT 1893,

PAR

M. PIERRE DU MAROUSSEM ,

Docteur en droit,

Membre de la société d'Agriculture de Saint-Genest-Malifaux.


Sommaire


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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.

Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

§ 1ᵉʳ. État du sol, de l'industrie et de la population.

[397] Il n'est guère d'antithèse plus heurtée, au point de vue pittoresque, que celle de la cuvette sombre de Saint-Etienne, — cette reine des terres noires, — et des verdoyants massifs de montagnes, qui de toute part en ferment l'horizon. Au Sud surtout, lorsque le touriste a dépassé les derniers halls et les dernières cheminées de la cité travailleuse, capitale des armes et des rubans, qui semble mettre sa coquetterie à rappeler en miniature Sheffield ou Manchester, il se trouve, dès la première rampe de la route d'Annonay, dans une sorte de paysage boréal, détaché d'un panorama norvégien. Ce sont les sapins [398] du Nord, les pins, les épicéas, qui tapissent la muraille abrupte de gauche et qui bientôt revêtent presque exclusivement à droite les parois du lit profond où se dissimule un petit torrent ; c'est la brise fraiche des hauts plateaux qui jusqu'à au visage du voyageur ; ce sont les brouillards des sommets qui l'enveloppent bien vite, car il s'achemine vers la région des nuées inférieures, et ce sont des paysans à grands chapeaux, à blouses bleues, profondément distincts de l'ouvrier parisianisé des faubourgs stéphanois, qui descendent en face de lui, derrière leurs vaches laitières, et interrompent un instant, pour considérer de côté ce nouveau venu, la mélopée familière aux bois et aux pâtis de la montagne.

Au bout de deux heures et quart d'une pénible montée, nécessaire pour franchir une quinzaine de kilomètres, le visiteur, que nous transformons ainsi en alpiniste involontaire, se trouvera au point précis de la présente étude : la commune de Saint-Genest-Malifaux, désignée dans les vieux textes du seiième siècle du nom de Saint-Genest en Feugerolles. 45° 20 de latitude Nord et 2e 6 de longitude Est, telle est l'indication du iuide Joanne, et les hauteurs barométriques, que l'on relève au fur et à mesure des ascensions et des descentes rapides, démontrent que l'altitude moyenne oscille autour de 1.000mètres : 1.080 sur les terrasses du château de Saint-Genest, dont les tourelles Louis XIII dominent au loin le paysage ; 990 environ devant l'église du village. De là on arrive sans peine à concevoir le système d'ensemble de cette haute étendue fortement ondulée, tapissant de prairies tous les creux, revêtant de bois noirs toutes les crêtes, et laissant deviner, derrière les épaulements qui s'y succèdent, d'autres cimes plus majestueuses encore : au Nord-Est le mont Pilat qui domine, de ses 1.400mètres d'altitude, la vallée de la Loire et la vallée du Rhône ; au Sud la longue ligne des Cévennes, le pays des Camisards, le Mézenc et la pointe recourbée du Gerbier-des-Joncs. Tous vous sentez sur un des points culminants de l'ossature centrale de la France ; certaines échappées vous ouvrent les vallées de ses plus grands fleuves, les grandes artères de l'ancien empire et de l'ancien royaume ; les sources qui iltrent çà et là, animant les roues d'anciennes scieries transformées le plus souvent en moulinages, prennent au hasard le chemin de l'Ardeche ou du Furens, et alimentent les papeteries langguedociennes ou le « barragc, le grand réservoir de la métropole industrielle du lorez. D'autres, indécises, engagées dans de petits vallons sans issue, s'étalent en mares ou en marćcages[399]dans ces terrains de bruyère dont le défrichement a été la base de la prospérité économique du pays.

Le lecteur, s'il tient à matérialiser cette opposition entre la plaine toute couverte de son peuple d'usines et ces vastes solitudes herbues ainsi que boisées où les petites fermes isolées s'espacent avec cette régularité propre aux pays à famille-souche, n'a d'ailleurs qu'à jeter les yeux sur la carte géologique de France, section de Saint-Etienne, n° 1771. L'accentuation des teintes suit toutes les gammes du rouge, à mesure que l'on s'élève au-dessus du bassin houillier ; tout autour se dessinent les grès et les micaschistes, mais le canton entier de Saint-Genest repose sur une masse prodigieuse de granite pur, avec une barre de pliocène marin entre Saint-Genest et Marthezey quelques raies d'alluvions modernes le long des différents ruisseaux, quelques blocs de porphyre, et des ilots de tourbe : il doit en entier son existence à un soulèvement de roche ignée qui s'arrêta à 1.000 mêtres d'altitude.

Plus encore que tous les autres éléments du milieu, en effet, cette altitude va déterminer toutes les conditions de la vie physique et même sociale. Les montagnes vous transportent au milieu du monde des airs, comme les côtes au milieu du monde des eaux. La météorologie et les phénomènes de l'atmosphère y prennent une importance décisive que les Parisiens se figurent avec peine. Là, en effet, les minces filets de vapeur d'eau qui glissent entre les sapins, les fins rideaux de brouillards qni avancent méthodiquement autour d'une cime, ne sont autres que les nuages mêmes, au milieu desquels vous vous dérobez aux habitants de la plaine. Les vents, terribles parfois, au point de transporter à des diaines de mètres les charpentes des fermes et de faire jaillir les grains des épis de seigle, surtout le vent du Midi, le sirocco, encore tiède malgré son long voyage au-dessus de la Méditerranée, s'y déchainent en véritables souverains. Les orages, sous leur action, s'amoncellent en un instant dans l'éternelle bataille du ciel, et la foudre ajoute chaque année quelque légende tragique aux histoires déjà répétées. Mais la neige surtout, la neige des contrées boréales, épaisse, amoncelée dans les congères »2, vient achever la physionomie des révolutions de l'année : le froid, le vent, la ncige,[400]voilà de quoi se fait l'hiver, l'hiver terrible de ces hautes régions. presque sans printemps, mais non sans automne, qui ont été partagées par un hiver de six mois, voiremême davantage, et un été-automne de cinq à six mois ; l'un âpre, impitoyable, contraignant aux longues retraites dans les habitations bien closes, devant les gigantesques cheminées, où se blottissent frileusement les fourneaux de fonte; l'autre, assez chaud parfois, malgré le rafraichissement des aurores et des crépuscules. Cette division fatale domine tout le régime du travail et le genre de vie même ; elle est révélée auxtouristes de l'été par les petits et grands traîneaux, abandonnés alors au seuil des granges, mais toujours prèts à reprendre leurs courses matinales vers le grand centre marchand de Saint-Etienne, à travers les pentes disparues sous la blancheur uniforme.

Seules alors, comme en Lithuanie, comme dans un gouvernement russe quelconque entre Novgorod et Arlhangel, les aiguilles régulières des sapins, disposées en masses serrées, hérissées de larges rameaux qui craquent sous la neige, mettent la note de leur vert sombre : tout autour, les pins sylvestres, les mélèzes, les épicéas, les ayards ou hêtres, les frênes, mais en petit nombre, les sorbiers éclatants de leurs grappes rouges en automne, esquissent sous l'épais manteau dont ils sont recouverts les formes les plus disparates. ̧à et là, de plus en plus, les vides s'observent dans leur armée encore innombrable : certaines montagnes sont dénudées, d'autres multiplient les clairiêres ; cependant on devine toujours la gloire de la gigantesque forèt de jadis, dont les larges troncs faussent parfois les versoirs de la charrue au moment des défrichements de brandes. Mais le trait le plus caractéristique de cette flore, c'est l'amoncellement extraordinaire des arbrisseaux producteurs de baies, que Le Play signalait comme une source de bien-être inappréciable pour les populations septentrionales : groseillers sauvages, framboisiers, griottiers, ronces couvertes de baies, airelles surtout (myrtiles sauvages) dont les petites feuilles denses tapissent les rochers, puis les champignons variés, parmi lesquels le cèpe et l'orone, les morilles baptisées du nom de « truffes du pays D, le tout emprisonné par la floraison inlinie des fougères, bruyères ou genèts, et parsemé de di;itales pourprées. Voilà qui offre n camp immense pour la ueillette ; voilà aussi qui crée le type social, primitif à coup sûr, du «chercheur d'airelles s, ouvrier sans ouvrage, vgbond déguenillé, qui monte des centres miniers, passe la nuit dans les« bois noirs », autour d'un eu de branches mortes, et, les bouquets[401]chargés de myrtiles sur l'épaule, redescend, après quelques jours de cette existence agreste, vers la vie civilisée.

Trait curieux, cette merveilleuse netteté qu'offre la flore ne se présente nullement lorsque l'observateur cherche à analyser la faune de ces ihlands. La race des vaches laitières n'est pas une : les diverses variétés qui semblent se donner rendez-vous en ce point unique, restent disparates, mélangées, abâtardies. La zone paraîtrait devoir rentrer dans le vaste domaine de la race salers (petite taille, robe rouge) qui, aux confins de l'Allier et de la vallée de la Loire forézienne, vient heurter la blanche robe du Charolais. Mais différentes importations, dont le but a été surtout de surexciter le rendement et non la qualité de la production laitière, l'introduction simultanée de taureaux hollandais et tarentais (les deux écoles comptent des adeptes), ont peuplé les pàturages de sujets biarres3, que l'extraordinaire métissage des reproducteurs actuels, constaté par l'auteur au comice agricole de Saint-Genest (28 août 1892 et 2 août 1893), ne peut que rendre plus désordonnés. Lemouton, accessoire presque insignifiant de ces contrées rigoureuses, n'a pas été l'objet des mêmes essais de sélection ; c'est le mouton d'Auvergne, petit de taille (0m,400m,60), à fortes cornes contournées en spirale chez le maûle : la plantation des pâtis communaux en a réduit le nombre, que limitait déjà le coûteux hivernage de six mois. La chèvre commune, plus agreste, résiste davantage et, par petits groupes de deux à trois, dépasse comme total l'ensemble de l'espèce ovine : elle donne lieu à une fabrication assez restreinte de fromages analogues à ceux du Mont-Dore. Le porc, ou plus exactement la truie, importée du Bourbonnais et engraissée pour la consommation domestique, constitue moins un mode d'exploitation agricole proprement dit qu'une préface des préparations culinaires. Poules, canards, dindons, réduits au strict minimum, témoignent de l'impitoyable dureté des saisons : là, comme dans les jardins potagers, les espèces s'éliminent peu à peu et ne conservent leur variété que par des tours de force de sollicitude (§ 24). Les lapins domestiques retrouveraient bien vite le sort des lapins sauvages, que la neige, aidée d'ailleurs par le fusil des montagnards, a détruits malgré des tentatives d'acclimatation répétées. Le froid tue le gibier, sauf quelques lièvres nomades ; le chasseur doit se résoudre à attendre patiemment le retour des cailles. La vie sauvage elle-même se restreint dans son expansion : la[402] mouche des « bois anime seule, l'été, l'obscurité des couverts ; les oiseaux chanteurs sont clairsemés, sauf les corbeaux, presque aussi multiples que dans tel paysage d'Écosse, à Abbotsford par exemple. L'hiver, les loups ne peuvent eux-mémes trouver de fourrés dans les hautes colonnades des troncs lisses sans cesse ébranchés ; et seul « l'homme des bois, variété de l'espèce des « ducs, fait retentir son appel régulier, qui semble le cri d'un homme perdu dans la neige et le brouillard.

Dans ce milieu social, ainsi nettement dessiné, dans ce canton dont les 15.000 hectares ont désormais leur topographie générale comme esquissée par les développements précédents, parmi cette population estimée par le dernier recensement à 8.342 habitants4, un régime du travail uniforme devait s'établir, résultat direct de la nature des lieux caractérisée par ce double élément : production spontanée des bois, voisinage des centres industriels. « Lorsque j'entrepris la transformation agricole de ce pays (début du second Empire), écrit le baron de Saint-Genest5, la grande affaire des fermiers était l'exploitation des forèts et les charrois qui perdaient leurs attelages ; les femmes, et bon nombre d'hommes, cherchaient un supplément de recettes dans l'industrie rubanière. Les bois, les rubans façonnés au métier, surtout ce métier primitif désigné du nom de « basse-lisse, telle était la production locale, fournissant les matériaux de l'industrie du bâtiment et de l'industrie minière, et alimentant les comptoirs, les magasins » des fabriques collectives, centres naturels des 4.000 métiers. Bien réduite se trouvait ainsi l'agriculture véritable : les petites fermes produisaient le plus possible de seigle pour la nourriture des habitants, tâchant d'écarter la famine par des récoltes suffisantes ; le foin se vendait, la paille se vendait aussi, quelques vaches labouraient et fournissaient des fromages d'un débit difficile ; les beufs souvent les rempla̧aient, par suite de la supériorité de leur force, qui soutenait plus facilement les perpétuels transports. »

Actuellement, une révolution presque complète s'est opérée par la clairvoyance et l'énergie de l'homme éminent dont nous venons de citer les paroles. Le voisinage des villes de houillères et de leurs populations condensées lui inspira cette pensée toute nouvelle, rendue réalisable par le percement des routes : de canton mondagne qui doine aint-'ienne doit être le grand producteur de lait pour cette cité de[403]117.000 âmes. Il organisa le premier convoi matinal en 1857, et aujourd'hui, en trente-cinq ans, la surface entière des sept communes est couverte de prairies, qui repoussent et anéantissent presque les cultures ; les lourdes voitures chargées des « biches (seaux de inc contenant le lait) drainent le long de tous les sentiers et des grandes artères la traite de la veille, pour arriver aux laiteries urbaines, régulièrement approvisionnées. Le lait est devenu, avec le bois, l'une des deux sources de prospérité de la race : l'un et l'autre se font rigoureusement équilibre dans le total des revenus annuels.

Donc le régime du travail actuel se décompose ainsi qu'il suit : en industrie agricole et industrie rubanière.

Industrie agricole.

1° Les bois, qui ont conservé leur mode d'exploitation antique : maintenus en réserve par les propriétaires : noblesse, bourgeoisie ou personnes morales (hospices et communes) ; les fermiers du propriétaire se chargent de l'abatage et du transport en scierie, moyennant l'abandon des écorces et branches, et cela pour une zone déterminée, annexe de leur ferme : ils rémunèrent à leur compte les journaliers agricoles suivant les saisons (§ 25).

2° Les fermes ou exploitations rurales : le mot ferme est ainsi employé dans un sens général, comme synonyme de domaine.

Au centre des organisations agricoles, s'espacent des « terres » encore fort importantes : la terre de Saint-Genest, autour de laquelle le bourg s 'est aggloméré peu à peu, et qui, cn ce siècle peut-être plus qu'en tout autre, a maintenu son rôle traditionnel par la révolution agricole dont elle a été le levier, aussi bien que par la tutelle sociale qui s'y est exercée ; la terre du « Bois », avec son manoir envahi jadis par Mandrin, qui a passé par alliance des Quanson aux Costa de Beauregard et par achat aux Phillibert de Fontanès ; la terre de La Faye, démembrement de l'antique baronnie montagnarde, aux mains d'un agriculteur distingué, M. Courbon-Lafaye, etc., etc. Chacune d'elles, comme les « terres » de la France entière, comprend château et dépendances, réserve d'expériences, fermes enfin, de 13 à 30 hectares (maximum réduit de tous les pays laitiers). Çà et là, pullulent les domaines, assez nettement aggglomérés, d'une infinité de petits propriétaires, paysans parfois riches et cultivant eux-mêmes, journaliers-pro[404]priétaires surtout dont le travail de bûcheron forme l'occupation capitale. Tout cela, grandes terres ou patrimoines modestes, est conservé, au moyen de la pratique la plus énergique possible, étant donnée la loi française, de la transmission intégrale, caractéristique de la famille-souche (Stamm-familie).

En résumé, les deux points extrêmes de l'échelle des exploitations rurales seraient représentés par les types suivants :

A. — Grandes fermes, comprenant :

Superficie des terres, pâtures et près des grandes fermes (15 à 17 vaches) (§1)
Superficie des terres, pâtures et près des grandes fermes (15 à 17 vaches) (§1).

15 à 17 vaches ; cultures très spécialisées : seigle, pommes de terre, avoine, trèfle: ou bien :

Superficie des terres, pâtures et près des grandes fermes (14 à 16 vaches) (§1)
Superficie des terres, pâtures et près des grandes fermes (14 à 16 vaches) (§1).

B. — Petits domaines, analogues au borderies limousines6, de 2 à 3 hectares, même au-dessous, avec 3 ou 4 vaches laitières.

ans tous les cas d'ailleurs, même dans les fermes les plus fortes et les plus compliquées, un cumul de métiers divers : auberge, entreprise de transports, négoce quelconque, vient restreindre encore l'agriculteur pur ». e lecteur sait déjà que le petit propriétaire est bûcheron.

Industrie rubanière.

L'industrie a profondément pénétré les habitudes de cette population, chezL laquelle les longs hivers multiplient les bras inoccupés. Elle y a revêtu ses deux formes successives : la « fabrique collective n, le grand atelier ».

1° Fabrique collective. — les 4.000 métiers de jadis sont réduits à 4)0. Cependant le comnis en soie », — le représentant fixe du négociant, qui de Saint-tienne domine les ateliers en chambre par[405]l'expédition de la matière première, par l'exécution de certains travaux, et même souvent par la propriété du matériel. — reste toujours un personnage fort respecté. Une « maison » surtout a conservé le monopole de ce vieux mode de fabrication, qui résiste victorieusement, grâce à l'extraordinaire abaissement des salaires (0f 75 à 1 franc pour 10 heures de travail). Cette sorte d'ateliers, où figurent presque exclusivement les femmes, présente les trois catégories de métiers : métier de basse-lisse, réduction du métier à tisser qui déroule une unique pièce ; métier tambour, qui, par le mouvement rythmé de la « barre D, fait circuler six ou douze navettes dans les six ou doue chaînes parallèles ; métier Jacquart enfin, plus lourd, plus pénible, dont le système de cartons compliqué permet de tisser, en même temps que l'étroite bande du ruban, les noms et adresses du fabricant, les dessins, les portraits même. L'article « décoration spécialement se fabrique en ces chambres enfumées, à tous les étages des hautes maisons du bourg ; les fots multicolores qui seront plus ard : ordre d'sabelle, Saints-Maurice et Laaare, Pie IN, Grégoire le Grand, médaille de sauvetage, médaille militaire, Légion d'honneur, s'échappent de là pour courir à travers le monde, au-devant des actions d'éclat ou des honteux marchandages (§ 27).

2° Manufactures. — La manufacture gagne du terrain ; la manufacture, non plus urbaine qui a remplacé au milieu du siècle l'organisation précédente, traditionnelle par essence, mais la manufacture rurale qui remonte le chemin parcouru à la recherche des salaires inférieurs. Deux manufactures de tissage, toutes deux au cheflieu communal, l'une comptant 20 métiers et adonnée à l'article chapellerie ; l'autre réunissant 30 métiers marchant à la vapeur, plus particulièrement consacrée à l'article caoutchouc (jarretières). De plus, au nombre de 4 à 5, isolés en pleins champs, à la place des scieries abandonnées7, les « moulinages », filatures de cette branche du tissage des étoffes, voient passer devant leurs dévidoirs la grande majorité de la population féminine, non sans prejudice pour la race en

Dans les cadres ainsi déterminés, contrée d'abord, organisation du travail ensuite, comment va se répartir la population ? Si nous en croyons le dernier recensement (1891), les résultats des sept communes du canton seraient les suivants :

Répartition de la population entre les sept communes du canton (§1)
Répartition de la population entre les sept communes du canton (§1).

[406] La « circulation des habitants, pour ainsi dire, — la rapidité de développement des unités familiales et le départ des individualités détachées, — semble fort aetive. Ce massif de montagnes constitue comme un réservoir d'hommes, un de ces réservoirs qui renouvelle les familles épuisées des cités et repeuple lentement la France, de concert avec telle ou telle province, Auvergne et Bretagne. Les naissances sont élevées, et le total ne s'accroit pas ; point d'agitation à la surface, pas de montée régulière des familles les mieu douées ; les classes semblent figées en leur antithèse, noblesse très restreinte, peuple et bourgeoisie modeste, unies par une assez grande analogie de mœurs. C'est qu'une émigration constante pousse au dehors les remuants et les actifs : une continuelle descente s'opère vers les villes industrielles, où le montagnard se transforme en mineur, passementier, verrier, — la gamme entière du prolétariat révolutionnaire ; — çà et là, les individualités les plus hautes apparaissent à Paris, à Lyon, dans les grands centres, à tous les degrés des classes libérales et surtout du clergé.

Ce mouvement est nettement prouvé par trois documents. D'abord, ce tableau de la population de la commune-tête, le chef-lieu de canton, pendant la dernière période décennale, démontre l'accroissement.

Population de la commune-tête, le chef-lieu de canton (1882-1891) (§1)
Population de la commune-tête, le chef-lieu de canton (1882-1891) (§1).

Le stationnement du chiffre total et de la répartition est établi ainsi qu'il suit par le dénombrement de 1891 et les dénombrements précédents.

Répartition de la population lors des dénombrements de 1872, 1886 et 1891 (§1)
Répartition de la population lors des dénombrements de 1872, 1886 et 1891 (§1).

Répartition de la population entre les diverses professions (1891) [§1]
Répartition de la population entre les diverses professions (1891) [§1].

[407] La conséquence, l'émigration, se devine entre les lignes du tableau suivant, qui donne la répartition des habitants au point de vue de l'âge et de l'état civil :

Répartition des habitants au point de vue de l'âge et de l'état civil (§1)
Répartition des habitants au point de vue de l'âge et de l'état civil (§1).

L'ensemble de ces populations se distingue par un trait caractéristique qu'il convient de signaler dès le début de l'étude : au point de vue des croyances et du respect des hautes classes, elles sont restées, à bien des égards, au point où se trouvaient les populations rurales de la France au milieu du dix-huitiême siecle (§§ 21,22,23). Mais le voisinage d'une ville importante, avec laquelle les communications s'établissent sans discontinuer, a apporté dans les mœurs, notamment au point de vue du costume, un exhaussement » dont l'observateur reste frappé.

Le choix du type permettra de faire défiler devant le lecteur les différents éléments de la constitution sociale. En effet, au point de ue social, la famille étudiée représente la moyenne rigoureuse et réalise bien le type parfait (§ 18). Au point de vue économique, il ne peut en être de même : l'exploitation, la ferme qu'elle détient, — c'est une famille de laitier, — ne vient pas au premier rang par l'importance de ses récoltes et le nombre de ses bestiaux ; elle ne donne pas à elle seule l'i [408] dée la plus haute de l'agriculture locale. Mais elle offre cet avantage inappréciable de nous placer à la bifurcation, pour ainsi dire, du « fermier » riche et à peu près spécialisé dans la culture, du bûcheronmanœuvre, établi dans une borderie et louant ses bras pour l'exploitation des forèts voisines, enfin de l'industrie rubanière, car la fille aînée rapporte chaque mois un salaire assez élevé, d'abord d'un moulinage et plus tard d'une manufacture de tissage du pays. Le lait, le bois, les rubans : nous sommes à un point stratégique, à l'intersection des trois éléments de la vie économique du pays.

§ 2. État civil de la famille.

La famille se décompose ainsi qu'il suit :

1°ANTOINE H***, dit L***, chef de maison............ 46 ans.

2°CATHERINE M***, sa femme............ 40 —

3°MARIE-ANTOINETTE H***, leur fille aînée, ouvriére d'une fabrique rurale............ 14 —

4°MARIE-ROSE H***, leur deuxiéme fille, bergère............ 12 —

5°ANTOINE H***, leur fils aîné, berger chez sa grand'mère............ 10 —

6°JOSEPH H***, leur deuxième ils, berger chez un voisin............ 9 —

7°ANDRÉ H***, leur troisième fils............ 7 —

8°CLAUDE-MARIE H***, leur quatrième fils............ 1 an 1/2

Cette famille, fondée depuis dix-sept ans (date du mariage du père et de la mère), offre les éléments distinctifs de la famille-souche, en ce sens qu'elle est issue de deux autres familles organisées d'après ce type social ; cependant, c'est au moment de la transmission de la ferme et du cheptel que se dessinera nettement le caractère de sa constitution (§ 18) ;.

Les parents d'Antoine H*** étaient fermiers sur le territoire même de la commune. Sept enfants naquirent de leur union : deux garçons, fermiers l'un et l'autre ; cinq filles, mariées à des journaliers, à des propriétaires ruraux et à de petits commercants du chef-lieu. L'émigration, on le voit, avait été peu utilisée.

Il n'en a pas été de même de la famille de la femme. Le père, fermier et « scieur », c'est-à-dire préposé à la direction d'une de ces petites scieries de la montagne qui disparaissent devant la concentration industrielle, fut obligé de recourir à « l'essaimage » vers la plaine et les centres du tissage ou de la houille, pour nourrir ses treize enfants, quatre garçons et neuf filles. Un fils est resté avec la mère ; mais[409]un second est ouvrier à Saint-Etienne; deux autres sont morts, dont un au service ; les filles survivantes, car là aussi des pertes assez sensibles ont frappé coup sur coup cette famille, sont placées comme domesiques à Saint-Chamond ; une est mariée dans le Rhône, une dernière est à Paris, où elle a épousé un boucher établi. Nous saisissons ici le trait dominant de ces populations : la descente continue vers la plaine et les grandes villes, l'exil sans esprit de retour qui conduit parfois vers des situations meilleures, le plus souvent vers la vie précaire des ateliers agglomérés de nos jours. Par cette dispersion à la recherche du pain quotidien, un ou deux enfants seuls restent au foyer : eux seuls peuvent être utiles jusqu'à la mort des parents et prendre alors la continuation de leur tâche. Ainsi, par la force des choses, — le rationnement du sol, l'exode des jeunes, — s'est constituée cette famillesouche, dont les vestiges sont semés tout autour de nous.

Comme particularité sur les noms de baptême, il convient de relever ce fait, non observé dans la famille étudiée, du très fréquent emploi des noms de Régis et de Marius pour les garçons. Régis évoque le souvenir de saint Fraņois de Régis, dont le sanctuaire de la Louvesc, au cœur des montagnes de l'Ardèche, est le centre, incessamment visité, de nombreux pèlerinages. Marius est le masculin de Mariel et assure aux enfants la protection de la sainte Vierge. Voilà un rapprochement que des lettrés parisiens des plus subtils auraient malaisément découvert.

Les surnoms sont courants : spirituels parfois, empreints souvent d'une moquerie toute gauloise qui leur assure un succès difficile à faire oublier.

§ 3. Religion et habitudes morales.

Lorsque vous pénétrez dans la salle basse, presque souterraine, de cette petite ferme isolée à la lisière des sapins, deux faits, assurément fort édifiants pour les observateurs épris des mœurs archaliques, viennent vous rappeler la distance prodigieuse qui vous sépare des milieux athées et révoltés des grandes villes. Accroché aux poutres du plafond, au-dessus de la table où se prennent les repas en commun, apparait un autel minuscule, comme ceux que les enfants pieux s'achè[410]tent dans les imageries du quartier Saint-Sulpice, un crucifix domine le tout, une sainte Vierge en plâtre l'accompagne, puis tout autour de petits chandeliers de plomb, du papier doré, des brins d'herbes, simulent l'ornementation des chapelles catholiques. Au fond, couvrant toute la paroi de la muraille, une vingtaine de photographies dans leurs cadres moirés de brun représentent, non pas des silhouettes massives de montagnards en habits de fête, mais des profils délicats d'enfants luxueusement mis : toute une famille de bienfaiteurs appartenant à une classe dominante, révérée. C'est presque le trone et l'autel : le culte du Dieu traditionnel et du « château » ; deux religions qui s'ajoutent et s'accroissent l'une l'autre l'une manifestée par les prières à haute voix, les chapelets récités aux veillées d'hiver, les « benedicite » avant la nourriture quotidienne ; l'autre, par le dévouement entier, le « loyalisme, pour ainsi dire, à l'égard d'une race à qui le commandement héréditaire semble appartenir.

0r, il n'y a là, au moins dans le premier de ces deux sentiments, qu'un trait général, commun à toutes les familles de ce massifmontagneux, formé par l'intersection de la Loire, de la lIaute-Loire et de l'Ardèche8: la foi s au catholicisme », foi assez raisonneuse et nullement superstitieuse comme dans les campagnes limousines, épurée peut-être par les nécessités de la lutte contre les sectes protestantes des « Camisards n, domine avec un sérieux et une rigueur, qui contrastent assez étrangement avec le cléricalisme n un peu superficiel des ouvriers des villes9. Ainsi que le démontre M. l'abbé Ribet, en un livre philosophique : ˉonnéte aoant tout10, le catholicisme a pénétré ces masses, dictant dans la plus large mesure les coutumes de la vie privée et publique : les habitudes intimes de la famille n'en sont pas seulement dominées, au point que le culte domestique y a conservé toute sa force primitive, avec son luxe d'images dévotes et de petits reliquaires ; mais les pratiques extérieures, accomplies dans l'église par roissiale, la confession auriculaire et la s communion des espèces transformées par la présence réelle, sont considérées comme un devoir strict aux principales fêtes de l'année ; le respect humain s'exerce en un sens inverse des tendances courantes dans ce groupement social, où « confrérie de l'apostolat », confrérie des enfants de Marie, confrérie de aint-Louis de tiontague, saisissent, au sortir de la pre[411]mière communion et du catéchisme, enfants, jeunes hommes et jeunes filles. A peine quatre ou cinq indifférents, — le libre-penseur serait un phénomène de réprobation universelle, — se tiennent-ils à distance de l'acte de profession publique exigé dans la période pascale. Bien plus, les manifestations collectives et en masse se traduisent de temps à autre par les missions prêchées par des ordres monastiques ; missions qui se terminent par des processions gigantesques, véritables fêtes locales, précédées de vingt ou trente cavaliers, réunissant parfois, derrière le clergé et le conseil communal, jusqu'à 3.000 personnes. Et nous ne parlons ni des pèlerinages inspirés par l'usage, le pèlerinage de la Louvesc, que chaque fidèle, homme ou femme, s'empresse d'accomplir, avec une ponctualité attribuée par les sceptiques parisiens aux seuls adorateurs de la asba; ni des vocations religieuses incessantes, multiples, détachant de toutes les familles des individualités d'élite vers les congrégations de femmes, hospitalières ou enseignantes, vers les congrégations d'hommes, surtout les Maristes, et vers le clergé séculier (§§ 17,19 et 20).

Ce n'est pas tout : bien que nous soyons sur le terrain même qui a vu surgir entre nobles et paysans les luttes sociales marquées par les grands jours d'Auvergne (il suffit de descendre jusqu'à la métropole pour constater la bonne justice que les parlementaires anoblis de Paris avaient faite du château féodal de Saint-Priest), l'attachement à la famille des anciens chefs locaux, les barons de Saint-Genest, se manifeste ici, — sur ce point particulier, — avec une force qui semble réservée aux habitants des highlands d'Ecosse pour leurs chefs de clans. L'incessant souvenir, répété à chaque ferme, de cette autorité sociale disparue il y a vingt ans, le baron Louis de Saint-Genest, le « réformateur de l'agriculture locale », révèle ce sentiment bien évanoui ailleurs : le respect affectueux à un pouvoir légitimé par l'exercice héréditaire. Les fêtes du a château » deviennent les fêtes de la contrée tout entière. Qu'il s'agisse de la réception des jeunes mariées, à qui l'on o ffre le « vin d'honneur », ou des mariages célébrés dans la basilique paroissiale, les foules s'amassent, dressent les arcs de triomphe, déracinent même les sapins pour les planter le long des routes, au grand désespoir des agents voyers. Le « mot d'ordre » politique vient de là : l'opinion du chef naturel devient l'opinion générale ; et, malgré un lent aflaissement qui tend à se produire, elle maintient chez ces montagnards, désireux de vivre en paix avec les puissances et sans convictions politiques tran[412]chées, le vote machinal en faveur des candidats de la légitimité pure11.

Saisie dans ce grand ensemble puissamment discipliné, la famille étudiée, qui isolée céderait vraisemblablement aux habitudes ambiantes après une courte période de résistance, se présente avec tous les dehors de la cohésion traditionnelle.

Le respect du père, sanctionné par la religion, se manifeste encore, malgré l'usage de ce tutoiemet que l'invasion du français introduit peu à peu dans le patois local: le placement des petits bergers et des jeunes ouvrières des moulinages s'opère de par sa volonté redoutée, sans qu'aucune résistance individuelle ose s'insurger contre cette autorité un peu rude, mais inclinée décidément vers une tendresse plus consciente d'elle-même. Le groupement familial est un ; il faut un maître : tel est le sentiment de tous; et des observateurs fixés depuis longtemps dans le s pays noir », nous ont affirmé que le plus souvent l'opinion générale était défavorable à la femme corrigée manuellement au nom de la puissance maritale. Il ne reste à celle-ci que la répercussion sur les bambins de tout âge, et elle en use.

Que formera cette éducation De robustes montagnards, agglomérés en groupes nombreux, car ils ignorent la stérilité systématique aux manières un peu frustes pour ceux qui les entourent ; des natures loyales, franches, sauvages, méfiantes à l'égard de l'étranger rencontré par asard, peu portées à la politesse de certaines races du Midi et de l'Ouest de la France, mais gaies, heureuses de vivre, reconnaissantes à qui les sert, d'un dévouement patient, sans éclat ; mal préparées à la lutte héroique et ouverte, mais capables, en 1793, de cacher et finalement de sauver « le citoyen Saint-Genest », ci-devant baron ; amies de la paix sociale et du travail, ́prises d'un pouvoir fort, abhorrant procès et chicane, au point que, sans une commune plus batailleuse que les six autres, la petite justice de paix, continuation du bailliage ancien des seigneurs, chômerait faute de clients ; de meurs douces et honnêtes, malgré la pratique ancienne de l'industrie en chambre, malgré l'invasion constante de la concentration des usines, grâce à une opinion publique ferme, grâce aussi à des confréries confessionnelles, qui vont jusqu'à payer la journée » des filles pauvres, pour les écarter de tel contact dangereux ou de telle pente mauvaise.

[413] Mais cette éducation déracinera-t-elle le « vice national », pour ainsi dire, le vice général, vice des pays pauvres et froids, Russie, Norvège, Angleterre, lcosse, l'alcoolisme, qui a fait surgir les maisons de tempérance d'Edimbourg et des villes anglaises, et quine soulève ici qu'un blâme bien modéré en face de l'infinie variété des restaurants, cafés et débits, échelonnés en jalons sur chaque route ou condensés au chef-lieu Les joyeuses beuveries » du chef de famille aux jours de fête ne permettent pas de le supposer. Le moyen de persuader à ces hommes, souvent mal nourris et bloqués pendant des semaines par la neige, que l'idéal de la vie ne consiste pas à emmagasiner, sous la trappe à bascule de leur cave, le vin ou l'eau-de- vie pour se réchauffer pendant les tempètes d'hiver Comme en Bretagne, des dévotes se rencontrent, respectées pour leur vie irréprochable, mais qui n'ont jamais pu rompre les relations trop réguliêres avec leur bouteille d'eau-de-vie de marc. Quelques cas de delirium tremens en résultent çà et là ; quelques crimes domestiques, même quelques êtres difformes, de loin en loin, victimes de l'ivrognerie héréditaire ; toutefois, la race dans son ensemble n'en a pas encore souffert.

Il est deux palliatifs contre l'alcoolisme : la substitution du vin de raisin pur aux alcools des usines et aussi l'instruction, qui, en élevant et compliquant les goûts intellectuels, détourne du plus grossier des vices énumérés par Luther. L'instruction, gènée pendant de longs siècles par l'idiome montagnard12, a été largement distribuée, et distribuée par le clergé lui-même. Celui-ci n'a pas voulu laisser détacher de son domaine la supériorité intellectuelle, et depuis de longues années il a absorbé l'enseignement par ses congrégations d'hommes et de femmes ; il l'a répandu pour en guider le courant. Jadis, les Béates, sorte de religieuses isolées çà et là dans les hameaux, avaient trouvé la véritable formule de l'enseignement primaire dans ces pays où les communications se trouvent coupées dans la période hivernale. Depuis que les lois de 1882, qui ont entraîné dans le reste de la France une vive impulsion scolaire, ont exigé, par leurs prescriptions un peu trop rigides, la concentration des établissements d'instruction, les « Béates » ont dû céder la place aux «écoles, préexistantes d'ailleurs, mais grandies par cela même : Frêres Maristes, pour les garçons ; sœurs de Saint-Joseph, pour les filles. Les premiers, écrasant l'école d'Éat, les secondes[414]ayant empêché jusqu'à la création d'une concurrence, ont fait « monter, pour ainsi dire, l'idée religieuse et morale, à mesure que les idées, les meurs, s'élevaient vers une complication plus grande. Le chefde famille et sa femme savent lire et écrire, ce que ne sauraient pas forcément les membres d'une famille symétrique dans telle contrée réputée libérale. Les livres pieux, triés avec soin, sont les seuls qui tombent entre leurs mains. Les journaux, peu lus d'ailleurs, ne sont achetés que lorsqu'ils restent attachés à l'ancien ordre de choses. La vieille tradition religieuse, morale et politique, a su se maintenir au niveau du siècle.

Mais, au sortir de ces impressions de l'école, la pratique de la vie viendra encore consolider la confiance du montagnard dans les vieux rouages de sa constitution locale. Par qui sera-t-il guidé dans ses travaux agricoles2 Précisément par la famille qui exerca jadis le pouvoir seigneurial. C'est elle qui, par une initiative hardie, a pris la direction du mouvement économique, grâce à elle, une idée, combattue comme impraticable, a porté à son maximum le bien-être de tous ; à chaque pas son exemple se retrouve, fixant la tradition du travail de la terre, qui existait à peine avant elle et qu'elle a en réalité fondé. L'agronome éminent qui en était le chef a créé l'enseignement professionnel du travail rural sans frais, sans déplacement, sans utopies. l'ous sont venus se ranger, riches fermiers ou laboureurs modestes, sous l'influence déjà lointaine pourtant de cette autorité bienfaisante, de ce patronage utilitaire, qui. jugé infaillible dans les petites choses, est demeuré tout-puissant sur les grandes.

La conclusion de cette page de psychologie sociale semblera un paradoxe. Cest parce que l'Eglise et la famille dirigeante ont su changer à temps la justification de leur primauté, que cette primauté, en cet ilot rural moins immuable qu'on ne le suppose, a conservé sa force.

§ 4. Hygiène et service de santé.

Toute la richesse sanguine de cette race brune et musclée, moyenne de taille, un peu lente d'allures, mais carrée et résistante, se retrouve dans la famille étudiée. Le chef d'abord, plutôt au-dessous de la moyenne (1e60), ancien garde mobile de l'armée de la Loire et de[415]l'armée de l'Est en 1870-71 ; la femme, plus grande, plus forte (1m63), s'épanouissant dans la santé franche et gaie des montagnardes, ignorant la préoccupation et la maladie ; les enfants, tous superbes, massifs d'une lourdeur bien portante et faite pour humilier les anémies des villes.

C'est que ces Arvernes, — descendants plus ou moins transformés des Celtes qui attaquèrent César avec le plus d'acharnement irréconciliable, — habitent les régions à l'air vif et riche, le pays des « cures d'air », des sapins et des larges brises fraîches, que les habitants des cités de la plaine vont chercher en s'installant dans les chambres étroites pendant deux mois.

Les s gars », robustes cavaliers et marcheurs intrépides, versés tour à tour par le recrutement dans le train des équipages, la cavalerie, les chasseurs alpins, n'ont que rarement à bénéficier de l'exemption pour infirmités et vices de constitution. Sur 26 jeunes gens présentés en 1889, 23 ont été déclarés bons pour le service, 26 sur 30 en 1892 (les résultats manquent pour 1890 et 1891) ; proportion, 87 . Les femmes, malgré une légère décadence à cet égard, se font encore un jeu de leurs nombreuses maternités, élevant sans faiblir des troupes de six, sept, et dix enfants.

A peine deux ennemis apparaissent-ils contre cette uniormité de vigueur : la malpropreté, entretenue chez cette race par une foi inébranlable dans l'antiseptie naturelle, la malpropreté que l'exemple des Flandres semble rendre incompatible avec les contrées laitières, et qui ici, — peut-être par retlet du ton de la terre d'Auvergne, — jette une couche sombre sur les intérieurs, assombrit même les toilettes, simplifie à outrance les ablutions personnelles, et restreint même au-dessous des limites permises la confiance dans la mode courante de l'bydrothérapie. Puis aussi, plus dangereuse pour l'avenir, car elle parait être grosse de menaces, la manufacture, l'usine agglomérée, le moulinage principalement, où toutes les fillettes de dix à dix-huit ans, au moment de la croissance et du développement des forces, subissent un affaiblissement par le surmenage, capable d'étioler peu à peu la race et de la condamner à une prochaine diminution de valeur.

D'ailleurs, l'organisation de l'assistance et du service médical, en avance sur les nouvelles mesures législatives, est venue parer aux cas les plus pressés. Aux remèdes traditionnels, que les bonnes femmes conservent çà et là (les tisanes de « cloportes » contre l'hydropisie, les[416]pigeons ou poulets vivants appliqués contre les pleurésies fréquentes de ces régions de transitions brusques), aux rebouteux, ces chirurgiens empiriques quelque peu doublés de sorciers, les subventions cantonales versées par les conseils municipanux des i communes ont ajouté la régularité d'un service médical orthodoxe, en assurant à l'unique praticien un traitement fixe qui atteint 4.000 francs. Ici encore l'initiative était venue des deux autorités unies pour le gouvernement de cette petite contrée, décidément bien à part. Le « château avait longtemps été le centre des secours accidents ou épidémies le trouvaient toujours disposé aux interventions personnelles et aux appels complaisants des médecins du chef-lieu. L'Eglise avait agi avec non moins de prudence. Ne pouvant exercer, par elle-même et d'après ses canons, le soin des corps, qui a toujours servi, depuis les miracles évangéliques, à la transformation des âmes, elle a créé la seule pharmacie du pays, comme dépendance de son hôpital ; et, dans cet hôpital même, elle a organisé les secours aux malades atteints d'aflections graves ou incurables, aux vieillards, aux enfants abandonnés ; en un mot, protection de l'enfance, de l'invalidité et de la vieillesse.

Seule, — et ce fait prouve la récente formation de la tradition agricole, — la race des vaches laitières semble un peu abandonnée des prescriptions de l'hygiène. Les hémorragies provenant de l'anémie de cette variété, transplantée de loin, semblent assez fréquentes. IDes accidents au moment des vêlages sont signalés. Le vétérinaire est loin, coûteux, et les hommes d'expérience, fréquents en certains milieux ruraux, restent clairsemés.

§ 5. Rang de la famille.

Le lecteur sait déjà la place qu'occupe la famille étudiée entre les diférents types sociaux de la contrée.

Au milieu de fermiers, ouvriers-tenanciers suivant l'étiquette exacte, cumulant parfois quelque autre profession, aubergistejou marchand au milieu de bucherons, journaliers-agricoles » isolés dans leurs petites borderies ; enfin au milieu d' « ouvriersrpassementiers, chefs de métier en leur atelier dépendant de la fabrique collective ou simples journaliers d'une usine, elle représente une combinaison mixte. puisant sa vie à ces trois sources opposées.

[417] L'exploitation qu'elle détient ne permet pas de la mettre au niveau supérieur des a fermiers ; bien au contraire : ses vaches laitières restent peu nombreuses sur des prairies trop étroites, que l'absentéisme du propriétaire ne permet pas de développer par le défrichement des brandes. Mais, par contre, s'il ne faut pas lui demander les pratiques les plus judicieuses de l'agriculture locale, il faut la placer au-dessus de la race des bûcherons, des manœuvres, qui n'atteignent ni son indépendance ni son bien-être. Enfin la « vie de l'usine », à laquelle est soumis l'un de ses membres, la fille aînée, ne constitue qu'un stage. une préparation à l'existence rurale par l'acquisition de la dot, absolument comme le « placage en condition » ; la vie rurale ne voit pas de ce côté diminuer sa primauté.

Ce sont, en effet, des paysans, des paysans-montagnards que nous avons devant nous, avec outes les vertus morales de leurs pareils, et leurs défauts aussi, surtout le penchant aux libations copieuses, c'est la fécondité de la race, suivie de locations d'enfants, ou expulsions temporaires hors du toit ; c'est la pauvreté, les dures privations, l'acheminement par le travail et la ténacité à l'épargne qui permettra l'établissement de tous.

La montée d'une classe à l'autre ne leur apparait nullement comme une nécessité. Vivre, voilà le grand point : l'acquisition d'une ferme plus vaste qui permettra d'utiliser les bras des enfants devenus plus forts, tel est le moyen. Comme terme suprème, mais derrière l'inconnu des années à venir, peut-être l'achat de quelques terres : la propriété de ce sol, qui garantit considération et sécurité.

La tige, la « souche » même de la famille restera stable. Quelques individualités s'en détacheront peut-être, entreprenant l'exode progressif vers les cités, à travers la vie ouvrière et ses déboires, le petit commerce et ses angoisses, filière progressive et insensible qui conduit à la déchéance dans la misère ou au bien-être des degrés supérieurs. Pour elle, serrée auprès des tiges » similaires, elle formera toujours cette puissante réserve de forces économiques et morales paysans, prêtres et soldats.

Moyens d'existence de la famille

§ 6. Propriétés.

[418](Mobilier et vêtements non compris).

Immeubles............ 0f 00

La famille ne possêde aucune propriété immobilière et ne songe pas à la possibilité immédiate d'en acquérir.

Argent............ 10f 00

Aucun argent placé, au lieu des économies assez importantes de l'entrée en ménage. Les épizooties et la survenance des enfants ont été cause de cette disparition. La somme ci-dessus indiquée représente le fonds de roulement de l'entreprise.

ANIMAUX DOMESTIQUES entretenus toute l'année............ 584f 70

Le fermier doit être propriétaire de son cheptel : vaches laitières, chevaux, etc.

1 vache race hollandaise, 200f00 ; — 2 vaches et 1 génisse, race salers (robe rouge), metissées de race ollandaise, 300f 00 ; — 3 brebis, 60f 00 ; — 8 poules et 1 coq, 21f 70 ; — 1 lapine, 3f00; — 1 oiseau, 1 chien et 1 chat (pour mémoire). — Total, 584f 70.

ANIMAUX DOMESTIQUES entretenus seulement pendant une partie de l'année............ 100f 00

1 truie, engraissée et consommée dans le ménage, valeur moyenne calculée d'après le temps pendant lequel elle est gardée, 100f 00.

MATÉRIEL SPÉCIAL des travaux et industries............ 622f 00

1° Pour l'exploitation des champs, des prairies et des arbres épars. — 1 charrette (fabrication locale), 140f 00 ; — 2 longues planches qui, disposées à droite et a gauche de la charrette dans le sens de la lon;gucur, la transforment en tombereau13, 10f 00 ; — 2 pièces de charronnage qui se peuvent placer à l'avant et à l'arrière, en vue du transport du foin, 6f 00; — 1 tour, 3f 00; — 1 corde, 10f 00; — 2 jougs en hêtre et en frêne cerclés de fer, 40f 00; — courroies, 20f 00; 1 charrue en fer à un seul versoir, 50f 00 ; — 1 pelite charrue (araire en bois), 4f 00 ; — 1 herse eu bois, à dents de fer, 40f 00; — 1 brouette, 5f 00; — petit traineau, 3f00; — 1 meule à poignée en fer, montée sur une double pièce de bois, 8f00 ; — 1 échelle, 5f00; — 1 faux neuve, 5f50. — 1 vieille faux, 1f00; — 1 enclume et[419]1 marteau, 4f00; — 2 pierres à aiguiser, 2f00; — 7 râteaux à foin, 5f25 ; — 1 fourche pour le foin, à 2 dents, 2f00 ; — 1 fourche. id., a 3 dents, 2f25 ; — 1 faux à rateau en fit de fer, pour moissonner, 8f00; — 2 faucilles, 6f00 ; — 2 bèches à labourer, 7f00 ; — 3 pelles de terrassier, 5f10; — 1 pioche (ancien système), autrement dite houe, 7f50: — 5 petites pioches, 12f00 ; — 1 houe à dents, 4f00; — 4 féaux, 6f00 ; — 1 « bigot », sorte de pioche pour décharger les fumiers,2f00 ; — 1 fourche à 4 dents pour les fumiers, 1 à 3 dents, 1 à 2 dents,5f50; — 1 scie (vieille faux a laquelle des dents ont été pratiqućes), emmanchée au bout d'une perche, 5f00; — 1 cognée, 8f00; — 2 petites cognées, 14f00; — 1 pic pour pratiquer des trous dans la pierre que l'on veut faire sauter par la poudre de mine, 5f00 ; — 1 mailloche en bois, 2f00; — 3 coins en fer, 2f25 ; — divers : 1 vieux crible, etc., 3f65. — Total14, 469f00.

2° Pour l'exploitation de l'étable. — Planches diverses formant stalles pour les moutons et le porc, 15f00; — attaches (les crèhes dependent de l'immeuble), (pour mémoire) ; — 3 grandes biches à lait (seaux de fer-blanc avec une plaque indiquant le nom du propriètaire), 45f00 ; — 8 petites biches de diverses tailles, 40f00; — 3 a biches en terre pour rafraichir le lait dans le bassin, 4f50: — 1 seille (seau à traire) en fer-blan, 2f00; — 1 baquet pour les porcs, 3f00; — 1 baquet pour les poules, 0f50 ; — divers, 2f00. — Total, 112f00.

3° Pour la fabrication du beurre et du fromage. — 1 baratte, ancien système, dite à piston, 6f50 ; — formes à fromages : 2 grandes en terre, 0f40; — 2 petites, id., 0f20 ; — formes à fromages en fer-blanc, 1f00 ; — 1 bâcho (baquet) en bois, 5f00 ; — 1 iltre (ferblanc), 1f00; — 2 planches en 1orme de battoir pour carrer le beurre, 0f410; — 1 rouleau de bois pour imprimer les dessins, 0f50. — Total, 15f00.

4° Pour la fabrication du pain domestique. — 1 pétrin (patiére), 10f 00; — 1 pelle à enfourner le pain, 5f50 ; — 1 pelle en bois pour nettoyer le four, 0f20; — 3 paillas (panctiéres), 4f30. — Total, 20f00.

5° Pour la confection des vêtements domestiques. — Ciseaux. 2 paires, 2f50 ; — 1 petite boite à ouvrage, 0f25 ; — 3 paires d'aiguilles à tricoter, 0f60; — 1 dévidoir, 1f50 ; — divers, 1f15. — Total, 6f00.

Valeur totale des propriétés............ 1.316f 70

§ 7. Subventions.

Peu de populations en rFrance pourraient justifier de recettes égales à l'article Subventions. Les formes anciennes et modernes de ces satisfactions de besoins n, accordées non pas en proportion du travail effectué mais des besoins eux-mêmes, y défilent successivement sans en omettre aucune. La classification complète de Le Play devient indispensable pour les énumérer.

D'abord, ce sont les « droits d'usufruit : les biens communaux proprement dits, 70 hectares environ qui couvrent un mamelon baptisé la Montagne-Verte, — la hauteur de Chaussître a été vainement disputée jadis à une commune voisine, la commune de Saint-Régis du Coin. Ces 70 hectares restèrent longtemps en pâturages à moutons ; ils per[420]mettaient aux ménages les plus pauvres de se procurer les quelques livres de laine nécessaires pour fabriquer les vêtements chauds de 1'hiver. La révolution agricole suscitée par M. le baron de Saint-6enest, la création des prairies dans les bas-fonds et des plantations sur les crêtes, entraîna leur transformation partielle : 35 hectares, — la moitié environ, — furent couverts de sapins, qui aujourd'hui commencent à procurer aux habitants un sérieux « droit d'affouage . Sans doute les objections contre le mode de distribution se multiplient. On insiste volontiers sur les inconvénients du travail collectif des hommes de la commune au mois d'octobre. Sans doute, comme toujours dans le collectivisme de tous les temps, les plus courageux assument la totalité de la besogne, tandis que les indolents savent esquiver habilement les corvées ; sans doute la difficulté d'égaliser des lots tirés au sort peut attribuer la grosse part à ce paresseux et restreindre celle du bûcheron intrépide. Il n'en est pas moins vrai qu'en échange de ses trois jours de travail, la famille étudiée a reçu cette année l'équivalent de 300 fagots, sans compter le bois d'œuvre nécessaire pour la confection d'une réserve de 37 paires de sabots. Ce fait tendrait à prouver que les plantations communales revêtent une utilité très analogue à celle des pâtis de jadis.

Les « droits d'usage, ou plutôt la « tolérance du droit d'usage» sur les propriétés voisines, atteignent une importance encore plus haute. C'est le combustible entièrement ramassé dans les bois noirs des propriétaires voisins ; c'est la litière des vaches fauchée dans les pâtis, que les troupeaux ne parviennent pas à dénuder ; c'est la cueillette des baies », framboises et myrtiles sauvages, qui constituent toute la consommation en fruits de cette contrée d'ou l'arboriculture est exclue. La comparaison, si souvent répétée, entre ces populations et les peuples de la zone nord de l'Europe, lussie, Norvége et Suède, s'en trouve complètement raffermie.

Deux influences, déjà mentionnées, achèvent l'énumération de cette source de recettes. L'lglise a monopolisé la subvention de l'instruction, assurant même les lournitures gratuites à l'école des Frères, les faisant payer à l'école des Sœurs (école communale). Elle a réalisé aussi l'assistance : hôpital, Dames de la Miséricorde15. Enfin les riches propriétaires des environs, reliés à la famille par les liens de parrainage, complètent la liste de ces allocations d'objets et de ser[421]vices qui établissent une fois de plus l'importance de ces deux éléments de sécurité dans tous les milieux primitifs : patronage et productions spontanées.

§ 8. Travaux et industries.

Si l'on excepte le dernier-né, âgé de un an et demi, dont l'inactivité se justifie d'elle-même, tous les membres de la famille ont leur tâche rigoureusement déterminée dans l'exploitation de la ferme, l'abatage des forêts environnantes, la passementerie, le s gardage des bestiaux ou métier de berger. Une grande distinction, générale dans le pays, domine le tout : les travaux de la terre, les cultures de toute espèce, sont réservés aux hommes ; jamais, sau pour la fenaison, les femmes n'interviennent ; leur rôle, avec les soins domestiques, est la fabrication du beurre et du fromage, fort réduite par l'exportation du lait, le métier de nourrice, qui n'est qu'une extension de l'industrie laitière, et celui de passementière. C'est le respect de cet axiome : travail extérieur aux hommes ; travaux intérieurs aux femmes.

Travaux de l'ouvrier, chef de maison. — Ils sont doubles : exploitation de la ferme ; travail au dehors comme bûcheron.

1° Travail de la ferme. — Cet atelier de travail, qui n'était pas créé au moment de la confection du cadastre (§ 1) et dont la surface doit être recherchée péniblement sur de vastes espaces désignés comme landes ou brandes, semble se décomposer ainsi qu'il suit :

Superficie des terres, prés et pâturage de la ferme familiale (§8)
Superficie des terres, prés et pâturage de la ferme familiale (§8).

Cette ferme, domaine rigoureusement aggloméré, sauf les 30ares précédents, doit être classée comme inférieure, bien qu'elle possède tous les rouages d'une exploitation plus vaste. Les prés sont trop restreints eu égard à la surface totale ; les pâtis, trop développés; la terre arable, défrichée par le fermier lui-même sans aucun sccours, est insutfisante pour un assolement judicieux, c'est-à-dire trois années en général : 1° blé, plus exactement seigle (le froment ne mûrit pas à cette alti[422]tude) ; 2e° blé ou avoine ; 3 plantes sarclées (surtout pommes de terre, d'une abondance et d'une saveur toutes particulières). Cet assolement, à notre avis, épuisant pour un sol peu riche, devrait, comme l'usage s'en est établi dans les exploitations plus importantes, être combiné avec le défoncement périodique des prairies (8 à 10 ans environ) ; mais le travail qu'il faudrait imposer à des vaches laitiêres fait reculer devant cette pratique assurément avantageuse.

Toute l'économie rurale du père de famille aboutit à exécuter par lui-même les travaux agricoles, sans débourser la moindre somme en faveur des journaliers du dehors et surtout des domestiques, loués a l'année dans le pays d'après un tarif variable suivant l'âge.

L'hectare de terres cultivables, défriché il y a quelques années sur les pâtis couverts de genêts et de bruyères, est divisé de la façon suivante : 6/10 ou 6 métérées sont ensemencés en seigle, dès septembre, après un labour en plates-bandes, suivi d'un hersage qui enterre sommairement le grain ; 310 recoivent au printemps, en avril, l'avoine ; le reste est planté de choux et de rutabagas (choux-raves). Les binages sont inusités et la main-d'œuvre est réduite au-dessous du nécessaire, concentrant tous les travaux en un seul point de l'année, juillet et août, où fauches et moissons s'entremêlent16. Il serait inutile par suite de chercher les innovations courantes en certaines contrées agricoles ; l'usage du « pois-loup » (lupin) comme engrais vert serait à peu près le seul trait curieux à citer. L'attention du cultivateur semble repliée sur les deux hectares de prairies naturelles, arrosées de petites rigoles qui dirigent l'écoulement des eaux de pluie et dont la bonne tenue entraînera la richesse ou la disette de l'année. Un peu de pain noir pour lui, de la paille surtout, et enfin les foins et regains en quantités les plus hautes possibles, tel est pour le paysan le but d'efforts assez mous en définitive et assez mal combinés.

La « laiterie », en effet, voilà la pièce centrale (§ 26). Les quatre vaches, métis de race salers et de race hollandaise, vont créer la grande source de recettes : trois fois par jour, le lait sera tiré, puis placé dans les vases en terre, que l'eau du bassin. — ou bacho, — maintiendra à une température constante. Le soir, un « laitier-camionneur » prendra la biche de fer-blanc au détour d'un sentier et la déposera sur la grande route, où un second convoi l'emènera vers Saint-lEtienne. Il faut donc alimenter ces véritables nourricières le plus possible avec la [423] moindre somme de travail. Foins, regains, choux, choux-raves, paille aussi, à cause de la sécheresse opiniâtre, leur seront prodigués ; les feuilles de frêne viendront tâcher d'arrêter les hémorragies dont elles sont parfois atteintes. Quand il sera présent à l'étable, où porc engraissé, brebis et poulets dorment en une série de compartiments faits de planches grossières, le chef de famille ne laissera à personne la préparation des rations et de la litière, — réduite cette année à de la fougêre mélangée d'humus.

2° Travail de journalier. — Le chef de famille est en outre périodiquement embauché comme journalier dans une exploitation voisine. Déjà, en tant que fermier, il devait, dans un lot de bois de sapins désigné par l'usage, abattre et écorcer pour le compte du propriétaire les arbres désignés par la marque. En équipe de deux ou quatre hommes armés de longues perches, il guidait la chute du sapin, de l'épicéa, du pin, du mélêe, qu'avait ébranlé le fer des haches ou adretae, il enlevait rapidement, avec une seconde hache plus petite, l'écorce et les branches, pour en former des fagots. A ce travail de bûcheron se joignent ici le travail du terrassier, la construction des chemins pendant les journées d'hiver, le défrichement des pâtis à la pique ou à la mine puis le gaonnement, les plantations, toute la série des travaux des terres montagneuses.

Travail de la mère de famille. — Les soins domestiques, la traite des bestiaux, le binage des mauvaises herbes dans le petit jardin, et surtout deux occupations très nettement définies : la fabrication du beurre tous les quinze jours, produit de la crème de la troisième traite, et la confection des vêtements ; car la paysanne a retenu, de son service dans une famille de la classe supérieure, une certaine habileté de tailleuse, dont toutes les paysannes des alentours ne pourraient pas témoigner au même degré.

Travail de la fille aînée. — Elle a déjà passé à quatorze ans par le travail de la fabrique. Depuis trois mois, elle a abandonné le « moulinage, l'usine où elle dévidait la soie, partant le lundi, revenant le samedi, sous la garde de surveillantes congréganistes. Aujourd'hui elle a été placée dans un tissage du bourg, sa fonction consiste à enlever avec des ciseaux les fils dépassant la sunrface lisse du ruban. Journée régulière et assez dure de 6 heures du matin à heures du soir, avec trois repos : une demi-heure à 8 heures du matin, 1 heure à midi, une demi-heure à 4 heures ; soit dix heures de travail plein. C'est la limite de la loi du 2 novembre 1892.

[424] Travail de la deuxième fillete et des trois garçons. — L'école, l'hiver ; l'été, la garde des bestiaux, soit à la ferme, soit au dehors, pendant trois ou six mois, moyennant 20 à 40 francs et la nourriture. C'est l'essaimage hatif des jeunes, caractéristique de la famille-souche.

Un seul inoccupé : le bambin de un an et demi, soustrait à toutes les tâches astreignantes, école ou surveillance, pour quelques années encore

Industries entreprises par la famille. — Toutes les industries sont entreprises par la famille à son compte particulier (§ 16).

Mode d'existence de la famille

§ 9. Aliments et repas.

Très sobre, réduit à l'extrême limite qui satisfait l'appétit robuste de travailleurs soumis à un climat fort rude, le régime alimentaire est dominé par la grande division climatologique de l'année : jours d'été, jours d'hiver ; et, chose curieuse, qui prouve bien une fois de plus combien la race est pétrie par les croyances catholiques, les points de départ de ces deux périodes sont marqués par les deux fêtes que l'on pourrait nommer les fêtes de la Croi : l'une, l'exaltation de la Sainte-Croix, le 3 mai ; l'autre, l'invocation de la SainteCroix, le 1 4 septembre. Voilà l'hiver, voilà l'été canoniques, en quelque sorte, qui vont régler, sinon l'heure, au moins le nombre des repas.

Dans la période d'eté (mai à septembre), les repas quotidiens sont au nombre de quatre.

7 heures du matin, se sert la soupe, que l'on a posée sur le feu d'écorce de sapin dés le lever, à cinq heures : soupe à la base de légumes, choux principalement, accommodée au lard, et dans laquelle cuit le saucisson, c'est-à-dire à peu près toute la viande consommée dans l'année; sur le pain, — un pain de seigle, noir de couleur et de saveur acide, — on étend le salé, ou bien encore le morceau de lard.[425]familier à tous les estomacs ruraux de France. Parfois la soupe est une soupe au lait, aux pâtes ou au ri.

A midi, le dîner : la soupe encore, — le régime est plus sain que varié ; — des pommes de terre cuites à l'eau ou ]frites ; du pain à discrétion.

A quatre heures, le goûter : ici figurent les mate-faim, sorte de crepes de froment épaisses de deux doigts, que l'on mange en tartines ; et le fromage, fromage blanc ou de forme, acheté sur la place du marché.

A 7 heures du soir, souper : la soupe et le fromage.

Le régime d'hiver (septembre à mai) supprime le goûter.

Comme fêtes particulièrement célébrées par un ordinaire plus copieux : la Noel, qui sonne en quelque sorte le retour définitif des neiges ; la « vogue » (comparez la vote » des Métayers confolentais), ou fête locale du 24 août. Ce jour-là un plat de viande est servi, viande de buf ou de veau, en général bouillie. Cette tendance à donner à la gastronomie une place d'honneur dans les réjouissances publiques ou familiales, atteint le plus haut degré chez les riches fermiers et les gros propriétaires vivant à la paysanne. Les gros plats se succèdent longuement dans des festins interminables. Les franches lippées sont demeurées là ce qu'elles étaient jadis : besoin physique et étalagec d'orgueil.

Une seule boisson chez le pauvre fermier : l'eau pure ; à l'époque des forts travaux, un hectolitre de vin acheté aux marchands locaux ou des villes voisines, au prix de 35 à 40 francs rendu : vin noir, lourd, du Midi ou d'Algérie. L'attente de ces libations longtemps désirées n'est trompée que par les haltes aux auberges : le verre bu avec les amis, la goutte d'alcool absorbée au moment des marchés.

§ 10. Habitation, mobilier et vêtements.

La ferme reproduit bien la construction montagnarde, disposée en vue de l'hivernage et des amoncellements de necige. IBatie au centre de l'exploitation, sur le bord d'un petit sentier, avec un jardinet de 3 ares bordé de sorbiers et de griottiers sauvages, elle présente un corps de bâtiment unique, réunissant grange, étables et habitation,[426]comme dans les landes bretonnes, et une annexe minuscule, le bâcho, ou baquet rempli de l'eau des sources qu'amène un système de tuyaux, et où se rafraichit, dans les « biches » en terre, le lait des dernières traites.

Une particularité, qui se retrouverait identique en toutes les fermes isolées dont les tuiles rouges s'espacent sur les ondulations du haut plateau, c'est la situation préméditée à mi-côte d'une pente. Il en résulte que la partie supérieure du quadrilatère, la grange et le fenil, restent de plain-pied avec le sol : la charrette de foin peut y pénétrer facilement par le large portail et s'y remiser sur le plancher même, qui, pendant les longues journées de janvier ou décembre, se transforme en ire, pour le battage au fléau. Au- dessous, en contre-bas avec l'inclinaison générale du terrain, mais s'ouvrant directement par des portes et fenêtres sur une petite esplanade, l'habitation proprement dite et l'étable ; l'habitation, composée de deux pièces, la salle-cuisine-chambre à coucher », et le fournil avec chambre à débarras ; l'étable, où les vaches laitières sont rangées devant les crèches, et où, entourés de balustrades en planches, brebis et porc participent à certaines distributions communes, tandis que poules et poulets perchent çà et là.

C'est un vestige des cavernes, où, en certaines paroisses auvergnates, paysans et bestiaux hivernent fraternellement entre des parois resserrées. L'éggalité de la température, encore plus sensible dans le caveau à trappe basculante, a pour compensation une humidité indestructible le long de la muraille qui soutient l'écroulement de la terre : le chef de famille doit à cette humidité une partie des rhumatismes qu'il commence à ressentir, malgré son âge peu avancé.

La hauteur des chambres habitées est de 2m15 ; la grande chambre et la petite offrent la même profondeur : 6m 30, avec une notable différence pour la largeur : 4m50 dans l'une, dans l'autre 3m60 seulement. L'une et l'autre sont planchéiées.

Meubles. : leur histoire s'est liée peu à peu à celle de la famille, et ils permettent de distinguer les trois influences qui ont présidé à l'établissement du ménage : 1° l'hérédité (quelques ustensiles assez rares) ; 2' les cadeaux des bienfaiteurs, plus importants ; 3° l'initiative personnelle, manilfestée par les acquisitions successives, soit à SaintÉtienne, soit au bourg, au fur et à mesure que le cercle des enfants s'est élargi. Ils offrent ceci de particulier, que la place d'honneur[427]n'y est pas occupée par le lit-armoire, enchâssé dans le mur, que toute ferme montre avec orgueil. Ce lit-armoire est d'ailleurs un immeuble par destination, où, dans l'entassement des courtines, rideaux et couvertures, on entrevoit suspendu, à la partie supérieure du plafond, le berceau que l'on peut agiter par une cordelette, sans s'exposer aux refroidissements des nuits d'hiver............ 489f 35

1° Lits. — 1er lit : 1 lit de bois en noyer ciré (fabrication locale), 50f00; — 1 paillasse remplie de paille de seigle, avec enveloppe en toile, 8f 00; — 1 matelas en crin végétal, 20f00; — 1 matelas en laine (14 kilog.), 50f00 ; — 1 traversin en balle d'avoine, 3f00; — 1 oreiller, 8f00 ; — 1 couverture ouatée, 20f00; — 1 couvre-pied en cretonne à fleurs, 15f00; 1 paire de ideaux, idem, 12f50; — 1 boule de verre argenté placée entre les rideaux pour éloigner les mouches, 1f50; — 2e lit : 1 l1it de fer, 25f00; — 1 paillasse, 7f50; — 1 matelas en crin végétal, 18f00; — 1 traversin (balle d'avoine), 2f50; — 1 oreiller, 6f00; — 1 couverture ouatée, 1f00; — guenilles diverses sur le tout (pDour mémoire): — 1 paire de rideaux à leurs, 12f50;- 1 boule de verre argenté, 1f50; — 3e 1t : 1 lit d'enfant, liteaux de sapins retenus par de grosses pointes et maintes fois raccommodés, 5f00; — 1 a baldufiêre (paillasse), composée de feuilles de hètre séchées dans une enveloppe de toile, 2f00 ; — 1 traversin, 1f00; — 1 couverture ouatée, 7f00 ; — 4e° lit ; 1 lit d'enfant plus petit, même garniture, 15f00; — 1 berceau vide, 3f00. — Total, 309f00.

2° Mobilier de la salde basse . — Tous les lits : le lit de noyer pour le pére et la mère, le lit de fer pour les deux fillettes, le premier lit de bois pour les deux garçons aînés, le deuxième pour les deux plus jeunes (pour mémoire) ; — 1 armoire en noyer, forme bahut, à deux battants, 30f00 ; — 1 haute pendule campagnarde, 50f00; — 1 table en noyer, ronde, avec deux côtés qui s'abaissent (exceptionnelle chez les paysans), 30f 00; — 1 banC près de la table, 4f00 ; — 6 chaises, incessamment rempaillées par le pére, 10f00; — 1 petite table d'enfant, 2f 00 ; — 1 petite malle en bois noir, 2f00 ; — 1 miroir, 0f50; — 1 cage. d'oiseau, 2f25 ; — divers, 5f00. — Total, 135f 75.

3° Mobilier de la salle oisine (ou se trouvent le four, le charnier, et une foule d'ustensiles divers, qui la font ressembler à un magasin de bric-à-brae, bouteilles, vieux vétements, pain en réserve, etc., etc.). — 1 pétrin (ptiere) (pour mémoire) : — 1 table en bois blanc grossière, 6f00; — 1 charnier (armoire de bois blanc où le lard est enfermé). 7f00; — divers, 5f00. — Total, 18f00.

4° Mobilier de la grange à blé. — 1 grenier à blé (coffre à blé), 7f00 ; — 1 vieux pétrin, 5f00. — Total, 12f00.

5° Objets de piété. — Petite chapelle : 1 sainte vierge, 0f60; — 1 bénitier, 0f75 ; — 1 crucifix 0f50 ; — 1 vide-poche : reliquaire de saint rançois égis ; petits tableaux pieux images de premiére communion : 1 Sacré-Cœur de Marie (chromolithographie), etc., 2f00; — photographies, 4f50 ; — livres. papier, plumcs, encre, 5f00. — Total, 13f35.

6° Objets de toilette. — 1 cuvette en fer-blan, 0f50: — pcignes, 0̂f75. — Total, 1f25.

Ustensiles : où prédominent la fonte et le fer-blanc, à la place des poteries usitées en certaines provinces ; réduits au strict nécesSsare............ 7f 00

1° Dépendant du foyer de la cuisine. — (La crémaillère dépend de la maison) ; — 1 paire de chenets en fonte à téte de sphinx (rares dans le pays et remplacés par des pierres), 8f00; — 1 pelle en fer, 1f00 ; — 1 porte-poéle (chervanto de la pede), 0f75 ; — 2 balais, 1f35. — Total, 11f10.

2° Employés pour la cuisson et la préparation des aliments. — 1 grande marmite en fonte avec couvercle (servant à la préparation des aliments des bestiaux), f00; — 2 mar[428]mites (identiques, mais plus petites), 7f00; — 1 poêle à longue queue pour les fritures, 5f00; — 1 couvercle pour la poêle, 0f50; — 1 longue cuiller en fer-lanc, 0f50; — 2 cuillers longues en bois dur, 1f00; — 1 rape, 0f50 ; — 1 passoire, 0f20 ; — 1 petite casserole, 0f20 ; — 1 seau en bois cerclé de fer, 55f00; — 1 petite biche ( seau à lait), servant à puiser l'eau, 1f00; — 1 saliére, 0f20 ; — 1 poivrière, 0f30 ; — 6 écuelles en terre vernie, pour la soupe, 0f60 ; — 2 plats en faïence blanche (l'un servant de saladier), 1f50 ; — 6 bichous, autre forme d'écuelle en terre vernie, 0f60; — 1 douzaine d'assiettes, 2f40 ; — 1 douzaine de verres à boire, 1f20; — 8 couteaux (chacun possède le sien), 3f00; — 1 douzaine de fourchettes et cuillers en fer, 4f80; — 1 cafetiére, 2f00; — 1 pot au lait à leurs (en grés), 0f40; — 1 sucrier, 0f50 ; — 1 douzaine de tasses en faïence à fleurs, 1f20; 30 bouteilles, 3f00; — 1 tonneau, 3f00 ;-1 balance (romaine), 3f50 ; — 2 paniers,3f00. — Total, 57f10.

3° Servant à l'éclairage. — 1 a catee (lampe en forme de lampe grecque), 0f75; — 1 chaleye en cuivre, 0f75; — 1 lampe à pétrole (avec verre et abat-jour), 1f25 ; — 1 trotlteuse (lampe) en cuivre, 1f25 ; — 1 lanterne avec lampe, 3f00. — Total, 7f00.

4° Servant au blanchissage du linge. — 1 baquet en bois, 1f 00; — 1 brosse en chiendent, 0f50. — Total, 1f50.

5° Servant aux réparations domestiques. — 1 couteau à deux mains, 2f00; — 1 doloire, 2f50 ; — 1 varlope avec mèche, 1f5 ; — 4 marteaux, 6f00; — 2 tenailles, 3f00; — 1 petite scie à main, 2f00 ; — 1 tarière, 1f 0; — 3 limes, 0f45 ; — divers, 1f20. — Total, 20f30.

Linge de ménage : en toile solide (strict nécessaire ; ni nappes, ni serviettes de table)............ 138f00

6 draps, apportés par la femme cadeau de la chàtelaine), 36f00 ; — 6 draps, apportés par le mari, 48f00; — 6 paires de draps pour les enfants, 30f00; — 1 douzaine de torchons (provenances diverses), 6f00 ; — 6 serviettes à porter le beurre, 6f00; — divers, 1f00: — 6 sacs en toile de chanvre, 6f00 ; — 10 autres sacs., 5f00. — Total, 138f00.

Vêtements : Solides, réduits au nécessaire, et très semblables à ceux des ouvriers de Saint-Etienne ; le petit bonnet des paysannes a presque disparu, contfiné dans le canton voisin de Riotord ; l'habit à la française des hommes se retrouve sur les épaules des octogénaires dont le costume de noce n'a pas été renouvelé............ 538f 15

VÊTEMENTS DU PÈRE (131f85).

1° Vêtements des dimanches et jours de fête. — 1 costume complet de drap noir, veston, gilet et pantalon long, exécuté sur commande par le tailleur du bourg et chez ce dernier, 50f00 ; — 1 chapeau de feutre noir a larges bords, 6f00 ;— 1 paire de bottes à haute tigc, 15f00 ; — 2 cravates en soie noire, 0f50; — 1 paire de mitaines de laine, 1f00; — parapluie en coton, 2f00. — Total, 74f50.

2° Vêtements des jours de travail. — 1 gilet-veste (veston ayant la patte d'un gilet ordinaire) en velours côtelé marron, 8f00 ; — 1 pantalon en velours dem, 3f00; — 2 foulards en coton, 0f65; — 1 blousc en toile bleue, 2f00; — 1 courroie de cuir, 0f75 ; — 1 tricot de laine, 2f50; — 1 gilet de coton (sous la chemise), 1f00; — 12 chemises blanches, à col et manchettes cmpesés, 22f00 ; — 4 chemises de coton de couleur, 5f00 ;— 4 paires de chaussettes de laine (pour l'hiver; remplacées l'été par de la paille), 1f50; — 18 mouchoirs en coton, avec vignettes de couleur, 8f50; — 3 paires de sabots, 1f20; — 1 paire de brides, 0f50; — 1 chapeau de paille, 0f75. — Total, 57f35.

VÊTEMENTS DE LA MERE (182f00).

1° Vêtements du dimanche. — 1 chapeau fermé, 5, 00: — 1 corsage (casauot) en mérinos ou caccmire nor, 8f00; — 1 jupe, id., 10f00; — 1 fich de laine noire, 4f50 ; —[429]1 foulard, 1f00; — 1 corset, 4f50; — 1 paire de gants en laine pour l'hiver, 0f0; — 1 paire de souliers, 8f00 ; — 1 paire de pantoufles, 1f00 ; — 1 parapluie en coton, 1f50; — 1 ombrelle en soie, 2f25. — Total, 46f65.

2° Vêtements des jours ordinaires. — 1 casaquot de coton, 4f00; — 1 jupe de coton, 5f50: — 18 chemises en toile écrue, 36f00; — 6 camisoles, blanches et de couleur (percale imprimée), 6f00 ; — 3 pantalons en calicot, 6f00 ; — tabliers en cotonnade, 6f50 ; — 16 paires de bas de laine et de coton, 12f00; — 4 paires de chaussons en laine pour les sabots, 1f25; —2 foulards de coton, 0f80 ; — 1 chapeau de paille, 0f50; — 3 paires de sabots., 1f 80; — 2 douzaines de mouchoirs de poche, 15f00. — Total, 5f35.

3° Bijoux. — 1 alliance en or, 20f00; — 1 paire de boucles d'oreilles, en or, 20f0. — Total, 40f00.

VÊTEMENTS DE LA FILLE AINEE (67f50).

1° Vêtements du dimanche. — 1 chapeau de paille noire, orné de rubans, 4f 50; — 1 corsage à forme moderne, 8f00; — 1 jupe en étofe mérinos noir, 6f00; — 1 fichu de laine noire ou bleue, 2f50 ; — 1 foulard, 0f50 ; — 1 eorset, 3f00 ; — 1 paire de gants d'hiver en laine, 0f45: — 1 paire de souliers, 5f00. — Total, 29f5.

2° Vêtements des jours ordinaires. — 1 corsage en coton, 3f75 ; — 4 chemises, 8f00; — 2 camisoles en tricot, 2f50; — 2 camisoles en cotonnade, 1f40; — 2 pantalons, 3f50; — 3 paires de bas de laine et de coton, 5f00; — 1 foulard, 0f40; — 2 tabliers en cotonnade a carreaux, 3f50; — 1 douzaine de mouchoirs, 5f 00; — 3 paires de sabots et 1 paire de brides, 4f50. — Total, 371f55.

VÊTEMENTS DE LA FILLE CADETTE (59f25).

Identiques, sauf le corsage à forme moderne, la jupe en mérinos et le corsage en coton, remplacés par 1 jupe et 1 corsae se tenant, 9f50. — Total, 59f25.

VÊTEMENTS DE L'UN DES TROIS GARÇONS (27f00), soit pour les trois (81f00).

1° Vêtements du dimanche. — 1 costume complet, 8f00 ; — 1 chapeau en feutre noir à larges bords, 1f50; — 2 cravates en coton, 0f60. — Total, 10f10.

2° Vêtements des jours ordinaires. — 1 pantalon en velours, 3f00; — 1 paire de bretelles,0f25 ; — 1 blouse noire, 1f10; — 1 tricot marron, 0f90; — 12 chemises, 7f00; — 2 paires de chaussettes, 2f0 ; — 1 chapeau de paille, 0f50 ; — 1 béret (calotte fourrée), 0f75 ; — 2 paires de sabots, 0f90. — Total, 16f90.

VÊTEMENTS DE L'ENFANT LE PLUS IEUNE (7f55).

1 petite robe de coton, 1f50; — 1 chapeau de paille, 0f75 ; — 2 paires de bas, 1f00; — 1 petit jupon en laine ou coton, fabriqué avaec des restes, 0f 75; — 2 chemises en coton, fabriquées de la même facon, 1f50 ; — 1 tricot, 0f75 ; — 1 tablier bleu, 1f00; — 1 paire de sabots, 0f30. — Total, 7f55.

VÊTEMENTS COMMUNS (9f00).

Réserve de 15 paires de sabots, 9f00.

Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 1. 124f 50

§ 11. Récréations.

La religion a discipliné depuis longtemps les moments de halte que la fatigue impose aux tâches quotidiennes. Le dimanche ramène[430]régulièrement ses offices suivis par des foules en costumes sombres, qui s'amoncellent en groupes animés, et marchandent les étalages des forains accourus ce jour-là sur la place de l'église : car l'éloignement, la difficulté des transports a fait coïncider, contre les usages religieux mêmes, les cérémonies du culte et les transactions commerciales. Une fête domine le tout : la vogue, la fête locale, celle de Saint-Genest, l'acteur converti miraculeusement sur le théâtre, au moment où il jouait le role d'un chrétien bravant le martyre ; elle s'est fondue peu à peu avec la fête du Comice, que la « Société d'agriculture » de Saint-Genest, fondée en 1857, organise chaque année avec le concours de l'Etat et du Conseil général. Dévotion et travaux des champs ; messes à grand orchestre et concours de charrues ; l'union de la vie religieuse et du labeur journalier semble intime. En revanche, même ce jour-là, la « danse, proscrite par le clergé de la Restauration, est toujours poursuivie comme plaisir coupable : le rigorisme ambiant, que les efforts de certains cabaretiers tendraient volontiers à ébranler, a pour défenseurs les vigilantes congrégations greffées sur la paroisse. Le « prince de la jeunesse et sa troupe, — Souvenir évident des coutumes de l'ancien régime, — doivent borner leurs joyeuses folies au lancement de pétards et aux harangues adressées aux autorités. Comme sujet de réjouissances plus profanes : la reboule, le repos après moissons et fauchées faites, célébrée à chaque foyer par un repas copieux ; et la foire, la foire annuelle du mois d'octobre, qui annonce le retour des froids et pourrait s'appeler la fête de la neige. La neige, en effet, va bientôt effacer chemins et grandes routes. Les paisibles parties de boules, de a cochonnet ». qui s'entrevoient à chaque carrefour du village et au loin sur le seuil de maintes fermes, seront elles-mêmes abandonnées. Il ne restera que les conversations, les souvenirs de l'hivernage ; point de distractions artistiques : le chalumeau plaintif des bergers en est demeuré aux mélopées trainantes de l'antiquité ; la peinture et la sculpture sont des paiennes qui s'accommodent mal de l'austérité religieuse ; parfois les cartes, les fortes libations surtout ; le vice local se retrouve sur sa pente, et certains ne peuvent résister à la satisfaction gourmande des longues beuveries solitaires ou en troupe, aux séductions de l'alcool ou du gros vin noir, dont ne se lassent pas les connaisseurs du pays.

Histoire de la famille

§ 12. Phases principales de l'existence.

[431] Le chef de la famille et sa femme ont eu le sort commun de tous les enfants des montagnards. Pâtres et domestiques, tels ont été leurs premiers emplois : pâtres, pour économiser à leurs parents le salaire d'un journalier ; domestiques, afin de pouvoir acquérir par leurs économies, l'un le cheptel nécessaire au fermier, l'autre la dot indispensable aux filles à marier.

Antoine l*** ft de bonne heure loué par un vieux gentilhomme des environs, malade et bientôt paralysé de tous ses membres. Il se fit bien vite aimer par sa droiture et son honnêteté ; il avait déjà réuni 600 francs placés de façons diverses, lorsqu'il fit la connaissance de Catherine M***, femme de chambre, ou, plus exactement, bonne d'enfants dans un château voisin. Celle-ci joignait à sa bonne humeur et à sa robuste santé un petit avoirde 250 francs. La part d'héritage du fiancé s'élevait à 600 francs, outre ses 600 francs d'épargne. Le jeune ménage pouvait donc compter sur un capital de 1.450 francs, à peine suffisant pour acheter les vaches laitières, la charrette et les outils indispensables à l'établissement du plus humble fermier. Ainsi, la position de serviteur dans un château, qui arrache complètement le paysan russe aux coutumes rurales, au point de constituer une classe à part17, n'est ici qu'un état transitoire, où l'on recherche surtout le gain. la protection, le patronage, sans abandonner l'attachement au métier traditionnel des ancêtres.

Le mariage eut lieu d'après les coutumes locales ; les frères et les amis du marié vinrent de grand matin donner l'assaut à la maison de la mariée, un peu avec les mêmes rites que eorges Sand observa jadis en Berry et qu'elle décrivit dans la « Mare au Diable ».

[432] La famille de la jeune fille la défendit ; on présenta aux assaillants une poupée grossièrement fabriquée avec des linges entortillés : la recherche continua longtemps au milieu des éclats de rire, car la mariée, suivant l'usage, s'était cachée dans un placard. Enfin le corège partit, à pied ; c'était un mariage de pauvre. Les paysans riches sont précédés de coureurs à cheval qui ajoutent toujours à la fête un cachet des plus pittoresques. Sur la place de l'église, on trouva l'époux, qui avait dû disparaitre pendant cette cérémonie, et les formalités légales, puis ecclésiastiques, suivirent leur cours immuable. Il en fut de même des réjouissances, repas de noces et danse aux violons.

Dès le lendemain du mariage, après cette halte de quelques jours, le montagnard vit recommencer sa dure existence. La ferme avait été louée d'avance une petite ferme pouvant nourrir 2 à 3 vaches laitières, celle où nous rencontrons encore la famille ; un frère du marié avait consenti à l'aider pour les travaux préparatoires ; les bestiaux, la charrette avaient été achetés, quelques meubles aussi, — bien peu de meubles, — car le mobilier d'aujourd'hui, si modeste qu'il soit, a été le résultat de longues années de labeur. Mais le fermier avait vingt-neuf ans, la fermière vingt-trois ; l'un et l'autre étaient soutenus par la passion du travail et jouissaient d'une santé à toute épreuve. Ils se mirent joyeusement à l'œuvre.

Il est dans l'histoire de ces fermiers foréziens une phase dans laquelle succombent souvent les moins bien doués en courage et en espérance : c'est la période qui suit immédiatement la venue des premiers enfants. Les naissances sont répétées et rapprochées en ce pays, où la haute classe donne elle-même l'exemple de la fécondité d'autrefois, et où, parmi les paysans, des familles de 22 enfants, nés de la même femme, peuvent être citées. Il y eut parfois des retards pour le paiement de la ferme, et la ménagère raconte sans fausse sensiblerie que certains soirs d'hiver on fut se coucher sans souper. Pour comble de malheur, une année, — l'année terrible pour ces êtres isolés dans leurs landes, où les perturbations politiques ne pénètrent guère, — une épizootie subite enleva les deux vaches. lleureusement, le protecteur naturel des paysans, le château, intervint : des dons en nature vinrent permettre de reporter tout l'argent disponible sur l'achat d'un nouveau cheptel ; l'étable fut reblanchie à neuf; le propriétaire consentit à une remise assez forte. Malgré cela, les dettes s'étaient subitement accrues. Il fallait les[433]amortir. et aussi placer au plus vite les enfants, à peine en âge de se tenir debout.

Ici commence le procédé du placement habituel à la montagne à quatorze ans, l'aînée des fillettes est envoyée à une fabrique, à l'une de ces fabriques rura les, s un moulinage, où l'on dévide la soie destinée à confectionner ces rubans de Saint-Etienne, dont la renommée s'est étendue sur les marchés des deux Mondes. Nous avons noté au budget (§ 14) le salaire qu'elle rapporte, et le secours qui en résulte pour la famille. Le fils aîné est berger au dehors ; le second fils, berger également. Les autres aident leur père et leur mère dans la mesure de leurs forces encore mal affermies. Pas de domestiques dans la petite ferme ; en effet, où trouver les 340 francs qu'exigerait un homme de vingt-six ans et les 150 francs réclamés par un garçon de dix-huit2 Pas de servante : un gage de 25 francs par mois serait trop lourd. Il faut se contenter de ses propres forces ; sans capital, c'esta-dire sans argent, que faire2 T'out autour de la ferme, les pàtis attendent le défrichement ; de superbes seigles pourraient y mûrir : mais il faut attendre. Cette année sera encore mauvaise : le foin est rare, comme partout, par suite de la sécheresse ; et surtout la concurrence effrénée des fermiers, la mauvaise foi des petits débitants, épiciers et laitiers de la ville, empêchent de trouver ces « bonnes places qui assurent aux biches de lait, aux grands seaux de fer-blanc remplis chaque jour, un débouché régulier et rémunérateur. Pourra-t-on payer le fermage on l'ignore : et cependant on touchait au complet paiement des dettes : il reste encore, après dixhuit ans de travail, 300 franes dus au village, que l'on serait bien heureux de solder bientôt. Voilà le rêve d'avenir, un rêve immédiat. la seule préoccupation des soirs de neige, où l'emprisonnement de l'hivernage contraint le paysan à ruminer longuement, un peu comme les bêtes de son étable, ces idées simples qui composent la trame de sa vie monotone.

§ 13. Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.

[434] Malgré un léger commencement de désorganisation, visible seulement pour un observateur minutieux, la famille étudiée, non moins que les familles-souches voisines, offre encore la cohésion puissante qui est le signe des fortes races. Elle a le sens de sa solidarité : l'esprit de travail et d'épargne, le dévouement de l'héritier institué, — car on prévoit déjà l'établissement dans une ferme plus importante, — assureront aux membres les plus âgés, au père et à lamère, une vieillesse relativement heureuse. La transmission intégrale, dont on a l'idée et le désir (§ 18), fera raffermir aux mains des descendants la propriété du sol, si cette propriété peut être acquise. A l'abri des coups les plus durs de la vie, grâce à la tutelle vigilante de son « Eglise », dont elle a conservé le respect, grâce aussi au patronage des riches propriétaires de la région, la famille formera un tout compact avec les dynasties paysannes environnantes. nsemble véritablement curieux, en cette terre de France où la destruction des maisons-souches semble un fait irrémédiablement accompli, toute cette contrée montagneuse montre ce que peut produire la discipline morale, cimentée au foyer par l'autorité du père, et, en dehors du foyer, par le respect des autorités traditionnelles : clergé et survivants de la noblesse d'autrefois (§ 21). C'est bien le réservoir d'hommes dont nous parlions au début, la source jamais tarie, d'où l'émigration incessante des jeunes, dressés à la vie travailleuse et à l'obéissance instinctive, se déverse sur les cités aux labeurs diversifiés qui couvrent la plaine.

Mais alors, dans cette antithèse qui revient sans cesse sous la plume de l'analyste, apparaît une transformation inattendue. Ces individualités détachées de la constitution sociale solide, bâtie par les siècles et pour des siècles, que nous venons d'indiquer, ces émigrants sans cesse sollicités un à un par les courants multiples de l'industrie minière, rubanière, par le travail du fer, de la verrerie, les ateliers de construction ou les hauts fourneaux, vont devenir en un clin d'eil[435]les représentants les plus parfaits de l'instabilité contemporaine. Il ne fonderont plus de « souches » durables. L'imprévoyance abandonnera les vieux parents comme un fardeau inutile. Le mépris du culte catholique s'élêvera à la hauteur des dogmes incontestés ; le contre-fanatisme régnera. La révolte jusqu'à ra de toute part ; et le « drapeau rouge ou noir », les revendications implacables des opprimés de l'ère industrielle nouvelle, se lêveront à la place de la déférence aux mots d'ordre reçus ou même aux conseils donnés.

N'est-ce pas, au fond, le résumé de toute la question sociale2 Un milieu qui dure depuis des siècles et dont l'organisation a été peu à peu tracée ; un milieu nouveau, surgissant tout d'un coup, sous l'essor de puissantes découvertes, et où l'anarchie subsiste, cherchant encore les concessions réciproques et la hiérarchie définitive, gardienne de la paix sociale D.

§ 14. Budget des recettes de l'année.

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§ 15. Budget des dépenses de l'année.

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§ 16. COMPTES ANNEXÉS AUX BUDGETS.

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Éléments divers de la constitution sociale

FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION SOCIALE ;

PARTICULARITES REMARQUABLES;

APPRÉCIATIONS GÉNÉRALES, CONCLUSIONS.

§ 17. SUR LE DÉVELOPPEMENT DU DÉCALOGUE PAR L'INSTRUCTION CHRÉTIENNE ; LE « CAMÉRISTAT ».

[452] Le Play signalait, chaque fois qu'il les rencontrait, ces « oasis de vertu » qui çà et là, dans les massifs montagneux de l'urope, maintenaient les grandes et pures traditions de la chrétienté de jadis. Si l'attention publique se dirige assez rarement vers les contrées analogues que recèle encore le plateau central de la France, il n'en est pas de même des différentes congrégations catholiques vouées à l'enscignement. Pour elles, les replis supérieurs de la Loire, de la HauteLoire, de l'Ardéche par exemple, constituent de fortes citadelles, d'autant plus précieuses à conserver que, malgré la nouvelle loi militaire, ces populations, simplement et admirablement croyantes, ne cessent d'assurer leur recrutement. Ces congrégations d'ailleurs sont propriétaires des immeubles qu'elles occupent ; elles ont fondé, elles aussi, leur pouvoir d'apostolat sur la possession de la terre.

Enseignement des jeunes garçons.

Grâce à l'esprit de foi, réellement exceptionnel, et aux générosités des riches, les écoles libres de garçons triomphent dans le duel partout ouvert entre l'enseignement congréganiste et l'enseigncment of ieiel. — entre ces deu administrations, de taille à lutter sans trop d'inéalie : 'lise e 'Éa.[453]lei la congrégation dominante n'est pas la célèbre congrégation des Frêres des écoles cbrétiennes (lgnorantins) du bienheureux de La Salle, non plus que les Frères de Saint-Vincent de Paul, assez répandus dans quelques cantons voisins, mais bien les Petits Frères de Sainte -Marie, qui viennent au second rang des congrégations enseignantes et opposent leurs 7.000 frêres aux 12.000 des lgnorantins, répandus surtout dans l'est, au midi, au nord de la France, en Amérique et jusqu'en Australie.

C'est une congrégation, non seulement lyonnaise, — et l'on sait que la ville primatiale des taules l'a fait surgir avec une merveilleuse fécondité, — mais locale. La congrégation des Petits Fr̀res de Marie a été fondée vers 1830 par le Père Champagnat, de Marlhes, commune du canton de Saint-Genest-Malifaux. En même temps, le Père Colon, ami du Père Champagnat, fondait les Pères Maristes. On reconnait la distinction fondamentale du religieux prêtre et des religieux étrangers aux ordres, même mineurs. La volonté formelle du Souverain Pontife exigea la séparation complète des deux catégories, qui rend seule possible le maintien dans le niveau inférieur, voué à l'enseignement, des individualités les plus capables. T'out autre système entraine pour le professorat une sélection à rebours. Les Petits Frères de Sainte-Marie prêtent les trois vœux : de pauvreté, de chasteté et d'obéissance ; ils peuvent en être relevés par le pape. Leur costume est en tout semblable à celui des lgnorantins, sauf en d'imperceptibles détails : forme du chapeau, du rabat et du manteau. Leur règle est très analogue, et leurs méthodes d'enseignement sensiblement pareilles. La maison-mère primitive était située à La Valla, près Saint-Chamond (Loire), au lieu dit de l'lIermitage. Aujourd'hui, elle a été transportée à Saint-Genis-Laval, près de Lyon. L'attraction de la métropole religieuse se manifeste ainsi plus énergiquement.

La maison des Frêres de Saint-Genest, fondée vers 1830, — l'ancien directeur, EFrère Marie-Aimé, en recueille actuellement les archives, — joue un rôle important, aussi bien dans les intérêts de la congrégation que dans le mouvement intellectuel de la montagne du Forez. Ce n'est pas une simple école primaire, mais bien une école primaire supérieure, à tendance professionnelle (naturellement agricole). Ses directeurs l'ont toujours considérée à bon droit comme le préservatif moral des jeunes gens des montagnes circonvoisines, soustraits ainsi à l'enseignement toujours danggereux d'une ville industrielle, et aussi, à un moindre degré, comme l'antichambre du juvénat », de l'école[454]préparatoire de la congrégation, située toujours à l'Hermitage.

Deux points sont particuliêrement curieux dans cette école, qui depuis 1830 s'était superposée à l'école communale, alors également aux mains des congréganistes, et qui, depuis la laicisation opérée il y a une dizaine d'années, s'est annexé une école libre devenue très prospère (130 enfants contre 23 confiés à l'instituteur officiel).

A1. — Ordre des etudes. — Au niveau inférieur, les classes primaires : la sanction de ces études est un certificat d'enseignement primaire, délivré non par les examinateurs offîciels, mais par un jury libre. Une sorte de grades extra-universitaires tend ainsi à s'établir.

Au-dessus, deux classes, avec le programme ordinaire de l'enseignement supérieur et la sanction régulière des diplômes de l'́tat.

Enfin, en troisième lieu, une année d'étude, professionnelle cellelà : remplie par les détails les plus pratiques possibles sur la botanique appliquée au pays, la chimie, la physique, l'arpentage, le mesurage des bois, enfin tout ce qui est nécessaire à un agriculteur pratique.

Signe distinctif : tout l'enseignement est distribué en une collection de livres anonymes, dus à des professeurs de la congrégation, qui se sont attachés surtout aux notions pratiques et à la réduction énergique de la théorie. On reconnaît là un usage des Frères des ́coles chrétiennes.

Ces livres et fournitures sont fournis gratuitement par le « Comité » des Écoles libres pour l'école primaire. Les enfants se les procurent à leurs frais dans l'école primaire supérieure proprement dite.

B. — ˉDivision des elèuves au point de vue du régime aquel ils sont soumis. — Cinq catégories d'élèves se distinguent à première vue :

1° Les externes de l'école primaire, 130 environ ; — 2e les externes des deux premières classes, 25 ; — 3° les externes, éloignés du bourg. à qui le frère-cuisinier « trempe la soupe moyennant 1 franc par mois, 20; — 4° les « caméristes, au nombre de 60; — 5° les élèves du grand pensionnat », 50.

L'expérience du lecteur lui a déjà fait découvrir la définition précise de ces diverses expressions ; un seul mot reste en dehors de sa langue accoutumée : le caméristat.

C'est un s pensionnat » limité à un minimum très abaissé par ce fait que chaque enfant apporte et enferme en une armoire (camera) la plupart des vivres nécessaires à sa consommation. n a signalé depuis longtemps la tendance des familles rurales à payer en nature les frais d'éducation des enfants. bLa systématisation en a été trouvée[455]par ces rudes populations des montagnes, qui ont créé d'instinct le caméristat ».

Enseignement des jeunes filles.

L'estampille officielle n'a pas été enlevée à l'école congréganiste de femmes. La guerre a porté sur les « Béates », les isolées des hameaux, vouées à l'enseignement de l'alphabet et aux soins des malades, que relient leurs trois maisons du Puy, d'ssingeaux et de Saint-Étienne. Elle a respecté la congrégation du « bourg n, congrégation dite de Saint-Joseph, également lyonnaise, fondée par MPe Tézenas au début du siècle.

La congrégation, — qui détient également l'hôpital, — se divise en sœurs voilées et non voilées (religieuses et touriêres). L'école compte 6 religieuses pour l'enseignement, 1 tourière pour les gros ouvrages. Quatre classes acheminent peu à peu les enfants vers le certificat d'études. Le caméristat réapparait sous le nom plus général de pensionnat.

§ 18. SUR L'AUTORITÉ PATERNELLE, LE RESPECT DES PARENTS ET LA TRANSMISSION DES BIENS.

Dans la foule des familles paysannes, perpétuant en ce coin ignoré de France la constitution de la famille-souche, se détachent de loin en loin de véritables dynasties, qui se désignent elles-mêmes du nom de « vieilles familles de Saint-Genest, par opposition au flot d'immigrants, ouvriers et commerçants, infiltré peu à peu de l'Auvergne et de la Haute-Loire. Immuables en leurs domaines héréditaires, pouvant témoigner de deux ou trois siecles de généalogie, reliées à des familles « arrivées » des villes industrielles, — hommes de loi, médecins, chefs d'usine, — par le souvenir d'un essaimage récent, elles reproduisent assez bien ces maisons de Biscaye, où les armoiries de la porte d'entrée annoncent un gentilhomme laboureur, ou mieux encore une bourgeoisie rurale, fière de ses titres, qui n'a jamais rompu avec le travail manuel. C'est à leur école qu'il faut chercher les véritables traditions locales au sujet de l'autorité paternelle et de la transmission intégrale,

Les généralités appliquées à l'ensemble de la contrée présente[456]raient déjà, en effet, une netteté assez concluante. Le respect des anciens apparait au touriste dês qu'il a franchi le seuil de l'église paroissiale. Au centre s'éleve un autel tendu de noir, ou brûle incessamment une lampe : c'est l'altare mortuorum, le symbole rituel, qui a remplacé le cimetière jadis rapproché de l'autel même en une communion perpétuelle et touchante. La vieille religion romaine a développé ici plus qu'ailleurs ce vestige du culte des ancêtres, qui s'apr pelle la dévotion aux âmes du purgautoire ; et un usage, inconnu des autres parties du diocèse, impose, avant toute cérémonie religieuse, la psalmodie rapide des vêpres des morts. Cne visite aux fermes-laiteries espacées à la limite des bois noirs » démontrerait que cette déférence liturgique n'est que l'expression d'un sentiment profondément enraciné dans la race, et que les vieux parents » n'ont à craindre, sauf exception rare, ni abandon ni mauvais traitement. L'infirme, l'octogénairc, peut compter au moins sur sa chambrette séparée, où les tracasseries de la vie commune lui seront évitées, sans que cette indépendance soit synonyme de délaissement.

D'autre part, en se plaçant au point de vue des chefs de famille, la délégation des terres et du pouvoir reçus s'opère suivant un mode identique à peu de chose près. Un partage testamentaire attribue le quart disponible à l'un des enfants, ordinairement l'aîné. Les autres doivent se contenter de leur part virile, qu'ils transforment volontiers en soulte à recevoir, surtout lorsqu'il s'agit de filles mariées dans la plaine avec quelque ouvrier qui a émigré ou qui est « descendu ». Le paiement des soultes a lieu, soit au moyen d'un emprunt, soit par des libérations successives, soumises à l'intérêt de 4, que le tropplein du numéraire des villes d'usines a substitué à l'ancien intérêt normal de 5 (voir obligations de 1837 et années suivantes dans les archives des notaires). La régularité légale reste parfaite ; et l'esprit public, d'accord avec les dispositions de dernière volonté, achêve d'établir ces deux coutumes : transmission intégrale aux mains de l'un des fils ; attribution aux autres — surtout aux filles — d'une légitime en argent. Si les inconvénients ordinaires de notre loi de partage égal ont été jusqu'ici conjurés, c'est, d'une part, par la force des meurs attachées toujours aux usages de transmission intégrale ; c'est, d'autre part, par l'augmentation continue de la valeur des terres rendant possible le paiement des soultes. Mais ce mouvement de hausse s'est arrêté, et les effets destructeurs du Code n'auront plus d'autres contrepoids que l'attachement aux vieilles mœurs.

[457] D'ailleurs, que le lecteur suive avec nous l'histoire de l'une de ces familles dont nous parlions plus haut, véritable modèle d'union domestique, où le chef actuel, d'une exceptionnelle hauteur morale, peut jurer devant Dieu que jamais de sa vie entière il n'a désobéi aux ordres de ses parents ». Depuis trois cents ans, le petit domaine de 7 hectares agglomérés, qui nourrit ses 16 vaches et génisses et envoie chaque jour vers la ville ses 100 mesures de lait (50 litres pour 10r00), pu passer par les échelons successifs d'une hérédité directe.

Au début, avant même la Révolution française, le souvenir des ancêtres a souvent dépeint la communauté des frères et sœurs qui vivait sur les 14 hectares primitifs. Comme dans les pays basques, la plupart restaient célibataires autour de l'héritier institué.

Les premières années du dix-neuvième siècle trouvent neuf enfants i procèdent à un parage. L'ainé reçoit le quart, avec la charge de soutenir la vieille mère : cette libéralité s'octroyait en général par contrat de mariage. Mais celui-ci s'acquitte mal de son devoir. Le cadet, père du chef actuel de la famille, sans avantage d'aucune sorte, rachète la part d'un frère établi à Saint-Étienne, où il exerçait une profession libérale. Il se trouve à la tête d'une moitié des terres, celles qui entourent les bâtiments. L'introduction de la production du lait, la création de nombreuses prairies, le développement de la race des vaches laitières, portent rapidement le domaine réduit au niveau de l'ancien domaine démembré.

Deux enfants seulement représentent la génération suivante : une fille et un fils. La première entre dans une congrégation religieuse. La transmission intégrale est une fois de plus assurée.

Quel sera l'avenir du domaine2 Le « chef » a trois enfants. Il veille avant tout sur l'éducation chrétienne qui constitue pour lui l'élément primordial de la perpétuité des races : « l'union des mœurs et des idées », ce qu'il appelle « l'union des cœurs ». Ce premier point acquis, il léguera le quart à son fils, — à son aîné, dit la langue du pays, bien que cet aîné soit seul ; — ce quart lui semble la juste compensation des obligations qu'impose la représentation de la tige familiale, avec ses réceptions et ses charges. Puis le partage égal divisera le reste entre ce fils et ses filles, qui sont également les enfants de sa chair et de son sang ». Il compte avant tout, comme ces pères de famille du seizième siècle, dont les livres de raison ont été retrouvés par M. de Ribbe et qu'il reproduit avec une dignité austère d'un puissant effet, sur la protection de Dieu, qui ne peut manquer. Les filles entendront-elles[458]cet appel du côté de la vie monastique ou de la vie séculière ; choisirontelles le couvent ou un mariage lointain, qui leur fera réclamer une soulte et rien de plus Le dévouement qu'elles montrent déjà à la « maison », l'affection qu'elles portent à leur frêre, semblent les plus sûrs garants d'une décision conforme au bien de la communauté.

La transmission intégrale laisse transparaitre ici les deux conditions qui la rendent pratiquement possible en dehors de l'action législative :

1° L'union intime, la solidarité des membres de la famille ;

2° L'émigration, le classement en d'autres provinces, dans un métier, dans la vie religieuse, qui fait considérer l'acceptation d'une soulte, non comme un acte de renoncement, mais comme un avanage, une condition évidente de meilleur avenir.

§ 19. SUR LES SECTES DISSIDENTES : LA PETITE ÉGLISE; LE BÉGUINISME.

Il ne faudrait pas croire que l'Eglise romaine, — aussi puissante en ces contrées que l'Église orthodoxe dans les plaines neigeuses de la Russie, — ait conquis sa situation sans lutte, et qu'elle la maintienne sans contestation. Cette « marche » catholique, frontiêre des Cévennes protestantes, a eu besoin de l'évangélisation de saint François de Régis, qui prêcha au dix-septième siècle dans l'église de Marlhes, et dont le tombeau, situé à la Louvesc (prononcez : Louvée), au cœur des montagnes de l'Ardèche, domine comme une métropole les centres religieux extrêmement actifs de ces hautes terres. Elle est tournée aujourd'hui vers un autre ennemi, qui vient du Sud : l'esprit d'incrédulité et de révolte, qui, dans les groupes miniers et industriels de la plaine, a multiplié, avec les professions d'athéisme, les grèves sanglantes, les collisions incessantes autour des puits, les « massacres n périodiques de la icamarie, ou même les assassinats des représentants du pouvoir, comme celui du préfet, M. de l'Espée, en 1871, à SaintÉtienne.

Mais il est inutile de développer des considérations générales sur la crise religieuse du territoire français tout entier. Deux faits locaux doivent nous arrêter : l'apparition en ce siècle même de deux sectes dissidentes, une sorte de « raslol », si l'on veut poursuivre l'analogie avec la confession orientale : la ˉPetite ˉglise et le ˉBéguinisme.

[459] 1° La Petite Église18. — Cette tentative de scission, avortée définitivement aujourd'hui, prit naissance, on le sait, sur les points les plus divers de la France, à l'occasion du concordat de 1804 et des remaniements de sièges épiscopaux. Certaines familles, en général profondément croyantes, en Mendée dans l'Ouest, dans l'archevêché de Lyon, refusèrent de reconnaître une manifestation aussi énergique du pouvoir pontifical. Elles se retirêrent hors de l'Église, s'éloignèrent de ce que saint Francois de Sales a appelé la vie dévote, voire même de l'exercice du culte et des sacrements. Cette secte n'est représentée à Saint-Genest que par de rares individualités. Ses adeptes n'assistent jamais aux offices, à la grande surprise des montagnards ; mais ils consentent volontiers à soutenir de leur bourse les euvres dirigées par le clergé séculier et les congrégations. En résumé, étrangeté, plutôt que danger, survivance d'une scission qui essaya de recoudre les restes de l'ancien jansénisme, la doctrine du Christ aux bras étroits

2 Beguinisme. — Tout autre est le ˉBeguinisme, qui, sous couleur de développer la doctrine même de l'Église, et sans souci de la hiérarchie, a tenté de reconstituer, sur les vieilles hérésies africaines et italiennes, les mystères antiques, le culte paien du phallus. — Le Béguinisme, bien que localisé dans la commune de Saint-Jean-Bonnefond, au pied même des montagnes19, a eu pour premier fondateur un prêtre de Saint-Genest-Malifaux : la famille de Digonnet », l'incarnation nouvelle méconnue par les tribunaux correctionnels, y est représentée ; et c'est au milieu des bois de la commune même, au hameau s'appelant aujourd'hui la « République, que ces Mormons, moins fameux que leurs émules des Etats-Unis, ont essayé de fonder un Etat nouveau.

Première phase du Béguinisme : les précurseurs. — En 1791, au moment des troubles de la Révolution française et de la commotion profonde qu'avait entrainée la constitution civile du clergé, les vicaires Jacques Drevet et Lafay, qui administraient la paroisse de Saint-Jeande-Bonnefond, près Saint-Etienne, en pleines terres noires, proclamêrent qu'près l'ancienne loi, règne de Dieu le Père, après même la loi nouvelle, règne de Dieu le Fils, il y avait une étape troisième et dernière : avenement de l'sprit-Saint. Le corps était élevé dès lors[460]au même rang que l'esprit ; l'un et l'autre parfaits n'avaient qu'à développer librement leurs inclinations naturelles : la nudité devenait la première marque de respect pour le chef-d'œuvre de Dieu, et les fantaisies de l'imagination la suprême rêgle. Comme conséquence : des orgies nocturnes, renouvelées du sabbat du moyen âge ; les mariages intermittents, etc., etc. On devine la contagion des conséquences. L'exode fut même décidé : les femmes en grand nombre partirent à la suite des hommes-initiés et de leur pasteur pour les solitudes saintes de la montagne. La maréchaussée de la épublique mit fin à cette folie par l'arrestation des curés Drevet et Lafay, précisément à ce hameau de la République, qui a gardé le souvenir de la plus bizarre des tentatives de colonisation. Drevet, défroqué et marié avec l'une des converties, finit épicier à Lyon. Le Béguinisme, qui avait déjà eu le temps de constituer ses manuscrits sacrés, ses marques extérieures (la torsade sur le bonnet des femmes), se cantonna à Saint-Jean, dans l'attente d'une incarnation nouvelle, qui devait se produire bientôt, car les temps étaient proches.

Seconde phase : l'incarnation. — Ici commence le plus extravagant des romans de mœurs, que le livre assez récent de M. Duplay, « Le Petit Bon Dieu des Béguins »20, a retracé avec une exactitude sérieuse, malgré l'abondance voulue des détails les plus bouffons. Pendant que les Béguins de Saint-lean étaient visités successivement par les Qualers d'Angleterre, les méthodistes suisses, les Evangélistes, qui essayaient de ressouder cette secte isolée au corps principal du protestantisme, un macon du Cantal, Denis-Jean-Baptiste Digonnet, né à Mauregard, canton de Montfaucon, le 22 juillet 1780, et habitant la commune de Tence, arrondissement d'Yssingeaux (laute-Loire), s'était senti touché de l'Esprit-aint, et, à l'âge de quarante-quatre ans. s'était mis à courir les grandes routes. Il ne savait ni lire ni écrire ; son aspect extérieur dénotait la pauvreté la plus repoussante, et, comme son unique occupation consistait à répéter quelques idées bizarres gagnées au contact des « Momiers », protestants des Cévennes, ainsi qu'à affirmer son pouvoir divin, il tombait périodiquement sous l'inculpation de vagabondage aux mains de la gendarmerie. Une nouvelle arrestation, en 1846, au moment de la grève dite du « Monopole », le mit par hasard en contact avec un jeune mineur aftilié au Béguinisme. L'un attendait le Messie, l'autre croyait l'être ; l'accord fut vite établi, et Digonnet,[461]passé « petit bon dieu », fit son entrée solennelle à Saint-Jean-de-Bonnefond.

Nous ne suivrons pas le nouveau dieu à travers toutes les manifestations de sa puissance. L'engouement des Béguins et Béguines, aussi bien à Saint-Jean qu'à Paris (car Paris enfermait une petite colonie de la religion méconnue), atteignit des proportions hautement comiques. Décrassé et choyé, le brave Auvergnat fut même comblé de bijoux et put bientôt, dans les cérémonies nocturnes, arborer l'insigne de sa puissance, le « bouton relique, — une pièce d'orfèvrerie ornée de diamants et payée six ou huit mille francs par les adeptes, — qui pla̧ait les initiales J. B. D. et le triangle du Jéhovah un peu plus bas que la ceinture. Les désordres des cérémonies firent intervenir l'autorité publique21et, après bien des péripéties, Digonnet, interné a l'hospice du Montredon, au Puyˉ, le 9 octobre 1852, y mourut de vieillesse, le 13 février 1857, à l'âge de soixante-dix-sept ans.

Les « Béguins » subsistent toujours à Saint-Jean. Les fermières béguines, renommées pour la qualité exquise de leur beurre, se reconnaissent toujours sur la place du Peuple, à Saint-Étienne ; — mais le ridicule déversé à profusion par la gaieté locale sur cet évangile assez peu recommandable a circonscrit le foyer, en ne laissant que le souvenír de l'une des plus amusantes aberrations religieuses que l'histoire de ce siècle ait à raconter.

§ 20. SUR LA RELIGION : LES MANÉCANTERIES.

La Manécanterie » est une annexe de la paroisse, destinée en ces pays de foi vive à assurer le recrutement du clergé séculier. Chacun a remarqué les enfants de chœur, désireux d'aborder les ordres ecclésiastiques, que les curés-doyens ou simples desservants initient aux premiers rudiments du latin, pour les acheminer peu à peu vers l'école secondaire, le petit séminaire, et l'école supérieure, le séminaire diocésain. éunissez plusieurs de ces élèves et soumette-les à un jeune prêtre, assimilé aux vicaires, mais distinct de ces derniers, vous avez la manécanterie n.

[462] C'est un pensionnat bon marché, où, moyennant 300 francs par an, — 1 franc par jour, en tenant compte des deux mois de vacances, — l'enfant, nourri et logé, est conduit peu a peu, avec ses dix à douze camarades, des premiers principes à la quatrième et à la troisième. Les aptitudes y sont jugées, et les incapables écartés avant l'heure des « sacrifices . Les vocations réelles y sont passées au crible, et les indignes remerciés.

La s manécanterie » de Saint-tGenest, suspendue pendant quelque temps, parait en pleine prospérité. C'est le premier rouage de la filière, qui fait monter les individualités les plus éminentes dans le sacerdoce et maintient l'incontestable prestige du clergé.

§ 21. SUR LA SOUVERAINETÉ.

Il semble à première vue que l'un des éléments de la constitution essentielle doive faire défaut ici : le respect de la souveraineté. Ne sommes-nous pas au centre même de cette France, qui, depuis 1789, a accumulé onze renversements de pouvoirs différents2 Et, sur le sol même de ce canton, n'a-t-on pas vu, depuis 1861, l'opposition légitimiste intransigeante battre en brèche jusqu'aux maires dictatorialement choisis du régime impérial Religion et souveraineté semblent divisées entre elles, et la destruction de celle-ci parait s'opérer au profit de celle-là.

Cependant, — nous ne risquerons que ces quelques mots sur le terrain politique, — la souveraineté, » représentée par la forte hiérarchie des administrations qui maintiennent l'unité nationale, exerce un prestige tout-puissant sur ces peuples faconnés à l'obéissance et à qui il coûte de ne pas obéir. Par ses chemins vicinaux, de grande communication et d'intérêt commun, elle a fait pénétrer la prospérité agricole, puisque telle était la condition première de l'exportation régulière du lait. Elle a fait miroiter aux yeux le projet d'un chemin de fer départemental. Elle a savamment utilisé les divers modes d'assujettissement que, sous le nom de subventions ou secours, l'Etat français a toujours la possibilité d'imposer habilement aux communes. L'idée des « faveurs administratives n a germé peu à peu dans les cerveaux les plus réfléchis. 'n point d'honneur, des afections personnelles retiennent encore : surtout la volonté toute-puis[463]sante des prêtres. Mais, que le « ralliement » s'accentue : malfaisante ou bienfaisante, la s souveraineté » des puissances établies, sans égard pour les fidélités et les souvenirs, s'implantera avec la solidité qu'elle sait emprunter aux entêtements campagnards. Ce sera la conversion insensible d'une grande masse qui déposera les armes sans se disloquer ni se rompre, en conservant ce que les politiques espagnols appellent les « caciques, — ses chefs locaux.

§ 22. SUR LA COMMUNAUTÉ.

Les coutumes juridiques du pays avaient consacré une juxtaposition bizarre de propriétés indivises, qui rappelle le droit musulman. La distinction du fonds et du tréfonds, qui a donné naissance au régime minier des terres noires, s'appliquait traditionnellement au sol des forêts et aux arbres eux-mêmes : le pâtis était distinct du bois. La législation actuelle, favorable à la conservation des richesses forestiêres, a décrété le rachat forcé au profit du propriétaire des arbres, sSupposé propriétaire du sol à l'encontre de l'usager (art. 64 du code forestier, visé par l'art. 120). Cette quasi-indivision disparaît donc un peu plus chaque jour.

Tout autre est la communauté proprement dite, la copropriété collective des biens communaux. Elle est encore florisssante, et un seul point reste à en déterminer : le mode d'exercice, qui donne lieu à de fréquents abus.

La substitution à 35 hectares de pâtis d'une plantation de conifères, aujourd'hui en plein rapport, avait amené une perturbation de jouissance que les indigents avaient vivement ressentie. Leur misère excluait la prévoyance ; et, encore aujourd'hui, beaucoup d'entre eux, malgré les distributions de bois d'œuvre et de bois de chauffage, regrettent leurs pâturages à moutons.

La distribution des coupes annuelles reste d'ailleurs l'une des préoccupations les plus graves du Conseil communal. La surface replantée est trop restreinte pour l'organisation d'un véritable droit d'affouage. Le principe de la distribution aux pauvres a triomphé. Il en est résulté que, dans cette commune où l'indigence est l'exception, la pauvreté, au moins à l'époque de l'abatage, semble être devenue générale. De plus, la coupe pratiquée en nasse, sous la surveillance du maire et[464]du garde champêtre, se fait un peu au hasard, par l'impossibilité de maintenir l'ordre. La réserve de bois, si un tel régime devait être maintenu, serait promptement épuisée.

Jusqu'à sa discipline finale, ce collectivisme rural restera asse proche de l'anarchie.

§ 23. SUR LE PATRONAGE.

En suivant les diverses branches de l'activité économique du pays étudié, l'observateur retrouve à chaque pas l'influence du patronage, du patronage sous ses deux formes opposées, nous allions dire ennemies : celui du grand propriétaire de race ancienne, et celui des chefs d'usine ou de fabriques collectives : la noblesse de l'ancien régime, et la bourgeoisie du nouveau. La première a présidé à l'évolution agricole : 1° le reboisement des crêtes, et la restauration de l'art des forêts ; 2° la création de toutes pièces de la grande source de recettes, les fermes-laiteries, organisées en vue de l'exportation quotidienne dans les cités de la plaine. La seconde a importé le « travail », un travail qui a diminué sous la forme antique d'industrie en chambre, qui s'est décuplé sous l'aspect d'usines agglomérées, mais avec les dures conséquences que l'âpreté de la concurrence impose aux intentions le plus fermement bienveillantes.

§ 24. SUR QUELQUES DOCUMENTS CONCERNANT LA COMMUNE DE SAINT-GENEST.

Superfcie totale et répartition du sol.

D'après l'enquête de 1892, document administratif, le territoire aricole de la commune est de 4.707hectares, dont 4.627 livrés à la culture, 50a la productionnaturelle spontanée, landes, paîtis, bruyères, etc. ; 30 ont des terrains non agricoles, routes, mares, etc.

La superficie cultivée comprend : 1 terres labourables, cultures alinentaires, prairies artificielles, etc., 1.250 hectares ; — 2° prairies naturelles, 1.650 hectares ; — 3° bois et forêts, 1.707 hectares ; — 4 jardins, 20 hectares. — Ensemble, 4.627 hectares.

Possession dau sol.

[465] 1° Biens communaux, 0 hectares de bois ;

2° Etablissements hospitaliers (trois), 77 hectares ;

3° Particuliers (332), 1.225h. (terres), 1.600 h. (prairies), 18 h. (iardins), 1.657 h. (bois), 50 h. (pàtis). — Total, 4.550 h. (plus 30 h. pour propriétés bâties), soit 4.580 h.

Total général, 4.707 hectares.

Exploitation du sol

Exploitation du sol [notes annexes]
Exploitation du sol [notes annexes].

Modes d'ecploitation.

Modes d'exploitation [notes annexes]
Modes d'exploitation [notes annexes].

Bestiaux.

La statistique des bestiaux de la commune est la suivante :

Espèce chevaline. — 68 têtes : 1e 4 chevaux entiers employés au travail et à la reproduction ; — 2° 29 chevaux hongres ; — 3° 35 juments, de 3 ans et au-dessus, surtout pour le travail.

[466] Mulets et mules. — 8 têtes (au-dessus de 3 ans).

Espèce asine. — 30 têtes : 1e 14 anes au-dessus de 3 ans ; — 2° 15 ânesses, id. ; — 3°1 ânesse au-dessous de 3 ans.

Espèce bovine. — 1.614 têtes : 1° 16 taureaux ; — 2 30 beufs de travail ; — 3°1.250 vaches laitiêres (350 kilog. poids brut); — A1° 8 bouvillons : — 5° 200 génisses ; — 6° 110 élèves de moins de 12 mois.

Espèce ovine. — 320 têtes : 1° 20 béliers ; — 2° 140 moutons ; — 3 60 brebis ; — 4° 60 agneaux de 2 ans ; — 5° 40 agneaux de moins de 2 ans.

Espèce porcine. — 305 têtes : 1 10 truies ; — 2 245 porcs ; — 3° 50 porcelets.

Espèce caprine. — 280 têtes : 1° 15 boucs ; — 2° 185 chêvres ; — 3° 80 chevreaux.

Animaux de basse-cour. — 5.420 têtes : 1° 4.200 poules; — 2 20 oies ; — 3° 100 canards ; — 4e 700 pigeons : — 5°400 lapins.

Mobilisation du sol dans le canton

Mobilisation du sol dans le canton [notes annexes]
Mobilisation du sol dans le canton [notes annexes].

(D'aprés le répertoire de l'Administration de l'Enregistrement).

§ 25. SUR L ENPLOITATION DES BOIS.

ˉssences. — Les essences les plus communes sont 1° le sapin (abies pectinala), en très grande majorité ; 2° le pin sylvestre (pinus sdestris) ;

3° l'épicéa (picea ercelsau), en minorité ;

[467]

4° le mélèze (larix europara, quelques unités.

mpdoi. — Le sapin est vendu pour la construction (les charpentes du pays, même les plus considérables, sont construites avec cette essence, par exemple à Saint-tienne) ; les plus petits arbres servent à étayer les carrières ; les branches et l'écorce sont réservées pour le chauffage ; — de même pour l'épicéa.

Le pin est utilisé pour les s buttes » des mines (supports des galeries) : par exception, les plus gros sont sciés en plateaux.

Mode d'exploitation. — A cet égardil y a distinction capitale entre les sapins et les pins.

1° Sapins. — Le mode employé est le jardinage, qui consiste, on le sait, à abattre çà et là les arbres les plus vieux, dès quiils sont réclamés par le commerce. Ce jardinage est calculé de façon à assurer le réensemencement du sol.

Le propriétaire fait sa marque en mai, c'est-à-dire que, suivant l'usage de tous les pays forestiers, il frappe les arbres condamnés avec un petit marteau à double fin, fait d'une hachette et d'une marque » à initiales. Immédiatement et sans plus attendre, les fermiers, qui, moyennant une redevance fixe, louent les terres et les pâtis, viennent abattre avec leurs cognées les grands troncs lisses ; ces cognées sont fort grandes et fort lourdes ; le fer, de dimensions différentes suivant les opérations, varie de 6 à 8 francs. Ces fermiers ont, d'après leur bail, un droit à être employés comme bûcherons : la coutume a établi que tel nombre de métérées (mesure du pays qui équivaut à dix ares ou d'hectare) de tel bois correspondàtelle ferme. En échange de leur travail, ces ouvriers obligatoires reçoivent les branches et l'écorce, à charge de les enlever. De plus, ils sont tenus, si le marchand l'exige du propriétaire, de conduire les bois à la scierie ou au dépôt.

La coupe est terminée et le bois est par terre ; le propriétaire établit son prix de vente : ici intervient l'estimation des bois, toute d'instinct de la part des hommes pratiques du pays, marchands ou régisseurs, fondée sur la simple inspection de la hauteur des arbres abattus, — scientifique au contraire pour les ingénieurs et les agronomes et calculée d'après les procédés mathématiques22, en multipliant la longueur[468]de l'arbre par le quart de la circonférence médiane élevé au carré (cet usage local suppose l'arbre équivalant à un prisme ayant même longueur que lui, et pour base un carré de côté égal au quart de la susdite circonférence). La convention avec le marchand peut s'opérer de deux façons : la vente en bloc, variable évidemment d'après l'importance de la coupe ; la vente au mètre cube, 20, 25, 28, jusqu'à 30 francs et davantage le mètre cube, pour les arbres centenaires plantés en bon terrain23.

L'enlèvement a lieu en septembre, au moment où il n'y a plus à craindre, en trainant les troncs toujours embarrassants, de casser les jeunes pousses et même les jeunes plants. En général, le marchand prend livraison sur place ; et des fardiers de forme particulière viennent transporter les arbres jusqu'aux chantiers de Saint-Etienne.

2° Pins. — Ici l'exploitation a lieu ad blanc étoe. Même procédé d'estimation d'ailleurs ; un arbre de quarante ans peut se vendre 3 francs, 5 francs et davantage.

ˉReboisement. — Le reboisement est dû à deux causes : le repeuplement spontané effectué par les seules forces de la nature ; et aussi les plantations. Pour éviter les inondations subites, résultat du défrichement, l'administration des forêts, représentée non loin de là par un garde général, délivre à tout propriétaire qui en fait la demande les petits sapins de ses pépinières, liés en paquet. Aucune rétribution n'est réclamée, et une seule obligation en résulte : celle de planter véritablement, au lieu de revendre. Les agents des forèts se réservent donc sur les plantations une haute surveillance qui n'offre aucun caractère tracassier.

§ 26. SUR LES FERMES-LAITERIES.

Cette forme de l'agriculture, inconnue il y a quarante ans, a été l'œuvre de feu M. le baron Louis de Saint-Genest.

Les débuts furent humbles et contestés : L'incrédulité la plus complète accueillit mon idée (l'exportation du lait à Saint-Etienne), — écrivait M. de Saint-Genest dans une note manuscrite que nous[469]avons pu consulter. — Je parvins cependant à décider un de mes fermiers à organiser un modeste service quotidien. Peu à peu la contagion de l'exemple gagna la montagne tout entière. A mesure que les chemins vicinaux perçaient la sombre frontiêre des sapins, les prairies remplacaient les pâtis ; la race des laitières, hollandaises et tarentaises, se multipliait ; les voitures des a laitiers », les rustiques camionneurs qui descendent chaque nuit, au grand trot de leurs chevaux, la pente raide de Saint-Etienne, transportaient les « biches de fer-blanc de plus de 25 kilomètres, du fond de Marlhes, du Pilat, et même, en dehors du canton, de Saint-Sauveur et de Riotord.

Deux transformations s'étaient opérées et s'opèrent encore un peu plus chaque jour : une transformation agricole et une transformation commerciale, dont nous allons noter l'état actuel.

ransformation agricole. — Il s'agissait de posséder une race de forte production laitière et de la nourrir, c'est-à-dire qu'il fallait importer des vaches laitières et créer des prairies.

Les « vaches laitières » primitives, celles dont le lait servait à fabriquer le beurre et le fromage grossier du pays, furent condamnées d'un commun accord. Cette race était, à proprement parler, un mélange disparate, où le salers et la variété froment pâle qui se retrouve aux limites de l'Allier et de la Loire jouaient le principal rôle. Mais deux écoles se formèrent, qui divisent encore la Société d'Agriculture de Saint-Genest-Malifaux, fondée en 1857. Le fondateur, l'initiateur, M. le baron de Saint-Genest, se montrait partisan convaincu des « hollandaises à robe noire. Un autre agriculteur, M. Courbon-Lafaye, dont l'exploitation organisée scientifiquement a été décrite dans le compte rendu du Comice agricole du Chambon-rFeugerolles (21 et 22 septembre 1867), soutenait la cause des taureaux suisses, autrement dits tarentais. Cette année (1894), le Comice agricole de Saint-Genest parait revenir à la première idée, qui a seule donné des résultats satisfaisants. Il semble toutefois que la race hollandaise s'affaiblisse dans ces montagnes de climat trop rude ; dès lors l'achat direct de génisses aux pays d'origine deviendrait préférable à l'élevage et à l'acclimatation des reproducteurs. La moyenne de la production de cette variété atteint facilement 10 à 15 litres de lait par jour mais, en comptant l'époque du vêlage, les arrêts et diminutions, cette proportion doit s'abaisser de près de moitié. Telle exploitation de 10 vaches en plein rapport dépasse chaque jour 50 litres, mais sans aller beaucoup plus haut. Quatre vaches constituent le nombre fatidique[470]qui correspond à la biche journalière de 25 mesures, ou 12 litres 1/2.

La création des prairies, liée à la question des défrichements, venait ensuite. Il est inutile de décrire tous les efforts tentés, le défoncement de la couche pierreuse au pic et à la mine, le ramassage des cailloux, si coûteux et si lent ; le chaulage avec la chaux de la Palisse, à 25 francs le mètre cube ; puis les récoltes de pommes de terre, de rutabagas, et enfin de fourrages qui se succédaient. Une brochure de M. le baron de Saint-Genest : « Culture des montagnes et défrichement des terrains de bruyêre »24, a raconté, avec la précision du novateur ier de son œuvre, tous ces détails techniques, que les cultivateurs de Saint-Genest feraient bien de méditer. La décadence qui a frappé la race des « laitières » a, en effet, atteint la perfection de l'agriculture. Les enseignements du maître ne se sont pas conservés intacts. Les prairies artificielles ont été négligées : le mais vert, le topinambour, essayés avec succès, sont presque inconnus. L'antique routine, sans sacrifier l'idée nouvelle, a ressaisi une partie de ceux qui s'en étaient dégagés.

fransformation commerciale. — Cette transformation était double : 1° transport ; 2 vente au détail dans la ville même.

1° Le transport. — Il s'organisa spontanément. Dans le bourg même de Saint-Genest, trois laitiers partent chaque nuit, leurs lourdes carrioles résonnant du bruit des biches en fer-blanc, qu'une série de compartiments en bois maintiennent aussi fixes que possible25. Le laitier exige pour son salaire une redevance fixe de 0f 15 par biche: 0f10 pour les plus petites. Il se charge de la remise directe à l'épicier, au marchand de détail ; il est responsable des pertes.

Mais, à côté de cette ligne de transport, de ce grand central » en miniature, viennent se placer d'autres services plus courts, les services des villages écartés de la grande route, — le ruisselet qui se jette dans le grand fleuve, — diminuant encore la recette du pauvre fermier.

2° La vente au détail. — Elle est effectuée par un commercant libre. M. le baron de Saint-tGenest avait tenté le dépôt direct relevant d'un syndicat. L'essai réussit assez mal. Les conventions présentes sont fort simples. Le prix du lait au détail est de 0f20 par litre. Le marchand tient compte au fermier de la totalité du prix. Au début, il exigeait comme courtage une biche de lait par semaine, aujourd'hui il demande en plus une biche de lait par mois. La sécheresse des deux an[471]nées précédentes a même empêché de nouvelles surenchères en faveur des s places » réputées solvables. A ces remises le marchand ajoute nécessairement ses combinaisons particulières de mouillage. L'écueil, c'est le refus de paiement et le brusque départ de petits commeŗants qui s'écrasent réciproquement par une concurrence terrible. Le versement a lieu toutes les semaines, toutes les quinzaines, parfois avec des délais plus espacés encore.

Comme conclusion, le revenu net d'une vache reste ce qu'il était au temps de M. le baron de Saint-Genest : 200 francs par an, —200.000 francs de revenu annuel pour la commune de Saint-Genest.

A cette recette, il faudrait joindre celle provenant de l'écrémage. Les fermiers s'en défendent en principe, et cependant un fait matériel subsiste : la fabrication d'une certaine quantité de beurre, sans qu'un litre de lait soit sacrifié. Certains d'entre eux, plus audacieux, affirment qu'un écrémage léger empêche la fermentation. Presque seul, un cultivateur, bien connu par son attachement à la loyauté intransigeante, résiste au courant général. Il en a été récompensé : sa marque » est connue ; il n'a jamais eu de places » de second ordre, et a évité l'abandon du supplément de courtage, la « biche » mensuelle universellement exigée.

De la part des producteurs les falsifications sont inconnues : surtout celle de la margarine n.

Il semble que la production du lait ait une tendance à s'exagérer. Deux points de vue devront préoccuper les autorités sociales de la contrée : 1° l'établissement de débouchés nouveaux. peut-être la fondation de l'industrie du lait concentré, florissante en Suisse, peu connue en France ; — 2° le perfectionnement de la vente, et la protection du fermier contre le détaillant infidèle ou nomade.

§ 27 SUR L'INDUSTRIE DES RUBANS26.

L'industrie du tissage des rubans dans la montaggne comprend en réalité deux grandes catégories : les moulinages, et le t(issage proprement dit.

Les moulinages.

[472] Qu'est-ce qu'un moulinage ? C'est une manufacture (le travail en chambre se trouve ici interdit par la force des choses), où la soie grège ou brute subit les différentes opérations qui précèdent la teinture.

Les moulineurs peuvent être de simples faconniers, ou des marchands de soie qui font subir une première préparation à la matière première.

Supposons le premier cas27et suivons la filiêre des organisations commerciales.

Au premier rang apparait l'importateur de soie, le marchand, qui, sur le marché de Lyon, comme dans les ports d'extrême Asie, achète ferme les écheveaux, déjà sortis des filatures.

Mais son acquisition ne peut être écoulée en cet état au tisseur :fabrique colectiuve ou usine. Il faut mouliner la soie avant la vente. Il s'adresse à un intermédiaire, simple commercant-commissionnaire, qui détient sous sa domination jusqu'à trente petites usines hydrauliques des cantons montagneux. Moyennant un prix débattu, celui-ci fait approprier tant de kilogrammes de soie, — de plus en plus soie de Chine, — comme il ferait moudre et bluter par un meunier 100 sacs de blé, et avec cette ressemblance que les kilogrammes de soie, absolument comme le froment ou le seigle, sont remplacés usuellement par un nombre égal de kilogrammes identiques comme catégorie. Le bénéfice de ces commissionnaires est un tant sur la façon ; en général, 0f 50 par 100 kilogrammes.

Au-dessous, le faconnier, petit patron aux allures paysannes, remplacé parfois par un contre-maître. Installé dans une vieille scierie, dont la force motrice a été utilisée pour ce nouveau labeur industriel, il groupe vingt-cinq à trente fillettes et garçonnets, ou même davanage, qui surveillent les diverses opérations requises ; il livre les écheveaux parés et tordus, prèts pour la vente.

Le marchand de soie a ressaisi son produit ouvré. Rubaniers et fabricants de lacets procèdent à leurs achats et son rôle se termine. Le tisseur est désormais seul maître des écheveau ; il les remet après déballage aux teintureries, entassées aux abords de Saint-tienne.

[473] Apres la teinturerie, une autre usine : le dévidage leur donne la dernière main.

Etles écheveaux reprennent, à moins qu'ils ne soient tissés sur place, dans le milieu urbain, le chemin des montagnes, vers les petites manufactures ou les ouvriers en chambre. C'est la limite du tissage, et nous ne la franchirons que plus tard.

La conclusion de ces considérations générales est la suivante. Le moulinage, préparation de la matière première, domine plusieurs fabrications : rubans et lacets, par exemple. Pendant la « morte », — la morte-saison du ruban, — d'il y a dix-huit mois, certains moulinages n'en semblaient pas moins en pleine activité. Leur champ d'action économique était plus vaste que l'industrie rubaniêre stricte.

Description du moulinage. — Une vaste salle installée sommairement : rangées parallèlement, sous la surveillance du contre-maître et de sa femme, les machines animées par l'eau ; celle-ci offre le double avantage d'être moins coûteuse, — le chauffeur et le charbon absorberaient au moins 10 francs par jour, — et plus réguliêre.

Les écheveaux sont mouillés, puis dévidés mécaniquement ; les fils s'enroulent autour de bobines en supprimant leurs bouchons ou raccords grossiers de fils de soie ; plus loin ils se doublent en se mariant étroitement ; et un écheveau net et propre se forme entre les mains de l'ouvrier, qui pare le produit. Le travail est double : nettoyage, consolidation.

Salaires. — Le minimum de ces enfants de treize ans s'abaisse au niveau le plus bas : le maximum atteint 1f25, 1f 40, chez les ouvrières les plus âgées ; salaire à la journée.

ˉDuree du travail. — La nouvelle loi du 2 novembre 1892 limite la journée à 10 heures pour les filles mineures de moins de dix-huit ans ; et à11 heures pour les majeures au-dessus de cet âge. Cette prescription entrainerait deux sorties, une discipline double. En pratique, l'atelier est soumis en entier à la journée de l 1 heures. L'inspecteur des manufactures relève çà et là quelques contraventions.

Certains moulinages, organisés sur des bases plus larges, avec machine à vapeur pour remédier à la gelée des pièces d'eau, revêtent un aspect monacal. Des Sœurs sont chargées de la surveillance. Si la fabrique est isolée, les jeunes filles y passent la semaine entière, se nourrissent de vivres apportés, mais on leur doit la soupe chaude et une place dans le dortoir commun.

Le tissage.

[474] Ici nous pénétrons dans l'une des multiples branches que commande la préparation de cette matière première unique : la soie.

En fixant notre attention sur le canton de Saint-Genest seul, abstraction faite de la puissante cité industrielle, dont il constitue une banlieue et une annexe, nous rencontrons dans leur opposition éternelle les deux formes de la grande industrie : fabrique collectiuve et anufacture.

1° Fabrique collective. — La fabrique collective d'abord, comme avant Colbert.

Le principal rouage est le magasin » du commercant, magasin où « l'intermédiaire », déguisé sous le nom de fabricant, ne se borne pas à accumuler les soies, laines, cotons, caoutchouc, pour les faire teindre dans les usines suburbaines, mais où il peut également se réserver un certain nombre d'opérations complémentaires, quand il n'y installe pas une véritable « manufacture », de front avec l'organisation de jadis.

Au-dessous de ce magasin, un « chef contre-maître », homme de confiance, le « commis en soie », fixé dans la montagne même, surveillant l'arrivage des malles de matières premières qu'apporte la diligence, remettant « trames et fils de soie enroulés sur les bobines, payant les salaires, dirigeant les départs.

A la base, les nombreux ateliers en chambre, éparpillés çà et là dans le bourg ou les hameaux les plus lointains, et assez différents au point de vue économique, puisque tantôt les ouvrières ou ouvriers (ceux-ci forment l'infime exception) sont propriétaires de leur métier, tantôt le matériel appartient à l'intermédiaire.

Actuellement, deux à trois « fabricants pour le canton, un surtout, qui en quatre mois peut verser 16.000 francs de salaires et davantage . 400 métiers, au lieu des 4.000 de jadis.

1° forme d'atelier. — La cuisine d'un ouvrier du bâtiment, un macon. La femme, à ses moments perdus, tisse avec l'antique métier, le métier de basse-lisse n, qui exige un triple mouvement, mouvement du pied, de la poitrine et de la main. La navette est passée peu à peu, par la main même de l'ouvrière, entre les fils de la chaîne. L'objet fabriqué est un large ruban de décoration étrangère.

Salaire : 0f50 par jour environ, pour une journée qui peut varier de 7 à 10 heures. — Travail aux pièces.

[475] 2e forme d'atelier. — Une chambre haute déjà consacrée à la fabrication. C'est un atelier en raccourci, où travaillent deux jeunes filles de dix-huit à vingt ans. Leur père est fermier-agriculteur.

Les métiers dits à « tambour tissent douze, vingt-quatre pièces de rubans simultanément. Les navettes sont mues par le mouvement alternatif de la barre », large bâton de bois que soulève péniblement l'ouvrière. L'objet fabriqué, — ou plutôt les objets fort variés qui sortent de cet atelier pittoresque, — n'est autre que la collection infinie des rubans français et étrangers, depuis la Médaille militaire jusqu'au Mérite agricole, depuis l'ordre de Saint-Grégoire jusqu'à celui des SaintsMaurice et Laare. On voit s'enrouler autour des canettes, qui bientôt prendront place dans les navettes du métier, toutes les couleurs étincelantes des vitrines du Palais-Royal.

Salaire : 0f75 à 1 franc par jour, pour une journée de 10 heures. La réputation des ouvriêres est bien établie. Elles sont payées à la tâche : 5f 00, par exemple, les 100 mètres.

3° forme d'atelier. — Ne difTère du précédent que par le métier, également propriété du fabricant. C'est un « Jacquart n, avec son système compliqué de cartonnages découpés, qui permettront d'alterner les fils de différentes couleurs et de dessiner sur la trame même. Ce Jacquart est d'ailleurs de petite espece : il n'exige qu'une élévation de 9 pieds, au lieu des 12 pieds réglementaires. Le acquart est la cause principale de la surélévation des étages dans les immeubles du pays. Ce métier, qui ne fabrique que six pièces à la fois, tisse dans la toile fine des marques de chemisier. Une femme y travaille seule, soulevant la barre avec une fatigue évidente. Dans une pièce voisine, un métier de basse-lisse » maneuvré par une vieille ouvrière.

Salaire : 0f 50 a 0f75 par jour ; journée de 10 heures ; travail aux pièces.

En résumé : c'est une sorte de sveating system, tempéré par la vie rurale.

2° Manufactures. — Elles sont au nombre de deux dans le bourg même de Saint-Genest-Malifaux.

Il est inutile d'insister sur leur caractêre distinctif : l'agglomeration des ouvriêres en un local unique, loué ou possédé par le patron. Celui-ci met donc à sa charge : le loyer, l'entretien d'un matériel plus vaste, et aussi les appointements du contre-maître et surveillant, qui correspond, avec plus d'exigences, au commis en soie.

[476] Le salaire du tissage en manufacture semble plus élevé que le salaire du tissage en chambre. Augmentation de la production, économie de la matière première, secret de la fabrication, telles sont les raisons d'être du succès.

1re forme de manufacture. — C'est une manufacture où les métiers juxtaposés sont ma nœuvrés par les ouvrières, de toutes jeunes filles en général. Aucune force naturelle ou artificielle ne vient à leur aide : ni écluse, ni machine à vapeur. C'est le développement rigoureux des petits ateliers étudiés en dernier lieu au paragraphe précéden (30 à 40 ouvrières).

La fabrication a pour objet des rubans de chapeaux et articles variés, sur 20 métiers environ.

L'hygiène présente tous les inconvénients de l'atelier en chambre avec l'agglomération en plus.

Salaire : 1 à 2 francs parjour ;journée de 10à 12 heures ; travail aux pièces.

2e formeˉ. — L'usine marche à la vapeur. L'hygiène s'en trouve transformée. Le mouvement alternatif de la barre n'existe plus. En revanche, un vacarme plus assourdissant encore, qui reproduit les surdités précoces observées dans les « mills » de Manchester (50 ouvriers et ouvrières).

Fabrication : rubans de velours, caoutchouc, etc.

Hygiène : supérieure à celle de l'organisation précédente.

Salaires : de 25 francs par mois à 50 francs ; le salaire est payé mensuellement. Journée de 10 à 12 heures. Travail aux pièces.

En résumé, c'est l'exploitation de la moyenne industrie avec ses règ lements et ses mortes-saisons. n canton voisin nous offrirait le même spectacle de l'usine gigantesque établie en plein milieu rural.

Conclusion. — Le mouvement économique, ici comme dans tous les centres de tissage, a été le suivant :

1° Fabrique collective rurale ; c'était l'âge d'or ;

2° Manufacture urbaine ;

3° Manufacture rurale, pour lutter contre l'élévation de salaire des centres urbains ; aujourd'hui ces salaires tendent à s'égaliser.

C'est la chasse au plus faible taux de la main-d'œuvre par la combinaison du travail humain et du travail-machine sous l'aiguillon de la concurrence.

Notes

1. Les plus remarquables travaux sur la géologie de la Loire ont été publiés à différentes époques, notammeut par M. Gruncr, ancien directeur de l'École des mines de SaintÉtienne et plus tard professeur à l'École impériale des mines ou il remplaa M. F. Le Play.

2. Congères, amas d neige trompeurs qui comblent les ravins et les fossés.

3. Les vaches de l'ancicn regime agricole étaient assc souvent a robe froment pàle, métissées d'ailleurs également.

4. Statistique du canton (1893).

5. Notes manuscrites.

6. Voir la monoaraphie des Métayers du Contolentais, O. des Deux Mondes. 2 série, t. III.

7. Scieries et moulins a blé sont des accessoires de l'aariculturc, et a ce titre n'ont pas droit à un paragraphe spécial.

8. Le centre est tormé par la commune de Riotord.

9. Voir ci-dessus, p. 22, la monographie de l'ouvrière mouleuse en cartonnage, § 22.

10. Delhomme, editeur, Paris.

11. 1. 400 electeurs contre 100 dans le canton en moycnne.

12. C'est une branche de la langue romane : elle a atteint sa plus haute expression dans les œuvres littéraires du dialecte de Saint-Étienne.

13. Un assez grand nombre de fermes possedent des tomberecaux véritlables de 90f à 100f.

14. Le moulin à vanner est emprunté à une ferme voisine.

15. Association de charité.

16. L'immigration des rivageons du Rhône a preccisément sa cause dans cette coincidcnce de toutes les récultes.

17. F. Le Play, Les Ouvriers européens, t. II, Paysans à corvées des steppes d'Orenbourg.

18. V. les publications récentes des Pères de l'Assomption sur la Petite Église.

19. Le cimetière des Béguins, à Saint-Jean-Bonnefond, touche le mausolée désormais célébre ou la baronne douairière de lochetaillée fut déterree par l'anarchiste Ravachol.

20. Imp. Balay, Saint-́tienne, 1890.

21. L'obscénité des pratiques des béguins fit poursuivre douze d'entre eux devant la cour d'assises de la Seine le 30 janvier 1851.

22. Le baréme suivi est le barème de Francon. juré de Lyon.

Le cube marchand est inférieur d'un quart au cube réel. Le cube marchand est l'usage de la montagne, le cube réel l'usage de la vilte ; de telle sorte que les marchands achétent et vendent le cube au même prix, tout en réalisant des gains énormes.

23. La vente se conclut encore par coupes les marchands tendent à établir la vente au mètre cube, à cause des chances d'erreur ; un syndicat cherche à se former (syndicat de marchands).

24. Saint-Étienne, mprim. Théolier (1867).

25. Le fonds de laitier, 4 chevaux, 2 voitures et traineaux, est estimé 2.400 francs.

26. Sur les monographies de métier, voir La Question ouvriére ; t. I, Charpentiers de Paris ; t. II, Ébénistes du faubourg Saint-Antoine : t. II, Le jiouet parisien ; IV, Les Halles centrales ; par Pierre du Maroussem ; Paris, Arthur Rousseau. — (V. également du même auteur : L'Alimentation (publication du Ministère du Commerce, oftice du travail).

27. Dans le second, les deux rôles de marchand de soie et de moulineur se confondent