N° 58.
PÊCHEUR CÔTIER.
D'HEYST
(FLANDRE OCCIDENTALE — BELGIQUE),
OUVRIER-PROPRIÉTAIRE,
DANS LE SYSTÈME DES ENGAGEMENTS VOLONTAIRES PERMANENTS,
D'APRÈS LES RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN JUILLET 1885,
PAR
M. VICTOR BRANTS ,
professeur d'économie politique de l'Université catholique de Louvain,
secrétaire perpétuel de la Société belge d'économie sociale1.
Sommaire
Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.
Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1. État du sol, de l'industrie et de la population.
[109] La famille décrite dans cette monographie habite Heyst-sur-mer, petite localité maritime située à l'extrémité du littoral belge de la Flandce occidentale. Un chemin de fer la relie vers l'ouest à Blankenberghe, distant de 10 kilomètres, et de là, à Bruges, chef-lieu de la province. Du côté de l'est, en suivant la dune, on trouve le village de Knocke, avec lequel Heyst communique par une chaussée et une digue qui continuent jusqu'au Zwyn, embouchure de l'Escaut.
[110] L'Exposé de la situation du Royaume décrit ainsi l'état du sol dans la contrée : « La partie de la mer du Nord qui baigne cette côte est peu profonde. Une plage, composée de sable quarteux et de débris calcaires de coquilles, plonge dans la mer suivant un plan incliné d'une allure fort douce. Une rangée de collines appelées dunes, règne le long de la mer du Nord et forme une véritable barrière contre les ots, depuis Adenlerle jusqu'à Knocke. Cette barriêre naturelle, d'une hauteur et d'une largeur très variables, n'a pas toujours été assez puissante pour arrêter les flots de la mer. Au quatorième siècle, le duc Jean sans 'eur fit construire, en arrière et contre la ligne des dunes, une digue de sûreté qui porte son nom et qui est encore très visible entre Blankenberghe et Knocke. La formation des dunes est due à l'accumulation des sables que le vent de mer enlève de la plage à marée basse et pousse vers la terre ferme. Les dunes sont à peu près stériles, car elles ne produisent que le logat (plante herbacée tracante) et quelques maigres plantes. Des essais se font sur un grand nombre de points de notre littoral pour boiser les dunes et arréter leur marche2. »
On n'est pas éloigné de la région dite des polders, c'est-a-dire des terrains marécageux menacés des invasions de la mer et défendus contre elles par des travaux d'art fort anciens. Les habitants de la Flandre ont formé de très bonne heure des associations pour proléger leurs terres contre la mer. Ces associations, sous le nom de cateringaues, existent aussi dans l'intérieur du pays pour tous les travaux de desséchement. Ces syndicats, vieilles gildes nationales, subsistent encore. La constitution belge les consacre et un décret impérial de 1811 sert de loi organique à notre régime des polders3. Ces terres basses et humides sont fertiles, et constituent d'importantes conquêtes dont les travaux d'art, en Belgique et en Hollande. présentent un grand intérêt.
La valeur du terrain dans la commune est très variable, et diffère naturellement d'après les terres sablonneuses ou les terres fortes. Les premières sont e grande partie du domaine public. Longtemps elles ont été sans valeur. Elles se relèvent sur la partie de la digue occupée par des étrangers. Ailleurs, elles sont encore vagues : une[111]partie même en a été occupée par tolérance et la question de propriété y est souvent difficile à trancher. La partie cultivée est très recherchée. Elle est très morcelée, surtout aux endroits rapprochés de l'agglomération, à cause des locations faites aux pêcheurs. Ces locations pour petites cultures, dont nous reparlerons plus loin, se font au prix élevé de 120 francs la mesure de 44 ares. La contenance totale de la commune est de 848 . 30 a. 77 e. Cette contenance est divisée en 1.959 parcelles et la matrice cadastrale porte 400 articles. La population comprenait en 1880, 1.834 habitants ; elle doit apnrocher de 2.000 aujourd'hui. La répartition des habitants par professions n'est pas établie ; aussi ne sait-on pas exactement le nombre de personnes vivant de la pêche. Le nombre des pêcheurs en mer est d'environ 150 hommes faits et 50 mousses, en évaluant l'équipage normal à 4 hommes et 1 mousse pour chacune des 37 chaloupes. On compte une moyenne de 6 à personnes par ménage de pêcheur. La population s'accroit rapidement, malgré la forte proportion de la mortalité enfantine. Depuis une vingtaine d'années, IHeyst est devenu le rendez-vous annuel de familles qui l'ont choisi comme station balnéaire. La plage est belle et sûre, sans falaises, mais sans galets ; elle est bordée d'une longue digue briquetée de 1.800 mètres, ornée de villas de tous les styles. IIeyst est moins luxueux que Blankenberghe et O0stende, mais on y trouve, près de la mer, la vie calme et les plaisirs de la campagne. La présence des étrangers a apporté à leyst un élément de prospérité, et des débouchés nouveaux à l'industrie locale. La station n'étant point station de luxe ni de jeu, les inconvénients de la colonie balnéaire, au point de vue moral, ne se sont guère produits, et il en est résulté d'autre part de sérieux avantages.
La pêche est l'industrie essentielle de la localité : les pêcheurs sont maîtres de la place. C'est aussi l'industrie qui doit nous occuper ici. Remettant à plus tard (§ 17) le détail, nous donnerons dès à présent une idée générale de son organisation. Le pêcheur de fHeyst n'exerce que la petite pêche cotière,; ses voyages ne sont ni longs ni lointains. L'industrie de la pêche s'exerce, sur notre littoral, dans les conditions qui se retrouvent sur presque toutes les côtes : La coutume y consacre l'association du travail et du capital, et la rémunération de chacun à la part. » La barque de pêche (schutter) appartient à un armateur (reeder, coopman), non au pêcheur (isscher) lui-même. Elle est montée par quatre hommes (maeten) dont un patron (staure [112] an), et un ou parfois deux mousses (laefen). La répartition des recettes se fait d'après un système coutumier très compliqué que nous analysons en rendant un compte spécial des profits de la pêche (§ 19). Quand la barque revient à la côte, il est fait triage du gros poisson et du fretin (deelvisc). Celui-ci est partagé entre l'équipage. Le reste, le gros, le principal. après avoir été lavé et nettoyé dans une cabane (bot) spéciale à ce travail, est immédiatement envoyé à des commissionnaires de vente des grandes villes, Bruges, and, Bruxelles. Louvain, Malines, Courtrai, etc. Ceux-ci font le compte de vente pour chaque barque et le renvoient à l'armateur, lequel dresse alors, avec l'aide du patron, son propre compte et celui de l'équipage. par quinzaine.
A Ostende, à Blankenberghe (et bientot, dit-on, aussi à Heyst) la vente du poisson se fait au contraire à la criée (afsldag), au marché (mnque de la ville. Ceci permet à tous demieux surveiller leurs inté èts, en assistant à la vente. Le profit de chaque homme est évidemment très variable. Il dépend des résultats de la pêche, des saisons, des conditions du marché. L'armateur prend d'abord sa part 1/5, le patron a une part avantageuse, et le mousse une part réduite ; les autres sont égaux.
Le bénéfice de 600 francs par an et par homme est un taux moyven qui satisfait déjà le pêcheur. Il tombe parfois à 500, surtout dans Ces dernières années, et il peut três exceptionnellement monter à 800 francs4. A Blankenberghe, ou les débouchés sont meilleurs, les profits sont plus élevés, et vont à 1.000 francs, chiffre ordinaire. L'armateur 1ournit aux pêcheurs le navire tout gréé. Il intervient aussipour sa part dans une grande partie du matériel de pêche, que l'équipage est tenu de se procurer.
§ 2. État civil de la famille.
La famille étudiée se compose des quatre personnes suivantes :
1.PIERRE X***, chef de la famille, veuf de Jeanne Y***............ 41 ans.
2.HENRIETTE Y***, Seconde femme du pêcheur, sœur de Jeanne............ 45 —
3.JOSÉPHINE, fille du pécheur (premier lit)............ 14 —
4.JEAN, fils du pêcheur (premier lit)............ 12 —
[113] Un garçon, né avant Joséphine, est mort en bas âge. Les époux ont perdu leurs parents, sauf le père de Pierre X*** (§ 12). Les deux enfants sont encore exclusivement à la charge du ménage. Jean va a l'école gratuite, mais il s'applique mal à ses études. Il sert la messe à la paroisse et est fier de ces fonctions. La fille va à l'école payante, l'école française, et y reçoit une éducation plus complète; mais elle n'aide guère sa mère à domicile.
§ 3. Religion et habitudes morales.
Les pêcbeurs sont très attachés à leur foi religieuse. Ceux même qui se posent en esprits forts ne mettent pas en doute les grandes vérités de la foi ; ils sont rares d'ailleurs, et Pierre X***, en particulier, est très sincèrement religieux ; il en a donné des preuves. Le danger auquel il est toujours exposé ne fait que fortifier sa croyance ; mais l'irrégularité du travail l'empêche de suivre exactement les pratiques du culte. Les enfants se préparent avec soin à la première communion, et ne s'embarquent pas avant douze ans. Le pêcheur ne travaille jamais le dimanche, et assiste régulièrement à la messe. Lors même que l'état de la mer l'oblige à aborder dans un des ports protestants de la côte voisine, en Hollande, il fait souvent un long trajet pour accomplir le devoir dominical. Le sentiment religieux se manifeste souvent dans la vie de famille. La bénédiction des parents est fort en usage : à chaque départ du père pour la pêche, il bénit ses enfants et dit adieu à sa femme, qui lui répond par le salut chrétien : Dieu vous protègel Les ménages sont généralement paisibles. L'entente n'y est ordinairement troublée que par les excès de boisson des chefs de famille ; l'ivrognerie est le grand vice endémique de cette populationde pêcheurs. Les enfants même, dès qu'ils sont en mer, apprennent à boire. Souvent aussi ils se corrompent. Les mousses sont astreints au service très dur de la surveillance de la chaloupe sur la côte, pendant la nuit. Durant ces longues veilles sur la grève, de douae à dix-huit ans, ils apprennent tous les vices. Les pères sages retiennent leurs enfants sur leur propre chaloupe, mais ils ne peuvent les préserver complètement. Ce danger est le grand souci de Pierre X***, qui préférerait[114]voir son fils embrasser un autre métier, mais celui-ci veut aller en mer. A l'époque du mariage, les jeunes gens se rangent et les mœurs deviennent honnêtes. Les fréquentations préliminaires sont longues, et les nombreuses fêtes locales les favorisent, mais l'honneur est généralement respecté et une faute commise est toujours réparée par le mariage. Les unions sont en général précoces ; dès que le pêcheur a le rang de compagnon (maet), il cherche à se marier ; les familles sont généralement nombreuses. Convoler en secondes noces est une habitude très commune ; cela est très naturel de la part du marin qui ne peut se passer d'une ménagère pendant qu'il est en mer. Le pêcheur est très fidèle à la messe mortuaire et anniversaire. Il tient à faire une belle messe à ses parents ; le service funèbre, qui est tarifé de 15 à 30 francs, est rarement payé ; le clergé ne réclame pas. L'influence du sentiment religieux se traduit encore à tous moments par des actes de dévotion, dans l'exercice même de la profession. Souvent le pêcheur demande des prières et des messes, fait des offrandes et des promesses pour obtenir la protection divine pour lui-même ou pour son entreprise. Chaque année° le clergé procêde solennellement à la bénédiction de la mer, et il est suivi de la procession des pêcheurs. Cette coutume traditionnelle est gardée avec soin. De même, quand une barque nouvelle est lancée, on la bénit, on la baptise, avec le concours de l'Église qui a consacré à cette imposante cérémonie une prière spéciale de son rituel (§ 21).
Malheureusement, le genièvre absorbe en général une part importante du revenu des pêcheurs, et frustre leur ménage de ressources considérables. On remarquera que, dans le budget des dépenses de la famille ( 14, S°P r°, art. 2), nous ne mentionnons que pour memoire es articles boisson et tabac, et en effet sur ce point toute lumière s'éclipse. A chaque paie de quinaine, le pêcheur prélève pour la boisson (ugtsdag), une avant-part qu'il est impossible de calculer, car il ne la confesse pas. De même, les dépenses de ce genre sont couvertes par des profits innommés, des prises en mer ou sur la côte, les épaves, la vente du menu fretin (deelisch), toutes choses dont l'estimation échappe absolument et où les camarades ne se trahissent pas. Généralement, ils ne boivent guère en mer ; l'alcool d'ailleurs leur serait là moins nuisible ; mais sur terre ils se livrent à des libations désordonnées. Notre pere de famille est un modèle au point de vue de la boisson ; il ne s'enivre pas.
[115] Les dispositions des pêcheurs à l'épargne, sont très variables. Elles dépendent d'abord beaucoup de la tempérance du chef de famille. puis encore des soins et de l'intelligence de la ménagère. Les arrangements du budget ordinaire des pêcheurs rendent leur situation souvent diffcile. Le produit de la pêche n'est pas toujours le même : en hiver, il y a souvent chômage, et, en tout cas, le produit est bien moindre qu'en été. Il faut donc, dans les ménages bien réglés, pour équilibrer le budget, répartir les recettes sur toute l'année. Les femmes soigneuses, comme celle de la famille que nous étudions, s'arrangent de maniêre à avoir toujours de quoi payer comptant les consommations du ménage ; elle a horreur des dettes. Mais ce n'est pas le cas le plus ordinaire. Il existe à cet égard des usages curieux de crédit. qu'il faut signaler. Il n'y a guère qu'un quart des pêcheurs qui paient comptant le pain de l'hiver. Il est d'usage que le boulanger nourrit les pêcheurs à crédit, de la Toussaint au carême, c'est-à-dire. pendant la mauvaise saison de la pêche. A partir de cette dernière époque, ils commencent à solder leurs arriérés, quand ils le peuvent. Ce sytème de crédit ne concerne que le pain ; les autres marchandises doivent toujours se payer comptant. Chaque samedi, les ménagères apportent au boulanger le pain qu'elles ont pétri, pour le faire cuire ; on inscrit alors leur dette en farine et cuisson sur un lret qu'on leur remet à cet effet. Parfois, mais rarement. le boulanger avance aussi quelque petite some au pêcheur gêné et l'inscrit sur son livret. Bien des pêcheurs, même lorsqu'ils sont à l'aise, usent du crédit pour le pain, parce que c'est la coutume ». Il y en a qui ne s'acquittent pas même en été, et restent de deux ou trois ans en retard. Alors, le boulanger les effraie, les menace de refuser crédit, les engage au moins à amortir ; mais il n'exécute jamais, sans doute de peur de perdre sa clientèle. En général les pêcheurs sont imprévoyants et l'ivrognerie accroît ce penchant dangereux : ils sont souvent criblés de dettes. Une des rues du quartier porte le nom signiicatif de Schuldpoort (quartier des dettes). C'est du reste pour eux le moindre souci.
L'emploi le plus ordinaire des épargnes des pêcheurs, quand la boisson leur en laisse, comme c'est le cas pour le nôtre, est l'acquisition d'une maison. Leur profession est essentiellement fixe, et il est évident que la propriété du sol a pour eux tous les avantages. Tous, ou presque tous, sont propriétaires. C'est la première affaire d'un pêcheur qui s'établit ; mais la plupart des maisons sont grevées de fortes dettes et d'hypothèques. Ils s'acquittent lentement : parfois[116]même, leur vie n'y suffit pas. A la mort du père, un des fils reprend et rachète d'ordinaire la maison dans les mêmes conditions. Les vieilles coutumes sont fort respectées parmi les pêcheurs. Cnis par un lien antique, ils forment une sorte de caste très puissante, et une corporation dont nous parlerons plus loin (§ 18). La tradition des familles y est très profonde.
Les pêcheurs ont souvent la vie pénible ; mais s'il y en a de nécessiteux, ils peuvent recevoir les secours de diverses institutions (§ 7). Il n'y a d'ailleurs pas de mendiants dans la commune. Les vieux parents sont soignés avec respect ; et la mère infirme de la femme N*re a été longtemps conservée au foyer avec un pieux dévouement, bien qu'elle fût sans ressources. Les pêcheurs qui rentrent de la mer font la part des pauvres, toujours en nature : d'abord ils donnent une part à ceux qui autrefois ont monté leur chaloupe et ne peur ent plus servir en mer ; ils distribuent aussi du poisson aux indigents qui se groupent autour du bot où se lave le poisson au retour. A Blankenberghe, il leur arrive d'emporter en mer les filets des veuves de pêcheur pauvres et de leur en rapporter la prise.
L'instruction est assez développée. Il existe à leyst une école libre pour garçons, une pour filles, et une école communale mixte. Il y a école gratuite et école payante. Les garçons des pêcheurs vont à l'école jusqu'à doue ans, âge de l'enrôlement des mousses ; ils savent lire et écrire, mais de bonne heure ils aspirent à la vie de mer. Sauf de rares exceptions, qu'expliquent les exigences du service des baigneurs étrangers, la population des pêcheurs ne connaît que la langue flamande et spécialement le dialeete est-flamand, parsemé de mots spéciaux usités chez tous les marins de la mer du Nord jusque ur les côtes de Norvège.
§ 4. Hygiène et service de santé.
Les membres de la famille jouissent d'une santé vigoureuse l'homme surtout est fortement constitué et ne se rappelle pas avoir été retenu au lit un seul jour. En général la race des pêcheurs est robuste ; ils n'ont cependant aucune notion d'hygiène, mais ils prennent des précautions contre le froid en augmentant l'épaisseur des vêtements. Les maladies les plus répandues sont la pneumonie, la[117]pleurésie et les rhumatismes, fruits des rigueurs de la température et du métier. Les fièvres intermittentes, même lorsqu'elles éprouvent fortement le reste de la population, atteignent moins les gens de mer. La mortalité des enfants en bas âge, jusqu'à sept ans, est considérable à cause de la force de l'air, de la dureté du climat ; mais ceux qui s'acclimatent deviennent plus vigoureux et il y a peu de décês avant soixante ans. Les enfants, à cause de la négligence de la plupart des mères, ont beaucoup de maladies de peau, teigne, gale ; mais notre famille n'en est pas atteinte ; la femme y est très soigneuse.
Le rude métier du pêcheur use vite ses forces ; souvent avant soixante ans il doit quitter la mer : alors il reste avec regret à contempler les eaux et les barques, à travailler aux filets ; et, depuis l'arrivée des étrangers, il se fait souvent baigneur et réalise de gros bénéfices. A partir de soixante ans, il reçoit un secours mensuel de 6 francs de la caisse de prévoyance. Les pêcheurs ne prennent aucune précaution contre les accidents. Il y a environ un accident mortel en deux ans. Ils n'emportent en mer aucun engin de sauvetage. pas même une bouée. S'il y a un malheur, ils reviennent à la côte. Leur premier recours est aux sœurs de l'Immaculée Conception, qui sont depuis longtemps expérimentées, les soignent et les rassurent. Quand une fracture se produit, la corporation octroie aussi des secours, Quand il y a des accidents graves, la famille de la victime est souvent aidée par une collecte faite dans le pays, e qui est ordinairement très productive.
§ 5. Rang de la famille.
bLe père de famille est un patron renommé pour son habileté, son expérience et sa probité. Il a été patron à l'âge de vingt ans, et dans les premières années il a perdu une chaloupe, ce qu'il déplore comme un ait de jeunesse. Il a plusieurs fois sauvé la vie de personnes en danger de se noyer, et il porte la médaille pour actes de courage et de dévouement. L'opinion générale de la localité lui est très favorable. Il a une vie modérée, boit peu et seulement ce qu'il faut pour ne pas être traité de mauvais camarade. Bien qu'il soit pauvre, la situation plus élevée de divers membres de sa famille (§ 12) rejaillit aussi sur lui. Il a un caractêre énergique et bien trempé ; fidèle à ses croyances, quant à l'éducation de ses enfants, il a résisté à de puissantes inr [118] fluences pour leur donner une éducation religieuse. Il y veille soigneusement avec le concours de sa femme dont il estime très haut les réelles qualités. Le fond du caractêre de Pierre est un peu mélancolique : il exprime avec tristesse son opinion sur les hommes et les choses ; il parle par aphorismes et avec grande conviction. Sa physionomie, basanée par le métier, est intelligente, même fine, et reflête son caractère de bonté triste mais énergique. Sa feme appartient à une famille de pêcheurs moins élevée, mais elle le seconde dignement. Elle est ménagère, active et intelligente. Le fils n'a pas hérité de lui à cet égard : il n'apprend pas bien à l'école et les parents doivent à regret se résigner à le faire mousse. Cette perspective est un grand souci pour eux, et l'inquiétude relative à la vie morale du garçon en est la cause principale.
Moyens d'existence de la famille
§ 6. Propriétés.
(Mobilier et vêtements non compris.)
Immeubles : acquis à l'aide de fonds provenant de l'héritage maternel, et d'épargnes personnelles, mais grevés des reprises à exercer (§ 12) par les enfants comme héritiers de la part de communauté de leur défunte mère............ 3.500f 00
Maison d'habitation formée d'un rez-de-chaussée seulement et comprenant une petite boutique, trois pièces et un grenier, avec un jardinet y attenant, 2.400f00.
Hangar contigu à la maison et affecté au nettoyage et parfois à la vente du poisson donné pour cet usage en location aux équipages de trois chaloupes, 800f00.
Porcherie, 300f00.
ANIMAUX DOMESTIQUES : entretenus toute l'année............ 60f 00
1 porc acheté 25f00, valeur moyenne pour l'année, 60f00.
MATÉRIEL SPÉCIAL DE Travaux et industries............ 424f 10
1° Engins et ustensiles pour le métier de pêcheur. — Part du patron dans les engins dont il est dépositaire et qui lui appartiennent en communauté avec l'armateur, les trois hommes d'équipage et le mousse ; savoir : 2 grands filets dits chaluts (ayant une valeur de 120f00 l'un, 240f00); 12 paniers (valant 1f25 l1a pièce, 15f00) ; — soit pour son sixième, 42f60 ; — part du patron dans les engins dont il est dépositaire et qui lui appartiennent en[119]communauté seulement avec ses trois hommes et son mousse ; savoir : 8 filets spéciauv dits folles ou rédres (alant 30f00l'un, 240f00); — 1 poéle, 20f 00; — 5 assiettes et 5 écuelles, 2f00; — 1 seau, 1f 50; — 22 petites barriques pour l'eau douce, 14f00 ; — 1 lanterne, 5f00; — pour son cinquième, 56f50. — Total, 99f10.
2° Exploitation du hangar mis en location. — 4 brosses à poisson, par an, 4f00; — 4 bacs, 3f00; — 1 marmite en fer, 10f00. — Total, 17f00.
3° Exploitation du champ pris en location. — 1 bêche, 6f00 ; — 1 hachette, 2f00. — Total, 8f00.
4° Commerce d'epicerie et mercerie. — Valeur des marchandises, 300f00.
Valeur totale des propriétés............ 3.984f 10
§ 7. Subventions.
La famille ne jouit d'aucune subvention, sauf l'écolage gratuit du garçon. Il faut cependant dire quelquesmots de celles qui existent à Heyst pour la communauté des pêcheurs. Nous allons les énumérer. — 1° Les épaves. n général les pêcheurs, et surtout les rôdeurs de plage, recueillent le menu bois et la tourbe que la mer apporte à la côte ; celui qui a pris possession d'un bloc de tourbe y plante un petit pieu; ce signe de propriété est respecté ; ces prises sont tolérées: mais, surtout en hiver, il leur arrive souvent de rencontrer en mer des objets de toute nature. C'est ainsi que les petites barriques sont ordinairement des prises. Il en arrive aussi de plus considérables, parfois même de vraies cargaisons, surtout des tonneaux de vin ou d'huile, parfois de fort bonne qualité. Même à la côte, quand il y a un navire en détresse, ils calculent ses chances de salut, ils peuvent, à la direction qu'il prend, avoir une certitude sur son sort et prévoir les chances d'épaves. A la côte, les agents du domaine réclament le droit de l'État aux épaves dans les limites de la souveraineté maritime ; mais le reste leur échappe souvent. Il est très rare que le pêcheur déclare les prises. S'il est hors du rayon, c'est son droit évident, mais il n'hésite pas à faire la contrebande sur ce point. La famille étudiée ne veut pas même recueillir les menues épaves de la côte : les parents ne l'y ont pas habituée. — 2° Le pêcheur peut retirer une ancre de la mer ; dans ce cas, il doit, par mesure d'intérêt général, la rapporter à terre, car l'ancre déchire les filets. Chaque chaloupe paie de ce chef à l'équipage une somme de 50 centimes, à titre de récompense, en vertu des statuts de la corpora[120]tion ( 18). — 3° La corporation des pêcheurs attribue des secours en cas d'accidents (§ 18). — 4° l existe une caisse de prévoyance qui donne des secours aux vieux pêcheurs de plus de 70 ans (1 franes par mois), aux veuves de plus de 65 ans (5 francs par mois) et parfois aussi à d'autres besoigneux. La caisse de prévoyance pour les pècheurs de leyst a un règlement approuvé par arrêté royal du 1 octobre 1843. Ce reglement impose aux pêcheurs une cotisation annuelle ; mais, depuis 1868, ils refusent de l'acquitter, sous prétexte que le gouvernement n'encourage plus la pêche nationale et que la caisse a suffisamment de capital. La caisse a effectivement un capital, elle joint à cette ressource un subside annuel de 1.375 francs : son capital s'est augmenté du produit de diverses collectes abondantes faites dans le pays au moment de certains accidents. En 1867, avec le reliquat d'une collecte, on avait fait une caisse spéciale pour donner des indemnités en cas de pertes de filets ; il y eut des abus, et le capital fut versé à la caisse de prévoyance. La commission de la caisse se compose du bourgmestre, du président du bureau de bienfaisance, du doyen de la corporation des pêcheurs et de deux armateurs. Voici le compte de la caisse pour 1884 : ˉRecettes Subside annuel, 1.37Sf ; Intérêts d'un capital de 11.500f, et d'une somme de 5.600f (provenant de l'ancienne caisse spéciale), ensemble 460f. Depenses en secours de Janvier à Juillet inclusivement (7 mois à 123f), 861f ; d'Aout a Novembre (4 mois à 129), 516f; Décembre, 309f ; frais de bureaux, 30f ; accidents, 0f. — 5° Bureau de bienfaisance. Les pêcheurs peuvent, comme tous les autres habitants, bénéficier, le cas échéant. des secours de cette institution. — 6° L'écolage gratuit existe pour illes et garçons.
§ 8. Travaux et industries.
Travaux de l'ouvrier. — L'ouvrier exerce la profession de pêcheur côtier, en qualité de patron, sur une chaloupe de son frère. A ce travail se joint celui qui est nécessaire pour la réparation et l'entretien de la chaloupe et de ses engins. Il fabrique aussi les filets d'hiver qui son s propriété comme pêcheur. Cette industrie s'exerce dans les conditions ordinaires que nous indiquons ailleurs (§ 1,17,19). Quand il n'est pas en mer, il s'occupe de sa chaloupe et de ses filets ; et, le[121]rese du temps, ous les pêcheurs se bornent à contempler la mer. leur passion et leur vie.
Travaux de la femme. — La femme consacre une grande partie de son temps à l'entretien du ménage ; c'est elle aussi qui s'occupe des industries accessoires qui donnent l'appoint au budget des recettes. — 1° Culture du champ. La famille loue une demi-mesure de terre et y cultive des pommes de terre. La femme y travaille. L'engrais est fourni en partie par le purin de la maison, en partie par le poisson non consommable ramené de la pêche, étoiles de mer, etc. Les pommes de terre du champ sont surtout consommées l'hiver, à l'époque du chômage, quand le poisson manque ; c'est le grand avantage de cette culture. Tous les pêcheurs ont leur lopin de terre, à la différence de Blanlenberghe où ils sont tout à fait citadins. — 2° ˉEngraissement du porc. Chaque année, au début de l'hiver, le pêcheur achète un jeune porc de 16 a 25 francs et l'engraisse de pommes de terre (tubercules et pulpes) et de farine de seigle. Au bout de l'année, on le fait tuer, saler. fumer, fondre, et on le consomme pendant l'hiver. Les gros ménages ont parfois deux porcs ; ils en vivent aussi pendant la morte saison. — 3° Commerce de mercerie et d'epicerie. La femme a entrer pris un petit négoce ; elle vend les objets de la consommation ordinaire des pêcheurs : épiceries, merceries, sabots, grosses faïences, huile, etc. Son mouvement d'affaires ne dépasse pas 1.200 francs. Chaque semaine des agents de magasins de Bruges viennent prendre ses commandes, et elle reçoit sa cargaison. Beaucoup de femmes de patron ont de ces petits magasins, mais souvent malheureusement elles y joignent un débit de boisson pour les hommes de l'équipage. — 4° ˉLocation du hangar. Les époux louent le hangar à trois chaloupes qui viennent y nettoyer le poisson nouvellement débarqué et parfois le vendre en détail. Ce hangar renferme une pompe ; il est traversé par une rigole centrale ; on y trouve paille, bacs, brosses. La feme doit entretenir tout cela ; le recurage du hangar, lui demande souvent beaucoup de temps à cause de la fréquence des retours. Chaque chaloupe paie de ce chef 30 francs par an.
Travaux du fils. — Le fils ne se livre à aucun travail lucratif. Il va à l'école où il travaille mal, et il sert la messe à la paroisse. Les parents auraient voulu le tenir sur terre au métier de charpentier ou à quelque autre, mais l'instinct du marin est héréditaire ; le garçon veut s'embarquer et sera mousse au prochain engagement (2 novembre), sur la barque que commande son père.
Mode d'existence de la famille
§ 9. Aliments et repas.
[122] La frugalité est générale parmi les pêcheurs. Sur terre ils prennent matin et soir du café au lait avec du pain de froment. onze heures et demie ils font le repas principal, composé de pommes de terre et de viande de porc, ou de poisson, avec du pain. La viande de porc, salée ou fumée, se consomme surtout en hiver pendant le chômage de la pêche. En été, on mange le menu poisson, le fretin (deelisc): on y comprend aussi les poissons inconnus au marché des villes. La graisse de porc sert d'assaisonnement pour le pain. En mer, le pêcheur emporte du pain, de la graisse, du poisson sec et du café. Il fait frire sur son poêlon quelques poissons de la pêche. Il mange quand il peut. Le pain, le porc, le poisson caractérisent son régime. La café lui sert de boisson. Il ne boit guère de biêre en ménage. Il n'y a pas de mets caractéristiques, si ce n'est la petite plie de mer séchée au soleil et qu'on vend 2 centimes la pièce ; c'est une friandise que les enfants grignotent et que tous les pêcheurs savourent. Le poisson see entre pour beaucoup dans l'alimentation et on le trouve excellent.
§ 10. Habitation, mobilier et vêtements.
La maison ne se compose que d'un rez-de-chaussée comprenant plusieurs pièces. C'est d'abord la boutique, où on pénètre de la rue : elle communique, d'une part, avec une petite pièce munie d'une cheminée ouverte où on fait la cuisine pendant l'été et qui conduit au hangar ; de l'autre, avec la chambre à coucher des parents, servant aussi de chambre commune et de cuisine en hiver, pour épargner le eombustible. De cette pièce, trois marches mènent à une petite chambrette plus basse où couchent les enfants. Par une échelle on parvient, du hangar, à un grenier où sont réunis les engins de pêche, que doit conserver le patron de barque. La maison est construite en maçonnerie et couverte de tuiles. Au delà du hangar, se trouve un jardinet où végètent quelques pommes de terre et quelques grosses[123]fleurs, telles que des tournesols ; là aussi est placée l'auge du porc. L'ameublement de la maison est soigné ; la propreté y est grande. Plusieurs meubles viennent des parents, de même que des menus objets qui décorent la chambre commune, images religieuses et sujets de marine. Sur la cheminée, comme dans toute maison rurale flamande, se voient alignées quelques faïences de fantaisie qui égaient la pièce. De petits rideaux coquets et propres ornent la fenêtre. On remarque des pots de fleurs, signe très ordinaire des qualités d'ordre d'une ménagère.. L'image du Crucifix et celle de la Vierge se trouvent plusieurs fois reproduites.
La cuisine d'été se fait dans une cheminée ouverte alimentée au bois ; la marmite, aussi selon un vieil usage flamand, est suspendue au-dessus du feu par une chaîne et un croc de fer : cet usage était déjà au moyen âge spécial à nos campagnes de Flandre.
Les vêtements féminins ont perdu beaucoup de leur caractère ; ceux du marin ont nécessairement gardé la forme particulière qui convient au métier.
La valeur du mobilier et des vêtements peut être estimée approximativement ainsi qu'il suit.
Meubles. : Simples, mais très soignés............ 342f00
1° Chambre a coucher et chambre commune. — 1 armoire, 40f00; — 1 armoire commode à tiroirs, 25f00; — 1 horloge enfermée dans une caisse en bois de 2 mètres de haut, 30f00 ; — 1 lit en bois blanc, 30f00; — rideaux de lit en indienne, 8f00; — matelas en plume et couvertures, 50f 00 ; — 1 ale de bois avec toile cirée, 10f00; — faïences d'ornement, 30f00 ; — crucifix et statuettes, 10f0; — gravures et encadrements, 10f00; — 1 poêle, 25f 00 — 7 chaises, 14f00. — Total 28e2f00.
2° Chambre a coucher des enfants. — 2 lits en bois blanc, 20f00; — literies, 30f00. — Total, 50f00.
3° Cuisine. — Il n'y a que la cheminée sans poêle, avec une galerie en bois pour poser à vaisselle, 10f00.
Ustensiles : modestes, très proprement tenus............. 46f 10
1 marmite en fer, 10f00 ; — 1 marmite, 4f 00 ; — 2 douzaines d'assiettes de faïence, 9f60, — 1 soupière en faïence, 2f00 ; — 2 vases à salade, 2f 00; — 6 tasses à café, 3f 00 ; — 2 douaines de cuillers et fourchettes en étain, 6f00 — 1 louche en étain, 0f50; — 1 cafetiére en faïence, 1f25 ; — 1 cafetiére en fer-blane, 1f75 ; — 6 couteaux, 6f00.
LINGE : évalué à............ 218f 00
Vêtements : d'un caractère essentiellement professionnel, sans recherche, mais très soigneusement tenus ; ils se font remarquer[124]par leur simplieité, hahituelle d'ailleurs chez les familles de pêcheurs............ 581f 00
VÊTEMENTS DU CHEF DE FAMILLE. — 1 chapeau ciré rabattu sur la nuque, dit sud-ouest, 3f00; — 1 camisole de fanelle rouge descendant sur les cuisses, 15f00 ; — 2 vestes en drap gros bleu, très épaisses, doublées de rouge, 50f00; — 1 manteau ciré imperméable, 12f 00; 2 paires de longs bas de laine blanche, 10f00 ; — 3 paires de chaussettes montant à mijambe, 5f00 ; — 1 paire de bottes de mer en gros cuir, à tiges montantes s'attachant à la ceinture, 32f00 ; — 1 calecon en laine rouge, 12f00; — 2 pantalons de dessus en gros drap, 36f00; — 1 pantalon de couverture (pour mettre en dessus de l'un des précédents) en toile rouge, 10f00 ; — 1 tablier de cuir, 15f00 ; — 1 paire de manches en cuir montant derriére le coude, 4f 00; — 2 paires de gants de mer en flanelle, montant au milieu de l'avant-bras, 4f00 ; — 1 écharpe ceinture, 2f00; — 1 paire de sabots, 1f00 ; — 1 paire de souliers, 10f00 ; — 1 casquette, 3f00 ; — 1 médaille d'argent obtenue pour actes de courage, 10f00. — Total, 234f 00
A terre, le pêcheur met son costume de drap le plus neu: en été il porte seulement une camisole rouge, blanche ou rayée.
Vêtements de la femme : évalués ensemble à 182f00; — biioux : 1 collier, or et arge nt, avec pendeloques sur la poitrine, 30f00; — 1 paire de boucles d'oreilles, or et argent, 30f00 ; — 1 bague en or, 15f00. — Total, 257f00.
VÊTEMENTS DES DEUX ENFANTS : évalués pour le jeune garçon, à 58f00 ; — pour la fillette, à 32f00. — Total, 90f00.
Valeur totale du mobilier et des vêtements............ 1.187f10
§ 11. Récréations.
La population côtière observe avec grande exactitude les dimanches et les fêtes de l'Eglise. llors de là, elle célèbre quelques fêtes religieuses spéciales, telles que la fête de saint Antoine, celle de la bénédiction de la mer, etc. Les pêcheurs tiennent beaucoup aux cérémonies et processions et se plaisent à y assister en grand nombre. Une fête religieuse, détournée de sa signification, est celle de la dédicace de l'église paroissiale, appelée en flamand hermesse (er-mis). Trop souvent elle dégénère en festivités bruyantes, danses et orgies. Les lermesses ont été multipliées. Il y en a à leyst quatre par an deux d'entre elles durent près de huit jours, pendant lesquels on chôme et on s'amuse. On fait alors des dépenses de luxe plus ou moins grandes, et la boisson prend aussi sa grande part de la fête.
Les récréations locales sont peu caractéristiques. L'homme mâche du tabac, boit vigoureusement et joue aux cartes. La danse, qui fait grand tort chez ces populations grossières, est peu répandue. Les[125]repas de famille sont dans la coutume, notamment à la naissance d'un enfant. Vu les nombreuses parentés des pêcheurs, ces tables sont souvent fort nombreuses. La population n'a d'ailleurs guère de fêtes spéciales : celle de la bénédiction de la mer et du baptême de la barque (§ 21) sont les plus imposantes et les plus poétiques ; elles font une profonde impression sur l'assistance. Hors de là, la vie commune n'a guère de faits caractéristiques, et M. Bardin, qui a écrit sur les mœurs des pêcheurs un roman simple mais charmant5, n'a point découvert non plus de note bien saillante. Le pêcheur qui chôme passe la plus grande partie de sa journée sur la grève, à contempler la mer et à deviser sur le temps, même quand le vent, la pluie et le froid font rage.
Histoire de la famille
§ 12. Phases principales de l'existence.
Les deux époux que nous décrivons, appartiennent eux-mêmes à des familles de pêcheurs dans lesquelles le métier est héréditaire ; mais la condition du mari est supérieure à celle de la femme. Celle-ci n'a rien reçu de ses parents, qu'elle a perdus tous deux, après avoir longtemps soigné sa mère infirme. Elle a épousé Pierre, veuf et père de famille, par dévouement pour les orphelins de sa sœur. kElle a deux frères qui sont pêcheurs, et trois sœurs vivantes, dont deux mariées à des pêcheurs, et une mariée hors du pays. Son père et son grandpère sont morts en mer, par suite d'accident.
Pierre a encore son père, pêcheur aussi jadis, mais, grâce à un second mariage, devenu armateur et propriétaire d'une dizaine de barques tant à leyst qu'à Blankenberghe. Pierre, outre deux demifrères, a deux sœurs et quatre frères. L'un est pêcheur comme lui: un second, charpentier de bateaux ; le troisième, grand armateur et cordier, possède jusqu'à vingt barques et fait d'excellentes affaires. La[126]source de cette inégalité est intéressante à connaître. Le grand-père maternel de Pierre était cordier ; sa veuve se remaria à un armateur ; mais un de ses petits-fils fut élevé chez le beau grand-père et l'assista dans ses travaux. La mère mourut ; son mari conserva le jeune homme, mais désirant se remarier à son tour, il lui assura une situation en lui concédant douze barques dans des conditions favorables. Le jeune pêcheur avait fait, lui aussi, un mariage avantageux : il profita de l'occasion, obtint aisément d'emprunter l'argent nécessaire à l'acquisition de ces barques, dont la valeur garantissait d'ailleurs fort bien le prêt ; et enfin, grâce à quelques années de forte pêche (c'était la bonne époque), il se libéra. Aujourd'hui propriétaire de vingt chaloupes, il emploie ses frères comme charpentier et comme stuerman, et a acquis une situation considérable. Cette inégalité n'a altéré en rien les bons rapports des divers membres de la famille. La seconde femme du beau grand-père ne fut pas favorable à Pierre et aux deux autres frêres, et le reste des biens passa à ses enfants. Notre pêcheur eut donc beaucoup moins. Lors de son premier mariage, il apporta 1.300 francs de la succession de sa défunte mère, plus 900 francs de dons et d'économies personnelles. Ces sommes, après les frais d'installation, furent surtout consacrées à un versement sur le prix d'une maison qu'il acheta. A la mort de sa première femme, avec laquelle il n'avait pas fait de contrat de mariage, les hommes de loi intervinrent. Quoique tous les biens vinssent du mari, ils attribuêrent la maison aux enfants et le sol au père. Cette situation est encore contestée et le rêglement n'est pas définitif. Les époux s'en préoccupent et s'en chagrinent vivement. Ils regrettent de n'avoir point fait de contrat leur assurant la survivance des biens. Ils redoutent l'ingratitude des enfants et espèrent encore arriver à un meilleur arrangement.
Tous deux travaillent avec énergie et assiduité ( 5), mais n'espèrent pas élever leur situation sociale, surtout par les mauvais temps que la peche traverse actuellementl.
§ 13. Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.
Il n'y a rien de spécial à signaler sous ce titre. Nous avons indiqué déjà le rang de la famille (§ 5) et ses meurs (§ 3). Nous [127] avons dit aussi l'usage général d'acquérir la propriété de la maison (§ 3), de louer un champ et de nourrir un porc (§ 8), et expliqué aussi les avantages qui en résultent. En parlant des subventions (§ 7), nous avons signalé aussi les institutions qui pecuvent secourir les pêcheurs dans les diverses circonstances pénibles de leur existence. Les principales garanties de sécurité dérivent de l'organisation des corporations de pêcheurs sur ces rivages, et des coutumes traditionnelles qu'elle consacre et maintient (§ 18). Des coutumes non moins anciennes ont établi parmi eux, quant aux salaires, un système d'association du capital et du travail, qui réalise (§ 19) depuis bien longtemps d'une facon satisfaisante l'idée de la coopération. Si la rénumération è la part est aujourd'hui discutée et mise en question, eela tient à une altération des meurs parmi ces populations : aucun des reproches que l'on fait à ce régime n'aurait pu se produire, s'il était pratiqué avec la bonne foi qui, pendant plusieurs siecles, l'a rendu efficace et tutélaire. Enfin la caisse de prévoyance (§ 20) est encore une institution protectrice qui serait digne de confiance, si elle fonctionnait sans diffieultés et d'un commun accord (§ 7).
Coment améliorer la condition du pêcheur Les uns voudraient modifier le paiement des salaires et en faire des prix fixes comme dans les autres industries. D'autres voudraientrendre le pêcheur propriétaire de sa barque, mais il faudrait l'habituer aux comptes de rapide amortissement, et le mettre à même de résister aux avaries par un système quelconque d'assurance. On émet avec raison l'avis qu'il faut encourager la pêche et augmenter le profit par le produit, protéger l'industrie par de sages conventions internationales et une surveillance active des gardes-pêche. Mais on ne peut oublier qu'avant tout il y a une action de relèvement moral et intellectuel à exercer, une lutte contre l'intempérance et les mauvaises meurs ; c'est là le point de départ de toute réforme utile.
Éléments divers de la constitution sociale
FAITS IMPORTANTS D'ORGANISATION SOCIALE;
PARTICULARITÉS REMARQUABLES;
APPRÉCIATIONS GÉNÉRALES; CONCLUSIONS.
§ 17. ORGANISATION DE LA PÊCHE CÔTIÈRE SUR LE LITTORAL BELGE.
[138] Les pêcheurs de Blankenberghe et de Heyst ne se livrent qu'à la petite pêche côtière. Ils vont à une quinaine de lieues, souvent sur les côtes de Hollande ; mais leurs voyages, qui sont fréquemment limités à quelques heures, ne dépassent presque jamais quatre jours (du lundi au vendredi), sauf cas de force majeure. Ils pêchent surtout les poissons suivants : raie, sole, turbot, églefin, esturgeon, cabillaud, rouget, plie. Les pêcheurs d'O0stende et la Panne, au contraire, font la grande pêcle, notamment celle du hareng ; ils vont jusqu'en Islande, et restent absents pendant des mois. Nous n'en parlerons point ici.
La barque ou chaloupe de petite pêche (schutter) est très primitive dans sa construction. Voici comment elle est décrite dans les rapports aux expositions de Boulogne et d'Anvers6: «Ce bateau de pêche est l'ancien bateau à clin, à forte tonture, à la forme et à la poupe rondes. Il a environ l l mètres de longueur ; sa plus grande largeur est de 3m,25 et sa profondeur moyenne de 1m,30. Ces dimensions lui donnent une capacité d'environ 20 tonneaux de jauge. Devant échouer sur le sable à chaque retour de la pêche, il n'a pas de quille, et ses varangues sont plates. Comme tous les bateaux qui appartiennent aux plages, il porte à tribord et à babord une grande semelle mobile, afin d'empêcher autant que possible la dérive. Le bateau n'est pas ponté, toutefois il possède à l'avant un réduit servant de lieu de repos. Son gréement est très simple ; il porte deux mâts[139]verticaux ayant chacun sa voile carrée, le mât principal occupe à peu près le point central, le petit mât est debout à l'avant. Une ouverture ménagée dans le tillac livre passage à la fumée d'un petit poêle, où le pêcheur fait frire le fretin de sa pêche.
D'après le même rapport à l'exposition d'Anvers sur la peche maritime, et d'après les intéressantes oles de M. A. Bardin, nous allons donner la description des engins de la pêche côtière. « La pêche, dit celui-ci7, e pratique de deux facons : au chalut (horrenet) et aux polles ou rèdres (staauleet)..... Le chalut, d'origine anglaise,.. a la forme d'une chausse conique, dont la gueule présente une ouverture de dix à douze mètres. Une vergue d'écartement, attachée à la première rangée de mailles de la partie supérieure, est maintenue par deux fers coudés, dont les extrémités aplaties soutiennent l'appareil et facilitent la traîne au fond de la mer. La rangée de mailles opposée est garnie de débris de cordages et d'étoupes ; elle frole le lit de la mer, et le poisson surpris s'engage dans la cache du chalut... Un fort grelin attache le chalut à la barque... Après deux ou trois heures de manœuvre, le chalut est hissé à bord, et la pointe conique étant défaite, laisse échapper le butin à fond de cale (la maneuvre est faite au cabestan). La pêche aux folles ou rêdres s'exercé en hiver, de novembre à mars ; elle s'attaque au cabillaud. Le filet, pareil aux barreurs employés à la pêche du hareng, est dressé en mer au moyen de balises flottantes qui maintiennent à fleur d'eau sa partie supérieure ; les ancres et les plombs qui tendent les parties inférieures, assurent une position verticale à l'appareil. D'ordinaire on embarque vingt filets, chacun d'eux peut avoir 25 mètres d'envergure, et de ce qu'ils se dressent de front, la ligne des balises atteint parfois une étendue de deux à quatre kilomètres... Le filet tendu est abandonné pendant un ou deux jours ; l'équipage y revient, visite l'appareil, et trouve le poisson, arrêté dans les mailles, par les ouies, qui ne lui permettent plus de s'échapper.
Les barques d'0stende, sont beaucoup plus considérables et construites à quille ; elles ont un tonnage qui atteint 56 tonnes mais ce sont aussi des chalutiers qui n'emploient pas d'engins plus perperfectionnés. Actuellement, il se produit un mouvement en faveur de la pêche par chalutiers à vapeur. M. A. Lecointe, ingénieur de la marine à Ostende, a publié une intéressante étude sur les condi[140]tions de cette trans formation et sur les compagnies et steamers de pêche en Angleterre8. Il y expose à la fois la question au point de vue industriel et financier, en comparant les comptes du système actuel d'Otende et ceux de la pêche à vapeur. A son avis, l'avenir de la pêche maritime est dans ce dernier système ; c'est aussi l'opinion du commissaire du gouvernement pour la section de la pêche maritime à l'exposition d'Anvers, M. Jules Orban de Nivry. Le produit moyen brut d'une chaloupe à voiles, peut être estimé pour Blanlenberghe à 6.500 fr. ; à Heyst, d'après les avis les plus autorisés, il n'atteint pas 6.)0) fr., sans doute à cause des conditions moins favorables de débouchés et de vente9. Le profit de la pêche a beaucoup baissé depuis quelques années avec le prix du poisson, surtout depuis que les armateurs anglais et français viennent déverser en abondance leur pêche sur nos côtes.
Les chaloupes appartiennent à des armateurs (§ 1) et non aux pêcheurs. Ce n'est qu'à la Panne qu'un philanthrope intelligent, M. Bordier, a avancé aux pêcheurs la somme nécessaire, en a reçu le paiement par amortissement, et a rendu ainsi le pêcheur maître de barques. Quelque avantage qu'l puisse y avoir pour le pêcheur, à acquérir cette situation, elle lui est inconnue aussi bien à Ostende qu'à Heyst et à Blankenberghe. L'armateur construit la barque, qui toute gréée, représente un capital engagé d'environ 5.500 francs. Ce capital fixedure en moyenne 14 ans, après ce service, la carcasse ne vaut plus qu'une cinquantaine de franes de vieux bois. Au bout de 9 ans déjà, il faut renouveler les grandes planches (verplanen) et durant toute la vie de la chaloupe, il y a de grosses réparations. L'armateur. d'après les bénéfices moyens de Heyst, ne réalise que 800 a900 fancs de recette brute. Il faut prélever sur cette somme les avaries et le rapide amortissement du capital. Or ces charges sont considérables ; aussi la plupart des armateurs augmentent leurs profit s, en ajoutant à leur entreprise l'industrie de cordier, que leur assure la fourniture de leurs équipages, et parfois celle de charpentierconstructeur. Dans ce dernier cas, faisant de grandes économies sur la construction et les réparations, ils parviennent à élever leurs bénéfices et à s'enriehir. Ils sont tenus de supporter les grosses avaries qui arrivent au corps de la chaloupe, aux mâts, aux voiles, à tout ce [141] qui est sur l'eau, plus les ancres, les gros câbles, la boussole, la lanterne, tout ce qu'ils fournissent au début, sauf faute de la part du patron, qui pourrait engager sa propre responsabilité. Dans les autres avaries qui arrivent aux filets, l'armateur intervient seulement pour sa part, comme dans la constitution du capital (§ 1).
L'équipage normal de quatre maeten, compagnons dont un patron, plus un mousse (§ 1), se forme chaque année vers la fin d'octobre. ordinairement le 2 novembre. L'armateur choisit un patron d'après ses capacités, car celles-ci ont grande influence sur le profit de la pêche ; il doit choisir les bons courants, connaître les places, éviter les avaries, etc. Le patron à son tour embauche son équipage. Ce engagements se prennent pour un an à partir de leur date, devant le commissaire maritime du gouvernement. La constitution du rôle d'équipage entraîne pour le pêcheur un impôt annuel de 9 francs (loi du 8 mars 1843). Aux termes d'un arrêté royal du 21 décembre 1849, les marins belges sont tenus d'être porteurs d'un livret dans lequel le commissaire inscrit les dates de leurs engagements et licenciements Le coût en est de 45 centimes. Les engagements changent rarement ; les hommes restent généralement fidèles à leur barque ; il y a assez de permanence. Les conditions disciplinaires de l'engagement sont dominées par le code belge pour la marine marchande et la pêche maritime, qui est la loi du 21 juin 1849. En vertu de son article 52, « le capitaine a sur les gens de l'équipage l'autorité que comportent la sûreté du navire, le soin des marchandises et le succès de l'expédition ». — Art. 53 : Le capitaine doit user de son autorité avec modération ». Bien de vieux usages . surtout à Blankenberghe, complètent ce code ou même dérogent. Ce sont les lois de la corporation.
§ 18. LA CORPORATION DES PECHEURS.
Les pêcheurs forment une catégorie toute spéciale de la population (§ 3), une sorte de caste. Très attachés à leur métier, ils se le transmettent presque toujours héréditairement. Si ous les fils de pêcheurs ne le deviennent pas eux-mêmes, il est cependant fort rare qu'on admette un étranger dans ce métier. Cn seul exemple s'est produit à Heyst depuis dix ans. Ce fait a été signalé, avec raison, par M. Van den Bussche, dans ses savantes et intéressantes études sur la pêche et [142] les pêcheurs de Blankenberghe10. A Heyst aussi, les mêmes noms de famille de pêche se retrouvent fort loin dans les souvenirs locaux et sont portés par un grand nombre de pêcheurs ; on cite les van 'orre, les Savels, les Vlieting, les van Dierendoncl, etc. Les pêcheurs se marient entre eu, et les engins de pêche se trouvent souvent dans l'héritage du père et dans la corbeille de la fiancée. A Blankenberghe les pêcheurs forment de temps immémorial une corporation, dont les antiques usages sont encore la loi du métier. La loi solennelle du serment des pêcheurs fut donnée par l'impératriee Marie-Thérèse dans une charte du 10 décembre 1767, qui ne faisait que confirmer, avec quelques modifications, les statuts du 26 mars 1696. La charte conservée est encore en vigueur, dans ses principales dispositions, et et a perpétué le souvenir populaire de l'Impératrice, dont bien des pêcheurs portent encore l'effigie. A Heyst, l'histoire ne parle pas d'un serment organisé. Il n'y a qu'un an, et le fait est remarquable, que les pêcheurs de cette plage se sont constitués en corporation, et sont allés demander au doyen de la pêche de Blankenberghe de leur donner un règlement. Celui-ci est une charte modernisée, mais inspirée des traditions du métier. La corporation est formée entre les 37 patrons de barque (stuerman). Elle a, à sa tête, un doyen et deux syndics, plus un secrétaire et un trésorier.
L'article essentiel de la charte corporative investit le doyen d'une autorité illimitée sur les membres du métier, en ce qui concerne la profession. Ils doivent obéir à ses ordres. Le lien. pour ne pas être assermenté, n'en est pas moins respecté. Le doyen de la pêche à Heyst, le pêcheur Amand Couvyser, réalise fort bien le type de son métier ; il est fier de sa dignité et a encadré avec une légitime satisaction l'ode inaugrurale qu'a composée pour lui un de ses compagnons, lors de son installation. Les prescriptions du règlement corporatif ne sont pas nombreuses. Elles portent sur quelques points de l'exercice de la profession. Voici les prin cipales : Défense d'aller en mer les dimanches et les jours de fête, d'y rester après le coucher du soleil les veilles de ces mêmes jours. Les chaloupes doivent occuper, sur la plage, les places qui leur sont assi gnées, sau cas de force najeure. Les chaloupes qui ramènent des pierres dans leurs filets doivent les porter au rivage et non les rejeter à la mer ; celles qui[143]pmènent une ancre à terre recoivent une rémunération des autres équipages, car pierres et ancres font des avaries au filets, et il importe de les tirer de l'eau. Si une chaloupe est en souffrance dans un port étranger, elle doit le télégraphier au doyen ; de même un retard de 48 heures sur le retour normal oblige le doyen à une enquête sur le sort de la chaloupe. La corporation donne parfois des secours aux pêcheurs qui ont éprouvé des accidents en mer. L'autor rité absolue du doyen ou de ses syndics peut étendre ces prescriptions. Nous avons dit qu'ils ont droit à l'obéissance des pêcheurs. Le doyen peut défendre de sortir un jour déterminé, de prendre telle place à la plage ; il peut ordonner la participation à telle fête. etc. La corporation est trop jeune encore pour qu'on puisse apprécier l'influence de son institution.
Les pêcheurs se connaissent bien entre eux : ils se désignent d'ordinaire par des surnoms dont l'usage est très répandu. Lorsqu'un homme débute sur mer, il reçoit un surnom en quelque sorte officiel, que lui impose un pêcheur appelé de ce chef le grand parrain (de groote peter), à qui ils offrent leurs souhaits de nouvelle année et qui leur donne un s petit verre » en étrenne le jour de l'an.
§ 19. LES SOCIÉTÉS EN PARTICIPATION CHEZ LES PÈCHEURS.
Les comptes de la pêche (§ 16, A) sont malaisés à fixer. D'antiques usages leur donnent une forme archaique dont il est difficile de saisir la clé. Le principe est l'association du capital et du travail, et la rémunération d la pat. Quand la barque arrive à terre, le gros poisson est expédié par l'équipage aux marchands de l'intérieur. Ceux-ci, chaque quinzaine, renvoient aux armateurs le compte de la vente. A cette somme, il faut joindre, en principe, le prix du poisson vendu directement par l'équipage, mais sur cet article, il y a souvent du déchet au profit des pêcheurs. Le produit brut fixé, l'armateur, de concert avec le patron de chaque chaloupe, dresse le tableau de répartition.
Avant part, on prélève 5% du produit brut, qui sont censés représenter les frais de comptabilité et de bureau ; c'est le schryfgeld. L'armateur en garde 2/3, et donne l'autre 1/3 au patron, à titre de[144]salaire spécial de sa direction ; c'est le stuermans gagie en prenant la moyenne de 600 francs, acceptée dans le compte des recettes, ce salaire peut s'élever à 87 ou 90 francs par an (§ 14, Sᵉ II). Sur ce qui reste, on prélève l'ensemble des frais auxquels tous les participants doivent contribuer, notamment les réparations ou le renouvellement des chaluts, ainsi que les frais de transport du poisson, la location du ot, les paniers, etc. ; ce sont les frais de l'expédition, nommés umosten van thuus (onbosten van t'hus, frais de la maison). Cela fait l'armateur, à titre de capitaliste propriétaire, prend 20 du reste, et sur cette somme il doit faire les dépenses que la coutume lui impose à lui seul ( § 1 et 17). Du surplus, on prélève les contributions dues par l'équipage, sans intervention de l'armateur, notamment les cordes pour la fabrication des filets d'hiver qui sont à sa charge. les frais du petit ménage de la barque, etc. : on désigne cet article sous le nom d'une vieille monnaie, dobbels. Enfin ce qui reste, produit net (rggeld) pour l'équipage, est partagé entre les 4 maeten et le mousse : chaque homme a une part ; le mousse a 2/3 de part. Ce partage s'appelle la paie. Dans ce compte n'interviennent donc ni les grosses avaries, que supporte seul l'armateur, sauf le cas de faute du patron ; ni le fretin, propriété exclusive de l'équipage.
Cela dit, dressons le décompte d'une quinzaine moyenne :
Le système des comptes est à peu près le même sur les diverses plages du littoral, sauf des variétés de détail. M. Bardin a publié le décompte de Blankenberghe ; M. Lecointe, celui d'Ostende. A Anvers, l'armement touche généralement 3/8 de la pêche, tous rais déduits ; a 0stende, 1/3 du produit net ; à Blankenberghe, comme à leyst, 1/5, sans compter les frais de gérance et de bureau (schrpfgeld). Ces différences proviennent de la part plus ou moins[145]considérable que prend le capital à l'exécution même de l'entreprise. Dans le système de pêche d'Ostende (§ 17), cette part est bien plus grande. Ces comptes sont asse compliqués, et il faut la longue habitude des gens de la côte pour y retrouver aisément les divers articles et leur signification. Il n'y a que peu d'années qu'on est parvenu à leur faire adopter la monnaie courante, au lieu des anciens patars, escalins, gros, etec.
Ce système de répartition des produits entre pêcheurs se pratique sur une foule de côtes. En France, en Espagne, en Grèce, en Russie, en Amérique, on trouve, comme en Belgique, le travail à la part11. Il en est autrement en Angleterre, en Hollande12. La nature du travail de la pêche explique cette organisation coopérative. Ce mode de contrat intéresse chacun au profit d'une entreprise où l'effort personnel et soutenu est réclamé de tous ; il les engage à veiller aux engins dont ils ont une part ; il est adapté à un genre de travail simple, mais où l'appui mutuel est indispensable : les difficultés de direction s'effacent devant la nécessité de la discipline à bord, pour le salut de l'équipage comme pour le succês de la pêche. D'anciennes habitudes, des relations intimes, des parentés fréquentes entre les pêcheurs facilitent aussi la pratique du système.
On ne peut assurément tirer de la coopération de pêche un argument en faveur du système général de la coopération de production. 'rop de circonstances spéciales interviennent ici. D'ailleurs, même pour les pêcheurs, tout le monde n'est point partisan du maintien de ces comptes antiques. Une grande confiance mutuelle est nécessaire. Or entre armateurs et pêcheurs également participants, il peut surgir des difficultés. Le systême peut prêter, des deux parts, à une exploitation qui engendre des récriminations où il est malaisé de saisir le bon droit. D'aucuns prétendent qu'il y a parfois une sorte d'exploitation mutuelle ou le travail fraude le capital par des ventes de poisson non déclaré et par d'autres moyens détournés, et où le capital se rattrape par les fournitures d'engins de pêche. Il est difficile d'apprécier la réalité de ces accusations mutuelles de fraude ou de trucb̀[146]que ce système de comptes facilite évidemment13. Il y aurait lieu d'examiner cette situation de plus près, et déjà quelques personnes songent à préconiser le salariat pour le pêcheur14. out n'est point parfait dans le système ; des mœurs patriarcales, de vieilles coutumes de paix doivent en rendre la pratique acceptable. Ces conditions peuvent-elles se maintenir, même dans une industrie très fermée, au milieu d'une situation générale si différente
§ 20. RÉGLEMENT DE LA CAISSE DE PRÉVOYANCE.
Le règlement de la caisse s'exprime comme suit : « Les armateurs, considérant qu'il est urgent de fonder immédiatement sur le modèle de celles existant à Ostende, etc., une caisse de prévoyance au profit des pêcheurs de cette commune, par le moyen d'une retenue à faire sur les profits desdits pêcheurs et dont le montant provenant de leurs épargnes personnelles servira, indépendamment de ce qu'ils reçoivent comme indigents par les distributions du bureau de bienfaisance, à adoucir tant soit peu la détresse de ces malheureux ; — Considérant qu'en stipulant cette retenue à 17 francs sur la recette brute par chaque bateau et par année, ensuite une retenue de 50 centimes par homme, non compris deux taxes, à chaque liquidation de comptes avec les pêcheurs, par mois ; les fonds provenant desdites retenues seront suffisants pour faire face aux pensions éventuelles à accorder :
ART. 1 4. — Les pensions mensuelles son t fixées comme suit : — A. Pur la veuve d'un pêcheur décédé, 5 francs, avec augmenta[147]tion de 2 francs pour chacun des enfants au-dessous de quaorze ans ;
— B. Pour le pêcheur qui. en service actif de la pêche de Heyst, aurait été mutilé, et qui par suite de cette mutilation serait incapable de servir sur mer, une somme de 5 franes, s'il est célibataire, ou veuf sans enfants au-dessous de quatorze ans ; 8 francs, s'il est marié ou veuf, avec augmentation de 2 francs pour chacun de ses enfants au dessous de quatore ans ; — C. Pour le pêcheur qui aura atteint l'âge de soixante-cinq ans, 6 francs ; — D. Pour celui de soixantedix ans, 8 francs ; — E. Pour celui de soixante-quinze ans, 10 francs.
ART. 15. — Les pensions stipulées aux lettres C, D et E, seront augmentées de 2 francs dans le cas où la femme du pêcheur pensionné serait âgée au delà de soixante-trois ans et en vie.
Ces pensions ne seront accordées que sous les conditions suivantes : — 1' que le vieux pêcheur ait exercé sa profession, pour le moins, les 5 derniêres années dans la pêche de Heyst ; — 2 qu'il ait subi la retenue stipulée pendant ce même laps de temps (en désuetude):
— 3° qu'il soit suffisamment prouvé qu'il ne va plus en mer.
ART. 16. — Les veuves des pêcheurs mutilés ou âgés et pensionnés comme tels seront considérées, pour ce qui concerne la pension à leur accorder, être dans la même catégorie que les veuves des pècheurs morts en service actif de la pêche.
§ 21. BÉNÉDICTION DE LA MER ET DES BARQUES.
Nous avons signalé l'esprit religieux des pêcheurs, augmenté par le contact perpétuel avec la puissance même du grand élément. Il sentent la Providence toujours présente et recourent volontiers et avec confiance aux prières de l'Eglise. « Confiteantur Domino qui descendunt mare in navibus, dit le Psahmiste, facientes operationem in aquis multis ». L'lEglise prête solennellement aux pêcheurs le concours de ses prières pour deux grandes cérémonies : la bénédiction de la mer ; la bénédiction de la barque. Nous en reproduisons ici le texte liturgique (ex Rituali romano).
Benedictio nouve auis.
Adiutorium nostrum in nomine Domini Qui fecit caelum et terram Dominus vobiscum Et cum spiritu tuo
[148] Propitiare, Domine, supplicationibs nostris, et benedie navem istaum dextera tua sancta et omnes qui in ea vehentur, sicut dignatus es benedicere arcam Noe ambulantem in diuviis : porrige eis, Domine, dexteram tuam, sicut porrexisti beato Petro ambulanti super mare ; et mitte sanctum Angelum tuum de cœlis, qui liberet et custodiat cam semper a periculis universis, cum omnibus qui in ea erunt : et famulos tuos, repulsis adversitatibus, portu semper optabili, cursuque tranquillo tuearis, transactisque ac recte perfectis netiis omnibus, iterato tempore ad propria cum omni gaudio evocare digneris. Qui vivis et regnas, etc.
Aspergatur navis aqua benedicta, et infigantur quatuor partes granorum caerei pascalis inaperturis confectis in navi. forma crucis.
Pour la bénédiction de la mer la formule est à peu près identique la bénédiction se fait avec le Saint Sacrement. Nous pouvons reproduire ici les formules, nous ne pouvons rendre l'imposante grandeur de ces cérémonies auxquels les pècbeurs assistent avec enthousiasme et recueillement.
§ 22. HISTOIRE ET LÉGISLATION DE LA PÊCHE EN BELGIQUE.
La pêche est de sa nature une industrie ancienne sur nos côtes il n'entre dans notre pensée ni de rechercher ses origines nationales, ni de parcourir toutes les phases de son histoire. Peu d'écrivains se sont occupés de la question. Seuls peut-être MM. Van den Bussche et Bardin15ont examiné les origines de la corporation de pêche de Blankenberghe. Les rapporteurs de la commission d'enquête érigée en 1865, sur la pêche, ont retracé quelques traits de l'histoire la plus moderne16.
Au rapport de M. Van den Bussche, les documents connus les plus anciens sur les pêcheurs de Blankenberghe remontent au douzième siècle. A partir du quinzième siècle, on suit l'histoire de leur corporation. Cette industrie fut prospère en Flandre au moyen âge, mais souffrit beaucoup des luttes religieuses du seizième siècle. La grande pêche au hareng surtout, si florissante au quinzième siècle sur les côtes flamandes, en recut un coup terrible. Le nombre des embarcations diminua. Au dix-huitième siècle le gouvernement autrichien[149]chercha à la relever. Charles V donna un règlement constitutif sur la corporation, et Macie-Thérèse le renouvela plus tard. En 1727, on avait cherché à ériger une compagnie de pêche, mais elle disparut sous l'action des mêmes causes qui firent tomber la compagnie des Indes. Cependant le gouvernement prenait souci de la pêche et ne demandait qu'à l'encourager. Les côtes flamandes désertées pendant les guerres, avaient à souffrir des concurrences de la France et de la ollande. On crut remédier à la situation en prohibant, en 1785, l'entrée du poisson étranger. Cet édit ne dura que deux ans. En 1787, le gouverneur, comte de Cobentzl, institua une commission d'enquête. Celle-ci conclut à la prohibition du poisson étranger, à l'octroi de primes et à l'établissement de bateaux chasseurs, chargés de rapporter au port le produit de la pêche. Ces mesures relevêrent un peu cette industrie, mais l'invasion et l'annexion françaises vinrent couper court à cette résurrection. IL'époque de Marie-Thérèse fut une époque heureuse, qui a laissé le nom de l'impératrice populaire et respecté. Pendant le régime français, tout fut suspendu par les réquisitions. les enrôlements forcés, l'arbitraire qui régnait partout. Nous n'en voulons ici pour preuve que la proclamation suivante, émanée du commandant des côtes, à la municipalité de Blankenberghe : « Citoyens, je vous invite de faire une proclamation qu'aucun pêcheur ne puisse aller en mer jusqu'à nouvel ordre. — Salut fraternité, » Signé : « RINDER. » On sait peu de chose de la pêche nationale, sous le gouvernement hollandais, de 1815 à 1831. I prit cependant quelques mesures pour relever l'industrie côtiêre. A partir de 1830, le gouvernement national s'occupa aussi de ces intérêts. La première partie des dispositions commence en 1831 pour finir à 1865. Pendant cette période domine l'idée de la protection directe de la pêche. Un arrêté de 1831, confirmait, en les modifiant, les droits sur le poisson étranger ; de 1834 a 1837, le législateur vota des crédits d'encouragement ; à partir de 1837, ils furent distribués sous forme de primes ; un arrêté de 1827 et d'autres de 1842, 1845, 1852 et 1862 déterminèrent le mode de distribution des primes et les conditions pour y participer ; ils réglementèrent très minutieusement l'exercice de la pêche, enfin divers arrêtés établirent des caisses de prévoyance pour les pêcheurs.
Ces mesures n'avaient pas développé la pêche, qui se plaignait vivement de sa situation. Les crédits avaient été portés, pendant quelq ues années, à 100,000 francs, puis avaient été réduits insensiblement ;[150]on semblait reconnaître leur peu d'efficacité. Les plaintes de l'indus trie provoquèrent, en 1865, l'institution d'une commission d'enquête. Présidée par le vicomte du Bus, elle avait pour secrétaire M. Hymans. La commission ne jug a pas que la peche fût en si mauvais état qu'on le prétendait. Elle soutint qu'elle pouvait d'ailleurs se relever elle-même, si on lui en indiquait et facilitait le moyen ; que la prime était un encouragement aussi stérile que la protection, et elle conclut à la libre admission du poisson étranger et à l'abolition des primes. Mais comment favoriser l'initiative des pêcheurs La commission, pour faciliter les entreprises industrielles, proposait la création des écoles de mousses et l'organisation d'une surveillance protectrice de la pêche. Elle demandait aussi les facilités de transport du poisson par chemins de fer. Grâce à ces moyens, la commission espérait développer la pêche par les effTorts de l'initiative privée.
Ces vœux furent presque tous exaucés ; les primes furent supprimées en 1867 ; une loi du 15 mai 1870 abolit tous les droits sur le sel, comme sur le poisson de première provenance, et défendit toute entrave au commerce du poisson ; l'école de mousses d'Ostende fut organisée ; enfin des tarifs et des voies rapides facilitèrent l'expédition du poisson par terre vers les centres du pays et de l'étranger. Par le fait que les primes disparaissaient, les règlements minutieu qui organisaient la pêche, tombêrent n désuétude ; et l'armement comme l'industrie reprit ses libertés d'allure. Les pêcheurs se plaignirent de cette transformation et notamment de la suppression des primes. La pêche si elle n'a point décliné, depuis 1867, est loin cependant d'avoir pris un sérieux essor, et la présente monographie en donne la preuve. La routine y domine, et on est loin de pouvoir lutter avec avantage contre les concurrences étrangères. L'avenir est-il donc voué à l'immobilité2 Non, sans doute ; mais il laudra bien que de nouveaux procédés appliqués avec la ressource de capitaux suffisants et le concours de marins bien dressés, mettent la pêche belge au niveau de la lutte. On a le projet de développer l'école des mousses ; peut-être introduira-t-on la pêche à vapeur, grâce à quelque initiative hardie que plusieurs ont recommandée17. Si à ces modifications on pouvait joindre l'enseignement de la tem[151]pérance ; si à ces enfants de la côte on pouvait apprendre la prévoyance et la modération, la pêche pourrait prendre rang parmi les industries florissantes. On aurait tort d'en désespérer.
Nous avons un mot à ajouter sur la police de la pêche. Les reglements minutieux sur l'exercice de l'industrie ont disparu ; mais il faut cependant veiller à la sécurité de la mer et des côtes. La loi du 27 septembre 1842, sur la police maritime, fut organisée par un arrêté royal du 8 mars 1843, qui détermine les fonctions des commissaires maritimes qu'il institue. Une loi du 2l juin 1849 fut promulguée sous le titre de code disciplinaire et pénal pour la marine marchande et la pêche maritime. Un arrêté royal du 21 décembre. même année oblige tous les marins à être porteurs d'un livret. La protection et la police pouvaient s'étendre utilement plus loin. même à la haute mer : dans le courant de 1862, les puissances adoptèrent des mesures communes pour les signaux et maneuvres destinés à prévenir l'abordage (arrêtés de 1862, 1873 et 1880); en 1877 ut promulgué de même un code de signaux à l'usage des bâtiments de toute nation. Enfin le 6 mars 1882, fut conclue à la Haye une convention internationale entre les puissances intéressées, pour régler la police de la pêche dans la mer du Nord. en dehoirs des eaux territoriales. Cette police protège les pêcheurs des diverses nations contre l'hostilité, la, négligence ou le mauvais gré, et tout ce qui pourrait être concurrence déloyale. Les puissances sont chargées de veiller à cette police par leur marine militaire. Il serait utile que la Belgique exerçât d'une manière sérieuse cette surveillance en faveur de ses nationaux.
Observations ajoutées en 1888. — La convention de la Haye a donné lieu à la création d'une police de la pêche. Un aviso belge en est chargé tandis que les autres puissances, notammentl'Angleterre, l'exercent de leur côté. Celle-ci le fait avec beaucoup d'attention ; des infractions fréquentes ont été poursuivies à la charge des pêcheurs belges par les autorités anglaises ; il en a plus rarement été de même, dit-on, à la charge des Anglais. Les pêcheurs belges ont eu avec les Anglais de fréquents conflits, qui ont entrainé récemment à Ostende des conséquences sanglantes. On se plaint des stipulations du traité de la Haye, dont plusieurs sont défavorables à la pêche belge et à ses procédés On se plaint aussi de l'application de la convention elle-même par les autorités. L'examen des éléments de ce débat est en dehors du cadre de notre présente étude. L'affaire d'Ostende a fait du bruit dans le pays.
[152] Des interpellations se sont produites à la Chambre18. Le gouvernement vient d'ouvrir une enquête sur la condition de la pêche. La commission fonctionne au moment où nous écrivons ces lignes (mars 1888). Déjà, en 1886, la commission royvale du travail, siégeant à Ostende, avait recueilli les plaintes des pêcheurs19.
Ces difficultés ont attiré aussi l'attention sur la condition des pècheurs. On a attribué leur irritabilité à leur triste situation. Le produit de la pêche va sans cesse en déclinant. La moyvenne du profit du propriétaire par barque, qui à O0stende était de 4.000 franes environ en 1882, est tombée à 856 francs20en 1887 ; on sait que les barques d'0stende sont plus grandes que celles de Heyst. Dans le système de partage usité, comme le remarquait M. de Hemptinne à la Chambre, « le salaire est immédiatement et plus durement atteint que dans d'autres industries ». Or à Ostende la situation du pêcheur, à salaire égal, est pire qu'à lIHeyst. Ici, nous l'avons vu, le petit champ lui procure une ressource supplémentaire précieuse, que celui d'Ostende ne connaît ni n'apprécie.
Nous ne voulons point, pour le moment, nous livrer à une étude comparée de la situation des pêcheurs d'Ostende avec celle des autres pêcheurs des côtes de la mer du Nord, soit sur notre littoral soit en Angleterre. Trop de causes locales influent sur cette situation. On a pu constater qu'il y a des différences importantes même entre les groupes voisins de Heyst et d'Ostende. Ea Soeiété belge d'économie sociale s'est récemment occupée de ces derniers, à l'occasion d'un exposé plein d'intérêt fait par un de ses membres, le comte F.-L. Waldbott de Bassenheim. L'enquète qui vient de s'ouvrir eût pu fournir à leur sujet de plus complètes lumières ; mais la commission d'enquête, écartant la question économique proprement dite, a cru devoir borner ses investigations au point de vue industriel et à l'examen de la convention de la Haye.
Notes
1. La monographie du Pecheur côtier d'Heyst a été présentée à la Société belge d'économie sociale, qui a consacré à la discuter la séance du 17 février 1886.
2. Exposé de 1861 a 1875 publié par la Commission centrale de statistique. Bruxelles, Lesigne 1885, t. 1. p. 24.
3. Voir à ce sujet notre ouvrage intitulé : Code rural de la Belgique. Louvain 1884. liv. 1I, titre 9 ; et A. Vandenpeerecboom. ˉLes Gildes, dans la Patria ˉBelgica, 1880.
4. D'après la déposition d'un patron pêcheur à la séance d'enquête tenue à Heyst le 26 mars 1888. les pécheurs ne gagnent actuellement que 500 francs à peine ; il y en a qui ne gagnent que 400 et même 300 francs. Le chiffre. naguère moyen, de 600 francs parait être devenu un maximum. (Note de 1888.)
5. Les Rodeurs de la cote.
6. Rapport de M. de Brouver à Boulogne cité dans le rapport sur la pêche maritime à l'exposition universelle d'Anvers, 1885, p. 24.
7. Notes historiques sur Blanhenberghe. Bruges. Daveluy 2e éd. s.d. p. 63.
8. La pêche â vapeur en Angdeterre et l pêche à Oslede. Ostende; Daveluy, 1881.
9. Rapport cité.
10. Van den Bussche. La peche et les peiceurs de Blankenberghe, 1877, et les articles épars dans la Revue La landre. publiée à Gand. Ce même ouvrage publie le texte flamand de la charte de la corporation.
11. F. Le Play, Ouvriers européens, t. I. p. 97.—Le Pécheur de Saint-Sébastien,Ouvriers des Deux Mondes, 1ʳᵉ série, t. I, n° 9. — F. EScard, e patronage ches les pecheurs de la Méditerranee, Annuaire de l'économie sociale, 1880, p. 215. — Les Pécheurs cdtiers des Martigues, Bull. Soc. écon. soc., t. VII, p. 13. — ne Paroisse modèle, Association catholique, Paris, 15 décembre 1879. etc. — Le pêcheur de Martigues ; Ouvriers des Deux Mondes, 2ᵉ série, t. I, n° 52.
12. Le pécheur de Marben,Ouvriers des Deux Mondes, 1 série, . IV, n° 37.
13. Etude de M. le Ce F. L. VNaldbott de Bassenheim, en séance du 9 novembre 188 de la Société belge d'économie sociale, résumée dans leouvrier de Brurelles des t1 et 12 novembre. Elle concerne les pêcheurs d'0stende.
14. La loi du 16 août 1887, défend le paiement des salaires en nature et interdit, sauf cas spéciaux, les fournitures de patrons à ouvriers. Elle a pour but d'empêcher les abus du truch system. (Voir notre article : Les nouvelles lois sociales en Belgique, dans la éforme sociale. 2e série, t. V, p. 1I97.) Mais cette loi, d'après une déclaration faite au sénat par les ministres, ne s'appliquera pas aux pécheurs (séance du 11 aout 1887): bien qu'une jurisprudence récenle en matière de responsabilité les ait traités comme ouvriers, le législateur les a considérés plutôt comme associés du patron. Le sénateur d'0stende a d'ailleurs fait remarquer que l'armateur, dans la grande pêche, fait des avances aux pêcheurs pour la durée du voyage et les reprend au retour. On ne peut sSans inconvénient rendre ces avances impossibles. (Note de 1888.)
15. Ouvrages cités.
16. Rapport de la commission chargée de faire une enquéte sur la situation de la pêche maritime en Belgique. Chambre des représentants, séance du 17 mai 1866, vol. 8°, Bruxelles, Deltombe, 1866.
17. La pêche à vapeur a cependant des adversaires (voir le travail de M. Lecointe). on lui reproche pariois demoins soigner le poisson, ce qui le déprécie : il semble qu'on peut éviter cet inconvénient.
18. Séance du 17 novembre 1887.
19. Comptes rendus de la commission. Section A, p. 65 à 6.
20. Cette baisse dans le produit de la barque de pêche coïncide cependant, chose curieuse, avec une augmentation dans le produit total de la pêche. L'augmentation provient des barques a vapeur et du chiffre croissant des barques à voiles ; le produit moyen des barques en a diminué, ce qui a empiré la situation des pêcheurs qui les montent. Voir la discussion citée. qui a eu lieu le 17 novembre 1887 à la Chambre.