N° 19.

DÉBARDEUR

ET

PIOCHEUR DE CRAIE

DE LA BANLIEUE DE PARIS

(SEINE. — FRANCE)

(Journalier, dans le système des engagements momentanés)

D'APRÈS LES

RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN NOVEMBRE ET DÉCEMBRE 1858

PAR

M. T. CHALE

CARRIER ET FABRICANT DE BLANC D'ESPAGNE


Sommaire


Cliquez pour zoomer ou afficher en plein écran. Utilisez les flèches pour passer d'une page à l'autre (42 pages disponibles).


Ce texte est issu d'une reconnaissance optique de caractères (OCR) et peut comporter des erreurs.

Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.

I. Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille

§ 1ᵉʳ. — État du sol, de l'industrie et de la population.

[447] La famille décrite dans la présente monographie habite la commune de Port-Marly, canton de Marly-le-Roy, arrondissement de Versailles, située sur la rive gauche de la Seine et sur le bras de décharge de l'établissement hydraulique dit Machine de Marly. Cet ouvrage célèbre de Louis XIV, transformé, en 1826, par la substitution d'une machine à vapeur, a été récemment agrandi par Napoléon III ; il a pour objet d'élever les eaux de la Seine à une hauteur suffisante (162 mètres) pour les distribuer dans la ville de Versailles. La commune de Port-Marly est à 2 kilomètres au nord de Marly-le-Roy, et à 16 kilomètres à l'ouest de Paris ; placée au bas de la colline qui porte Marly-le-Roy, elle est traversée par une des routes [448] qui conduisent de Paris à Saint-Germain-en-Laye. Les habitations qui, dans le siècle dernier, se groupèrent autour de l'établissement hydraulique, ne constituent une paroisse, et par conséquent une commune, que depuis 1775. À cette époque, cédant aux pressantes sollicitations de quelques pieuses dames de la cour, le roi Louis XVI fit construire, sur sa cassette, l'église actuelle d'un aspect monumental, le presbytère et la maison d'école.

Le sol est composé de sable argileux, de craie et d'argile proprement dite. La colline où s'élève Marly-le-Roy est principalement formée de calcaire siliceux, de l'étage tertiaire inférieur, ou calcaire siliceux de Saint-Ouen. Sur la pente qui descend vers la Seine se montrent les sables de ce même étage, que les géologues désignent sous le nom de sables de Beauchamp. Plus près du niveau du fleuve viennent affleurer, sur la même pente, les couches tour à tour calcaires et marneuses du calcaire pisolithique, au-dessous desquelles se trouvent les vastes dépôts de la craie blanche dont les assises supérieures, mêlées d'un sable que le lavage en peut séparer, se prêtent à la fabrication de la matière connue dans l'industrie sous le nom de blanc d'Espagne.

Le territoire de la commune a une étendue de 141h2423 ; c'est à cet égard une des plus petites communes de France. Cette superficie restreinte est partagée en 1759 parcelles dont la plus grande a 1h0092. La culture y est assez variée ; 30 hectares environ sont consacrés à la vigne qui produit en moyenne, par hectare, 90 hectolitres d'un vin de qualité commune. Le reste du sol est employé à la culture des céréales, des légumes, des arbres fruitiers. Le rendement des terres cultivées en blé est de neuf fois la semence, ou 20 hectolitres environ par hectare, et il serait bien supérieur, si le morcellement du sol n'occasionnait pas une perte considérable de semence. En effet, lorsqu'on sème les parcelles étroites, une partie du grain lancé à la volée par la main du semeur se trouve répandue sans utilité sur le champ voisin consacré à une culture d'un autre genre. La majeure partie des nombreuses parcelles formant le territoire de la commune est possédée par des habitants des communes voisines presque uniquement peuplées de cultivateurs.

Port-Marly possède 2 hectares de terrains communaux, comprenant le port et la place de fête plantée de marronniers d'Inde dont les fruits suppléent aujourd'hui aux céréales dans la fabrication de l'amidon. État peu étendue et traversée par plusieurs routes impériales, dans diverses directions, cette commune n'a pas de chemins vicinaux. Quant au port, il est formé d'un terrain vague applicable au chargement ou au déchargement des bateaux. Aucun ouvrage [449] d'utilité publique n'y favorise ces opérations ; la commune n'a pas fait, jusqu'à présent la dépense que nécessiteraient l'achat et l'installation d'une grue ; personne n'y a même songé. Il n'y a pas de quai pour ménager l'approche des bateaux ; ceux- ci communiquent de leur bord au sommet de la berge, à l'aide de fortes planches ou madriers jetés en travers. Le port reçoit chaque année une cinquantaine de bateaux chargés presque exclusivement de houille d'origine belge, de tuiles et de briques, de pierres à plâtre (gypse) pour le service d'une plâtrière placée au bord du fleuve. Ces diverses marchandises sont de là transportées à Versailles, dont la commune ici décrite est en quelque sorte le port. Les bateaux qui ont fait le transport du charbon de terre retournent en Belgique sans chargement, ce qui contribue à maintenir élevé le prix du frêt de ce combustible ; ce prix ne descend guère au-dessous de 9f la tonne, et il s'élève souvent jusqu'à 14f. Il n'y a aucun commerce d'escale le long de la rivière.

À son arrivée, chaque bateau effectue son déchargement au moyen de certains ouvriers de la localité qui vont chercher la marchandise dans le bateau et la transportent sur le terrain du port ; ces ouvriers exécutent aussi le chargement des bateaux qui, parfois, remportent certains produits du pays. On leur donne le nom de débardeurs, et l'ouvrier présentement décrit se rapporte à cette classe. Autrefois, leur industrie était florissante, grâce à l'abondance des bateaux à Port-Marly ; aujourd'hui, sous l'influence des mauvaises meurs, les sources de cette industrie se sont taries peu à peu (B), et la plupart des débardeurs ont dû, comme dans le cas présent, chercher dans un autre travail l'emploi de leur temps et les ressources nécessaires à leur existence. Il existe dans la commune une plâtrière, une fabrique de chlore liquide, deux fabriques de blanc d'Espagne avec carrières à craie, une carrière de pierre tendre dite moellon [N° 11 (A)] et dix ateliers de blanchissage. Le commerce des boissons doit un développement extraordinaire aux habitudes d'intempérance des habitants de Port-Marly (B) ; on y compte 18 cabarets, soit 1 cabaret pour 29 habitants ; il faut y ajouter un bal public et un établissement pour les bains froids, sur la rivière (§ 3).

La population de la commune comprend 531 habitants ; les chefs de famille ou de maison et les ouvriers qu'ils emploient se répartissent, ainsi qu'il est indiqué ci-après, entre les diverses professions (F) ;

Catégorie socio-professionnelles des chefs de famille ou de maison et des ouvriers de Port-Marly (1) (§ 1)
Catégorie socio-professionnelles des chefs de famille ou de maison et des ouvriers de Port-Marly (1) (§ 1).
Catégorie socio-professionnelles des chefs de famille ou de maison et des ouvriers de Port-Marly (2) (§ 1)
Catégorie socio-professionnelles des chefs de famille ou de maison et des ouvriers de Port-Marly (2) (§ 1).

[450] Il existe dans cette commune 16 maisons possédées par des personnes résidant habituellement à Paris, mais qui, selon une habitude très-répandue parmi les Parisiens, viennent s'y fixer pendant la belle saison.

§ 2. — État civil de la famille.

La famille comprend les deux époux et cinq enfants, savoir :

Paul B***, chef de famille, marié depuis 14 ans, né à M**, (Seine-et-Oise).............. 40 ans;

Aimée M***, sa femme, née à B** (Seine-et-Oise).............. 30 [ans]

Pauline B***, leur fille aînée, née à P***.............. 14 [ans]

Augustine B***, leur 2e fille, né à P***.............. 10 [ans] 1/2

Séraphine B***, leur 3e fille, née a P***.............. 9 [ans]

Paul B***, leur fils, né à P***.............. 7 [ans]

Virginie B***, leur 4e fille, née à P***.............. 4 [ans]

La famille a perdu deux autres enfants : l'un à 2 ans, l'autre à 5 mois ; la femme est enceinte de son huitième enfant.

Le chef de la famille n'a plus ni père ni mère ; son père était fabricant de blanc d'Espagne (§ 8) ; il possédait une maison où étaient ses ateliers, une carrière de craie fournissant la matière première, des charrettes et des chevaux pour son exploitation. L'ouvrier a eu 9 frères et sœur ; il ne survit plus aujourd'hui que 3 frères qui exercent la profession de carriers piocheurs de craie ; 2 autres frères ont péri écrasés dans les carrières en se livrant au même travail.

La femme a encore son père et sa mère ; ils habitent B***, et y vivent du revenu de quelques économies acquises dans une longue vie de travail, et placées à intérêt.

§ 3. — Religion et habitudes morales.

[451] Le père et la mère sont catholiques, mais ils ne pratiquent la religion en aucune manière. Le père ne sait pas au juste s'il croit à Dieu, et le danger continuel, auquel il est exposé dans la carrière où il travaille, ne réveille pas chez lui l'idée de la Divinité. Il n'a jamais placé à l'entrée de sa voie de travail, comme cela se pratique souvent, un buis béni, ni figuré à la pioche, sur les murailles de craie, l'image grossière du Christ, en vue de la protection de Dieu (A). Il n'entre à l'église que les jours d'enterrement d'un camarade pour aider à porter le cercueil au cimetière ; on se rafraîchit ensuite au cabaret prochain.

Il procure le baptême à ses enfants, et souffre que ces derniers fassent leur première communion ; mais, pour lui, cette première communion est une charge, parce qu'elle occasionne certaines dépenses et prend un temps qu'il considère comme perdu. À quoi cela, suivant lui, peut-il servir3 Le curé fait son état comme lui fait le sien, voilà tout.

L'ouvrier est d'un caractère tranquille ; il aime à ce qu'on le considère comme étant de bon compte, et ne porte jamais une heure de plus à son rôle de quinzaine.

Il est compatissant aux souffrances de ses camarades, et partagerait volontiers son morceau de pain.

Mais il est adonné depuis 15 ans à l'ivrognerie, dont rien n'a pu le guérir, et qui lui donne, dans son dénuement, les seules heures, non de bonheur, mais d'oubli.

Il fuit au cabaret la présence d'une famille dont la misère le chagrine; il vit au jour le jour (D). Il n'espère plus rien, il n'a que le courage de sa tâche quotidienne1.

Au surplus, tout en se rendant compte de sa position fâcheuse, cause pour lui d'une tristesse qui ne disparaît que les jours d'ivresse, il ne se plaint pas d'avoir une nombreuse famille ; il aime ses [452] enfants, et c'est par là qu'il entre quelque joie dans son cœur. Il ne dit pas que le nombre de ses enfants soit la cause de son dénuement (E).

Aucune préoccupation politique ne trouble cette vie et les habitudes de laisser aller et d'imprévoyance de l'ouvrier. Tous les gouvernements lui paraissent également mauvais, parce que, dit-il, ils lèvent tous l'impôt et le distribuent à des gens qui ne font rien.

La mère de famille a suivi, dans sa jeunesse, les pratiques de la religion; mais depuis sa première faute, suivie d'ailleurs de son mariage civil et religieux, elle a cessé de fréquenter l'église, et les nécessités du travail l'ont rendue étrangère à toute dévotion.

Elle est douée, au surplus, d'un caractère aimant ; elle est dévouée à son mari et à ses enfants, souffrant, sans se plaindre, de l'ivrognerie de celui-ci. Elle ne le condamne pas, elle l'excuse.

En retour, l'ouvrier lui concède une certaine autorité dans le ménage ; c'est elle qui tient la bourse de la maison ; elle la défend contre le cabaret, souvent sans succès, mais toujours sans subir ni rendre des violences.

C'est elle qui conserve la gaieté et le courage au milieu des privations de sa famille. Elle lutte surtout contre les apparences de la misère. Ses meubles sont cirés avec soin, son carreau propre, ses hardes bien rangées dans son armoire. Elle a des rideaux aux fenêtres qui donnent sur la rue. Sa batterie de cuisine, cadeau de noces, est luisante et ne sert jamais.

Ce qui la console, c'est de voir sa fille aînée gagner déjà 1f25 à 1f50 par jour. Elle se repent seulement de lui avoir donné un état qui l'expose, parmi des femmes presque toutes débauchées, à une corruption précoce.

Si le père, par une sorte de bienveillance et de bonhomie passives, ne se plaint pas du nombre de ses enfants, cause pour lui d'une gêne présente, la mère, par quelque chose de plus élevé dans le cœur et l'esprit, est heureuse de leur nombre. Elle se complaît à l'idée que, devenus grands, ils pourront à leur tour lui rendre les soins qu'ils ont reçus d'elle. Elle place en eux l'espoir d'échapper au dénuement dans sa vieillesse.

Si donc le nombre des enfants est, pour la mère, la cause actuelle de beaucoup de privations, c'est en même temps l'espoir de l'avenir. Elle serait dans le vrai, si, pénétrée de sentiments religieux, elle avait la volonté et la force d'élever ses enfants dans la pratique sévère des devoirs du chrétien et du respect des vieux parents.

La fille aînée ne paraît pas encore entraînée dans la voie mauvaise où se trouvent presque toutes ses compagnes. Elle a conservé au chevet de son lit l'image que le curé lui a donnée lors de sa [453] première communion, et, en sautoir sur l'image, un petit chapelet à grains noirs, terminé par une petite croix blanche. Mais déjà on la laisse aller danser les dimanches au bal du pays, sale réunion où l'obscénité des propos le dispute à l'obscénité des gestes, si le gendarme cesse un instant sa surveillance obligée.

§ 4. — Hygiène et service de santé.

L'ouvrier est de moyenne taille (1m65), de force ordinaire et suffisante pour son travail; maigre et nerveux comme tous ceux qui, dans le pays, font un grand usage du vin. Cependant, quoique dans l'âge de la force, ses cheveux ont blanchi avant le temps, ses bras ont visiblement perdu de leur première vigueur, et s'il travaille avec la même habileté, ce n'est plus avec la même énergie.

Il n'a jamais été malade et supporte facilement le vin. Il n'a jamais reçu, dans l'exercice de sa profession, de blessure grave, grâce à son adresse.

La femme est de taille élevée (1m60), d'une santé florissante malgré les privations et les fatigues. Les enfants sont bien portants, et n'ont jamais éprouvé que les maladies ordinaires de l'enfance ; cependant, le dernier né, mort à 5 mois, était venu chétif et malade et comme conçu d'un père malsain et sans force. Il est mort sans maladie déterminée, n'ayant pas reçu la dose de vie suffisante : effet probable de l'ivresse du père.

La vaccine est répandue dans le pays depuis longtemps, et il est rare de voir sur les visages les traces de la petite vérole.

L'usage des abonnements pour les soins médicaux et les remèdes n'existe pas.

Les visites des médecins résidant au chef-lieu du canton, situé à 2 kilomètres, se payent 1f50 pour la masse de la population.

L'excitation nerveuse que l'ivresse produit chez l'ouvrier ne se traduit pas, comme chez quelques ivrognes; en fureurs et en violences; il a, comme on dit, le vin joyeux. Si, sous l'empire de diverses circonstances, il est resté quelque temps sans boire, vient un moment où la passion du vin le saisit, pour ainsi dire, et l'emporte; il jette l'outil et court au cabaret. Il se trouve à ce moment dans une sorte de fièvre et de délire que tout est impuissant à éteindre et qui ne se calme que dans le vin.

Est-ce l'effet d'un besoin physique des organes réclamant impérieusement une satisfaction à laquelle ils ont été habitués dès longtemps (C) ? Est-ce l'effet d'une cause purement morale ?

À ce moment où il jette l'outil et où il est en proie à ce délire, [454] ses yeux sont ardents, sa lèvre sèche, sa bouche sans paroles, son humeur maussade, son esprit chagrin, voisin de la querelle.

Enfin, le voilà sur le banc luisant du cabaret, les coudes sur la table ; la bouteille trop lente est arrivée, le verre s'emplit, et aux premières gorgées du vin du crû, âpre et cuisant, la fièvre et le délire dont je parle ont disparu. Les premières fumées du vin montées au cerveau ont produit un changement subit; la physionomie s'est éclaircie, la langue s'est déliée, les yeux ont repris d'abord leur douceur accoutumée.

Puis, sous les chocs répétés des verres, l'homme s'anime et s'enflamme de cette ivresse joyeuse qui éclate en gros propos et en chansons, jusqu'à ce qu'enfin il s'abaisse au niveau de la brute et tombe sur le pavé gluant du cabaret.

Chose singulière : ce n'est point chez lui que l'ouvrier s'enivrerait ainsi ; il lui faut le cabaret, ce n'est que là qu'on peut bien boire, il y trouve un attrait particulier, c'est comme le temple où se tientcaché et où doit être adoré le dieu du vin.

§ 5. — Rang de la famille.

Le chef de famille appartient à la catégorie des ouvriers journaliers, occasionnellement tâcherons : la famille est au dernier rang : et cependant, si l'on veut se rendre compte de sa position exacte, il faut auparavant dire un mot du milieu où elle se trouve placée. Dans la commune, le classement des familles ne se fait pas, comme en certains lieux, d'après quelques idées morales, dérivées par exemple de l'ancienneté, de la considération acquise, et produisant une hiérarchie. On ne peut pas même dire qu'il s'opère en raison de la fortune possédée. Il y a une égalité absolue dans les rapports sociaux, un manque d'influence de la portion aisée de la population sur la portion pauvre. La seule influence qu'on pourrait remarquer serait celle qui naît de la possibilité où se trouvent quelques-uns d'assurer du travail, et encore, la facilité d'en trouver laisse la plupart des ouvriers en dehors de cette dépendance particulière.

On peut dire qu'il existe une égalité de vices (B), une absence pareille de qualités morales qui rabaissent tout le monde au même niveau.

Le cabaret, fréquenté par tous, établit dans les rapports une trivialité commune. Les individus sont égaux entre eux comme les verres sur la table du cabaret. Point de hiérarchie sociale fondée sur une cause morale. Point de rang entre les familles. Point de rang particulier, par conséquent, à assigner à la famille de l'ouvrier. Des familles aisées ou des familles pauvres. Rien de plus et rien de moins.

II. Moyens d'existence de la famille

§ 6. — Propriétés.

[455] (Mobilier et vêtements non compris.)

Immeubles. — La famille ne possède qu'une créance litigieuse sur l'héritage de la mère, créance qui peut être évaluée à.............. 400f00

Argent.............. 0f00

La famille, loin d'avoir de l'argent comptant, est toujours endettée (D. 5e Son)

Matériel spécial des travaux et industries.............. 19f50

1o Matériel pour les travaux de carrier et de débardeur. — Un panier à décharger le charbon, 3f50 ; — une pelle, 2f50; — crochets pour le déchargement des bateaux, 2f00; colletin, espèce de chapeau en cuir ayant une queue descendant sur les épaules et terminée par une sorte de bosse pour porter les paniers de charbon, 7f30. — Total, 15f50.

2o Outils pour la culture du jardin. — 1 houe, 4f00.

3o Matériel pour le blanchissage du linge. — 1 brosse de chiendent, 0f50; — 1 baquet, 2f00; — 3 fers à repasser, 2f25 ; — 1 battoir, 0f25 ; — 1 tonneau coupé en forme de baquet, 1f. — Total, 6f00.

Valeur totale des propriétés.............. 425f50

§ 7. — Subventions.

La famille a refusé jusqu'à présent de se faire inscrire au bureau de charité de la commune.

Elle a deux subventions principales : La première consiste dans la faculté, concédée d'ailleurs à qui veut en user, de ramasser les escarbilles de la pompe à feu de la machine de Marly.

Le produit de cette subvention est bien inférieur en valeur au temps passé à les recueillir.

On voit ainsi dans beaucoup de villages, voisins des grands bois, les femmes passer beaucoup de temps à faire un fagot d'une mince valeur. Besogne utile sans doute, mais peu lucrative.

La seconde consiste dans la faculté, d'ailleurs aussi laissée à tout le monde, de glaner les grappes laissées par les vendangeurs. Le produit de ce glanage constitue une subvention, puisque l'objet recueilli est concédé gratuitement par les propriétaires des vignobles.

Le fumier ramassé sur la voie publique par les enfants appartient au même genre de subvention.

La famille jouit aussi de subventions d'une autre nature :

[456] Une personne riche et bienfaisante habitant pendant l'été la commune, et la marraine de la dernière petite fille, ont donné, cette année, aux enfants des vêtements pour une somme de 23 f95.

Le jour de la fête de l'Empereur, la famille a reçu 2 kilos de viande de bœuf pour un pot-au-feu, d'une valeur de 2f20.

On peut encore considérer comme subvention l'instruction reçue gratuitement par l'un des enfants ; si la famille était obligée de payer pour cette instruction, elle ferait une dépense de 24f par an.

§ 8. — Travaux et industries.

Travaux de l'ouvrier. — L'ouvrier pioche la craie dans les carrières, pour la fabrication du blanc d'Espagne.

Cette fabrication consiste à broyer dans un manège avec de l'eau, la craie cassée en fragments, à séparer ensuite par la décantation les deux éléments composant la craie, c'est-à-dire le carbonate de chaux et le sable siliceux.

Le sable descend par son poids au fond des cuves ; le carbonate plus léger reste suspendu dans l'eau.

L'eau est évacuée, et le carbonate, séché au soleil ou dans des séchoirs à air chaud, constitue ce qu'on appelle le blanc d'Espagne employé à divers usages dans les arts.

L'ouvrier ne décharge les bateaux que de loin en loin et quand il est en avance de craie dans la carrière. La rareté des arrivages empêche que le déchargement puisse constituer pour lui une occupation quotidienne et réglée.

L'ouvrier gagne, à piocher la craie, 4f40 par jour ; s'il entreprend le piochage à la tâche, il peut gagner 4f50 à 5f00.

Au déchargement des bateaux, l'ouvrier, s'il est à la journée, gagne 0f50 l'heure, avec la faculté d'aller boire, de deux en deux heures, une gobette (0l2 de vin) ; à la tâche, cas le plus commun, l'ouvrier est payé à raison de 1f a 1f60 par mille kilos, suivant que le magasin est éloigné du bateau de 10 à 80m.

Le travail le plus avantageux pour l'ouvrier est le piochage de la craie, parce qu'il est continuel et réglé et qu'il ne lui donne pas, comme le déchargement des bateaux, l'occasion continuelle de s'enivrer. D'ailleurs, le danger constant, dans le piochage, force l'ouvrier à ne travailler que la tête saine, l'œil au guet, la main et le pied lestes, pour éviter les blocs dont la chute ne s'annonce pas.

La culture d'un petit champ de 2 ares environ, loué au prix de 1f80 l'are, pour y faire des légumes, peut être considéré comme un travail secondaire de l'ouvrier.

[457]Travaux de la femme. — La femme consacre son temps aux soins du ménage, à la préparation des aliments, au blanchissage du linge, à la confection des vêtements, à quelques travaux de couture, au ramassage du coke et au glanage des grappes de raisin dans la saison.

Le blanchissage du linge de la famille l'occupe quatre journées pleines par mois. Elle donne son linge à couler au blanchisseur, c'est elle qui l'échange avant le coulage, qui le lave et le repasse.

Les travaux de couture qu'elle exécute pour le public ne lui rapportent pas plus de 15f par an, dérangée qu'elle est à chaque instant par les soins divers mentionnés ci-dessus.

Travaux des enfants. — La fille aînée a fini son apprentissage de repasseuse, et, depuis le mois de septembre de l'année dernière, gagne journellement 1f25 à 1f50. Elle apporte exactement son gain à la maison.

La seconde fille est en apprentissage chez une couturière du pays, et doit donner, sans être nourrie, deux ans et demi de son temps pour apprendre l'état.

La troisième fille fréquente l'école et aide sa mère dans les soins du ménage et dans le ramassage du coke. Elle ramasse aussi le fumier sur la voie publique.

III. Mode d'existence de la famille

§ 9. — Aliments et repas.

La famille fait trois repas par jour, savoir :

1o Déjeuner, à 6 heures en été, à 7 heures en hiver : avant de partir à l'ouvrage, l'ouvrier prend un morceau de pain et boit une goutte au cabaret s'il a quelque monnaie dans sa poche ; au cas contraire, il ne boit rien. Le reste de la famille, un peu plus tard, prend le café au lait avec du pain, ou de la soupe, ou un morceau de pain, suivant l'argent disponible. Ce premier repas de la famille est évalué 0f75.

2o Dîner, à 11 heures : il se compose en semaine de soupe de haricots, de choux, quelquefois de pommes de terre. Les dimanches, de quinzaine en quinzaine, quelquefois plus souvent, les légumes sont remplacés par le pot-au-feu de bœuf ou de porc frais.

3o Souper de 7 à 8 heures du soir : il se compose de ce qui reste du plat du dîner et d'un peu de fromage de Brie ou de Gruyère, suivant la saison.

[458] La famille boit de l'eau, hormis les jours qui suivent le glanage du raisin, et lorsqu'il vient un parent ou un ami. Dans ce dernier cas on achète du vin au litre au cabaret, au prix de 0f50 le litre. On ne boit pas d'eau-de-vie.

Il est à remarquer que la famille ne fait pas usage des salades [N°1 (G)] qui sont toujours rares et chères dans le pays.

§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.

La famille habite, au second étage d'une maison située dans la rue principale du village, un logement composé de deux pièces et d'un petit grenier.

Ce logement, est exposé au nord-est, sain et bien aéré. Il est payé par an 65 francs net de toute charge, versables par trimestre et soumis au congé de six semaines.

La famille est heureuse de l'occuper ; elle estime qu'elle ne paie qu'un loyer modéré; et de fait, les ouvriers du pays paient davantage pour des logements ou semblables ou moins convenables. Sous ce rapport elle se trouve presque exceptionnellement logée.

L'invasion des maisons de campagne, la transformation des vieilles maisons en maisons bourgeoises, rendent de plus en plus rares et chers les logements d'ouvriers. Dans le pays, la tendance n'est pas à bâtir pour eux.

La pièce servant de chambre à coucher a quatre mètres de long sur trois de large ; elle est éclairée par deux fenêtres donnant sur la rue et reçoit un jour suffisant. Le sol est en carreaux de terre et ne présente pas d'humidité. La famille, au refus du propriétaire, a tapissé cette chambre de papier peint d'une valeur de 0f30 le rouleau, ce qui lui a occasionné une dépense de 3f50.

Deux lits sont placés dans la chambre, un pour le père et la mère, avec des rideaux formant alcôve et fermeture ; un pour la fille aînée et la seconde fille. La plus jeune couche dans un berceau.

La seconde pièce, servant de cuisine, a deux mètres de large sur quatre de longueur ; elle est également pavée de carreaux de terre. La cheminée est surmontée d'un chambranle en bois. La cuisson des aliments se fait sur un poêle en fonte, dont le tuyau s'enfonce dans le coffre de la cheminée fermé par un paravent ; une fenêtre donnant sur une cour apporte à cette cuisine un jour convenable ; la troisième fille et le petit garçon couchent dans cette cuisine et dans le même lit. On accède à ces deux pièces par un corridor ou palier d'un mètre de long sur 0m70 de large. La superficie totale de l'habitation est de 20mq70. La hauteur des pièces de 2m50. Enfin la famille jouit [459] d'un petit grenier placé sous les combles de la maison, et qui lui sert à serrer le coke. Elle n'a pas de cave.

La maison, dans son ensemble, est assez mal tenue ; mais il y a de la propreté dans le logement de l'ouvrier.

Le mobilier est soigné autant que possible ; en voici le détail et l'estimation :

Meubles : réduits au strict nécessaire.............. 558f05

1o Lits. — 1 bois de lit en noyer, 70f00; — 1 matelas de laine, 40f00; — 1 traversin de plume, 9f00; — 2 bois de lit pour les enfants, 30f00; — 3 matelas de laine ; 90f00; — 2 matelas de plume commune, 10f00; — 2 couvertures de laine, 20f00; — 1 couverture de coton, 6f00; — 1 berceau en bois, 4f00; — 2 paillasses en menu paille, 1f00; — 1 couverture faite avec de vieux jupons, 0f75; — 1 paire de rideaux de calicot pour le lit de l'ouvrier et de sa femme, donné par les parents de celle-ci, 20f00. — Total 300f75.

2o Meubles de la chambre. — 1 armoire en noyer apportée en dot par la femme, 70f00; — 1 commode en noyer avec dessus de marbre, donnée par la mère de la femme à l'époque du mariage, 60f00; — 1 table de nuit en noyer, 20f00; — 6 chaises en noyer, 36f00; — 1 paire de rideaux aux 2 fenêtres, 7f00; — 1 image encadrée (sujet religieux) et 1 chapelet suspendus au-dessus du lit de la fille aînée (mémoire). — Total 193f00.

3o Meubles de la pièce servant de cuisine. — 1 buffet en noyer, 50f00; — 1 poêle en fonte avec tuyaux, 12f00; — 1 chaise en paille, 1f00; — 1 boîte en bois blanc, 0f50 ; - 2 paniers à charbon, 0f80. — Total, 64f30.

Ustensiles : insuffisants pour les besoins les plus ordinaires, sauf quelques objets provenant des cadeaux de noce.............. 107f75

1o Dépendant du poêle. — 1 crochet en fer pour attiser le feu, 0f20.

2o Employés pour le service de l'alimentation. — 1 pot en terre, 1f25 ; — 8 casseroles en cuivre (cadeau de noces), 80f00; — 12 assiettes en terre, 2f40; — 4 plats en terre, 2f80; — 1 soupière en terre, 1f25; — 2 tasses, 0f60; — 12 cuillers et 7 fourchettes en métal d'Alger (cadeau de noces), 10f00; — 1 couteau, 0f30 ; — 1 bouteille-litre, 0f30 ; — 1 tasse, 0f20; — (il n'y a pas de verres à boire, on en emprunte quand il vient des amis). Total, 99f10.

3o Employés pour les soins de propreté. — 1 miroir, 0f60; — 1 brosse à cheveux en chiendent pour les enfants, 0f40; (l'ouvrier ne se rase pas lui-même). Total, 1f00.

4o Employés pour usages divers. — 2 chandeliers en cuivre, 2f50; — 1 parapluie en étoffe de coton, 2f95; — 1 panier pour la fille aînée, 2f00. — Total, 7f45.

Linge de ménage : insuffisant, témoignant de la pénurie de la famille.............. 10f00

1 nappe reçue en héritage, 10f00; — torchons, vieilles loques sans valeur appréciables, 0f00; — serviettes, point.

Vêtements : conformes au costume des ouvriers les moins recherchés dans leur mise.............. 454f70

Vêtements de l'ouvrier (145f10).

1o Vêtements du dimanche. — 1 habit en drap noir, acheté pour le mariage, 50f00; — 1 pantalon en drap noir, 20f00 ; — 1 gilet de soie noire, 15f00 ; — 1 cravate en satin, 6f00 ; — 1 bourgeron bleu (blouse courte), 3f00; — 1 chapeau de soie noire, 10f00; — 1 paire de bottes, 12f00; — 2 paires de chaussettes de coton, 0f60; — 1 chemise en toile, 3f00. — Total, 129f60.

[460] 2o Vêtements de travail. — 1 pantalon en velours de coton, 6f00; — 1 gilet reçu en cadeau, 1f50 ; — 1 casquette, 2f00; — 1 paire de chaussons en vieux drap, faits par la femme, 1f00; — 1 paire de sabots, 0f50; — 2 chemises en coton rayé, 4f50; — Total, 15f50.

Vêtements de la femme (156f50).

1o Vêtements du dimanche. — 1 corsage en laine noire, 5f00; — 1 robe de stoff noir, confectionnée par la femme, 10f; — 1 pelisse ouatée en mérinos noir, 25f00; — 1 corset, 6f00; — 3 jupons de calicot, 9f00; — 1 bonnet de dentelle, du mariage, 40f00; — 1 col brodé, 4f00; — 1 paire de bas de laine noire, 2f00 ; — 1 paire de bottines, 2f00. — Total, 99f00.

2o Vêtements de travail. — 1 robe d'indienne, 4f00; — 1 tablier d'indienne, 1f50; — 6 mouchoirs de tête, 1f80 ; — 6 mouchoirs de poche, 1f20; — 8 chemises de toile, 18f00; — 1 paire de chaussons de lisières, 1f00. — Total, 27f50.

3o Bijoux. — Boucles et pendants d'oreilles, apportés en dot, 30f00.

Vêtements de la fille aînée (99f75); — annonçant le goût de la parure.

1 robe de laine (tartanelle), 15f00; — 1 robe en étoffe de coton, 10f00; — 2 robes d'indienne, 8f00; — 1 tablier de cotonnade, 2f00; — 5 jupons de calicot, 12f50; — 1 jupon en finette, 5f00; — 6 chemises en toile, 18f00; — 1 paire de bas de laine blanche, 2f50; — 1 paire de bas de laine noire, 1f25 ; — 2 paires de bas de coton, 1f00; — 1 paire de bottines, 6f00; — 1 paire de chaussons de lisières, 1f00; — 1 paire de sabots, 0f75; — 2 mouchoirs, 1f00; — 1 bonnet de tulle à rubans, 6f00; — 1 bonnet de toile de lin fine, 3f75 ; — 3 cols, 6f00. — Total, 99f75.

Vêtements de la seconde fille (27f60).

1 robe d'indienne, reçue en cadeau, 5f00; — 3 vieilles robes provenant de la sœur aînée, 5f50; — 1 paire de bottines, 4f00; — 1 paire de chaussons, 1f50; — 1 paire de sabots, reçue en cadeau, 0f80; — 2 bonnets, 3f00; — 1 col reçu en cadeau, 1f50; — 1 paire de bas de laine, 1f50; — 1 fichu de cou, 0f60; — 1 tablier, 1f20; — 2 chemises de coton, 3f00. — Total, 27f60.

Vêtements de la troisième fille (6f75).

1 robe d'indienne, reçue en cadeau, 2f50; — 1 vieille robe de la sœur aînée (mémoire); — 2 chemises de coton, 2f00; — 1 paire de vieux souliers, 1f00; — 1 petit bonnet, 1f25. — Total, 6f75.

Vêtements du petit garçon (9f15).

1 petit paletot, reçu en cadeau, 1f75; — 2 chemises reçues en cadeau, 2f00; — 1 pantalon fait avec un vieux pantalon du père, 1f50; — 2 paires de brodequins, 3f00; — 1 paire de bas de laine, 0f90. — Total, 9f15.

Vêtements de la plus jeune fille (10f15).

3 robes de laine données par la marraine, 6f00; — 3 chemises de coton, 2f25; — 1 paire de bas de laine, reçue en cadeau, 0f90; — 1 paire de vieux souliers, 1f00. — Total, 10f15. —

Valeur totale du mobilier et des vêtements.............. 1130f50

§ 11. — Récréations.

L'ouvrier, comme tous les habitants de la commune, n'a guère d'autre récréation que le cabaret. Il fête le lundi et prolonge souvent l'interruption du travail le mardi et le mercredi. Les solennités religieuses n'existent pas pour lui. Plusieurs fois pendant l'année il va [461] voir, à Meudon, ses anciens compagnons de travail. C'est une occasion de boire deux jours de suite. Le vin, boire du vin, est la préoccupation constante de l'ouvrier. Il en calcule les occasions, il les provoque, il est adroit à les faire naître. S'il survient un ami, on soupe à la maison, on achète en ce cas du vin au cabaret.

Chaque année, à l'occasion de la fin de la vendange, après le glanage du raisin, on convoque les parents et les amis ; sur 40 litres de vin qu'a pu produire le grappillage, ce jour-là on en boit la moitié.

Au cabaret l'ouvrier ne joue pas : il cause en buvant ; il cause de son état, d'un bloc tombé au ras de son poignet, de l'arrivée d'un bateau, des soldats qui ont passé pour faire le rabat à la chasse de l'Empereur, de l'événement du jour, de la lettre qu'un tel soldat a écrite à sa famille, et quand on est en guerre et que la guerre est heureuse, du courage qu'on a montré dans la bataille : triomphes ou défaites font battre les cœurs autour de la table. De tous les sentiments moraux de l'homme, qui s'effacent de plus en plus au milieu de cette population, il en est donc un qui survit encore : celui du courage guerrier et de l'honneur militaire (B).

La femme, quand il vient dans le pays, des comédiens ambulants ne manque pas de les aller voir, et conduit avec elle quelqu'un de ses enfants ; elle trouve les 15 centimes nécessaires pour s'asseoir aux secondes places. Elle assiste à la fête communale avec tous ses enfants : elle ne met guère que ce jour-là ses vêtements du dimanche. Elle aime la causerie avec les voisines, et le ramassage du coke en fournit une fréquente occasion.

La fille aînée va déjà danser au bal du dimanche, leste et enrubannée. Les plus petits enfants vont nu-pieds, nu-tête, le long du ruisseau, ou courent les champs, dans la belle saison, et reviennent les lèvres barbouillées par les cerises ou les mûres sauvages.

IV. Histoire de la famille

§ 12. — Phases principales de l'existence.

L'ouvrier est né à Meudon en 1819. Son père était maître carrier fabricant de blanc d'Espagne, occupant ouvriers, chevaux et voitures. Il est le cinquième des 10 enfants de la famille. Il a fait à Versailles, dans sa jeunesse, l'apprentissage de la profession de doreur sur bois. Son patron ayant quitté Versailles, il est revenu chez son père et s'est livré à la fabrication du blanc d'Espagne. Quand le père [462] mourut, il y a quelques années, quatre enfants seulement restaient des 10 qui avaient composé la famille. La succession consistait en une maison et une carrière, à Meudon, d'une valeur de 10,000f on fixa par un accord amiable la part des enfants à 900f. La mère conserva la maison, et de plus, les enfants sur leurs parts lui laissèrent 1,800f pour ses besoins. Le cadet des enfants garda la carrière et le commerce de blanc d'Espagne, à charge de rembourser ses frères du montant de leurs droits. Mais après quelque temps d'exploitation, ce dernier devint fou et mourut, et, pour comble de malheur, la carrière fut interdite faute de solidité.

La mère de l'ouvrier est morte en 1858, avantageant par son testament les enfants du fils cadet d'environ 2,000f et laissant 900f de dettes. La maison qu'elle avait conservée a été vendue 6,000f, et l'on va plaider sur la portion disponible qu'elle avait droit de donner. En sorte que, tout compte fait, quand la justice aura terminé la liquidation, il ne reviendra à l'ouvrier qu'une faible somme, triste débris pour lui de la fortune paternelle.

Ainsi la division du patrimoine, nécessitée par la loi des successions, empêchait à la mort du père le maintien du capital de la famille et sa transmission intégrale. Si le cadet, par un accord avec les autres enfants, conservait le commerce paternel, ce n'était qu'avec des charges qui en rendaient la possession onéreuse et précaire. Bans la réalité, l'attribution qui lui était faite ne valait pas mieux que le lot de ses cohéritiers, à cause des charges imposées, et il tombait dans la condition des journaliers.

La mère avait résisté autant qu'elle avait pu à l'anéantissement de l'établissement qu'elle avait fondé avec son mari. Elle avait testé dans la vue d'aider le cadet, qui conservait le commerce, à se débarrasser des charges qui lui étaient imposées ; mais, par l'effet de la loi, elle n'avait pu y parvenir ; sa volonté était restée impuissante, et, pour avoir voulu autre chose que la loi, elle laissait à ses enfants un procès, cause dernière de la ruine de tous.

Dans le cas présent, et dans tous les cas analogues, la loi des successions se charge, au décès du père, de faire descendre les enfants du rang où le père avait fait monter la famille. Elle opère en sens contraire de la civilisation, qui est d'élever ; elle rabaisse. Sans doute, la faculté de tester, et par conséquent la faculté de transmettre à l'un des enfants l'industrie de la famille, ne donne pas au père le pouvoir de placer et de maintenir tous les enfants au rang où lui-même s'était élevé ; mais au moins c'est déjà beaucoup que l'un des enfants continue la situation, le rang et l'importance paternelle. Il reste ainsi un point d'appui pour ceux que le testament n'a pas favorisés : c'est une force laissée à la famille, et, si celle-ci est chrétienne, [463] on aperçoit bien vite le rôle tutélaire de l'héritier que le père a institué. Dans ce naufrage perpétuel que cause la mort des pères, la faculté de tester sauve au moins quelqu'un. Dans le naufrage dont je parle tout a été englouti.

La femme est née, en 1827, d'ouvriers dans une certaine aisance. Elle a appris dans sa jeunesse l'état de couturière ; mais mariée et mère à 16 ans, elle s'est constamment depuis occupée de ses enfants, et n'a pu qu'à de rares intervalles exercer sa profession.

§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.

L'ouvrier s'est constamment trouvé dans un milieu moral déplorable. Il a été élevé et a vécu au sein d'une population dépravée. Personne autour de lui n'a prononcé les mots de prévoyance et d'avenir. Il a vu tourner l'épargne en ridicule, ses compagnons vivre au jour le jour et noyer dans le vin le produit quotidien de leur travail. Il a vu braver, le verre à la main, les chances fâcheuses de la vie humaine ; il a chanté en chœur la chanson bachique qui défie la mauvaise fortune et la mort, ne demandant d'autre secours pour aller de vie à trépas que celui d'une bouteille pour en régaler le vieux Caron, nautonnier des sombres bords.

Le mariage, précédé de plaisirs précoces, ne lui a pas inspiré à l'origine d'idées sérieuses, provoquant dans son esprit la réflexion, appelant l'attention sur la nécessité de pourvoir par l'économie aux besoins sacrés et prochains de sa famille. Quand les charges sont venues, il les a oubliées au cabaret, laissant ses enfants pousser comme l'herbe des champs, à la volonté de Dieu (E).

Aussi n'a-t-il pas eu l'idée d'aucune association de prévoyance ; il n'y en a pas d'ailleurs dans le pays. Il est de ce nombre bien grand d'ouvriers qui s'abandonnent au hasard, confiants dans ce vieil adage, qu'après tout l'homme ne meurt pas de faim, et qu'il y a toujours quelque bonne âme pour donner un morceau de pain.

C'est le sauvage de la civilisation.

§ 14. — Budget des recettes de l'année.

Cliquez pour zoomer ou afficher en plein écran. Utilisez les flèches pour passer d'une page à l'autre (4 pages disponibles).

§ 15. — Budget des dépenses de l'année.

Cliquez pour zoomer ou afficher en plein écran. Utilisez les flèches pour passer d'une page à l'autre (3 pages disponibles).

Comptes annexés aux budgets.

Cliquez pour zoomer ou afficher en plein écran. Utilisez les flèches pour passer d'une page à l'autre (4 pages disponibles).

Notes

Faits importants d'organisation sociale; particularités remarquables; appréciations générales; conclusions

(A) État du culte dans la commune.

[475] Si l'on considère l'ensemble de la population, voici ce qu'on observe :

La majeure partie des familles bourgeoises, hommes et femmes, fréquentent assidûment l'église. Quelques membres de ces familles pratiquent tous les devoirs de la religion : mais ces familles sont presque étrangères à la commune et n'appartiennent pas réellement à la population, au milieu de laquelle elles ne séjournent que durant les mois d'été. Elles font partie de ce que les habitants appellent les horsains, c'est-à-dire gens du dehors.

Parmi les industriels et les cultivateurs, quelques personnes seulement vont aux offices.

Le reste de la population, hommes, femmes, filles, garçons, demeure complètement étranger à toute pratique de religion.

Ce n'est qu'avec la plus grande peine que le prêtre peut composer le personnel du culte. Il éprouve une véritable difficulté à trouver des enfants de chœur, malgré les petits profits qui leur sont réservés. Il n'a jamais pu réunir deux chantres, et le digne maître d'école chante tout seul les offices.

L'antique et touchante coutume de rendre le pain bénit était autrefois observée avec bonheur par toutes les familles, et la plus pauvre eût été offensée, si, sous aucun prétexte, on l'eût privée de cet honneur. Aujourd'hui, le curé doit classer son monde pour le tour du pain bénit, afin de ne pas éprouver de refus.

Au surplus, ce n'est pas de l'hostilité que rencontre le curé dans le zèle vraiment apostolique qu'il déploie, c'est de l'indifférence ; on ne lui veut point de mal : on le salue à peu près quand il passe ; c'est un vieillard. Il a été reçu avec assez de politesse dans ses visites pastorales, lors de son arrivée dans le pays. Mais, avec tout cela, l'église est déserte, et la moyenne des chrétiens à la messe, curé, enfants de chœur, fidèles tout compris, n'excède pas, pendant l'hiver, le nombre de 20 a 25 sur 531 habitants.

La fabrique n'a ni biens, ni revenus : elle ne peut être riche des [476] dons de pareilles ouailles. Mais la commune n'a pas refusé au curé les 200 fr de supplément accordés presque partout, en France, sur les centimes additionnels.

(B) De la dépravation des mœurs et de ses effets sur le travail, les relations et les rapports d'affaires.

On ne saurait croire à quel abaissement moral est descendue la population ! Un peu plus bas ce serait, si ce n'est déjà, la barbarie.

Le mariage est presque toujours précédé de relations illicites ; il n'a lieu le plus souvent qu'à la veille de l'accouchement.

Il y a des concubinages patents, publics, ils n'excitent aucune réprobation.

Des blanchisseuses, chefs d'industrie, ne se marient plus, cela lie trop. Elles prennent, pour les aider dans leurs travaux, des jeunes gens dont elles font leurs amants ; elles en changent suivant le caprice du moment. Ces unions déplorables ne donnent pas d'enfants.

La jeunesse est élevée au contact de tous ces vices ; elle les comprend et en parle bientôt le langage.

Ivrognes et débauchés, les enfants n'ont aucune idée du respect envers les parents. Si l'on prononçait devant eux le nom de puissance paternelle, il ne réveillerait certainement aucune idée. Il est commun de voir un fils battre son père ou se battre avec lui.

On ne doit pas songer à rencontrer dans cette population le respect des supériorités sociales : y a-t-il à ses yeux des supériorités sociales ? Il y a des riches et des pauvres ; voilà tout ! Elle sait qu'il y a des gens ayant la main longue ; mais elle ne conçoit pas la hiérarchie, dérivée d'une cause morale, de la fonction, du grade, de la considération que doivent assurer les talents ou les vertus.

Il faut presque renoncer à trouver l'idée du plus simple devoir. La plupart des ouvriers qu'on emploie ne sentent pas qu'ils doivent du travail en retour du salaire qu'ils reçoivent. Ils abandonnent le travail, au moindre défaut de surveillance ; cela s'appelle couler le patron à 6 sous de l'heure.

Le vol n'inspire guère de répulsion pour ceux qui l'ont commis. Deux individus du pays ont été condamnés récemment, l'un à 6 mois, l'autre à 2 mois de prison, pour vol sur des bateaux ; ils ont subi leur peine, sont rentrés tranquillement chez eux et boivent au cabaret avec tout le monde. Il semble qu'ils aient éprouvé un simple accident.

[477] Le sentiment militaire est le seul qui semble encore subsister et qui élève l'âme. À l'époque de la conscription, les conscrits vont en corps, tambour et musique en tête, drapeau déployé,'au chef-lieu du canton ; mais ils ne chantent plus comme autrefois ces chansons militaires qui élèvent le cœur des soldats, ils chantent des chansons sales et obscènes, et ces réunions ne sont plus guère qu'un prétexte à quelques jours de plus d'ivrognerie.

Ce serait une erreur de croire que ces mœurs dépravées n'appartiennent qu'aux ouvriers.

Les chefs des petites industries, la plupart de ceux qui composent la partie aisée de la population, sont plus corrompus que les ouvriers. On ne retrouverait pas en eux le germe à demi effacé du bien, qu'on retrouve encore au contraire dans ces derniers. Aux vices communs à tous, ils joignent plus de science dans le mal, plus de savoir-faire, quelque chose de pire que le vice, l'habileté dans le vice.

Les relations journalières en sont affectées d'une manière odieuse. Il n'y a pas à se fier à la parole donnée. On ne peut faire une convention qui reçoive une exécution loyale. L'appétit du gain les accoutume à toutes ces petites infamies qui détruisent la sécurité des affaires et la rondeur des transactions.

Si vous faites faire une charpente, vous serez volé sur l'épaisseur du bois ; si vous faites peindre une grille, vous aurez de l'ocre rouge pour du minium ; si vous faites faire des terrassements, vous serez volé sur le cube ; si vous achetez du charbon, il sera mouillé et pèsera plus que le poids vrai ; et ainsi du reste.

Au milieu de toutes ces fraudes, l'habileté professionnelle diminue ; on remarque chez les ouvriers et les patrons, soit par l'effet du mauvais vouloir, soit par l'effet de la négligence, une véritable ignorance de la profession qu'ils exercent.

Les industries qui voudraient s'établir dans le pays sont exposées à des dangers qui doublent pour elles la difficulté du travail. On ne peut obtenir de régularité et l'on est dévoré par les frais généraux qui ne cessent de courir.

Il y a des travaux devenus presque impossibles. Les transports, par exemple, reviennent à des prix énormes, à cause de l'ivrognerie et de l'infidélité des charretiers, du mauvais traitement des chevaux. On offre jusqu'à 120f par mois pour avoir des conducteurs convenables et l'on n'en trouve pas.

Il n'est pas douteux que ces causes réunies n'affectent la production d'une manière sensible et n'élèvent le prix des produits fabriqués dans d'importantes proportions. C'est ainsi, par exemple, que beaucoup de négociants de Versailles ont abandonné cette localité, [478] qui est leur port naturel, et font effectuer à Sèvres, le débarquement des marchandises qui leur sont expédiées par la navigation de la Seine.

Les habitudes vicieuses de la population nécessitent des salaires hors de proportion avec le travail effectué. Il faut payer pour les vices de tous.

Au demeurant, on ne peut pas mieux définir toute cette population, qu'en disant que c'est une espèce de Bohême et non une population chrétienne et civilisée.

Sans doute, on serait à juste titre accusé d'exagération, si l'on ne signalait de suite qu'il existe des exceptions nombreuses, et qu'il reste des gens de bien. Mais pour dire d'une population qu'elle est corrompue, faut-il attendre qu'il n'y reste plus un honnête homme

Ce qui est clair, c'est que la gangrène monte toujours et le tableau qui précède n'est pas chargé.

Maintenant, quels efforts sont opposés à ce courant de vices Comment le mal est-il combattu Il y a le zèle du prêtre qui est incontestable ; mais tout seul il n'est pas assez fort. Ne nous le cachons pas, la masse de la population est en dehors du Christianisme. Elle s'y rattache à peine et d'une manière extérieure, par quelques pratiques conservées, par la force de l'habitude, comme le baptême, le mariage religieux, la première communion ; et encore la première communion n'a plus guère lieu que parce que le prêtre va au domicile et force les parents à souffrir l'instruction religieuse des enfants.

Quant aux honnêtes gens, ils n'ont pas ce courage actif, cette haine du mal, cette énergie morale et même physique qui répriment du moins s'ils ne corrigent les méchants.

(C) Comparaison des forces physiques employées dans le travail et des aliments consommés.

Le déchargement des bateaux se fait par équipes composées de 6 hommes. Deux hommes sont au bateau ; quatre portent. Une équipe de 6 hommes qui emploie son temps peut décharger, en 10 heures de travail, 27000 kilos de charbon portés à 75 mètres. Chaque porteur transporte donc un fardeau de 6,700 kilos environ dans un panier d'osier de forme allongée, pesant 3 kilos et chargé chaque voyage de 42 kilos de charbon. Le charbon étant porté à 75 mètres, les porteurs parcourent 151 fois cette distance ou [479] 150 mètres aller et retour et font ainsi, en 10 heures, un trajet de 22,650 mètres. On doit tenir compte aussi du poids des paniers.

Le débardage a lieu a l'injure du temps, il est jugé plus pénible que le piochage de la craie qui se fait au fond de la carrière, à couvert et dans une atmosphère toujours semblable.

Dans le piochage de la craie, l'ouvrier donne en moyenne 8 coups de pic par minute ou 480 par heure. Les pics employés pèsent de 2 à 3 kilos 1/2, suivant la nature du travail, disons 3 kilos. Les bras de l'ouvrier impriment donc par heure le mouvement à 2,880 kilos, aller et retour de l'outil compris ; soit par journée de 10 heures, à 28,800 kilos, force à l'aide de laquelle il détache une quantité de craie pesant environ 12,000 kilos, et qui doit encore passer sur la pelle et les bras de l'ouvrier.

Le débardage est payé 5fla journée, le piochage 4f40 seulement. J'ai souvent entendu dire aux débardeurs qu'il leur faudrait, pour supporter convenablement le travail, 500 grammes de viande par jour, 2 litres de vin et 1 kilo de pain, ce qui occasionnerait une dépense :

Dépenses nécessaires pour l'alimentation quotidienne souhaitée d'un débardeur (notes annexes)
Dépenses nécessaires pour l'alimentation quotidienne souhaitée d'un débardeur (notes annexes).

C'est donc au-dessus de deux litres que commencerait pour eux l'abus du vin.

Au fond de la carrière, le piocheur de craie se contenterait d'un litre de vin par jour. C'est donc au delà du litre que commencerait l'abus pour ce dernier.

Comme on le voit au § 9, la nourriture consommée par le chef de famille serait loin d'être, dans l'opinion des ouvriers du pays, suffisante pour réparer complètement ses forces.

La quantité de vin bue par l'ouvrier en dehors de la famille et lui procurant l'ivresse, est loin d'égaler celle qui, régulièrement répartie, assurerait l'entretien convenable des forces. C'est un fait auquel je n'aurais pas cru avant l'observation. Le vice de l'ivrognerie n'est donc pas dans l'abus, au point de vue de la quantité absolue, il est dans la consommation, à un moment donné, d'une quantité hors de rapport avec le besoin présent. Ne craignons pas, au surplus, de constater que la privation du vin à l'ordinaire, dérivant de l'insuffisance des ressources, conduit souvent les ouvriers à cet abus momentané dont l'effet est d'oblitérer leur sens moral et de les priver de la raison.

Nous avons reconnu que le vin consommé en ivrognerie par l'ouvrier [480] s'élevait à 275 litres par an et coûtait 165 fr2. Avec la même somme, beaucoup d'ouvriers plus avisés se procurent 410 litres de vin chez le vigneron. L'écart entre le prix payé au vigneron hors de l'œil du fisc et celui du cabaret est de 20 centimes par litre. Il est donc clair que l'impôt et le cabaret font obstacle à ce que beaucoup d'ouvriers se procurent le vin nécessaire à leur consommation. Dans les années d'abondance une grande partie du vin récolté se vend ainsi au préjudice du fisc et à la grande joie de la population.

Non-seulement la quantité des aliments est insuffisante, mais la qualité est presque toujours mauvaise et le prix plus élevé qu'il ne devrait être, eu égard au cours.

Pour le pain, les règlements et la taxe ne sont qu'une mesure illusoire et n'aboutissent qu'à le faire payer plus cher. Le boulanger échappe à la taxe par le défaut de qualité. Si, par exemple, le prix du pain s'établit sur les farines de première qualité ou sur une moyenne, le boulanger n'emploie que de la seconde qualité qui forme une moyenne inférieure à celle qui sert de base à la taxe. C'est une fraude que la surveillance publique, dans la campagne, est à peu près impuissante à atteindre et que la taxe même facilite en empêchant l'acheteur de discuter le prix.

Les marchandises de mauvaise qualité, les cafés avariés, les poivres et les sels adultérés, les chocolats sans cacao, les beurres remaniés, les huiles mal épurées, les alcools teints au caramel, les vinaigres de bois, les chandelles de mauvaise fabrication, sont écoulés à haut prix dans la population ouvrière, qui, se trouvant presque toujours débitrice du détaillant en compte courant, n'ose pas se plaindre de la mauvaise qualité et de l'excès du prix.

Les tabacs du gouvernement sont mouillés par les débitants, afin d'en augmenter le poids et ne font que de la boue dans les pipes.

C'est ainsi que par toutes sortes de causes réunies, le salaire se trouve indirectement réduit dans une forte proportion.

(D) Influence de quelques principes de l'économie politique sur les rapports mutuels des maîtres et des ouvriers.

Il est certain que les doctrines économiques modernes ont réagi d'une manière fâcheuse sur les rapports des maîtres et des ouvriers [481] et contribué à briser ou relâcher les liens moraux qui les unissaient autrefois.

L'ancien patronage était en certains points l'image de la famille. Le patron se croyait obligé envers l'ouvrier, comme l'ouvrier envers le patron. Il naissait de là une réciprocité d'attachement et de services, fondée sur des idées morales de hiérarchie et de devoir.

Les secours ne faisaient pas défaut à l'ouvrier pendant les temps difficiles ; le salaire ne subissait pas ces diminutions, calculées aujourd'hui sur la rareté du travail. On souffrait et l'on prospérait ensemble. L'ouvrier, surtout dans les petites industries, avait place au foyer domestique [les Ouv. europ. XXXIV, XXXVI (B)] ; on le traitait d'après les principes de la fraternité chrétienne.

Il n'y avait pas non plus de ces augmentations subites de salaires, par exemple du simple au double, comme celles qui se sont produites récemment et dont l'effet est de porter la perturbation dans les prévisions, les calculs et par conséquent la fortune des entrepreneurs d'industrie.

Le salaire enfin échappait à cet état de bascule de hausse et de baisse, aussi nuisible aux ouvriers qu'il paraît dangereux pour le public et l'État.

Je ne conteste pas ce qu'il y a d'absolument exact dans les formules économiques, considérées indépendamment de la nature morale de l'homme, qu'une doctrine moderne a mises en circulation ; le travail, suivant ces formules, est une marchandise, chère ou bon marché, suivant le besoin qu'on en a, ou la possibilité de s'en passer ; marchandise enfin comme toute autre et dont le prix doit se fixer, suivant la règle ordinaire de l'offre et de la demande.

Mais on voit au premier examen ce qu'il y a, sous un autre point de vue, de faux et de dangereux dans ces maximes économiques, quand on les sépare des idées morales et religieuses qui doivent présider aux relations des hommes entre eux. Si je ne dois voir dans le travail de mes ouvriers qu'une marchandise, je ne suis plus obligé à rien vis-à-vis d'eux, et si je n'ai pas besoin de cette marchandise aujourd'hui, mes ouvriers n'ont qu'à mourir de faim, sans que je m'en occupe davantage ; mais si demain cette marchandise humaine m'est nécessaire, ce sera leur tour, je la devrai payer le prix qu'ils voudront, je serai ruiné sans qu'eux aussi doivent s'en préoccuper.

Voilà l'antagonisme constitué et les sentiments moraux effacés des rapports de la vie pratique.

Ces maximes économiques se sont rapidement répandues. Elles avaient pour envahir les esprits toutes sortes de facilités. Elles les trouvaient vides en général de tout sentiment religieux, impatients de toute contrainte morale, et dans cet état de mollesse et de lâcheté, [482] qui est le fond des sociétés malades ; elles étaient surtout très commodes, d'une pratique facile ; elles servaient à merveille les calculs de l'égoïsme, elles sont bientôt devenues la règle la plus ordinaire de conduite.

À Port-Marly, les chefs des petites industries sont pour la plupart imbus, sans d'ailleurs en posséder les formules, de ces doctrines économiques. Ils querellent souvent l'ouvrier sur le salaire et l'ouvrier les querelle à son tour, suivant qu'il y a plus ou moins d'ouvrage dans le pays, que les journées sont longues ou courtes, que le temps est beau ou mauvais ; ils montrent à l'ouvrier un véritable mépris, n'ont pour lui aucune parole d'amitié et de leur côté, plus vicieux que leurs ouvriers, ils n'en reçoivent non plus aucune considération.

Cependant je crois les ouvriers beaucoup plus disposés qu'on ne le croit généralement à revenir aux pratiques de la religion et aux bons vieux sentiments du patronage (G).

Il en est beaucoup qui n'aiment pas le changement d'atelier, qui recherchent la tranquillité d'un travail suivi, bien plus que l'élévation momentanée d'un salaire variable et qui, rencontrant une juste bienveillance pour eux, prononcent avec plaisir le mot de patron.

Sous cette dépravation que j'ai signalée, on trouve encore le germe du bien ; on éprouve au contact journalier des ouvriers une conviction profonde : c'est qu'ils sont disposés à aimer ceux qui leur témoignent de bons sentiments, et que tout devient facile avec eux quand ils ont la certitude d'être aimés.

(E) Du nombre des enfants suppléant à l'épargne dans les familles pauvres.

On voit, en se reportant au budget, qu'il est difficilement en équilibre malgré le salaire élevé attaché au travail de l'ouvrier. Si, voué à ses devoirs de père de famille, l'ouvrier employait au profit de celle-ci les journées qu'il passe à boire (§ 11) et les sommes qu'il dépense au cabaret, il rechercherait un supplément de bien-être qui, assurément, serait encore bien modeste ; mais il n'aurait pas la volonté de convertir en épargne cet excédant de ressources. L'ouvrier ne présente pas, en effet, l'une de ces natures énergiques, si communes chez d'autres populations (les Ouv. europ. XV, XXI, XXXII), parvenant à l'épargne à l'aide du travail et des privations, [483] quelles que soient d'ailleurs les charges que leur impose la famille. Mais le nombre de ces natures d'élite diminue de plus en plus parmi les 'ouvriers que ne soutiennent pas certaines influences morales [N° 17 (B)] : trop souvent chez eux le travail seul est impuissant à créer l'épargne, malgré les encouragements que certaines institutions donnent à leurs économies. Toute la philanthropie des particuliers et des gouvernements est impuissante à créer une richesse lorsque les sentiments moraux qui en sont la source ont disparu, et tous les établissements qu'elle enfante ne produisent d'effet qu'à la condition de demander au public des subventions sous la forme d'impôt, ce qui n'est plus la question.

Mais l'un des remèdes au mal se trouve dans le mal même. Si c'est le nombre des enfants qui fait, en partie, la gêne de la famille, c'est aussi leur nombre qui peut donner l'aisance quand la famille est élevée. Si les enfants ont reçu l'éducation religieuse, s'ils ont les sentiments du chrétien, les vieux parents ne manqueront de rien dans la vieillesse ou la maladie ; plus il y aura d'enfants, moins le pieux fardeau sera lourd à porter.

Sans doute, la piété filiale est une vertu qui s'en va comme les autres dans une société pervertie. J'ai vu ici un exemple odieux de la cupidité d'un fils ; j'ai vu hâter la mort d'un vieux père par le refus d'aliments, qu'un contrat réglé et portant cession de biens obligeait pourtant à donner. Mais je dois dire que cette vertu, après tout, a de telles racines, que, même au milieu de la corruption présente, on la rencontre encore tous les jours.

C'est souvent la faute des pères de famille si cette vertu, qui est leur sécurité, s'affaiblit ; pères et fils perdent trop le sentiment de l'autorité paternelle ; les pères laissent les fils s'en aller aussitôt que ceux-ci ont fini leur apprentissage, comme les petits oiseaux quittent le nid quand les ailes sont poussées ; c'est trop tôt. Le faisceau puissant de la famille ne doit se délier qu'au plus tard qu'il se peut.

La famille, voilà l'institution toute faite qui ne demande aucun secours à personne et n'a pas besoin du concours de l'État. C'est à cette institution si intimement liée à la nature de l'homme qu'il faut surtout demander, pour l'avenir, les moyens de réformer le déplorable état de choses que je viens de signaler. Il ne faudrait pas trop compter sur les établissements de prévoyance que de généreuses pensées portent l'État et les particuliers à créer. Leur intervention, si utile aujourd'hui pour déterminer une réaction nécessaire au salut public, ne peut être qu'un palliatif temporaire.

Nous sommes voisins de l'hospice des Invalides civils, construit récemment dans le bois du Vésinet, nous le voyons qui développe [484] à notre horizon prochain sa large façade ; les ouvriers qui ont le mieux conservé la trace des anciens sentiments d'honneur n'en aiment pas la vue. Ne se rendant pas compte des hautes vues de bien public qui ont provoqué cette fondation, ils en parlent peu: s'ils le font, c'est plutôt avec une sorte d'amertume. À leurs yeux, c'est le refuge de la paresse ; il serait honteux, disent-ils, de porter l'uniforme de la mendicité après avoir presque tous porté l'uniforme du soldat. Il faut mourir chez soi, sur le lit où l'on a dormi toute sa vie, au milieu des siens et point des étrangers.

Revenons donc à la règle simple et claire de l'Évangile. Aime .et respecte vos parents. Tout est là. Une famille nombreuse et dont les membres s'unissent entre eux sera toujours à l'abri du besoin.

(F) Sur les émigrants périodiques exécutant certains travaux de la banlieue de Paris.

La somme de travaux à exécuter chaque année, pendant la belle saison, à l'ouest de la banlieue de Paris, excède de beaucoup les forces de la population sédentaire. Il faut avoir recours pour les exécuter aux ouvriers émigrants. Ceux-ci viennent périodiquement, attirés par des salaires supérieurs à ceux qu'ils reçoivent dans leur pays. Ils viennent faire ce qu'ils appellent une campagne et retournent chez eux à l'époque de la mauvaise saison.

En général ils arrivent à Port-Marly au mois de février et parcourent la commune, en quête de travail. Ceux qui ne sont pas engagés reprennent leur sac et vont plus loin. Ils se créent d'ailleurs, après une ou deux campagnes, des.relations qui les ramènent chaque année aux mêmes ateliers et aux mêmes travaux.

Les Bretons des Côtes-du-Nord et du Finistère, les Manceaux et les bas Normands, forment dans l'ouest de la banlieue de Paris le personnel de cette émigration annuelle qu'il ne faut pas confondre avec le déplacement continuel des ouvriers nomades. L'émigration dont je parle ici se compose en général d'ouvriers respectables, pères de famille, presque tous amenés uniquement par l'appât d'un salaire plus élevé.

Les ouvriers nomades venant isolément et à toutes les époques de l'année sont, au contraire, presque toujours chassés de leur pays par leurs vices, leurs méfaits, leur inconduite. Ce sont eux surtout qui contribuent à introduire, dans cette partie de la banlieue, les déplorables caractères de démoralisation que j'ai signalés dans la présente monographie.

[485] Il n'est pas sans intérêt de constater les habitudes et les mœurs des ouvriers de l'émigration périodique et de les comparer aux habitudes et aux mœurs des ouvriers sédentaires.

Parmi tous, les bas Bretons présentent un caractère tranché qui mérite l'observation.

Ils emportent avec eux tout juste l'argent nécessaire pour faire la route et subvenir aux premiers besoins. Ils viennent à pied, évitent s'ils peuvent les auberges, ne mangent que du pain et du fromage et ne boivent que de l'eau.

Entrés à l'atelier, même attachés à de durs travaux, ils continuent pendant la campagne cette habitude d'excessive sobriété. Ainsi, le matin, ils se mettent sans manger au travail ; à neuf heures, leur repas se compose d'un morceau de pain et d'un peu de beurre ou de fromage ; même régime au repas de deux heures ; au souper une soupe, rarement de la viande, plus rarement un quart de litre de vin. J'en ai vu beaucoup ne mangeant qu'à onze heures un morceau de pain sec, et attendant ainsi leur maigre souper.

Le dimanche, ils travaillent la demi-journée ; le reste du jour est consacré à leur lessive. La paie faite, leur dépense exactement soldée, ils envoient au pays le restant de leur salaire. Quelques-uns dans une campagne, depuis la hausse des salaires, économisent 400f.

S'ils sont lents au travail, on les trouve souvent animés du sentiment du devoir. Presque tous sont mesurés dans leurs propos, polis envers les patrons, honnêtes dans les relations d'intérêt.

S'ils ne fréquentent pas les offices, c'est à cause de l'habitude qu'on a de les faire travailler le dimanche, mais on peut constater chez eux la présence des sentiments religieux et la trace de l'éducation chrétienne.

On s'étonne qu'ils puissent, en se nourrissant si mal, supporter le travail avec facilité.

S'il est vrai d'admettre, dans une certaine mesure que chez les ouvriers, la puissance du travail soit en raison de la nourriture consommée, il faut aussi faire la part du fonds originaire de vigueur et de santé dû à des habitudes morales, à des mœurs régulières pratiquées dès l'enfance. Chez les hommes débilités dès leur jeunesse, par l'ivrognerie et les vices, la nécessité de réparer les forces est plus constante et plus impérieuse ; il en résulte une dépense plus élevée et la nécessité d'un plus fort salaire.

On peut dire ce me semble avec vérité que le peuple qui travaille le plus et à meilleur marché est celui auquel des habitudes réglées et de bonnes mœurs communiquent, dès la jeunesse, une santé robuste et une vigueur native.

Je trouve faux en partie et essentiellement matérialiste l'axiome [486] de l'économie politique qui, sans tenir compte des influences morales chez les hommes, proportionne simplement la puissance du travail à la quantité des aliments consommés.

Les Manceaux ont souvent les mêmes qualités que les Bretons ; plus de taille et de force physique. On retrouve aussi chez eux le sentiment du devoir et les traces de l'éducation chrétienne.

Doués d'une grande force physique, d'une rare intelligence, les bas Normands n'ont guère les qualités qu'on rencontre dans les bas Bretons. Ils sont presque toujours dissolus, de mauvais compte, disputeurs et sensuels.

Aussi trouvent-ils moins à s'embaucher. Dans la Brie, où ils faisaient autrefois les moissons, on les a remplacés par les Belges qui ont beaucoup des qualités des Bretons. On commence à ne plus vouloir des bas Normands dans l'ouest de la banlieue.

Les entrepreneurs d'industrie s'appliquent à fixer les Bretons dans les communes où sont placés leurs ateliers. Ils mêlent ainsi à la partie mauvaise de la population suburbaine une population de bonnes mœurs et d'une discipline facile.

(G) Sur les réformes morales qui résulteront, dans cette localité, de l'influence combinée de la religion et du patronage.

J'ai vivement signalé la démoralisation qui règne dans la commune que j'habite : il me paraît en effet que la connaissance du mal est le plus sûr moyen de provoquer le remède. Cette conclusion est évidente pour ces réformes qu'un peuple libre ne peut demander ni à la loi ni au gouvernement, et qui ne peuvent être accomplies que par la force des mœurs, c'est-à-dire par l'initiative intelligente des gens de bien. Je suis convaincu d'ailleurs qu'une foule d'hommes, plongés aujourd'hui dans la quiétude ou l'indifférence, se dévoueront à cette mission dès que les faits leur seront connus. Beaucoup de symptômes qui se produisent autour de nous ne laissent aucun doute à cet égard. Peut-être même est-il permis d'affirmer que les funestes influences qui agissent depuis deux siècles dans la banlieue de Paris, sont déjà contre-balancées par des influences contraires et qui grandissent chaque jour. Encore quelques efforts, et la cause de la civilisation sera définitivement gagnée contre l'invasion inattendue d'une barbarie sans nom et sans précédents !

Le mal présent date malheureusement de loin : il est dû surtout à ce que, pendant toute la durée du xviiie siècle, les classes supérieures [487] ont donné à leurs subordonnés l'exemple du scepticisme et des mauvaises mœurs. Les ouvriers continuent à pratiquer ce que les patrons leur ont enseigné jusqu'à l'époque, encore récente, où de graves épreuves ont révélé à tous les hommes intelligents le danger de l'impulsion imprimée aux esprits depuis le règne funeste de Louis XIV. Cette situation changera dès que les classes supérieures, après s'être réformées elles-mêmes, donneront de nouveau l'exemple de la religion et des bonnes mœurs. Le passé et l'avenir de cette commune, où l'on retrouve, à beaucoup d'égards, le tableau de la France entière, se résument dans un fait significatif: pendant le xve siècle, au contact3des orgies du Régent et de Louis XV, l'église de la commune n'était guère fréquentée que par les classes ouvrières qui conservaient seules dans cette localité le dépôt de la foi religieuse, tandis qu'aujourd'hui on n'y voit plus entrer que quelques personnes appartenant à la classe bourgeoise (A).

Quant aux désordres moraux produits par l'arrivée incessante d'ouvriers nomades (F), infestés de tous les genres de corruption, vrai rebut de la société actuelle, ils seront conjurés par les moyens qui ont été si judicieusement indiqués dans une autre monographie du présent volume [N°10 (A), p. 48]. Les chefs d'industrie prétendant à la considération publique, ne doivent pas s'abandonner à une imprévoyante propension pour le gain ; ils doivent se garder d'étendre à tout prix leurs entreprises et de donner du travail à des ouvriers qui ne veulent pas remplir, envers eux-mêmes ou envers leur famille, les obligations que respectent tous les peuples civilisés. Il faut, en un mot, qu'ils fassent régner chez eux, par la libre volonté des parties, la pratique de la religion et des bonnes meurs, les habitudes de patronage et, ce qui est le fondement de toute société, le principe salutaire de la permanence des engagements. (Les Ouvr. europ., p. 16 et 17.)

J'ai d'ailleurs signalé explicitement dans une note précédente (D) la propension que montrent encore les ouvriers de cette malheureuse commune vers la religion et le patronage : il ne dépend donc que de nous d'y hâter, par le bon exemple, les réformes qui se manifestent déjà, sous ces influences, dans plusieurs autres communes de la banlieue de Paris. Il serait à désirer qu'une Monographie concernant l'une de ces communes vint offrir la contre-partie du tableau que j'ai tracé. Sans exagérer la portée des institutions philanthropiques et religieuses qui fonctionnent avec succès dans la banlieue de Paris, tout en constatant qu'on ne peut y voir une organisation [488] définitive, et qu'elles ne suppléeront jamais à l'influence de la famille chrétienne dirigeant fermement ses propres membres, on peut aujourd'hui attendre un grand secours des œuvres qu'elles accomplissent. Déjà une Monographie a constaté le bien opéré dans la commune de Clichy-la-Garenne, par la Société de Saint-Vincent-de-Paul [les Ouv. europ. XXXV, §13]. Il ne serait pas moins opportun de signaler les réformes morales introduites dans celles de Ménilmontant, de Gentilly, de Belleville, de Sceaux, de Saint-Denis, etc., par l'Œuvre du patronage des apprenties et des jeunes ouvrières, par la Société de secours mutuels des jeunes ouvriers, etc. Je disais, dans une précédente note (B), que la commune de Port-Marly était aujourd'hui en dehors du Christianisme ; je résumerai d'un mot les conclusions que me suggère cette étude, en disant que la mission des gens de bien consiste à l'y ramener !

Notes

1. La présente étude a fourni un exemple des conséquences affligeantes qu'entraîne, pour les familles d'ouvriers, le vice de l'ivrognerie. Le 29 janvier 1859, le jour même où l'auteur présentait à la Société d'Économie sociale cette monographie, rédigée depuis plusieurs semaines, l'ouvrier Paul B***, revenant ivre le long des rives de la Seine, d'un cabaret du Pecq à son logis, est tombé dans une fondrière, où on l'a trouvé, plus tard, les jambes brisées. Il est mort le 12 février suivant, après de vives souffrances, laissant sa famille dans un complet dénuement. Cette fin déplorable a jeté beaucoup d'émotion dans le pays : tous les ouvriers de la commune ont quitté leurs travaux pour accompagner à sa dernière demeure, le corps de leur camarade. Une quête faite à la porte du cimetière, et à laquelle les plus pauvres ont apporté leur obole, a produit, au profit de la veuve et des orphelins, une somme de 162 francs. Cet événement a donc mis en évidence quelques restes des sentiments moraux qui distinguaient autrefois cette population ; mais il n'a corrigé personne, et le soir même de cette triste solennité, tous les camarades du défunt étaient plongés dans l'ivresse.

2. Depuis la récolte le vin a baissé et ne coûte plus que 50 cent, au cabaret; il coûtait précédemment 60 centimes.

3. Le château de Marly, séjour fréquent de ces souverains, est situé à 2 kilomètres de l'église de Port-Marly.