No 18.
PAYSANS EN COMMUNAUTÉ
ET EN POLYGAMIE
DE BOUSRAH (ESKY CHAM)
DANS LE PAYS DE HAOURAN
(SYRIE. — EMPIRE OTTOMAN)
(Ouvriers — propriétaires dans le système du travail sans engagements)
D'APRÈS LES
RENSEIGNEMENTS RECUEILLIS SUR LES LIEUX EN DÉCEMBRE 1857
PAR
M. E. DELBET D.M.
Sommaire
- Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.
- Notes
- (A) Sur le régime de communauté des paysans du Haourân.
- (B) Sur le principe des communautés agricoles, considérées dans le passé et dans le présent.
- (C) Sur le régime de polygamie des paysans du Haourân.
- (D) Sur la condition des ouvriers domestiques chez les paysans du Haourân.
- (E) Sur les pratiques agricoles des paysans du Haourân.
- (F) Sur l'évaluation en unités métriques des poids et mesures du Haourân.
- (G) Sur le tribut (el khoui) payé aux Arabes nomades par les paysans du Haourân.
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Observations préliminaires définissant la condition des divers membres de la famille.
I. Définition du lieu, de l'organisation industrielle et de la famille
§ 1er. — État du sol, de l'industrie et de la population.
[363] La communauté de paysans qui va être décrite, habite le village de Bousrah1 sur la lisière même du grand désert de Syrie, par 32o 33' de latitude nord et par 33o 43' de longitude est du méridien de Paris. Ce village est situé dans une vaste plaine qui se continue [364] au sud avec le désert et s'étend à l'ouest jusqu'à la chaîne de montagnes formant l'escarpement oriental de la vallée du Jourdain. Au nord-est et à l'est, cette plaine est limitée par le massif volcanique du Djebel-Haourân ou par les cônes isolés qui l'entourent. Au point de vue géologique, la localité se rattache à ce massif composé de volcans éteints qui présentent une remarquable analogie avec la chaîne des Puys en Auvergne ; les roches basaltiques y affleurent encore sur beaucoup de points, et les débris de ces roches se montrent partout sur le sol cultivable. Ce sol, léger et d'un aspect noirâtre, est très fertile quand il peut être arrosé (E). L'eau nécessaire aux irrigations est fournie par les wadys ou torrents qui descendent en hiver du Djebel-Haourân. Tous ces torrents, coulant à l'ouest, se réunissent pour former le Chercat el Mandhour (ancien Hieroman), rivière assez importante qui va se jeter dans le Jourdain un peu au-dessous du lac de Tibériade.
Le territoire de Bousrah étant élevé de 1,100 mètres environ au-dessus du niveau de la mer, le climat présente déjà ces températures extrêmes qu'on rencontre à un si haut degré sur les plateaux de l'intérieur de l'Asie : en hiver, la neige séjourne quelquefois sur le sol pendant vingt jours dans les mois de janvier et de février ; en été et surtout au printemps, sous l'influence des vents du désert, la chaleur devient excessive. Cette chaleur, cependant, ne fait pas tarir plusieurs sources légèrement thermales, qui sortent de terre aux environs du village, et qui fournissent de l'eau potable à ses habitants.
Au point de vue administratif, Bousrah se rattache au pachalik de Damas ; il se trouve au sud de cette ville, à une distance de trois journées de marche (130 kilomètres environ). Le pays de Haourân, dans lequel le village est situé, est l'ancienne Auranitis, partie de la province romaine de Perea ; au temps de la domination juive, le Haourân était compris dans l'Idumée orientale.
Le site de Bousrah, offrant un territoire fertile et des sources abondantes à l'entrée du désert qui sépare la Syrie de la vallée de l'Euphrate, paraît avoir été habité depuis les temps les plus reculés. La Bible en fait mention sous le nom de Bozrah : à l'époque gréco-romaine, la ville, appelée Bosra, Bostra et Boctra, acquit une haute importance ; devenue colonie et métropole de l'Arabie romaine, elle fut, à cette époque, le siège d'un commerce considérable comme l'attestent la grandeur de ses ruines et les restes d'une voie qui l'unissait d'un côté avec Damas et les côtes de la Syrie, de l'autre avec Bassorah près du golfe Persique. Sans doute elle était alors, comme Damas l'est aujourd'hui, l'aboutissant des caravanes venues de ces régions lointaines : c'est là, du mins, la [365] tradition répandue parmi les gens du pays et parmi les Bédouins qui l'appellent encore vieux Damas (Esky Cham). Sa décadence commença avec l'invasion musulmane en Syrie ; mais elle fleurit encore à l'époque des khalifes. Plus tard le passage des conquérants qui ravagèrent l'Asie au xve siècle, et les incursions périodiques des Arabes nomades la ruinèrent à peu près complètement. Elle conserva cependant encore pendant plusieurs siècles une certaine importance, à cause du passage annuel des hadj, c'est-à-dire de la caravane des pèlerins de la Mecque ; mais, vers le milieu du xve siècle, les attaques des Arabes nomades ayant forcé les pèlerins de prendre une route plus à l'ouest, l'industrie et le commerce disparurent complètement de la contrée.
Aujourd'hui Bousrah, comme toutes les villes du Haourân, ne présente plus que des ruines couvrant une étendue de 500 hectares environ. Sur ces ruines sont établis 300 habitants musulmans connus sous le nom arabe de Fellahin Haourânié, c'est-à-dire paysans haourâniens ou du Haourân. Ces paysans, comme tous ceux de la contrée, se groupent en communautés (A) réunissant d'ordinaire plusieurs générations de parents, sous l'autorité patriarcale d'un chef de famille. Des chrétiens grecs et latins, reste de l'ancienne population gréco-romaine, qu'on retrouve mêlés aux Musulmans et aux Druses dans la plupart des villages du Haourân, ont vécu à Bousrah jusqu'à ces dernières années ; mais, éloignés par les exactions des Arabes nomades ou Bédouins, ils sont allés s'établir dans d'autres centres moins voisins du désert. De nombreuses tribus bédouines viennent, en effet, chaque année camper autour des sources de Bousrah : elles y arrivent vers le milieu de mars et s'en éloignent seulement à l'approche de l'hiver pour aller s'établir dans la Mésopotamie ou dans la vallée du Jourdain. Les habitants de Bousrah vivent ainsi dans des rapports continuels avec ces Bédouins, contre les envahissements desquels ils sont sans cesse obligés de défendre leurs propriétés. Ils paient une redevance annuelle appelée Khoui (G) à chaque chef de tribu pour prévenir le ravage de leurs récoltes qui, cependant, sont souvent dévastées ; les troupeaux mêmes sont exposés aux vols ; les paysans sont donc obligés de renfermer chaque soir leurs animaux dans un immense château fort construit au temps des khalifes, et ne servant plus aujourd'hui qu'à cet usage. À une époque encore peu éloignée, les pachas de Damas y envoyaient tous les ans quelques soldats irréguliers dont la présence suffisait pour tenir en respect les Arabes et prévenir en partie leurs dévastations.
Les paysans de Bousrah sont tous agriculteurs, mais, en raison de leur petit nombre, ils ne peuvent cultiver qu'une faible partie [366] de l'immense territoire au milieu duquel ils sont établis : la propriété de ce territoire est indivise (B), et chacun en cultive une étendue proportionnée au nombre de paires de bœufs qu'il possède ; aussi la paire de bœufs ou feddhan est-elle l'unité généralement employée pour apprécier la richesse des paysans. La terre produit en abondance des céréales (froment, orge, millet) et des légumineuses (vesces, fèves, pois) employées surtout pour la nourriture des chameaux et des bœufs. Les troupeaux de chèvres, de brebis et de vaches sont nourris au pâturage sous la garde d'une classe particulière d'Arabes nomades qui les prennent à cheptel. L'excédant des produits du sol sur la consommation locale est vendu aux Arabes du désert ou à des marchands de Damas dont le Haourân est le grenier. Depuis la guerre d'Orient, une partie de ces produits a été conduite par caravanes sur la côte de Syrie aux ports de Saint-Jean-d'Acre et de Caïpha pour être exportée en Europe.
Les vignes et les cultures arborescentes qui couvrirent autrefois les alentours de Bousrah ont complètement disparu ; on n'y voit plus que deux chênes verts et une dizaine de chétifs figuiers sauvages poussant au milieu des ruines ; mais les forêts de chênes verts se sont conservées dans le Djebel-Haourân, à une distance de 40 kilomètres du village, et, quoique cette montagne soit habitée par les Druses, c'est là que les paysans musulmans de la plaine vont chercher le bois dont ils ont besoin (§ 7). La flore naturelle comprend de nombreuses espèces appartenant surtout aux familles des synanthérées, des ombellifères et des graminées. Ce sont ces plantes qui forment au printemps de riches pâturages au milieu desquels se distinguent de belles espèces de liliacées (lis, tulipes, hyacinthes). Le gibier sédentaire consiste surtout en lièvres, perdrix rouges et pigeons, vivant dans les ruines : le gibier de passage comprend les cailles, plusieurs espèces d'oiseaux aquatiques et une espèce particulière d'oiseaux appelés kattas qui volent en bandes très-nombreuses. Malgré l'abondance du gibier, les paysans chassent très peu en général, mais les Arabes nomades, gardiens des troupeaux, aiment à le faire quand ils peuvent se procurer de la poudre et du plomb. Les animaux nuisibles les plus répandus sont les chacals et les hyènes qui attaquent les troupeaux, et les souris qui ravagent les récoltes (E).
Aucune industrie proprement dite n'existe à Bousrah : les femmes de paysans filent à peine de petites quantités de laines, et elles ne tissent pas d'étoffes en poil de chèvre, comme le font les femmes des Arabes nomades (§ 5). Les familles achètent ces étoffes aux Bédouins ou aux négociants de Damas qui leur vendent aussi tous les autres articles dont elles peuvent avoir besoin. À certaines époques [367] de l'année, il vient dans le pays des colporteurs de Damas qui parcourent les villages du Haourân et les campements d'Arabes pour vendre ou échanger, contre les produits du sol et des troupeaux, les objets de consommation usuelle (§ 5). Ce sont aussi des ouvriers émigrants de Damas ou des environs qui viennent dans le Haourân fabriquer des couvertures en laine et des matelas de même matière.
La communauté qui va être décrite est une des plus nombreuses parmi celles de Bousrah ; elle est aussi une des plus riches et des plus considérées, son chef étant en même temps cheikh du village : son organisation d'ailleurs et ses conditions d'existence sont exactement les mêmes que celles des autres communautés de toute cette contrée [§ 3, (A)].
§ 2. — État civil de la famille.
La famille décrite dans la présente monographie est liée par des rapports de parenté avec presque tous les habitants du village, ce qui paraît indiquer entre eux une origine commune. En raison d'une généalogie qui les relie à Mogdad, l'un des premiers compagnons du prophète Mohammed, tous ses membres peuvent porter comme nom commun celui de cet aïeul illustre. C'est là un fait exceptionnel dans le pays où les noms de famille sont très rares.
En effet, le régime de communauté réunissant un grand nombre de personnes sous un même toit, l'usage d'un nom commun ne permettrait pas de désigner les individus d'une manière suffisamment claire ; aussi, partout où ce régime a prévalu, l'habitude s'est établie d'appeler chacun par son nom propre en faisant suivre ce nom de celui du père et en indiquant le rapport de filiation [les Ouvr. europ. II § 2 et XXXI (B)] : on dit alors un tel, fils d'un tel. Quand la personne désignée, homme ou femme, a elle-même un fils, on la désigne encore par son nom propre suivi de celui du fils et en indiquant le rapport de paternité ou de maternité, un tel, père d'un tel ou une telle, mère d'un tel; souvent même dans ce dernier cas, on dit simplement le père d'un tel ou la mère d'un tel sans prononcer le nom propre de la personne dont il s'agit ; mais si, parmi les enfants, il n'y a pas de garçons, on n'emploie jamais ce mode de désignation, car ce serait faire injure à un homme que lui rappeler qu'il n'a pas d'enfant mâle. Les noms de famille existent seulement pour ceux dont un ancêtre a acquis une renommée glorieuse qui ne peut s'étendre à des descendants que par la transmission du nom. Dans ce cas même, le nom commun, quoique appartenant à tous les membres de la famille, n'est habituellement donné qu'à son chef.
[368] La communauté comprend cinq ménages avec plusieurs personnes isolées faisant partie de la famille et dix domestiques qui s'y rattachent d'une manière intime ; en tout 32 personnes. Le nom, l'âge et les relations de parenté ou de domesticité qui relient ces diverses personnes sont indiquées dans le tableau suivant :
1. Chef de famille, Mohammed El Khalil, Abou Assem, Ben Mogdad: cheikh el Bellad, cheikh el beit (Mohammed l'ami de Dieu, père de Kassem, descendant de Mogdad : cheikh du village, cheikh de la maison)............ 41 ans
2. Sarah Bente Khawaldé Oum El Volèd (Sarah, fille de Khawaldé, dite mère des enfants), sa 1re femme, mariée depuis 25 ans............ 39 [ans]
3. Ouatha Bente Kmedad, dite femme de fantaisie, sa 2me femme, mariée depuis 8 années............ 24 [ans]
4. Salkah Bente Tahan El Bedaouié (Salkah, fille de Tahan, dite la Bédouine), sa 3me femme, mariée depuis 2 ans............ 18 [ans]
5. Mansour ben Mohammed, 2me fils de Sarah............ 9 [ans]
6. Ahmed ben Mohammed, 3me fils de Sarah.............. 6 [ans]
7. Hacem ben Mohammed, 4me fils de Sarah............... 6 [ans]
8. Abd Allah ben Mohammed, 1er fils de Ouatha.............. 3 [ans]
9. El zrir (le petit), 2me fils de Ouatha ; cet enfant n'a pas encore reçu de nom propre et reste ainsi familièrement dénommé.............. 6 mois
10. 1er frère du chef de famille : Mahmoud Ben Mogdad, veuf d'une première femme morte sans enfants.............. 35 ans.
11. Richdé Bente Kassem Omar, sa 1re femme, mariée depuis 7 ans.............. 25 [ans]
12. Bahérié (on ignore le nom de son père), sa concubine, (§ 6), esclave nubienne appartenant à la communauté depuis 18 ans.............. 40 [ans]
13. Salga ben Mahmoud (Salga, fils de Mahmoud), fils de Bahérié.............. 9 [ans]
14. Facem bente Mahmoud (Facem, fille de Mahmoud), 1re fille de Richdé.............. 4 [ans]
15. Hamé Bente Mahmoud (Hamé, fille de Mahmoud), 2me fille de Richdé.............. 1 [ans]
16. 2me frère du chef de famille : Ali Ben Mogdad.............. 27 [ans]
17. Beka Bente Fellah (Beka, fille de Fellah), sa femme, mariée depuis une année.............. 16 [ans]
18. 3me frère du chef de famille : Farès Ben Mogdad, fils d'une autre mère que celle du chef de famille et des deux premiers frères.............. 20 [ans]
19. Beka Bente Nemr, sa femme, mariée depuis une année.............. 15 [ans]
20. Aïssé el Kurdié Ouma Farès (Aïssé la Kurde, dite mère de Farès), née à Damas dans le faubourg de Salahyeh.............. 50 [ans]
21. 1er fils du chef de famille : Kassem Ben Mohammed (Kassem, fils de Mohamed).............. 17 [ans]
22. Dellée Bente Daoud (Dellée, fille de David), sa femme, fille du 1er frère Mahmoud.............. 14 [ans]
23. Soliman ben Kassem, cheikh el Haratin (Soliman, fils de Kassem, dit cheikh des laboureurs), vieux domestique qui dirige l'exploitation [369] agricole et commande aux 9 domestiques désignés ci-après.
24. Kassem ben Kassem, frère cadet de Soliman.
25. Hacem el Mutuali (Hacem le Mutuali), étranger venu du Liban et appartenant à la secte musulmane des chiites.
26. Ahmed ben Saïd.
27. Hanem ben Saïd, frère du précédent.
28. Mohammed ben Hesbé.
29. Hacem ben Hedid.
30. Mahmoud ben Hedib, frère du précédent.
31. Ahmed el Massarwé (Ahmed l'Égyptien), originaire d'Égypte.
32. Mohammed el Naplousi (Mohammed le Naplousain), originaire de Naplouse.
On pourrait rattacher aussi à la communauté l'Arabe nomade à qui les troupeaux sont donnés en cheptel. Cet Arabe habite sous la tente à côté du village, et c'est par exception seulement qu'il vient manger avec la famille.
Trois enfants du cheikh Mohammed et de sa première femme Sarah sont déjà mariés : un fils, resté dans la communauté, a été dénommé ci-dessus; la fille aînée, Bender, âgée de 18 ans, mariée avec son cousin Ahmed, fils du frère aîné du chef de famille, Daoud, habite avec son mari dans la maison de ce dernier (§ 12) ; la seconde fille Sallah, âgée de 14 ans et mariée à un autre cousin, habite aussi dans la famille de son mari.
L'esclave nubienne Bahérié n'a pas été tout d'abord concubine du premier frère. Des symptômes de jalousie paraissent avoir existé jadis à son sujet entre celui-ci et le chef de famille : le souvenir en est entièrement effacé aujourd'hui.
Aïssé, mère du troisième frère, était la seconde femme du père du chef de famille; elle en a eu, outre Farès, plusieurs filles qui sont mariées dans le village : elle-même reste comme veuve dans la communauté et se rattache naturellement au ménage de son fils (§ 8 et 10).
Les huit premiers domestiques, attachés à la famille pour l'aider dans son exploitation agricole, portent le nom de Haratin (laboureurs) : trois d'entre eux (no 23, 24 et 25), n'étant pas mariés ou n'ayant pas leur famille à Bousrah, couchent dans la maison ; les cinq autres vont ordinairement coucher dans leurs familles (D).
Les deux derniers domestiques se rattachent à la communauté, moins directement que les précédents : ce sont les Natours destinés au service du Medhafé (§ 10). Ils sont nourris et logés dans la maison, mais ils sont rétribués par tous les chefs de famille du village. Tous deux sont étrangers au pays.
§ 3. — Religion et habitudes morales.
[370] Tous les habitants de Bousrah appartiennent à la religion musulmane et reconnaissent comme chef spirituel et temporel le sultan résidant à Constantinople ; mais ils ne suivent pas le même rite que les Turcs et se rattachent avec la plupart des Arabes de Syrie à l'école de jurisprudence civile et religieuse dite de Chafeï.
Bousrah a été visitée par le prophète Mohammed, et la tradition rapporte que sa mission lui fut prédite dans cette ville par le moine Boheira dont la légende est célèbre dans tout l'Orient ; plus tard le khalife Othman y fit élever, à la place où se coucha son chameau, la célèbre mosquée d'el Mabrak qui existe encore aujourd'hui ; à tous ces titres, Bousrah est considérée, par les Arabes du moins, comme un sanctuaire religieux ; et les souvenirs qui se rattachent aux événements dont elle a été le théâtre entretiennent une certaine ferveur parmi ses habitants. Ils se distinguent sous ce rapport des Arabes nomades qui se montrent en général musulmans peu zélés et infidèles observateurs des préceptes du Koran [les Ouvr. europ. I § 3] ; mais ils ont adopté, dans les pratiques religieuses, les habitudes de ces Arabes. Le culte public n'existe pas à Bousrah où le clergé musulman n'est pas représenté. Aux principales fêtes seulement, l'un des hommes les plus respectables du village récite en public les prières d'usage dans la mosquée d'el Mabrak ; d'ordinaire chacun des habitants fait en particulier ses prières quotidiennes, et tous suivent assez exactement ceux des préceptes du Koran qui sont relatifs à l'hygiène. Dans leurs rapports avec les chrétiens grecs et latins du pays, ils ne paraissent pas faire preuve de fanatisme : c'est, d'ailleurs, un fait général parmi les musulmans du Haourân qui vivent avec les chrétiens sur un pied d'égalité presque complète. Les dispositions charitables qu'on retrouve en général chez tous les musulmans s'observent à un haut degré chez les paysans haourâniens. À l'époque de la récolte, ils donnent des grains en abondance aux mendiants de Damas qui viennent parcourir la contrée [les Ouvr. europ. VIII § 13].
Comme chef d'une maison qui descend de l'un des familiers du prophète et comme cheikh du village, Mohammed serait blâmé par l'opinion s'il ne donnait l'exemple du zèle religieux : il le fait effectivement, et paraît animé d'un profond sentiment de piété qui contribue à l'élever au-dessus du niveau des autres habitants. On trouve chez lui une délicatesse morale qu'on est étonné de rencontrer dans un tel milieu. Son esprit de justice, son affabilité et sa générosité ont élevé déjà très-haut sa réputation et lui ont acquis [371] une grande autorité dans tout le pays ; aussi est-il souvent choisi comme juge des différends par les paysans et par les Arabes eux-mêmes (§8). Les autres membres de la communauté ne paraissent pas s'élever sous le rapport moral au-dessus du reste de la population : unis dans un sentiment commun de respect pour le chef de famille, ils se soumettent à ses décisions et vivent entre eux en bonne intelligence. Les discussions, d'ailleurs, sont rares dans le sein de ces communautés, la tâche de chacun étant nettement définie. Les femmes sont traitées avec douceur par les maris qui leur abandonnent complètement la direction intérieure de la maison. Dans chaque famille, l'une d'elles, la plus âgée, en général, est investie d'une autorité ordinairement respectée par ses compagnes (C).
L'instruction est peu répandue parmi la population musulmane du Haourân, et les villages ne possèdent pas d'écoles permanentes. Quand il se trouve dans l'un d'eux un certain nombre de jeunes gens désirant apprendre à lire et à écrire, on fait venir de Damas ou des environs un maître engagé pour un temps déterminé. Il y a d'ordinaire, dans chaque communauté, une personne au moins sachant lire, écrire et compter ; dans celle qui est ici décrite, le cheikh Mohammed et son frère Ali possèdent cette instruction élémentaire. Le fils aîné du cheikh, quoique déjà marié, n'a rien appris encore, mais on doit faire venir cette année même un maître qui l'instruira en même temps que plusieurs autres jeunes gens du village. C'est dans le Koran qu'on apprend à lire, et l'instruction a toujours un caractère exclusivement religieux. Du reste, il y a dans ce milieu social un ensemble de connaissances de l'ordre moral et religieux qui se transmettent par tradition, et qui remplacent dans une certaine mesure l'instruction proprement dite. L'aptitude à la poésie se rencontre fréquemment parmi les paysans et surtout parmi les nomades qui ont ce talent en grande estime.
Les meurs sont bonnes en général dans le pays. Les jeunes filles, qui d'ailleurs se marient de très-bonne heure, se conduisent fort bien. La sévérité de l'opinion est telle que, si une fille commet une faute, ses parents la mettent à mort de leurs propres mains, quoique menacés du même sort en cas de surprise ; les femmes mariées paraissent avoir une conduite moins régulière : du reste, les unes et les autres sont sans voile et jouissent d'une grande liberté. Les jeunes gens se marient d'ordinaire beaucoup plus tard que les jeunes filles, parce qu'ils sont obligés de se faire une dot pour obtenir une femme.
Toujours armés et souvent obligés de se servir de leurs armes pour leur défense personnelle et pour celle de leurs propriétés, les paysans haourânié paraissent cependant plus enclins à la ruse qu'à [372] la violence. Dans leurs discussions d'intérêt, ils s'injurient longtemps et épuisent toutes les formules de malédiction avant d'en venir aux mains ; le plus souvent même ils acceptent, pour régler leurs différends, l'intervention d'un cheikh ou d'une personne influente ; mais ce n'est que très-exceptionnellement qu'ils portent leurs causes devant le cadi turc de Damas. En cas de meurtre, la coutume et la loi admettent la compensation pécuniaire ; mais un certain déshonneur s'attache à la famille qui, ayant perdu 'un de ses membres, consent à recevoir le prix du sang ; il en résulte que les dettes de.sang se transmettent d'une génération à l'autre et entraînent quelquefois une longue succession de meurtres.
La cruauté n'est pas d'ailleurs dans les mœurs du pays, et les animaux eux-mêmes y sont traités avec beaucoup de douceur. En dehors de l'état de guerre, les Arabes et les paysans attaquent souvent les propriétés d'autrui, mais presque jamais ils ne menacent la vie ; la crainte d'être obligé de payer le prix du sang à un taux très-élevé, ou bien d'être exposé aux vengeances héréditaires, entrent sans doute pour beaucoup dans ce respect des Arabes pour la vie humaine.
Dans leur ensemble, les mœurs des paysans haourânié présentent une grande analogie avec celles des Arabes nomades, et cela résulte de leurs fréquents rapports avec ces derniers qui vivent au milieu d'eux pendant six à sept mois chaque année ; le costume, le mode de vie sont presque identiques, et il y a aussi chez les uns et les autres la même simplicité et la même rudesse de manières. Les paysans ont adopté le dialecte arabe parlé par les Bédouins, en sorte qu'il est souvent difficile de distinguer les uns des autres. On observe cependant que les paysans sont d'ordinaire plus grands et plus robustes que les Arabes nomades.
§ 4. — Hygiène et service de santé.
Le site de Bousrah est salubre par lui-même ; mais la ruine des magnifiques travaux, faits jadis pour l'aménagement des eaux, a créé des marécages autour des sources à l'ouest de la ville ; d'un autre côté l'action de la chaleur sur les terres arrosées détermine la formation de miasmes paludéens : il en résulte des fièvres intermittentes qui se font sentir au printemps surtout, mais qui ne paraissent pas être de nature pernicieuse ; plusieurs membres de la communauté en ayant été atteints ont guéri spontanément.
Les eaux légèrement thermales de la source située dans les ruines mêmes de la ville ont l'avantage de permettre aux habitants de [373] prendre des bains en hiver aussi bien qu'en été ; ils en usent fréquemment pour satisfaire aux préceptes religieux des ablutions. Cette source fournit aussi l'eau de boisson pour tout le village, les femmes venant la chercher dans des outres qu'elles portent sur leurs épaules.
La mauvaise saison étant très-courte et le froid ne se faisant guère sentir pendant plus d'un mois chaque année, les habitants sont très-mal préparés à le subir ; les vêtements ordinaires et les habitations mêmes ne sont pas en état de les en préserver; aussi, en souffrent-ils beaucoup et sont-ils souvent pris d'inflammations aiguës pendant le temps de la pluie (cette expression est ordinairement employée pour désigner l'hiver). Les chaleurs de l'été paraissent, au contraire, être supportées sans inconvénient ; la seule précaution qu'on prenne contre elles consiste à se bien couvrir la tête ; on se sert pour cela d'un vêtement appelé keffieh (§ 10) qui, selon la disposition qu'on lui donne, a la propriété de préserver de la chaleur ou du froid. Pendant l'été il arrive souvent qu'on couche en plein air sur les terrasses.
Les grandes épidémies de peste et de choléra ne paraissent pas avoir sévi avec intensité dans le pays depuis le commencement de ce siècle. Les ophtalmies n'étant pas soignées dès le début deviennent presque toujours graves et laissent des traces qui altèrent la vue ou la compromettent complètement ; mais elles ne semblent pas plus communes que dans beaucoup de localités de l'Occident.
Les maladies syphilitiques se rencontrent assez fréquemment chez les paysans. Elles paraissent avoir été importées dans le Haourân par les soldats irréguliers qu'on y envoyait autrefois. La cause et le caractère contagieux de ces maladies étant méconnus, elles acquièrent bientôt beaucoup de gravité. Elles se transmettent d'une génération à l'autre, et déjà elles ont compromis l'avenir d'une assez notable partie de la population [No 2 (A)].
Aucune trace de ces maladies n'a été observée dans la famille ici décrite. Tous ses membres jouissent d'une santé excellente et la force s'unit chez eux à la dignité extérieure. Les femmes sont remarquables par leur beauté, et les hommes se distinguent aussi par la noblesse et la fine expression de leurs traits. Les mariages se faisant généralement, et surtout dans les principales familles, entre parents, les caractères de race se transmettent fidèlement d'une génération à l'autre. Cette habitude cependant n'empêche pas d'une manière absolue les croisements de sang parce que, dans les cas de polygamie, celui qui prend une seconde ou une troisième femme la choisit le plus souvent parmi les étrangères. C'est ainsi que, dans la famille ici décrite, le père du chef actuel avait été chercher [374] à Damas une femme de race kurde et que ce chef lui-même a épousé une Bédouine (§ 2).
Le service médical n'est nullement organisé, au grand regret des paysans qui aiment à demander des conseils aux médecins étrangers et se montrent très-empressés à les exécuter. Le soin des malades est remis à des paysans empiriques dont le système consiste, en général, à appliquer aux hommes les méthodes de traitement qui ont réussi chez les animaux. Ils se montrent surtout prodigues de cautérisations au fer rouge qu'ils appliquent avec beaucoup de hardiesse et avec un véritable-succès dans les affections articulaires et rhumatismales. Souvent ce sont les domestiques appelés Natours (§ 2) et destinés au service des étrangers qui sont en possession d'appliquer ces remèdes. Ce sont eux aussi qui exécutent les opérations ordinaires de la chirurgie et la circoncision des enfants.
Les vieilles femmes de chaque famille assistent ordinairement les plus jeunes dans leurs accouchements. Quand les enfants sont malades, les mères recourent presque toujours à quelques pratiques occultes pour obtenir leur guérison. Souvent aussi elles font, dans cette intention, des pèlerinages près de quelques tombe vénérée. Presque tous les enfants d'ailleurs portent sur la tête, en guise d'amulette, un coquillage, un lambeau d'étoffe rouge ou tel autre objet destiné à les préserver dès influences occultes dont on les croit menacés.
§ 5. — Rang de la famille.
Les paysans de Bousrah exploitent une terre indivise qui, en droit, appartient au chef de l'État, comme ils le reconnaissent eux-mêmes en la désignant sous le nom de terre du sultan (Ard el sultan). En échange de l'autorisation qu'on leur accorde de cultiver cette terre, ils paient une redevance unique appelée Miri qui évidemment représente à la fois l'impôt et le loyer de la terre (§ 8). La situation de ces paysans peut donc être comparée, sous certains égards, à celle des fermiers de biens domaniaux dans notre pays. En réalité, ils appartiennent à la catégorie des ouvriers-propriétaires, parce qu'ils possèdent en propre les instruments de travail sans avoir aucun droit permanent sur la terre ; d'autre part, ils se rattachent au système du travail sans engagement, car ils ne sont nullement attachés à la glèbe et peuvent se transporter ou même changer de terre à volonté, le sol étant partout à leur disposition.
C'est un fait digne de remarque que ces familles de paysans du Haourân ne cumulent pas avec l'entreprise agricole les attributions manufacturières, comme cela s'observe presque toujours dans un [375] état de civilisation analogue [les Ouv. europ. I § 5]. Ils ont à peu près exclusivement le caractère d'agriculteurs, et cela tient sans doute au voisinage d'un centre commercial important comme Damas et à celui des Arabes nomades qui vendent à bas prix les étoffes manufacturées par leurs femmes. La facilité des échanges en nature avec ces deux marchés, entre lesquels ils sont placés, a conduit naturellement les paysans à se restreindre à la production des céréales qui convient, d'une manière spéciale, au sol du Haourân.
La famille ici décrite, quoique son chef soit en même temps cheikh du village, ne s'isole en rien des autres familles de paysans. Elle vit avec celles-ci, dans des rapports continuels, de leur vie simple et laborieuse. Les privilèges dont son chef est investi ne font guère que compenser les charges qui lui incombent. S'il dispose d'une aisance relativement un peu plus grande, il s'en sert seulement pour se montrer plus généreux envers les étrangers et accroître sa réputation d'hospitalité. Cette conduite est en général celle des cheikhs musulmans du Haourân ; elle contraste d'une manière remarquable avec celle d'autres cheikhs de Syrie qui, surtout parmi les Druses, étalant un certain faste et dépensant beaucoup pour leurs intrigues près du pacha, sont entraînés aux abus du pouvoir, afin d'augmenter leurs revenus.
Cette simplicité de vie ne nuit d'ailleurs, en aucune manière, à la considération qui s'attache au cheikh Mohammed et à sa famille. Son origine illustre est d'abord un titre puissant à cette considération pour des hommes de cette race essentiellement aristocratique ; puis le cheikh, en qui se résume toute la famille et qui seul est responsable devant l'opinion, est personnellement estimé de tous ceux qui l'entourent. On reconnaît qu'il réunit en lui le discernement, l'esprit de conciliation et l'énergique fermeté nécessaire pour diriger sa nombreuse communauté et pour sauvegarder les intérêts du village dans ses rapports avec l'autorité et avec les Arabes nomades ; sa dignité extérieure et son habileté dans les exercices du corps contribuent aussi à lui concilier le respect. Comme chef militaire, il peut réunir environ 300 cavaliers ou fantassins de sa famille qui, bien que répartis dans différents villages, forment une espèce de clan toujours prêt à se rendre à son appel : une force aussi imposante ajoute nécessairement beaucoup à l'autorité de celui qui en dispose. Cette année même le cheikh Mohammed a été choisi comme l'un des arbitres désignés pour régler les conditions de paix entre les Haourânié et les Druses leurs voisins avec lesquels ils étaient en guerre. Ce fait montre assez à quel degré de considération il est parvenu parmi ceux de sa race.
II. Moyens d'existence de la famille
§ 6. — Propriétés.
[376] (Mobilier et vêtements non compris.)
Immeubles.............. 950f00
1o Habitation. — Maison comprenant le Medhafé (partie destinée a service des étrangers) ; le Harîm (partie réservée aux femmes et aux membres de la famille) ; divers magasins, cours et écuries pour le service de l'exploitation rurale : on ne peut attribuer à cette maison que la valeur des travaux d'appropriation faits pour rendre habitables les ruines qui la composent ; environ 800f00.
2o Beidar. — Espace d'une étendue de 1 hectare 50 ares environ situé à proximité des maisons ; cet espace clos d'un mur en pierre sèche sert à battre les grains et fournit un pâturage où les chevaux peuvent être abandonnés en liberté : valeur estimée égale à celle des travaux de clôture, 150f00.
3o Terre arable. — Cette terre n'est pas possédée par la famille qui n'a sur elle aucun droit permanent : il n'y a donc pas lieu d'en estimer la valeur parmi ses propriétés. L'étendue des terres ensemencées chaque année par la famille peut être évaluée à 70 hectares environ.
Esclave domestique.............. 0f00
La famille possède une femme esclave achetée il y a 18 années pour une somme de 750f00; on pourrait sans doute la considérer comme représentant un capital ; mais un examen attentif de sa situation montre qu'elle fait réellement partie de la famille dont elle ne doit plus jamais être séparée. Devenue concubine de l'un des frères du cheikh (§ 2), elle a eu de lui un enfant qui est élevé exactement dans les mêmes conditions que les autres enfants de la famille. Cette situation persistera pour elle jusqu'à sa mort sans que jamais on ait la pensée de la vendre, ce qui d'ailleurs serait contraire aux principes de la morale musulmane. Il n'y a donc pas lieu d'attribuer à l'esclave une valeur parmi les propriétés de la famille.
Argent.............. 396f00
La famille ne possède pas d'argent placé à intérêts ; mais les divers membres disposent de petites sommes qui sont leur propriété personnelle et qui montent à 96f; en outre le chef de la communauté, en sa qualité de cheikh du village, est exposé à des dépenses imprévues qui l'obligent à avoir une somme de 300f00 environ, qui constitue avec les grains, les jeunes animaux et les provisions, le fonds de roulement de la communauté administrée à la fois par le cheikh Mohammed, par son frère cadet Mahmoud et en partie aussi par Sarah, première femme du cheikh, dite mère des enfants (§ 2).
Animaux domestiques entretenus toute l'année.............. 14,659f00
1o Chevaux. — 2 juments et 2 chevaux de race, réservés pour la course et les voyages : la jument que monte habituellement le cheikh Mohammed est estimée 1200f00 et les trois autres chevaux à 500f00 chacun en moyenne; — une pouliche de race, âgée de 1 an, 500f00; — 3 chevaux ou juments déjà âgés et employés comme animaux de charge, estimés à 200f00 chacun. — Total, 3,800f00.
2o Mulets. — 1 mulet jeune et vigoureux, 325f00.
3o Chameaux. — 7 chameaux mâles ou femelles achetés aux Bédouins, à l'âge où ils peuvent travailler : chacun d'eux a une valeur moyenne de 225f00.— Total, 1,575f00.
4o Ânes. — 10 ânes ayant chacun une valeur moyenne de 40f00. — Total, 400f00.
5o Bêtes à cornes. — 20 bœufs de labour, estimés en moyenne à 200f00 chacun, [377] 4,000f00; — 6 vaches ou génisses estimées en moyenne à 110f00 chacune, 660f00; — 4 veaux ayant une valeur moyenne de 120f00. — Total, 4,780f00.
6o Bêtes à laine. — 200 brebis et 50 moutons, ayant en moyenne une valeur de 8f00 par tête, 1,600f00; — Un bélier, 25f00. — Total, 1,625f00.
7o Chèvres. — 350 chèvres ayant chacune une valeur de 6f00 par tête, 2,100f00; — 3 boucs, 24f00. — Total, 2,124f00.
Le troupeau a été désorganisé cette année par des Arabes nomades ennemis du village qui en ont volé la plus grande partie. Il doit être reconstitué au printemps de 1858, par des cadeaux et des achats. On n'a pas tenu compte ici de ce fait accidentel, et on a attribué au troupeau de brebis et de chèvres le nombre de têtes qui le composent habituellement.
7o Basse-cour. — 50 poules ou poulets entretenus pendant toute l'année, 30f00.
Matériel spécial des travaux et industries.............. 1,000f00
1o Exploitation agricole. — 10 charrues sans roues et sans oreilles (le fer est acheté à Damas, le bois est façonné dans la communauté), 100f00; — Cordes en chanvre de Damas servant à fixer les bœufs au joug, 30f00; — 10 aiguillons (massas) en forme de lances et servant aux laboureurs pour conduire et exciter leurs bœufs, 20f00; — 4 instruments servant à battre (loheh) : chacun d'eux composé de plusieurs planches est large de 1 mètre et long de 2m 25; la face inférieure des planches est garnie de quelques pointes de fer et d'un grand nombre de pierres aiguës, 70f00; — Faucilles (meudjel), et gants grossiers (koeul), munis pour le pouce de la main gauche d'un petit croc en fer (ramlouk) qu'on emploie pour moissonner, 24f00; — Mesures de capacité pour les grains dites mid (F), fabriquées en bois à Damas, 12f00; — Cribles de diverses grandeurs pour nettoyer les grains, 14f00; — 30 sacs en tissu de poils de chèvre, servant au transport des grains (chacun contient de 130 à 150 litres), 90f00; — Pioches et pelles pour creuser et remuer la terre, 18f00; — Nombreuses corbeilles (couffes) en paille tressées par les femmes et servant à transporter les terres à distance, 10f00. — Total, 389f00.
2o Exploitation des chevaux de course et de voyage. — 6 selles arabes (serdj), achetées à Damas : elles présentent entre autres ornements, 2 glands qui pendent de chaque côté du ventre du cheval et servent à chasser les mouches (chacune vaut environ 30f00,) 180f00; — 6 brides arabes avec mors garni d'un ajustage qui presse fortement le palais du cheval quand on le fait agir ; les têtières sont en tissu de laine rouge, fabriqué à Damas (chaque bride est évaluée à 10f00), 60f00; — 6 licols et longes avec lesquels on dirige ordinairement les chevaux, les brides n'étant employées que dans les circonstances exceptionnelles, 24f00; — 6 appareils pour entraver les chevaux pendant la nuit (chacun se compose d'un cercle en fer pour serrer le pied du cheval, d'un piquet de fer et d'une petite chaîne ou d'une corde), 30̂f00; — 6 doubles sacs (kourdj), en étoffe de laine du pays, espèces de besaces qui se placent en travers de la selle et où se mettent les vêtements et les provisions de voyage, 30f00; — 10 petits sacs en coton, (alik) munis de cordes qui permettent de les attacher au cou des chevaux et dans lesquels on donne l'orge à ces animaux, 10f00. — Total, 334f00.
3o Exploitation des animaux de charge. — 7 bats pour chameaux, 42f00; — cordages en chanvre et en poils de chèvre, pour attacher les charges sur le dos des chameaux et pour entraver ces animaux pendant la nuit, 30f00; — Licols et longes servant à attacher les chameaux les uns à la suite des autres pendant les marches (les licols sont ornés de coquillages marins), 21f00; — Grands ciseaux employés pour tondre le poil des chameaux, 4f00; — 4 bâts pour le mulet et pour les 3 chevaux de charge, 28f00; — cordages pour maintenir les charges sur le dos de ces animaux, 12f00; — Appareils pour les entraves, 20f00; — Petits bâts ou pièces d'étoffes servant à garnir le dos des ânes quand on les charge, 20f00. — Total, 177f00.
4o Manipulation du lait de vache, de chèvre et de brebis. — 10 outres (kirbeh) en peau de chèvre, servant au transport du lait, 20f00; — 3 outres en peau de chèvre servant à brasser le lait pour faire le beurre, 6f00; — Divers vases en bois pour y déposer le lait, tamis à fond de crin pour le passer, 6f00; — 10 outres en peau de chèvre, [378] pour conserver les provisions de beurre, 20f00; — 15 jarres en terre cuite pour la préparation du fromage (keshk), 6f00. — Total, 58f00.
5o Entretien de l'habitation. — Rouleau en pierre fait avec un fragment de colonne et servant à tasser la terre sur les terrasses des maisons (le rouleau est percé à ses extrémités et garni de manches en bois qui permettent de le traîner), 3f00; — Planches employées par les femmes en manière de truelles pour rendre unie la surface du mortier de terre dont elles tapissent l'intérieur de leurs chambres, 2f00. — Total, 5f00.
6o Récolte du bois. — Haches de diverses grandeurs, mais se maniant toutes d'une seule main, 12f00; — Couteaux de formes spéciales avec manches ornés de clous en cuivre, employés pour façonner certains ouvrages en bois, 6f00; — Morceau de fer qu'on fait rougir au feu pour percer des trous dans le bois, 3f00; — Total, 21f00.
7o Blanchissage du linge. — 2 grands chaudrons en cuivre étamé, dont on se sert pour faire bouillir le linge et les vêtements dans de l'eau de savon (le plus souvent on lave le linge et les vêtements dans l'eau froide, près de la fontaine), 16f00.
Armes destinées à la guerre plutôt qu'à la chasse ; elles sont indispensables aux paysans du Haourân qui ont souvent à se défendre contre leurs voisins. Elles ont des formes spéciales traditionnelles dans le pays ; toutes les armes à feu sont à pierre à cause de la difficulté que l'on éprouve pour se procurer des capsules... 864f00
Les armes d'un cavalier comprennent : 1 lance longue de 4 mètres environ, faite avec un bambou et garnie au-dessous du fer avec une plume d'autruche, 16f00; — 1 sabre (seif) courbe, avec un fourreau à garniture en argent et en cuivre, 70f00; — 1 paire de pistolets (tahangeat) avec quelques ornements en cuivre argenté, 40f00; — 1 ceinture munie de sacs pour les pistolets, 12f00; 1 espèce de baudrier, garni de tuyaux en cuivre où on place la poudre, 15f00. — Total, pour les armes d'un cavalier, 153f00.
Les armes d'un fantassin comprennent : un fusil à un coup, à canon très-long, 40f00; 1 long poignard recourbé (khandjar), 10f00; — 1 ceinturon ou un baudrier, munis de sacs pour y placer la poudre et les balles, 8f00. — Total pour les armes d'un fantassin, 58f00.
Chacun des quatre hommes adultes de la famille possède à la fois les armes du cavalier et celles du fantassin : il y a, en outre, dans la maison une provision de poudre et de balles, évaluée à 20f00. — Total pour les armes et les provisions de guerre de la famille, 864f00.
Valeur totale des propriétés.............. 17,869f00
§ 7. — Subventions.
[379] Comme dans tous les pays où la propriété est indéterminée, les subventions dans le Haourân occupent une place très importante parmi les ressources des paysans. Bien que ces derniers soient sédentaires, en raison de conditions spéciales à la contrée, ils participent sous ce rapport aux avantages de la vie nomade. Ainsi, les subventions n'émanent pas pour eux de la commune seulement, et leur domaine n'est pas restreint dans son périmètre; il s'étend pour ainsi dire à volonté, tant les ressources sont abondantes relative- ment au chiffre de la population fixe. En réalité, il n'a d'autre limite que la concurrence faite aux paysans par les Arabes nomades du désert. On peut donc ranger les subventions en deux classes, selon qu'elles sont fournies par le domaine communal ou bien prises en dehors de ce domaine. À la première classe se rattachent celles dont l'énumération suit :
1o Dans tout le Haourân et spécialement à Bousrah, les paysans habitant au milieu de vastes ruines peuvent se créer des habitations presque sans frais, en se servant des maisons encore debout et des débris de celles qui sont détruites. Cette subvention équivaut à peu près à la gratuité des loyers.
2o Le Miri ayant été fixé primitivement en raison d'une certaine étendue de terre cultivée, on diminue sa proportion, relativement aux produits du sol, en exploitant chaque année une quantité de terre plus grande que celle pour laquelle on paie. Le bénéfice réalisé ainsi par chaque famille de paysans sur l'impôt et sur le loyer de la terre (car le Miri comprend ces deux choses) constitue une véritable subvention. Il est évident du reste que cette subvention émane de la commune, puisqu'elle croît nécessairement avec le nombre des habitants. D'un autre côté, elle a pour raison d'être le mauvais établissement de l'impôt et l'incurie des administrateurs publics : sous ce rapport donc, les paysans profitent de l'état d'abandon où ils sont laissés par le gouvernement ; mais cet avantage est plus que compensé par les inconvénients qui résultent du même fait, et entre autres par la nécessité de payer le Khoui (G). Ordinairement, les paysans ne paient pour le Miri que le tiers de la somme qu'ils devraient au fisc, en raison de l'étendue des terres qu'ils cultivent.
3o À cette première catégorie de subventions se rattachent les droits d'usage sur les pâturages, le gibier, etc., fournis par les terres situées dans le périmètre de la commune, qu'elles soient ou non exploitées à titre individuel.
Les subventions de la seconde catégorie, celles qui ont leur source en dehors du domaine communal, ont ce caractère particulier que chacun en jouit comme individu isolé et non pas en qualité de membre de la communauté. Il est à remarquer cependant qu'en cas de contestation relativement à la jouissance de ces subventions, chacun trouverait un appui dans les autres membres du village intéressés à maintenir leur propre droit à cet égard. Ainsi donc, ces subventions, bien qu'elles n'émanent pas de la commune, ont leur garantie dans l'association communale.
Toutes sont des droits d'usage sur les pâturages d'été et d'hiver, sur le gibier, les fruits sauvages et les produits forestiers. Aucun règlement, aucune coutume n'en limite la jouissance. Ainsi, il arrive que les troupeaux des habitants de Bousrah vont en été chercher [380] leur nourriture à plus de 50 kilomètres du village, dans la région montagneuse où les pâturages se conservent longtemps. C'est aussi dans les forets de chênes verts du Djebel-Haourân que la famille ici décrite va couper le bois dont elle a besoin, et pourtant ce district est habité par des Druses dont la nationalité est différente de celle des Haourânié musulmans, et qui sont souvent en querelle avec eux.
La famille du cheikh Mohammed jouit des subventions qui viennent d'être indiquées au même titre que les autres paysans de Bousrah. Quant à l'exemption de l'impôt du Miri consentie par les habitants de la commune au profit de cette famille, elle doit être considérée comme la rétribution de services rendus plutôt que comme une subvention.
Les subventions se rattachant aux allocations d'objets et de service ont une assez grande importance pour les paysans du Haourân; elles consistent en cadeaux échangés entre les familles dans certaines circonstances et en particulier lors de l'abatage d'une tête de gros bétail (§ 9). On trouve aussi dans ce pays l'analogue des échanges de travail observés dans presque toutes les régions de l'Occident [les Ouv. europ. II § 11]. Ces échanges se font dans les occasions où les bras réunis d'une seule communauté ne pourraient suffire pour achever rapidement un travail pressé. Ceux qui prêtent leur concours ne reçoivent aucune rétribution de la famille qui l'a réclamé ; ils sont seulement invités à partager avec elle un repas abondant.
Pour les familles placées dans la position où se trouve celle du cheikh Mohammed, ces échanges d'objets et de services entraînent une perte parce qu'elles donnent plus qu'elles ne reçoivent ; pour celles qui sont dans une situation moyenne, les recettes compensent à peu près les dépenses ; enfin pour celles qui sont moins aisées, ces échanges constituent une source de recettes. Les pauvres profitent surtout des distributions de viandes auxquelles ils participent plus largement que les riches.
§ 8. — Travaux et industries.
La part du travail que chacun des membres de la communauté doit accomplir est parfaitement définie. Quand plusieurs personnes doivent concourir au même but, l'une d'elles, la plus âgée d'ordinaire, est toujours désignée pour diriger les autres. Il arrive ainsi que les discussions sont prévenues et que la régularité du travail est assurée, chacun étant responsable de la tâche qui lui est confiée. Ce principe d'ordre existe également chez les autres [381] communautés qu'on a observées dans d'autres parties de l'Orient et dans l'Occident [les Ouv. europ. I et II, et No 2 (§ 3 et 8)].
Travaux du cheikh Moammed, chef de famille. — Il tient en main la direction générale des travaux et des intérêts de la communauté, et représente l'autorité morale qui maintient ses membres réunis. C'est lui qui reçoit les étrangers de distinction. Comme cheikh du village, il est chargé des rapports avec l'autorité centrale résidant à Damas, et avec les cheikhs des Arabes nomades à qui la commune paie une redevance ; il répartit l'impôt et le perçoit ; il administre la justice non-seulement pour les habitants du village, mais aussi pour les étrangers qui viennent se soumettre à son jugement ou qui souvent l'appellent à d'assez longues distances. En raison de ces fonctions multipliées, il ne concourt pas activement aux travaux agricoles de la famille, comme le font d'ordinaire les chefs de communauté.
Pour indemniser le cheikh des dépenses que ces fonctions entraînent, les autres habitants lui font remise de la part de Miri qu'il devrait payer pour les neuf feddhans qu'il cultive. Le cheikh est également exempté de payer sa part des redevances imposées par les Arabes. Il y a donc là une exemption d'impôts analogue à celle dont jouissaient jadis les chefs féodaux dans l'Occident, et dont les terres nobles ont profité en France jusqu'en 1789. Mais, dans cette circonstance, loin de paraître injuste, cette exemption est consentie de plein gré par ceux qui en supportent les conséquences. On conçoit du reste que, dans l'avenir, un tel privilège pût devenir abusif, s'il était maintenu comme droit par des cheikhs n'ayant plus à supporter les charges qu'il est destiné à compenser.
Travaux du frère cadet Mahmoud. — Il seconde le cheikh dans la direction de la maison et le remplace quand il est absent. C'est lui qui d'ordinaire reçoit les étrangers et veille à ce qu'ils soient bien traités. Il a l'argent à sa disposition et achète sur place ou à Damas les provisions dont on a besoin ; il vend o échange les grains, les animaux et les autres produits de l'exploitation agricole ; il dirige enfin l'ensemble de cette exploitation en y prenant part d'une manière directe.
Travaux du second frère Ali. — Il est spécialement chargé de l'exploitation et de l'entretien des chameaux, chaque jour il prépare leur nourriture et la leur distribue. Souvent il exécute des voyages pour transporter les grains à Damas, chercher le bois à la montagne ou ramener les récoltes au village. C'est lui qui prend soin des chameaux des hôtes de la famille.
[382] Travaux du troisième frère Farès. — Il est spécialement chargé des soins à donner aux chevaux de la maison et à ceux des hôtes ; il aide son frère Ali dans l'exécution des transports, surtout au moment de la récolte.
Travaux des huit domestiques, dits Haratin. — Sous la direction de Soliman ben Kassem, ils exécutent tous les travaux de culture proprement dits : le labourage, l'irrigation des terres, les semailles, la récolte et le battage des grains. Ce sont eux qui soignent les bœufs et qui construisent les charrues avec les chênes verts du Djebel-Haourân.
Travaux des deux domestiques, dits Natours. — Ils sont spécialement attachés au Medhafé pour le service des étrangers. Ce sont eux qui nettoient le Medhafé, y font le feu en hiver et préparent le café pour les arrivants. Ils servent aussi de courriers et vont à cheval ou à pied faire les commissions soit pour la famille du cheikh, soit pour d'autres familles du village. En été, ils sont employés à surveiller les récoltes et jouent à peu près le rôle des gardes champêtres dans nos communes rurales.
Travaux des femmes. — Les femmes exécutent tous les travaux ayant rapport au ménage proprement dit. Ces travaux comprennent la préparation des aliments, la cuisson du pain, l'élaboration du lait des vaches et des chèvres, le transport de l'eau qu'on va chercher dans des outres à une source distante de 500 mètres environ, les soins de propreté concernant les vêtements, la confection de quelques-uns de ces vêtements. Il y a dans les environs de Bousrah des moulins à eau qui exécutent la mouture des céréales dont la famille a besoin pour sa consommation, et c'est seulement dans des cas exceptionnels que les femmes sont obligées de manier les moulins à bras qui, du reste, sont d'un usage général dans la contrée. Les femmes restent étrangères aux travaux de culture.
Toutes les femmes de la communauté sont placées sous la direction de la première femme du cheikh, dite mère des enfants, dont l'autorité pour les choses du ménage paraît être respectée aussi bien des hommes que des femmes. Toutes ne travaillent pas simultanément aux soins du ménage ; mais celles qui y concourent le font successivement et dans un ordre constant, chacune pendant une journée. Elles sont au nombre de quatre, les trois femmes du cheikh et celle de son frère cadet, de sorte que le tour du service revient pour chacune tous les quatre jours. Pendant leurs trois journées de liberté, elles s'occupent à leur gré de quelques travaux spéciaux, tels que l'embellissement de leur chambre, le soin de leurs enfants, [383] l'entretien de leurs vêtements et de leurs parures. Quelquefois, dans l'après-midi de ces journées, elles se parent de leurs plus beaux habits, comme le font les jours de fête les femmes de l'Occident. Elles se livrent aussi, pendant ce temps, à quelques travaux d'un intérêt général pour la communauté. Tels sont : le tissage de nattes et de corbeilles en paille de blé, la confection d'un mélange de paille hachée et de fiente de chameau qu'on brûle en guise de bois, et enfin la fabrication d'ustensiles grossiers en terre qu'on fait sécher au soleil.
Les trois plus jeunes femmes de la communauté, celles des deux derniers frères du cheikh et de son fils, ne sont pas encore astreintes à un travail régulier : elles aident pourtant les autres à l'accomplissement de leur tâche et concourent en particulier au transport de l'eau ; mais on les considère encore jusqu'ici comme des enfants, et, suivant l'usage établi dans ces communautés, on les laisse passer dans une demi-oisiveté les premiers temps de leur mariage. C'est seulement après avoir complété leur éducation comme femmes de ménage, et d'ordinaire après avoir eu un premier enfant, qu'elles commencent à prendre une part directe et sérieuse aux travaux de la famille.
Aïssé, dite mère de Farès, veuve du précédent chef de famille, est dispensée de tout travail actif : elle se tient ordinairement dans sa chambre et file un peu de laine ; elle s'occupe aussi des jeunes enfants et surtout de ceux de ses propres filles mariées dans le village et qu'elle va souvent visiter.
Travaux de l'esclave Baérié. — Elle exécute exactement les mêmes travaux que ceux des autres femmes de la communauté qu'elle aide dans tout ce qui concerne le ménage. Ils en diffèrent seulement en ce qu'ils sont continus, chaque jour ramenant pour elle la même tâche à accomplir.
Travaux des enfants. — Ils sont laissés dans un état de complète liberté et n'exécutent que quelques travaux insignifiants, le plus souvent à titre de distraction ; les garçons s'occupent volontiers du soin des animaux et apprennent ainsi peu à peu à les diriger.
Industries entreprises par la famille. — L'énumération des industries se confond avec celle des travaux. Toutes sont entreprises par la famille à son propre compte et se rattachent à son exploitation agricole.
Les petites fabrications exécutées par les femmes rentrent toutes dans les occupations du ménage ; il n'y a donc pas lieu de les considérer comme industries entreprises par la famille. Les matières [384] mises en œuvre sont presque sans valeur, et les produits, destinés seulement à la consommation du ménage, ne peuvent être estimés au-dessus de la valeur du travail qu'ils ont coûté (fabrication du guellé, des kaouara, des nattes en paille, des couffes). Il en est de même de la chasse pour les hommes qui s'y livrent rarement, par occasion ou à titre de distraction.
III. Mode d'existence de la famille
§ 9. — Aliments et repas.
Si on en excepte les années de mauvaise récolte,le régime alimentaire de la famille, comme celui de tous les Haourânié, est en général très-abondant ; la plupart des matières consommées se récoltant dans le pays et s'y vendant à des prix peu élevés, les paysans ne sont pas stimulés à l'économie sous ce rapport.
Ce régime a pour bases essentielles les céréales, le beurre, l'huile d'olive, le laitage, le café, le sel, quelques fruits secs de la famille des légumineuses et quelques légumes verts venant de Damas ou bien des bords du Chercat el Mandhour (§ 1er). Les viandes de mouton, de chèvre, de bœuf et de chameau y figurent pour des quantités assez considérables quoiqu'elles n'entrent pas dans l'alimentation habituelle. On ne mage pas ces viandes peu à peu et d'une manière régulière, mais par quantités considérables à certains jours de fête, lors de la réception d'un hôte distingué et quand la nécessité force d'abattre un bœuf ou un chameau (D. 1re Son).
Les céréales se préparent sous quatre formes principales : 1o Le pain (khoubz) fait sans levain avec de la farine dont le son n'a pas été séparé ; la farine employée est ordinairement celle de froment pur, mais on se sert aussi d'un mélange de farine de mais blanc (doura) et de froment. Le pain fait en farine de doura pur se mange seulement au printemps avec le beurre frais quand ce dernier est abondant. Ces trois espèces de pain se cuisent de la même manière en fragments peu épais qu'on applique sur des charbons ou sur des plaques de fer chauffées. Le pain se prépare en général pour chaque repas, et se mange presque toujours chaud ; il est humide, dense et d'une digestion difficile quand on n'y est pas habitué ;
2o Le bourgoul, froment grossièrement broyé, bouilli avec du levain et séché ensuite au soleil : ainsi préparé il se garde pendant plus d'un an ; pour le manger on le fait cuire dans l'eau et on l'assaisonne avec du beurre (9) ;
[385] 3o Le frikeh, froment coupé avant la maturité, et dont on grille les épis pour en faire tomber le grain. Ainsi torréfié, ce grain est écrasé ensuite avec le moulin à bras d'une manière plus grossière encore que le bourgoul : on le conserve en vases clos, et on le prépare de la même manière que ce dernier (10) ;
4o Le pilau ou rouz, riz cuit à l'eau, mais sans être crevé, et assaisonné au beurre.
Les graisses animales ne sont jamais usitées dans la famille, et celle du porc en particulier y est, comme tout ce qui a rapport à cet animal, l'objet d'une vive répulsion fondée sur des prescriptions religieuses ; on les remplace par le beurre et l'huile d'olive.
Le laitage est consommé en proportion considérable, surtout au printemps ; on le mange sous deux formes principales : 1o le leben, lait aigri et caillé qu'on prépare en le faisant chauffer légèrement et en y ajoutant comme ferment un peu de lait aigre ancien ; 2o le keshk, espèce de fromage qu'on prépare avec du leben salé et séché en vase clos. Le leben se mange seul, ou bien on le mêle avec le bourgoul, le frikeh et le pilau : il compose avec le bourgoul les deux mets préférés des Arabes et des paysans.
Les aliments se servent dans des grands plats en bois ou en métal simplement posés sur une natte. Les convives s'accroupissent autour du plat dans lequel chacun puise avec la main ; il y a pourtant dans chaque maison des cuillers en bois, mais on en fait usage seulement pour manger le leben et quelques autres substances liquides. La position des convives étant asse gênante, ils mangent vite en général et presque toujours sans causer ; après le repas chacun se lave les mains et la bouche.
Le chef de famille mange ordinairement seul [No 12, § 9] ou bien en compagnie d'hôtes distingués dans le Medhafé : pour qu'un autre membre de la famille et son fils même viennent prendre place à coté de lui, il faut qu'il les invite à le faire. Les autres membres se succèdent ensuite autour du même plat, par groupes aussi nombreux que le permettent les dimensions de ce plat, mais en observant un ordre où la place de chacun est indiquée par son rang et son âge. Les femmes, occupées de la préparation des aliments, mangent à part, et seulement après que les hommes ont satisfait leur appétit.
La famille fait chaque jour trois repas : 1o à sept heures en été, à huit heures en hiver, le déjeuner, fètour ; en hiver : pain de froment chaud avec du dibs (jus de raisin mûr cuit et épaissi formant une espèce de mélasse), du khalawe (espèce de gâteau composé de dibs, d'huile de sésame, de noix, etc.), du keshk et quelquefois des fruits secs ; en été, le plus souvent du pain de mais pur ou mêlé [386] de froment avec du leben, du beurre frais et quelquefois des fruits frais ;
2o À une heure dîner, ghadda : pain de froment chaud avec des herbes cuites, du lait chaud, des œufs frits ;
3o À six heures en hiver, à huit heures en été, le souper, acha : c'est le repas principal, on y mange du bourgoul, du frikeh, du riz, des lentilles et des pois.
Dans l'intervalle des repas, les paysans ont l'habitude de manger des grains de blé, de riz et surtout des pois (hommous) qu'ils portent presque toujours sur eux en certaine quantité.
L'ordinaire de la famille est toujours le même : on mange de la viande principalement à l'époque des deux grandes fêtes (§ 11), et quand on en offre à des hôtes de distinction. Dans ce cas, la quantité de viande offerte est toujours en proportion du rang de l'étranger ; les animaux sont d'ordinaire rôtis et servis tout entiers, mais on ne va jamais jusqu'à tuer un bœuf. Ces animaux, comme les chameaux, sont mis à mort seulement quand ils sont trop vieux pour travailler ; leur chair est alors peu estimée et se distribue gratuitement à toutes les personnes du village qui se présentent pour en demander.
L'eau est la seule boisson dont on fasse usage ; l'abstention du vin étant observée comme loi religieuse, et les occasions d'enfreindre cette loi ne se présentant jamais dans le pays. Le jeûne du Rhamadan ou Râmdan est observé par la plupart des membres de la famille qui, pendant toute sa durée, s'abstiennent de manger depuis le matin jusqu'au soir. Les animaux abattus pour l'usage de la famille sont mis à mort suivant les rites prescrits par la religion musulmane.
Le café est d'un usage général, et la politesse ordonne de l'offrir toujours à un étranger aussitôt après son arrivée ; mais les personnes de la famille n'en font usage pour elle-mêmes qu'à titre de régal.
§ 10. — Habitation, mobilier et vêtements.
L'habitation située à peu près au centre du village actuel, dans la partie orientale des ruines, est presque entièrement composée de matériaux provenant de ces ruines : en plusieurs endroits même des fragments de murs anciens faits de pierres assemblées sans mortier soutiennent les chétives constructions de pisé qui leur sont adossées. Les toitures sont disposées en terrasses plates ; elles se composent de solives en bois, excepté dans la salle dite Medhafé où on a conservé les anciennes solives en lave d'une portée de 2m 50 [387] environ. Au-dessus de ce solivage est une couche de pisé d'une épaisseur de 0m20 à 0m30. L'action du soleil dessèche cette terre en été, et au moment où approche la saison des pluies il faut chaque année adapter sur la terrasse une nouvelle couche d'un mortier de terre mêlée de paille hachée ; ce sont les femmes qui sont chargées de ce travail, et pour tasser le mortier ou en régulariser la surface elles se servent de rouleaux en pierre ou de fragments de colonnes qu'elles promènent sur les terrasses. En hiver cette toiture laisse filtrer l'eau, et, pour éviter l'humidité qui en résulte, on est forcé d'enlever la neige dès qu'elle est tombée.
Toutes les pierres employées dans la construction sont des basaltes ou des laves : dans les anciennes maisons même les portes étaient faites d'un seul morceau de lave ; quelques-unes de ces portes sont encore en usage aujourd'hui, mais dans la maison ici décrite toutes sont en bois de sapin et ont été apportées de Damas. Elles constituent, avec les solives en bois, les seuls matériaux de construction qui aient une valeur réalisable.
L'habitation se compose de trois parties distinctes par l'usage auquel chacune est affectée :
1o Le Medhafé ou partie consacrée aux étrangers hôtes de la famille : il se compose essentiellement d'une cour et d'une vaste salle ayant 80 mètres carrés environ ; au centre de cette salle se trouve un foyer entouré des ustensiles destinés à la préparation du café. Le mobilier consiste en nattes sur lesquelles les hôtes s'étendent pour dormir ; chacun d'ordinaire apporte avec soi un tapis et un manteau dont il s'enveloppe, mais quand ces objets manquent la famille fournit pour les remplacer des couvertures empruntées au Harîm. Pendant la bonne saison les hôtes sont reçus dans le Medhafé d'été, simple hangar couvert de branchages et qui occupe le fond d'une partie de la cour, le café se prépare alors dans un petit réduit voisin du hangar et qui est spécialement destiné à cet usage. La porte, qui du dehors donne entrée dans la cour du Medhafé, est commune à toute la maison : elle est suivie d'une galerie couverte de quatre mètres de long munie de chaque côté de pierres servant de bancs et sur lesquelles on s'assied pour causer suivant la coutume de tout l'Orient.
2o Beit el harîm2 (la maison des femmes) : c'est la partie réservée aux membres de la famille et aux femmes étrangères qui viennent [388] la visiter ; du reste l'accès n'en est nullement interdit aux domestiques de la maison et aux habitants du village ou des villages voisins, mais en général les hommes étrangers n'y pénètrent pas sans avoir une raison spéciale pour le faire.
On entre dans le harîm par une porte qui s'ouvre dans la cour du Medhafé ; il est situé à trois mètres en contre-bas de ce dernier, et la cour qui en occupe le centre paraît être au niveau de l'ancien pavé romain, car elle offre un dallage en bon état de conservation ; au pied des murs se trouvent des débris de colonne et des chapiteaux qui servent de sièges. Sur les côtés de la cour règnent sept chambres appartenant aux deux premières femmes du cheikh, à celles de ses trois frères, à l'esclave Bahérié et à la veuve du précédent chef de famille ; la Bédouine, troisième femme du cheikh, et la femme de son fils, ont toutes deux des chambres construites en bois et en pisé sur les terrasses. Un des côtés de la cour et la moitié d'un autre sont occupés par des magasins où se conservent les provisions de ménage, et par des hangars sous lesquels on fait la cuisine en été. En hiver, on la fait d'ordinaire dans la chambre de la première femme du cheikh : cette chambre, où la plupart des membres de la famille se tiennent habituellement, sert aussi à la réception des femmes étrangères, hôtes de la maison.
Les autres chambres ont à peu près toutes les mêmes dimensions : 3m,50 de profondeur, 2m,50 de largeur, 2m de hauteur ; toutes sont disposées de la même manière près de la porte se trouve un petit espace circulaire où on laisse ses chaussures en entrant pour ne pas salir le sol de la chambre sur lequel on étend les matelas et les couvertures pour la nuit, et quelquefois des tapis pendant le jour. L'intérieur de la chambre est partout garni d'un mortier jaunâtre, fait avec de la terre délayée dans l'eau et de la paille hâchée. Les femmes témoignent de leur goût et de leur habileté par l'emploi qu'elles font de ce mortier pour construire des niches, des supports ou même de petites galeries destinées à embellir leur demeure et à servir de dressoirs ; quelquefois elles peignent ces ornements en rouge, en bleu et en blanc avec des couleurs délayées dans l'eau. Toutes ces chambres sont tenues avec une véritable propreté.
3o Bâtiments servant à l'exploitation agricole : ils comprennent deux cours dont l'une très-grande, deux grands magasins où l'on conserve la paille après le battage, cinq écuries ou étables pour les bœufs, les chevaux, les chameaux, les vaches et les ânes. Pendant la bonne saison, tous ces animaux couchent en plein air dans les cours ; deux des chevaux sont toujours sellés et restent pendant le jour dans la cour du Medhafé. Les troupeaux de chèvres et de brebis, quand on les ramène au village, passent la nuit dehors, dans [389] les cours ou sur les terrasses ; quand les Arabes sont campés dans le voisinage, on enferme ces animaux pendant la nuit dans l'enceinte du château fort (§1er).
La valeur du mobilier et des vêtements peut être établie ainsi qu'il suit :
Meubles. : Conformément aux usages orientaux, les meubles proprement dits n'existent pour ainsi dire pas dans la communauté ; on y trouve cependant tout le mobilier qui constitue le confort pour une famille vivant dans ce milieu.............. 805f00
1o Lits. — Les bois de lit sont inconnus. Il y a 11 lits dans la communauté et chacun d'eux se compose : 1o d'une natte en jonc, venant de la partie du Haourân qui avoisine le Jourdain, 3f50; — 2o d'un matelas en laine, peu épais mais assez large, dont l'enveloppe extérieure est en tissu de coton, 10f00; — 3o de deux couvertures en laine, fabriquées dans le pays par des ouvriers émigrants, et ornées par eux de dessins grossièrement imprimés, 8f00; — Total pour chaque lit, 21f50; — 4 petits berceaux en bois, achetés à Damas, pour les enfants du premier âge, 12f00.
Certaines chambres, entre autres celles du cheikh et de son fils nouvellement marié, contiennent des matelas supplémentaires et des tapis en tissus de poil de chèvre, achetés à des femmes arabes qui les fabriquent elles-mêmes : ces matelas au nombre de 8 et ces tapis au nombre de 5 ont ensemble une valeur de 105f00. — Il se trouve aussi dans ces chambres 8 grandes couvertures composées de deux toiles d'indienne entre lesquelles se trouve placée une couche de laine ou de coton (chacune est évaluée à 8f00), 64f00. — Total pour les tapis, les matelas et les couvertures supplémentaires, 169f00; — Total pour les 11 lits, les berceaux et les objets de literie tenus en réserve, 417f50.
2o Mobilier des chambres à coucher. — Chacune d'elles, excepté celle du jeune fils du cheikh qui en est encore dépourvue, contient un sondouk, coffre en bois blanc, peint en vert ou en rouge et orné de quelques plaques eu cuivre ; ces coffres fermant à clef, servent toujours à renfermer les objets précieux de chaque ménage (chacun d'eux a une valeur de 5f00), 35f00.
3o Mobilier de la chambre de Ouatha, dite chambre de fantaisie. — Outre le sondouk, cette chambre contient 2 planches attachées aux murs et formant rayons, sur ces planches sont placés avec ordre des vêtements et des boîtes ayant contenu des bonbons qui servent aujourd'hui à placer les papiers du cheikh, 4f00.
4o Mobilier de la chambre de Sarah, dite chambre de la mère des enfants. — 1 petit escabeau en bois recouvert d'une peau de chèvre et servant à la personne qui prépare le café, 0f50; — 1 grande natte en jonc, longue de 4 mètres, et large de 1 mètre 70, 8f00; — 2 autres nattes plus petites sur lesquelles on s'assoit comme sur la précédente, 9f00; — tapis composés chacun de 3 ou 4 peaux de mouton, servant selon les circonstances, de matelas, de couvertures ou de coussins pour mettre sur le dos des chameaux quand les femmes montent sur ces animaux, 24f00; — 2 planches formant rayons et servant à placer divers ustensiles, 2f00. — Total, 43f50.
5o Mobilier du Medhafé, ou chambre destinée à la réception des étrangers. — 7 grandes nattes en jonc (midrak), couvrant tout l'espace qui n'est pas occupé par le foyer (environ 70 mètres carrés), 14f00; — matelas recouvert d'une couverture en laine, et servant de divan ; il se trouve a la place d'honneur, à la droite du foyer, et est destiné à servir de siège aux étrangers de distinction ou au cheikh lui-même, 10f00; — petit tabouret recouvert avec une peau de mouton et placé devant le foyer pour servir de siège au natour pendant qu'il prépare le café, 1f00, — Total, 151f00.
6o Mobilier servant à la conservation des provisions de la famille. — 20 outres en peaux de chèvres, servant à placer les provisions de beurre, de (keshk), etc., 40f00; — Grands pots en terre mêlée de paille, servant à placer les provisions de bourgoul, de frikeh, de rouz, etc. (Ces vases sont faits par les femmes de la maison, et il en existe un [390] grand nombre dans la communauté ; plusieurs sont de grands réservoirs fixes dont les parois sont soutenues par des morceaux de bois, et qui peuvent contenir chacun jusqu'à 10 hectolitres de grains ; on les appelle kaouara et ils ont ici la même destination que les silos en Afrique, 80f00. — Total, 120f00.
7o Livres et fournitures de bureau. — 2 exemplaires imprimés du Koran, 14f00; — 1 encrier (daouat el hebbr) en cuivre, terminant un tube de même métal dans lequel on place les plumes et le papier (les encriers ont tous cette forme dans le pays, et se placent le plus souvent dans la ceinture), 12f00; — plumes en une espèce particulière de roseau (kallem), et papier de fabrication européenne, 3f00; — boîtes rondes en bois ayant contenu des bonbons de Damas et servant au cheikh en guise de carton pour placer ses papiers, 1f50. — Un cachet en argent gravé au chiffre du cheikh, 4f00. — Total, 34f00.
Ustensiles : peu nombreux mais suffisants pour les besoins de la communauté et pour le service des étrangers ; un certain nombre des vases servant, à la cuisine sont déjà en fer-blanc ou en fer battu, matières qui tendent à remplacer le cuivre étamé dont on se servait jadis à peu près exclusivement dans le pays.............. 247f20
1o Employés pour le chauffage ou dépendant du foyer. — 2 foyers portatifs (mankal) en cuivre étamé (ce sont des vases de forme conique peu profonds, et dont l'extrémité rétrécie se termine par un pied), 8f00; — 4 autres foyers en terre cuite venant des fabriques de Hasbeja, près des sources du Jourdain, 2f00; — plusieurs foyers de même forme en terre mêlée de fumier et séchée au soleil, fabriqués par les femmes de la maison, 2f00; — 2 petites pincettes en fer très-courtes (malkat) dépendant, l'une du foyer du Medhafé, et l'autre du foyer de la chambre de Sarah, 2f50; — Total, 14f50.
2o Pour le service de l'alimentation. — 2 plaques en fer forgé sur lesquelles on applique la pâte préparée pour faire le pain (ces plaques sont de forme convexe et ont un diamètre de 0m,40 environ), 8f00; — 6 petits fourneaux portatifs en terre cuite, sur lesquels on fait cuire certains aliments dans la maison ou au dehors, 1f50; — 2 grands bassins en fer battu, servant à la cuisson du bourgoul, du fricket et du rouz, 20f00; — 6 autres vases analogues, mais de dimensions plus petites, 24f00; — 1 broche en bois se tournant à la main et servant à rôtir des moutons entiers (cette broche, fabriquée dans la communauté, se compose de 2 morceaux de bois verticaux terminés en fourche et d'un morceau transversal), 1f00; — 1 grand plat en fer battu peu épais, sur lequel on peut servir un mouton entier au milieu d'une grande quantité de rouz, 12f00; — 4 plats en fer-blanc beaucoup plus petits, 4f00; — nombreux plats en bois grossièrement travaillés et de dimensions variées, servant d'ordinaire à la conservation des aliments, 24f00; — cuillers en bois dont on se sert pour manger le lait et le leben, 3f00; — nattes en paille de forme ronde, fabriquées par les femmes de la communauté et placées sous les plats au moment du repas, 6f00; — 3 petits moulins à bras en lave du Ledjah (district du Haourân), rarement employés pour faire la farine, servant seulement pour écraser le frikeh et quelquefois le bourgoul, 24f00, — 1 mortier (djeroun) en bois de térébinthe et un pilon (mindouk eldjeroun) du même bois pour écraser le café grillé, 7f00; — 1 poêle en fer (macmasé) à manche très-solide, à l'extrémité duquel est attaché, par une petite chaîne, une petite cuiller en fer servant à remuer le café pendant qu'il grille (heit el macmasé), 6f50; — 1 cafetière en cuivre étamé (brik el kahoué) servant à faire le café, 8f00; — 1 tasse (kassé) en fer étamé, servant à mettre l'eau dont on a besoin pour faire le café, 2f00; — 4 petites tasses sans queue (findjan) en porcelaine de fabrique européenne, 2f00; — boite longue et un peu large (beit el fellagin) servant à placer le café et les tasses quand on ne s'en sert pas (cette boite est en paille tressée recouverte d'une peau d'agneau sans poil), 1f00; — Total, 152f00.
3o Pour le transport et la conservation de l'eau. — 8 outres en peaux de chèvre avec lesquelles les femmes vont chercher de l'eau à la fontaine, 16f00; — trois grandes cruches (rhabieh) contenant chacune 50 litres environ (ces cruches, à parois très-épaisses, sont ornées à l'extérieur de dessins en arabesques; elles viennent des fabriques de [391] Rasheiat el Fukar près des sources du Jourdain. On les rencontre dans toutes les maisons du Haourân encastrées dans un mur ou une maçonnerie spéciale : les trois qui existent dans la maison du cheikh sont placées, la première dans le medhafé des étrangers, la seconde dans la cour du harîm, la troisième dans la chambre de Sarah), 12f75; — 3 vases en bois placés à côté des Rhabieh et servant pour boire pendant les repas et dans leur intervalle, 0f75. — Total, 29f50.
4o Pour l'éclairage. — Deux pieds de lampe (manara) en bois, hauts de 0m,60 et grossièrement travaillés, 2f50; — petits réceptacles en terre cuite (cirage) destinés à contenir l'huile et la mèche (chacun coûte 0f06, et il y en a environ 20 dans la communauté), 1f20. — Total, 3f70. .
5o Pour les ablutions et les soins de propreté. — 1 aiguière en cuivre de forme très-élégante servant a verser l'eau sur les mains et sur d'autres parties du corps, 10f00; — 1 vase en cuivre assez profond avec un double fond séparé du premier par un treillage qui laisse passer l'eau (ce vase sert de cuvette et c'est au-dessus de lui qu'on se place pour se laver les mains), 8f00. — Total, 18f00.
6o Employés pour les récréations. — Un jeu de mangalé (§ 11) composé d'une planche en noyer longue de 0m, 60, large de 0m,25 creusée de 12 trous entre lesquels on répartit les petites pierres employées en guise de dés (la planche est garnie de quelques incrustations de nacre), 7f50; — 1 narghileh, pipe dans laquelle la fumée du tabac passe par l'eau avant d'arriver à la bouche (le fourneau où brûle le tabac et le réceptacle qui contient l'eau sont en cuivre), 12f00. — Total, 29f50.
Linge de ménage : représenté seulement dans la communauté par quelques serviettes et torchons ; les nappes et les draps de lits sont inconnus dans le pays.............. 16f00
10 serviettes en coton employées par le cheikh pour s'essuyer après les ablutions et offertes pour le même objet aux étrangers de distinction, 12f50; — divers torchons en coton, 3f50. — (Les toiles d'indienne qui entourent les couvertures équivalent à des draps ; on les découd pour les laver quand elles sont sales). — Total, 16f00.
Vêtements : leurs formes sont à peu près exactement celles des Bédouins ; les tissus sont les mêmes aussi que ceux dont on se sert dans le désert ; le cheikh seul et les femmes ont quelques vêtements qui se rapprochent de ceux des musulmans des villes. Les acquisitions de vêtements neufs se font d'ordinaire pendant le Rhamadan pour l'époque de la grande fête (Kourbane-Baïram).............. 5,878f25
Vêtements des hommes (5 adultes) selon le détail ci-dessous (694f25).
1o Vêtements d'un homme (dits de fantaisie pour les voyages et les jours de fête). 1 chemise (camis) très-longue ayant la forme d'un sac et à manches très-larges, en étoffe de coton de couleur blanche, 8f00; — 1 kombaz, grande robe ouverte par devant et à larges manches (en coton avec raies de diverses couleurs), 12f00; — 1 ceinture (zonar) en cuir servant a serrer le kombaz an niveau de la taille, 4f00; — 1 large pantalon (cheroual) en calicot blanc ample et bouffant qui se met seulement pour aller en ville (ce pantalon se serre à la taille au moyen d'une coulisse), 4f50; — 1 grand kefieh des fabriques de Mossoul (c'est un large mouchoir en coton et soie de couleur jaune rayée de vert, bleu, etc ; il est carré, mais on le ploie en triangle pour l'appliquer sur la tête), 12f20; — 1 akal (double cercle en poil de chameau qu'on applique autour de la tête pour maintenir le kefieh), 0f50; — 1 paire de bottes (djasmeh) de couleur rouge (la semelle en poil de chameau est garnie sous le talon d'un fer dont la forme est celle d'un fer à cheval), 12f50; — 1 manteau (abaja) en laine commune de couleur blanche rayée de noir, 17f00; — Total, 70f70, soit pour les 5 adultes, 353f50.
[392] 2o Vêtements d'un homme (pour le travail). — 1 chemise en calicot blanc ou bleu (elle descend jusqu'à mi-jambe et est munie de longues manches), 6f00; — 1 ceinture en cuir large de 6 centimètres environ et s'appliquant un peu au-dessous de la taille de manière à soutenir le ventre, 3f00; — 1 petit kefieh, 6f25; — 1 akal, 0f50; — 1 paire de souliers à pointe relevée (tassoumi) dont la semelle est en cuir de chameau (d'ordinaire on va pieds nus et les souliers ne servent qu'exceptionnellement), 4f00; — peaux de mouton employés comme manteau en hiver, 3f00; — Total, 22f75, soit pour les adultes, 113f75.
3o Vêtements spéciaux au chef de la communauté en sa qualité de cheikh du village. — 1 veste (anteri) en drap bleu très-léger ornée de quelques passementeries, 30f00; — 1 large pantalon (cheroual) en drap vert léger, 26f00; — 2 autres cheroual en calicot blanc se mettant seul ou bien sous le précédent, 16f00: — 1 manteau (abaja) en tissu de laine assez fin (il est de couleur noire et orné aux épaules et au collet de broderies en argent), 42f50; — 1 kombaz en tissu de soie et coton fabriqué à Damas (étoffe dont la couleur et le dessin sont traditionnels dans le pays), 37f50; — 1 manteau (abaja) en drap rouge qui sert au cheikh Mohammed d'insigne pour sa dignité (ce manteau est doublé en hiver avec une peau de mouton), 75f00. — Total, 227f00.
Presque tous ces vêtements sont des cadeaux faits au cheikh par des personnes avec qui il est en rapport d'amitié ou d'affaires et à qui il offre lui-même des cadeaux analogues.
4o Vieux vêtements. — Ils sont peu nombreux; l'habitude étant de porter chaque partie du vêtement jusqu'à usure complète. On suppose que leur valeur balance la diminution à faire sur les prix précédents, qui sont ceux d'acquisition.
Vêtements des femmes (9 adultes). — Selon le détail ci-dessous (5,040f00).
1o Vêtements d'une femme dits de fantaisie, servant seulement quand la femme se pare dans l'intérieur sur la demande de son mari ; ces vêtements sont donnés à la femme au moment des fêtes du mariage, et leur richesse varie beaucoup selon la position du mari; en général, ils se conservent jusqu'à usure complète, mais ne sont pas renouvelés. Ceux dont l'énumération suit appartiennent à la jeune femme de Hassem, fils aîné du cheikh, dont le mariage est tout récent.
1 longue blouse (top) servant de chemise, en tissu de coton et soie, 50f00; — 1 veste (alagia) en soie le plus souvent rose ou bleue ornée de broderies, 60f00; — 1 jüppé, longue robe ouverte en avant, faite d'un tissu de laine rouge imitant le drap, 75f00; — 1 ceinture (zonar) en tissu de soie très-fin mêlé de fils d'argent et d'or, 125f00; — 1 chambar, mouchoir en soie avec des glands en même matière, servant de coiffure et venant s'attacher sous le menton, 40f00; — 1 paire de babouches (légères chaussures ornées de broderies argentées ou dorées), 75f 50; — 1 bougieh, espèce de petit turban en soie et or orné de glands en même matière, 70f00; — Total, 427f50.
Bijoux : 1 taraki, ornement composé d'une série de vieilles pièces de monnaie en or reliées entre elles par un cordon et s'appliquant autour de la figure, 250f00; — 1 maknaga, collier de pièces de monnaie en argent, 70f00; — 3 paires de bracelets pour les bras (assaouer), toutes les trois en argent, mais de valeur inégale, 162f50; — 2 paires de bracelets pour les jambes (kolhal) en argent, 125f00; — clou en or (groumfaleh) enfoncé dans la narine droite et représentant un ornement analogue aux boucles d'oreille, 3f50; — Total, 611f00.
Chacune des huit autres femmes de la communauté a possédé des vêtements de fantaisie et des bijoux analogues; la mère de Farès, déjà vieille, et l'esclave Bahérié n'en ont chacune que pour le quart de la valeur qui vient d'être indiquée, soit pour une valeur totale de 519f25; pour chacune des six femmes qui restent encore, les vêtements de fantaisie et les bijoux peuvent être évalués en moyenne à la moitié de cette valeur, soit à un total de 3,115f50.
2o Vêtements d'une femme (pour le travail). — 1 grande blouse (top) en cotonnade bleue descendant jusqu'à terre (en été, les femmes ne portent d'ordinaire sur le corps de cet unique vêtement), 7f50; — 1 ceinture (zonar) formée d'un morceau de cotonnade dont la couleur est analogue à celle du top, 2f00; — 1 kaber, veste longue faite [393] aussi en cotonnade bleue, mais beaucoup plus épaisse que celle qui sert pour le pot, 10f50; — 1 chambar, pièce d'étoffe servant de coiffure, 3f75; — 1 jüppé, espèce de robe ouverte en avant en cotonnade bleue souvent doublée de rouge, 10f00; — 1 paire de bottes (djasmeh) de couleur jaune (la tige est en peau de chèvre et la semelle en peau de chameau), 7f00; — Total, 40f75, soit pour les 9 femmes, 366f75.
3o Vieux vêtements (même remarque que pour les vêtements d'hommes).
Vêtements des enfants. (6 garçons et 2 filles), 144f00.
Ces vêtements ont les mêmes formes que ceux des adultes et sont faits avec les mêmes étoffes ; ils sont très-mal soignés en général et confort souvent en lambeaux. Leur valeur pour chacun des 8 enfants, peut être évaluée à 18f00 en moyenne. — Valeur totale des vêtements des enfants, 180f00
Valeur totale du mobilier et des vêtements.............. 6,946f45
§ 11. — Récréations.
Malgré le peu d'importance attribué au culte public parmi les paysans haourânié, leurs principales distractions conservent le caractère religieux : elles ont lieu au retour des fêtes les plus importantes du calendrier musulman, et surtout à aïd-el kebir (la grande fête) appelée par les Turcs Kourbane-Baïram, et consacrée à l'anniversaire du sacrifice d'Abraham. Pendant sa durée, suivant un usage général dans l'islamisme, la famille ici décrite sacrifie des animaux et invite de nombreux hôtes à venir les manger avec elles. D'ordinaire, on tue, à cette occasion, deux moutons, trois chevreaux et plusieurs volatiles ; souvent aussi on profite de cette circonstance pour sacrifier un bœuf ou un chameau dont on ne peut plus faire usage pour le travail. Après la grande fête, la plus importante solennité est celle de l'ad-el-zrir (la petite fête) appelée par les Turcs Ramazân-Baïram, qu'on célèbre à la fin du Rhamadan, et à l'occasion de laquelle on fait des cadeaux aux domestiques (D). C'est d'ordinaire à l'époque de ces fêtes qu'on achète des vêtements pour les divers membres de la famille, habitude analogue à celles qu'on retrouve aussi dans beaucoup de contrées de l'Occident et en particulier de la France.
Comme fêtes ayant un caractère religieux, on doit signaler encore les réjouissances des nuits du Rhamadan, après le jeûne prolongé de la journée et celles qui accompagnent la circoncision des enfants. Ces dernières paraissent avoir pour but de distraire les enfants et de leur rendre moins pénibles les souffrances qui résultent nécessairement de cette opération. Enfin l'exercice de l'hospitalité étant pour les Musulmans un précepte religieux, on peut encore rattacher à cette catégorie de récréations celles qu'entraîne la présence d'un hôte dans une famille de paysans (§ 9) : toujours alors on ajoute [394] quelque chose à l'ordinaire de la maison, et on s'efforce de rendre agréable pour l'étranger le temps qu'il passe dans la famille.
La célébration des mariages est une occasion de fêtes prolongées dont les dépenses doivent toujours être proportionnées au rang de la famille et à la considération qu'elle veut obtenir dans le pays. Ces dépenses sont ordinairement très-fortes, et une des principales préoccupations d'un chef de famille est de réaliser une épargne suffisante pour lui permettre d'établir ses fils ; assez souvent le mariage est longtemps retardé par l'impossibilité où se trouve la famille d'atteindre ce but. À ce point de vue, le chef de celle qui est ici décrite manifesté son état de bien-être en mariant cette année même son fils, à peine âgé de 17 ans. Les dépenses faites à cette occasion se sont élevées à 4,500f00 environ, suivant le détail ci-après :

Toutes ces dépenses cependant n'ont pas été à la charge de la famille, l'usage étant que chacun des invités apporte un cadeau dont l'importance est proportionnée à son rang. Elle a reçu de cette manière assez de moutons, de chevreaux et d'autres animaux pour compenser les dépenses en nature.
Les enterrements entraînent, comme les mariages, des réunions qui, à certains titres, présentent le caractère des récréations.Après la cérémonie funèbre, tous ceux qui y ont assisté prennent un repas commun dans la maison mortuaire. En cette circonstance aussi, l'usage est que les hôtes les plus distingués apportent quelques présents en nature, et le plus souvent des animaux vivants. L'habitude de ces repas funéraires se retrouve aussi chez les paysans et les ouvriers français [No 7 (1)]. Mais ici l'usage du vin étant interdit, il n'arrive pas, comme en France, que des désordres s'introduisent dans ces repas, et les musulmans ne sortent pas à cette occasion de leur gravité ordinaire. À quelque point de vue d'ailleurs qu'on considère ces solennités, il est intéressant d'en constater l'existence dans des milieux aussi différents ; cela permettra sans doute de trouver un jour quelle pensée s'y rattache et quelle cause en a amené l'établissement.
Une solennité de ce genre a lieu chaque année à Bousrah à [395] l'occasion de la visite que vient faire un émir des Arabes, Anezé, à la tombe de l'un des fils d'Abbas-Pacha, ancien vice-roi d'Égypte. Ce jeune homme étant mort dans le désert, l'émir auquel son père l'avait confié lui a fait élever un riche tombeau dans la mosquée d'El-Mabrak (§ 1). Depuis, il vient une fois par année prier surs cette tombe et donne alors des réjouissances (avec immolation et distribution d'animaux) auxquelles participent les habitants de Bousrah.
Après ces fêtes religieuses et ces solennités qui se rattachent aux actes les plus importants de la vie, on doit citer parmi les récréations celles qui se rapportent à la vie de famille : tels sont les caresses données aux enfants, les cadeaux qu'on leur offre en certaines occasions et surtout au retour des voyages, l'aide que les parents leur prêtent dans leurs jeux ; les causeries entre maris et femmes dans l'intérieur du harîm ; à tous ces points de vue, les habitudes des paysans du Haourân ne sont pas sensiblement différentes de celles qu'on observe chez les populations chrétiennes de l'Occident qui ont le mieux conservé l'esprit de famille. C'est encore ici qu'il convient de citer les récits de voyage et aventures vraies ou imaginaires que font dans les assemblées, près des portes ou autour du foyer du Medhafé, les personnes douées du talent de raconter. Ces récits, dont les Arabes sont très-avides et qui passionnent leur vive imagination, ne sont pas toujours faits seulement dans le but d'intéresser ; souvent ils se terminent par une conclusion énonçant un enseignement moral ; et, à vrai dire, c'est d'ordinaire dans cette forme allégorique qui rappelle les paraboles de l'Évangile, que les Arabes reçoivent les notions de morale qui servent de règle à leur conduite. Les enseignements ainsi recueillis de la bouche des personnes les plus autorisées par leur expérience constituent la seule instruction de la plupart des paysans haourânié (§ 3). L'histoire, la légende, la poésie surtout sont représentées dans ces récits amusants et instructifs ; il est même une classe de raconteurs de profession qui parcourent les villages du Haourân avec leur instrument monocorde (rabàb) dont ils s'accompagnent pour chanter leurs nouvelles apprises ou improvisées. Ils chantent pour les femme§ aussi bien que pour les hommes, et sont partout bien accueillis ; toujours ils reçoivent, outre la nourriture et le logement, des cadeaux en argent et en nature.
Les distractions qui ne se rattachent pas comme les précédentes à une pensée morale consistent en jeux et régals divers. Pendant les heures de loisir les paysans se livrent souvent entre eux au jeu de mangalé, analogue au trictrac (§ 9), mais ils n'enfreignent jamais la loi religieuse qui interdit aux musulmans de jouer de [396] l'argent ; à titre de régal ils recherchent surtout l'usage du café qu'ils prennent suivant l'habitude orientale à l'état de décoction sans sucre et mêlée au marc. L'usage du tabac est peu répandu parmi les paysans, et dans la famille ici décrite le cheikh Mohammed est le seul qui fume ; il se sert pour cela du narghileh, pipe spéciale dans laquelle on ne fume qu'une espèce de tabac, le tombak (en turc tombeki), apporté de la Perse par les caravanes et souvent mêlé d'une petite quantité d'opium.
Les femmes prennent en général leurs récréations entre elles hors de la compagnie des hommes, et c'est là un des traits de mœurs qui séparent le plus complètement l'Orient de l'Occident; ainsi il n'y a jamais de danses réunissant les deux sexes. Il arrive cependant que les femmes participent à certaines récréations propres aux hommes ; quand les cavaliers se livrent entre eux aux courses à cheval dites fantasia et au jeu du djerid (javelot), les femmes assistent de loin à ce spectacle ; elles applaudissent même aux vainqueurs par leur cri habituel de lu lu lu, qui, suivant l'intonation qu'on lui donne sert à la fois à exprimer la joie et la douleur. Les femmes voyagent aussi assez souvent en compagnie de leurs maris, montées sur des chameaux et quelquefois même sur des chevaux : dans la communauté ici décrite, il en est plusieurs qui sont allées jusqu'à Damas. Au retour d'un voyage ou d'une expédition, il est d'usage qu'un mari rapporte à sa femme un cadeau qui consiste le plus souvent en vêtements ou objets de parure.
Les récréations spéciales aux femmes consistent surtout dans les plaisirs qu'elles trouvent à vivre habituellement dans la société de leurs enfants, dans les causeries qu'elles font entre elles près des fontaines où elles vont chercher l'eau, et enfin dans le soin qu'elles prennent de leur parure et de leurs chambres particulières (§ 10) ; elles aiment à se parer de leurs plus beaux vêtements, mais elles ne le font d'ordinaire que vers la fin des journées qu'elles ne consacrent pas au ménage (§ 8), et quand elles y sont invitées par leurs maris. Le tatouage qu'elles portent à la figure et sur une grande partie de la surface du corps peut être considéré comme ne parure permanente. Ce tatouage est exécuté par des femmes appelées Tsinganes qui passent dans le pays à certaines époques de l'année et qui paraissent être de même race que les Bohémiennes de la France. Elles le font aux jeunes filles un peu avant l'âge nubile avec une pointe acérée trempée dans une liqueur bleue spéciale. Un tatouage complet pour une femme musulmane du Haourân se paie 5f environ. Une fois fait il ne s'altère pas et n'a plus besoin d'être renouvelé. Ce sont aussi les Bohémiennes ou quelquefois les mères qui font dans la narine droite des jeunes filles un trou où se [397] place un clou à tête brillante formant un ornement analogue à nos boucles d'oreilles. Ce clou appelé groumfaleh et une des paires de bracelets qu'elles se mettent au-dessus de la cheville du pied sont en général conservés par les femmes même pendant leurs travaux habituels. L'usage des parfums et des pommades est très-recherché par les femmes qui les achètent avec l'argent de leur pécule (§ 6) ou bien les reçoivent en cadeaux de leurs maris.
IV. Histoire de la famille
§ 12. — Phases principales de l'existence.
Dans leur plus jeune âge les enfants nourris par leurs mères jusqu'à deux ans au moins ne sont jamais séparés d'elles. Plus tard, après avoir été sevrés, ils continuent à rester dans le harîm sous les yeux de leurs mères et sous leur direction exclusive. Abandonnés à eux-mêmes, ils se livrent, avec les autres enfants de la communauté, aux jeux de leur âge dans un état de complète liberté : souvent même pendant la bonne saison ils sont complètement nus. Les filles se séparent naturellement des garçons à l'âge où il y aurait un danger moral à les laisser ensemble, et les mères, sous ce rapport, paraissent se montrer assez vigilantes. Les filles commencent à s'occuper des soins du ménage d'assez bonne heure, mais dans une mesure très-restreinte. Elle se marient d'ordinaire vers l'âge de 15 à 16 ans, avant d'avoir acquis les forces et les connaissances nécessaires pour diriger elles-mêmes un ménage : aussi continuent-elles pendant assez longtemps encore à vivre dans la communauté sans avoir une tâche importante à accomplir (§ 8).
Les garçons sont circoncis entre 3 et 6 ans. De bonne heure ils commencent à concourir aux travaux agricoles, mais on ne les astreint pas à un travail régulier avant que leurs forces soient bien développées ; leurs mères, qui les soignent et les dirigent exclusivement pendant toute leur jeunesse, conservent sur eux une influence garantie par l'affection, et qu'ils respectent même quand ils ont atteint l'âge mûr. L'âge du mariage est très-variable pour les garçons, et il dépend de la possibilité de réunir la somme nécessaire pour payer les dépenses de noces (§ 11).
Une des circonstances les plus graves qui puissent se produire dans une communauté de paysans est la séparation de l'un de ses membres.
[398] Les causes qui amènent un tel événement sont très-différentes, et la réflexion permet de s'en rendre compte très-facilement. Les cas en sont d'ailleurs assez communs, car chaque génération en fournit d'ordinaire un exemple au moins par communauté. Ainsi dans celle qui est ici décrite, un exemple de cette nature s'est produit il y a peu d'années : Daoud, frère aîné du cheikh Mohammed, chef actuel de la famille, avait été d'abord choisi pour succéder à leur père commun ; après la mort de ce dernier il dirigea en effet le village et la famille en qualité de cheikh pendant quelques années, mais comme il se montrait au-dessous de sa tâche, on le déposa et on choisit pour le remplacer son frère cadet Mohammed ; il se soumit à cette décision, mais humilié de vivre sous l'autorité d'un frère plus jeune que lui, il résolut de s'isoler et quitta en effet la communauté, emmenant avec lui ses deux femmes et leurs enfants. Des arrangements d'intérêt furent pris à l'amiable entre les frères. Daoud reçut pour sa part une paire de bœufs, un chameau, un âne, des chèvres, des brebis et son mobilier. Il se fixa d'ailleurs dans le village même de Bousrah où il habite encore aujourd'hui, vivant dans d'assez bons rapports avec le reste de la communauté. Son fils aîné a même épousé la fille aînée du cheikh Mohammed, et le fils de ce dernier a épousé aussi la fille de Daoud, suivant l'usage arabe qui donne aux cousins un droit à la main de leurs cousines.
C'est ainsi d'ordinaire que les choses se passent quand un des membres d'une communauté vient à quitter les autres. Le cas le plus ordinaire cependant est que les intérêts de celui qui s'isole soient sacrifiés dans une certaine mesure, presque jamais il n'obtient la part à laquelle il aurait droit en cas de partage égal des ressources de la famille, quelquefois même il ne reçoit rien ou fort peu de chose, et il paraît que dans ce cas l'opinion se montre toujours prête à soutenir l'avis le plus favorable au maintien de la communauté (A).
§ 13. — Mœurs et institutions assurant le bien-être physique et moral de la famille.
Les garanties générales de sécurité, qui dans les États de l'Occident sont acquises à chacun en vertu de l'ordre établi, manquent à peu près complètement dans le milieu où vit la famille ici décrite : mais les dangers naissant d'un tel état de choses sont loin d'être en réalité ceux qui menaceraient dans notre civilisation les individus et les propriétés, en supposant que les garanties dont il est question y fussent tout à coup supprimées. En l'absence d'institutions [399] émanant d'un pouvoir central et soutenues par son intervention, un ordre précaire, il est vrai, mais efficace dans une certaine mesure, s'est fondé pour y suppléer. Cet ordre ayant pour sanction l'organisation de la famille (§ 5) et l'autorité attribuée aux cheikhs des villages, se manifeste par l'existence d'une sorte de droit coutumier qui règle les rapports et les intérêts sociaux ; mais il est impuissant à préserver les paysans contre les vexations arbitraires appuyées par la force : c'est pourquoi ils sont obligés de subir les exigences des Arabes nomades et de supporter encore leurs dévastations (§ 1er). C'est pourquoi aussi les paysans sont exposés aux exactions des pachas, des kaïmakans, des représentants de l'autorité militaire et des cheikhs eux-mêmes, quand ils sont assez puissants pour abuser de leur pouvoir.
À ces causes de ruine et d'instabilité dans la situation des paysans haourânié, il faut encore ajouter les dangers de l'usure. L'interdiction du prêt à intérêt faite par la loi musulmane et l'impossibilité où sont les paysans de fournir des garanties hypothécaires, entraînent les prêteurs à élever des taux de l'intérêt pour compenser leurs risques. Les prêteurs auxquels ont recours les paysans haourânié sont des banquiers juifs et chrétiens de Damas qui ne prêtent guère à moins de 20 pour 100. Ainsi le cheikh Mohammed pour une somme de 2,500fqu'il a empruntée à un chrétien de Damas, paie un intérêt de 2 pour 100 par mois ou 24 p. 100 par an (D. 5m Son).
Mais à d'autres points de vue, il y a dans cet état social certaines compensations à toutes ces causes d'instabilité. L'appropriation du sol n'existant pas, chacun peut en exploiter une étendue proportionnée aux moyens de culture dont il dispose ; l'abondance des subventions fournit des ressources en quelque sorte illimitées. Enfin l'esprit de charité propre aux Musulmans et surtout l'organisation des familles en communauté assurent aux vieillards, aux enfants et aux individualités d'ordre inférieur un état de bien-être relatif.
La famille spécialement étudiée dans cette monographie, jouit de tous ces avantages, et en raison de sa position privilégiée, elle est à peu près complètement préservée des inconvénients qui ont été indiqués d'abord (§ 5). Sa situation est donc une des plus heureuses et des mieux garanties qui puissent se rencontrer actuellement dans un tel milieu.
§ 14. — Budget des recettes de l'année.
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§ 15. — Budget des dépenses de l'année.
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Comptes annexés aux budgets.
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Notes
Faits importants d'organisation sociale; particularités remarquables; appréciations générales; conclusions
(A) Sur le régime de communauté des paysans du Haourân.
[420] Les détails consignés dans les différentes parties de cette monographie ont déjà donné une idée de l'organisation des communautés de famille dans le Haourân ; il semble utile, néanmoins, de résumer ici les traits principaux qui caractérisent ce régime.
Les biens sont, pour la plupart, en commun ; les travaux et les produits sont en commun aussi, mais certains revenus appartiennent en propre aux divers membres de la communauté et constituent unu pécule que chacun emploie suivant ses goûts et à sa volonté. Si la famille a besoin d'un travail étranger, elle s'adjoint comme aides des domestiques qui ne sont pas rétribués au moyen d'un salaire, mais par une part dans les produits. À la tête de la communauté se trouve le chef de la maison (cheikh el beit), appelé aussi le grand, l'aîné (el kebir). Résumant la famille, ce chef a la direction de ses intérêts et la responsabilité de ses actes sociaux. Aucun règlement administratif, aucune intervention de l'autorité ne contribuent à maintenir l'association ; le concours de chacun de ses membres est purement volontaire ou, du moins, il a sa raison d'être dans la nature des choses et ne résulte pas de la pression d'une autorité extérieure.
Cet exposé montre que le régime de communauté est établi parmi les paysans arabes sur les mêmes bases essentielles que dans les différentes parties de l'Europe orientale, et même de la France où il a été observé [les Ouvr. europ. I, II, III, XXX (B)] ; mais ici cependant se présentent certaines particularités importantes à signaler. Le fait le plus saillant, c'est que la personnalité de chacun des membres paraît être moins effacée qu'en Russie et même en France dans les cas analogues, sans que, pourtant, le concours de tous soit moins complet. Parmi les raisons qui peuvent être données pour expliquer ce fait, la première se trouve dans les conditions mêmes de l'organisation sociale propre au pays : il arrive naturellement que la part d'initiative attribuée à chacun est plus grande dans un milieu où l'état de guerre est presque constant. Une des conséquences de ce fait, c'est que, dans le cas où le chef de famille vient à manquer, son remplacement est plus facile.
[421] La facilité avec laquelle les communautés arabes peuvent se dissoudre établit encore une différence entre elles et celles de l'Occident. Tout reposant ici sur le bon vouloir de chacun des membres, et une force morale étant le principal lien qui retienne les individus assemblés, on comprend que les cas de séparation ne soient pas très-rares ; mais cette instabilité de la communauté arabe a d'autres raisons d'être dans les perturbations violentes qui menacent sans cesse les existences dans un tel milieu : chaque jour il peut arriver qu'un membre d'une famille, compromis dans une lutte, doive s'isoler et chercher en d'autres lieux des moyens d'existence ; il arrive aussi que, à la suite d'une guerre ou d'un brusque changement des conditions économiques, une famille quittant le village où elle résidait d'abord, tous ses membres ne peuvent trouver asile dans le même lieu. Enfin l'absence de propriété foncière contribue à rendre moins forts les liens qui réunissent entre eux les membres de ces communautés : chacun, pouvant emporter avec soi sur un mulet ou un cheval la totalité de son avoir, doit souvent être tenté de s'isoler assuré qu'il est, d'ailleurs, de pouvoir trouver partout une maison où habiter et une terre à cultiver.
D'autres causes, agissant en sens contraire de celles qui viennent d'être signalées, déterminent le maintien du régime de communauté. On doit citer d'abord la tendance si remarquable que manifestent les individus de race arabe pour l'association sous toutes ses formes, et la facilité avec laquelle ils se soumettent à l'autorité d'un cheikh ; le choix de ce cheikh est le premier acte accompli par des personnes associées dans un but commun, ne fussent-elles que deux ensemble. L'organisation de la tribu nomade des Bédouins, la puissance des liens de famille parmi eux sont des manifestations de cette tendance qui, pour des nomades, a sa source dans la nature même des choses (les Ouvr. europ. pag. 18). En effet, dans la vie nomade, la communauté est,en quelque sorte forcée, parce que, en raison de l'instabilité qui caractérise ce mode d'existence, l'individu isolé ne peut compter sur aucune sécurité. Mais, sous ce rapport, la condition des paysans du Haourân est la même à beaucoup d'égards que celle des nomades. Parmi ces paysans, l'individu isolé ne peut lutter efficacement contre les ravages des Bédouins qui menacent sans cesse ses récoltes ; il est moins protégé encore contre la rapacité du cheikh qui trouve toujours le moyen de le rançonner ; enfin il est sans défense contre les intrigues des chefs de famille les plus puissants qui s'appliquent toujours à lui faire supporter la plus lourde part des charges communes. Il est donc naturel que, dans un tel milieu, chacun trouve avantage à s'appuyer sur une nombreuse parenté, [422] qui, groupée autour d'un chef commun, devient une force redoutée et une garantie de sécurité pour ses divers membres.
Indépendamment de cette cause économique générale, il est d'autres causes ayant leur raison d'être dans les mœurs du pays qui concourent aussi au maintien du régime de communauté. L'opinion publique est favorable à la conservation de ce régime et elle réprouve les tendances individuelles à l'isolement : dans les cas spéciaux où ces tendances prévalent, les intérêts de celui qui s'isole sont sacrifiés en ce sens qu'il n'obtient pas la part à laquelle il aurait droit en cas de partage égal des ressources communes (§ 12) ; il n'a d'ailleurs aucun recours contre la communauté et son chef, car en supposant qu'il pût obtenir d'un cadi une décision favorable, ce jugement n'aurait aucune chance d'être exécuté dans le Haourân. À défaut des sentiments de respect et d'obéissance, les jeunes gens sont retenus dans le sein de la communauté par les liens de l'intérêt. Le plus souvent, en effet, ils ne pourraient parvenir à se constituer à eux-mêmes la dot indispensable pour leur mariage ; la communauté, au contraire, leur fournit les moyens de se marier et d'ordinaire elle y parvient sans avoir à s'imposer pour cela de lourds sacrifices. Quelquefois les femmes sont prises parmi les cousines des jeunes gens dans le sein même de la famille et plus souvent encore les mariages se font par échange entre deux familles qui, d'un commun accord, réduisent alors au minimum les dots payées par les jeunes gens3.
Dans ses résultats, le régime de communauté n'offre ici rien de spécial. En assurant des moyens d'existence aux faibles, aux orphelins, aux vieillards et aux individualités d'ordre inférieur, il prévient le développement de la misère dans une certaine mesure du moins. Il assouplit les caractères, il dispose enfin à la sociabilité par la pratique des relations qui résultent de la vie en commun ; mais en débarrassant la plupart des individus des soucis de la responsabilité, il leur ôte ce qui est pour l'homme le principal mobile d'activité. Ce régime aussi, tout en laissant ici une assez large part à l'initiative individuelle, entrave l'essor des personnalités les plus éminentes qui se trouvent forcées de concourir au bien de la faille dans une situation où souvent elles ne peuvent manifester toute l'utilité dont elles seraient capables.
(B) Sur le principe des communautés agricoles, considérées dans le passé et dans le présent.
[423] Les considérations qui précèdent conduisent naturellement à exposer ici quelques idées générales sur le régime de communauté envisagé spécialement chez les pysans. Ces idées serviront de complément et de conclusion à la note précédente ; elles seront d'ailleurs présentées sous forme de simples observations et non comme une théorie générale du régime de communauté, car ce n'est qu'en s'appuyant sur des études plus nombreuses et plus complètes qu'on pourra un jour établir cette théorie.
1o Partout la communauté agricole se présente comme ayant pour base essentielle la famille dont elle n'est en quelque sorte que l'extension ; on cite, il est vrai, dans le passé des exemples de parcenniers se groupant en communautés sans être parents ; mais ce sont là des faits exceptionnels résultant sans doute de circonstances spéciales et qui n'altèrent pas la portée du fait général4. L'observation montre d'ailleurs que le maintien de ce régime est intimement lié à la conservation des sentiments moraux qui ont leur source dans l'influence combinée de la vie de famille et de la religion. Tels sont le dévouement de chacun à l'œuvre commune et le respect de l'autorité directrice.
2o On peut dire d'une manière générale que l'état d'indivision du sol favorise l'établissement du régime de communauté. Cela même est d'autant plus vrai que le plus souvent, dans la vie nomade, par exemple, cet état d'indivision est accompagné de circonstances qui exigent pour ainsi dire le groupement en communautés. Mais les faits prouvent que le régime de communauté est réellement indépendant de l'organisation générale de la propriété dans le milieu où il se produit, car son existence a été constatée aussi bien là où le sol est approprié que là où il est indivis. On pourrait même dire que ce régime en s'établissant amène dans certains cas la division et l'appropriation du sol. Ainsi, on voit dans le passé que le seigneur, en concédant à des paysans des fractions de son domaine, leur imposait souvent comme condition la vie en communauté. Des faits analogues se passent encore aujourd'hui en Russie où le seigneur emploie d'ordinaire son influence à maintenir ce régime. [les Ouvr. europ. III (D)]. Il n'est donc pas lié au communisme comme [424] on serait tenté de le croire, en constatant son existence chez les nomades et en Russie même dans des conditions où l'organisation de la propriété est essentiellement communiste.
3o Le régime de communauté est lié d'une manière intime à l'indivision de l'héritage immobilier. On comprend en effet qu'il ne peut persister longtemps dans un pays où la loi accorde à chacun le droit de réclamer sa part en nature dans le domaine paternel. Il comporte dans une certaine mesure la division de l'héritage mobilier quand ce dernier, au lieu de constituer toute la fortune comme dans la vie nomade, n'a plus qu'une importance peu considérable relativement à la terre.
4o La cause de l'établissement du régime de communauté paraît avoir été la même dans tous les temps et dans tous les lieux, à savoir : l'instabilité des situations entraînant comme conséquence l'impuissance de l'individu isolé. En France, au moyen âge, ce régime s'organise au moment où se dissout l'ordre féodal fondé sur le servage et où s'organise un ordre nouveau fondé sur la liberté du travail, mais quand cet ordre est encore si précaire que tout est trouble et incertitude dans la société ; souvent alors il est imposé par le seigneur, dans la pensée que les paysans en l'adoptant pourront plus facilement acquitter les charges qui leur incombent. Ce fait prouve qu'à cette époque l'impuissance de l'individu isolé ayant été constatée par l'expérience, l'intérêt du seigneur, aussi bien que celui du paysan, conseillait l'établissement des communautés pour lesquelles les dépenses sont moindres et les produits plus considérables.
Les détails donnés dans la note précédente ont montré que dans le milieu spécialement décrit par la présente monographie le régime de communauté a encore pour raison d'être les mauvaises conditions faites aux entreprises individuelles. Ici il doit être considéré comme une institution presque indispensable pour garantir l'existence des associés, le travail et ses résultats.
5o Quand la difficulté des temps ou des lieux n'impose plus comme une nécessité le régime de communauté, ce dernier tend naturellement à disparaître ou à se transformer. En effet, le goût de l'indépendance naturel à l'homme ; le désir qu'ont les personnalités éminentes de s'isoler pour travailler à leur propre élévation ; enfin, les suggestions de l'intérêt individuel sous ses différentes formes ne tardent pas à affaiblir les liens qui maintenaient les communautés. L'opinion publique cesse alors de soutenir leur existence, comme l'auteur aura l'occasion de le faire remarquer dans une autre monographie relative à la Syrie, et elles disparaissent peu à peu. Il peut arriver, comme cela a eu lieu pour les Jault [les Ouvr. europ., XXXI (B)], que quelques communautés, grâce à des conditions spécialement favorables, conservent leurs institutions intactes ; mais en général ces institutions se modifient graduellement et la communauté se rapproche de plus en plus de la famille proprement dite, comprenant seulement les époux, les vieux parents et les enfants de tout âge qui ne sont pas mariés.
Les communautés qui subsistent encore aujourd'hui dans la plus grande partie de l'Occident et, en particulier, en France, présentent ce dernier caractère (No 3) ; en les comparant aux anciennes communautés, on est porté à les considérer plutôt comme des familles nombreuses qui, grâce à des mœurs excellentes et à la transmission intégrale des propriétés, se succèdent pendant plusieurs générations sur la même terre et y vivent dans des conditions d'aisance relative.
6o Ces considérations et les faits sur lesquels elles s'appuient permettent de juger les théories qui présentent, comme un progrès pour notre société, l'établissement systématique du régime de communauté en dehors de la famille. Ce qui précède tend au contraire à faire considérer ce régime comme un état transitoire qui, entravant l'essor des individus, est accepté seulement sous l'influence de mœurs spéciales, à cause des garanties qu'il offre pour les gens et les propriétés, quand ces garanties ne peuvent être obtenues d'une autre manière.
Si, conformément aux théories dont il vient d'être question, l'opinion publique se montrait disposée à favoriser de telles tendances, il faudrait peut-être voir dans ce fait une preuve d'un défaut de notre organisation sociale qui, ne garantissant plus assez les existences isolées, forcerait les individus à grouper leurs forces pour se placer dans des conditions meilleures. À ce point de vue, il est utile de remarquer que ce retour au régime de communauté a été sérieusement proposé pour parer aux inconvénients du morcellement des terres. C'était reconnaître en quelque sorte que le morcellement tend à nous ramener à des conditions analogues à celles qui, dans le passé, ont entraîné l'établissement d'un tel régime.
En effet, l'affaiblissement des sentiments religieux et des liens de famille, d'un côté; de l'autre, nos lois de succession qui empêchent, chez les paysans encore plus que chez les grands propriétaires, la conservation des biens patrimoniaux, ont exagéré dans notre société les tendances individuelles à l'isolement. Il en est résulté un état de choses où la situation des personnes devient si précaire et si peu digne, que des esprits sérieux ont pu envisager comme un progrès le retour au régime des communautés agricoles ; quelques-uns même se sont rapprochés du communisme en [426] proposant de réunir toutes les parcelles d'une même commune pour les faire cultiver en commun, les fruits devant être répartis proportionnellement à l'apport de chacun en terre et en travail. De telles institutions, en détruisant la personnalité, aboutiraient à une véritable rétrogradation. En aucun cas, elles ne devraient être acceptées quand l'exemple offert par certaines de nos provinces, d'une part, de l'autre, par les Anglais et les Américains, du nord, montre l'intime connexion qui existe entre le développement de l'indépendance individuelle (self governement), et celui de la civilisation. En s'inspirant de ces exemples et des traditions propres à notre race, on ne tardera pas à reconnaître que le progrès ne consiste pas pour nous dans le retour à des institutions du passé ; on verra, au contraire, que pour l'obtenir, il faut concilier l'essor de l'indépendance personnelle avec le développement des sentiments religieux qui compriment l'égoïsme, avec le maintien de l'autorité paternelle et avec la conservation des biens de famille.
(C) Sur le régime de polygamie des paysans du Haourân.
C'est une opinion universellement accréditée dans l'Occident que la polygamie, autorisée chez les musulmans par la loi religieuse, a son unique raison d'être dans l'ardeur qui porte les Orientaux à rechercher les plaisirs des sens. Cette opinion, admise à la fois par les adversaires de la polygamie et par ceux qui ont cherché à la justifier, s'appuie sur des observations faites dans les grandes villes d'Orient ; là, en effet, les femmes, enfermées dans les harîms, semblent n'avoir d'autres destinations que de satisfaire aux plaisirs de ceux qui les possèdent ; mais, en supposant même que ces observations aient été faites en dehors de tout préjugé favorable ou défavorable, on ne saurait les admettre comme suffisantes pour juger d'une manière définitive la question de la polygamie chez les Orientaux. Si on se rappelle, en effet, que, chez toutes les nations, la population des campagnes est, en nombre, beaucoup plus importante que celle des villes ; si on remarque aussi que l'esprit des institutions se conserve mieux parmi cette population, on reconnaîtra sans doute l'opportunité qu'offre l'étude des faits relatifs à la polygamie telle qu'elle est pratiquée parmi les paysans du Haourân. L'exposé des raisons qui ont engagé le chef de la famille ici décrite à prendre successivement trois femmes, permettra tout d'abord de bien poser la question.
Le cheikh Mohammed s'est marié pour la première fois à dix-sept [427] ans avec une femme du même âge dont il a eu sept enfants (§ 2) ; il n'occupait pas alors la première place dans la communauté, son père d'abord, puis son frère aîné Daoud ayant été avant lui cheikhs du village et chefs de la famille (§ 12). Quand Mohammed fut substitué à son frère en cette double qualité, sa femme Sarah devint par cela même maîtresse de la maison : les jeunes frères de son mari n'étant pas encore mariés, elle resta seule avec l'esclave Bahérié pour l'accomplissement des travaux de ménage (§ 8) qu'elle partageait auparavant avec ses deux belles-sœurs, femmes de Daoud. Sa tâche se trouva ainsi tellement accrue qu'elle ne pouvait l'accomplir et donner en même temps à ses jeunes enfants les soins dont ils avaient besoin ; elle demanda alors à son mari de lui donner une compagne pour l'aider dans ses travaux, et ce fut pour répondre à cette invitation que Mohammed épousa Ouatha, sa seconde femme (§ 2). Il demeura ensuite pendant plusieurs années sans songer à un nouveau mariage, mais il y a deux ans, à la suite d'une querelle des habitants de Bousrah avec une tribu de Bédouins, il se décida, pour sceller la réconciliation, à épouser une des filles du cheikh de cette tribu, Sallah la Bédouine. Cette dernière alliance a donc été évidemment contractée dans un but politique ; tout porte même à croire que, sans les circonstances qui l'ont amenée, Mohammed se serait contenté de ses deux premières femmes, car il parle avec un certain regret des dépenses qu'il a fallu faire pour ces mariages successifs.
D'après cet exemple on voit que ce n'est pas seulement par caprice ou par libertinage que les paysans épousent plusieurs femmes. Dans les communautés du Haourân, c'est d'ordinaire le chef de famille seul qui use du droit d'être polygame, et presque toujours il a, pour le faire, quelque raison analogue à celles qui viennent d'être citées. Comme les aînés des familles se marient très jeunes en général, leur première femme, mère d'une nombreuse famille, se trouve déjà vieille quand ils sont eux-mêmes encore dans la force de l'âge. Ces hommes peuvent se considérer alors comme étant dans un état de veuvage anticipé, et ils contractent un nouveau mariage souvent à la prière et presque toujours avec le consentement de la première femme. Les plus jeunes fils de chaque famille se marient, au contraire, assez tard, en général après leur vingtième année (§ 12) ; ils épousent des femmes beaucoup plus jeunes et n'ont plus à ce point de vue les mêmes raisons que les aînés pour en prendre d'autres ensuite. Les chefs de famille eux-mêmes n'ont pas tous plusieurs femmes, e, dans le village de Bousrah, il n'y a que cinq cas de polygamie parmi eux les Ouvr. europ. I § 2).
[428] C'est aux riches seulement qu'il est possible d'épouser plusieurs femmes, car, outre les dépenses du mariage qui sont souvent considérables, le mari doit fournir à chacune de ses femmes un entretien convenable. S'il n'accomplit pas cette obligation, la femme peut demander le divorce, et rarement elle manque de le faire. Il y a donc là une véritable entrave à la polygamie, entrave qui contribue d'une manière efficace à en empêcher le développement parmi les classes inférieures. Les paysans surtout, qui sont économes et qui aiment à accumuler leurs épargnes, sont souvent arrêtés dans leurs désirs de mariage par des considérations d'intérêt. Il faut, pour leur faire surmonter ces considérations, des raisons importantes, et ce qui le plus souvent les décide, c'est le désir de laisser une nombreuse postérité. Parmi eux, en effet, la privation d'enfant est regardée comme le plus grand malheur dont un homme puisse être frappé ; ceux mêmes qui n'en ont que quelques-uns veulent en avoir un plus grand nombre, et ils épousent successivement plusieurs femmes dans cette seule intention : c'est pour cela aussi qu'on voit assez souvent des vieillards épouser des femmes très-jeunes, mais il arrive alors souvent que ces unions restent infécondes. Cette remarque conduit à l'examen d'une question très-controversée : à savoir si la polygamie contribue à accroître la population. L'auteur ne juge pas qu'on puisse répondre à cette question dans l'un ou l'autre sens d'une manière absolue ; il pense que, pour arriver à la résoudre, il faut bien distinguer deux cas très-différents. Dans les villes où les harîms sont avant tout des lieux de plaisir, et, on peut le dire, un mode particulier de prostitution ; dans les campagnes mêmes quand il s'agit de vieillards qui prennent plusieurs femmes pour obtenir une postérité que la nature leur refuse, la polygamie n'accroît pas le nombre des enfants : mais si, en dehors de ces cas, on examine ce qui a lieu chez les paysans et chez les nomades polygames, on arrivera sans doute à constater qu'ils laissent de nombreuses postérités. C'est là, d'ail leurs, ce qui s'observe dans le Haourân où les chefs de famille polygames ont ordinairement plus d'enfants que les autres hommes de la communauté mariés à une seule femme (§ 2).
On s'étonnera peut-être, malgré l'exemple cité précédemment, qu'une femme puisse demander elle-même à son mari de contracter un second mariage. Pour bien se rendre compte de ce fait singulier, il faut se rappeler que, dans les familles musulmanes, les femmes de la maison doivent exécuter tous les travaux de ménage, quelque difficiles et pénibles qu'ils puissent être. La domesticité des femmes étant inconnue chez les paysans, elles ne peuvent avoir pour aides que des esclaves ou des parentes vivant dans la même communauté.
[429] On voit que, dans certains cas, comme dans celui qui a déjà été cité, les parentes peuvent manquer, et que plus souvent encore l'occasion manque pour acheter des femmes esclaves : celles-ci, d'ailleurs, deviennent le plus souvent concubines du chef de la famille où elles sont introduites ; et rivales de la première femme qui n'a ainsi aucune raison de les préférer à d'autres femmes légitimes. On conçoit que, dans ces circonstances, une femme demande à son mari de contracter un nouveau mariage, surtout si on réfléchit que déjà elle commence à vieillir, et qu'elle est absorbée par les devoirs de la maternité. Du reste, les cas où une seule femme ne peut suffire aux travaux du ménage sont assez rares ; ils ne se présentent guère que chez les paysans les plus riches qui tiennent à honneur de recevoir beaucoup d'étrangers comme hôtes de leur maison. À ce point de vue, on peut dire que, si la polygamie suppose toujours la richesse, il arrive aussi quelquefois que la richesse entraîne presque nécessairement la polygamie.
Une des préoccupations les plus naturelles quand on réfléchit à cette question de la polygamie, est celle de savoir dans quels termes peuvent vivre entre elles les diverses femmes d'un même mari au sein d'une famille musulmane. Tout d'abord on est disposé à croire que la jalousie et les rivalités de ces femmes entretiennent une cause permanente de désordres dans la maison. Sans doute il en doit être ainsi dans les harîms où les femmes vivent en odalisques, dans une oisiveté à peu près complète. Chez les paysans, au contraire, elles ont à remplir des devoirs sérieux et absorbants qui ne leur laissent que peu de loisirs pour se livrer aux intrigues ; chacune d'elles doit avant tout s'occuper d'accomplir sa tâche journalière et se résigner à obéir à la plus âgée des femmes qui est chargée de la direction du ménage (§ 8). Dans les communautés où, par la force même des choses, plusieurs femmes se trouvent naturellement réunies, aucune différence n'est faite entre les diverses femmes du chef de famille et celles des autres membres ; toutes sont égales, toutes ont les mêmes devoirs à remplir, et si le mari polygame a une favorite, il ne peut guère manifester sa préférence en lui faisant une situation spéciale, car il serait condamné par l'opinion. Là, en effet, la vie intérieure n'est pas murée comme dans les villes, et chacun est responsable de sa conduite devant le public. En fait, il arrive rarement à ce qu'il paraît que des désordres surviennent dans les familles par suite de discussions entre les diverses femmes d'un même mari ; à défaut d'un autre sentiment, les femmes sont retenues par la crainte qu'elles ont d'être répudiées, si elles venaient à troubler le ménage par leurs rivalités.
En résumé, les observations qui viennent d'être présentées montrent [430] que la polygamie se présente avec des caractères bien différents, selon qu'on l'observe dans les villes ou dans les campagnes. Il est d'ailleurs évident que, chez les paysans eux-mêmes, la polygamie place les femmes dans une situation qui compromet leur dignité comme épouses et leur influence comme mères ; il est évident aussi que malgré tous les correctifs résultant de l'habitude et des mœurs établies, elle introduit dans la famille un élément de trouble, et qu'ainsi elle constitue pour elle un état réellement inférieur; mais on doit reconnaître qu'elle n'entraîne pas ici le même abaissement moral que chez les riches propriétaires de harîm ; on conçoit même que cette institution ait certaines raisons d'être dans l'organisation sociale de l'Orient, surtout chez les nomades et chez les paysans sédentaires vivant à côté d'eux et comme eux ; on comprend le r0̂le qu'elle a joué depuis la plus haute antiquité parmi les peuples de l'Orient, et en particulier chez ceux des temps bibliques ; on constate enfin qu'elle est parmi les populations musulmanes beaucoup moins générale qu'on pourrait le supposer, et qu'elle n'exerce pas dans les sociétés fondées sur l'islamisme une influence aussi considérable que celle qui lui est d'ordinaire attribuée par les Occidentaux.
(D) Sur la condition des ouvriers domestiques chez les paysans du Haourân.
Le système de communauté qui domine parmi les paysans du Haourân paraît d'abord devoir exclure la domesticité ; il semble, en effet, que ces nombreuses réunions de parents doivent se procurer dans leur sein la quantité de bras nécessaires pour leurs travaux agricoles, et d'un autre côté, on se demande comment la classe des domestiques pourra se recruter, chacun trouvant dans la vie de famille les conditions d'une existence convenable. Il en serait ainsi, sans doute, si les paysans propriétaires de la terre qu'ils cultivent se trouvaient dans une situation telle qu'ils pussent recueillir en toute sécurité le fruit de leur travail ; mais, dans l'état actuel des choses, leur propriété, leur richesse consistant surtout en bêtes de somme et en troupeaux, sont exposées à des pertes fréquentes, soit par suite des circonstances naturelles, soit par les vols des Arabes nomades. Dans ces conditions, il arrive qu'une famille, qui était parvenue à réunir la propriété d'une ou de plusieurs paires de bœufs, venant à les perdre et ne possédant aucun crédit pour en acheter d'autres, ne peut plus entreprendre à son compte une exploitation agricole ou du moins est obligée de restreindre son [431] exploitation ; quelques-uns de ses membres sont alors obligés de chercher du travail au dehors. Il arrive aussi quelquefois que les jeunes membres d'une communauté se décident d'eux-mêmes s à se séparer de leur famille, soit par esprit d'indépendance, soit par toute autre cause.
D'un autre côté, certaines familles favorisées par les circonstances ou aidées par l'habileté avec laquelle elles sont dirigées arrivent à posséder un nombre de paires de bœufs en disproportion avec celui de leurs membres en état de les conduire ; les chefs de ces familles se trouvent alors dans la nécessité de louer des ouvriers étrangers. Ces conditions se réalisent surtout pour les cheikhs de village qui, ne payant pas de miri (§ 5), peuvent facilement accroître le nombre de leurs paires de bœufs (feddhan) pour augmenter par cela même leurs revenus ; aussi arrive-t-il que presque tous les cheikhs sont obligés d'avoir des domestiques ou des esclaves : ces derniers, qui étaient jadis les plus nombreux, tendent aujourd'hui à disparaître pour être remplacés par des ouvriers libres.
Les domestiques des paysans sont désignés en arabe par un nom spécial : on les appelle Haratin, c'est-à-dire laboureurs, parce qu'en effet leur principale occupation est de labourer. Le contrat qui les lie au maître n'est pas établi sur les bases généralement adoptées dans l'Occident. En entrant dans une communauté un domestique devient par cela même l'associé de la famille pour son exploitation agricole : sa part dans les produits est fixée par l'usage au quart du froment récolté sur le feddhan qu'il cultive et à une quantité d'orge variable suivant les circonstances (F) ; il n'entre pas dans le partage des autres grains, et cela s'explique naturellement, parce que ces grains sont spécialement destinés à la consommation des membres de la communauté et des animaux de travail qui lui appartiennent. Outre sa part dans les produits du sol, chaque domestique reçoit, à titre de prime, un certain nombre de vêtements qui lui sont délivrés à l'époque des principales fêtes de l'année (§ 11). Ces vêtements sont ordinairement les mêmes que ceux qui sont achetés aux mêmes époques pour chacun des membres de la communauté, et, sous ce rapport comme sous beaucoup d'autres, les domestiques sont considérés comme faisant réellement partie de la famille [No 3 (B)]. Ils sont nourris comme ses propres membres et mangent avec eux ; ils pénètrent même dans le harîm en toute liberté comme s'ils étaient parents des femmes qui s'y trouvent. Un domestique peut se marier, mais alors sa femme ne vient pas d'ordinaire résider dans la famille à laquelle son mari est attaché ; elle continue à demeurer chez ses propres parents ou chez ceux de son mari qui chaque soir revient près d'elle.
[432] La part de chaque domestique varie nécessairement suivant l'abondance de la récolte ; elle varie aussi suivant l'étendue des terres ensemencées en froment et en orge relativement aux autres cultures. Quand plusieurs domestiques sont attachés à une même famille, ils sont considérés comme ne formant qu'une seule tête, et reçoivent tous ensemble le quart du froment produit par tous les feddhans qu'ils cultivent (F) : ils font ensuite un partage entre eux, de manière que la part de chacun soit la même. Le tableau suivant indique les quantités de grains et les vêtements qui, d'après ces principes, ont été attribués cette année à chacun des huit ouvriers domestiques attachés à la famille du cheikh Mohammed de Bousrah.

Le chiffre de 361f33 qui, d'après ce tableau, représente en argent la valeur des objets attribués en nature à chaque domestique, doit être considéré comme plus élevé que la moyenne ordinaire de ses bénéfices annuels. L'abondance de la récolte en 1857, et les conditions spécialement favorables où se trouvent les domestiques dans la famille du cheikh Mohammed, ont contribué à élever ce chiffre, qui d'ordinaire ne dépasse pas 300f. En admettant cette dernière somme comme moyenne, on est conduit à estimer à 0f80 environ le prix de la journée de travail d'un homme dans le Haourân, sans y comprendre la valeur de la nourriture consommée. Ce prix pourra paraître assez élevé pour un tel milieu ; mais, dans les mêmes conditions, le travail des esclaves coûte plus cher encore, et cela explique pourquoi, dans ce pays, la domesticité tend à remplacer l'esclavage.
Le contrat entre un domestique et un paysan n'est pas nécessairement établi sur les bases qui viennent d'être indiquées. Quelquefois, le domestique travaille pendant plusieurs années dans une famille sans recevoir autre chose que la nourriture, le vêtement et quelques cadeaux sans importance ; mais alors il est stipulé qu'après un délai fixé, il lui sera alloué des avantages spéciaux. Ordinaire [433] ment on lui promet en mariage une des filles de la maison qu'il obtient ainsi, sans avoir à payer aucune dot ; mais il faut pour cela qu'il soit parent de la famille à un degré quelconque, parce que l'habitude du pays est de ne faire les mariages qu'entre cousins et cousines. Ce contrat rappelle celui que Jacob fit avec Laban pour obtenir Rachel en mariage: quelquefois même, à ce qu'il paraît, il arrive aujourd'hui comme aux temps bibliques que le père de la jeune fille traîne en longueur et réclame de la part de son gendre futur des prolongations de service contraires aux conventions primitives.
Ces sortes d'engagements, présentant le caractère d'un servage momentané, étaient assez fréquents dans le Haourân il y a quelques années encore, quand l'argent était rare et la vente des grains difficile (§ 1er) : aujourd'hui c'est le premier mode qui tend à prévaloir, parce qu'il place les domestiques dans de meilleures conditions. Ils ne profitent pas cependant dé leur état d'indépendance pour changer souvent de situation, et en général ils restent toujours attachés à la même famille. Les occasions de dépense étant rares pour eux, ils font presque tous des épargnes relativement considérables. Le plus souvent, ces épargnes sont thésaurisées en vue de leur mariage ; presque toujours aussi, une partie est employée à l'acquisition de quelques têtes de bétail qu'ils donnent en cheptel aux Arabes nomades chargés de garder les troupeaux des paysans. Ce dernier mode de placement est le seul qui leur permette de tirer un intérêt de leur argent, le prêt à intérêt, proprement dit, étant interdit par les mœurs et la loi religieuse chez les Musulmans. Après avoir réuni, par l'accumulation de leurs épargnes, une somme suffisante pour leur permettre de se marier et d'acquérir une paire de bœufs, les domestiques entreprennent d'ordinaire une culture à leur propre compte ou bien rentrent dans leur famille, à moins qu'ils ne se résignent au célibat, ce qui est fort rare parmi les Musulmans. Ainsi, dans ce milieu social, la domesticité n'est, le plus souvent, qu'un état transitoire qui permet de s'élever progressivement à une condition supérieure.
(E) Sur les pratiques agricoles des paysans du Haourân.
Deux conditions générales dominent l'agriculture du Haourân : d'une part, l'indivision et l'abondance du sol qui empêchent les paysans de travailler à l'amélioration de la terre ; de l'autre, la crainte des ravages des Arabes nomades qui ne permet pas d'introduire [434] de nouvelles cultures. Pour les paysans, ces Arabes peuvent être assimilés à un fléau naturel dont le retour périodique viendrait, chaque année, compromettre les récoltes. Ils respectent encore, dans une certaine mesure, celles de ces récoltes qu'ils sont habitués à voir dans les champs ; mais, si on tente la culture de plantes qui doivent rester en terre pendant une partie de l'été (tabac, sésame, coton, etc.), ils les font chaque jour manger par leurs troupeaux et par leurs chevaux. C'est à cette cause et non pas, comme dans d'autres contrées, à la répugnance des cultivateurs pour les innovations, qu'est due l'absence de cultures industrielles dans le pays : les paysans se montrent, au contraire, très-désireux de se livrer à ces cultures et de planter des arbres ; sans aucun doute, s'ils jouissaient d'un peu de sécurité, s'ils étaient sûrs de semer et de planter pour eux ou pour leurs enfants, on les verrait bientôt transformer en jardins toutes les terres voisines des sources ou des ruisseaux.
Actuellement, les paysans haourâniés cultivent seulement les céréales et quelques légumineuses. L'assolement adopté comprend généralement trois espèces de cultures qui se succèdent dans l'ordre suivant : 1o Froment et mais blanc ou millet (doura-beda); 2o jachère labourée et irriguée; 3o orge et légumineuses ; 4o jachère labourée et irriguée, suivie du retour du froment. Cet ordre n'est pas constant et beaucoup de circonstances peuvent le faire varier ; certaines terres de qualité supérieure ne sont presque jamais mises en jachères, surtout dans les villages où la population est nombreuse ; les jachères sont aussi en partie supprimées presque partout quand le prix élevé du grain promet une vente facile, et surtout quand la présence de quelques troupes dans le pays assure protection contre les Arabes nomades.
Grâce à la beauté du climat, les récoltes restent en terre beaucoup moins longtemps que dans l'Occident. On en jugera par l'énumération suivante qui indique à la fois l'époque de l'ensemencement, celle de la récolte et le rendement moyen pour chaque espèce de plante :
(1) Grains d'automne.
1o Froment (gamah) : Semé à la fin de novembre et en décembre sur deux labours dont l'un est donné en octobre, après les premières pluies, et l'autre pour enterrer la semence ; récolté au commencement de juin5. Le rendement moyen est évalué à 17 grains pour un.
[435] 2o Orge (chehir) : Semé à la fn de novembre et en décembre, en même temps que le froment et sur les mêmes labours ; récolté à la fin de mai. Le rendement moyen est évalué à 14 grains pour un.
3o Vesces noires (namanié) : Semées à la fin de décembre ou en janvier avant les grandes pluies ; récoltées au commencement de mai. Le rendement moyen est évalué à 10 grains pour un.
(2) Grains de printemps.
4o Féveroles (kirsenné) : Semées en février et récoltées vers le milieu de mai. Le rendement moyen est évalué à 8 grains pour un.
5o Pois lupins (hommous) : Semés fin de mars ; récoltés en juillet ou août. Le rendement moyen est évalué à 15 grains pour un.
6o Doura-beda (espèce de millet connu dans le commerce sous le nom de maïs blanc) : Semé en mars et avril ; récolté en septembre. Le rendement moyen est évalué à 30 grains pour un.
7o Lentilles (adse) : Semées en mars ou avril ; récoltées à la fin de mai ou au commencement de juin. Le rendement moyen est évalué à 12 grains pour un.
Fèves (foulh) : Plantées en février ou mars ; récoltées en mai. Le rendement moyen est évalué à 15 grains pour un.
Ricin (kharoua) : Planté en mars ; récolté en août et septembre. Le rendement moyen est évalué à 20 grains pour un.
Les indications qui viennent d'être données sur le rendement des différentes cultures, ne peuvent servir à apprécier d'une manière exacte la fertilité de la terre. Cultivée dans des conditions convenables, cette terre produirait beaucoup plus ; même dans l'état actuel des choses, elle rend en réalité plus que ce qui vient aux mains du cultivateur. Différentes causes contribuent en effet à diminuer la récolte effective ; parmi ces causes il faut citer, en première ligne, les souris qui, surtout dans les cantons voisins du désert comme celui de Bousrah, causent chaque année d'immenses ravages. Les paysans disent que ces souris émigrent, pendant la mauvaise saison, dans l'intérieur du désert pour en revenir chaque année au printemps ; mais l'auteur n'a pu vérifier l'exactitude de cette observation. Les Arabes nomades représentent un autre fléau naturel dont le retour est aussi périodique. Ce sont surtout leurs troupeaux qui ravagent les récoltes ; mais les cavaliers contribuent aussi à ces ravages ; même sans intention de nuire, ils font passer leurs chevaux à travers les champs couverts de récoltes pour que le frottement des épis chasse les mouches qui fatiguent ces animaux. Enfin, l'insuffisance des bras ne permettant pas de couper chaque espèce de récolte à un degré convenable de maturité, une notable quantité[436] de grain se perd en tombant des épis, surtout pendant les transports qui se font à dos de bêtes. Pour certaines récoltes, les vesces et les féveroles en particulier, les pertes dues à l'égrènement sont considérables ; c'est même à cette cause que les paysans attribuent le faible rendement de ces légumineuses et le haut prix de vente, qui d'ordinaire dépasse de beaucoup celui du blé.
Le fumier n'est pas employé de manière à développer la fertilité du sol ; les terres ne reçoivent, en effet, que les déjections laissées par les troupeaux sur les champs qu'ils traversent en pâturant. Le fumier fait par les animaux de travail dans l'intérieur des villages et par les troupeaux dans les enceintes murées où on les enferme pendant la nuit, n'est jamais utilisé pour la fécondation du sol. Une partie est réservée pour confectionner le guellé, espèce de combustible que les femmes préparent en pétrissant avec les mains un mélange de fumier et de paille hâchée qu'on fait ensuite sécher au soleil ; le reste est transporté dans des couffes et jeté près des maisons sur des tas qui, s'accumulant peu à peu, en encombrent les abords. On peut juger du temps depuis lequel un village est habité par les paysans d'après l'élévation et l'étendue de ces tas de fumier. En automne, on y ajoute une certaine quantité de débris de pailles auxquels on met le feu. C'est là, disent les paysans, une mesure d'hygiène destinée à réduire le volume de ces tas d'immondices et à empêcher les exhalaisons fétides et malsaines qui s'en dégageraient nécessairement. Malgré cette précaution, d'ailleurs, il se forme peu à peu, dans chaque village, des collines de fumiers, véritables réservoirs d'engrais, qui pourraient être sans doute utilisés dans l'avenir, si le pays se trouvait placé dans de meilleures conditions.
En l'absence de fumures suffisantes, c'est à la fréquence des jachères et surtout aux irrigations que le sol doit la conservation de sa fertilité. L'eau qu'on emploie pour les irrigations est empruntée aux wadys ou ruisseaux qui, presque tous à sec en été, sont gonflés par les pluies de l'hiver. Cette eau est bourbeuse et tient en suspension beaucoup de matières organiques, arrachées aux terrains en pente sur lesquels les troupeaux se tiennent de préférence en été ; après l'imbibition de l'eau, ces matières restent déposées sur les terres, et il se fait ainsi une véritable colmatage. Cette circonstance explique l'importance de l'irrigation dans ce pays ; elle rend compte aussi de la préférence des paysans pour les terres qui sont irriguées par l'eau de pluie au lieu de l'être par l'eau de source.
L'époque de l'irrigation est nécessairement déterminée par le retour des pluies ; d'ordinaire elle se fait dans les mois de janvier et de février. Il pleut cependant longtemps avant cette époque et même dès le mois d'octobre. Mais les premières pluies, d'ailleurs [437] peu abondantes, étant séparées par de longs intervalles de beau temps, ne mettent pas d'eau dans les wadys. Dès que l'eau est assez abondante, on ouvre les rigoles qui vont la porter dans toute l'étendue des terres cultivées. On commence toujours par arroser celles des terres qui sont ensemencées ou qui doivent l'être au printemps ; puis, l'eau ne manquant pas en général, on arrose aussi les jachères. Ce n'est qu'exceptionnellement et dans les districts où la population est déjà nombreuse qu'on cultive les terres non susceptibles d'irrigation.
Les façons données à la terre consistent uniquement en labours peu profonds dont l'époque est déterminée par le retour des pluies ; ces façons sont les mêmes pour les céréales et les légumineuses. Elles se distribuent de la manière suivante :
Année de jachère. — 1o Labour d'automne donné en novembre après les premières pluies ; 2o labour de printemps, en mars et avril, après la fin des pluies. Il arrive asse souvent que le labour d'automne est supprimé, le temps manquant pour l'exécuter.
Année de récolte. — 1o Labour donné immédiatement après les premières pluies en octobre; 2o labour donné en novembre ou décembre pour enterrer la semence qu'on répand sur la terre avant d'y passer la charrue. Pour les légumineuses qu'on met en terre seulement au printemps, ce second labour est retardé jusqu'en février et mars. Les pois, les vesces et le ricin se plantent à la main au lieu de se semer.
Le matériel agricole est d'une extrême simplicité : la charrue est l'ancien araire sans roues et sans versoir, analogue à celui dont on fait encore usage dans certaines parties du centre de la France. L'extrémité est ordinairement garnie d'un fer en forme de pointe de lance qui trace son sillon en rejetant la terre également des deux côtés. Cette charrue est traînée par deux bœufs et guidée par la main droite du laboureur appuyant sur le manche. La moisson se fait avec une faucille (menjdel) maniée de la main droite, tandis que la main gauche est armée d'un gant et d'un crochet qui permettent de saisir à la fois les tiges des céréales et les chardons qui s'y trouvent mêlés en grand nombre (§ 6). Cette faucille est employée seulement pour l'orge et le froment, parce qu'on arrache d'ordinaire à la main les tiges des autres plantes cultivées. Tous les transports se font à dos des bêtes de somme sans autre appareil que les bâts sur lesquels la charge est fixée au moyen de cordes ; pour le transport des grains on emploie des sacs en tissus très-solides, fabriqués par les femmes bédouines avec du poil de chèvre et de la laine.
La culture des fourrages proprement dits est inconnue dans le Haourân. Les animaux de travail et les bestiaux sont nourris, au [438] moyen des pâturages naturels, des grains et de la paille qui remplace le fourrage sec.
Le mode particulier de battage usité dans le pays consiste à traîner sur les tiges et les épis de céréales une large planche garnie de pierres anguleuses et même de pointes en fer (§ 6) ; le conducteur des bœufs qui traînent cette planche se tient assis ou debout sur elle et augmente ainsi l'effet produit. Quand le battage est achevé, la paille est à peu près hachée, et on lui donne le nom de tibn au lieu de celui de kêch par lequel on la désigne quand elle est entière. Pour séparer la tibn du grain, on la jette contre le vent qui emporte en même temps la poussière dont elle est pleine. Une petite quantité de grain reste toujours mêlée à la paille et augmente ainsi ses qualités nutritives. À Bousrah, cette paille est conservée avec grand soin et mise à l'abri dans des magasins spéciaux ; mais, dans les parties du Haourân voisines du Jourdain et où l'hiver est moins pénible, on en laisse souvent perdre de grandes quantités.
Les chevaux élevés quelquefois par les paysans sont le plus souvent achetés aux Arabes nomades ; on ne les attelle jamais à la charrue, et ils sont uniquement employés pour les voyages et pour la guerre. Quelquefois cependant, comme cela se fait dans la famille ici décrite (§ 6), des chevaux déjà vieux et fatigués sont employés comme bêtes de somme au même usage que les mulets : ces derniers sont rares dans le Haourân, pays de plaine où les chameaux les remplacent avantageusement. Le plus souvent les paysans ne possèdent que des étalons ; ils estiment cependant et recherchent beaucoup les juments qui leur permettent de se livrer à l'éducation des poulains ; mais elles coûtent beaucoup plus cher que les étalons, et les Arabes n'en vendent que rarement. La nourriture des chevaux et des mulets varie suivant les saisons : au printemps on les met au vert pour deux mois et demi. Pendant le premier mois, ils ne mangent que de l'orge verte ou des herbes naturelles dans le beidar (§ 6), et on considère comme essentiel de n'exiger d'eux aucune espèce de travail : plus tard l'herbe devenant moins abondante et moins tendre, vers le milieu d'avril on ajoute à leur ration d'herbe 3 à 4 litres d'orge en grain. À la fin de mai le pâturage cesse à peu près complètement, et les chevaux sont remis à leur alimentation ordinaire composée par jour de 8 à 10 litres d'orge en grain et d'une quantité non limitée de paille. Après les premières pluies à la fin d'octobre ou au commencement de novembre, la verdure commence à reparaître, et les chevaux sont encore lâchés dans le beidar, où ils ne trouvent du reste pendant les trois mois d'hiver qu'un pâturage insignifiant.
Les chameaux sont achetés aussi aux Arabes nomades qui ne [439] vendent en général que les mâles : les paysans, d'ailleurs, attachent peu de prix à la possession des femelles, parce qu'elles ne produisent que rarement quand on les soumet au travail. Ces animaux sont uniquement employés aux transports ; car, dans le Haourân, on ne les attelle pas à la charrue comme cela se fait dans certains cantons de la Palestine. Pendant la saison de pâturage, ils se nourrissent exclusivement au dehors ; mais dès qu'on exige d'eux un travail un peu fatigant, il faut leur donner, outre la paille qu'ils ont toujours à discrétion, une certaine quantité de féveroles, de vesces et d'orge. Dans le Haourân, on fait moudre ces graines d'une manière grossière, et on les réduit en une pâte très-dense qu'on façonne en grosses boules allongées. Ces boules, principalement composées de féveroles qu'on cultive à cette intention, sont données aux chameaux le soir après le travail. Leur ration journalière, variable suivant la fatigue qui leur est imposée, est en général de 1k 5 à 2k. Les chameaux des paysans ne donnent pas d'autre produit que leur travail ; leur laine reste courte et n'a aucune valeur ; on ne se donne même pas la peine de la recueillir quand on les tond.
Tous les paysans du Haourân possèdent des ânes qui leur servent habituellement de monture pour les courses peu éloignées. Souvent même, ces ânes accompagnent les caravanes de chameaux qui vont porter les grains à Damas ou à Saint-Jean-d'Acre. On les charge aussi des sacs de semence qu'on transporte dans les champs, et enfin, au moment du battage, on les emploie à dépiquer, surtout pour les légumineuses. Quoique de taille peu élevée, ces ânes sont très-robustes. Dans la bonne saison, ils se nourrissent au pâturage, et, en hiver, ils mangent de la paille hachée (tibn). Jamais on ne leur donne de grains, mais ils en mangent cependant une certaine quantité au moment de la moisson et pendant le battage.
La race bovine est de taille assez élevée et de belle apparence, quoique très-maigre en général. Les vaches sont peu nombreuses et donnent fort peu de lait, même pendant la saison des pâturages, parce qu'elles sont le plus souvent employées au travail. Les paysans haourâniés ne font que rarement des élèves, et ils achètent presque tous leurs bœufs aux Druses du Djebel-Haourân qui, placés dans une région montagneuse où l'herbe est abondante, se trouvent dans de meilleures conditions pour nourrir de jeunes animaux. Les bœufs, uniquement employés au labourage, sont habituellement conduits au pâturage avec les vaches par des bergers arabes. En hiver, ils mangent de la paille hachée, et, pendant la saison des travaux, ils reçoivent chaque jour une ration de 4 ou 5 litres de vesces,[440] d'orge ou de féveroles. Jamais les paysans n'engraissent pour la vente leurs bœufs ou leurs vaches, la viande de ces animaux ne se mangeant pas habituellement dans le pays ; on les tue seulement quand ils sont trop vieux ou trop fatigués pour pouvoir travailler encore, et on distribue alors leur viande à tous les habitants du village (§ 9). On conçoit facilement que la chair d'animaux tués dans ces conditions soit dure et peu goûtée de ceux qui la mangent.
Les troupeaux de chèvres et de brebis se nourrissent pendant presque toute l'année au pâturage sous la garde de bergers arabes ; c'est seulement quand la neige couvre la terre qu'on leur donne à manger des feuilles de chêne vert ou de la paille. Les bêtes ovines sont peu nombreuses et donnent moins de produit que les chèvres. Le lait des brebis est, en effet, peu abondant, et leur dépouille en laine, vendue le plus souvent pour l'exportation, ne vaut pas plus de 1f00 ou 1f25 par tête. Les jeunes moutons (kharouf) sont mangés dans les familles ou vendus pour la boucherie. La race ovine est celle qu'on rencontre partout en Syrie, et qui est caractérisée par le volume de son appendice caudal ; mais, dans le Haourân où ces animaux sont soumis à un régime sévère, cet appendice ne se charge pas de graisse comme chez les moutons élevés avec grand soin par les paysans du Liban. Les chèvres appartiennent aussi à une race spéciale dont les oreilles sont pendantes, et dont le nez est fortement recourbé. On les trait pendant cinq à six mois, tandis que les brebis nè donnent de lait que pendant cent jours environ par année. On admet, du reste, dans le pays qu'une brebis donne par jour de traite moins de lait qu'une chèvre, c'est-à-dire 0l50 en moyenne, le produit journalier moyen d'une chèvre étant estimé à 0l75 environ. Le poil de chèvre, que les femmes arabes travaillent sur place pour tisser une étoffe spéciale qui sert surtout à faire les tentes, a plus de valeur que la laine ; la dépouille d'une chèvre se vend d'ordinaire 2f00 à 2f25.
(F) Sur l'évaluation en unités métriques des poids et mesures du Haourân.
Les rapports de valeurs et de quantités qui vont être indiquées dans cette note sont ceux qui ont servi à établir le budget et les comptes de la présente monographie : ces rapports ont été, pour la plupart, déterminés d'après les observations faites directement par l'auteur. On ne trouvera d'ailleurs ici que les indications essentielles à connaître pour avoir les moyens de contrôler les chiffres, cités dans ce travail. Ces indications ne pourraient donner qu'une idée [441] incomplète de la diversité des monnaies, des mesures et des poids usités dans les différentes parties de la Syrie.
(1) Valeurs monétaires. — Change.
Les principales monnaies européennes en or et en argent circulent sans obstacle dans toutes les parties de la Syrie. Depuis la guerre d'Orient, les paysans du Haourân et les Arabes nomades eux-mêmes connaissent et acceptent les pièces d'or de France, d'Angleterre et de Russie ; mais le cours du change varie continuellement. Les monnaies turques n'ont pas elles-mêmes un cours fixe et ne jouissent d'aucun avantage sur les monnaies étrangères dans les ports du commerce ; mais à mesure qu'on s'éloigne de la côte, leur valeur relative augmente, quoique dans une faible proportion ; à vrai dire, les monnaies en Syrie sont assimilées aux marchandises dont le cours est le plus variable : aussi doit-on, dans le commerce, spécifier en quelle monnaie se feront les paiements et quel sera le cours de cette monnaie en piastres. Le para et la piastre, qui servent toujours d'unité de comparaison, ont été considérés ici comme valant d'une manière fixe :

Ainsi le franc correspond exactement à 4 piastres ou 160 paras.
(2) Mesures de capacité.
Ces mesures ne sont guère usitées que pour les grains : on les emploie surtout dans l'intérieur et sur les lieux de production.

Ces deux dernières mesures sont usitées sur la côte, principalement dans les ports de Jaffa, Caïpha et Saint-Jean-d'Acre par lesquels s'exportent les grains ; d'ordinaire on les convertit en ocques, mesure de poids, en ayant égard à la pesanteur spécifique de la graine mesurée.
(3) Mesures de poids.
C'est une coutume déjà ancienne en Syrie de tout vendre au poids, et cette coutume est si répandue que, dans certaines localités, les pierres mêmes se pèsent au lieu de se cuber. Il est à remarquer que les Orientaux ont devancé les tendances qui commencent à se [442] manifester sous ce rapport en Occident. Sans doute si on préfère le poids au volume, comme moyen d'apprécier les quantités, c'est afin d'éviter les fraudes plus faciles à dissimuler dans le second mode de mesurage ; cependant en Syrie, dans le commerce de détail, l'acheteur accorde d'ordinaire au vendeur une entière confiance pour le pesage de la marchandise. Au lieu de poids en métal, portant la désignation des quantités qu'ils représentent, on n'emploie la plupart du temps dans les bazars, que des pierres ou des morceaux métalliques informes dont l'équivalent, qui sans doute a été préalablement déterminé, n'est pas vérifié par l'acheteur.
Les mesures de poids portent à peu près partout le même nom, mais leur valeur varie suivant les localités, à l'exception de celle du derhem ou drachme qui est constante. Les valeurs indiquées ci-après sont celles qui sont le plus généralement en usage dans le commerce :

Pour certaines marchandises on compte par charges de chameau ou de mulet : il arrive alors nécessairement que le poids de la charge varie avec la densité de la marchandise. Les exemples suivants permettront de se rendre compte de cette manière d'apprécier les poids :

(4) Mesures de longueur.
Pour mesurer les étoffes ou les surfaces de dimensions peu considérables l'unité employée est le dérâa ou pick. Cette mesure n'a pas partout une longueur uniforme, mais celle qui est ordinairement employée dans le commerce est la suivante :
1 dérâa ou pic du commerce............ == 0m675
Aucune route carrossable n'existant en Syrie et le pays étant coupé de hautes chaînes de montagnes, on n'y voit jamais ni chars, ni voitures, et les transports ne peuvent se faire qu'à dos de chameau, de mulet, de cheval et d'âne : de là est venue l'habitude d'apprécier les distances, non pas d'après une mesure linéaire,[443] mais d'après le temps employé à les parcourir. Il en résulte que l'unité varie nécessairement en raison de l'espèce d'animal que l'on considère ; mais, pour des animaux de même espèce marchant avec leur charge, la vitesse ne varie que très-peu, à moins que la route ne présente des difficultés exceptionnelles. La marche des chameaux ordinaires est surtout remarquablement constante ; on peut admettre que l'heure de marche présente, avec nos mesures de distance, les rapports ci-après indiqués :

(5) Mesures de superficie.
Pour apprécier les surfaces peu considérables et quand il s'agit de terres précieuses, plantées en arbres de produit, on se sert du pic carré ou de ses multiples ; s'il s'agit de désigner une étendue de terre arable placée dans des conditions ordinaires on emploie le mot feddhan. En Égypte et dans certaines parties de la Syrie où la population est nombreuse, on a assigné au feddhan une valeur fixe déterminée (en Égypte il vaut environ 0 h. 4083) ; mais, dans la plus grande partie de la Syrie et spécialement dans le Haourân, ce mot, employé dans son ancienne acception, signifie à la fois une paire de bœufs et la quantité de terre qu'on peut exploiter avec ces deux animaux : cette quantité est nécessairement variable suivant les contrées et suivant la nature des terrains, de sorte qu'on ne peut en faire une mesure fixe. Il est à remarquer que, dans certaines parties de la France, on emploie encore le mot charrue dans un sens analogue. Ainsi en Champagne et en Brie, pour indiquer l'importance d'une exploitation agricole déterminée, on dit souvent : « C'est une ferme de tant de charrue » ; dans ce cas l'unité charrue, de même que l'unité feddhan en Syrie, indique une quantité de terre variable suivant les contrées.
Le tableau suivant, dressé d'après les renseignements recueillis sur les lieux, indique les quantités de semences employées et les quantités de grains récoltés par un paysan haourânié propriétaire d'une paire de bœufs et cultivant par cela même un seul feddhan. On y a joint trois colonnes indiquant pour chaque espèce de produit le poids et le prix de l'hectolitre et le prix du kilo. Les prix adoptés sont ceux auxquels se faisaient les ventes dais le Haourân en décembre 1857; ces prix, d'après le dire des paysans, représentent assez bien la valeur moyenne des produits du sol dans leur pays pendant la dernière période quinquennale. Avant cette période, qui [444] correspond à la guerre d'Orient, les prix étaient beaucoup moins élevés, l'exportation pour l'Europe n'ayant pas encore commencé et l'argent ayant alors, en raison de sa rareté, une valeur relative beaucoup plus grande.

Prenant en considération ce fait que les paysans du Haourân sèment peu serré et admettant qu'ils répandent en moyenne 1 hectolitre 50 litres de semence par hectare, on arrive à conclure qu'un paysan qui possède un feddhan cultive environ 7 hectares de terre.
Il est à remarquer que les rapports indiqués dans le tableau précédent entre les diverses plantes cultivées ne restent plus les mêmes quand il s'agit d'exploitation de plusieurs feddhans. Ordinairement le chiffre des céréales augmente beaucoup plus proportionnellement que celui des légumineuses. La raison en est que ces dernières, destinées à la consommation locale, sont cultivées seulement pour les besoins de chaque famille, tandis que les céréales sont produites pour être livrées au commerce.
(G) Sur le tribut (el khoui) payé aux Arabes nomades par les paysans du Haourân.
On a vu dans cette monographie (§ 1 et 7, D. 5e Son) que les Arabes nomades prélèvent un impôt sur les paysans des villages du Haourân. Il convient d'indiquer ici quelle est la nature du tribut ainsi payé par les paysans, quelles causes ont contribué à l'établir et le font encore maintenir.
[445] « Les Arabes, a dit l'émir Abd-el-Kader, tirent la richesse la plupart du temps de la chasse, du vol dans les chemins et des incursions chez les nations qui les avoisinent. » Cela est vrai des Arabes d'Asie aussi bien que de ceux de l'Afrique. Les seules sources légitimes de gain qu'ils possèdent sont leurs troupeaux ; mais la vente des produits de ces troupeaux et celle des chameaux et des chevaux qu'ils élèvent ne peuvent suffire pour leur fournir des moyens d'existence. Ils sont ainsi conduits par la force des choses à recourir au vol pour se procurer un surcroît de ressources. Les vols sont la cause la plus ordinaire des guerres qu'ils ont entre eux, et souvent même ils entreprennent ces guerres afin d'avoir l'occasion de voler.
Mais cette occasion leur est naturellement fournie par les populations sédentaires qui habitent sur la lisière du désert, et qui se livrent à l'agriculture. Isolés par petits groupes dans des villages éloignés les uns des autres, au milieu d'une plaine ouverte, les paysans, dans le cas même où ils auraient toujours les armes à la main, ne pourraient résister efficacement aux incursions des Arabes ; la présence d'une force militaire, spécialement chargée du soin de garder cette frontière, serait seule capable de les protéger; mais, en l'absence de cette force, ils sont réduits à la nécessité d'abandonner aux Arabes une portion de leurs récoltes pour préserver le reste. Là est le principe de la redevance que les paysans sont obligés de payer aux tribus nomades.
Cette redevance a un nom spécial : on l'appelle el khoui (la fraternité), c'est-à-dire gage d'alliance et de fraternité. La tribu qui a perçu sur les habitants d'un village cette redevance, devient la sœur (el ukta) de ce village, et le cheikh de la tribu s'engage à faire respecter par les siens les récoltes, les troupeaux et les autres propriétés des paysans. D'une manière générale, cet engagement est exécuté : jamais, en effet, on ne voit les cavaliers d'une tribu venir ravager le territoire de ses alliés ; mais chaque Arabe, agissant pour son propre compte, cherche toujours à prendre ce qu'il peut, et les paysans doivent veiller continuellement sur leurs champs et sur leurs bestiaux. Dans le cas où un Arabe voleur est surpris en flagrant délit, on le force à restituer ce dont il s'emparait, mais presque jamais il n'est puni pour le fait même du vol.
Le taux du khoui n'est pas fixé une fois pour toutes ; il varie chaque année suivant les rapports existant entre le village qui paie et la tribu qui reçoit : en général, il est réglé en proportion du tort que la tribu pourrait faire au village en se déclarant contre lui. Les conditions sont débattues chaque année entre le cheikh des Arabes et celui des paysans : le plus souvent, après avoir longtemps discuté, [446] le cheikh fellah est obligé d'accorder une légère augmentation ; d'ordinaire cette augmentation porte non sur le principal, mais sur les accessoires tels que cadeaux en vêtements, en armes ou en argent qui sont faits au cheikh arabe personnellement. Ces cadeaux deviennent souvent un moyen de corruption employé pour rendre les cheikhs arabes plus conciliants et les décider à sacrifier dans une certaine mesure, du moins, les intérêts de leur tribu.
De son côté, le cheikh fellah s'efforce toujours de prélever pour lui-même une certaine somme sur l'impôt payé par son village. Ainsi les deux cheikhs, en débattant entre eux les intérêts opposés du village et de la tribu, ont à se faire des concessions mutuelles dans leur propre intérêt, mais aux dépens de leurs administrés.
Le village de Bousrah paie depuis quelques années le khoui à sept tribus ou fractions de tribus ; il s'est élevé, en 1857, à la somme de 3,202f50.
Comme exemple de la variabilité de ce chiffre, on peut citer ce fait qu'une de ces tribus qui, en 1856, n'avait touché que 50f00, a reçu, en 1857, 250f00. On pense même qu'elle exigera plus encore, en 1858, sa puissance s'étant beaucoup accrue.
Envisagé en lui-même, le khoui présente un double caractère : on peut le considérer d'abord comme l'équivalent de la partie de l'impôt qui, dans notre organisation sociale, est employée à l'entretien de la police et de l'armée. Ici les populations, étant complètement laissées à elles-mêmes, abandonnent une partie de leurs produits aux déprédateurs, au lieu d'entretenir une force permanente capable de les défendre contre eux. À ce point de vue, on pourrait regarder cet impôt comme un abonnement fait sous certaines conditions avec des voleurs, ou encore, comme une prime payée pour une assurance : la tribu arabe, qui, moyennant cette prime, consent à suspendre ses ravages, représente à la fois le fléau etla compagnie d'assurance.
Mais le khoui a encore un autre caractère : c'est le prix de l'alliance qui s'établit entre le village qui paie et la tribu qui reçoit. Celle-ci s'engage non-seulement à ne pas faire tort aux habitants du village, mais encore à leur donner aide et protection en cas de besoin. Il est très-rare, d'ailleurs, que cette partie de la convention ne soit pas exécutée, et, à ce point de vue, du moins, l'institution mérite le nom de Fraternité qu'on lui donne dans le pays.
Notes
1. Pour tous les mots arabes cités dans ce travail, l'auteur s'est attaché surtout à rendre la prononciation usitée dans le pays observé, sans s'occuper de savoir si cette prononciation est conforme aux règles. Cette observation s'applique aussi aux noms propres et en particulier à celui de Bousrah qu'on trouve écrit de diverses manières (Bosrah, Busrah); on l'a écrit ici comme on le prononce dans la localité même.
2. Le mot sérail, souvent employé par des Européens dans le même sens que le mot harîm, n'a pas la même signification : il doit se prononcer seraï et présente à peu près le même sens, que le mot palais en français. On l'emploie d'ordinaire pour désigner l'habitation du pacha et plus généralement le lieu où se traitent les affaires administratives. Le mot harîm, que nous prononçons a tort harem, s'applique à la fois à l'appartement des femmes et aux femmes elles-mêmes.
3. Ces mariages par échange étaient aussi en usage dans les anciennes communautés françaises et spécialement dans le Nivernais. Voir à ce sujet une note de M. Dupin aîné sur la communauté des Jault, page 99, d'un recueil intitulé le Morvan, in-12. Paris 1853, — Plon frères.
4. H. Doniol, Histoire des classes rurales en France, in-8o, chez Guillaumin, Paris, 1857. — Voir dans ce livre, page 70 et suivantes, d'intéressants détails sur les anciennes communautés agricoles de la France.
5. On n'a pas indiqué à côté des mois de notre calendrier, les dates correspondantes du calendrier musulman parce que l'année musulmane étant lunaire, ses mois ne tombent jamais deux années de suite aux mêmes saisons.